Mémoire d’un passé révolu
Jack se faisait une si grande joie de la revoir après tant
d’années. Quels seraient leurs premiers mots ? Quels
seraient leurs premiers regards ? Le temps écoulé depuis
avait contribué à asseoir sa personne sur des bases plus
sereines reflétant davantage ses choix, ses désirs, ses
valeurs. Juché sur cet édifice temporel intérieur qui le
rendait plus conforme à son identité vraie, il se réjouissait
à l’idée de leurs retrouvailles.
En apprenant qu’elle n’habitait plus là, qu’elle ne serait
plus jamais là, en perdant tout espoir de la revoir, ce qu’il
avait été hier mais aussi ce qu’il était aujourd’hui se
dérobait sous ses pieds, mettant à mal tout ce qui lui
donnait un fondement, une histoire, ce qui le faisait
exister. Ce monde, avec lequel il voulait si fort renouer,
chavirait, subitement, et sous le choc de cette nouvelle sa
personne vacillait comme sur des jambes de passé qui ne
l’auraient tout à coup plus portée, avant de s’effondrer sur
les ruines de ses souvenirs. Son sentiment de désarroi ne
put que grandir encore tandis qu’il errait ensuite, un peu
hagard, au fil des rues, dans l’espoir vain de retrouver un
passé qui à partir de maintenant n’existerait plus que de
façon incertaine, et dans sa seule mémoire. Le monde avait
changé à son insu, l’oeuvre de la vie s’était bien entendu
poursuivie sans lui. Au coeur de cette réalité nouvelle, qu’il
découvrait douloureusement, il se sentait devenir une
ombre, l’ombre d’un passé révolu. Le froid ambiant qui
régnait dans les rues, à cette heure presque désertes,
accentuait encore le malaise d’une mémoire le guidant
cahin-caha dans un univers parallèle dans lequel il avait
jadis évolué. Une part de lui-même se figeait, peu à peu
morte pour lui, désormais insensible au rayonnement
d’une présence qui hélas lui deviendrait au fil du temps
toujours plus étrangère.
Il se réfugia quelques instants dans l’évocation d’astres
se croisant dans le cosmos. Il y avait autour de son astre à
lui d’autres astres qui lui étaient chers et dont il partageait
le voisinage durant un certain temps, puis il en croisait
d’autres, illuminant à leur tour de leur éclat son espace
interplanétaire. Mais ce n’était qu’un éclat, si lumineux fût-il,
une apparition dont seul le souvenir demeurerait après
qu’elle eût totalement disparue. Son existence était ainsi
traversée de lumière, sans qu’il ne puisse plus quelquefois
départager l’ombre de la lumière, parce que l’éclat de celle-ci
demeurait illusoirement devant le regard dans une
forme d’aveuglement. La remémoration du passé faisait
ressurgir ces figures fugitives, leur rendait un visage, une
voix. De l’obscur renaissait alors ces êtres de lumière qu’il
pouvait contempler à l’envi, dans un temps immobilisé.