Alfred BOLLE

Dans un numéro spécial édité en 1993 à l'occasion du 125ème anniversaire des Sociétés Royales des "Décorés" et des "Amis du Progrès" de Couillet, Roger ROSART, président du comité organisateur, a consacré plusieurs pages à Alfred BOLLE, grande figure couilletoise. 

La maman d'Alfred BOLLE était la tante de notre grand-mère Paula MALACORT. Nous avons croisé Alfred BOLLE à plusieurs reprises quand il rendait visite à notre grand-père à la rue de Gilly, le plus souvent pour y discuter d'horticulture. La dernière fois où nous l'avons rencontré, c'était fin juin 1982 à l'enterrement de notre grand-père.

CLOCHES RECUPEREES

Maritzy est absent de Charleroi le jour où son fils, pilote dans la Luftwaffe, passe lui faire ses adieux. Son escadrille de vieux zincs part pour la Normandie et l'aviateur éprouve la certitude de ne pas en revenir. Effectivement, il sera abattu et ne reverra plus jamais son père. D'ailleurs, les événements se précipitent. En vue du débarquement, Londres demande de ralentir les activités de l'aérodrome de Florennes par un retard dans ses approvisionnements. Or, c'est en gare de Berzée que sont stockées les réserves de wagons-citernes. Alfred BOLLE demande aux chemins de fer une accélération des envois et, une fois la gare bourrée, des résistants du maquis de Senzeilles conduits, la nuit, par des piocheurs de la SNCB détruisent seize aiguillages.

Mais aussi que de peurs ! Quand, par exemple, Alfred BOLLE reçoit consécutivement, dans son courrier, des enveloppes de la Eisenbahn Betriebsdirektion, numétotées avec la mention "Très secret". Ne serait-ce pas un piège ? Sans l'ouvrir, il envoie la première lettre à son destinataire réel. Quant aux autres, toujours numérotées, il en prend connaissance puis les réexpédie à qui de droit.

Être agent secret suppose évidemment des liaisons, des rendez-vous. Les premières -internes- étaient assurées par le téléphone des chemins de fer. Les autres -externes- par courrier (notamment jusqu'à la rue Belliard à Bruxelles où fonctionnait le service médical de la SNCB) puis, dès février 1943, par un émetteur à ondes courtes -par ailleurs transportable dans un compteur électrique- au départ de la gare désaffectée de St Josse, à la chaussée de Louvain. Du même endroit, par les lignes téléphoniques privées de la SNCB, il était aussi possible de manipuler à distance un émetteur installé dans le château d'eau de la gare de Namur. Pour les rendez-vous au sein de la SNCB à Charleroi, il suffisait de dire à un complice "On se voit à la cantine!". Quant aux rendez-vous extérieurs, il fallait bien, pour s'en souvenir, les noter quelque part, soit dans un agenda où les rendez- vous d'affaires étaient notés... avec d'autres rendez-vous bidons. Mais les personnes mentionnées s'étaient engagées à faussement affirmer qu'elles avaient bien rencontré "Monsieur Boite" ce jour-là. Il fallait aussi prévoir une fuite précipitée : trois valises étaient réparties en des lieux sûrs.

En juin 1943, Alfred BOLLE a aussi contribué à l'enlèvement, en gare de Couillet-Montignies, de dix-huit cloches d'églises chargées sur des wagons et condamnées à la refonte en l'Allemagne. Cette entreprise d'envergure nécessita l'intervention de plusieurs cheminots, mais le service Mill réussit à remplacer les cloches sur les wagons bâchés par d'anciens réservoirs à gaz et des ferrailles. La disparition ne put donc être constatée qu'en Allemagne.

Alfred BOLLE a été reconnu Adjudant SRA (service de renseignements et d'action) dès le 1er juillet 1942 et il a reçu du maréchal Montgomery une lettre autographe de remerciements pour services rendus à la cause alliée. Et ce n'est pas tout. Parmi les visiteurs de l'exposition universelle de Bruxelles de 1958 figuraient les anciens Oberinspektors Brugman et Maritzy. De passage à Charleroi, ils ont rencontré Alfred BOLLE, évoqué leurs souvenirs de guerre, mais aucun n'a parlé de leur possible connivence avec Alfred BOLLE. Ce secret, "le Crolé" n'a pas réussi à le percer.

AUTRES ACTIVITES CIVIQUES :

Alfred BOLLE a été administrateur :

Par ailleurs, Alfred BOLLE a été :

 DISTINCTIONS HONORIFIQUES :

CONCLUSIONS

La mémoire couilletoise conserve le souvenir de plusieurs de ses enfants particulièrement méritants. Par leurs actions désintéressées voire leur mécénat, ils ont très largement contribué à l'animation de la vie civique, sociale, culturelle de l'ancienne commune de Couillet. On y entend dire qu' à l'autre siècle, Basile Parent (dont une place porte le nom) marqua Couillet de sa générosité, mais il est ajouté très souvent qu'en ce XXe siècle, Monsieur Alfred BOLLE fut l'un de ses meilleurs citoyens, non seulement en raison de son courageux exemple pendant les deux guerres, à l'heure des périls, mais également, en temps de paix, par ses activités multiples et dévouées dans diverses sociétés de Couillet, (notamment celles qui fêtent leur 125e anniversaire en cette année 1993), par ses recherches historiques sur la localité (voir livret publié en 1968) et par sa disponibilité envers les Couilletois de tous les milieux sociaux, y compris les plus humbles. Que de visites n'a-t-il pas reçues de celles et ceux qui, parfois, ne sollicitaient son aide que pour la rédaction d'une lettre ! Mais que de temps ainsi consacré à cette collectivité qu'il aimait très profondément au point de lui consacrer le meilleur de lui-même !

R.R.

Alfred BOLLE évoquait difficilement ses activités patriotiques pendant les deux guerres. Par modestie certes. Également, nous a-t-il semblé, parce que pendant les quarante années de guerre froide, sous la menace d'une nouvelle invasion, il estimait devoir taire les noms de personnes sans doute encore disposées à rendre, s'il le fallait, des services aux pays.

Beaucoup évidemment sont aujourd'hui décédées. Mais il m'honorait de sa confiance et lors de conversations en tête-à-tête, surtout dans les années 70, il voulut bien me confier, en sa maison de la rue du Moulin, certains souvenirs d'autrefois. Longtemps, j'ai caressé l'espoir d'en savoir davantage mais son état de santé s'est longtemps dégradé avant son décès en 1988.

Heureusement, dans un volumineux et très intéressant ouvrage paru en 1985 ("Fonds Ortelius" aux éditions MW, avenue de l'Exposition 232 à 1090 Bruxelles) "Des bâtons dans les roues", Claude Lokker retrace les activités souvent héroïques des cheminots belges pendant la seconde guerre mondiale. Et nous y avons trouvé confirmation des récits d'Alfred BOLLE dont le nom est d'ailleurs cité à maintes reprises dans ce livre.

Il convient aussi d'observer qu’aujourd'hui encore les dossiers des services secrets du temps de guerre restent inaccessibles aux chercheurs. Toutefois, les décorations décernées à Monsieur BOLLE, dont la Croix de Guerre et la Médaille de la Résistance, davantage encore, s’il en était besoin, les remerciements autographes du Maréchal Montgomery, prouvent combien furent appréciés les services rendus par notre concitoyen à la cause alliée.

A gauche, Alfred BOLLE, en octobre 1955

à l'enterrement de notre-grand-mère

Paula MALACORT

A part les plus jeunes, il est peu de Couilletois à n'avoir pas côtoyé Alfred BOLLE. Mais le connaissait-on tout à fait bien ? Alors que ce dimanche 12 septembre 1993 est inaugurée une plaque commémorative portant son nom, il nous a semblé utile d'en apprendre davantage sur l'un des meilleurs de nos concitoyens.

ETAT-CIVIL :

BOLLE Alfred, André, né à Couillet le 6 juin 1894, fils de BOLLE Émile et de Malacort Celina et frère de BOLLE Louis, marié à Bouffioulx, le 28 mai 1921 à Mathyssen Julia Eugénie, Marie (née à Bouffioulx le 14 décembre 1891, décédée à Couillet le 19 mars 1981, fille de Mathyssen Louis et de Englebert Alina), père de BOLLE Léonce, Louise, Emilie, Ghislaine, célibataire, née à Bouffioulx le 1er mars 1922, actuellement pensionnaire du Home CPAS de la rue de Gilly 2b7 à Couillet. Là-même où Monsieur Alfred BOLLE s'est éteint le 18 octobre 1988.

ETUDES :

CARRIERE PROFESSIONNELLE:

Engagé le 28 décembre 1911 aux Chemins de Fer de l'État. Exerce les fonctions de "commis direct" à Moustier, Marcinelle-Hauchies, Charleroi-Sud. Du 1er décembre 1914 au 15 novembre 1918, est traducteur (français-allemand), comptable et centralisateur des services de guerre à l'Association Charbonnière de Charleroi et de la Basse-Sambre. Retour aux Chemins de fer le 16 novembre 1918. Y est nommé sous-chef de bureau le 31 décembre 1921. Du 25 mars au 31 mai 1923 est détaché à Dusseldorf (Allemagne) dans le cadre de l'occupation militaire de la Ruhr. Quitte l'Allemagne le 30 décembre 1924.

Du 1er janvier 1925 au 31 décembre 1927, est détaché à Paris près la Commission des réparations de guerre. Y est occupé, encore partiellement, jusqu'au 1er juillol 1930. Le 1er juillet 1928, est affecté à l'agence commerciale de la SNCB A Charleroi. Nommé, le 1er octobre 1947, inspecteur principal adjoint à la SNCB. Est admis à la retraite par limite d'âge, le 30 juin 1959.

ACTIVITES PATRIOTIQUES 1914-18 :

Témoin, à 20 ans, de l'arrivée des troupes ennemies et des meurtriers combats franco-allemands à Couillet, Alfred BOLLE s'engage dans un service de renseignements, celui que dirigeait depuis Maastricht, dans les Pays-Bas alors neutres, le député socialiste Victor ERNEST. Coupé à deux reprises de ses liaisons à la suite de rafles de la police allemande, Alfred BOLLE se retrouve dans un autre réseau baptisé "Sacré-Coeur". Qu'importe pour lui l'étiquette, pourvu qu'il ait l'ivresse de servir son pays. Agent du réseau de la "Dame Blanche" où allait s'illustrer Walter DEWE, ingénieur en chef de la Régie des Télégraphes et Téléphones, abattu en 1944 par l'ennemi à Bruxelles, Alfred BOLLE est finalement arrêté pour espionnage et incarcéré à la prison de Charleroi. Son exécution y est prévue pour le 13 novembre 1918. C'est dire si l'Armistice du 11 novembre -et donc sa libération- fut particulièrement bienvenu.

ACTIVITES PATRIOTIQUES 1940-45 :

Le 14 mai 1940, sur ordre, avec les archives (occupation de la Rhénanie) qui lui sont confiées, Alfred BOLLE part en exode en France. Retour à Charleroi le 6 août 1940, après avoir dissimulé les archives en Vendée.

Aussitôt le voici convoqué à l'administration centrale des chemins de fer, boulevard du Régent à Bruxelles pour s'entendre annoncer qu'il est chargé, à Charleroi, des relations avec l'autorité allemande. "Vous connaissez mon...passé ?", demande-t-il à M. Rulot qui lui répond par l'affirmative. - Donc, interroge Alfred BOLLE, la guerre continue ? -  Oui, lui rétorque le directeur général de la SNCB.

Alfred BOLLE reprend du service, cette fois dans le groupe Mill. Son nom de guerre constitue en lui- même un camouflage: "le Crolé", alors qu'on lui a toujours connu la tète largement dégarnie. Un jour, il rencontre au centre médical de la SNCB, rue Belliard à Bruxelles, un médecin en grande conversation avec M. Coton, docteur en médecine affecté au groupe de Charleroi de la SNCB (et qui sera abattu par les rexistes le 18 août 1944 lors des tueries de Courcelles). "Tiens, dit le médecin à son confrère carolorégien, tu connais certainement "le Crolé''! Et le docteur Coton de s'exclamer avec un gros éclat de rire: "Formidable ! C'est lui le "Crolé ?" Ces deux cheminots se connaissaient de longue date mais ignoraient jusqu'alors leur appartenance au même service de renseignements alliés.

EN REVENANT DE GIVET

Sa connaissance de la langue allemande facilite évidemment les relations d'Alfred BOLLE avec les responsables des chemins de fer allemands détachés à Charleroi, notamment avec le Herr Oberinspektor Borgman, un Brêmois. Une fois par mois, Alfred BOLLE l'accompagne à Givet dans une voiture officielle. Tandis que dans un café - toujours le même -, l'Allemand se goberge, le "Crolé" a toujours l'une ou l'autre course à faire dans les environs. La voiture repart, chargée de vins, de liqueurs, de parfums pour la maîtresse du Brêmois et lui-même ne manque pas de confier à son compagnon "Ich bin gut beladen" ("Je suis bien chargé"). Un jour, à l'insu évidemment de l'Oberinspektor, un Anglais fut transporté de Givet à Charleroi dans la voiture allemande. Pour ne pas priver d'air le voyageur clandestin, une cale empêchait la fermeture complète du coffre. Mais elle tomba en cours de route et, à son arrivée, il fallut quelque temps pour ranimer le Britannique en très piteux état. Si, par malheur, il était décédé, le corps - comme d'autres - aurait été jeté dans une conduite d'aération au tunnel du canal Charleroi-Bruxelles à Godarville.

COMME NAPOLEON

En mai 1941, au retour d'une autre sortie à Givet, l'Oberinspektor fait relever la paroi de verre les séparant du chauffeur et dit : "- Tu sais, Fred, notre Führer va faire une grosse bêtise. - Non ? Il va se marier ? interroge "le Crolé". L'Allemand rectifie : "Lui, se marier ? Non...Il se prend pour Napoléon !"

Le lendemain, Alfred Bote découvre des ordres de marche de cheminots allemands pour Kôningsberg. Ainsi, plus d'un mois avant le 22 juin 1941, Londres était avertie, via Charleroi également, que l'Allemagne nazie préparait l'invasion de l'URSS. Les bavardages - et bien d'autres encore - de Oberinspektor n'étaient pas tombés dans l'oreille d'un sourd.

Mais l'Allemand muté à d'autres fonctions est remplacé, fin 1941, par l'Oberinspektor Maritzy, originaire de Trèves et précédemment en service à Gand. Dûment renseigné sur la personnalité du nouvel arrivant, Alfred BOLLE lui trouve un bon logement chez une dame... affectée au service Mill. Or, voici que Londres demande l'identification d'un mot code allemand :"Gottenhaven". Evidemment, pour dissimuler "Gottenhaven" ? Installé dans le bureau de Herr Maritzy, Alfred BOLLE fait mine, de son crayon, de parcourir sur une carte, les côtes européennes. "Tu cherches quelque chose, Fred ?" demande l'Allemand. Sur un ton très hésitant, le Belge explique qu'un nom lui trotte dans la tête : "Gottenhaven" mais qu'il ne parvient pas à le situer sur la carte". "Fred, tu me fais de la peine ! Oublie cela !", rétorque l'Allemand. Mais "le Crolé", toujours de la pointe du crayon, poursuit sa recherche. Quand elle parvient sur Gdansk, l'Allemand hoche imperceptiblement la tête. Quelques jours plus tard, il lui demande si Radio-Londres a parlé du bombardement de Gdansk ? Alfred BOLLE assure qu'il ne l'écoute pas et, assez curieusement, dans un sourire, Herr Maritzy lui dit : "Je pensais que cette affaire de Gdansk t'aurait intéressé".

Alfred BOLLE est aussi l'auteur d'une "Notice historique sur Couillet" publiée en 1968 à l'occasion du 100ème anniversaire des Sociétés Royales des "Décorés" et des "Amis du Progrès" de Couillet. C'est un document de référence.