Renverser la classe au lycée

Cet article propose des retours d'expériences sur les pratiques de classes renversées au lycée. Comme les classes inversées, pas de cadre unique mais un même principe : rendre les élèves "constructeurs" du cours, voire de l'évaluation (voir article dédié à l'évaluation renversée).

Mickael BERTRAND enseigne au lycée Anna Judic de Semur-en-Auxois dans l'Académie de Dijon.

Cette séquence de cours s’inscrit dans le cadre de l’enseignement de spécialité Histoire, Géographie, Géopolitique, Sciences Politiques, plus particulièrement pour l’objet de travail conclusif du thème sur “Les frontières” consacré aux frontières internes et externes de l’Union européenne :

La mise en oeuvre est précédée d’un travail de préparation de la part de l’enseignant, non seulement d’un point de vue organisationnel, mais aussi culturel. Il semble en effet nécessaire de rappeler que l’enseignant ne se contente pas de se présenter en classe pour démarrer l’activité sans avoir planifié au préalable cette séquence. Il doit en effet maîtriser parfaitement son sujet afin d’orienter la réflexion vers les thématiques au programme et anticiper les éventuelles difficultés de compréhension de certaines notions inédites dans le cursus scolaire des élèves. Pour ma part, le début de la préparation d’une séquence de “classe renversée” s’organise donc autour des étapes habituelles de la préparation d’un cours :

1. Lecture du programme afin d’identifier les orientations problématiques ; 2. Lecture des ressources d’accompagnement du programme afin d’identifier les

connaissances à acquérir au cours de la séquence ; 3. Elaboration d’un plan de cours et d’une synthèse des connaissances à maîtriser. 4. Consultation des manuels scolaires et autres supports bibliographiques afin d’identifier

d’éventuelles ressources éducatives susceptibles d’être mobilisées dans le cadre de ce cours.

Ce n’est qu’à partir de cette étape que la préparation diffère d’une autre séquence de cours. Plutôt que de lister les compétences à travailler dans le cadre de ce chapitre et de créer différentes situations d’enseignement permettant de favoriser l’acquisition de ces compétences, je prépare un livret d’accompagnement et d’évaluation visant guider les élèves dans cette mission et à assurer le suivi de la classe renversée.

Ce livret contient :

Les consignes générales de l’activité ;

Un planning des prochaines séances avec des consignes détaillées pour chacune des productions intermédiaires attendues ;

Une fiche d’évaluation collaborative de chaque étape de l’exercice ;

Des ressources complémentaires (programme, ressources d’accompagnement, bibliographie, sitographie, manuels scolaires en ligne, etc.) ;

● Le lien vers un padlet sur lequel les élèves doivent déposer leurs production.

Concrètement, il était prévu que ces livrets soient déposés sur une table où les élèves devraient se rendre au moins une fois par séance afin d’effectuer un bilan intermédiaire de l’avancement de leur travaux et ainsi mettre en oeuvre une évaluation négociée. La mise en oeuvre du confinement annoncée à partir du 16 mars 2020 en a finalement décidé autrement...

Après une longue hésitation, je décidais finalement de poursuivre cette expérimentation en situation de cours à distance et en proposant aux élèves d’adapter le planning initial afin de leur permettre d’avancer à leur rythme tout en réalisant au moins deux entretiens par semaine. Les élèves ont ainsi bénéficié de deux semaines pour produire :

1. Un plan détaillé de cours (introduction, problématique, parties, conclusion) ; 2. Une mise en oeuvre du cours organisée autour de ressources et d’activités ; 3. Un support de cours à projeter lors de la séance ; 4. Une trace écrite des principaux éléments éléments à retenir ; 5. Une évaluation permettant de vérifier la maîtrise de connaissances et de compétences ; 6. Une activité de révision afin d’accompagner la préparation de l’évaluation ;

A l’issue de cette phase préparatoire, chaque équipe a réalisé son cours d’une durée de 45 min en classe virtuelle. L’évaluation a été réalisée après quelques jours de révision.

Bilan Précisons tout d’abord que les principaux objectifs de cette séquence ont été atteints. Les élèves ont expérimenté une nouvelle méthode de travail, ils ont acquis des connaissances qui ont été validées lors d’une évaluation et ils ont développé des compétences dans les domaines listés au début de cet article.

Il convient cependant de s’arrêter un peu plus longuement sur les limites qui peuvent faire l’objet de discussions et pour lesquelles des pistes de remédiation devront être trouvées dans la perspective du renouvellement de cette expérimentation.

1. Tout d’abord, et de manière relativement attendue, certains élèves ont été déstabilisés par la démarche, notamment au moment de la construction du cours. Il a parfois fallu rappeler à plusieurs reprises que l’exercice n’était pas un exposé et qu’il fallait construire des activités susceptibles de favoriser les échanges et l’apprentissage des autres élèves. Si la majorité des élèves a accepté de s’inscrire dans cette perspective, une élève s’est plus particulièrement retrouvée en difficulté dans cette activité, interrogeant même la légitimité de l’exercice lors des dernières séances. Plusieurs échanges ont été nécessaires pour parvenir à la convaincre non seulement que l’exercice s’inscrit dans les attendus en termes de formation au lycée, mais aussi que les difficultés rencontrées relevaient en partie de sa lecture limitée des consignes et de son blocage quant au fait d’entrer dans une démarche suivie et constructive. En somme, l’exercice a permis à cette élève de prendre conscience de sa posture relativement “consommatrice” des cours, venant d’abord y chercher des savoirs sans réellement prendre conscience que l’école est aussi un lieu de construction de compétences intellectuelles et sociales.

2. D’un point de vue organisationnel, les élèves ont eu besoin d’un accompagnement important dans la mise en place d’outils favorisant un travail résolument collaboratif. Bien qu’un padlet ait été mis à disposition des élèves, beaucoup ont préféré dans un premier temps échanger des idées fragmentées par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Ce n’est finalement que dans la perspective des entretiens que les élèves ont publié leurs productions sur cet espace collaboratif. Trop souvent, ces réalisations étaient publiées sous la forme d’un document non-modifiable pour lequel les élèves semblaient attendre davantage une “correction” plutôt qu’une réelle “co-construction”. D’ailleurs, cet écueil s’est retrouvé dans l’organisation du travail collaboratif entre les membres d’une équipe. En proposant parfois aux élèves de passer en revue certaines de leurs productions, il devenait évident que chaque partie avait été réalisée par un seul élève sans que les autres membres de l’équipe n’en aient pris connaissance. La logique d’apprentissage par les pairs leur est donc encore très largement étrangère...

3. La question des délais a également été un sujet récurrent, alors même que la mise en place dès la première séance d’un planning et d’un dossier de suivi avait pour objectif d’anticiper ces difficultés. Pour beaucoup d’élèves, le travail est très peu anticipé. Il est réalisé la veille au soir, voire quelques heures avant l’entretien, empêchant ainsi l’enseignant de prendre connaissance des productions en amont afin de préparer des échanges constructif. Cet écueil déjà rencontré dans la mise en oeuvre des Travaux Personnels Encadrés (TPE) constitue à mon sens l’un des principaux défis dans la transposition du dispositif des “classes renversées” de l’enseignement supérieur vers l’enseignement secondaire. En lycée et en collège, les élèves ont à la fois davantage d’heure de cours et une autonomie encore limitée dans la mise en oeuvre de projets sur plusieurs semaines. A de rares exceptions près, ils sont en effet davantage habitués à fournir des productions relativement limitées en termes de temps et d’investissement (exercices, exposés, rédactions, etc.) bien que cela soit en décalage avec le continuum lycée / université prônée par les instructions officielles.

4. Enfin, l’évaluation a été la source de confusions. Alors que nos élèves font l’objet d’évaluations régulières, et peut-être même d’ailleurs justement parce que les élèves font l’objet d’évaluations trop récurrentes, certains ne parviennent plus à en saisir les objectifs et enjeux dans leur parcours de formation. Ainsi, alors que les consignes de l’activité rappellaient explicitement la nécessité de fournir une évaluation des connaissances ET des compétences, une première équipe a proposé un QCM et une deuxième équipe a construit une évaluation sous la forme d’une liste de réponses pour lesquelles il fallait trouver la question. L’une des étapes les plus intéressantes de l’expérimentation de mon point de vue, à savoir l’évaluation inversée de l’enseignant par ses élèves, n’a pu être testée qu’avec une seule équipe, et avec un bilan mitigé... Le cours des élèves était en effet d’une très grande qualité, permettant à la classe d’avoir tous les éléments entre les mains pour réaliser l’évaluation. J’ai donc pour ma part produit une copie très scolaire et respecté les principales attentes méthodologiques, en ajoutant néanmoins deux erreurs factuelles et en proposant une conclusion hors-sujet... sans que les élèves-correcteurs ne s’en aperçoivent !

Conclusion Cette expérimentation d’une “classe renversée” en lycée présente donc des atouts intéressants, notamment car cette situation d’apprentissage permet de travailler avec les élèves des compétences qui, bien qu’elles soient systématiquement mentionnées dans les instructions officielles, sont encore trop peu développées. Néanmoins, cet atout constitue aussi l’un des principaux défis des classes renversées qui ne peuvent pas être limitées à une seule expérimentation isolée. Cette situation d’enseignement mériterait en effet d’être renouvelée au moins une fois par trimestre afin de permettre aux élèves de progresser dans ces compétences et de poursuivre une réflexion sur leur responsabilité dans la construction collective des savoirs au sein d’une classe. Par ailleurs, elle devrait faire l’objet d’une évaluation croisée des élèves et de l’enseignant, peut-être même d’ailleurs avec le soutien d’un chercheur en sciences de l’éducation. Or, ces pistes de réflexion entrent aussi en contradiction avec l’inflation du contenu des programmes qui laissent peu de temps à ce genre d’expérimentation davantage chronophage qu’un cours magistral ou dialogué. Un équilibre doit donc être trouvé avec d’autres situations d’apprentissage au moment de construire la programmation annuelle.

Jordi COLOMER enseigne au lycée dans l'Académie de Poitiers.

Première expérience en Seconde et en Première

Le principe de cette première expérimentation est de faire construire le cours par les élèves en le divisant en sous-parties. Après une phase de contextualisation très précise (étude de cas et carte mentale afin de donner aux élèves une vue générale de la « mise en perspective »), chaque groupe traite une sous-partie à partir d’un ensemble documentaire et complète un document collaboratif. La troisième phase est celle de la mutualisation de l’ensemble du cours. Pour cela, les élèves doivent réaliser un test sur Kahoot ou Learning Apps. En deux heures, les élèves doivent prendre connaissance des différentes parties du cours et faire un maximum de test. Enfin, grâce à un autre document collaboratif, les élèves proposent des questions qui pourront être posées lors de l'évaluation sommative classique.

Deuxième expérience en Première

Les modalités de ces précédentes expériences ne m’ont pas totalement satisfait, notamment dans la mise en commun du cours. Aussi, j’ai mis en place une autre forme de la classe renversée, davantage en lien avec l’expérience de J.Ch.Calliez.

Après la phase de contextualisation (étude de cas et carte mentale), les élèves sont répartis en deux groupes.

Chaque groupe doit rédiger la partie « mise en perspective » du cours avec la méthode des « tableaux tournants ».

Puis les deux groupes se retrouvent pour comparer leurs productions et rédiger un document commun. Une partie de la classe va être assigné à une autre tâche : élaborer un devoir à partir de deux documents sur le sujet du cours ainsi qu’une grille de correction individuelle (critères de réussite du devoir).

Et c’est moi qui vais travailler sur le devoir, en temps limité ! Dans un dernier temps, les élèves corrigent ma copie qui contient un certain nombre d’erreurs qu’ils doivent repérer, dans la méthode et dans le fond de l’analyse (voir l'article sur l'évaluation renversée).

Pour davantage de détails sur cette modalité avec les tableaux tournants, voir la vidéo disponible sur site de l'établissement et le plan de travail ci-contre.

Manon GUERENTE enseigne au lycée Henri Laurens (26) dans l'Académie de Grenoble.

Quels outils utiliser pour mener une séquence renversée?

Tout d’abord, je prends toujours une séance pour présenter le projet aux élèves (présentation) et son déroulement. Petite introduction rapide, présentation du programme officiel, rôle des différents groupes, objectifs, durée de la séquence… C’est un moment important car les élèves posent de nombreuses questions et essayent de s’approprier ce nouveau fonctionnement du cours.

Ensuite, chaque groupe se voit attribuer un livret de suivi.

  • Sur celui-ci, ils retrouvent le plan général de la séquence avec sa problématique, ce qui leur permet de se projeter au-delà de leur propre travail.

  • Surtout, on y trouve une page par séance qu’ils doivent impérativement remplir en précisant le travail réalisé par chacun, noter la bibliographie et les documents utilisés ce jour-là, écrire les conseils de l’enseignant et préparer le travail de la séance suivante. A la fin de la page, on trouve aussi un questionnaire d’autopositionnement sur la qualité du travail du groupe et leur attitude pendant la séance, qui est contresigné par l’enseignant.

  • Enfin, la grille d’évaluation de leur travail se trouve en dernière page. Les critères sont explicités et ils peuvent vérifier que leur travail répond bien aux attentes de l’enseignant.


Il est demandé aux élèves de rédiger une argumentation structurée, dans laquelle sont présents des définitions et des exemples précis. Ils doivent également impérativement insérer un document analysé avec précision dans chaque sous-partie. En géographie, ils doivent aussi réaliser une production cartographique.

Pour avoir une vision globale sur l’avancée du travail de chaque groupe et de la classe, les élèves rédigent sur un traitement de texte collaboratif (google doc) qu’ils peuvent utiliser en classe, à la maison, et qui a l’avantage d’être accessible sur tous supports (et de sauvegarder automatiquement le travail réalisé… ce qui rassure tout le monde !).

Une fois le cours rédigé, il est relu et corrigé par l’enseignant qui l’imprime et le transmet ensuite à toute la classe et nous prenons une séance de questions/réponses pour s’assurer que tout le monde ai bien compris.

Enfin, les élèves se chargent aussi de l’évaluation. Une dernière séance est organisée pour que chaque groupe propose une évaluation, et sa correction, en s’appuyant non seulement sur leur travail mais aussi sur le travail réalisé par le reste de la classe : l’évaluation doit porter sur l’intégralité du cours. Ils disposent d’un canva et doivent sélectionner les documents à analyser et réaliser le questionnement. Toutes leurs propositions sont déposées sur le padlet de la classe, accessibles à tous et l’enseignant choisi ensuite une de leurs propositions comme évaluation pour tous (celle qui correspond le mieux au niveau attendu par la classe).

A noter que si nous allions au bout du raisonnement du cours renversé, comme le pratique Jean-Charles Cailliez, ce serait à l’enseignant de répondre à l’évaluation proposée par les élèves en fonction du cours qu’ils ont réalisé en amont.

Quel niveau de guidage ?

Mes élèves de lycée ont besoin d’être guidé car le programme à traiter peut être vaste, trop vaste à leurs yeux. Selon les niveaux, j’adapte donc, comme tout le monde, le niveau de guidage et d’encadrement de la séquence.

Pour les secondes, je constitue moi-même mes groupes et je leur attribue à chacun une partie à traiter, avec les sous-parties.

Pour les élèves de première spécialité HGGSP, je leur attribue un axe par groupe et ils ne disposent que du programme officiel pour les contenus. Je leur indique aussi un calendrier indicatif, sur le modèle des anciens TPE, à tenir. Ils avaient ainsi 1 séance pour découvrir le sujet, 2 séances pour prélever des informations et identifier les documents les plus pertinents, 1 séance pour construire une problématique et un plan, 5 séances pour analyser les documents et rédiger le contenu du cours, puis 1 séance pour préparer des modules de révision.

Enfin, je leur propose également de choisir un rôle spécifique pour ces différentes séances : The Brain, ….

Conclusion :

Utilisée de manière ponctuelle, la classe renversée permet donc d'impliquer davantage les élèves dans la construction de leurs apprentissages. Néanmoins cette forme particulière de travail demande un temps limité (le chapitre de spécialité était trop long) et un suivi très précis et très pointu de l'enseignant auprès de chaque groupe.