2 La deuxième méthode

utilisée par l’Islam pour mettre fin à l’esclavage consiste en l’élargissement des voies de l’affranchissement. Alors que l’affranchissement de l’esclave était réduit à une seule voie, qui était le consentement de son maître à le libérer – autrement, il restait à jamais esclave ainsi que sa descendance –, l’Islam est venu prescrire deux voies pour la libération des esclaves : l’affranchissement et le contrat (moukâtaba).

L’affranchissement : l’Islam lui a assigné plusieurs motifs alors qu’il se limitait auparavant au désir du maître d’affranchir son esclave. Parmi ces motifs, on peut citer :

- L’expiation de certains péchés : l’homicide involontaire est racheté par le prix du sang, que l’on verse à la famille de la victime, et par l’affranchissement d’un esclave croyant comme Allah le dit dans ce verset : ( Il n’appartient pas à un croyant de tuer un autre croyant, si ce n’est par erreur. Quiconque tue par erreur un croyant, qu’il affranchisse alors un esclave croyant et remette à sa famille le prix du sang, à moins que celle-ci n’y renonce par charité )[1] ;

- L’affranchissement est aussi l’expiation du dhihâr[2] Comme cela est exprimé dans ce verset du Qur’an : ( Ceux qui comparent leurs épouses au dos de leurs mères (c'est-à-dire qui s'interdisent leurs épouses), puis reviennent sur ce qu’ils ont dit, doivent affranchir un esclave avant d’avoir aucun contact conjugal avec leurs épouses. Voilà ce à quoi on vous exhorte. Et Allah est parfaitement Connaisseur de ce que vous faites )[3].

- Il a également prescrit l’affranchissement comme expiation du parjure. Allah I dit : ( Allah ne vous tient pas rigueur pour les serments que vous prononcez à la légère, mais Il vous punit pour les serments que avez eu l’intention d’exécuter. L’expiation en sera de nourrir dix pauvres, de ce dont vous nourrissez normalement vos familles, ou de les habiller, ou de libérer un esclave. Que celui qui n’en trouve pas les moyens jeûne trois jours. Voilà l’expiation de vos serments lorsque vous avez juré. Et respectez vos serments. )[4]

- Il a aussi fait de l’affranchissement le moyen d’expier l’acte sexuel accompli en pleine journée du mois de ramadan comme cela est rapporté dans ce hadith : « Pendant que nous étions auprès du Prophète, un homme vint le trouver : – Ô Envoyé d’Allah, s’écria cet homme, je suis perdu. – Qu’as-tu ? lui demanda le Prophète. – J’ai eu commerce (charnel) avec ma femme alors que j’étais en état de jeûne, répondit-il. – As-tu quelque esclave que tu puisses affranchir ? demanda l’Envoyé d’Allah. – Non, répondit l’homme. – Es-tu capable de jeûner deux mois de suite ? – Non. – As-tu de quoi donner à manger à soixante pauvres ? – Non. L’homme était resté là, quand, sur ces entrefaites, on apporta au Prophète une corbeille pleine de dattes. – Où est l’homme qui vient de me questionner, reprit le Prophète ? – Me voici, répondit l’homme. Prends cette corbeille, dit le Prophète, et fais aumône de son contenu. – Cette aumône, s’écria l’homme, doit-elle être faite à plus pauvre que moi ? Je jure par Allah qu’il n’y a pas, entre les deux champs de pierres de Médine - c'est-à-dire les deux Harra - une seule famille qui soit plus pauvre que la mienne. Le Prophète se mit à rire au point qu’il découvrit ses canines, puis il ajouta : Eh bien, donne ces dattes à manger à ta famille. »[5]

Il est à noter qu’il incombe à quiconque est redevable d’une de ces expiations, mais ne possède pas d’esclave à affranchir alors qu’il est en mesure d’en acheter, d’acheter un esclave et de l’affranchir.

- L’Islam a fait de l’affranchissement des esclaves l’une des meilleures œuvres qui rapprochent le musulman de son Seigneur. Allah dit : ( Or, il ne s’engage pas dans la voie difficile ! Et qui te dira ce qu’est la voie difficile ? C’est délier un joug [affranchir un esclave], ou nourrir, en un jour de famine, un orphelin proche parent ou un pauvre dans le dénuement )[6].

En outre, le Prophète, par ses actes et ses paroles, encourageait et incitait à affranchir les esclaves. Il dit en effet : « Quiconque affranchit un esclave, Allah épargne de l’Enfer chaque membre équivalent de son corps jusqu’à l’organe génital »[7].

- L’affranchissement posthume (tadbîr) : C’est la recommandation, explicite ou implicite, que fait le maître, d’affranchir son esclave après sa mort ; ainsi, la liberté de l’esclave est garantie après la mort du maître. Pour préserver le droit de l’esclave dans ce cas, l’Islam a interdit de le vendre ou de l’offrir à quelqu’un d’autre. Tel est le cas de l’esclave homme. Quant à l’esclave femme jouissant aussi de cet affranchissement posthume (tadbîr), les enfants qu’elle met au monde prennent le même statut et deviennent ainsi libres dès la mort de leur maître.[8] En conséquence, on ne doit ni les vendre ni les offrir à quelqu’un d’autre.

- L’Islam a fait de l’affranchissement des esclaves une ligne bénéficiaire des fonds de la zakât, comme Allah le dit dans ce verset : ( La zakât n'est destinée qu’aux pauvres, aux indigents, aux percepteurs, à ceux dont on espère la conversion (à l’Islam), à l’affranchissement des esclaves, à ceux qui sont lourdement endettés, [aux combattants] dans le sentier d’Allah, et au voyageur dans le besoin. C’est un décret d’Allah. Et Allah est Omniscient et Sage. )[9]

- En Islam, frapper ou gifler son esclave – sans raison valable – est un des motifs de son affranchissement, car le Prophète a dit : « Quiconque frappe ou gifle son esclave doit expier cela par son affranchissement »[10].

Le contrat d’affranchissement (Moukâtaba) : Cela consiste pour l’esclave à solliciter de son maître son affranchissement contre paiement d’une somme fixée. Le maître est tenu d’accorder à l’esclave ce contrat dès lors qu’il en fait la demande. Après le consentement, l’esclave a désormais le droit de faire des opérations commerciales, d’accéder à la propriété et de travailler afin de réunir la somme nécessaire à sa libération. Son travail chez son maître doit aussi être rémunéré. L’Islam est allé plus loin que cela en recommandant vivement que la charité lui soit accordée, tant du côté du maître en personne, qui pourrait renoncer à une partie de la somme due ou accorder quelques facilités de paiement, que du côté des musulmans qui sont appelés à se rapprocher d’Allah en aidant leurs frères qui veulent accéder à leur liberté et se délier du joug de l’esclavage. Allah dit : ( Ceux de vos esclaves qui cherchent un contrat d’affranchissement, concluez ce contrat avec eux si vous reconnaissez du bien en eux ; et donnez-leur des biens d’Allah qu’Il vous a accordés. )[11]

Nous pouvons dire, pour résumer, que l’Islam n’a pas institué l’esclavage, mais a plutôt apporté des mécanismes qui ont grandement et efficacement contribué à réduire ses sources[12].

Muharram 1430 (janvier 2009)

Relu et adapté pour islamhouse par :

Gilles KERVENN

[1] Sourate 4, verset 92.

[2] Les Arabes préislamiques utilisaient la formule : « Tu es comme le dos de ma mère » pour répudier leurs épouses, d’où l’expression « dhihâr » en arabe qui a la même racine que « dhahr » (dos) (note du traducteur).

[3] Sourate 58, verset 3.

[4] Sourate 5, verset 89.

[5] Al-Bukhârî (2/684), hadith n°1834.

[6] Sourate 90, versets 11 – 16.

[7] Muslim (2/1147), hadith n°1509.

[8] On se place ici dans le cas où cette esclave a des enfants de son union maritale avec un autre esclave et non avec son maître, comme on peut le déduire de ce qui a été dit précédemment, étant donné que si ces enfants étaient issus de son union avec son maître, ils auraient pris le statut de leur père dès leur naissance et auraient donc été automatiquement libres (note du correcteur).

[9] Sourate 9, verset 60.

[10] Muslim (3/1278), hadith n°1657.

[11] Sourate 24, verset 33.

[12] Les Droits de l’Homme en Islam du Dr. Abdullah Turkî.