Rock & Folk

September 1998

Bambi
Prince

Il á régné en maître de ses propres cérémonies funk durant les années 80, puis s'est pris le succès dans le tapis violetqu'on n'arrêtait plus de dérouler sous ses pas. Quelques jours avant son concert du 21 août au Zénith, il parle (deux foix) à Alain Orlandini qui prend note. Magnétisme sans magnéto,



Alain Orlandini

Comment le musicien le plus génial des années 80, suicide un soir de septembre 1993, miraculeusemenrte ssuscitéso us le sceau d’une étrange androgynie quelques heures plus tard, pourrait-il accepter ce qui, à ses yeux, relève de la pire des tortures.:r encontrerl a presse? Sur lesl èvres des journalistes présents au studio Hit Factory de New York, une seule et même question donc : viendra-t-il ? Certains, en ville, y croyaient pourtant. Prince, ce puits d’insolence qui, il y a peu, n’hésitait pas à congédier tel fan transi d’amour venu imprudemment solliciter un autographe, avait semble-t-il tué la teigne qui grondait en lui et troqué les habits du reclus cyclothymique qu’il avait longtemps été, pour ceux d’un créateur affable rompu aux règles de la civilité. Dans le doute, on fera donc le voyage à New York. Sans grande illusion cependant, bien que BMG eût confirmé quelques jours plus tôt (avec l’ardeur que l’on imagine) que Prince s’apprêtait à recevoir quelques journalists à l’occasion de la sortie de son nouvel album, “New Power Soul”. Puis soudain tout ira très vite. D’une grande limousine noire il surgit. Pour aussitôt disparaître dans un petit ascenseur situé à gauche de l’entrée. Une fois à l’étage, il rejoint l’un des salons jouxtant le studio principal. Et il parle.

Longuement. La main, incroyablement délicate, ne quitte jamais le pommeau de cette canne translucide avec laquelle il aime se montrer. Et on écoute. Religieusement. Sans cesser de prier également. Pour que cet entretien ne prenne jamais fin. Et quand celui-éi s’achève, on tente l’impossible : obtenir de l’idole qu’elle nous reçoive à nouveau. Ce qui sera fait quelques heures plus tard, une fois le studio déserté. Le doute n’est donc plus de mise : si Prince . n’est plus ce petit monstre de créativité qui naguère jetait frivolement son hameçon chercheur en direction des cieux, il est devenu profondément humain. Etc’ est cette incroyable transmutation qui rend possible aujourd’hui ce qui était inconceivable hier : le faire parler.


Précurseur

Avant de débuter notre entretien, sachez combine grande est notre joie de pouvoir être face à vous aujourd’hui. Nous vous observons depuis quelques seconds à peine et voilà que surgissent un nombre impressionnandt et rèsb eaux souvenirs. En guise d’exemple, on pourrait citer ce fabuleux concert au New Morning en 1987 durant la tournée Sign Of The Times... Votre prestationc e soir-là fut stupéfiante.

Je me souviens très bien de ce concert. Mon groupe et moi avions pris beaucoup de plaisir à jouer.

Vous aviez ouvert le show avec “Red House” et vous l’aviez achevé avec “Sex Machine...

Paradoxalement, je ne me souviens que très rarement des titres que j’interprète en club. En revanche, j’associe à chaque prestation publique certaines images qui, elles,r estengt ravéesa u plusp rofond dem a mémoire. Par exemple, concernant le concert que j’ai donné au New Morning en 1986 pendant la tournée Parade, j’ai en tête une image bien précise, qui est celle de mon père en train de jouer du piano. Ce fut bouleversant pour moi de pouvoir me produire à Paris avec lui.

Vous êtes un musicien véritablement moderne, en quête perpétuelle de sons nouveaux et de structures nouvelles. Or vous venez de publier “Crystal Ball”, une compilation de titres inédits enregistrés pour la plupart il y a quelques années déjà. Pourquoi avoir agi de la sorte? Etait-ce une manière de remercier vos fans ?

Bien évidemment. Mais laissez-moi vous poser une question, qui est la seule qui mérite d’être posée d’ailleurs : ces titres vous semblent-ils datés ?

Non, la plupart d’entre eux pourraient même avoir été conçus aujourd’hui. “Crystal Ball” pour n’en ciler qu’un, sonne très trip-hop ...

Eh bien, c’est cela qui m’importe. J’ai souvent dit par le passé que je ne lisais jamais les articles de presse qui concernent ma musique. Mais ce n’est pas tout à fait vrai. En réalité, j’aime lire certaines critiques et plus particulièrement celles qui sont écrites bien après la publication de l’album qu’elles sont censées commenter. Ainsi, cela me permet de comprendre comment ma musique évolue avec le temps et comment évolue la perception que l’on peut en avoir. Très souvent, les journalistes finissent par reconnaître que mes compositions avaient et continuent d’avoir quelque chose de precurseur.


Bootlegs

Quand allez-vous vous décider à publier tous ces chefs-d’oeuvre qui dorment dans les coffres de Paisley Park ? On pense à un titre comme ‘‘Witness” notamment et à tous ces enregistrements publics qui font la fortune des bootleggers...

A ce sujet, permettez-moi de vous dire une chose que je n’ai encore jamais dite : je m’apprête à publier, et ce dès la rentrée prochaine, deux albums conçus en 1986 avec mon ancien groupe The Revolution. Cela, je le fais car je sais ce que signifie être fan. Je le suis d’ailleurs moi-même. J’achète fous les disques de Sly Stone, et fous ceux de James Brown et Jimi Hendrix également.

“Crystal Ball” contient un nombre non négligeable de titres conçus entre 1993 et 1995. Cette période a été l’une de vos plus productives. Mais ce nouvel état de grâce n’a, semble-t-il, jamais été reconnu par la critique et le public ...

Je n’arrête jamais de créer. Et je produis énormément de choses — j’en jette beaucoup également. Je ne prends donc jamais de vacances. Ce qui signifie que je n’ai pas le temps de m’interroger sur le fait de savoir si telle ou telle période de ma vie est plus créative qu’une autre. Mais il est vrai qu’il m’arrive parfois de prendre conscience que je suis en train de réaliser quelque chose d’historique. Pour prendre un exemple, la version de “The Ride” jouée au Bagley’ s Warehouse de Londres en 1993 était grandiose. Je m’en rendais tout à fait compte en la jouant.

Vous vous êtes récemment séparé de Tommy Barbarella, Sonny T et Michael Bland. Or nombreux sont ceux qui pensent. que ce groupe était le meilleur que vous ayez eu. Qu’est-ce qui a motivé cette separation ?

J’avais trop travaillé avec ces gens. Près d e cinq annêes à vivre tous les jours ensemble c’est très long...

Mais c’est avec ce groupe que vous avez conçu certains de vos plus beaux titres : “Days Of Wild”, “Interactive” ou “Shhh”, le “Purple Rain” des années 90...

Mais justement, que faire après “Days Of Wild” ? J’avais tout dit avec ce groupe. Il fallait m’en séparer.

Quand on apprend que vous et votre nouveau groupe jammez régulièrement avec Larry Graham, on ne peut s’e mpêcher d’avoir une pensée émue pour vos anciens musiciens. Les interpretations que Michael Bland, Sonny T, Tommy Barbarella et vous-même aviez données de “The Jam” étaient absolument merveilleuses. C’est Sonny T qui doit être malheureux ...

Je suis convaincu que Sonny T pense que l’histoire est injuste .. Mais s’il souffre de me voir jouer avec Larry. Graham, c’est qu’il ne m’aime pas. Il faut savoir être capable de vouloir le bonheur d’autrui, sans pour autant exiger de partager ce bonheur. C’est cela être généreux. Mais j’ai une petite anecdote à vous confier. Michael Bland a dit un jour à Larry qu’il voulait jouer avec lui avant de mourir. Eh bien c’est aujourd’hui chose faite puisque nous avons samplé la batterie de “Billy Jack Bitch” sur un des titres du nouvel album.

Quel type de rapports entretenezvous avec vos anciens musiciens ? Vous revoyez-vous parfois ?

Sonny et Michael ont été étonnés que je me sépare d’eux. Ils pensaient ;ans doute que j’allais les garder toute mon existence. Mais ma vie change tous les jours. Et je me dois d’avancer.


Evidences

Il semble qu’une fois dissous un groupe,vous oubliiez très vite vos anciens musiciens. Ceci n’est pas une aitique mais une simple constatation. Chaque période de votre existence donne naissance à un univers bien particulier que vous prenez un malin plaisir à retranscrire en termes musicaux. Mais une fois cette période révolue, vous faites comme abstraction de tout ce qui lui était associé. Cette manière de fonctionner serait-elle une condition sine qua non de votre hyper créativité ?

Exactement. Prenons un exemple : si j’ai aujourd’hui pour bassiste Rondha Smith, c’est parce qu’elle est végétarienne. Cela peut vous sembler absurde mais il en est vraiment ainsi. Je suis moi-même végétarien aujourd’hui et cela fait que je me sens très proche d’elle. Autre point : si je me suis séparé de Michael Bland, c’est parce que j’ai eu envie de fonder un groupe au sein duquel la batterie serait moins présente. Je ne sais pas pourquoi je désire cela mais c’est la réalité

Vous dites que vous oubliez très vite les musiciens avec lesquels vous avez travaillé mais ce n’est pas tout à fait vrai. A !’Emporium, pendant la fournée de 1995, vous avez fait monter votre ancient saxophoniste Eric Leeds sur “Big Fun"...

Quoi de plus normal ? Eric a joué sur la version studio de ce titre ...

Oui, mais il est monté sur “Dark” également...

Vous êtes très bien informé. Je vais finir par croire que vous êtes payé par la CIA pour m’espionner.

Rassurez-vous, ce ne sont là que propos de simple fan...

Je vous crois sur parole.

Plus vous avancez en âge, plus vous exposez au grand jour vos influences R&B. Le fait que vous iouiez auiourd’hui avec Larry Graham constitue une preuve évidente. Il y a encore quelques années, il était très difficile de citer vos sources. Vous n’aviez en effet pas votre pareil pour déconstruire et reformuler les idioms de vos maîtres...

Dois-je prendre cela comme un compliment ou comme une critique ?

Paradoxalement, le franc hommage aux maîtres auquel vous vous adonnez aujourd’hui est un signe d‘ouverture. Vous sonnez indéniablement plus commercial aujourd’hui. Mais curieusement, il y a ces fameux after-shows qui viennent constituer un deuxième monde, oarallèle à votre carrière officielle, et qui vous permettent de continuer à véhiculer une image avantgardiste de votre personne...

Ce que vous dites reste à prouver.

Mais tout de même, n’avez-vous pas l’impression que ce retour aux sources se fait au dépend de votre créativité ? Ou plutôt de votre originalité, car vous restez toujours aussi créatif...

Tout ce que je puis vous dire, c’est que je fais de très beaux rêves la nuit. Je vois des anges qui dansent dans les cieux et se meuvent de façon incroyablement géométrique. Et c’est cela que je tente de transcriree n musiqueJ. es uise n permanence à la recherche de la parfaite harmonie. Concernant l’opposition entre ce que vous appelez ma carrière officielle et les concerts en club, je vous répondrais en vous disant que les concerts de la dernière tournée américaine n’étaient rien d’autre que des jams. Des jams incroyablement funky d’ailleurs, et données devant près de 20 000 personnes.Et ce n’est peut-être pas un hasard si je travaille actuellement à un album uniquement constitué de titres joués en club. Mais pour la prochaine tournée européenne, nous allons établir un plus grand équilibre entre les titres. Il y aura des chansons de Sly (Stone — NdA), mais également des chansons du nouvel album, ainsi qu’une nouvelle version de “Love That Will Be Done”.


Le Diable

Pourquoi ne pas envisager une carrière techno ? Un ami journaliste affirmait l’autre jour que pour entrer définitivement dans l'histoire, il vous faudrait faire de la techno. Imaginez votre voix, superbe comme chacun sait, et un simple beat pour l’accompagner. On aurait là quelque chose de très beau et de très paradoxal aussi : d’un côté votre voix, pleine d’affect, et de l’autre une boîte à rythmes, symbole de la technologie triomphante...

Vous êtes en train de me décrire “Sign Of The Times”. Soyons sérieux, où serait mon talent si je suivais le mouvement techno ? D’ailleurs la techno c’est quelque chose que je connais très bien. Je l’ai pratiquée au début de ma carrière. Réécoutez “Controversy’’ ou “Dirty Mind” ...

Deux questions pour terminer. Qu’est-il exactement arrivé avec le Black Album? Pourquoi l’avoir publié en 1996 et non en 1987, date de sa conception?

Je ne suis pas l’auteur du Black Album. Le Black Album, c ‘est le Diable qui l’a créé...

On ne savait pas le Diable aussi talentueux...

Le Diable peut être talentueux, mais il peut vous pousser au crime également...

Lors de votre dernier concert en France, au Bataclan, vous arboriez un petit gribouillis sur votre joue droite. Quel en était le sens?

J’avais écris sur ma joue le message suivant : Me’Shell’s Idol

Et qu’est-ce que cela voulait-il signifier? Que vous êtes fan de sa musique?

Cela me semble suffisamment explicite.

Merci de nous avoir reçu.

Merci à vous.