12 Ernest Renan

Joseph Ernest Renan, né le 28 février 1823 à Tréguier (Côtes-d'Armor) et décédé le 2 octobre 1892 à Paris, est un écrivain, philologue, philosophe et historien français.

Extrait : Etude d’Histoire Religieuse

Libraires-Editeurs : Michel Lévy frères; 1863; Chapitre : Mahomet et Les origines de l’islamisme; page 220, 221

La naissance de l'islamisme est, sous ce rapport, un fait unique et véritablement inappréciable. L'islamisme a été la dernière création religieuse de l'humanité et, à beaucoup d'égards, la moins originale. Au lieu de ce mystère sous lequel les autres religions enveloppent leur berceau, celle-ci naît en pleine histoire; ses racines sont à fleur de sol. La vie de son fondateur nous est aussi bien connue que celle des réformateurs du XVIe siècle. Nous pouvons suivre année par année les fluctuations de sa pensée, ses contradictions, ses faiblesses. Ailleurs, les origines religieuses se perdent dans le rêve; le travail de la critique la plus déliée suffit à peine pour discerner le réel sous les apparences trompeuses du mythe et de la légende. L'islamisme, au contraire, apparaissant au milieu d'une réflexion très-avancée, manque absolument de surnaturel. Mahomet, Omar, Ali ne sont ni des voyants, ni des illuminés, ni des thaumaturges. Chacun d'eux sait très-bien ce qu'il fait, nul n'est dupe de lui-même; chacun s'offre à l'analyse à nu et avec toutes les faiblesses de l'humanité.

Libraires-Editeurs : Michel Lévy frères; 1863; Chapitre : Mahomet et Les origines de l’islamisme; page 226,227

[…] Autour de la mosquée attenante à la maison de Mahomet régnait un banc, sur lequel avaient élu domicile des hommes sans famille ni demeure, qui vivaient des générosités du prophète et mangeaient souvent avec lui. Ces hommes, que l'on appelait les gens du banc (ahl el-seffa), étaient censés connaître beaucoup de particularités sur la personne de Mahomet, et leurs souvenirs devinrent l’origine d’innombrables dires ou hadith. La foi musulmane elle-même fut effrayée de la multitude des documents ainsi obtenus : six sources légitimes furent seules reconnues à la tradition, et l’infatigable Bokhari avoue que, sur les deux cent mille hadith qu’il avait recueillis, sept mille deux cent vingt-cinq seulement lui paraissaient d’une authenticité incontestable. La critique européenne pourrait assurément, sans encourir le reproche de témérité, procéder à une élimination plus sévère encore. Toutefois, on ne peut nier que ces premiers récits ne nous présente beaucoup de traits de la physionomie réelle du prophète, […]. Le véritable monument de l’histoire primitive de l’islamisme, le Coran, reste d’ailleurs inattaquable, ce monument suffirait à lui seul, indépendamment des récits des historiens, pour nous révéler Mahomet.

« Je vois dans aucune littérature un procédé de composition qui puisse donner une idée exacte de la rédaction du Coran. Ce n’est ni le livre écrit avec suite, ni le texte vague et indéterminé arrivant peu à peu à une leçon définitive, ni la rédaction des enseignements du maître faite d’après les souvenirs de ses disciples ; c’est le recueil des prédications, et , si j’ose le dire, des ordres du jour de Mahomet, portant encore la date du lieu où ils parurent et la trace de la circonstance qui les provoqua. Chacune de ces pièces était écrite, après la récitation du prophète, sur des peaux, sur des omoplates de mouton, des os de chameau, des pierres polies, des feuilles de palmier, ou conservée de mémoire par les principaux disciples, que l'on appelait porteurs du Coran.»

Libraires-Editeurs : Michel Lévy frères; 1863; Chapitre : Mahomet et Les origines de l’islamisme; page 248,249

En somme, Mahomet nous apparaît comme un homme doux, sensible, fidèle, exempt de haine. Ses affections étaient sincères; son caractère, en général, porté à la bienveillance. Lorsqu'on lui serrait la main en l'abordant, il répondait cordialement à cette étreinte, et jamais il ne retirait la main le premier. Il saluait les petits enfants et montrait une grande tendresse de cœur pour les femmes et les faibles. « Le paradis, disait-il, est au pied des mères. » Ni les pensées d'ambition, ni l'exaltation religieuse n'avaient desséché en lui le germe des sentiments individuels. Rien de moins ressemblant à cet ambitieux machiavélique (Mahomet de la pièce de Voltaire) et sans cœur qui explique en inflexibles alexandrins ses projets à Zopyre :

Je dois régir en dieu l'univers prévenu;

Mon empire est détruit, si l'homme est reconnu.

L'homme, au contraire, est chez lui toujours à découvert. Il avait conservé la sobriété des mœurs arabes; aucune idée de majesté. Son lit était un simple manteau, et son oreiller une peau remplie de feuilles de dattier. On le voyait traire lui-même ses brebis, et il s'asseyait à terre pour raccommoder ses vêtements et ses chaussures. Toute sa conduite dément le caractère entreprenant, audacieux, qu'on est convenu de lui attribuer. […]

Extrait : Discours et Conférences

Editeurs: Calmann Lévy ancienne maison Michel Lévy frères; 1887; L’islamisme et la science conférence fait à la Sorbonne le 29 mars 1883; page 396

[…]. L'islamisme a de belles parties comme religion; je ne suis jamais entré dans une mosquée sans une vive émotion, le dirai-je? sans un certain regret de n'être pas musulman. […]