Les plans de travail

en lycée professionnel

Les limites du plan de travail en lycée professionnel.

L’utilisation des plans de travail pour les élèves est un des piliers des pédagogies actives. Pour faire une généalogie brève : son utilisation remonte à Helen Parkhurst, qui l’utilise comme outil de différenciation dans des classes multi-niveaux (école de Dalton). L’outil est repensé par Freinet et intégré dans sa méthode. Il est alors centré sur le choix et l’autonomie que cela permet : “tant que l’enfant n’a pas le choix entre une gamme variée d’activités, les notions de plan de travail ne s’imposent nullement” (1). Il se déduit des “invariants pédagogiques”, car “Nul n'aime se voir contraint à faire un certain travail, même si ce travail ne lui déplaît pas particulièrement. C'est la contrainte qui est paralysante. Chacun aime choisir son travail, même si ce choix n'est pas avantageux” (invariants 6 et 7). “Avec le plan de travail, écrit encore Freinet, “L'enfant devient pour ainsi dire libre dans le cadre de certaines barrières qu’il a, d'avance, mesurées et acceptées” (2).

Quand on passe de l’école de la campagne à l’école de la ville, les choses changent (3). Les fondateurs de la pédagogie institutionnelle l’avaient noté : “Face à son plan de travail, à ses fiches, à ses tâches, l'élève travaille… s'il est ”travailleur”, si ces tâches imposées, ordonnées ont pour lui une signification, un sens, correspondent à une demande de sa part. A l'école primaire urbaine, il ne nous a pas semblé que ce soit là la totalité des cas, le “contrat d'acceptation” ne nous paraît une motivation suffisante que pour les élèves déjà éduqués, qui désirent l’école.” En bref, l'outil “suppose ... des écoliers déjà entraînés, capable d'organisation et de contrôle et surtout fortement motivés par le travail scolaire.”(4)

En lycée professionnel c’est cette réalité que l’on rencontre. J’utilise néanmoins les plans de travail. Malgré les obstacles rencontrés, l’outil permet de motiver et de faire avancer les élèves les plus performant.es. Il peut permettre aussi de me rendre disponible pour accompagner celles.ceux qui en ont besoin - si tant est que cette individualisation soit compatible avec la gestion de classe. Individualiser veut dire laisser les élèves face à la mise au travail - une gageure en lycée pro où l’imposition d’un rythme unique par l’enseignant est aussi, souvent, une façon de contraindre (et parfois de réussir!) à mettre une majorité d’élèves au travail.

Voici, pour des terminales, un exemple de plan de travail proposé en début d’année. Il est très semblable à ceux que j’ai pu par ailleurs proposer à des élèves de lycée général. En pro, j’ai rencontré plusieurs difficultés qui m’ont amené à remanier fortement l’outil pour le rendre fonctionnel, pour les élèves et pour moi.

Le premier retour que j’ai eu des élèves fut : “ouah ! tout ça? c’est énorme!” Mettre à disposition des élèves la totalité du travail prévu pour un chapitre, c’est démotivant. Une quantité limitée de travail visible, la durée courte des activités, restent nécessaire pour que les élèves aient le courage et la motivation de se mettre au travail.

“Mais monsieur il faut faire quoi?” Deuxième retour : malgré la recherche de segmentation et d’explicitation des consignes, le plan de travail nécessite un travail préalable à la tâche à réaliser. Il faut lire la totalité de l’étape, se demander ce qu’il y a à faire à tel moment. Du travail avant le travail : trop de travail. Cela entraîne le découragement. L’apprentissage de l’autonomie est un travail supplémentaire. Pour pouvoir choisir, s’organiser, il faut avoir consulté l’ensemble des ressources mises à disposition. C’est plus simple et moins démotivant s’il suffit de suivre une injonction unique du prof.

Comment alors conserver la logique planificatrice et différenciante du plan de travail en contournant ces obstacles?

J’ai tenté plusieurs pistes. Je fragmente à nouveau beaucoup plus les tâches : les élèves n’ont plus besoin de consulter un ensemble pour se mettre au travail. C’est au sein de chaque fragment que je réintroduis, sans le relier au parcours complet, des choix possibles. A chaque étape, je donne des activités obligatoires - et j’oblige à faire un choix d’activité. Voici une progression proposée en français en seconde.

Deuxième piste : privilégier la coopération et la collaboration. La capacité limitée de mise au travail et d’autonomie fait que peu d’élèves peuvent traiter l’ensemble des tâches. On les partage donc. Seul le résultat (les connaissances à mémoriser notamment) est mis en commun. Cela signifie que certain.es élèves ne travailleront pas sur certains documents ou certaines questions : le groupe classe aura, lui, tout traité. En voici un exemple, sous forme de défi entre groupes, en éducation civique (avec, en plus, des élèves assumant le rôle du professeur correcteur).

Donner des choix contraints : une piste pour apprendre l'autonomie.

Troisième piste : mettre en place de façon récurrente la coopération. Le plan de travail individualise et isole les élèves. Cela entraîne une gestion de classe différente, où l’on dirige des individus, et non plus un groupe. Pour se faciliter la tâche, et limiter les troubles dus à l’individualisation (certain.es ne s’y mettront jamais ; on a 25 personnes à mettre au boulot et non plus un ou des groupes, etc.), j’ai choisi de faire souvent travailler en binôme (cela limite aussi les déplacements et les reconfigurations de l’espace, peu appréciés des élèves) : en géographie, j'ai ainsi proposé cela à des terminales. Le binôme doit choisir un sujet et se partager le travail. La note est commune. Là encore, le travail s’insère dans un ensemble long, mais il reste proposé de façon fragmentaire. La compilation des travaux des binômes constituera a posteriori le parcours qu’il y avait à réaliser.

Fragmenter, doser et limiter l'individualisation et la coopération, combiner choix et obligation, différencier sans exiger de l’élève qu’il se positionne sur sa maîtrise d’une compétence : l’usage du plan de travail en lycée professionnel demande, je crois, des ajustements pour l’adapter à la capacité de mobilisation et aux phénomènes de groupe propres à ce public d’élèves.

Adrien ARROUS, 2020.

(1) Freinet, Pour l’école du peuple, Maspéro 1974, p46.(2) ibid. p48. (3) La pédagogie institutionnelle a fondé la spécificité de son expérience et sa différence avec la méthode Freinet sur cette distinction : Freinet travaillait en école rurale, la PI en zone urbaine, avec un public spécifique (prolétaire, pauvre, issu de l'exode rural ou de l'immigration). Ecole de la ville et école de la campagne sont des expressions renvoyant à cette différence. (4) Fernand Oury et Aïda Vasquez, Vers une pédagogie institutionnelle?, ed. Matrice, 1998, p207 et 208.