L’acceptation
.
Sur le rythme régulier de sa respiration ses tensions se
défaisaient mécaniquement. Le corps de Jack se figeait
dans l’instant, à l’écoute passive des seules sensations,
toutes les sensations. Elles l’atteignaient sans demeurer en
lui. Il les percevait sans les retenir, sans attente, sans esprit
de gain ni de profit. Ce flux l’imbibait puis s’écoulait,
changeant, impermanent.
Jack naviguait sur une ligne de crête entre éveil et
sommeil, se maintenait avec effort dans le premier état,
sombrait dans l’autre par intermittence. Il visionnait ses
pensées sans vouloir s’y attacher. S’il lui arrivait de prévoir,
il savait que ses prévisions ne dureraient pas mais
résultaient seulement d’une activité continue de son
cerveau. Jack en observait le cours qui se modifiait, se
perdait, s’inscrivait dans une discontinuité permanente.
Telles de hautes vagues les tourments de ses pensées
menaçaient un temps son équilibre, faisaient vaciller les
supports de sa personne, érodaient irrémédiablement les
contours de son âme. Puis ce ressac douloureux paraissait
connaître épisodiquement des instants de répit, au cours
desquels le navire de son esprit s’égarait, comme entraîné
malgré lui vers le large, découvrant à ses yeux d’autres
horizons, ceux que sa mémoire lui rappelait, ceux que la
lassitude faisait naître en lui et substituait au trouble qui
l’assaillait, dans une tentative inconsciente d’apaisement.
Jack voulait s’abandonner à la vacuité mentale
qu’interrompait à peine la voix du guide, hypnotique, sans
réelle prégnance, maintenant l’écoulement d’un flux
mental, empêchant les pratiquants de sombrer dans le
sommeil. Spectateur de lui-même dans une acceptation
passive, obligée, confiante par nécessité, Jack se regardait
seulement, comme s’il se fût agi d’un autre qu’il n’aurait
pas connu et pour lequel il n’aurait éprouvé qu’une
empathie lointaine noyée dans une distante indifférence…
Nibbāna est vide… Libéré de la possession Jack parcourait
la voie où nul ne chemine, éprouvait, l’espace d’un instant
au cours duquel le temps semblait suspendu, la fraîcheur
du cœur et de l’esprit.