4. Terres d'accueil

Voyager au milieu du 19ème siècle

A partir de 1850 beaucoup de nos ancêtres, pressés par la misère et la faim, ont donc été contraints de quitter le Brabant-Wallon et de chercher refuge dans des contrées plus hospitalières. On peut s'interroger sur les moyens de transport qu'ils utilisaient à l'époque. Nous avons trouvé des éléments de réponse dans un livre écrit par Léopold GENICOT, professeur à l’Université Catholique de Louvain : « Histoire des routes belges depuis 1704 ». Livre paru en 1948 dans la « Collection nationale » de l’Office de publicité, S. C. Bruxelles. En voici quelques extraits.

Ce n’est qu’à l’aube du 18ème siècle, que s’est véritablement posé le problème de la communication interurbaine et du réseau routier. Un Etat moderne se doit disposer d’infrastructures pour qu’en toutes saisons et en toute sécurité puissent se déplacer les industriels et leurs matières premières, les commerçants et leurs marchandises, les fonctionnaires et aussi les troupes.

La situation avant le 18ème siècle

Avant 1700, l’équipement du pays est très rudimentaire. La plupart des « chaussées » ne sont finalement que des chemins de terre recouverts exceptionnellement de pavés ou moëllons, parfois de gravier, le plus souvent de fascines et rondins. L’entretien de ces « grands chemins » incombe aux riverains qui s’en acquittent généralement mal.

Il faut imaginer nos ancêtres se déplaçant sur ses « routes », impraticables par temps de pluie, remplies d’ornières et de fondrières et nécessitant une force animale considérable pour tirer des charges légères même en plein été. Il n’était pas rare de croiser des attelages de dix à douze chevaux qui étaient doublés quand les pentes se faisaient plus raides. Ces convois devaient être accompagnés d’un grand nombre d’hommes munis de gaules et chargés de soulever les chariots aux endroits difficiles.

Ces routes serpentent entre les propriétés, les lignes droites sont quasi inexistantes et en plus elles « rétrécissent » chaque année car les paysans empiètent sur la voie pour agrandir la surface cultivée de leurs terres. Des routes praticables existent pourtant mais elles n’ont qu’une seule utilité, relier les villes ou bourgs importants à leurs campagnes environnantes afin d’assurer le ravitaillement des citadins par le biais des marchés. Les routes interurbaines sont encore très rares à l’exception des anciennes chaussées romaines toujours très utilisées mais mal entretenues.

L’intervention française en 1704

Ce sont les Français qui dès 1704 vont prendre à bras le corps le problème des communications interurbaines. Quatre grands chantiers sont ouverts pour relier Bruxelles à Gand, à Mons et à Louvain, Malines à Kontich. Ils lancent ainsi un vaste mouvement de travaux publics relayés par les Etats provinciaux. 

Le Régime autrichien : décentralisation et essor

Quand les Autrichiens s’implantent dans nos régions vers 1715, ils héritent de l’ébauche d’un premier réseau routier digne de ce nom. Il ne vaut toujours pas perdre de vue qu’à l’époque, ce qui est aujourd’hui notre pays était quasiment coupé en deux, d’est en ouest, par la Principauté de Liège, dont les gouvernants prennent également conscience de l’importance d’un bon réseau de communication.

La construction de routes empierrées soulève différents problèmes. Ces routes ont une importance stratégique, économique et politique sans compter l’aspect financier car cela coûte cher. Le gouvernement autrichien s’est donné pour règle dès le départ de ne pas construire lui-même de routes. Seule exception à cette règle, la mise en chantier dès 1716 de l’axe Bruxelles-Luxembourg qui permet ensuite, via Trèves, une liaison avec Vienne, alors capitale impériale. Il s’accommode avec les Etats provinciaux et les magistrats des différentes villes traversées. Les provinces et les villes financent les constructions par la vente de rentes et la perception d’un droit de barrière. Ce droit leur est accordé par le pouvoir central qui dispose ainsi d’une relative marge de manœuvres pour faire rectifier des tracés.

A partir de 1760, le gouvernement autrichien devient plus pressant vis-à-vis des Etats provinciaux et il exige la création de chaussées qu’il estime nécessaire pour satisfaire ses besoins nationaux. Il accentue le contrôle financier en vérifiant l’affectation des sommes perçues par les octrois et met en place, en 1775, un service technique des Ponts-et-Chaussées. Ce sont dorénavant des ingénieurs du génie militaire qui vont conduire et contrôler strictement les études préliminaires à toute nouvelle construction. Cependant, les Etats provinciaux et leurs grandes villes conserveront encore longtemps une grande part de leurs prérogatives car ils disposent de moyens financiers plus importants que ceux du pouvoir central.De simples particuliers, des industriels et quelques grands propriétaires fonciers secondent les pouvoirs publics soit pour pouvoir écouler plus régulièrement et facilement leurs productions, soit pour assurer une plus-value à leurs domaines situés à proximité des nouvelles routes. Le commerce suit ces chaussées et certaines villes dépérissent dès qu’une chaussée désert sa voisine. La circulation des hommes et des marchandises devient plus facile et plus rapide même s’il faut encore trois jours à un convoi pour rallier Bruxelles à Charleroi.Pendant cette période, le réseau routier s’étoffe (2.850 kilomètres de chaussées sont construites au 18ème siècle) mais sans aucun plan d’ensemble et sans harmonie car les moyens financiers diffèrent d’une province à une autre et les relations sont toujours assez tendues avec la Principauté de Liège. Les grandes routes nationales sont délaissées au profit de routes qui répondent directement aux besoins de ceux qui les financent.

Ces imperfections n’empêchent pas les chaussées de l’époque autrichienne de rendre des services éminents. Elles l’emportent à tous égards sur les grands chemins qu’elles remplacent ! Celles surtout qui ont été construites par octroi sont infiniment plus solides et aussi plus larges et plus directes. Leur partie centrale, ou chaussée au sens étroit, comporte le plus souvent un coffre de sable, d’une trentaine de centimètres d’épaisseur et un revêtement de pavés battus à la sonnette, fortement bombé pour faciliter l’écoulement des eaux et surtout pour augmenter la résistance. Elle est flanquée de deux cordons de puissantes bordures et de chemins d’été, larges de 3 à 4 mètres et légèrement inclinés, jouant les uns et les autres le rôle de culée. Des fossés destinés à recueillir les eaux complètent l’ensemble de part et d’autre. Les chaussées du 18 siècle sont donc conçues véritablement comme une voûte, fortement contrebutée et capable par conséquent de supporter de lourdes charges sans s’effondrer. Elles sont au surplus assez larges pour éviter la formation d’ornières longitudinales et permettre des croisements aisés. Elles sont enfin, en principe, tirées en droiture d’un point de passage au suivant.

Mais voyager à l’époque coûte cher car les Etats provinciaux et les villes couvrent en partie les frais de construction et d’entretien des chaussées à l’aide d’emprunts gagés par le revenu des droits de barrière. De lieue en lieue, l’usager doit acquitter une taxe calculée au poids ou au volume. Un exemple : sur le parcours de Charleroi à Bruxelles et retour, le total des droits perçus sur les chariots de houille équivaut à la moitié du prix de celle-ci au départ du charbonnage.

Tous ces arrêts constituent des entraves à la circulation et quand le pouvoir central obligera les Etats provinciaux à puiser dans leur budget ordinaire en n’accordant plus les autorisations d’octroi, les villes et villages ne se risqueront plus aussi facilement à se lancer dans la construction de nouvelles routes ou différentes astuces seront utilisées pour retarder les chantiers ou simplifier les techniques de construction au détriment de la qualité des ouvrages. Pour diminuer les frais, un système de « corvées » est instauré à charge de petits journaliers ou paysans peu motivés car ils n’ont aucun bénéfice personnel à retirer de la présence de ces nouvelles chaussées. Ce n’est qu’au lendemain de la Révolution brabançonne, le 12 décembre 1780, que le « tour de rôle » est supprimé.Le Régime hollandais : conciliation et reprise

Après la défaite de Waterloo, ce sont les Hollandais du Prince Guillaume d’Orange qui héritent de nos routes. Des deux systèmes successivement appliqués à celles-ci dans nos provinces, décentralisation des travaux publics à la manière autrichienne et centralisation à la française, Guillaume d’Orange préfère incontestablement le second mais il va devoir l’adapter en 1821.

Il conserve certains éléments légués par les Français : administration des Ponts-et-Chaussées (qui deviendra le Ministère de l’Intérieur), classification des routes selon leur intérêt plus ou moins général et remise des plus importantes aux soins exclusifs de l’Etat, levée d’additionnels aux impôts directs. Il les combine avec d’autres, repris des Autrichiens : perception de droits de barrière et concessions d’octroi de construction à quiconque offre des garanties suffisantes. Il met ainsi sur pied un système assez compliqué mais extrêmement fécond. La responsabilité des travaux publics entre les différents pouvoirs constitués atteint enfin une certaine forme d’équilibre et les réalisations se succèdent à un rythme jamais atteint dans notre pays.

Sa politique de concessions accordées à des communes, des intercommunales ou des sociétés par actions rencontre un vif succès et permet de compléter le réseau d’autant plus que la conjoncture s’améliore. L’objectif est maintenant de construire des routes transversales pour relier les grands axes hérités des régimes précédents et de desservir les nouvelles zones promises à un grand avenir industriel comme celles de l’Entre-Sambre-et-Meuse.

En résumé, le gouvernement hollandais lègue à l’administration belge un précieux héritage, fruit de sa propre expérience et de celle de ses prédécesseurs :

Le régime belge ne devra donc pas innover, il lui suffira d’amplifier son action dans les cadres et selon les normes qu’il reçoit en 1830.