Quartier des Moissons

Quelques hôtels et belles maisons du boulevard de la Paix, de la rue Piper et de la rue des Moissons.

Note : Ce texte, pour l'essentiel, a été publié, en décembre 2003, dans Regards sur notre Patrimoine n° 14, publication de la Société des Amis du Vieux Reims.

Les vendredi 16 mai et samedi 11 octobre 2003, nous avons fait, pour les Amis du Vieux Reims, une petite promenade dans le quartier des Moissons.

Ces visites, pour le confort de chacun, ne devaient pas excéder une heure et demie, si bien qu’elles se sont limitées à l’évocation succincte de quelques belles maisons. Et encore, d’une petite partie de ce quartier qui fut urbanisé sous le second Empire à la suite de la démolition des remparts qui libérèrent ainsi de vastes terrains bien placés. De nombreuses usines y furent construites et celles-ci peu à peu disparurent pour être remplacées par de riches résidences aux vastes jardins.

Nous avions rendez-vous au 1 du boulevard de la Paix, dans la cour de l’hôtel Collet-Delarsille. Ce bel hôtel, construit vers 1860, a été miraculeusement épargné par la Grande Guerre, alors qu’il se trouvait fort exposé avec ses quatre façades non protégées. Placé entre cour et jardin, avec une sortie sur la rue de l’Écu, il comporte quatre façades entièrement en pierre de taille, dont une est latérale au boulevard. Son entrée, face au Sud, présente une importante marquise surplombant un grand perron, avec deux doubles-portes, dont une est factice. À droite de la grille d’entrée, se trouve le pavillon de concierge avec les communs. Cet hôtel fut construit pour le manufacturier (filature et tissage, usine du Grand Saint-Pierre) Théodore Collet (1820-1881) et son épouse Joséphine Pauline Delarsille (1831-1911), dont le monogramme CD orne le fronton de la double lucarne centrale. Il sera occupé ensuite par leur fils Henri Collet-Fanart (1861-1945), qui quittera son élégant hôtel de la rue des Consuls[1] pour venir y vivre avec son frère et associé, Léon Collet (1856-1923), jusqu’en 1925. Henri Collet eut pour gendre Maurice Heidsieck (1896-1976). Puis la Direction des Contributions directes y installa ses bureaux. Aujourd’hui c’est l’administration de la Polyclinique Saint-André qui occupe la maison depuis 1996.

Puis, nous nous sommes rendus dans l’immeuble immédiatement voisin, que j’appelle Monfeuillart, du nom de son premier propriétaire, le sénateur Ernest Monfeuillart (1853-1934), qui le fit construire, en 1925 par l’architecte Jacques Rapin[2] (1889-1953), mais ne l’a en fait jamais habité. En effet, la famille Voos-Tasté en fit rapidement l’acquisition, car nous la trouvons dans cette maison dès 1928 et jusqu’en 1940. Il serait peut-être plus juste de l’appeler hôtel Voos ? et je pense qu'Iwan Voos en fut réelement le constructeur, en utilisant des dommages de guerre. De nationalité belge, donc étranger, il ne pouvait y prétendre, et Ernest Monfeuilard lui servit d'homme de paille. Il sera ensuite le siège de l’Automobile-Club de Champagne, si bien que dans le hall d’entrée on peut toujours y voir le palmarès des épreuves organisées par l’A.C.C. sur le circuit de Reims-Gueux de 1925 à 1951 et, sous le chartil, celui des épreuves de 1952 à 1969. C’est aujourd’hui la Polyclinique Saint-André. Il s’agit d’un élégant hôtel en pierre blanche, à la sobre architecture art-déco, dépourvue de toute sculpture. Nous avons pu y admirer les nobles proportions de l’escalier d’honneur, à la belle rampe en fer forgé, et surtout la magnifique verrière, aux chaudes couleurs, exécutée par le maître-verrier Jacques Simon (1890-1974), sur les cartons d’Henri Rapin (1873-1939), frère de l’architecte. Ce même Henri Rapin, qui sera chargé de la décoration de l’hôtel particulier du maire de Reims, Albert Réville (1883-1949), à l’angle des boulevards Pasteur et Saint-Marceaux.

Au 9 : l’hôtel Douce, que l’on a pris l’habitude depuis quelques années de nommer Villa Douce. Il s’agit de l’étude de notaire et de l’hôtel particulier d’André Douce (1881-1948), qui fut président de notre Société de 1942 à 1948. Son épouse Marthe Jacot (1885-1982), musicienne et mélomane, fut chevalier de la Légion d'honneur. Pol Gosset (1881-1953), fils d’Alphonse Gosset (1835-1914), l’architecte du Grand-Théâtre et de la basilique Sainte-Clotilde, fut l’architecte de ces bâtiments, construits de 1928 à 1932, par l’entreprise Blondet, à l’emplacement de l’ancienne firme lainière Wenz & Cie et dont les locaux furent prêtés à l’association Le Retour à Reims, de 1919 à 1923. Pol Gosset est également l’auteur du colossal immeuble des Docks Rémois, à l’angle de la rue de Vesle et de la rue de Talleyrand, où l’on retrouve le même aspect cossu, mais aussi la même lourdeur que pour la Villa Douce. La décoration et les staffs furent confiés à Berton, la ferronnerie à Borderel et la mosaïque à Mion. Ce fut ensuite l’étude de Paul-Henry Gain (1907-1984), gendre et successeur d’André Douce. L’ensemble fut acheté en 1986 par la SOREFI Champagne-Ardenne[3] et réhabilité en 1987 par l’architecte rémois Jean-Baptiste Michel[4], assisté de Mme Marie Lelièvre-Branly. La salle de musique, conçue par l’architecte Jacques Debat-Ponsan[5], fut restaurée à l’identique par un ingénieur acousticien. Lili Laskine, Marielle Nordmann, Patrice Fontanarosa, et pour citer quelques Rémois, les virtuoses Philippe Entremont et Eric Heidsieck, y donnèrent des récitals. Un système d’écoutilles permettait d’entendre la musique de la terrasse. « Fête de nuit le 5 juillet 1934», tableau de Jacques Simon, évoque le charme des nombreuses réceptions qui y furent données. C’est aujourd’hui le siège de la présidence et des services centraux de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, depuis le 2 mai 1994. L’immeuble est inscrit à l’inventaire des Monuments historique, depuis 1992, et on continue à y donner, pour y respecter une clause légale, quelquefois des concerts.

Nous arrivons à la petite rue Piper, qui ne fait que 175 mètres de longueur, mais comporte encore bien des richesses, malgré la destruction de l’hôtel Kunkelmann. Ce dernier avait été construit, au n° 1, entre 1869 et 1876, pour le négociant en vins de Champagne Théodore Kunkelmann (1811-1881), successeur de H. Piper & Cie, qui occupa précédemment le charmant hôtel du 16, rue Andrieux et le laissa à Jules Warnier-David. Lui succéda son fils Ferdinand Kunkelmann (1851-1930), fondateur de la marque Piper-Heidsieck en 1892. L’administrateur des Docks Rémois, Marcel Quentin (1885-1960), en fit l’acquisition vers 1930 et y effectua de gros travaux de décoration et de confort. Il y fit aménager dix salles de bains en marbre avec robinetterie dorée à l’or fin, afin que lui-même, son épouse, et chacun de leurs huit enfants puisse disposer de ce qui était encore un luxe suprême à cette époque. On y reçut, vers 1932, le Maréchal Lyautey qui croyait y faire un petit dîner intime chez de simples bourgeois. Il fut ébloui par le faste et surpris par le nombre des convives qui se trouvait dans l’immense salle à manger. Mme Quentin, qui savait recevoir, – née Renée Radlé (1890-1972), elle était la fille du propriétaire du Lion d’Or – avait fait imprimer pour l’occasion le menu orné du bâton de maréchal. Malheureusement, les Quentin ne firent pas le bon choix, et à la Libération, durent fuir avec les Allemands. Un de leurs fils, engagé dans les Jeunesses hitlériennes, fut même condamné à mort par contumace et termina ses jours au Canada sous un nom d’emprunt. L’ironie du sort, voulut que ce fut leur cousin germain, aux idées diamétralement opposées, l’ophtalmologiste bien connu, le docteur Jean Quentin (1906-1998), ancien chef d’un réseau de la Résistance, qui leur envoya quelques subsides pour vivre chichement au Maroc, une fois leurs liquidités épuisées. Ainsi l’hôtel abandonné se dégrada lentement et fut rasé en 1968 pour faire place à une hideuse construction pour les AGF. Le magnifique parc, aux célèbres massifs d’hortensias et de rhododendrons, est devenu un immense parking goudronné.

En face, au 2 : un hôtel particulier à l’aspect austère, mais de qualité, en brique et pierre. Avant de s’installer au château des Crayères, le marquis Melchior de Polignac (1880-1950), associé négociant en vins de Champagne, y demeura en 1922, avec son cousin germain le comte Maxence de Polignac (1892-1963), qui lui, ira habiter la fameuse Villa Cochet, étudiée dans notre précédent bulletin. On sait que le frère cadet de Maxence, Pierre de Polignac (1895-1964), deviendra duc de Valentinois, en 1920, par son mariage avec la princesse Charlotte de Monaco (1898-1977). Ils sont les parents de l’actuel prince Rainier de Monaco (1923). C’est ainsi que par ce tour de passe-passe, on évita que la principauté ne tomba aux mains des Allemands. On se souvint soudainement, que le prince Louis de Monaco, sans postérité légitime, avait eu distraitement, peut-on lire dans Les dynasties d’Europe, une fille en Algérie, avec la cantinière de son régiment. Charlotte Louvet, devint Charlotte de Monaco et la dynastie des Grimaldi fut assurée par Pierre de Polignac, qui prit le nom de sa femme contrairement à nos usages et au droit français. Notons aussi, que le prince Louis de Monaco (1870-1949), père de Charlotte, épousa, en 1946, l’actrice de théâtre Ghislaine Dommanget, née à Reims, 55, boulevard Jamin, en 1900. Quant à S.A.S. la princesse Charlotte, qui fit de fréquents séjours au château de Marchais (Aisne), elle fut la protectrice de l’ancien truand rémois René Girier (1919-2000), dit René la Canne. C’est ainsi que le Prince des voleurs devint chauffeur de la princesse. Cet hôtel fut aussi occupé plus longuement, au moins de 1925 à 1929, par l’avocat Marcel Braibant (1886-…), conseiller général des Ardennes, auteur de L’Agriculture française, en 1936. Il fut aussi, je crois, victime de l’épuration. Son frère, Charles Braibant (1889-1976), obtint le prix Renaudot 1933 pour son premier roman « Le Roi dort », dont l’action se passe dans le Porcien et à Reims. Directeur général des Archives de France et auteur fécond, Charles Braibant sera président d’honneur des écrivains de Champagne. Le chirurgien Jean Lévy-Souplet (1895-1958), dont une rue de la ville honore la mémoire, y mourut en 1958. C’est aujourd’hui le Cours privé Jean-Jacques Rousseau.

Au 5 : c’est un ravissant hôtel entre cour et jardin, en brique et pierre, aux communs en hémicycle, qu’Édouard Lamy, architecte, construisit, entre 1881 et 1884, pour le docteur Auguste Lüling (1859-1950), négociant en vins de Champagne, et son épouse Salomé Dollfus (1860-1895), qui fut la première petite-fille du célèbre baron Haussmann. On peut voir leur monogramme LD sur le fronton de la lucarne centrale et les tirants des cheminées. L’accès au jardin se fait par un arc triomphal surmonté de balustres. Le Dr Lüling, qui ne devait pas se distinguer par sa modestie, fit cadeau d’une bande de terrain à la commune de Jonchery-sur-Vesle, à condition que son nom lui fut donné. Ainsi, dès 1923, la rue du Dr Lüling fut dénommée du vivant de son bénéficiaire, fait peu courant dans les annales, à l’instar de Victor Hugo qui habita sa propre avenue. Le docteur Lüling, possédait le château de Courcelles-Sapicourt, connu plus modestement sous le nom de Villa les Sapins. C’est dans cette propriété qu’eut lieu le mariage d’un de ses représentants en vins de Champagne, le célèbre Maurice Bertrand (1863-…), qui défraya la chronique scandaleuse de la Belle époque. Celui qu’Alphonse Allais appelait le Champagnographe bien connu, y épousa le 19 novembre 1906, Marguerite Gouzée (1869-1914), veuve d’Alphonse Allais (1854-1905). Georges Victor-Hugo et Alfred Capus, directeur du Figaro, furent de la fête. Ce dernier, témoin de la mariée, aurait dit « elle est vouée au gris ». En effet le marié, surnommé aussi le Monsieur de chez Maxim’s était un poivrot notoire, souvent croqué par Sem en état d’ivresse. On raconte qu’un soir, appuyé à un réverbère de l’avenue de l’Opéra, on lui demanda : qu’attendez-vous ? Je regarde passer les maisons, et lorsque je verrai passer la mienne j’entrerai dedans ! répondit-il. Il a épousé, dit Georges Feydaux, une dame qui fut d’abord Mme Alphonse Allais, puis un peu Mme Ernest La Jeunesse. Ah ! si elle pouvait écrire ses mémoires ! Après son divorce, en 1891, le Dr Lüling, associé de la maison Walbaum, Lüling, Goulden & Cie (successeurs de Heidsieck & Cie), habita l’imposant hôtel particulier de son père au 16, boulevard Lundy. Puis son associé, Ernest Goulden (1843-1909), propriétaire du château de Gueux, qui habita au 17, rue des Moissons, de 1884 à 1887, vint occuper cette maison en 1905. Ainsi que son fils, Auguste Goulden-Holden (1877-1958), qui y restera au moins jusqu’en 1936. Il était le frère de ce fin et délicat artiste Jean Goulden (1878-1946), dont notre musée a consacré une exposition de ses œuvres du 9 novembre au 23 décembre 1997. Est-ce un pur hasard, ou une coïncidence voulue ? pour que le numéro de Noël 1935 de l’Illustration, ces fameux numéros de Noël si luxueux et aujourd’hui si recherchés, consacre un bel article aux émaux de Jean Goulden, immédiatement suivi par un conte de Paul Wenz, frère du voisin d’en face ? Il n’y est pas fait référence à Reims, mais les émaux, magnifiquement reproduits, sont révélateurs, pour nous autres Rémois, par les noms de leurs collectionneurs, que l’on osait encore donner à l’époque et qui ne sont autres que : Comtesse Maxence de Polignac, Mme Émile Charbonneaux, Marquis de Suarès d’Aulan (sic), Dr Bouvier, Mme Georges Charbonneaux… La maison a été depuis quelques années divisée en petits appartements par un promoteur qui a su lui garder son aspect d’origine et maintenir son bel escalier d’honneur. On peut y voir des vitraux du XIXe siècle qui comportent des inclusions de vitraux allemands du XVIe siècle, probablement importés par les Lüling ou les Goulden ?

En face, au n° 10, et appuyé contre le bel immeuble du n° 8, en brique et pierre, des bureaux de la maison Kunkelmannn & Cie (ancienne maison Heidsieck, fondée en 1785), occupé par la famille de Suarez d’Aulan, le lourd et cossu hôtel Wenz. Construit vers 1890, en pierre et brique jaune, en léger retrait de la rue, avec un pavillon saillant pour former l’entrée monumentale. Il s’agit de l’habitation du négociant en laines Alfred Wenz (1872-1947), dont la très importante firme lainière possédait des comptoirs en Argentine et en Australie. Alfred Wenz épousa Louise Hollier-Larousse (1882-1951), sœur cadette de Mme Joseph Krug (1880-1954), toutes deux petites-nièces et héritières de l’éditeur Pierre Larousse. Elles furent de ces dames patronnesses qui se dévouèrent pour des œuvres utiles et charitables telles que la Goutte de Lait ou le Retour à Reims. N’auraient-elles pas mérité une rue à leur nom, plutôt que tous ces conseillers municipaux qui ne se sont souvent fait remarquer que par leur médiocrité ? Alfred Wenz appartenait à une famille remarquable. Ses frères s’illustrèrent tous à des degrés divers. Paul Wenz (1869-1939), cité précédemment, dont l’œuvre puissante en a fait le premier romancier australien de langue française, est toujours édité. Il fut ami d’André Gide et de Jack London, dont il fut également le traducteur pour L’amour de la vie. Émile Wenz (1863-1940), fut un pionnier de la photographie aérienne et un grand voyageur. Plon édita, en 1886, le récit de son voyage autour du monde qu’il fit de 1884 à 1886. Négociant en laines, il occupa l’hôtel du 50, boulevard Lundy. Enfin, le peintre Frédéric Wenz (1865-1940) qui décora d’un important triptyque sur toile marouflée, ou fresque ?, la magnifique véranda (aujourd’hui disparue) de cette maison. Frédéric eut pour condisciple d’atelier Henri de Toulouse-Lautrec. C’est ainsi que Frédéric incita celui-ci à venir à Reims, exposer à la Société des Amis des Arts, en 1886, et que Lautrec vendit sa première toile à des bourgeois. Ceux-ci n’étaient autres que les austères parents de Frédéric, protestants puritains, qui outre le portrait de leur fils, aujourd’hui au musée de Houston (USA), achetèrent À la Bastille, probablement plus par charité que par goût artistique… Si le nom de Frédéric Wenz n’est pas passé à la postérité en tant que peintre, il est devenu célèbre, en tant que modèle de Lautrec. Frédéric posa pour l’artilleur se reculottant et Lautrec réalisa, de 1886 à 1891, douze portraits de Jeanne Wenz, qui devait être la compagne supposée de Frédéric, et non sa sœur comme il fut dit. Une excellente étude a été faite sur le sujet, pour le Bulletin de la société de l’Histoire de l’Art français, par Frédéric Destremau, qui travailla un temps pour notre musée. La maison fut ensuite occupée par un industriel du nom de Faillant, en 1925 et 1929, puis par Jacques Warnier (1901-1966), l’un des fils de Warnier-David, et son épouse Germaine Durand-Veil (1904-1993), de 1934 à 1945. Électricité de France, vers 1960, sera propriétaire des lieux et y adjoindra un bâtiment parasite assez vilain. Aujourd’hui, Epsilon concept communication, agence conseil en publicité, a sauvé des démolisseurs ce bel hôtel et a su lui rendre son lustre d’autrefois tout en y intégrant, avec bonheur, de l’art contemporain en respectant les belles boiseries de chêne. Car cette riche demeure comporte de nombreuses boiseries de hauteur et un escalier d’honneur en chêne se prolongeant jusqu’au sous-sol pour donner accès à un merveilleux petit théâtre. Ce dernier, orné de boiseries et de colonnes en chêne sculptées, est éclairé par deux grandes fenêtres grillées de fer forgé prenant jour sur une cour anglaise. La trappe du souffleur y serait toujours existante.

Du 7 au 13 se présente un ensemble homogène de belles maisons, en pierre de taille, construites vers 1890. Un ravalement bien fait, ce qui est rare à Reims et mérite d’être noté, nous restitue la belle couleur chaude de la pierre de notre région. Au 7, nous trouvons, en 1907, l’ancien commissionnaire de roulage Alexandre Victor Contet-Lanson (1832-1907), qui habita précédemment le 21, rue des Moissons. Au 9, de 1911 à 1914, le greffier en chef du Tribunal civil de Reims, Gustave Villain (1854-1940). Son fils Raoul Villain (1885-1936), nationaliste exacerbé, se rendit célèbre en assassinant sa bête noire Jean Jaurès. Guillaume de Truchess (1859-1922), fondé de pouvoirs, lui succéda dans cette maison en 1922. Au 11 ce fut la maison, de 1900 à 1905, du maire de Reims, Adrien Pozzi (1860-1939). Il se rapprocha de la mairie en occupant le 1, rue Thiers, dès 1911. Il était le frère du célèbre chirurgien Samuel Pozzi, père de la gynécologie en France, médecin du Tout-Paris, qui inspira Marcel Proust et mourut tragiquement assassiné par un de ses patients. Mais le fleuron de ces maisons, demeure cependant le 13 qui forme angle avec la rue des Moissons. Ce très bel hôtel, daté 1890, avec arrondi surmonté d’un dôme tronconique, a une porte cochère sur la rue des Moissons au 22. L’ornementation sculptée, très riche, semble être due à ce délicat sculpteur que fut Léon Chavalliaud (1858-1919). La physionomie des visages est très proche de ce qu’il a produit et je pense qu’on peut lui attribuer, sans grand risque d’erreur, la sculpture des masques. Selon René Druart, cette maison aurait été construite pour J. Baudry, ancien coloriste. Elle fut occupée, en 1905 et 1913, par Lucien Destouches, comptable, puis par l’industriel G. Martin, en 1925, et enfin, en 1936, par le consul des Pays-Bas, Alphonse van der Linden (1883-1955), qui fut directeur commercial du Champagne Heidsieck Monopole, grand-père d’Hubert Walbaum, ancien maire de Val-de-Vesle, et de Francis Walbaum, ancien secrétaire général de la Providence agricole et vice-président du Medef-Marne.

Au 12, un hôtel genre cottage, nous dit René Druart, démoli pour faire place à une résidence à l’architecture affligeante. Il fut longtemps occupé par Charles Budin (1858-1922) et son épouse Jeanne Lelarge (1863-1961), fille de Frédéric. Leur fils, Louis Budin, fut maire d’Épernay de 1935 à 1940. Parmi les autres enfants, nous retrouvons Mme Robert Duntze, Mme Guy Pol-Roger et Mme Christian de Billy. Il sera ensuite habité, en 1959, par Christian Heidsieck (1897-1982), négociant en vins de Champagne.

Nous arrivons enfin à la rue des Moissons, dont nous ne parcourrons qu’une petite portion puisque celle-ci fait 600 mètres de longueur. Comme son nom l’indique, cette rue était à proximité des champs et on y trouvait encore plusieurs fermes au XIXe siècle, telle que la ferme Contet-Muiron, à l’angle de la rue Perseval, en 1856. C’est d’ailleurs dans celle-ci que M. Contet fit réédifier, en 1849, l’ancienne Halle Saint-Remi, que l’on venait de démolir place Saint-Timothée.

Au 12, de la propriété de Mme Léon Devivaise, née Henriette Lochet (1835-1913), qui l’occupa de 1901 à 1913, il ne subsiste plus que le pavillon de concierge. Mme Devivaise était alliée aux Charbonneaux.

Au 14, les Établissements Paul Bur & Cie, vins de Champagne, construits par l’architecte Abel Robert, entre 1902 et 1905, furent ensuite occupés par la Coopérative des Grands Crûs, en 1933 et 1936. Aujourd’hui c’est le Champagne Alain Thiénot, dont le monogramme AT orne la grille.

Au 16 : l’ancien hôtel Trapp, entre cour et jardin, en pierre de taille, fut construit, entre 1896 et 1900, pour le filateur Adolphe Trapp (1858-1903), originaire de Mulhouse. Il sera occupé par sa veuve, Marguerite Lamey, jusqu’en 1914. Puis, par l’industriel Saucourt-Harmel, en 1933 et 1936. Transformé en garage vers 1960 et mis dans un état pitoyable, il fut intelligemment restauré, de 1998 à 2001, pour être agrandi et divisé en appartements par les architectes François Ballan et Nicolas Thiénot. Cette résidence porte le nom, aussi faux que prétentieux, de Parc des Chevaliers, sans doute en souvenir du parc disparu. Densification et rentabilité financière obligent.

De la cour de l’hôtel Trapp, nous avons un peu de recul pour admirer l’hôtel Weiland, au n° 19. Ce bel hôtel particulier, de style 15-16e siècle, en pierre, briques rouges et grises, est cependant très austère. Avec ses fenêtres munis de vitraux il n’est pas sans me faire penser à quelque riche presbytère, voire même à un petit évêché. La façade sur jardin, avec tourelles est beaucoup plus riante. Il forme un U composé de deux pavillons réunis par une grille et le corps principal est précédé d'une cour. La porte cochère dans l’aile droite donne accès à un immense jardin que l’on peut qualifier de parc. Il fut construit, vers 1890, pour Édouard Weiland (1841-1893) qui fut fondé de pouvoir de la maison Piper & Cie de Reims-Épernay, depuis 1865, et dont il était associé depuis un an lorsque la mort le surprit à Lucerne. Il profita peu de son nouveau statut social et de sa luxueuse résidence. Son fils Jean Robert Weiland (1884-1971), sera directeur de Collaboration, dont le marquis Melchior de Polignac accepta, par erreur, la présidence d’honneur. Weiland écopa de 5 ans de réclusion, en 1951, pour ce mauvais choix, lors de l’épuration. Comme Weiland était veuf à son décès, c’est le notaire honoraire Marie Edmond Tanazacq (1844-1914), qui exerça à Verzy de 1873 à 1894, qui vint habiter cette maison jusqu’à la Grande Guerre. Puis, son gendre le syndic de faillite Ernest Mauclaire (1873-1956), en 1922. On y trouve Aimé Charvet, administrateur de la société « Les Fils Charvet » et directeur commercial à la Sarlino, en 1937.

Au 18, dans l’ancien jardin d’agrément de l’érudit archiviste Louis Demaison (1852-1937), qui demeurait à proximité, au 21 de la rue Perseval (maison détruite pour faire place à une résidence), on construisit, vers 1980, une banale résidence au nom prétentieux de Castel des Moissons. Ces intitulés de résidence, souvent pompeux, sont purement commerciaux et dénotent le manque d’imagination autant que l’absence de culture des promoteurs. Voyez Le Grand Siècle, cette résidence au nom ridicule, est une véritable injure à la mémoire de Louis le Grand !

Le 21, offre une façade vaguement néo-Louis XVI. Cette maison fut construite à l’emplacement de la ferme Contet-Muiron. Les Contet-Muiron, furent commissionnaires de roulage, et leur gendre, l’agent d’assurances Adrien Lanson (1823-1906), est probablement le constructeur de cette maison qu’il occupa de 1874 à 1906. Cette grande maison bourgeoise avec dépendances, cour et jardin (964 m²), sera la résidence de l’industriel Jacques Voos, en 1933 et 1936. Le pharmacien Maurice Jean et son épouse Germaine Chabert, la vendirent en 1957 au pharmacien Jean Forest (1920-1999).

Au 25, fut la ferme de Charles Bouquet, en 1856. Une construction de style Louis XVI la remplaça et fut la maison de Mme Julie Delorme (1857-1941), propriétaire, en 1905. Elle épousa, en 1911, le fondé de pouvoirs de Louis Rœderer, Léon Simon (1854-1914), qui afficha sa réussite sociale en faisant édifier, en 1910 par l’architecte Louis Routhier, un luxueux immeuble de rapport au 124, rue de Vesle. On y lit son monogramme L et S sur les agrafes des fenêtres du second étage. Veuve, Mme Simon-Delorme revint finir ses jours dans son ancienne maison, dès 1933, après avoir habité le 19, rue Coquebert. Alexandre Henriot, secrétaire-délégué du syndicat du commerce des vins de Champagne, en fut aussi son locataire en 1922.

Au 38, l’hôtel Walbaum-Pillivuyt, daté 1890, sur le fronton de la lucarne aux fenêtres géminées, et 1920 sous celles-ci, pour rappeler sa reconstitution. Il fut construit, en brique et pierre, entre cour et jardin, sur une parcelle de 1373 m², pour le manufacturier Alfred Walbaum (1849-1910) et son épouse Hélène Pillivuyt (1854-1930). Devenu propriété de la Société Harmel Frères, en 1945, il fut cédé en 1957 à la Clinique Sainte-Félicité (maternité), encore en service en 1970. Devenu « Les Primevères », CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale, pour femmes en difficulté), créé en 1979, autrement dit « les femmes battues ». Il fut vendu par adjudication, en 2005, par la Ville de Reims.

Au 39, un beau particulier avec fronton rectangulaire percé de 5 fenêtres rapprochées, fut l’habitation du manufacturier Pierre Walbaum (1879-1967), fils des Walbaum-Pillivuyt, qui l’occupa de 1910 à 1939, puis celle du Dr Philippe Chatelin (1888-1976), époux de Jeanne Charbonneaux (1892-1989), et de leur gendre l’industriel Claude Hébert, de 1954 à 1987.

Au 43, un autre fils des Walbaum-Pillivuyt, le manufacturier Marc Walbaum (1893-1971), vice-président de la Chambre de commerce, y résida de 1910 à 1936. Marc Walbaum fut par ailleurs longtemps l’archiviste dévoué de notre société, dans des conditions parfois difficiles, et le père de notre administrateur Antoine Walbaum, gendre d’Henri Druart (1902-1979), notre ancien président de 1948 à 1975. Jacques Andriveau (1904-2000), administrateur de sociétés, lui succéda dans cette maison de 1956 à 1979. C’est aujourd’hui la demeure du négociant en vins de Champagne Bruno Paillard.

Enfin, nous arrivons à la rue César-Poulain, d’une longueur de 155 mètres et où il y a peu à dire. Nous nous arrêtons cependant devant le n° 6 qui fut la maison d’Aline Walbaum. Celle-ci est datée de 1923 et fut le siège de l’association, Le Retour à Reims. Cette fondation est rappelée par une plaque : Siège social du Retour à Reims, reconnu d’utilité publique le 12 janvier 1922, et Foyer des infirmières visiteuses de l’enfance, dû à la générosité de Mlle Aline Walbaum 1855-1934. Lors de la dissolution et de la réalisation des biens de l’association, en 1999, elle fut vendue à M. Hiltgen. C’est ainsi que le buste d’Aline Walbaum atterrit sur le trottoir d’une brocante rue du Jard. Le hasard fit qu’Hubert Walbaum, de la branche du champagne, pour ne pas laisser sur le trottoir une Walbaum, même du textile, en fit l’acquisition. Nous avons là encore un exemple du peu de gratitude des autorités envers leurs bienfaiteurs. Aline Walbaum ne mériterait-elle pas plus une rue à son nom que ces conseillers municipaux obscurs, qui ne s’illustrèrent le plus souvent que par leur bassesse politique. Il est vrai qu’en matière de médiocrité la municipalité n’a que l’embarras du choix.

Nous atteignons le boulevard de la Paix et arrivons au Foyer Civil, situé entre les rues César-Poulain et Houzeau-Muiron, construit à l’emplacement de l’ancien Magasin d’habillement militaire, et inauguré le 17 mai 1925. Charles Letrosne, qui construisit également le Temple, en fut l’architecte. Il fut Maison du migrant, jusqu’en 1993. La parcelle de 1903 m² a été vendue par la Ville de Reims à l’État en 1996. La démolition eut lieu en 1997/98, avec conservation des façades, pour y aménager les locaux du second pôle du Rectorat. C’est ainsi qu’à la fin des travaux, les services qui se trouvent hébergés dans l’hôtel Ruinart de Brimont intégreront les nouveaux locaux. L’hôtel de Brimont sera mis en vente et sera la proie des promoteurs qui n’hésiteront pas à sacrifier le jardin qui offre des façades sur trois rues. Soyons vigilants et essayons d’empêcher une nouvelle erreur (voir le jardin sacrifié du premier hôtel Kunkelmann, 16, rue Andrieux).

Au 15 : l’ancienne Bourse du Travail, construite en 1902-1903, puis reconstruite, entre 1975 et 1977, pour devenir la Maison régionale des Syndicats, d’architecture tout à fait stalinienne. Une mosaïque gallo-romaine, découverte lors des fouilles, est présentée dans le hall d’entrée sous une bonne couche de poussière agrémentée de quelques mégots.

De retour à notre point de départ, nous nous sommes retrouvés devant l’ancien hôtel particulier, situé au n° 5 du boulevard de la Paix, qui fut occupé par l’avoué Francis Pelletier (1894-1977), de 1933 à 1977. Autrefois entre cour et jardin, cet hôtel fut démoli pour agrandir la clinique Saint-André. La façade fut en partie reconstituée dans l’alignement du boulevard. C’est dans cette nouvelle construction que nous furent reçus par le Docteur Jean-Claude Berquet, président directeur général du groupe Saint-André. Celui-ci, qui nous avez accueilli chaleureusement, au début de la visite, nous avez fait servir quelques rafraîchissements dans la salle de conférence du 5ème étage. De la grande terrasse, nous avons pu jouir de la vue panoramique sur le quartier et de la belle perspective du boulevard de la Paix. Ce fut un moment convivial très apprécié où chacun pu échanger ses impressions.

Jean-Yves Sureau[11]

18 novembre 2003.

[1] Au 14.

[2] Il épousa la fille d’Henri Piquart (1860-1947), architecte à Épernay, qui eut également un cabinet à Reims, de 1920 à 1939.

[3] Société Régionale de Financement des Caisses d’Épargne Écureuil de la Région Champagne-Ardenne.

[4] Gendre du Dr Marc Hardel (1913-2001).

[5] Jacques Harold Édouard Debat-Ponsan (1882-1942), Prix de Rome, construisit, de 1931 à 1934, la mairie de Boulogne-Billancourt, dont le maire socialiste André Morizet (1876-1942), né à Reims, était le beau-frère. Ceci explique cela.

[6] Au 14.

[7] Il épousa la fille d’Henri Piquart (1860-1947), architecte à Epernay, qui eut également un cabinet à Reims, de 1920 à 1939.

[8] Société Régionale de Financement des Caisses d’Épargne Écureuil de la Région Champagne-Ardenne.

[9] Gendre du Dr Marc Hardel (1913-2001).

[10] Jacques Harold Edouard Debat-Ponsan (1882-1942), Prix de Rome, construisit, de 1931 à 1934, la mairie de Boulogne-Billancourt, dont le maire socialiste André Morizet (1876-1942), né à Reims, était le beau-frère. Ceci explique cela.

[11] Extrait du Dictionnaire historique des rues de Reims, en préparation.