Notices 1879 à 1888
12/04/2007
Décès de "La Vie Rémoise", par Eugène Dupont, de 1879 à 1888.
1879
Et maintenant, clairons, sonnez l’appel des morts !
Cette sorte de Barbe-Bleue, tonnelier de profession qui, lorsque ses yeux se ferment pour toujours à la lumière de notre ciel terrestre, a 73 ans d’âge : Louis Bertault Denivelle, fils de François Denivelle-Dérodé, au faubourg de Paris, 50, et veuf à cinq reprises, de : Claire Hincelin ; – Marguerite Émilie Lemot, tante de Achille Lemot, dessinateur et caricaturiste réputé, ex-boursier au Collège des Bons-Enfants ; – Marie Catherine Liégeois, de Liry (Ardennes) petite-nièce de Baptiste Dupont-Liégeois, peigneur de laines au temps de la Révolution, dans ce même centre rural industriel et agricole, alors en conjonction avec les communes voisines de la région de Somme-Py ; – Marie-Jeanne Carangeot, et, dernière complice de ce passionné ! Constance Marie Étiennette Lelièvre, de la parenté d’Irénée.
À l’état civil signe le certificat de décès : son fils Jean Henri Denivelle, 25 ans, voyageur de commerce pour les marchands de tissus Cargemelet-Pierrat, rue de l’Arbalète, 10. Cette firme avait ses bureaux et rayonnages rue de Talleyrand, à l’endroit où l’on vit plus tard le papetier J. Eppe.
Denivelle fils avait pris la succession de son cousin Gustave Grossin, lorsque celui-ci, ayant épousé une demoiselle Lanceréaux, de Savigny-lès-Vouziers, abandonna monts et vallées, roulottes et phaétons, pour s’établir brasseur de bière légère et savoureuse, au pays de sa mère, Félicité Dupont, veuve Grossin, remariée au docteur Lanceréaux en ce même Savigny que les Boches mirent à mal pendant leur fuite en Belgique, aux confins de l’armistice de 1918.
Autre deuil qui frappe l’écrivain de ces lignes : Pierre Eugène Dupont, charcutier, rue du Jard, 24, à l’angle de la rue Brûlée, né à Liry le 9 juin 1830 et époux de Francine Léonie Loth, de Bezannes.
Au 8 rue David décède prématurément, à 31 ans, et le 1er mars, Jeanne Flavie Héry, épouse de l’ex-plafonneur Émile Albeau, devenu l’un des plus importants bâtisseurs de Reims, sous l’impulsion et les auspices de son beau-père, le boucheur de trous de souris, Héry-Thierry, qui habitait alors rue du Cardinal-de-Lorraine, 5.
Jean-Baptiste Raulin-Rogissart, 73 ans, restaurateur, rue de Monsieur, 25, natif de Bagimont (Belgique).
L’ex-fabricant Prosper Dessain, de Wadimont (Ardennes), 68 ans, époux de Marie Coutin, rue des Capucins, 66.
Amédée Dié, de Crugny, 62 ans, marchand de peaux, place du Chapitre, 10, beau-père de Léon Goffinet, filateur à Juniville.
Honoré Havot, de Coucy-lès-Eppes, 66 ans, époux de Alexandrine Posé, et père de Remi, sculpteur à la Cathédrale.
Modeste Lecoq, des tissus, associé de Charles Brémont, place d’Erlon.
Passons sans retard au brave homme que fut Eugène Queutelot, Rethélois d’origine, décédé à 72 ans, rue Landouzy, 4, époux en secondes noces de Anna Zélie Husson, et dont le fils, Prudent, était alors en service au 25e d’artillerie, à Châlons.
Puis à cet autre au nom pompeux et composé : Charles Frédéric Édouard Le Carlier de Veslud, ex-employé aux contributions indirectes, méridional de 58 ans, originaire de Bazas en Gironde ; il était veuf en premières noces de Marie Charbonneaux, à laquelle succéda Anna Lompeck. Fils de Le Carlier de Veslud-Tinturier du Vivier, de solide noblesse gasconne et indiscutablement appuyée sur des parchemins poussiéreux et cette longue série de noms propres qui font songer à tant de choses.
Son fils Jacques habite rue Hincmar, 7, à l’angle de la rue Brûlée et dans l’immeuble où Defrançois avait établi le gymnase que dirige son moniteur Schaaf.
Parmi les notables de la lignée maternelle qui assistent aux obsèques, citons Jean-Baptiste Charbonneaux-Compas, de la même génération, courtier en charbon de terre, rue Petit-Roland, 19.
Voici un Rémois de vieille souche, Henri Lochet, qui ne laisse pas de descendance officielle, et pour cause, étant resté célibataire : ce fils de Lochet-Godinot a pour frère l’Émile Lochet, de la rue du Cloître, 13, et pour neveu, Devivaise, de la rue des Moissons, 8.
Un second coup de chapeau au poète-roturier Gonzalle, décédé le 29 septembre, à 4 heures du soir, à la Maison de Retraite, où on l’avait hospitalisé à la petite pension de 365 francs l’an. La livre anglaise valait à l’époque 25 francs 25.
Reverrons-nous ces temps idylliques, nous sexagénaires en chasse vers le septuagénat ? Nous n’aurons plus alors de dents pour croquer nos rentes !
Le poétereau local de la République rémoise de 48 était fils de Louis Nicolas et de Marie Élisabeth Durbecq, et veuf de Marie Anne Victoire Mauclaire.
Constant Irénée Lelièvre , rue de Courlancy, 115, époux de Virginie Demade, fils de Isidore Paulin et de Constance Victoire Meillier, mécanicien, associé de Mouza, dont les ateliers sont rue de Venise.
Ah ! que d’échos et de souvenirs de ce nom de Gélu va-t-il éveiller en l’esprit des heureux survivants de son illustre clientèle bourgeoise de la rue Nanteuil, où son restaurant bravait maintes renommées culinaires beaucoup plus tapageuses que méritantes !
Gélu, Jean-Baptiste Gélu, mari de la fameuse Mère Gélu, cette Marie Claudine Colin, qui restée veuve à 60 ans, va manier de façon experte l’aviron de la fameuse barque au nautonier disparu, presque septuagénaire.
Gélu, né à Santeuil (Ardennes), de Gélu-Trésonne, laisse un fils, Aristide, et un neveu, Claude Narcisse Colin, employé de commerce, rue Landouzy, 37.
Ses obsèques furent moins que solennelles, mais une belle et nombreuse assistance, recrutée parmi tant d’estomacs reconnaissants, but au sortir du cimetière, la flûte traditionnelle en faveur de cet éminent disciple de Brillat-Savarin, dont les sauces et les pâtés furent de toutes les fêtes gastronomiques pour célibataires joyeux et parfaitement individualistes, habitués de sa salle à manger de la rue Nanteuil, 13. Paix et gloire à ses mânes !
La souche même de ces restaurateurs de nos gourmets rémois provenait de Saint-Souplet. C’est en 1850 que Jean-Baptiste vint planter ses pénates dans notre ville, et sept ans après, nos fastes locaux enregistrent sa présence impasse du Temple, tout proche les écuries de l’auberge de la Plume-au-Vent.
Déjà, ses fricots sont réputés. Les époux Gélu abritaient là, en meublé, un pensionnaire rémois qui leur amena peu à peu ses camarades célibataires. L’entreprise culinaire prenant ainsi de l’extension, nos Vatel s’établirent en ce réduit de la rue Nanteuil, où ils devaient finir leurs jours, après y avoir consolidé leur réputation. La rue était encore à l’époque, traversée en longueur par son ruisseau d’eaux ménagères.
Veuve en 1879, la mère Gélu tint le coup pendant une quinzaine d’années ; puis elle céda ses casseroles et ses fourneaux à son fils et à sa bru, pour rendre enfin sa belle âme au dieu des gourmands en 1900.
À leur tour, ses successeurs cédèrent le fonds en 1904 à un gâte-sauces moins éclairé sur la puissance et la valeur de cette fonction sociale, qui ne mit pas plus d’un an pour détruire ce qui avait nécessité un travail de construction demi-centenaire, et finalement mit la clé sous la porte. Le Chat-Friand était dès lors débarrassé d’une concurrence redoutable.
Fréquentaient chez ces Ragueneau rémois tout ou à peu près de ce que la laine et le champagne entretenaient en nos murs de célibataires ou de veufs.
On citera le futur maire de Reims, Maurice Noirot, Bourguignon de Belan-sur-Ource, – un des fils de Paroissien le Virgile, mort à la fleur de l’âge, – Bouchez et Paul Osouf, des tissus, – Brisset des biscuits, – Charles Arnould, sommité locale, enfant terrible de la politique républicaine à Reims et successeur à l’Hôtel de Ville de son copain Noirot.
Puis, Benjamin David, neveu du bloussier alsacien Samuel Moch, et acheteur à Londres, en laines coloniales, pour le compte de la maison Albert Marteau et fils, réfugié en 1914 à Nevers, en compagnie de son épouse, une couturière de la rue de Monsieur, Mlle Lefebvre.
David, ex-premier prix de violoncelle au Conservatoire de Strasbourg, fréquentait la sainte table de Gélu depuis 1873.
Les boute-en-train de la tablée, présidée par le beau Christian, de la maison Goulden, furent sans contredit le remuant et actif Félix Pilton, fils du vétérinaire et son ami Jules Thomas, tous deux bloussiers de premier plan.
De la laine, aussi, Georges Gaillet et Joseph Rémond. Dix autres encore, outre ces deux étoiles musicales rémoises successives, Ernest Lefèvre et Charles Stenger.
Cette équipe, au surplus, est postérieure à l’année 1879, dans sa majeure partie. Les seniors avaient depuis longtemps quitté cette vallée arrosée – oh ! très peu – de Lacryma-Christi !
Un excellent piano aidait aux charmes artistiques de ce salon intellectuel et culinaire, où les arts bachiques ne s’opposaient pas aux arts plastiques, lyriques et dramatiques, d’un esthétisme diversifié. On y consacra, avant-guerre, des soirées concertantes où brillèrent les as de la scène rémoise.
En ces dernières années, ces artistes remarquables : Mme Panseron, puis le tout jeune et adorable ténor léger Claude Jean, étoile filante de notre firmament musicale. Edmond Petit, décédé avant-guerre, y tenait l’instrument d’accompagnement.
Quand les derniers survivants de la phalange épicurienne recrutée par les Gélu auront rejoint les mânes de leurs compagnons infortunés, arrachés à la douceur de vivre avant-guerre, il ne restera rien de ces souvenirs alléchants, qui surexcitent la plume des mémorialistes, pour leur tourment et leur châtiment !
Ah ! Félix, indolent narrateur, que ne prends-tu pitié de ceux qui vont s’élancer sur la liste où tu accomplis tant de randonnées vagabondes pour y suivre tes sillons gazonnés d’herbes folles ! Que de savoureuses historiettes a recélées en vain ta matière grise et que ta mémoire pourrait faire revivre pour l’ébaudissement des fils adoptifs de la louve ! Faut-il en faire son deuil définitif ?
Décès du marbrier-monumentiste Coquet-Lallier, mort à 41 ans, boulevard du Temple, 52. Ses voisins Henri Bussières et Adolphe Flajollet, – ce dernier devait prendre sa succession –, assistent la veuve aux obsèques.
Disparition de Remi Auguste Maille, 74 ans, ancien notaire, qui avait tenu l’emploi de secrétaire à la Mairie de Reims, rue des Anglais, n° 10 ; il était le fils de Maille-Regnart. Il a deux neveux héritiers : Jules Maille, fabricant, rue Sainte-Marguerite, 34, vis-à-vis de la rue de l’Hôpital, et Émile Maille, rue Buirette, 32.
Un agriculteur réputé, ancien fabricant, Charles Bouquet-Potier, âgé de 72 ans, fils de Jacques Bouquet-Jajot. Sa ferme longeait la rue de Beine et le champ dit des Coutures, derrière l’usine Lelarge. Son gendre, Jules Demaison, et le fils de celui-ci, Louis Demaison, personnalités éminentes de la vie locale, habitent rue Rogier, 9.
Dans les hautes sphères de la bourgeoisie rémoise, on est enclin à faire honneur, plus que de mesure, au célibat, sans doute par esprit de sacrifice et pour ne pas s’exposer à départager et disséminer des fortunes lentement et opiniâtrement acquises, – ce qui est une forme de l’égoïsme et de cette tendance exagérée à l’épargne qui fit de la France le réservoir des peuples sans le sou, la vache à lait de la finance internationale.
Chez les Assy, vieille famille du pays, on ne résiste pas à l’emprise de ce fâcheux exemple, et le petit Ernest, au nez bourbonien et aux yeux pétillants de malice sous un crâne au poil dru, s’en va à 72 ans, sans avoir consenti aux joies relatives et aux déboires assurés du conjungo.
C’était un enfant de la laine, remarquables porteur de paquets de chicorée, trottant menu, causant serré, s’insinuant sans difficultés dans ce monde de la fabrique où il ne confrontait que ses pairs ou parents, ayant eu les voies aplanies par le vieil Antoine Philippe Assy-Olivier. Chez les Givelet, il était de la maison, par un cousinage de premier jus. Il habitait quand il mourut rue de la Peirière, 14, dans le quartier de la laine et des tissus.
Dans les chantiers de triage, il était usuel, au rappel de souvenirs du temps où Ernest Assy faisait trier de la laine, de prononcer la phrase sacramentelle suivante : Te rappelles-tu ? c’était au temps d’Ernest Assy, vers 1863 !...
Cette date spécifiait pour tous un événement des temps mérovingiens, d’une époque où les anciens de la profession tenaient le haut du pavé, et où il était d’usage de déclarer qu’ « après les Trieurs, c’est l’Empereur ! »
Bien déchue depuis, la corporation, par la faute de ceux marchandeurs et peigneurs pour qui la quantité de production importait davantage que la qualité.
Des petits, des modestes, – et Reims en est surpeuplé ! – n’échappent pas à la loi commune. Place aux gens pressés !
Voici un limonadier, Viart-Bouchard, prédécesseur d’Allain, au 55, rue Chanzy, futur passage Marlier. Point d’autre histoire : pourtant, ces caboulots à comptoir d’étain et tables poisseuses, tout comme les ateliers de coiffure, sont les véritables forums de la plèbe, et il s’y raconte des fables et s’y façonne des rumeurs sans nombre !
La mère Chopin qui après avoir ouvert, en 1869, une gargote où foisonnèrent des Suisses, rue du Jard, 26, était allée demeurer rue des Augustins, 10, après avoir cédé son fonds à sa nièce, devenue Mme Brunet-Lécossois.
À son tour, Brunet, ayant lâché la poêle et la papinette pour apprendre le métier de fumiste chez Hupin-Kalas, successeur d’Eugène Auger, place Godinot, c’est un paysan de Trigny, du nom de Luzurier, qui reprendra le fonds et la clientèle.
Ismérie Chopin décède à 59 ans : elle en paraissait aisément le double !
Puis arrive le tour du petit père Chevalaz, qui tenait le cabaret à l’angle du boulevard Cérès et de la rue Houzeau-Muiron, où il eut pour successeurs Moret, père du docteur-médecin de ce nom, et Élie Mauclert.
Les débitants de boissons ne sont pas ménagés par la Camarde, à preuve cette autre victime, Charles Lerzy, décédé à 50 ans, rue des Augustins, 21, laissant deux filles, dont l’une, Eugénie, devait épouser un Ardennais de Bazeilles, le jeune Charles Lecomte, alors comptable dans le voisinage, chez le lainier Gustave Hédin.
Mme Charles Lerzy était une Guinot, de Liry (Ardennes), Charles Lecomte est mort en 1916 à Aix-en-Provence, où il s’était réfugié chez le gendre de Maupinot, du Lycée de Reims, dont la fille était institutrice.
Mme Lecomte-Lerzy décéda en 1925, dans son immeuble de la rue du Bastion, 48.
Le 7 novembre, précisément, s’éteignait une de ces Guinot, sœur de Mme Lerzy, Adèle, veuve en premières noces d’un Nicolas André Dupont, et épouse en secondes noces du père Melchior Nitzsché, demeurant rue du Levant, 19. Signent à l’état civil : Félix Benoist, fabricant, âgé de 72 ans, et Jean-Baptiste Fontaine, successeur de Nitzsché à la chaire de langue allemande du Lycée.
Jules Auger, fabricant, 43 ans, né à Illy (Ardennes), demeurant rue Saint-Yon, 2, et époux de Marie Lucie Picard. Il était le fils de Joseph Thomas Auger.
Pauline Léonie Frissard, 38 ans, épouse de Alfred Renard, négociant en laines, rue des Capucins, 71, et fille de Frissart-Benoist.
L’organiste à Saint-Maurice, Stévenet, âgé de 52 ans, demeurant rue du Barbâtre, 150.
Louis Teisset, de la maison Teisset & Jallade, mort à 24 ans, à Clermont-Ferrand.
Maurice Arnoux, 69 ans, professeur de musique, rue du Bourg-Saint-Denis, 46. Haute silhouette penchée comme un lotus sur les bords du Nil, redingote et souliers plats à boucles, teint rose sous une touffe de cheveux blancs bouclés, – tête d’artiste moyenâgeux, musicien à toutes fins, nullement transcendant, dont les vieux jours sont embrumés par les frasques d’un gendre volage, violoniste talentueux, Mathiot !
Lagarde-Deligny, octogénaire de Villers-Marmery, père de l’imprimeur A. Lagarde, au Courrier de la Champagne, rue Notre-Dame.
Cet autre octogénaire, Jouanetaud, ex-constructeur de bâtisses rémoises, rue du Cimetière-de-la-Madeleine, 16.
Tous avaient empli leur existence d’œuvres, de gestes et de pensées ; nul d’entre ceux-là ne s’était tourné les pouces une minute, dans l’attente de la manne céleste et comme tels font partie de l’immense et indéfectible cohorte des êtres de bonne volonté auxquels la vie céleste fut de tout temps promise par les voix divines et leurs hauts-parleurs, nos prêtres et philosophes de tous les cultes et de toutes les oraisons !
1880
Parmi les trépassés inscrits à ce nécrologe, citons :
Le dentiste Olivier Fontenelle, 60 ans, boulevard des Promenades, 25 : natif d’Épinay (Nord), il avait commencé à exercer ses talents sur nos mâchoires, en 1870, au moyen de cet outil primitif appelé scientifiquement bec-de-corbin, et, dans le popu, bec-de-corbeau, vocable beaucoup plus imagé.
Suivent : l’ébéniste Bara (Pierre Remi), fils de Bara-Charpentier, long comme un jour sans pain, sec comme une trique de maquignon, et chantre à Saint-Maurice.
La mère Déquet, Marie Nicolle Coutier, veuve d’un scieur de long, qui, chassée de son réduit de la rue du Jard, 23, par les démolisseurs de cet enclos séculaire, va terminer ses 75 années de vie puérile et dépourvue de tout lustre chez son fils, charpentier aussi, au n° 28, non loin de là.
L’Auvergnat Théodore Pezon, fils du célèbre dompteur d’animaux féroces, reçoit le coup de la mort pendant les parades de la foire du Jour de l’An, sur la place d’Erlon et son carrefour où abondent les courants d’air, et a juste le temps de transporter ses lions, panthères, ours et serpents, à Châlons, dont la foire est consécutive à la nôtre, pour y mourir à 39 ans.
Le 12 janvier, la Tante Clément disparaît de notre horizon : des générations de bambinos connurent la férule et les caresses de cette gardeuse de mioches des deux sexes qui, de la rue de l’Arbalète, avait transporté ses pénates, son martinet et ses lunettes rondes à loupe au n° 4 de la rue Libergier, dans une véritable masure adjacente au café Saint-Denis et qui subsista jusqu’à la Grande-Guerre. La Tante Clément disparaît aux extrêmes confins de la vieillesse, âgée de 86 ans, laissant à sa sœur Clémentine le soin de continuer sa classe enfantine jusqu’à extinction de sa race.
Le 7 février s’éteint, rue Brûlée, 9, une femme de bien, Delphine de Miremont, supérieure laïque d’un pensionnat religieux pour orphelines. Née à Brienne-lès-Asfeld, d’une famille rémoise qui avait sa maison de ville à Reims, rue Saint-Hilaire, elle avait voué sa jeunesse aux malades, et c’est en 1840 qu’elle ouvrit les portes de son orphelinat rue Brûlée, 48, pour le transférer rue du Bourg-Saint-Denis, sur des terrains occupés plus tard par la Compagnie du gaz.
En 1848, ses quarante pupilles furent définitivement installées rue Brûlée, 9, vis-à-vis la rue des Treize-Maisons (Boulard).
À peu près à la même époque décède subitement, au retour d’un voyage à Meaux, le chanoine Gérard, neveu du cardinal Gousset, dont il avait le physique et la ressemblance.
Reçu prêtre en 1844, au sortir du séminaire de Luxeuil, il tint les archives de l’Archevêché de Reims, puis fut aumônier au Pensionnat des Frères et à l’Enfant-Jésus. Voix puissante, style original et fleuri, pensées neuves et ingénieuses écrit de lui l’abbé Cerf, et de la logique, avec un cœur d’or sous des apparences bourrues. Son visage reproduisait les traits communs de son oncle le cardinal, dont il avait en outre la carrure imposante, les gestes impulsifs.
C’est le 3 janvier au sortir de la gare, et non loin de sa demeure, qu’il fut frappé de congestion cérébrale, à hauteur de la librairie Godet, successeur de Rêve, rue Saint-Étienne, et à l’angle de la rue du Cardinal-de-Lorraine, ce prélat remarquable dont le portrait servait d’enseigne à une boutique aux murailles vétustes et hydropiques, étranglant la voie publique à cet endroit si animé du centre industriel local.
L’abbé Thiébault, professeur au Petit Séminaire, reçut ses dernières paroles : Je meurs ! Avec cet homme disparaissait l’une des plus sympathiques silhouettes rémoises de nos rues, où on le rencontrait, allant de ses longues jambes, et, comme Thomas Gousset, plus souvent à pied qu’en voiture.
Le 28 de ce même mois, le verglas de nos rues provoque la chute, suivie de mort, d’un de nos plus considérables concitoyens : Charles Lochet, époux d’Annette Wirbel, âgé de 73 ans, et demeurant rue du Cloître, 13. Lochet fut conseiller prud’homme dès 1838, et conseiller municipal pendant 15 ans.
Son voisin, l’ex-fabricant Théodulphe Dervin, né à La Malmaison, près Sery (Ardennes), décède, place Godi-not, 1, à 70 ans.
Gabriel Stef, de Metz, 75 ans, dont la filature, rue de Courcelles, 45, a pour directeur technique Eugène Fortin, alors âgé de 42 ans, et successeur du jeune Numa Aubert, sous-officier au 25e d’artillerie à Châlons.
Une disparition qui, dans le brouhaha de la vie rémoise, passa inaperçue, fut celle du Philosophe de la Sagesse, personnage local ignoré des penseurs et des activistes de la cité rémoise, sauf en cette région montagneuse sise entre la rue du Jard et le quartier de Fléchambault, où régna de tous temps un réel penchant pour ces aimables loufoques que l’abus du mêlé cassis ou du sirop de chez Vitu plonge, par intervalles hebdomadaires, aux fins de semaine, dans le nirvana des ivresses interdites par le Code, et que leur amour du prochain entraîne à la prédication en plein air, au coin des rues où des bornes sympathiques s’offrent fraternellement à leurs derrières alourdis sur des jambes flageolantes.
Francotte fut de ceux-là, et parmi les plus célèbres de l’époque : c’était un petit bonhomme à la face glabre, ridée, piquetée de chiures de mouches, aux mains coloriées tantôt violet, tantôt noir, tantôt marengo, voire de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, car il était ouvrier teinturier çà et là, au hasard des crises ou des poussées de l’article, chez les Boutarel du Jard ou les Mongrenier de Fléchambault.
Régulièrement, aux samedis payants, gris de joie et de petits verres, Victor Francotte distribuait aux enfants des rues les quelques sous d’un salaire péniblement amassé au long de la semaine, devant la cuve aux vapeurs inoffensives mais malodorantes du bois de campèche ou du bleu de Prusse. Le « pôvre », variant ses logis, avait fini par échouer, au sortir de la Prison, après avoir acquitté sa dette à une société vraiment marâtre, rue du Champ-de-Mars, 84, sous les toits, et l’impitoyable thermomètre, au mercure recroquevillé, en fait un lamentable glaçon de chair et d’os que les croque-morts vont se hâter de descendre, au cimetière tout proche, dans la fosse commune où ses cendres ne tiendront certes pas la place que sa personne avait tenue sur cette terre ingrate !
Laure Athénaïse, 54 ans, de Pourcy, fille de Nicolas Minelle-Durantel, veuve de Gabriel Armand Neuville et mère de Maurice et Dominique, teinturiers au chemin Passe-Demoiselles. Le directeur de l’usine a nom Alphonse Champenois.
Prudent Desingly, ex-marchand de laines, de Sainte-Marie-à-Py, 49 ans, rue Petit-Roland, fils d’Olivier Desingly-Gallois, frère de Clovis, fabricant, rue du Jard 49, et cousin de Remi Nicaise Viellard, trieur de laines.
Frédéric Amsler, fabricant de papier, au Château-d’Eau, perd son père, Louis Henri, 71 ans, ex-professeur de sciences et originaire de Landau (Bavière). Il était veuf de Virginie Heyderieck. Parmi les intimes, Frédéric Léon Bipper, professeur de fabrication, alors âgé de 36 ans.
Le vieux musicien Tobie, né à Caen en 1802, est assisté à ses derniers moments par son voisin Franchecour, mesureur de tissus, rue Rogier, n° 3.
Une personnalité bien connue là-haut, vers Saint-Remi, et un bon homme, en vérité, le vieil Harman (Toussaint Gérard), presqu’octogénaire, économe aux Hospices, père du docteur Harman, et demeurant rue Boulard, 13.
Louis Rœderer, 35 ans, meurt subitement de rupture d’anévrisme, dans l’immeuble rue des Deux-Anges, légué plus tard à la Ville par les Olry-Rœderer, pour y installer une école de musique.
Marie-Claire Carette, veuve Alloënd-Bessand, pensionnaire de la Légion d’honneur, 82 ans, fille de Carette-Nadal, commandant du génie, belle-mère de Victor Portevin, rue de la Belle-Image, 2.
Un jeune écolier de 15 ans, William Smith, fils de Jean, contremaître au peignage Isaac Holden, et de Hélène Rayner, est écrasé par un camion à La Haubette, le 26 avril.
Élie Berry, 48 ans, né à Neuflize (Ardennes), – marchand de toiles et chiffons, rue Clicquot-Blervache, 4, époux de Marie Papeguay, beau père de son successeur Lefèvre, rue de Belfort.
Pierre Martin Goffart, type des rues, natif de Rethel et marchand d’eau de javelle sur voiturette à âne, rue Brûlée, 36, époux de Sophie Goffinet et locataire du charcutier Fortelle. De petite taille, sous chapeau tyrolien, portant moustache et barbiche à l’impériale, jovial et impertinent, à la répartie piquante et subtile, tenant glorieusement tête aux commères gouailleuses, et d’une voie perçante accompagnée du carillon de sa grêle sonnette, claironne sa présence, accompagné des hi-hans de son compagnon aux longues oreilles.
Ne dissimulons pas les regrets ancillaires provoqués par la disparition de ces marionnettes rémoises, dont nos rues furent jadis le théâtre, minuscules ambulants de tous métiers et de tous commerces, avec leurs branlantes et primitives roulottes autrement pittoresques et plaisantes que nos modernes et lourdauds berliets à l’haleine empoisonnante et nos coquets citroëns à la course ailée, corsetés de zinc et peinturlurés de jaune-citron, qui font loucher les concurrents. Il y a des loucheurs partout !
Encore quelques-uns, bien connus du Tout-Reims :
Victor Doré, le bossu du Mont-de-Piété, neveu de la vieille Mlle Delahaye, lequel meurt à 41 ans, retiré des affaires, rue de Contrai, 24.
Dans le voisinage, au 42, c’est Mme Gruny la repasseuse, 67 ans.
René Fassin dit le Jeune, à 58 ans, disparu le 17 septembre, en sa propriété de Cormontreuil.
À Saint-Thierry décède, à 81 ans, l’ancien juge au Tribunal de commerce et conseiller général du 1er canton, Camu-Bertherand, beau-père de Jullien, vice-président du Tribunal civil, de M. de Sapicourt, connu au 46e territorial et de M. de Fay.
La toute jeune Juliette Perseval, 23 ans, épouse du docteur Seuvre, rue du Bourg-Saint-Denis, 9.
Victor Labbé, 65 ans, directeur de la Pension Saint-Charles, rue Sainte-Catherine, 2, établissement pédagogique réputé par les fils de la boutiquerie rémoise, coincée alors entre le grand négoce et la petite industrie (clients attitrés du Lycée ou du Pensionnat des Frères de la rue de Venise) et la classe ouvrière que fréquente les écoles primaires gratuites.
On ne saurait mieux définir les compartiments qui séparaient alors la « Famille Rémoise », en ses manifestations sociales. Ces distinctions s’effaceront peut-être, mais dans un avenir auquel on ne saurait fixer d’aurore. L’important serait que le paupérisme disparût à jamais de l’ensemble : le reste n’aurait pas plus d’importance que cet engrais appelé la roupie de singe.
D’ici là, entonnons, pour nous distraire et échapper aux pensers ironiques et désabusés, des alleluia et des hosannah aussi creux que navets hors saison !
Me Rome, le père, meurt prématurément à 67 ans : en 1868, il avait été maire intérimaire de sa ville natale après la démission d’Édouard Werlé, pour remplir ensuite les fonctions d’adjoint sous Simon Dauphinot et Henri Paris.
Sophie Muller, épouse d’Auguste Esteulle, rue Houzeau-Muiron, 16, âgée de 52 ans.
Le papa Delvincourt, dont le nom s’adorne de nombreux et curieux patronymes, afin de multiplier les anniversaires et les fêtes de famille : Désiré Démétrius Philogène Bertill Guillaume Marie, – fait la blague à Totor, notre piston-solo des Pompiers de le rendre orphelin sur le tard, car ce brave limonadier de la rue du Carrouge décède à 75 ans, alors même que son apparence physique le destinait au centenariat.
Eugénie Fassin, 53 ans, épouse de Hubert Delarsille, 5, boulevard du Temple.
Ne délaissons cependant pas ces propos funèbres sans jeter un dernier adieu à cet employé de la laine, mutua-liste de la première heure, Alfred Pothé, comptable au ser-vice de Gadiot, le grand Gadiot, cet éternel mâchonneur de cigares, lequel ne se privait pas de tirer les oreilles de son serviteur lorsque celui-ci avait prolongé ses ébats, au Café de Reims, à boire chopine en compagnie de ces Messieurs de la Fabrique, venus peloter partie là, ou au Café Cérès, –vis-à-vis –, une fois leur Place terminée.
Le jovial Alfred décède à l’Hôtel-Dieu, à 46 ans, après une aventure peu luisante qui lui était advenue quelques mois auparavant. À tout péché miséricorde ! Car celui-là avait dû expérimenter de longues années l’existence péni-ble du père de famille au salaire insuffisant pour parer à l’entretien de cinq garçons et filles, à l’appétit ouvert et aux goûts dispendieux. Pauvres d’eux, ces réprouvés qui ont à subir un tel purgatoire sur terre !!
Enfin, pour clore cette lugubre revue, accordons un souvenir à ce serviteur de la presse et des lettres rémoises, le prote Francis Albustroff-Mandon, rue Saint-Hilaire, 1, né à Verdun, qui après avoir été au service de l’imprimeur Gérard pendant 35 années consécutives, meurt le 30 décembre, à 62 ans. Témoins : Paul Masson, imprimeur rue de la Grue, 6, et Nicolas Reims, employé de chemin de fer, rue Cotta, 1.
D’autres décès, et en nombre, égarés dans nos paperasses . Ressuscitons ces compagnons de misère terrestre !
Charles Philippot, 39 ans, de la laine, boulevard Gerbert, époux de M. L. Vermillac, 33 ans ; il est fils de Jean-Marie Philippot, fabricant, dit J.-M. Farina. Témoins : J. Arnould Millet, fabricant, 42 ans, rue Ponsardin, 29 ; et son fils Ovide.
Augustin Auger-Poret, 60 ans, fabricant, rue Gerbert, 20, fils de David Auger-Didier, dont le petit-fils Eugène, 33 ans, est ferblantier-lampiste à l’enseigne : À la Fontaine Godinot, rue Saint-Étienne, 28. Eugène Auger fut un réel artiste de l’illustration, et Victor Diancourt lui avait confié ses plus belles éditions à orner de ses gracieux dessins. Ernest Kalas a écrit sa biographie.
Louis Lié Corbelly, comptable, beau-père de Eugène Auger, décède à 55 ans, rue de Vesle, 47.
Marie Eugène Laidebeur, de La Neuville-au-Pont, 37 ans, architecte, rue de Vesle, 26, de Laidebeur-Gay.
Arthur Hansen, 26 ans, place Godinot, 8, fils de Théodore Hansen-Ulrich, garçon de magasin, ayant pour collègue Henri Thiltgès, 32 ans, rue Saint-Pierre-les-Dames, 9.
1881
Cueillons maintenant dans le Champ des Morts, aux fleurs de toutes saisons, un pâle bouquet dont le parfum modeste embaumera le Salon du Souvenir !
Dès le 1er janvier décède, à 63 ans, le marchand tailleur d’habits Louis Roppé-Sculfort, dont le magasin occupe le rez-de-chaussée d’un immeuble moyenâgeux portant l’enseigne : À Saint-Jacques, angle place d’Erlon et rue Buirette.
La série, ouverte ainsi sans délai avant même que la jeune année ait déchachouillé ses yeux candides et perfides à la fois, et reconnu les aîtres, vont prendre place dans la Danse Macabre :
Théodore Gaudefroy-Gâtinois, de Condé-sur-Suippe, desservant le Café de l’Université, au coin de la rue des Murs : 61 ans.
La famille Saint-Aubin est en deuil de Dame Florence Antoinette Mercier, 54 ans, épouse de Charles Sébas-tien Saint-Aubin, courtier en laines, rue Clovis, 41. Elle était la mère du lainier Jules Saint-Aubin, capitaine au 46e Territorial, qui décèdera en 1917, et l’aïeule du docteur Henri Saint-Aubin, de Mme Victor Lemoine et de Mlle Charlotte.
La seconde femme du musicien Cazé, petite vieille toute ridée de 77 ans, Marie-Claude Baligeon, rue des Fusiliers, 6. Cazé ira habiter rue du Bourg-Saint-Denis, 58, dans la maison du fumiste Thibaut-Lanser. Jusqu’à son décès, un ami des plus précieux, le maître-plombier Amédée Houlon, pourvoira aux besoins de cet apôtre de la Fraternité, usé par le travail et les soucis d’une longue existence.
À Paris s’éteint à 80 ans, Alexis Paulin Paris, père de l’historien Gaston Paris, oncle de l’avocat Henri Paris.
À Hermonville, le docteur Maldan, 74 ans, directeur de l’École de Médecine depuis 1865. Maldan avait suivi sa propre agonie en pleine connaissance et lutté contre la mort. Aux amis éplorés qui veillaient à son chevet il assurait : Si demain je ne vais pas mieux, dans trois jours je serai mort ! Lorsqu’il se sent définitivement perdu, il fait demander une voiture de place et conduire à l’Hôtel-Dieu, afin d’y mettre tout en ordre en vue de son successeur. Dépêchons-nous ! Il faut terminer vite ces arrangements et... mourir ! N’est-ce pas de toute grandeur ?
Adolphe Maucurier-Trouillot, de Bayonville (Ardennes), 59 ans, rue Marlot, 13, père de Henri, assureur, et neveu du chanoine Quéant.
Une vendeuse de journaux, rue de l’Étape, 21, Mme Chêne-Caranjeot, dont le mari est professeur d’escrime, canne et bâton.
Pierre Auguste Jacob, fumiste rue de Tambour, 3, 58 ans, père du gérant d’immeubles de la rue de la Renfermerie.
Victor Rogelet-Palloteau décède à Vaudétré, près Heutrégiville, à 68 ans. Le chef-trieur à l’usine Rogelet, rue St Thierry, Ponce Bonneterre, musicien de talent, prononce un adieu émouvant sur la tombe du regretté philanthrope.
Le 10 juin, à Paris, obsèques du vicomte Edgar de Brimont, 52 ans, habitant à Reims, rue Salin, 4, et à Enghien, où il mourut. Sa veuve, Mina Sheppard, avait jadis donné asile, en Angleterre, au prince Louis-Napoléon Bonaparte, qui en garda reconnaissance à sa famille. Elle fit partie des Femmes du Second Empire. Intrigante, fort à la mode, elle avait été demandée en mariage, quand mourut Delphine Gay, par Émile de Girardin ; mais il eut rupture à la veille de la cérémonie. Par la suite, elle devint vicomtesse Ruinart de Brimont ; se séparant de son mari de façade, à l’amiable, pour vivre à sa guise et mener retraite chez une belle-soeur. De taille moyenne, fausse maigre, avec de grands yeux vairons, une bouche d’enfant et de petites mains, cheveux dorés à la Titien. Elle habite rue Montaigne, où Danaé se réjouit des rumeurs malignes dont la presse mondaine se délecte à son propos. Libre-penseuse et, en 1881, ralliée au régime, elle est de l’intimité de Mmes Juliette Adam et Arnaud de l’Ariège.
Henry Paul Jacquemart-Gros, de la laine, 62 ans, frappé d’embolie en chasse, au moment où il vient d’abattre un lièvre dans la propriété de son beau-père, à La Paulmerie, près Suizy-le-Franc.
Mme Antoine Savinien Reinneville-Bouillon, 48 ans, rue David, 49.
Le colonel Canart, gouverneur du Sénégal, né à Rocroi. Dès l’âge de 3 ans, il entre à l’école d’asile de la rue Simon à Reims. À 7 ans, on l’arrache de l’école primaire des Frères, rue Perdue, pour le clouer, rattacheur à la filature Barbier-Maloteaux. Ouvrier fileur à son tour, il reste attaché à ce labeur pendant 11 ans. À 18 ans, il s’engage aux Chasseurs d’Afrique, permute aux spahis et fait campagne au Sénégal. Après 30 ans de service, il est colonel, à Médéah.
Eugénie Chausson, veuve Soussillon, 67 ans, chez son fils Lucien, tissus, rue d’Anjou, 8.
Le propriétaire de la maison voisine, nº 14, Lefert-Desmarest, ex-épicier aux Loges-Coquault, 70 ans, rue du Bourg-Saint-Denis, 43.
Le centenaire Tapin, receveur aux Domaines, avait une sœur, Marie-Claire, veuve du docteur Besnard du Val, laquelle décède à 75 ans rue Noël, 10.
Le rabbin Simon Lévy qui, depuis le 4 septembre 1875, occupait le rabbinat créé à cette date à Reims, meurt en son domicile à la Synagogue même, au 2e étage, dans la cour Morceau (rue Henri Jadart).
Il pleut aussi sur le Temple : mort de Edmond Goulden-Arbouin, fabricant de tissus, 47 ans, originaire de 18 airs, fils de Bischwiller, fils de Goulden-Bertrand. Deux jeunes serviteurs de la laine, sont témoins : Louis Picard, fils de Jules, rue Ponsardin, 80, et Alfred Strohl, courtier en blousses, rue Linguet.
Charles Hannikenne-Chardainne, 57 ans, débitant, rue du Barbâtre, 25. Ce dernier nom réveille le propos d’un éleveur de bestiaux en réponse à la réclamation d’un client auquel Chardainne livrait une vache dépourvue de son vis-cère principal : Ma vache n’a pas de cœur ! De là le dicton : Être comme la vache à Chardainne ! à l’adresse de ceux qui restent indifférents aux peines de leur prochain ou sur les questions de conscience et d’honneur.
Le professeur de violon Antoine Guibart, 70 ans, chez son fils Anatole, rue de Châtivesle, 6. Il était Rethélois d’origine, fils de Guibart-Doche. Haut de taille, d’une carrure athlétique et le visage au teint de brique, le cheveu rare, favoris poivre-et-sel, viveur, rieur, buveur. Ménétrier de première classe, chef réputé pour orchestres de bal, second violon au Théâtre.
Anna Holden, 56 ans, née à Paisley (Écosse), épouse de Jérémie Baistow, contremaître de peignage, fille de Jean Holden-Baistow, qui avait pour collègue et ami, Thomas Hodgson.
Maurice Houzeau, 27 ans, fils de Jules.
Jean-François Hubert, 54 ans, charbonnier venu de la rue Vauthier-le-Noir jusqu’à la rue Landouzy, 38, après qu’on eût démoli sa bagnole pour l’agrandissement du Lycée. Né à Florenville (Belgique) de Hubert-Longeville et époux de Jeanne Naviaux. Témoins : Jules Naviaux, lui aussi charbonnier, et Jérôme Cérac, 41 ans, épicier-liquoriste rue du Bourg-Saint-Denis, 103.
Jean-Marie Jacquier, 71 ans, restaurateur au Chat-Friand rue Nanteuil, 4. Époux de Marie Jayet, fils de Jacquier-Macquart, de Mourmelon-le-Grand ; père de Adolphe Isaïe, 35 ans, épicier rue Cérès, 5, et beau-père de Adolphe Tuniot, commis-architecte, rue Jacquart.
Vincent Laby, 60 ans, de Vaupoisson (Aube), prédé-cesseur de Auguste Laby, son fils, pharmacien à l’angle des rues du Faubourg Cérès et Cernay.
Jacques Charles Théodore Kunkelmann, 69 ans, de Mannheim (Bade) époux de Marie Catherine Ferdinande Dietz.
Napoléon Larive, 74 ans, de Dormans, maître-apprêteur rue Gerbert, 16, époux de Césarine Salle.
Florent Lecreux, 76 ans, ex-retordeur d’échées, rue de Contrai (emplacement actuel d’une vespasienne), habitant rue du Jard, 84. Veuf de Marie Adélaïde Pierlot, fils de Lecreux-Varoquier, et oncle de Charles Lecreux, dit Bouillon-de-Veau, menuisier rue Hincmar, 3. Parmi les témoins, Augustin Étienne de Challerange, dit le Petit-Bossu, trieur de laines, fils de Nicolas.
L’adjoint au Maire Charles Loche, 52 ans, – vins en gros, rue des Moissons, 12, fils de Loche-Cochet et époux de Zoé Massé.
Marie Valentine Lundy, 65 ans, rue de Talleyrand, 45, veuve de Victor Rome, avoué et adjoint au Maire, fille de Dieudonné Lundy-Gigot.
François Missa, de Villers-Franqueux, ex-aubergiste, fils de Missa-Marlot, et époux de Eugénie Dantheny. Sa petite-fille, sœur du séminariste Louis Duval, futur organiste à Notre-Dame, épousera Léon Belleville, professeur de musique, faubourg de Laon.
Louis, vicomte de Montfort, 80 ans, maire de Sainte-Euphraise. Fils d’Alexandre et de Marie-Antoinette de Lapersonne, et oncle de Octave Folliart, courtier en laines.
Arthur Baudesson, 56 ans, de Courcy, roulage, rue des Moissons, 21, époux de Jeanne Contet, fils de Baudesson-Rouget. Témoins : Victor Contet ; Jules Martin, des Tissus, futur beau-père du peintre Paul Bocquet, et habitant rue Petit-Roland, 24.
Marie Jeanne Pannet, 77 ans, esplanade Cérès, fille de Pannet-Lefèvre, veuve de Jean-Baptiste Gillet.
Marie Mélanie Parpaite, de Carignan, 71 ans, boulevard du Temple, 24, veuve de Jules Pierrard, peigneur et filateur de laines.
Jean Nicolas Pierquin, de Rethel, 87 ans, ex-charcutier, dont le fils Remy Constant habite rue de l’Échauderie.
Louis Félicien Bliard, de Ville-sur-Tourbe, 56 ans, missionnaire, rue des Tournelles. Fils de Bliard-Gigault. Le de cujus a un frère, Joseph, professeur de sciences.
Théodore Collet, de Sommepy, 61 ans, fabricant de mérinos, anciennement au Grand-Saint-Pierre, puis boulevard Saint-Marceaux. Le fondateur de cette maison, Collet-Varenne, avait été peigneur de laines à Sommepy.
Guillaume Delécluse, 68 ans, rue de la Renfermerie, veuf de Eugénie Wirbel, fils de Delécluse-Siret. Témoins : son gendre, marchand de tissus, rue des Élus 25, et son fils Eugène.
Jean Esteulle, de Nîmes, tailleur d’habits et frère de l’ingénieur Ernest.
Eugène Gobinet, 52 ans, ex-fabricant, rue des Capucins, 149. Né à Saint-Michel (Aisne). On le disait issu des œuvres de Schneider, du Creusot, au temps où ce futur président du Corps législatif, sous l’Empire, était contremaître de filature aux Longuaux, à Reims. Sa mère s’appelait Sophie Gobinet. Bonhomme tout scintillant, aux yeux vifs et gris, toujours en redingote et souliers à lacets.
Stanislas Bourlon, de Hans près Valmy, 63 ans, cordonnier rue des Fusiliers, 3, basse-profonde au lutrin de Notre-Dame. Époux de Marie-Louise Allart, et beau-frère de ce Michel Allart qui fut au service des Goulet, de la Laine, après avoir été attaché à la personne de l’archevêque Lan-driot, en qualité de valet de chambre et porte-mitre.
Pierre Dallier, revendeur, né à Reims le 13 juillet 1812, demeurant rue de Pouilly, 3. Son père était le célèbre fripier du Rang-Sacré, Dallier-Bonnette.
Th. d’Hangest-Santier, 42 ans, fabricant rue Gerbert, 20.
Angèle Delbourg, de Vandy (Ardennes), 69 ans, épouse de Louis Petit, 80 ans, cultivateur Faubourg Cérès, 25, et fille de Delbourg-Sillière.
Édouard d’Hesse, cafetier rue de Mars, angle Boulingrin.
Le contrebassiste à cordes au lutrin de Notre-Dame, Jean-François Pothier, 72 ans, à la Maison de Retraite, veuf de Remiette Saget, fils de Pothier-Lemoine.
Le décès d’un contremaître de peignage, Beuzart, ramène sous notre plume le nom d’un vieux serviteur de la Laine, Nicolas Marguet, son beau-père, 78 ans, rue Montlaurent, qui termine ses jours à la Charité après avoir été à la besogne jusqu’à l’extrême limite de ses forces, en qualité de dégraisseur de laine au Mont-Dieu. En ces temps, la plupart des filatures rémoises avaient leur triage et leur peignage de laines avec machines Heilmann ou Schlumberger. Ces industriels n’auraient, pour l’or du monde, confié leurs matières premières aux peignages à façon, par crainte de mélange, malfaçons ou détournements. Ils faisaient acheter leurs laines par commission directe en plaine de France ou aux enchères de Londres, et en assuraient le triage dans leurs propres ateliers, la matière brute passait de là au lavage, puis à la carderie et aux peigneuses.
Le surplus des qualités indispensables, ils l’achetaient au négoce. Ce n’est que vers la fin du XIXe siècle que disparut, à Reims, le dernier des peignages privés, dont les plus fameux furent ceux du Mont-Dieu (Charles Benoist & Cie), les frères Collet, et J. Poullot. Reims eut trois peignages à façon : les deux Holden (Anciens et Nouveaux Anglais) et Pierrard-Parpaite, ce dernier sur le boulevard du Temple. En 1914, les façons de peignage au kilo de peigné, étaient : pour la laine d’Australie : 60 centimes ; la laine de France ou La Plata et similaires : 45 centimes. Ces tarifs, en 1934, ont subi des variations en concordance avec les approvisionnements, depuis 3 francs jusqu’à 4 francs 20 pour toutes qualités, du n° 1 au nº 6, sans distinction de provenance. En outre, la blousse (matière composée de brins les plus courts d’une mèche de laine, employée en tissus cardés) paie une façon, de 1 franc 80 à 2 francs 80.
C’est dans un de ces triages privés, au Mont-Dieu, que deux des fils du Patron firent leur apprentissage du triage, opération qui est à la base des connaissances indispensables au travail normal de la laine. L’un d’eux, l’aîné Albert (décédé à Reims en 1932) sortait de Polytechnique, et ses tendances l’entraînaient plutôt vers les applications mécaniques. Le cadet (Paul), lui, aimait la laine pour elle-même et les beaux produits manufacturés de ce textile. Son apprentissage dura une année entière, soumis aux mêmes travaux, à la même discipline que les professionnels, et il ne quitta la claie (table d’osier où l’on étale la toison) qu’au soir du jour qu’il put déclarer à tous : Et maintenant, arrive quoi que ce soit, j’ai un métier dans les mains, et je pourrai en vivre ! Bel exemple d’énergie et de simplicité d’un Bourgeois millionnaire qui, à l’instar de tant d’autres, aurait pu s’adonner au doux farniente d’une vie exempte de ce souci : le pain quotidien ! De tels hommes devraient avoir une longue exis-tence... mais ! Paul Benoist est mort à sa cinquantaine, le cœur ulcéré de chagrins !
Dans ce même atelier de triage, transformé depuis la guerre en bureaux et magasins de tissus, passèrent sous les fourches caudines de Louis Joseph Dupont, maître exigeant mais de première valeur, des lainiers de race, qui s’appelaient Jules Saint-Aubin, Félix Pilton et autres, dont notre ville industrielle se félicite d’avoir obtenu le concours !
Ce tableau de chasse de l’horrible mégère qu’est la Camarde s’est allongé outre mesure et, s’il se prolongeait, laisserait croire que la vie va se retirer des veines de notre chère bien-aimée Patrie !
Il n’en est absolument rien ! car une génération vigoureuse et entraînée se tenait prête à la transfusion de son sang à l’usage d’une régénération splendide. Et Reims, même après les plus horribles catastrophes, n’est mort !
1882
Restons à cheval, et, après avoir passé cette revue parmi les Vivants entrons chez les Morts, tête chenue et la bride au corps. Foin des objurgations de cet original défunt, au squelette grimaçant, qui voudrait nous impressionner en forçant à reculer ! Passant, – nous crie-t-il,
Passant, penses-tu passer
Par ce passage
Où, pensant, j’ai passé ?
Si tu n’y penses pas
Passant, tu n’es pas sage,
Car, en n’y pensant pas,
Tu t’y verras passer !
Soit ! entendons les sons graves de cet avis mortuaire, tout en passant outre. Et que notre chapeau salue bien bas ces contemporains disparus !
Antoine Hubert Delarsille, du roulage, fils de Delarsille-Baudet, veuf de Eugénie Fassin.
Françoise Aubert, 69 ans, rue du Cimetière-Saint-Hilaire, fille de Aubert-Renard, veuve de Louis Lochet. Son frère François avait été fabricant, rue du Petit-Four. L’un des témoins : Paul Théophile Gosset, architecte à Alger.
Marie-Louise Robin, nonagénaire, veuve de Aymond Thierrard, mère de l’officier de santé Félix Léon Thierrard, âgé de 60 ans, dit le beau Pâris à cause de la belle Hélène, sa gouvernante ou servante-maîtresse, thaumaturge et pythonisse qui, en 1871, répandait dans le quartier du Jard une prophétie réputée, annonçant les malheurs de la France et l’incendie de Paris : révélation trop posthume pour avoir gardé quelque saveur !
Remi Onésime Ponsart, enfant de Sommepy, lainier rue de l’Écu, 10, époux de sa payse Louise Émélie Rigot, fils de Ponsart-Gaillot, père de ce nerveux concitoyen de la laine que ses confrères avaient ironiquement surnommé l’agneau, malgré qu’il n’en eût ni les apparences ni le tempérament ; très habile et fûté commerçant, connaisseur émérite. Les témoins du décès sont le confrère et pays Julien Collin, rue de l’Avant-Garde, et son propre garçon de magasin, Alexandre Masson, propriétaire-habitant d’un immeuble marqué pour l’abattage, sénile, vétuste, anti-hygiénique, dans le vieux K Rouge, 47.
Le médecin Alfred Bulteau, 30 ans, rue Colbert, 24, fils de Bulteau-Desbonnet, lainier à Roubaix.
Alphonse Diot, de Vigneux (Aisne), 55 ans, rue Ruinart, 24, époux de Adèle Félicie Bourquin. Il avait été agent d’assurances au Bourg-Saint-Denis, 86. Son fils et successeur fut enfant de chœur à Notre-Dame et porte-queue de l’archevêque J. F. Landriot. Son plus proche ami était l’ex-capitaine d’artillerie Henry, manchot à la moustache blanche à crocs, rue des Fusiliers, 26, gérant à la Compagnie du Gaz.
Marie-Charlotte de Cambray, de Mary (Seine-et-Marne), 74 ans, rue de Pouilly, 8, veuve de Max Sutaine, mère de Henri et belle-sœur de Bertherand, rue du Marc, 14.
Nicolas Remi Cullotteau, de Cauroy, 84 ans, ex-boulanger rue de Bétheny, 14. Père du clerc chez le no-taire Mandron, type rémois des mieux réussis qui, bloqué en Belgique au début de la guerre, revint en hâte en sa ville natale, dès l’armistice, et y poursuit une belle carrière d’octogénaire-baladeur, quoique éprouvé par des ennuis de prostate ! Deux tailleurs d’étoffes sont témoins : Arthur Verrier, rue du Bourg-Saint-Denis, 45, puis rue de l’Étape ; et Caurier, rue Colbert, 15.
Beau-père, à ses premières noces, de Charles Couvreur, créateur et propriétaire de l’Hôtel-Crystal, en 1921, et artiste peintre dont les rares productions seront recherchées, notamment certain tableau du Marché à Reims, au XVIIIe siècle. Malin comme un singe et spirituel jusqu’au bout des doigts, il a rimé des triolets pour revues locales, à Épernay. Son père, Alfred Couvreur, dit Léocadie dans les milieux chopinards de la rue Chanzy, surtout au 55 ! était épicier-débitant rue de Contrai, 22.
Marie Nicolle Darcq, de Villers-Allerand, 66 ans, rue Linguet, 11, veuve de Paul Albeau, maître plafonneur, mère de Émile Albeau, constructeur de bâtiments.
Samuel Delacroix, de Contay (Somme), 57 ans, rue Houzeau-Muiron, 22, époux de Marie-Rose Bauchery. Les époux avaient deux fils ; Samuel, caissier au peignage Isaac Holden, rue des Moissons, et Alfred, chef magasinier au même établissement. Isaac venait d’être élu député dans le Yorkshire, à West-Ridding, en remplacement de lord Cavendish, assassiné à Dublin.
Un Sompinat, Philbert Gagnereaux, ex-lainier, 57 ans, rue Andrieux, 13, dont le neveu Albert Bouché, courtier en laines, habite rue du Levant, 6. Son cousin germain, Étienne Bourgeois, est fabricant de cardes.
Marie Anne Célestine Villain, de Faux (Ardennes,) 66 ans, rue du Jard, 80, épouse de Auguste Langlet, courtier en laines, et mère de Félix Langlet, directeur de la Voirie, rue des Augustins, 23, lequel finira ses jours à la Maison de retraite, en 1930.
Napoléon Grandvarlet, Parisien à gros-bec, 75 ans, encolleur de tissus, rue Neuve-de-Courcy, 48. Client sérieux des as du cabaret, Courtin et Ducrot, qui se font un devoir de présider à ses obsèques.
Jean-Baptiste Jallade, de Ronel (Tarn), 61 ans, des tissus, rue de Talleyrand, 16, époux de Marie Adèle Croutelle, et fils de Jallade-Cahuzac. Son beau-frère Ernest Ca-huzac fut magistrat à Nérac. Le Midi avait, de tout temps jaugé les ressources de notre ville et abusé parfois de son hospitalité toute gauloise et désintéressée !
Victorine Aglaé d’Hagnicourt l’Écuyer, native d’Hermonville, 70 ans, veuve de Ange Charles Dubois de Fresnay, dont le fils est lieutenant de vaisseau.
Louis Lochet, 58 ans, rue du Cardinal-de-Lorraine, 15, veuf de Claire Révial, frère d’Émile et oncle du notaire Maireau.
Louis Luzzani, 58 ans, de Sarrebruck, habitant rue de Vesle le bel immeuble où Napoléon fut hébergé en 1814. Fils de Luzzani-Hochepfel, il avait épousé Louise Angélique Petit, et fondé à Reims l’important roulage dirigé après lui par Henri Walbaum, et construit les Magasins généraux de la Porte-Gerbert, où, de 1914 à 1918, l’artillerie française sut dissimuler une batterie de Rimailho, qu ne purent jamais dépister les Boches encavés de Nogent et Berru : les immeubles reçurent les cadeaux de ces gracieux cocos.
Grand et replet, au teint fleuri, visage gras et oblong barré d’une moustache à la Victor-Emmanuel, Luzzani ressemblait au Maréchal Lebœuf ; l’homme au bouton de guêtre.
Le journaliste Charles Martin, de Montbrison (Loire), rédacteur perpétuel de l’Industriel et du Courrier de la Champagne, ardent défenseur de l’Empire après avoir brûlé quelque encens sous le nez de la naïve République de 1848, décède à 68 ans, rue Noël, 9. Qui n’a vu circuler dans nos rues ce court et replet personnage aux yeux d’un bleu affadi par les travaux de plume, les cheveux gris-argenté, caressant de sa fine patte grassouillette et blanche un bouc soyeux à l’impériale ? Il était le beau-frère de Charles Bureau, des Galeries rémoises et en intimité avec le consul de Belgique, Charles Rivart, dont le fils fut un des seconds violons les plus appréciés de la Philharmonique.
Paul Élie Salle, 57 ans, négociant rue de Venise, 34, époux de Irma Froment, fils de Jean-Baptiste Élie Salle-Champagne, et père de l’avocat Maurice Salle.
Ah ! voici que passe la silhouette de Concé père, tête ronde à moustache poivre-et-sel sous calotte de drap, chef de bureau à l’Instruction publique.
Il ne put jamais s’assouplir à cette discipline des fonctionnaires municipaux qui leur fait une juste obligation de faire abstraction de leurs vues et idées personnelles lors-qu’il s’agit d’exécuter des ordres. En 1873, Concé se rebella contre la volonté de l’adjoint au maire, Henri Henrot, chargé de l’Instruction publique, qui lui faisait l’effet d’un diable qui va renverser l’eau des bénitiers !
Concé avait été instituteur primaire ; il a 72 ans. Originaire du Grand-M’nancourt, époux de Pélagie Mahuet, il termine ses jours en rond-de-cuir des mieux constipés et des plus grincheux, rue du Cloître, 23. Son frère Anselme est maître apprêteur rue des Moulins, et son gendre Auguste Haument, professeur de français.
Concé taillait ses crayons à l’Hôtel de Ville dans un étroit bureau, à lumière étriquée et rayons poudreux. Un jour, l’adjoint Henrot ayant terminé son rapport sur la situation pédagogique à Reims, décide le faire autographier. À cet effet, Concé fait appel à quelque élève des Frères des Écoles chrétiennes à écriture et orthographe suffisantes ; le Frère directeur Bérardus lui dépêche un de ses as de sa classe d’honneur, nommé Eugène D… La besogne, une fois troussée, le père du bambin reçoit le salaire du fils : 30 fr. Mais, le fort en ortho, qui avait eu affaire avec celle de M. l’Adjoint, quelque peu brouillé avec Lhomond, se trouvant en présence du cas des quand et quant et, correcteur sévère, déplace mal à-propos une virgule, met un T là où il eût fallu conserver le D de l’auteur. Catastrophe ! le rapport est distribué nanti de sa grossière faute.
Ah ! ces gorges chaudes au journal de Charles Martin ! Il y eut suite d’articles s’ingéniant à démontrer aux Rémois que leur délégué à l’Instruction publique ferait bon usage de ses loisirs en consacrant quelques soirs aux cours d’adultes dénommée : École du Soir. Pourtant, Henri Henrot était bien innocent de ce lapsus, dont le coupable eût mérité d’être pour le moins dénoncé.
On fut indulgent et généreux à son égard : un jour de distribution de prix aux élèves méritants des classes primaires, on lui fit don d’un exemplaire invendu, en deux gros in-8° à papier disparate, d’une Encyclopédie des Connaissances utiles. Ces énormes bouquins devaient terminer leur carrière dans le grenier du bibliomane Delécluze, après avoir encombré l’éventaires du bouquiniste Mottant, regrattier aux cheveux noirs grisottants, au nez en bec de condor, aux doigts crochus, à l’angle de la rue Sainte-Catherine, près l’hôtel de l’Arbre d’Or.
Les curieux et oisifs qui ont accoutumé d’user leurs fonds de culotte dans les confortables fauteuils de la Bibliothèque municipale y retrouveraient aisément le Rapport en question et la plaquette de Charles Martin.
En avril, décèdent deux artistes peintres dont la re-nommée a franchi les remparts de la vieille Cité : Laurent Détouche, 66 ans, à la vue fatiguée et de santé chétive, qui, étudiant en droit à Paris, avait déjà obtenu une médaille de 3e classe au Salon de 1841 ; il fut élève aux Bons-Enfants jusqu’en 1832.
L’homme avait été soutenu dans la vie par un doux épicuréisme qui lui faisait considérer comme un privilège d’échapper aux maux communs de l’Humanité – maladie et pauvreté – et, reconnaissant, déclarait que si la misère avait trop souvent frappé à sa porte, elle n’en franchit jamais le seuil.
Clovis Hécart le suivit dans la tombe : il habitait rue de l’Esplanade, 14, dans un modeste immeuble à porte co-chère où l’on a retrouvé blotties, en 1921, deux de ses filles, ex-institutrices rurales.
En septembre, décède à Gespunsart, à 43 ans, l’abbé Allaire, ex-vicaire à Saint-Remi et à Notre-Dame de Reims. Resté jeune, alerte, le teint frais et rosé, plein d’allant, moderniste à la bonne manière, ne redoutant pas le contact avec ses humbles paroissiens de Par-en-Haut comme avec ses riches fabriciens de la Cathédrale. Il était le propre neveu du populaire curé de Saint-Remi, l’abbé Aubert, de charitable mémoire.
Aumônier de la Prison de 1872 à 1878, il passa par les presbytères de Gespunsart, Francheval, Fond-de-Givonne, et dirigea le Séminaire de Charleville. Compositeur de musique religieuse, il rédigeait en une heure quelque Messe exécutée huit jours plus tard par sa Maîtrise de cloutiers.
L’avait précédé dans la tombe le chanoine Dumas, ex-curé de Saint-Maurice, né à Paris en 1810, et prêtre à Reims en 1833. Vicaire à Notre-Dame pendant 18 ans, il tint Saint-Maurice de 1854 à 1872. Supérieur des Dames de l’Espérance, aumônier à la Maison d’arrêt, il habitait rue du Bourg-Saint-Denis, 41.
Le Nécrologe1882 a encore à se mettre sous la dent une pâture nombreuse de créatures sans renom, marionnettes du Théâtre de la Vie, dont on aime à frôler à nouveau le souvenir et recevoir le pâle reflet !
Le Groupe spirite de Reims évoque les ombres de feu Adolphe Picherie, son chef, inhumé l’an dernier au cimetière du Sud.
Décèdent :
Un industriel agricole, fabricant de fer à bœuf de labour, J. Raphaël Carnot-Meurster, rue des Capucins, 163.
Le doyen des huissiers-audienciers, Courant, 79 ans, dont 46 de plein exercice, anachorète ennemi de la fumée des cabarets, sec et vert comme un sarment, exsangue sous un masque au front ridé : un moine d’Inquisition. Ceux de la Correctionnelle en avaient le sang glacé avant l’audience !
Jean-Baptiste Bienfait-Canart, père du docteur Bien-fait, décède à 94 ans chez son fils, boulevard des Promena-des, 17.
À 72 ans, la veuve du chimiste Maubeuge, Charlotte Barbeureux, dans son ermitage du Bourg-Saint-Denis, 93.
Mme Haueur-Beaurain, propriétaire de garnos rue Saint-Julien dans une bicoque infecte qui, détruite pendant la guerre, donna jour aux arcs de voûte de la petite église placée sous ce vocable. Elle s’en va rejoindre d’infortunés locataires qu’un séjour désenchanté en ces taudis à tuberculose, a pré-cocement ravis à l’existence des déshérités de ce monde ! Un Hippocrate contemporain du fils de cette dame, aimait à redire l’historiette suivante : un vieil Harpagon rémois, de santé opiniâtre et n’ayant jamais eu besoin de médecin, se trouve soudainement indisposé, sans savoir de quoi il re-tourne ; rencontre propice du Dr Haueur « Ah! cher ami, le Ciel vous met sur mon chemin ! Eh ! bien, voilà ! » Et le bonhomme explique son cas. « Que me conseillez-vous ? – Du bicarbonate de soude. Six mois après le consultant reçoit la Note du consulté. Consultation, telle date : 5 francs. Tête du bonhomme Grigou !
L’une des vieilles dames qui contribuèrent au pittoresque du Bourg-Saint-Denis, Mmes Payart-Menu, Watteaux, Strapart, Maubeuge, – Henriette Guerlet, 74 ans.
Frédéric Lelarge, propriétaire à Le Vergeur, perd l’un de ses fils, Lucien, 21 ans.
Et Paul Douce prend le deuil de sa mère, veuve Douce-Lecointre, rue du Cloître, 21.
Le corbillard des Pauvres reçoit sa provende habituelle, mais n’en paraît pas plus réjouissant !
On a reçu de Barcelone, le 14 janvier, la nouvelle du décès de l’acteur Maillet, ex-vedette de notre théâtre, qui joignait à son métier l’art pictural, ayant tenu en mains un pinceau délicat, manié de façon à lui acquérir, sous le nom de Rigon, une renommée dont l’écho est loin de se clore.
À l’orchestre de ce même théâtre ronfla un trombone à coulisse qu’allongeait de ses longs bras un beau vieillard à barbiche et moustache blanches sur un visage coloré, et qu’on appelait familièrement, à la Municipale, le père Lys. Un haquet, chargé de peupliers abattus, le renverse au coin de la rue de Talleyrand : il en meurt !
Son collègue aux Pompiers, le bugliste Nicolas Liévin, le suit de près, à 52 ans, et ses camarades l’inhument aux sons émotionnants et rythmés de la Marche funèbre de Chopin, chef-d’oeuvre du mode triste, et qu’on ne saurait entendre sans être remué jusque dans les fibres profondes !
Un tout menu bousingot qui vend aux gosses des rues des bâtons de réglisse noir, et aux commères, de la cassonnade, le petit papa Valentin, épicier dans le Jard, en une maison basse que les obus boches ont laissée debout, en mépris de sa petitesse et où habita, ces derniers temps, Mme veuve Bris, dont les deux fils sont morts pour la France !
Valentin nous quitte, estimant qu’à 78 ans avoir suffisamment vécu et consommé, sans avoir, à l’instar de ses nombreux confrères, beaucoup produit !
Voici que disparaît également, à 52 ans, Célinie Muzerelle, vase d’élection de la dynastie des photographes Rothier.
Au 7 du Bourg-Saint-Denis, la concierge du Théâtre, Mme Augustin Couvert-Roch, 34 ans, remplacés par les époux Lupette.
Son exemple est fâcheusement imité par le souffleur Émile Colas, dont le souffle parfois trop sonore parvient aux oreilles du parterre, mais s’éteint dès lors pour toujours.
Coussette, le violoniste hier encore si goûté des Rémois, s’en va de la poitrine, à Sedan, où il habitait depuis peu. C’est Costa l’altiste qui le remplacera, venant de Monte-Carlo, Rouen, Paris.
Le comique à la voix de baryton Sébastien Gadiot, de Hourges, tailleur d’habits, rue des Cordeliers, 13.
Cette mère Angot, reine des Halles sous le nom de Jeanne Bougy, cède sa part du carreau à la Richard, plantureuse commère, au nez mutin et provocateur, forte de son minois fripon et de sa gouaille sans rival !
Mme Tharsile Courtin-Brabant, 43 ans, propriétaire du Café Courtois, ouvert par son père.
Liquidons le rayon féminin avec quelques matrones d’essence romaine, les dames veuve Schneider-Madru, rue Brûlée, 70, mère de Camille Schneider Esteulle, pharmacien rue Neuve, successeur de Jules Henrot.
Veuve Chauffert, des tissus, née Jeanne Hubert, 72 ans, rue du Bourg-Saint-Denis, 6.
Veuve L. Lochet, née Françoise Aubert.
Rose Adeline Lamoitié, 60 ans, de Saint-Quentin.
Marie-Louise Robin, nonagénaire, mère du squelettique médecin Thierrard, rue des Capucins, 16.
Veuve Bernard, Marie Pérette Alexise Brisset, gérante d’un bureau de placement rue du Bourg-Saint-Denis, 77, belle-mère du maître d’hôtel au Lion d’Or, le bel Henri Gavroy.
Derrière cette fière et imposante matrone aux boucles argentées et aux gros yeux bleus cerclés d’or, nous quitterons le Champ des Mortes pour aborder le bloc final de quelques modestes serviteurs de la Cité : Gaspard Alvin, de la maison de laines Ch. Billet, 54 ans, natif de Charleville.
Louis Névraumont, cabaretier à l’enseigne enfumée : Au Vieux Rheims, rue du Barbâtre, 38.
Édouard Lengrand, comptable chez Eugène Gosset, époux de Mlle Guinot, rue de Contrai, 7, gros homme adipeux et soufflant à la longue barbiche flottante, scribe sédentaire auquel les sports actuels eussent été de grand secours.
Le père Baptiste, alias Jean-Baptiste Lhote, de Bezannes, octogénaire, cultivateur en réforme chez son gendre Eugène Dupont, rue du Jard, 24.
Le marchand de machines à coudre Jean-Baptiste Péria, 38 ans, frère du musicien.
Le boucher Édouard Picard, de Bétheny, rue du Jard, 39, précédemment 26, qu’il exploita avec Ch. Sainmont.
Le carrossier Raulet-Hérold, 31 ans, rue de Vesle, 79 : Pauline Thérèse, sa survivante épouse, fille du Hérold de la rue de Contrai, 1, n’est encore qu’à la fleur de ses 22 ans ! En 1934, elle touche elle-même ses coupons en banque.
1883
Au tour maintenant de ces « de cujus » qui vont défiler devant la lorgnette d’un prospecteur respectueux et ému.
Il sont, hélas ! nombreux, ceux qui vont, pour toujours, s’éloigner de nous en quittant ce monde des Vivants, à regret sans doute, car il n’est pire destin que d’être forcé d’aller baguenauder dans les Champs-Élysées, où l’on risque de se retrouver nez à nez avec telles ou telles personnalités dont la société ici-bas n’a pas toujours plu à leurs congénères !
Versons un pleur sur ceux que nous avons aimés et gravons ensemble le souvenir des concitoyens rémois dont nous connûmes les noms et les silhouettes plus ou moins furtives !
La Camarde fauche çà et là sans souci des préférences de la Communauté, des mérites ou des malfaisances, de la richesse ou de la pauvreté, des beautés ou des laideurs physiques ou morales ; elle abat aveuglément, sans s’enquérir d’un état civil ou d’un consentement quelconques, embarquant sans répit les voyageurs pour l’ultime Région inconnue qu’explorent en vain les docteurs en occultisme ou spiritualisme, au désespoir des âmes affamées de la connaissance de l’au-delà !
Il sera à remarquer combien est considérable la proportion des disparus à l’âge moyen, vacillant entre 35 et 60 ans ! Sans doute par l’action dévastatrice des tumeurs, appendicites, prostatites, cancers ou autres fléaux dont la Faculté ignorait encore la gravité et la thérapeutique chirurgicale, – cette science qui a, depuis, sauvegardé tant d’existences ! Et, parmi les victimes de l’âge, de la maladie, ou de toute autre grave déficience, citons :
Ferdinand Henri Walbaum, 70 ans, rue de Sedan, veuf de Dorothée Frédérique Lüling, époux de Francisca Johanna Lüling, sa belle-sœur. Il était fils de H. L. Walbaum, et avait deux frères : Auguste et Louis.
Rosalie Danton, 83 ans, fille des Danton-Rivart, veuve de Charles Duchastel.
L’ex-apprêteur Frédéric Guimbert, 65 ans, rentier-célibataire, à la Maison-de-Retraite, fils des Guimbert-Barat.
Le filateur Félix Charles Lachappelle, 42 ans, rue des Capucins, 39.
Adolphe Gosset, de Cumières, 69 ans, ex-brasseur, rue Thiers, 18. Il était fils de Gosset-Langlois et époux de feue Adèle Louis, en parenté avec le romancier Pierre Louÿs et le compositeur Louis. Émile son fils, fut pharmacien rue Cérès, et son frère Auguste Napoléon, ex-fabricant, 77 ans, habite place Royale, 8.
Marie Eugénie Pannet, 83 ans, rue du Barbâtre, 24, fille des Pannet-Lefèvre et veuve de Félix Dubois. Témoins : son fils, Louis Félix Dubois, marchand de fers, rue Cérès, 4, et Charles Pannet, tissus, esplanade Cérès, 2.
Théophile Contant, notaire et conseiller municipal, 72 ans, rue Pluche, 17, dont le fils Paul est courtier en laines rue du Bourg-Saint-Denis, muée récemment en rue Chanzy.
Julie Élisabeth Langlet, 43 ans, veuve de Louis Augustin Bocquet et mère du peintre impressionniste Paul Bocquet. Cousine de Félix Langlet, et fille de Timothée Langlet, courtier en laines, rue de Venise, 57, elle habitait chez son frère Jean-Baptiste Langlet, même rue, 53.
Le père Homo, ex-instituteur, de Verzy, 71 ans, veuf de Victoire Charlier, rue du Cerf. Enseigna rue Perdue et rue Simon. Très aimé et populaire.
Poitaux, de Saint-Quentin, 80 ans, rue Chanzy, 115, dont Rendeux-Chevilliot a repris l’atelier de menuiserie rue de Contrai, 7.
Rochet-Vaudin, 47 ans, charcutier à La Haubette.
Francine Cliquot, veuve de Étienne Lesage, chez son fils, rue du Barbâtre, 189.
Blanche Poullot, épouse Delavallée, meurt en cou-ches, rue Petit-Roland, 6.
L’ex-cordonnier Vermonet, 77 ans, fils de Vermonet-Sorlet, veuf de Marie Henriette Lehoussaye, meurt à la Charité ; il est l’oncle du peintre-verrier Vermonet, rue de Châtivesle.
Un relieur fort prisé parmi la gent ratière des bibliothèques, Nicolas Rocourt, 59 ans, chez son gendre le relieur Paul Binet, rue Chanzy.
Le comptable Véron, des Longuaux, perd son beau-père Joseph Auguste Grimpret, 63 ans, tailleur de pierre précédemment rue du Jard, 26.
Les Tissus portent le deuil de Teisset-Cariol, d’Albi, rue Thiers, 26. Parmi ceux qui le conduisent au cimetière, le poussif Auguste Émile Pavillon, son ami, ex-chef de bureau à la Mairie, un gaillard de haute taille au chef et aux mains tremblotantes de sénilité précoce, guetté par la paralysie ou l’ataxie.
Victoire Élise Maubeuge, 36 ans, religieuse à la Congrégation Notre-Dame, fille de Etienne Maubeuge-Barbereux. Rituellement, c’est le menuisier Victor Vallet rue du Jard, 23, qui confectionne son modeste cercueil en sapin, et, de concert avec le brigadier de police Hannequin, signe au registre mortuaire officiel.
Le père Assy, ex-aubergiste au Lapin-Gras, rue des Créneaux, proche la brasserie de l’Enclume, 53 ans, chez son gendre Philippe, voyageur en vins et spiritueux, qui lui a succédé.
Une disparition qui ne passera pas inaperçue parmi les paroissiens de Notre-Dame, celle du chantre Vincent Thuillard, basse au lutrin. Thuillard, de Becquigny (Yonne) venait, sexagénaire, d’épouser une payse de 30 ans, après veuvage ; Jules Grison, organiste Notre-Dame, 49 ans, son gendre, avait épousé une fille issue de son premier mariage avec Félicité Laurent.
Thérèse Braine, veuve Willième, 90 ans, rue des Deux-Anges, 15. Elle était la fille de Braine-Chouclin, et mère de Édouard et Ernest Louis Willième, – ce dernier décédé à la Maison de Retraite en 1924.
Étienne Sébastien Bazière, 60 ans, marchand de grains rue du Barbâtre, 85, conseiller municipal, époux de Joséphine Pergod. Son Beau-fils, Émile Godret, dit Bazière, meurt à Reims à 65 ans, le 31 juillet 1914, s’étant refusé d’assister aux horreurs de la guerre et de la destruction de Reims. Veinard, va !
L’avocat Pottier, de Seraincourt, 77 ans, rue Libergier, 49, époux de Hortense Billecart. Témoins : son neveu, le député Théophile Armand Neveux, avoué à Paris, et Jules Belloy, sous-caissier à la Caisse d’Épargne, rue Payen, 4.
Henri Gellier, 29 ans, trieur de laines, rue de Cernay, 8, fils de Pierre Gellier-Lagarde, et beau-frère de Édouard Lengrand, comptable à la firme Eugène Gosset.
Abel Bonjean, trieur de laines et gérant des Bains de rivière, maître-nageur, veuf d’une Guinot, et l’un des mamelucks d’Achille Laviarde, futur Roi d’Araucanie, au temps où ce farceur emplissait Reims du bruit de ses escapades et frasques de toute nature : excellent thème pour biographies romancées !
Éloi Beury-Siégé, de l’Échelle (Ardennes), épicier à la Maison-Bleue rue du Barbâtre, 23. Sa veuve fut bouquiniste et antiquaire sous le passage Poterlet. Elle avait réussi à rassembler une série d’images d’Épinal éditées en 1871 par Matot-Braine, fort satiriques à l’égard de Bismarck et ce vieil ivrogne de Guillaume !
Eugène Disant-Robert, de Soissons, 77 ans, ex-négociant, amateur d’art et collectionneur avisé, place d’Erlon, 83 : il était le beau-père du champagnisant Gibert.
Mme veuve Moisy-Lenain, des pains-d’épices, place du Palais-de-Justice, dont un fils, Arthur, est capitaine au 13e Chasseurs à pied, à Chambéry, et l’autre, Louis, mercier, rue du Petit-Four.
Eugène Danrée, de Saint-Pierre-de-Bossenay (Aube), restaurateur rue Buirette, 12, où il sera remplacé par Bernardin et son chef Louis Ébert.
Étienne Daubigney, 26 ans, des tissus, rue Perdue, 11. Fils d’un facteur des Postes de la rue des Augustins, 12, et élève au Jard de 1862 à 1872, où, de visage poupin et gracieux, il était le gaga des maîtres, et souvent premier au palmarès.
Marjolet-Trousset, 46 ans, associé de Édouard Menu, entrepreneur de maçonnerie, place Belle-Tour. Ce Menu était frère de Henri Menu, de la Bibliothèque municipal, et construisit, pour ce dernier, la maison 36, rue des Murs.
Veuve Deneux-Lhermitte, jardinière de 86 ans, médaillée d’honneur, chez son gendre Roger, rue du Jard, 63 bis.
Aux Petites-Sœurs des Pauvres, rue de Bétheny, 106, le charpentier Rendeux, 65 ans.
La boulangère Dubois-Léonard, rue du Jard, 50.
Mme Jules Nézelof-Machet, des tissus, 40 ans, rue Hincmar, 12.
André Sibire, né le 28 janvier 1807, et maître apprêteur. Violoniste éminent, l’un des fondateurs de la Philharmonique, il avait été élève de Bigot, et fut chef de pupitre a la Messe du Sacre, où Cherubini le remarqua.
De Bigot, il passe à Alard, et joue le quatuor avec Vieuxtemps, Sivori, Léonard, Franchomme, Casimir Ney, Julien Blanc, toute la pléiade du XIXe siècle. À Reims, où il s’exerçait à son instrument cinq heures par jour, il est le solide partenaire des Maquart, Desprez, Varlet, Remi Gou-let, puis des Belly, Bessières, Mülbach, Farre et Labitte, aussi de l’annaliste Abel Maurice.
Au Mesnil-sur-Oger, Éléonor Morizet, père de Char-les, 72 ans, frappé d’apoplexie : il habitait avenue des Grands-Marais (chaussée Hannier), autrement dit rue Libergier prolongée, où le teinturier Lassalle, de Givet, a son usine.
Simon Édouard Gangand, roulage, rue du Faubourg-Cérès, 36.
Le notaire Berque-Bourin, successeur de Loche, 50 ans, décède de paralysie à Juniville.
Antoine Dubois-Braun, courtier en emballage et lai-nes, 58 ans, rue de l’Université, 6.
Jules Millard, ex-marchand de laines, même rue, 21.
À cette date, cette rue commence à auteur de la place Godinot, faisant suite à la rue Saint-Étienne.
Mlle Riga Pérette Paroissien, rue de Thillois, 53.
Jean Joseph Bouron-Hubert, 58 ans, laines et tissus, rue de l’École-de-Médecine, 3.
L’as du billard, limonadier au Café Saint-Denis, Alphonse Vignot, 37 ans.
La belle Louise Fourrier, 30 ans, épouse Fradcourt, des caves Delbeck. Son frère Émile est chaudronnier rue de l’Université.
Le notaire Charles Berque-Bourin, de Rethel, 49 ans, rue Saint-Guillaume, 17.
À Châlons décède Arthur Labassée, 28 ans, teinturier, rue Neuve, 152, fils des Labassée-Jacotin, époux de J. Aline Boulogne, des Bains.
Anne Lesieur, veuve du père Alby, cordonnier à la minute rue du Jard, 66, Jérémie de son petit nom, mais autrement réjouissant que ce prophète de malheur ! Elle était de Revin.
L’abbé Willemet, aumônier à la Charité, fils des Willemet-Lecomte.
Subitement, d’un coup de sang, l’apoplectique Grouselle (Eugène), tonnelier rue Chanzy, 62, à 60 ans.
Arthur Mauroy-Lescaille, 43 ans, entrepreneur de maçonnerie, rue Savoye, 2. Mémorialiste locale et poète à ses heures, Mauroy a, comme ses congénères, son fatras littéraire inhumés à la Nécropole des Livres qu’on nomme Bibliothèque municipale, où sa mémoire a une chance sur mille d’être évoquée par tel ou tel rat au poil fin et poussiéreux, rongeur de manuscrits à pâte jaunie et de livres piqués aux vers !
Une personnalité rémoise et musicale connue et appréciée, Louis Fanart, 76 ans, rue des Capucins, 48, époux de Marguerite Goulet, fils de Jean-Baptiste Fanart-Périn, beau-père de Émile Lochet et de Henri Collet. Fanart fut organiste à Notre-Dame, membre de l’Académie nationale de Reims, et de l’Académie Sainte-Cécile, à Rome.
Joseph Nicolas Déprès, 59 ans, rue des Cordeliers, bottier réputé, originaire du Luxembourg. Sa veuve trépassa à 99 ans, aux Petites-Sœurs des Pauvres, en octobre 1929.
Élisa Tourneur, 62 ans, congréganiste de l’Enfant-Jésus, fille de Antoine Tourneur-Choisy, sœur du vicaire-général de l’archevêque Landriot.
Commun-Berthe, pensionnaire à la Maison de Retraite, ex-bibliothécaire au Comice agricole, rue Chanzy, 71, où Gauthier lui succéda.
Élisabeth Marie Givelet, 25 ans, fille de Edmond Givelet, épouse Hersart de La Villemarqué, boulevard Cérès, 12.
Céline Adélaïde Le Roy, épouse Hubert Baudet, no-taire rue de Vesle, 27, décède à Ludes à 59 ans : elle était belle-mère de Henri Picard, marchand de laines, tante de l’ingénieur Le Roy, qui fut administrateur des Magasins généraux en 1890, grand’tante du trieur de laines Aimé Le Roy, des Sauveteurs.
Nicolas Moussette, ex-coiffeur place Saint-Timothée, pensionnaire à la Maison de Retraite, 85 ans.
Mme veuve Émile Matot, Émélie Braine, rue du Cadran-Saint-Pierre, 6, mère de Henri et Jules Matot.
Pierre Cordier-Haizet, 67 ans, rue des Carmélites, 21, secrétaire des Prud’hommes, père de l’adjudant Cordier, du 132e.
Eugène Leblan, architecte dessinateur, auteur de remarquables plans de Reims et ses monuments, 65 ans, rue Saint-Remi, 14.
24 décembre : le numismate Duquénelle, né à Reims en 1807. D’abord pharmacien rue de Vesle, il fonda le Musée rétrospectif, où, en 1914, se trouvait son portrait-médaillon dû au sculpteur P. H. Pottier. Membre de la Société des Antiquaires.
Mme Édouard Leget-Belseur, 39 ans, épouse du marchand de laines rue du Levant, 17.
Martin Pralon, 57 ans, rue Buirette, 17, célibataire, basson au Théâtre, trombone aux Pompiers.
Louis Armand Bourdier de Beauregard, 45 ans, à Constantine. Fils des Bourdier de Beauregard-de Saint-Vallier.
H. Adrien Edmond Bertherand, 65 ans, à Brimont. Époux de J. Juliette Cécile Le Vasseur, il a deux fils, H. Paul Alfred, étudiant à Paris, Jules Edmond, soldat.
La sœur du libraire Druart, Marie Alexandrine, fille des Druart-Richard, épouse du chemisier Fortin, rue Saint-Jacques, consommateur de Charbon de Belloc dont raffole son estomac, plutôt mal en point. Fortin est clarinettiste aux Pompiers.
Marie Aline Gillotin, veuve Tassin de Montaigu. Neveu : Louis Gillotin, rue Pluche, 19 ; un cousin, Paul Vellard, associé marchand de laines avec Paul Manceaux, de Fontaine-sur-Ay.
Le 8 octobre était mort à Alcoche Eugène Lion, né à Reims le 1er juin 1826 ; missionnaire au Levant dès 1862, archevêque de Damiette en 1864.
Cessons maintenant de fraterniser avec ces ombres funéraires et, currite ad Veslam ! – revenons aux rives de la Vesle pour veiller aux faits et gestes de nos contemporains d’alors !
1884
Saluons au préalable ceux que l’impitoyable Faucheuse a abattus, et que d’insatiables Pompes funèbres enguirlandes de leurs chrysanthèmes et de leurs tentures funéraires, en les menant, du pas égal de leurs noirs coursiers bridés, vers les nécropoles ou gisent déjà tant de générations avec leurs espoirs, leurs réalités et leurs déceptions !
S’avancent par ordre de date : Pierre Charles Roland, qui avait épousé les deux sœurs Poulain, filles de César, ex-maire de Reims. Il décède à Amélie-les-Bains, de phtisie pulmonaire, âgé de 40 ans.
Ange Marie Rossi, musicien ambulant, 63 ans, rue Aubert. Italien à tignasse noire frisée comme le poil d’agneau d’Astrakan, l’unique qu’on avait entendu et vu, aux derniers jours de l’Empire second, tourner la manique d’un orgue de Barbarie, aux cylindres éraillés, pour moudre maints airs populaires, objets de nos délices : il fut l’un des ultimes Romanichels musicaux auxquels nos compositeurs on dû longtemps d’arriver à la gloire par le martyre. Nos nouvelles couches de les auront point connus ; en revanche, leurs oreilles s’écartèleront aux polyphonies aigues des limonaires de manèges équestres de bois ou carton peints.
Jean-Baptiste Chavalliaud, 72 ans, ex-aubergiste, boulevard des Promenades, 89, originaire de Saint-Goussaud (Creuse) et fils de Léonard et époux de Rosalie André. Témoins : les frères Lapchin, chapeliers, rue de Talleyrand, 30.
Prudent Célestin Chardonnet-Camus, rue de Vesle, 149. Né à Cormontreuil en 1809 d’un père tondeur sur draps et d’une mère bobineuse, venus à Reims pour y élever cinq enfants. En 1852, Célestin entrait au service du laveur de laines Charles Missa, sur la rivière Brûlée, où il travailla jusqu’en 1874. À 25 ans, il avait fondé l’Union fraternelle des Teinturiers-Apprêteurs et plus tard fut de la phalange des mutualistes qui créèrent les Établissements économiques. Les électeurs le hissèrent au Conseil municipal, où pénétrait ainsi, pour la première fois, un représentant qualifié de la classe ouvrière.
Le père Dorgeville, 86 ans, ex-fileur en gras, rue du Jard, 40. Né à Saint-Ouen-de-Thouberville, en Eure, il enterra trois épouses consécutives, à l’instar de Barbe-Bleue.
Parmi ces petites gens qui sont le tuf de la race, donnons un souvenir à une Rémoise qui, en 1848, scella son sort à celui d’un modeste journalier devenu par la suite grand bâtisseur de maisons dans Reims Joséphine Rousseau, épouse Auguste Petit, tint épicerie et comptoir de boissons rue du Jard, 37. Elle décède à Sedan, chez sa fille, Eugénie, épouse Gaston Deschamps, place du Rivage ; on l’inhume à Reims, Cimetière du Nord, dans un terrain de famille.
Une autre défunte des plus discrètes mais dont l’existence se rattache à une dynastie de pain-d’épiciers : Louise Henriette Bertrand, 71 ans, veuve de Dagobert Petitjean, pain-d’épicier de l’Empereur, place Royale, 15, et fille de Bertrand-Provencher.
Que notre lanterne éclaire les arcanes du monde lainier, nous verrons apparaître des silhouettes connues :
L’ex-marchand de laines Eugène Barrois-Mailfait, 64 ans, rue de Bétheny, 10, Sompinat d’origine, ayant cultivé pieusement le glossaire natale, dont il livra un jour, à ses confrères, un écho sensationnel, quand, aux enchères de Laines coloniales, à Londres, dans la rotonde de Coleman-street, où, de tous leurs poumons, les courtiers crachent leurs offres en deniers et schellings, il lança cette injonction à son mandataire : Foutez une demie ! c’est-à-dire augmenter la dernière enchère d’un demi-denier. Rien de plus énergique et imagé en fait de langage commercial ! – et, – puisque nous sommes au chapitre des Acheteurs à Londres, donnons un aperçu des tractations que nécessite ce négoce.
Les Lainiers du monde entier sont convoqués en six périodes assez régulières, pour expertiser et coter, en d’immenses docks situés notamment sur la Tamise, au Pont de la Tour, les monceaux de balles de laine y empilées en plusieurs étages, auxquels on accède par des lifts ou ascenseurs.
Les clients internationaux logent en hôtels de la Cité de Londres, d’où ils s’égaillent le matin, entre 7 et 8 heures, après un confortable déjeuner, vers le siège de leurs travaux.
Des catalogues ont été livrés la veille par des Courtiers-vendeurs, dans les bureaux desquels ils ont établi le centre de leurs opérations.
Pour midi ou une heure, les expertises et cotations sont terminées. On fait alors toilette pour le grand déjeuner, copieux et réparateur, car le labeur fourni a exigé une forte dépense de fluide vital : courses allongées vers les Docks, par le travers de Whitechapel, les rues sordides et surpeuplées de Minories et Hounditsch. Le Métropolitan y menait alors sous ses tunnels enfumés ; on se servait plutôt des cabs sveltes semblables à de gigantesques araignées, plutôt à des autruches au col efflanqué.
L’après-midi, à 4 heures précises, le Speaker ou courtier chargé des adjudications, frappe son pupitre du coup sec d’un signal en ébène, et des cris gutturaux vont, dès lors et sans interruption pendant deux ou trois heures, s’élancer, féroces et perçants, têtus et volontaires, au-devant du verbe calme, nonchalant, semblerait-il, mais ferme, du Crieur. Le timbre rauque des Allemands forme la basse profonde de ce chœur farouche des compétiteurs.
Ces enchères animées ont lieu dans un vaisseau circulaire à fauteuils étagés, en présence de gradins où s’activent de l’œil, du crayon, du geste, de la voix, des enchérisseurs attentifs et passionnés.
Cris et vociférations dont une oreille inaccoutumée s’affolerait, et dont on ne retrouve l’équivalent que dans les Bourses aux valeurs. Il passe ainsi, sous le feu des enchères, et quotidiennement, 12 à 14.000 balles de laines, soit environ 2 millions de kilos importés d’Australie ou Amérique.
Vers 7 heures, il est procédé à une vente spéciale dite des star Lots, parce qu’ils sont précédés d’une étoile sur le catalogue : elle s’applique aux lotins d’une ou deux balles, parfois davantage, et sert d’école aux débutants dans la carrière.
Avant dîner, les acheteurs se sont assurés des résultats de leurs enchères et recommenceront de même le lendemain, jusqu’à ce que leurs ordres soient remplis.
Le soir, repos, distractions ; les uns, dans les salles de spectacle ou concerts, les autres, autour d’un broc de pale-ale mousseuse ou d’un whisky-soda. D’aucuns, trop las, ou casaniers, passeront la soirée à l’hôtel en lecture, jeu ou causeries ; avec eux, les ménagers de leur bourse.
Ces séries d’enchères sont, en saison froide, souvent interrompues partiellement par cet épais brouillard londonien surnommé FOG, qui force à suspendre momentanément le travail d’examen : des séances parfois doivent reculer au lendemain, voire au surlendemain !
Ah ! Coleman-street en a vu passer de ces générations de lainiers, tous à peu près de premier ordre, recrutés parmi des compétences hors pair, depuis le jour où le premier Rémois, ou Fourmisien, ou Roubaisien et Turquennois, enjamba la Manche vers ce caravansérail unique au monde où s’amoncelèrent si longtemps les produits de la tonte australienne, avant que cette Colonie elle-même eût créé sur son propre sol des centres de vente directe de ses laines !
Pour ce qui est de Reims, l’un de ces premiers conquérants du Marché de Londres ne fut-il pas le rude jouteur qu’on appelait le père Pauporté qui, de dégraisseur d’échées, à Sains-du-Nord, avait atteint le grade de marchand de laines !
Que de noms à évoquer qui sollicitent nos oreilles ! les Gosset, les Wenz, parmi les plus notoires ; puis, leurs élèves ou émules, les Clovis Stavaux et Thuillier, frères d’exploration, au début même des Ventes de Londres ! et Paroissien, et Delius, Ponsart, Brunette, Benjamin David, les frères Jules et Edmond Dupont, Delaître, Rabany, les Bonnet, Rémond, et leur maître à tous, Anicet Lecrique, sans oublier Constant Colmart et cent autres, tous ayant contribué à la prospérité du Reims industriel et commercial.
La guerre a fait évoluer vers d’autres cieux plus cléments le bataillon régénéré de ces as de la toison-moutonne, et si Reims a pu conserver, non sans la honteuse opposition des villes-concurrentes, un peignage, un conditionnement et des Usines du Textile, grâce à des ténacités louables, elle n'en subit pas moins, en 1934, une de ces crises qui font trembler pour son avenir. Notre Jérusalem rémoise n’a-t-elle donc pas assez souffert.
Revenons à Barrois pour signaler que son lit à la Maison de Retraite en faveur d’un Serviteur de la Laine était échu, en ces dernières années, et par une interprétation détournée des volontés du donateur, à la veuve de Puig, ancien directeur dudit hospice !
Et voici que disparaît un courtier en laines et fils, récemment installé à Reims, Aerens-Migeot, 52 ans, rue de La Peirière, 2, dans l’immeuble des Assurances Rémoises.
Puis, l’ex-fabricant Grandremy-Francart, 86 ans, qui fut commissaire au Bureau de bienfaisance pendant 30 ans, et habitait rue des Murs, 15. Fils de Grandremy-Lecocq, il avait pour gendre l’agent de change Simon Bouvier, qui est décédé la Maison de Retraite en 1932. Le chirurgien Bouvier est son petit-fils.
Clovis Desingly-Delarbre, 61 ans, marchand de laines, rue du Jard, 49, où son gendre Brémont habite.
Marius Augustin Salle, 75 ans, rue Clovis, 51 : laines, livres, gravures, intellectualisme.
Mme Charles Desmarest-Ponsin, rue des Poissonniers, 20, épouse du fabricant.
Augustin Lantein-Marotte, 76 ans, filateur en gras, rue du faubourg Cérès, 73.
Eugène Grandjean-Delabarre, 71 ans, rue Cérès, 63.
Les Beaux-Arts déplorent la mort du peintre d’histoire Charles Auguste Herbé, 84 ans, rue Ruinart de Brimont, 33. Il avait professé à l’École primaire supérieure rue Vauthier-le-Noir ; à l’École municipale de dessin, et au Lycée, qu’il abandonna en 1870. Élève de Gros, cet historiographe en peinture des fastes napoléoniens, il a laissé au Musée de Reims un Mazarin mourant recommandant Colbert à Louis XIV et l’archevêque de Beaumetz devant Saint-Louis. Il fut de l’équipe locale réputée des Hécart, Germain, Perseval ; ce dernier est le peintre du Christ en croix qui couronnait la porte de la sacristie à Notre-Dame de Reims ; et d’un Marius relégué dans les combles du Musée. Herbé a publié des ouvrages qui font autorité : Histoire des Beaux-Arts par les Monuments et Costumes civils et militaires de la France. Il figure au nombre des fondateurs de l’Académie nationale de Reims. Fils de Paul Herbé-Périnet, il avait épousé Marie Jeanne Sarrat, dont il eut un fils l’ingénieur Aimé Herbé, père de notre contemporain Victor Auguste Herbé, architecte.
Bureau-Pommelet, receveur municipal, qui a eu pour successeur l’Alsacien Charles, puis le chef du Parti socialiste unifié à Reims, Louis Rousseau, Pétersbourgeois de naissance, fonctionnaire des finances. Les gouvernements ont toujours sous la main des hommes de paille dont le rôle prescrit consiste à disséminer les Forces et les Majorités dites subversives : Rousseau, conseiller municipal, adjoint au maire Jean-Baptiste Langlet, se trouva ainsi récompensé de son zèle, loin des querelles canines autour de l’os national, il ronge paisiblement sa bande de lard, si épaisse qu’elle coûte aux contribuables, en 1934, le modeste écot annuel de 60.000 francs. La politique nourrit son homme.
Ah ! cette brave femme que fut cette mère du non moins brave Victor Lambert, dégustateur à la Maison Pommery, Mme Charles Lambert-Menu, 81 ans, chez son fils, aux Crayères, – Victor n’ayant pas encore fait construire le bel immeuble rue Dieu-Lumière, 66, où il eut à recevoir et arroser tant de délégations de malins qui savaient combien il était donnant. Thuriféraires occasionnels appartenant à nos Sociétés locales, dont le budget, souvent en déséquilibre, a besoin de généreux Mécènes : rendons cette justice au père Victor qu’il n'a jamais failli à sa tâche !
Victor Corneille-Givelet, 62 ans, marchand de cuirs et crépins, et tous articles de bourrellerie, président de la Fourmi rémoise, rue Colbert, 18.
Élambert-Colombier, ex-notaire, 62 ans.
J. F. Narey-Tambourt, 68 ans, chez son gendre Émile Mennesson, luthier rue des Tapissiers, 10. En deuil les Petitjean et Lacourt.
Charles Lecreux-Valeur, 60 ans, chez son fils le sapeur-pompier, dit Bouillon-de-Veau, menuisier rue Hincmar, 8, lequel assume la charge étatiste de façonner les cercueils en sapin destinés aux défunts pensionnaires de l’Hôtel des Haricots, place du Parvis.
Thibaut Florentin Ballossier, 64 ans, retraité de la Mairie, trombone aux Pompiers et au Théâtre, époux de Sophie Vély.
Julie Bandeville, de Sedan, 86 ans, rue de Tambour, 20, sœur du chanoine Bandeville, dont elle avait hérité la bibliothèque, recueillie depuis par son petit-neveu Clair Edmond Jacques Nyssen, décédé en 1928 à Paris, avenue Junot, 38. Elle avait un frère, feu Clair Jules, sculpteur sur bois à Paris.
Un chef de chantier pour travaux de maçonnerie de la rue Petit-Roland exécutés par son oncle Auguste Petit, Louis Dérozier, 39 ans, de phtisie pulmonaire, à l’Hôtel-Dieu. Né à Cernay-lès-Reims de Pierre Dérozier-Rousseau, beau-frère de Auguste Petit. Il était l’époux d’Eugénie, fille adoptive des Durieux, de Ventelay, et père de 2 filles, Adolphine et Julia.
Émile Labourgade, fils du pasteur protestant, 21 ans, rue des Templiers, 24, né à Contay (Somme).
Auguste Esteulle, ex-avoué à Nîmes, puis chargé d’affaires au peignage Isaac Holden, décède le 23 mars, rue Houzeau Muiron, à 66 ans. Poursuivi au Coup d’État (1851), il avait dû abandonner sa charge ; il eut deux fils : Alfred et Abel, tous deux serviteurs du Peignage, et une fille, Eugénie, qui épousa Camille Schneider, pharmacien, successeur des Henrot, rue Neuve, 73.
Jean-Baptiste Thuillier, de Thieulloy-l’Abbaye (Somme), 71 ans, marchand de laines place Godinot, 8, époux d’Élina Ponsin. Son fils Henri et son neveu Charles Brunette reprennent son sceptre, avec Charles Blanchin. Ce dernier est également son neveu, a 32 ans, et habite rue de la Prison, 5 ; son comptable, Ernest Leloup, 43 ans, rue Ruinart, est témoin.
Marcellin Gazeau, d’Asprières (Aveyron), professeur au Lycée de Reims.
Louise Godbert, 37 ans, rue des Trois-Raisinets, 5, fille des Godbert-Bourgeois, épouse du fabricant Alfred Petit.
La jeune, belle et élégante Mme Charles Brunette, 25 ans, fille de Georges Goërg. Elle fut, trop peu de temps, hélas ! l’une des ravissantes étoiles qui firmament rémois, avec ces déesses Mmes Benoist de Bary, André Prévost, Miltat, et tutti quanti, perles éblouissantes d’un écrin richissime !
Auguste Napoléon Gosset-Lundy, ex-fabricant, 78 ans, fils de Gosset-Langlois, de Cumières, père du marchand de laines Charles Gosset, rue des Templiers, 24.
Aimée Charles, 79 ans, de Villefranche (Rhône), ex-hôtelière à Paris rue Saint-Roch, fille de J. Louis et Marie Carré, veuve de Claude Antoine Langénieux, mère du Cardinal, chez qui elle décède au palais archiépiscopal. Témoins : le chanoine Philippe Honoré Deglaire et le vicaire-général Auguste Bussenot.
Victor Guyotin, 63 ans, ex-fabricant, fils de Guyotin-Lhoste, époux de Dorothée Ragot. Ses gendres : Georges Bellot, à Courlancy, et Théophile Garnot, industriel à Maromme-lès-Rouen.
Marie Habert, de Sedan, 83 ans, veuve Durozoy, à la Maison de Retraite.
Prudence Potier, de Saint-Hilaire-le-Petit, 73 ans, veuve de Charles Bouquet, agriculteur, décède chez son gendre Jules Demaison, rue Rogier, 9.
Félicité Ernestine Guinot, 49 ans, rue de Courlancy, 149, fille de Pierre Napoléon Guinot-Machet, tenancier de bains froids à Fléchambault, après avoir été marchand de laines rue de Bétheny, aux temps philippiens, et épouse Abel Bonjean, trieur de laines et professeur de natation.
Marie-Louise Sarrazin, de Gueux, 66 ans, rue Saint-Pierre-les-Dames, fille de Sarrazin-Thibaut, épouse du fabricant Dervin.
Le luthier de la rue Chanzy, 4, Étienne Lié Laplanche, de Bezannes, 70 ans, fils de Lié Laplanche-Jouglet, époux de Jeanne Clémentine Deforge. Son gendre, Pierre Eugène Fortin, 46 ans, fut directeur du tissage Simonnet, rue de Courcelles, avant de reprendre le fonds de lutherie.
Le papa Laplanche, aimé de la gent musicastre, était un homme court et trapu, voûté légèrement, au teint rosé entre deux touffes de barbe blanche et la tête calottée de velours noir, comme son ami Étienne Robert. Avec ses yeux à fleur de front, il avait toute apparence de magistrat au siège, en chaussons.
Secondé par une compagne souriante et un personnel affable, il fut longtemps l’unique fournisseur de nos classes musicales et des professeurs. Ses deux filles, sa dame de comptoir Mlle Maisonneuve, son commis Boudin, ténor au lutrin de Notre-Dame, le spécialiste Vuatrin, firent de cet établissement une firme de premier ordre.
La boutique, immeuble antique et solennel, au mur en saillie prêt à s’effondrer, ses vitraux verts et ses croyons camoussis, possédait une salle pour répétitions meublée de pianos et de pupitres, à gauche de l’entrée à porte charretière : cette ruine fut abattue par des obus bien dirigés, laissant à nu un vaste terrain, demeuré longtemps vide et clos d’une palissade, bordée d’un trottoir mou et poussiéreux ou boueux, au gré du temps, et au désespoir du passant.
Deux dames d’importance : Hortense Leblanc, veuve Maille ; et Caroline Philippine de Maillart de Flandre, 60 ans, d’Inor (Meuse) épouse de Charles Louis de Beffroy, rue du Temple, 22.
Un esprit inquiet et fureteur, agité par le démon de la recherche scientifique, le teinturier Prosper Plantrou, 81 ans, boulevard des Promenades, 67. Il était natif de ce faubourg d’Elbeuf qui a conservé si longtemps l’allure et l’aspect d’une Pompéi, dans le plus beau site de la Seine, à Orival. Son fils Hippolyte qui habite à La Haubette, a hérité de ses dons : il a été le promoteur d’une série de tentatives, au peignage Holden, en vue de perfectionner le blanchiment des laines, comme on le fit pour le papier de journaux invendus. Le tout sans résultats pratiques. Le père Plantrou avait exploité un lavoir public sur la Vesle, chaussée Bocquaine.
L’abbé Louis Ponchon, d’Orange, 75 ans, directeur du Grand Séminaire, dont l’abbé Mouret est l’économe.
J. M. Clotilde Pradine, 81 ans, fille de Pradine Luton, veuve de Jean-Baptiste Dauphinot, rue Gambetta, 18.
Adrien Savy-Costes, de Sauve (Gard), 71 ans, rue Houzeau-Muiron, 24, employé au peignage Isaac Holden, dont le fils est directeur.
L’abbé Raunet (J. F. Emmanuel) de Sainte-Marie-à-Py, 79 ans, rue Dorigny, 24, prêtre habitué à Notre-Dame, chapelain au Cimetière du Nord fils de Désiré Raunet et de J. Nicole Petit, dont la sœur, Véronique Petit, avait épousé J. F. J. Dupont, de Liry (Ardennes). Témoins : Auguste Émile Pavillon, chef du Bureau municipale des contributions et élections, gros et jovial farceur, véritable colosse par l’encolure et l’arrière-train, mais atteint tôt par une paralysie intermittente de la langue et de certains muscles, avec tremblement de ses mains potelées ; Dominique Hubert Bonnaire, vieux potache municipal également, du Bureau militaire, père de l’abbé Bonnaire, décédé, lui, curé de Witry-lès-Reims, après avoir été vicaire à Notre-Dame et Saint-Remi.
Thiéry-Picotin, 32 ans, loueur de voitures rue de Talleyrand, 72. Fils de Jacques Thiéry, maire de Tinqueux, il eut sa cavalerie et écuries rue de Vesle. Deux de ses bons amis habitent rue de Vesle, 80 : sur rue, le bourrelier Guénard, et sur cour, le graveur-lithographe Eugène Bouilly, neveu du défunt. Au 1er étage sur rue, Francine Balteau, veuve de l’imprimeur et publiciste rémois, Pierre Dubois, mort en 1868.
À Paris, le jeune porteur d’un grand nom : Maurice Henri, fils de Charles Édouard Ruinart de Brimont et Jules Marie Hennessy, de Cognac. Il avait demeure rue de l’École de Médecine, 1.
Xavier Henri Verguin-Baye, de Sedan, habitant à La Cerisaie, près le Pont-Huon, sur la Vesle, et sténographe-réviseur la Chambre des députés.
M. F. Solus, 81 ans, de Sainte-Croix (Aisne) chez son fils, charcutier, rue Gambetta, 6.
Marie-Thérèse Villain, 68 ans, rue des Poissonniers, 9, fille de Villain-Morin, veuve de l’avoué Gabriel Laignier. Son frère, Louis Victor, habite à Cormontreuil.
On craignait un instant d’avoir à enregistrer la mort d’un personnage d’opérette nommé Achille Laviarde ; mais ce n'était qu’une fausse alerte, car le gaillard avait encore à faire parler de lui, et ne se tut, pour l’Éternité, qu’en 1902.
Enfin, une haute personnalité qui remplit du bruit de son nom ; pendant des lustres, la cité tout entière, l’ex-maire et député de Reims sous l’Empire : Mathieu Édouard Werlé décède, frappé de congestion cérébrale, à 81 ans, en son hôtel, rue du Marc, 18.
Né le 30 octobre 1801 à Wetzlar, district de Trèves, en Rhénanie française d’alors. Venu dans notre ville pour y remplir d’importantes fonctions à la firme Clicquot, des champagnes, il devait en être un jour le principal dirigeant et associé. Le 20 septembre 1836, il épousait Louise Émélie, fille des Boisseau-Jeunehomme, de la bourgeoisie commerçante rémoise.
Entré au Conseil municipal en 1843, il en fut le maire, de 1852 à 1868, à la façon des bourgmestres de son pays, c’est-à-dire autoritaire mais bienfaisante. En 1868, il fut le compétiteur heureux de Jules Simon à la députation, et il siégea, parmi les soutiens de l’Empire, jusqu’à la débandade de 1870, qui devait faire le malheur de la France. À ce moment périlleux, il se ressouvint de ses origines, du moins en donna l’impression : il s’abstint dans le vote sur la déclaration de guerre à la Prusse.
Pendant la guerre, ces mêmes origines l’aidèrent à pallier, pour la cité qui l’avait adopté, les rigueurs de l’invasion, dont il était, pour sa quote-part, si minime qu’elle fût, le responsable !
On trouve, dans les Mémoires de Moritz Busch, secrétaire de Bismarck, à propos de son passage à Reims en septembre 1870, des détails circonstanciés où l’on trouve trace de l’intervention de Édouard Werlé dans les rapports pénibles entres envahis et envahisseurs. Faisons-y de larges emprunts, en tenant compte de la suffisance connue de l’auteur, personnage louche, sujet à caution.
5 septembre 1870. – Nous apercevons au loin les flèches (!) de la Cathédrale, et au-delà de la Ville des collines bleuâtres, qui ensuite nous paraissent vertes et portant sur leurs flancs de blancs villages. Après avoir traversé des rues pauvres et une place avec un monument, nous arrivons dans la rue du Cloître, où nous trouvons logement dans l’imposante demeure de M. Adolphe Dauphinot. Le Chef demeurait ici, dans l’aile située à droite de l’entrée, au 1er étage. Le bureau était installé au-dessous de sa chambre. De la pièce voisine du bureau, on fit une salle à manger. J’établis ma demeure dans l’aile gauche, auprès d’Abeken. Tout le bâtiment est bien meublé. Je couche dans un lit à rideaux de soie. Mes chaises sont rembourrées. J’ai une commode en acajou avec un marbre, une table de toilette, une table de nuit, une cheminée en marbre.
Les rues fourmillaient de Prussiens et de Wurtembourgeois. Le roi Guillaume fit à l’Archevêque l’honneur (!) de descendre dans son palais. J’apprends que notre hôte est le Maire de Reims (!), ce qui explique (!!) Peut-être la richesse et l’élégance des meubles.
On raconte qu’hier on a tiré d’un café sur un escadron de nos hommes. Le Ministre dit : Si le fait est établi, il faut détruire le café sur-le-champ et traduire le propriétaire devant une Cour martiale. Il faut donner à Stieber (préfet de police allemand) l’ordre de faire une enquête.
6 septembre. – Je me suis rendu à la Cathédrale, dont le carillon fort mélodieux m'a réveillé plusieurs fois durant la nuit. C’est un édifice imposant de la merveilleuse époque gothique. Il est consacré à Notre-Dame. La façade est admirable ; les 3 portails sont richement ornés de sculptures. Dans l’intérieur, une lueur magique baigne le sol et les colonnes, après avoir traversé les vitraux peints. Dans la nef, le maître-autel, qui a vu couronner les Rois de France, est recouvert d’une plaque de cuivre doré. On dit la « Messe » dans une chapelle de côté. Dans l’église, sont agenouillées des Françaises, chapelet en mains, et leurs coreligionnaires : des cuirassiers et des fantassins polonais et silésiens. Aux abords de l’église, beaucoup de mendiants demandent l’aumône, plusieurs en chantant... Nos hulans sont déjà à Château-Thierry ; encore deux jours et ils pourront toucher Paris. Nous resterons huit jours à Reims.
Le comte Böhlen fait au Chef un rapport sur l’affaire du cabaretier. Cet homme est un sieur Jacquier. Les cavaliers appartiennent à un régiment de hussards de Westphalie ; leur chef est le capitaine de Vaërst, fils du député de ce nom. Grâce aux instantes prières de Jacquier, innocent du reste dans cette affaire, la maison ne fut ni brûlée ni démolie, – d’autant plus que le coup n'avait pas porté. On se contenta d’obliger le cabaretier à distribuer 200 bouteilles de champagne à l’escadron, proposition qu’il accepta avec joie (!).
7 septembre. – j’ai fait de bonne heure une promenade dans la ville. Elle paraît assez riche ; les boutiques sont toutes ouvertes, quelques unes me paraissent même faire de bonnes affaires avec nos officiers et soldats. Sur la Place de notre rue s’élève un beau monument représentant Louis XV. Au milieu d’une large rue qui semble destinée à un « marché » et qui a, des deux côtés, des arcades à magasins et cafés, s’élève la statue du Maréchal Drouet d’Erlon, de médiocre valeur artistique. En revenant, je rencontre auprès de la Cathédrale des mendiants à l’air original (!). Un petit garçon, portant sur le dos un enfant plus petit que lui, galope auprès de moi en balbutiant : « Je meurs de faim. Donnez-moi un petit sou ». Un homme sans pieds rampe sur le pavé, son compagnon joue de l’accordéon et recueille les aumônes. Une femme, portant un enfant sur le bras, demande l’aumône pour acheter du pain. Un grand et fort gaillard chante, d’une voix de « basse », une chanson dont le refrain est : « Oh ! c’est terrible, de mourir de faim » ! Cinq ou six petits voyous, infiniment sales, rôdent autour d’un soldat qui porte un pain, et ils se battent en poussant des cris féroces (!!) lorsqu’il leur en jette (!) un morceau. Il paraît qu’il y a une grande misère à Reims, à cause de la fermeture des fabriques, et les personnages de la Ville craignent de voir éclater une émeute après notre départ (?)... Nous nous mettons à la recherche des curiosités de la ville. La ville paraît fort étendue, relativement au nombre de ses habitants, qui peut se monter à 60.000. Le vieil Arc-de-Triomphe ne peut se recommander que par son antiquité : il n'y reste plus que fort peu de sculptures et le couronnement en est tout à fait moderne. Sur le Port, des bateaux de transport sont amarrés. Sur un bateau, on lit : « pêche interdite ». Mais, INTER ARMA SILENT LEGES, car ici 3 hommes se donnent ce plaisir à leur aise. Plus loin, on aperçoit 30 autres jeter leurs lignes dans l’eau verte... Le style de l’église Saint-Remi appartient à l’époque de transition du romain au germanique (!!!). Elle fait une impression profonde par sa noble simplicité, ses colonnes gigantesques et sa longueur. Le tombeau du Saint, derrière le chœur, rappelle vivement celui du Christ à Jérusalem : il est de marbre blanc avec les colonnes veinées de rouge ; son style est Renaissance. À côté, on voit une chapelle sur l’autel de laquelle on découvre une rareté peut-être unique dans l’histoire de l’Art : c’est un Christ portant une couronne d’or et qui n'est pas nu, mais revêtu d’un manteau de pourpre sur lequel brillent des étoiles d’or. L’expression du visage et le genre de vêtements révèlent une origine fort antique. De l’autre côté, dans la sacristie, le « suisse » montre de vieux tableau en tapisserie...
– À table, l’Américain Shéridan, à propos de l’incendie de Bazeilles, justifie ce traitement infligé à la population en disant qu’on a le droit d’être cruel quand il s’agit de raisons politiques. La véritable stratégie consiste à frapper vigoureusement l’ennemi, mais surtout de faire aux habitants le plus de mal possible pour les engager – se dégoûter de la lutte et à exercer une pression sur le gouvernement. Il ne faut laisser aux gens que les yeux pour pleurer la guerre et regretter leur résistance (le fourbe prête à un tiers les théories de ses chefs, afin de dégager la responsabilité morale de ces bandits de haute lice !).
– 10 septembre. Le chancelier me fait appeler pour me donner l’ordre d’envoyer cette note-ci au « Courrier de la Champagne » et à « l’Indépendant rémois » : Si les journaux qui paraissent à Reims reconnaissent le nouveau Gouvernement français et s’ils impriment les décrets de celui-ci, il pourrait arriver que l’on vînt à en conclure que ces feuilles expriment ces opinions avec le consentement des autorités allemandes qui gouvernent la Ville. Ces autorités admettent, il est vrai, à Reims comme ailleurs, la liberté de la Presse (!), mais elles n'ont pas encore reconnu d’autre gouvernement que le Gouvernement impérial, seul autorisé par conséquent à traiter avec l’Allemagne.
– Dimanche 11 septembre. À midi, je me rends au Temple protestant. Le « service » se fait dans une haute salle, pourvue d’une chaire. Le « service » est mené par le pasteur militaire Frommel. Le Roi, le prince Charles, le grand-duc de Weimar, le grand-duc héritier de Mecklembourg, Bismarck, Roon, et nombre d’officiers prussiens y assistent. On débute par hymne à l’orgue, accompagné par la Musique militaire : « Louez le Seigneur, le Roi puissant et honoré ». Les soldats chantaient en suivant sur leurs livres. Le sermon roula sur les 11e et 12e versets, Évangile du 13e dimanche après la Trinité (Samuel, livr. I, ch. VII)... Plus tard, j’allai au « service » de la Cathédrale, dont les cloches furent tout le jour en branle. Le chœur était rempli d’ecclésiastiques de toutes sortes, violets, noirs, blancs, blancs et noirs. Nous voyons défiler une foule de soutanes rouges, violettes, en soie, en drap, en cotonnade. Enfin, l’Archevêque, J. F. Landriot, et sa longue traîne passa près de nous, entre deux membres du haut-clergé, derrière lui ses deux desservants (le tout jeune porte-queue et le valet Michel Allart), plus des enfants de chœur en blanc et en rouge. Lorsqu’il sortit et donna sa bénédiction aux gens accourus en foule, j’en eus ma part. Dans la journée (fixons ici l’attention... et l’intension), UN M. Werlé, se présenta au Chef. C’était un vieillard maigre (ah !), au chef branlant, et, naturellement (?), il portait à la boutonnière ce petit ruban rouge qui semble faire partie intégrante du costume de tout français bien habillé (que d’esprit !). Il paraît que c’était un membre du Corps législatif et un associé de la firme Veuve Clicquot (comme il fait le bête ce Büsch !). Il voulait parler au Ministre des moyens à prendre pour mettre fin à la misère régnant en ville, et par là éviter une émeute des Pauvres contre les Riches. Ces derniers craignaient que les Ouvriers, nombreux et agités, ne vinssent à se déclarer partisans de la République rouge. Comme on en comptait de 10 à 12.000 à Reims, le danger semblait être réel au cas où nos soldats quitteraient la ville. Il y a quatre semaines, on n’aurait pas non plus rêvé qu’un jour les Allemands seraient obligés de défendre les Français contre les « Communards » ! Merveille sur merveille ! M. Werlé parlait allemand. On dit même qu’il est d’origine allemande ?... (Le papelard ! voyez-vous donc sa mine de sainte-n’y-touche !), ce qui est fréquent parmi les commerçants en vins de Champagne. D’autres personnes se présentèrent, entre autres une femme se plaignant que les soldats lui eussent volé des sacs de pommes de terre : on lui dit de s’adresser à la Police. « Ouais ! mais c’est vous qui devez me secourir ! Je suis mère de famille »...
Le scribe et plat courtisan de Bismarck quitta Reims le 14 septembre.
Nous continuâmes à apercevoir longtemps encore la Cathédrale...
Ce vilain coco, lèche-bottes émérite et contempteur du Français vaincu, dit de nos paysans, aperçus entre Dormans et Château-Thierry :
Ils avaient des airs stupides, cet air timide et engourdi leur venait peut-être de leurs bonnets de coton, et, s’ils avaient la main dans la poche, ce n’était peut-être pas par apathie de leur part, mais un moyen de crisper leurs poings sans en rien à faire paraître ! (Pour une fois, le boche avant la lettre a sûrement raison !). Plus tard, de Meaux, il écrit : Le prince de Hohenlohe assiste au dîner du Roi, de même que le Chef. À son retour, on affirme que Reims sera le centre d’alimentation des provinces françaises, et que le grand-Duc de Mecklembourg en sera le gouverneur général, ayant sous lui Hohenlohe (merci de l’honneur !).
Des oubliés ! Pierre François Toupet, 53 ans, professeur de musique, rue de Brimont, 8, à l’Hôtel-Dieu. Qui donc se serait occupé de cet abandonné de tous, si cette plume-ci n’en prenait la charge ?
Un tout petit-petit, qui porte un nom dont il reste des traces dans l’histoire de Reims, au temps des sans-culottes : Louis Beugé, 1 an, décédé le 5 janvier, rue de Ruisselet, 30. Le père n’en est-il pas ce Louis Beugé, diplodocus de la fabrique de Reims, que des officiels bien de la maison se proposent de faire décorer du ruban rouge, pour états prolongés de services (1934) ?
Le 13 décembre, Félicité Bonjean, épouse du maître-nageur des Bains Guinot, dont l’exploitant est son propre père, Napoléon Pierre Guinot, de Liry (Ardennes). Le nom de Bonjean reste accolé à celui de ce farceur de Achille Laviarde, roi in partibus d’Araucanie, de grotesque mémoire.
Enfin, cette Rémoise, fille d’un meunier à Fléchambault, Élise Françoise Cerlet, veuve en premières noces de Jean-Baptiste David et en deuxièmes, de Bourquin, professeur au Lycée, rue du Barbâtre, 59. Elle était la mère de Nicolas David, créateur de la célèbre Collection des Auteurs français et étrangers, publiée, dès 1859, en in-12 à 0.25 c. sous le titre : Petite Bibliothèque Nationale. À ce compte, elle est deux fois méritante.
Le cœur se raffermit à la pensée que temps de pertes ne suffiront pas à tarir les sources de vie en notre vieille cité gauloise, car de nouveaux couples s’inscrivent dans nos cadres matrimoniaux, à l’effet de combler les vides creusés par la Mort en nos rangs !
1885
Du nécrologe de 1885, où s’inscrivent 2.980 décès, quels noms allons nous retenir pour un monologue où l’éloge sera réparti avec générosité, la mort atténuant les torts du vivant, passant éponge sur ses péchés véniels, ses ridicules, pour ne garder que la trace des vertus et des mérites !
Attaquons donc ce monceau d’ossements pour en re-cueillir la moindre parcelle de moelle du souvenir ! Et honneur à celles qui firent partie de la plus belle – ou moins laide – moitié du genre humain :
Adélaïde Guillemin, 76 ans, veuve de J. M. Goulet, aïeul et fondateur d’une dynastie épicière qui a empli Reims et le Monde de ses exploits commerciaux. Son fils Pierre était épicier avenue de Laon, 124, alors que André Lartilleux vendait, comme lui, sucre, poivre et lentilles rue de Mars, 46.
À côté de cette dogaresse de l’Alimentation disparaît e grain de poussière, la jeune Marie Violette, tisseuse, 27 ans, fille et épouse de trieurs de laine : son veuf est Alfred Tortuyaux, de Château-Porcien, contremaître à l’atelier Marteau frères, route de Saint-Brice.
Le 12 janvier décède la Dlle Lahaye, octogénaire, créature pitoyable au pauvre monde, gérante d’une succursale du Mont-de-Piété, rue du Bourg-Saint-Denis, 81, puis rue du Jard, 10. Son neveu, le bossu Victor Doré, lui succède.
Élisabeth Sophie Benoist, 86 ans, rue du Cloître, 1, fille de Benoist-Guélon, veuve du lainier Isidore Gerbaux.
Aux Petites-Sœurs, Marie Florentine Démaret, 79 ans, veuve de Louis Cazé, le musicien.
Une Messine de Devant-les-Ponts, Madeleine Pontois, 63 ans, épouse du cordier Rollin rue Landouzy, 4.
La supérieure de l’Hospice Saint-Marcoul, Marie Élisabeth Charton, 70 ans, de Authe (Ardennes).
Marie-Louise Villain, 70 ans, rue Vauthier-le-Noir, 10, veuve du lainier Victor Machet, fille de Villain-Morin. Tante de Gustave Louis Villain, greffier au Tribunal civil, rue des Capucins, 131, alors âgé de 31 ans, dont le nom acquit depuis une fâcheuse réputation, à la suite de l’assassinat de Jean Jaurès, en 1914, par son fils cadet, Raoul.
Marie Henriette Bruncler, 53 ans, épouse de Édouard Cailliau, intéressé de commerce chez le lainier J.-B. Thuillier, rue Gambetta, 71. Fille de Bruncler-Huiblet et mère de Léon Cailliau-Godet, habitant en 1934, rue de Chativesle, 12.
Ursule Joséphine Dervin, 81 ans, de la Capelle (Aisne) rue du Cadran-Saint-Pierre, 3, veuve de Jean François Petitjean, pain-d’épicier de l’Empereur. Témoin : Arsène Théodore Petitjean, 49 ans, maître verrier et maire de La Neuvillette.
Marie Sophie d’Anglemont de Tassigny, 21 ans, fille d’Adolphe.
Marie Félicité Robert de Bonneval, de Metz, 67 ans, rue du Cloître, 4, fille de Bonneval-Sido. Les Sido étaient fort connus à Metz.
Jeanne Marie Thiéry, épouse Appert, de Suippes, mère du fabricant Appert-Tatat et de Mme Jules Andrieu, des tissus.
Louise Trousset, des Mesneux, 68 ans, veuve du peintre en bâtiments Joseph Labbé, qui exerça successivement rue du Jard, de Contrai, Trudaine, 9. Témoins Édouard Masson, 30 ans, épicier rue de Contrai, 8, et Louis Beugé, 29 ans, rue Gambetta, 27, des tissus chez Balourdet (ou il encore présent en 1934).
Zénaïs Lucie Joséphine Anduze, 68 ans, veuve de Pascal Auguste Bazin, professeur de seconde au Lycée de Reims, mère de Gustave, chef de la Musique municipale, et de Émile, tissus, rue Cérès, 38 .
Julie Ambroisine Routier, 79 ans, rue du Faubourg-Cérès, 11, veuve de Théodore Houbart. Elle décède chez son gendre Lhuire, marchand de nouveautés : Au Sarrau bleu ; dont le fils Jacques mourut jeune, après avoir été l’un des poètes et des écrivains les plus délicats de notre anthologie rémoise ! En cet immeuble, habitait, en 1825, le fabricant d’étamines, Étienne, dont les filles firent partie du cortège royal, au sacre de Charles X.
Chez les hommes, les coups n’en sont pas moins profonds. Le Vieux-Reims d’alors disparaît pierre à pierre, os à os, pour faire place à ceux qui, en 1934, se serreront au coude à coude, en se regardant comme des effarés, surpris d’être encore là, sous les voûtes du bel hôtel Le Vergeur, restauré par son généreux propriétaire, Hugues Krafft, avec le concours de l’architecte Adolphe Prost et de l’administration des Beaux-Arts. Le Vieux Reims n’est mort !
Tout va se transformer, à l’aspect de la cité gallo-romaine comme les noms de ses concitoyens, – et, nous-mêmes, mémorialistes locaux ou simples spectateurs muets de la Vie rémoise nouvelle, n’allons nous pas périr avec les derniers vestiges d’un passé tendrement chéri, et caressé, en l’honneur de la déesse Mémoire !
Charles Arthur Boulanger, 48 ans, commissaire de police du Ier canton, rue des Capucins, 26, sous-ordre de Buzzini, ex-sous-officier aux Cent-gardes de l’Impératrice, et collègue d’Adrien Accolas, du 3e canton, place Suzanne.
L’ex-fabricant Louis Leroux, 75 ans, de Perles (Aisne), père de Gabriel, rue Saint-Étienne, 8. Un Leroux est, à Perles, éleveur réputé de béliers-mérinos.
Louis Eugène Picard, décédé à l’asile de Châlons, 24 décembre 1884, était fils de Édouard et Rosalie Bonnefoy, et oncle de Mme Numa Aubert, des tissus.
Hubert Baudet, libraire successeur de Rêve, rue Saint-Étienne, 4, à l’enseigne du Cardinal-de-Lorraine, 26 ans. Fils du marchand de laines à tricot Baudet-Paquis, au 98 rue du Bourg-Saint-Denis, demeurant même rue 73. Époux de Marie-Louise Fréminet.
Jules Villeminot, 71 ans, mécanicien, de Paris, époux de Jeanne Pauline Barrois. Leur fils Paul, ex-directeur d’usine rue Saint-Thierry, a 49 ans et habite à Merfy.
L’architecte Arthur Gehrès, 29 ans, rue Anquetil, 54, fils de l’épicier Gehrès-Rausch. Ex-élève de la classe de dessin linéaire dirigée, aux Frères du Jard, par cet artiste en robe de bure, le frère Hector, de Rocamadour, auquel Reims a dû ces spécialistes du compas et du tire-lignes, architectes et dessinateurs : Louis Schneider, Louis Routhier, Tuniot, Touny, Paul Denoncin, Corlet, Michel Hanse, Prudent Queutelot, etc.
Un type des rues, le père Liance, 76 ans, ex-vigneron à Courville ; marchand ambulant de gâteaux dit Tête de chi-nois, à pâte savonneuse et savoureuse, gonflés en pets-de-nonnes, et fondant sous la dent. Son refrain égayait et faisait sursauté de désir les tout petits, voire les grands.
Ils sont tout chauds,
Mes petits gâteaux,
Régalez-vous-en,
Voilà l’marchand !
Chauds ! Chauds !
Les Petites-Sœurs avaient recueilli le père Liance.
Un fameux architecte rémois : Auguste Aimé Herbé, de Paris, 54 ans, veuf de Félicie Droinet (dont le père fut un journaliste local de l’époque romantique), remarié avec Étiennette Élisa Lurette, fils de Herbé-Sarrat, et père de son successeur, Victor Herbé.
Le médecin Celse Panis, de Chimay (Belgique), 82 ans, rue de Talleyrand, 43, veuf de Félicité Lundy et père d’Alphonse.
Paul Roger, 55 ans, ex-négociant en vins, rue Libergier, 16, époux de Adèle Coralie Brucelle. Son frère, Edmond Roger, habite au Clou-dans-le-Fer, et son neveu Barthélemy, distillateur, rue des Deux-Anges, 6.
Un cabot de province, né à Reims, Édouard Barbry, fils de Anne, décède à Marseille, en l’Hospice de la Conception, où 17 ans plus tard, viendra mourir le poète Rimbaud.
Désiré Marlier, 46 ans, ex-employé d’octroi, puis gérant du Cercle littéraire, finalement débitant rue Chanzy, 55, a donné son nom au passage introduisant le piéton de la rue Chanzy à la rue des Fusiliers. Né à Romigny (Marne), de Marlier-Dessery, il avait épousé l’aîné des filles, Octavie, du receveur d’octroi à porte Cérès, Basélide Henry, de Liry.
Eugène Lion, en religion Louis-Marie, archevêque de Damiette, natif de Reims, décède à Mossoul (Turquie d’Asie, au couvent de Robbane-Hernez. Il était fils de Lion-Deschamps .
Le patriarche à barbe fluviale Aimé Parfait Lheureux, – trois prénoms et nom bénits et porte-bonheur ! – 73 ans, gérant du dépôt de coke de la Compagnie du gaz, rue Chanzy, 68, époux de Aimée Désirée Lefebvre .
Le lainier Nicolas Ponsart, de Sommepy, 61 ans, associé à ses frères Fulgence et Louis, rue Coquebert, 67. La maison de commerce est rue du Cardinal-Gousset, avec habitation rue Clicquot-Blervache.
Félix Barbe, 59 ans, rue Petit-Roland, 20, épouse de Sophie Henriot, fils de Barbe-Bourquin. Son fils Paul est associé à Becquet, pour le commerce des blousses de laine, rue du Levant.
Claude Antoine Mortelette, 69 ans ; du Comptoir d’Escompte, place Royale, 6, époux de Marie Virginie Godet, et beau-père de l’épicier Carraud.
Henri Dantzer, de Barr (Alsace-Lorraine), 45 ans, directeur de l’usine du Mont-Dieu, rue du Barbâtre, 51, époux de Élisabeth Torrance.
Louis Folliart, 56 ans, ex-fabricant, rue des Templiers, 14, veuf de Marie Delafraye, fils de Folliart-Pinon.
Un revenant de 48, contremaître de filature promu député à la Constituante par les ouvriers rémois, né le 6 janvier 1802, rue de la Barre, 6 (Cette rue a reçu son nom). Époux de Marie Félicité Ancelet, 85 ans, Jean-François Xavier Ferrand était fils de Ferrand-Husson, tisseur à la main.
Pierre Guyotin, 86 ans, ex-fabricant de couvertures de laine, époux de Marie Rose Lorsignol, fils de Nicaise Guyotin-Géruzé. Témoins : Ferdinand Julien Piéton, avocat, rue de Vesle, 27, et Louis Guyotin, de Paris.
Edmond Rachel, de Sery (Ardennes), 47 ans, négociant en tissus, esplanade Cérès, 14, époux de Joséphine Émilie Cornet, 32 ans. Rachel vint à Reims en 1852, et fut commis chez Dervin jeune. De là au service de E. Grandjean (lui-même décédé en 1885, rue Cérès, 63). Édouard Maillard et Théodore Hubert achèvent de le dresser, et, en 1868, il s’établit à son compte.
Paul Pinon, 51 dans, fabricant de tissus, rue Saint-Symphorien, 14, fils de Léopold Pinon-Provin, époux de Léonie Duplessis.
L’abbé Jules Reimbeau, fils des Reimbeau-Harmel, décède à Turin, 29 ans.
Un philanthrope sans esbrouffe, de ceux qui ne tirent gloriole ni profits du bien qu’ils font dans leur entourage, et dont on oublie trop volontiers le souvenir, – car leur nom est comme un reproche, avec leur vie exemplairement charitable, contre l’égoïsme de ceux dont la devise est : Chacun pour soi, Dieu pour tous ! sépulcres blanchis que flétrit l’évangile, – Jean-Baptiste Sautré, maître charpentier, 74 ans, rue de Venise, 48. On n'a jamais songé à donner son nom à quelque rue de Reims : ces petites gens, qui ne font pas de politique, fi donc !
Auguste Colin, 72 ans, marchand de bois, chaussée du Port, fort populaire parmi la gent écolière du Jard, qui allait jouer dans ses chantiers de bois comme sur les radeaux du bassin du Port, et grimpaient à l’occasion dans ses tombereaux rentrant à vide, à côté du charretier complaisant.
Paul Émile Fert, 27 ans, peintre en bâtiments, fils de feu Prosper Fert, libraire, rue de l’Étape et des Tapissiers devenu, par la dureté des affaires employé dans les tissus, rue Coquebert, 66, et de Marie Virginie Missa.
Prosper était un fils naturel de M. J. Julie Fert. Paul Émile avait épousé, alors qu’il habitait chez sa mère, rue Henri IV, 27, Hortense Pauline Gérard, 23 ans, fille de Gérard-Leroy, matelassier cour des Sœurs (faubourg Cérès).
Après-guerre, on retrouve la Veuve Fert au service du Dr Pol Gosset, rue des Templiers, 12 ; en 1934, elle entre à la Maison de retraite.
Furent témoins aux noces Fert-Gérard, Ferdinand Fert, frère de l’époux, et son cousin Clovis Lambert-Missa ; Joseph Trichet, 53 ans, comptable, rue Rogier, 20 ; dont un fils apprit le violon auprès du père Cazé ; et Nicolas Poissinger, auneur de tissus, rue Cérès, 36. Lambert était concierge au Lycée de Reims, – rayon Jeunes Filles, rue de l’Université. Les Poissinger étaient en cousinage avec Hortense Gérard, qu’en leurs vieux jours, après-guerre, les Rousselle-Poissinger, rue des Murs, 36, surnommaient : Potence.
Eugène Édouard Drouin, 45 ans, rue Jeanne-d’Arc, 55. Sa veuve, Louise Painvin, tenait éventaire de volailles aux halles : retirée des affaires, elle habitait, avec son fils, en 1914, sa maison de la rue de Contrai, 7, dont les ruines fu-rent recouvertes, jusqu’en 1933, de baraques en planches, pour bistrots et chiffonniers. Le Restaurant italien Gelpi y résida plusieurs mois.
Paul Ledru-Bertin, quincaillier rue Gambetta, 10, l’un des fondateurs des Établissements Économiques. Son fonds est passé par les mains de Thibault, Hayon-Védie et Syren.
Eugène Harbonville, 38 ans, maréchal-ferrant, rue de Contrai, 5, époux de Aurélie Labruyère. Il avait succédé là à Moussard, lieutenant de pompiers ; son successeur fut Guyon.
Jean-Baptiste Ninet, 59 ans, époux de Louise Rondu, directeur de la Société des Déchets, rue du Jard, 23 ; il décède à Cormontreuil. C’était un gros homme barbu, au teint olivâtre, fort sociable, actif, compétent, débrouillard, et donna une grande impulsion aux opérations de cette firme. Alfred Renard devait le remplacer. Il avait connu, comme principaux collaborateurs le caissier Ambroise Petit, de musicophile mémoires, son frère Eugène Ninet, Godfrin, Duval, Ernest Denoncin, etc.
Ernest Favréaux, 29 ans, rue Chanzy, 80 ; il avait re-pris l’atelier de photographie de Baudart, l’homme aux jambes de veste. Il était fils de Favréaux-Janson ; sa veuve habite à Paris depuis 1902 après avoir fait achat d’un immeu-ble rue du Barbâtre, 196, pour la somme de 15.000 fr.
Alfred Netzer, 24 ans, rue du Petit-Four, 9 ; sportif, il fut le lieutenant d’Ernest Arlot, à la tête des sociétés de gymnastique rémoises.
Louis Émile Boitel-Fléau, 35 ans, débitant buraliste rue Chanzy, 121, à la suite de la mère Meunier octogénaire, victime d’un assassin rue du Pont-Neuf, où elle vivait en exploitant infime bouge à chemineaux. Boitel eut pour successeur le gendarme en retraite Michel, qui, ayant reprit du service actif en 1914, et combattu sur le front de France, ne put survivre au décès de sa femme et se suicida !
Henri Rocher, célibataire de 37 ans, trieur de laines et chef de chantier à l’usine Marteau frères, rue des Romains (Ernest-Renan). Il habitait avec sa mère, gérante de la succursale des Établissements Économiques, rue du Barbâtre, 63. Très impulsif, intelligent, actif, il était d’une originalité touchant parfois à l’esbroufe, et faisait partie de l’équipe joyeuse qui se réunissait chez Blaise, au café Saint-Roch, rue du Barbâtre, dont Émile Bazière fut le grand animateur, et où, à certaines heures, le roi d’Araucanie, Achille Laviarde, fit de courtes apparitions, en compagnie de Dona Maria, sa compagne. Les habitués de ce café avaient comme tête de Turc, un innocent bonhomme, Leblanc, dit Blan-Blan, qui leur servait de fou.
L’aubergiste de la Haubette, Oury-Kies, successeur de Titi-Duval : jardin, bosquets, tonnelles, restaurant de jour et de nuit.
Charles Lorquet, 69 ans, rue Henri IV, 27. Ex-directeur de l’octroi à Metz, et beau-frère du messin Gaston Périn, restaurateur rue du Cadran-Saint-Pierre, prédécesseur de Degermann, lui-même originaire de Barr, près Sainte-Odile.
L’ex-boulanger Verrier-Coulmeaux, rue de l’Équerre, 40, 70 ans. Son fils Félix est chef trieur à la firme Thuillier ; il eut une fille de toute beauté, qui entra en religion, au désespoir des siens.
Eugène Clicquot-Fuzellier, 74 ans, chez le général baron Berge, au château de la Malle.
Thiédaut, de Rilly-la-Montagne, cheminot de la Compagnie de l’Est, piston aux Régates rémoises, 40 ans. Il a un fils, en religion Frère Marius, de l’ordre des Franciscains quêteur aux Capucins, dont couvent et chapelle sont à La Haubette, après-guerre.
Joseph Wittmann, 38 ans, de Phalsbourg, professeur de piano, sous-directeur de l’orphéon Alsace-Lorraine, sous Wiernsberger fils.
Bisset père, 56 ans, charcutier rue Gambetta, 109 ; son fils, né là en 1859, y exercera la profession jusqu’en 1914.
Clément Grassière-Mazoyer, peintre en décors et dé-bitant rue Chanzy, 11, 48 ans : excellent flûtiste aux pom-piers et au théâtre. Mort presque subitement.
Fermons ici le registre des sorties suivies de départs pour cet au-delà qui nous laisse rêveurs et palpitants.
Combien d’oubliés avons-nous dû laisser en cours de route, mais dont on retrouverait les traces en déambulant pieusement et lentement par les sentiers fleurant le buis et le cyprès de nos nécropoles, là où les familles au cœur large perpétuent de leur mieux, sur le marbre, la pierre et le bois, le souvenir de ceux qu’elles ont perdu !
Tous se consoleront s’ils ont l’espoir de retrouver les leurs dans un au-delà, qui reste, en dépit des philosophies, bien incertain. Mais, ces deux vertus théologales, la foi, pour les uns, l’espérance, pour les autres, ont creusé dans les méninges, un tabernacle aux jusants indestructibles où viennent se briser les vagues furieuses et impuissantes de la négation.
Oui ! même malgré nos réactions intellectuelles, re-poussons de toutes nos forces ces perspectives d’un néant où nous disparaîtrions à jamais ! Que resterait-il à l’homme que de se livrer au culte négatif de la matière, avec cette devise : Vivons bien, nous mourrons gras !
1886
La Mort, cette rageuse et carnassière, folle à lier en ses colères et sa passion de détruire, fauche à larges brassées dans le bled rémois. Elle est ivre de l’amer breuvage tout en pleurs et gémissements, allègre des deuils semés à la ronde, toutefois désolée devant l’allégresse sournoise du fisc et de la basoche, coureurs d’héritages, profiteurs de détresses, et aussi au spectacle de l’hypocrite et grimaçante pleurnicherie de ceux qui ont attendu, trop longtemps à leur gré, l’ultime soupir des doges à gros revenus de leur parenté !
Abattage sinistre de têtes sur têtes, à tous âges et conditions, de toutes valeurs, en ce vaste champ de la Vie Rémoise.
À bas ! ce Charles André Godet, cet orgueilleux qui persiste à vivre, en ex-fabricant, à 75 ans, avec sa vieille, Jeanne Victoire Goulet, rue de Pouilly, 7. Il était fils de Pierre Godet-Goulet, et père de Mme Félix Benoist, des Capucins.
En 1848, ce Godet, qui habitait à l’angle des rues Hincmar et des Capucins, vis-à-vis l’usine, tranchait à sa façon la question de cherté de vie, dont on s’est plaint en tous temps, par ce raisonnement : Comment voudriez-vous que le prix de la viande fût moins élevé ! L’ouvrier lui-même veut en manger ! Évidemment !!
Le 6 janvier disparaît une silhouette des plus originales, cet herboriste de la rue Chanzy, 100, François Leroy, haut et maigre, cheveux et barbe blancs comme de l’étoupe, teint rosé, œil malin, le verbe onctueux et bénisseur. Il était quelque peu thaumaturge et guérisseur.
Un jour, son voisin Godard tombe à terre et se fracture un tibia. La Faculté intervient et sort sa scie. Nenni belle Dame dit le blessé ! Qu’on appelle Guéritout : c’était le surnom que Vox Populi appliquait au bonhomme. Leroy accourt, et au moyen d’un onguent de sa composition, il rend vie et espoir au membre condamné !
Comment échappa-t-il à la correctionnelle, pour exercice illégal de la médecine ? Le quartier eût fait une émeute !
Il eut une fille qui épousa en premières noces Lemarié, commissaire de gare à Reims, lequel, une fois capout, eut pour successeur un de ses locataires, Collard : elle décéda en 1916.
Un fils aîné de Guéritout fut élève au Jard, puis à l’École de Médecine, et, en 1919, retour d’exil. Son cadet, Edmond, rue Gambetta, 88, en 1935, est caviste chez les Delbeck.
Notons qu’un pharmacien du voisinage, Fleury-Deborre, avait, lui, poursuivi Guéritout pour vente illicite de produits pharmaceutiques : l’hydre des privilèges montrait une fois de plus sa face hideuse, – en exhibant ses diplômes !
Et voici que le père Nitzsché, ante Boche de Drosen (Saxe), 78 ans, rue Brûlée, 56, veuf d’Adèle Guinot, s’approche des portes du Walhalla. Va-t’en, Satan, Wotan t’attend ! Melchior était né en 1807. Docteur en philosophie et théologie à Leipzig, pasteur protestant, il s’enfuit à Paris au moment des troubles de 1848, et exerça l’enseignement de son horrible langue à Périgueux, Pontivy et Reims, au Lycée, où il fit entrer comme boursier un neveu de Adèle Guinot, Achille Lemot, natif de Reims, qui fut un artiste dessinateur remarquable. La première femme de Nitzsché, épousée en 1863, mourut en 1879. Sa propre sœur à lui est décédée à Altenbourg.
L’avoué Victor Portevin, adjoint au maire, père d’Hippolyte, époux d’Eugénie Alloënd. Né à Champillon en 1822, il était fils d’un vigneron, Remi Portevin-Berthélemy. Nombre de Rémois portent en prénoms ces vocables locaux : Remi, Remiette, Nicolas, Nicolle, Timothée, Nicaise, etc. On reste dans la tradition avec ferveur.
Jacques Célestin Dehec, d’Heutrégiville, 60 ans, ex-conseiller municipal, liseur de dessins pour métiers Jacquart, proche parent de ce Louis Beugé de 29 ans qui est gardien du square Saint-Nicaise, nouvellement aménagé aux pieds du rempart Dieu-Lumière.
Félix Leblan-Falaize, 55 ans, place Royale, 5, ex-coutelier et conseiller municipal.
Le Dr Jules Gérard Collomb (souvenir du Tueur de lions), de Blumery (Haute-Marne), 37 ans, rue Cérès, 14.
Rémy Casimir Solus-Gaillot, de Sainte-Croix (Aisne), 51 ans, charcutier, rue Gambetta, 6.
Martin Dombry, 69 ans, apprêteur, rue Fléchambault, 12, époux séparé depuis 1848 de Thérèse Lamort, 64 ans, réfugiée chez ses neveux, les Leclerc-Lamort de la laine, rue Saint-André. Dombry s’était compromis dans les milieux clubistes entre 1848 et 1852, et fut pourchassé au coup d’État de décembre 1851.
Il était alors débitant de boissons sur la Couture. Beau-père de Albert Dazy, ex-comptable chez J. Poullot, puis courtier en laines et associé à Robert Bücholz pour l’exploitation de leur marque de champagne.
À l’Hospice Saint-Marcoul, Jules Pierre Justinart, 61 ans, fils de Louis Justinart-Pigeon, veuf de Julie Gobin, père de l’imprimeur de l’Indépendant rémois.
Pierre Nicolas Bourguignon, ancien négociant, rue de Talleyrand, 49, époux de Marie Nicolle Éléonore Guillemand, laquelle fabriquait une eau pour les yeux, spécifique excellent, qu’elle distribuait gratuitement : elle en a malheureusement emporté la recette dans la tombe ! Les oculiste de nos jours qui font des recettes annuelles s’élevant, paraît-il, à 700.000 fr., seraient fort marris de la résurrection de la bonne dame Bourguignon !
Nicaise Timothée Langlet-Villain, 76 ans, rue du Jard, 80, fils de Langlet-Henrot, dont Jean-Baptiste Henrot de Liry fut le beau-frère. Ces noms n’évoquent-ils pas tout un monde, une génération, une mentalité, qui ont duré jusqu’à nos jours ? Qu’en dire ici qui ne soit connu des Rémois d’avant-guerre, sinon de leurs successeurs ?
Auguste Harlaut-Sibenaler, 62 ans, rue de l’Étape, 12, allié aux familles Thiéry-Picotin, Génin-Camet, Raymond Aubert.
Le gros Fulgence Ponsart, de Sommepy, 60 ans, rue Clicquot-Blervache, 10, et associé aux lainiers Ponsart & Gaillet, meurt à Cannes.
Sophie Véronique Ponchon, veuve Martin, 74 ans, rue Petit-Roland, mère de Jules Martin des tissus, et aïeule de la poétesse rémoise Cécile Périn, épouse en deuxième noces de Daniel Réal.
Jules Jamin, de Termes (Ardennes), membre de l’Institut, né le 30 mai 1818. Il entra au Lycée de Reims alors qu’il était pupille de Mlle Lebrun-Lepreux. À 20 ans, il est à l’École normale supérieure. À 50, professeur de physique à la Faculté des sciences. En 1872, il avait succédé à Jean-Baptiste Dumas, secrétaire général de l’Institut de France. La municipalité donne son nom à un de nos boulevards extérieurs.
La veuve du fabricant Lemoine-Brabant, 78 ans, boulevard Cérès, 15.
À Caurel ont lieu les obsèques civiles du sculpteur monumentiste Prosper Jactelle, 67 ans.
Disparition de la mère Lajoie, jardinière. Son aïeule, décédée en 1774, s’était mariée à l’âge de 16 ans ; veuve 20 ans après, elle laissait une progéniture de 18 filles et garçons qui engendrèrent 123 Rémois et Rémoises de sang Lajoie !
Un artiste de l’Opéra, enfant de Witry-lès-Reims, Menu, basse profonde, créateur d’un rôle important, en 1878, du Roi de Lahore, de Massenet, aux côtés du baryton Lassalle.
La collection Paris-Théâtre, d’Eugène Paz, possède son portrait en buste, le représentant en barbe apocalyptique sur une large face resplendissante de force et santé. Il avait fait partie, à Reims, de la chorale Sainte-Cécile, dirigée par E. Bouché, et du chœur au lutrin de Notre-Dame sous Étienne Robert. Il entre Conservatoire en 1868, date des premières tentatives d’embauchage à Paris de ses concitoyens Richard, ténor, et Max Simon, ténorino, tous deux enfants du 3e canton. César Franck l’eut comme soliste à Sainte-Clotilde. Dans la même gazette théâtrale Illustrée, Paris-Théâtre, on trouverait aussi les portraits de ces autres artistes rémois : Olivier Métra et Maria Legault.
Alexandre Lardenois, chapelier rue de Talleyrand, meurt d’apoplexie, en sciant du bois.
Décès subit de Gehrès-Rausch, père de l’architecte, à 57 ans, épicier rue Landouzy, 46.
Franck-Morel, grand premier rôle au Théâtre, place d’Erlon, 28, perd sa femme, 31 ans.
Apert-Mandart, fabricant de machines agricoles, 57 ans, rue Lecointre, 25.
Le tonnelier Gustave Pommelet, 32 ans, rue du Jard, 38, angle rue Marlot : il était au service de Ferdinand Gaillot, successeur de Grouselle, rue Chanzy, 70. Sa sœur Eugénie, qui mourut jeune à la suite de couches, était l’épouse d’un trieur de laines et ténor aux Enfants de Saint-Remi, Jules Barrois, de Warmeriville, décédé à 1921 à l’Hospice Rœderer-Boisseau.
28 mai. Un bien brave homme, Jacques Hémery Hulot, 76 ans, ex-conseiller municipal, 1871-1881, rue Hincmar, 21. Son père était ouvrier maçon ; lui-même n’était encore que manœuvre quand on reconstruisait à neuf cet Hôtel de Ville où il siégerait en édile dévoué, économe des deniers de la cité. Soldat dans l’artillerie, il y apprend à lire et écrire. En 1827, on le voit à la tête de la Société mutuelle des gâcheurs de mortier et bâtisseurs de villes.
Avec Étienne Lesage, il fonde, en 1868, les Établissements économiques. On oublie trop facilement les vertus et les mérites de ces modestes citoyens pour s’affaler à plat ventre devant des flagorneurs de peuples, des saltimbanques de la politique, danseurs de cordes et vulgaires arrivistes sans scrupules, adorateurs de leur propre nombril !
L’ex-frère ignorantin Charles Victor Labbé, de Puisieux (Aisne), créateur de la Pension Saint-Charles rue Sainte-Catherine, 11, gros homme replet et bon enfant, au teint blême, décède à 49 ans.
Un philippiste réputé, Fortel-Scheppers, homme de la tradition quoique d’esprit Large, colonel de la Garde nationale en 1850. Lorsqu’à son passage à Reims, le prince-président voulut le décorer, il demanda qu’on transférât cette faveur sur la tête de Olympe Besnard, capitaine des Pompiers : Toutefois, j’accepterai si Besnard est honoré en même temps que moi ! Bonaparte lui fit la nique, en raison de cette preuve d’indépendance et de modestie : seul Besnard eut la croix ! Belle malice, n'est-il pas vrai !
Le docteur Brébant décède à 60 ans, prématurément, de l’avis général. Esprit de haute valeur. Il était veuf d’une Leroy quand il épousa Marie Amélie Fournier, fille d’un maçon de la rue du Jard, dont une sœur cadette, Eugénie, rentrayeuse à la firme de Edmond Givelet, place Belle-Tour, en 1874, prit pour mari un trieur de laines, Rousselle, qu’on vit traînant la patte droite, plus courte que la gauche, en défilant dans nos rues, à la tête des gymnastes de la Gauloise, dont il était le porte-drapeau, peu esthétique, vers 1900.
Originaire de Balham (Ardennes), il habita un temps à Voncq, village ardennais perché sur une hauteur d’où on domine la plaine de Vouziers : incendié par les Allemands en 1870 et 1914, certain habitant de ce lieu tragique avait jadis adossé contre un mur intérieur de sa maison deux cuveaux à lessive qui servirent de couchette, en maintes occasions, à des soldats en grandes manœuvres dans la région.
Au sortir de l’école villageoise, Brébant fut modeste maître d’école ; à ses heures de loisirs, il se forgeait un bagage scientifique suffisant pour aborder la profession d’officier de santé. Il fut, en un sens, un self-made-man de haut mérite, un autodidacte de premier ordre. Après le bachot conquis, il entre à l’École de Médecine, à Reims. Praticien à la Raspail, dont il préconise le camphre et la thérapeutique naturelle, il devient presque personnage consulaire, pédagogue, philanthrope, conférencier, républicain de roche, aux convictions profondes et raisonnées, ami du peuple au sens efficace du mot ; volontiers son conseiller, payeur souvent de ses deniers, Français ardent et lutteur hardi.
En 1870, conseiller municipal, il est du nombre des otages emprisonnés à Magdebourg par les Prussiens, avec ses collègues H. Henrot et Thomas.
Ses obsèques furent civiles, car il était de ceux qui accordent leurs actes à leurs principes, et le Dr Langlet lut, devant son cercueil, son testament mystique, d’une morale spiritualiste élevée. Citoyen digne de ce beau nom, dont on ne saurait trop prôner l’exemple, abstraction faite de certai-nes faiblesses inhérentes à la nature humaine et dont les saints eux-mêmes ne sont point exempts !
L’ex-fabricant Louis-Jacques Églem, de Chimay, 70 ans, rue Ferrrand, 16, veuf de Marie Joséphine Lhuire, et époux de Mlle Hordequin, Picarde. Fils des Églem-Dewingle ; son fils Louis Alexandre est fabricant de canettes et tubes pour tissage.
Un Rémois de souche franc-comtoise, originaire de ce Bugey dont Nantua est une des fiertés, race forte qui se situe entre le rude montagnard suisse et lez cul-terreux fran-çais, Charles Sébastien Saint-Aubin, 72 ans, courtier en laines, rue Clovis, 67. Il était veuf de Florence Juliette Antoinette Mercier, et consacra son existence à Reims, à la laine, et à l’éducation de ses enfants.
Son fils, Jules, continua la tradition ; mais son petit-fils, Henri, embrassa la carrière médicale, et, en 1935, honore la profession par l’exercice des vertus patriarcales et le profond respect de son rôle bienfaisant. Grand et fort gaillard, au visage glabre exprimant un mélange bien dosé de fermeté et de bonté. Disons que Charlotte, sœur de Henri et de Mme veuve Victor Lemoine, est tout le portrait de son aïeul.
L’ancien maréchal-ferrant Nicolas Moussard, dont l’atelier était rue de Contrai, 5, mais la demeure rue Chanzy, 96, 63 ans. Court, râblé, bruyant, muni d’extrémités osseu-ses, charnues, calleuses, comme il convient pour un forgeron, avec bedaine assortie ; bec-salé, la blague et le rire faciles, le verbe sonore et prodigue.
Isaac Israël, 74 ans, père d’Alexandre Jéroboam, sénateur et ministre à venir. Tout arrive !
Isaac faisait le « bédide gommerze » des grains au Café Saint-Denis, agence agricole du samedi ; il habite rue Saint-Pierre-les-Dames, 7.
Un autre de la tribu : Bernard Haguenaüer, rabbin, 48 ans, époux de Brunette Fribourg, rue Hincmar, 65.
Leur fils fut une des vedettes du Lycée de Reims : on n’aurait pu en dire autant de son condisciple Alexandre Israël qui, en 1889, sera rédacteur en chef à l’Éclaireur de l’Est.
Un vaillant huissier, en marche vers la perpétuité, mais qui s’arrête à ses 91 ans : Aubry, en sa Maison Blanche rue Chanzy, 35, nid douillet pour rhumatisants détachés des ambitions, des rumeurs et des agitations de ce monde, où l’on suce et resuce la vie à petite dose, comme en un vase clos, en hiver ; l’été, au soleil, dans un coquet et propret jardin. Vraiment, en pareil cas, la Mort aurait bonne grâce à passer son chemin !
Au surplus, bons et mauvais, purs et souillés, y passent, à preuve cet homme de bien s’il en fût : Jean-Baptiste Decès, père d’Arthur et son éducateur en médecine et bienfaisance : il a 82 ans. Son épouse, Esther Duquénelle, lui survivra en ce simple réduit où, d’un jardin un peu délaissé, les racines envahissantes se glissent sournoisement dans un caniveau malodorant par lequel s’acheminent, vers la rue Chanzy, les eaux usagées et contaminées de l’Hospice des Incurables mitoyen, Saint-Marcoul !
Cette négligence contre les règles élémentaires de l’hygiène, sont surprenantes et impardonnables, surtout en milieu médical.
Né à Saint-Martin-d’Ablois, il avait repris les fonctions de son beau-père Duquénelle, chirurgien né à Reims en 1770. Jean-Baptiste Decès avait pris sa retraite dès 1870, à Cormontreuil ; mais la vieillesse le fit se rapprocher de son fils, rue Chanzy, 72.
Un travail : Science et Vérité (1883), inédit, restera, auprès des initiés, le témoignage de son spiritualisme chrétien. Decès père y avait résumé la morale de l’art médical, autrement dit les principes de philosophie suivant lesquels le médecin doit diriger sa conduite et exercer sa noble profession, qu’il doit considérer comme un apostolat, non comme une source de revenus mercantiles. S’il en est de nos jours de ces hommes, on peut les compter sur le doigt !
C’était un beau vieillard, de belle prestance, se voû-tant sous le poids des ans, portant barbiche et moustache à l’impériale.
La veuve Lundy-Baudart, 97 ans, chez son gendre Pauporté, marchand de laines rue de Cernay.
Un huissier impitoyable, rat de Palais, basochien né, Jean-Baptiste Courant, consent à retirer sa silhouette de la circulation après 48 années d’exercice. Greffier de correctionnelle et de cour d’assises, ah ! ce qu’il les couvait ses criminels, ses chemineaux, ses traîne-gadiche, ses mendis-gots incorrigibles, produits détestables de l’incommensurable misère humaine ! ses banqueroutiers, ses fraudeurs, ses avorteuses, ses sadiques, et, grâce à eux ! ses magistrats du siège, ses procureurs, ses jurés, – bêtes noires de sa mentalité ! – ses avocats, ses témoins, ses gendarmes, « Son Public » ! ce menu peuple des audiences, dont toute plume autorisée et alerte a de quoi faire une thèse étincelante et tracer le pitoyable dessin.
Ne fallait-il point qu’enfin ce divertissement d’Iroquois prît fin, du moins pour Courant ? Et il mourut !
Alexandre Boulogne, l’aîné des trois fils de Dominique Narcisse des bains, jeune encore. Piston aux Pompiers, comme ses frères Édouard et Alfred. Il était vedette à l’orchestre de danse du Bal-Français, et, sous l’archet plutôt vacillant du chef, le père Dubois, il entraînait de son timbre cuivré et retentissant la farandole en folie des titis et des musettes de Par-en-Haut.
Comme Édouard, il avait abusé de la chopine et du trognon, qui les culbutèrent prématurément. Plus réservé, Alfred a vécu jusqu’en 1919, et mourut en exil, à Sainte-Savine, près Troyes, son lieu de refuge.
Étienne Périnet, autrefois cabaretier rue du Jard, entre le père Philippe et la mère Protin, 57 ans, rue Lesage, où se trouve son magasin de fourrages, dont il fait commerce.
Edmond Leloup, de Sommepy, 31 ans, aux yeux et à la chevelure d’un noir d’ébène, placier chez le lainier Oury-Dufayt.
À Paris décèdent : Mme Henri Lanson-Lelarge, 29 ans, et Octavie Trousset, épouse Jacquinet, 28 ans.
Le petit père Reigneron, un gringalet de 74 ans, qui fut tailleur d’habits rue du Bourg-Saint-Denis, 99, époux de Marie Julienne Allain, sœur du débitant au passage Marlier, rue Chanzy, 55, avant ce Marlier.
Haut comme une paire de bottes d’égoutier, sec comme un manche à balai, alerte, guilleret, cheveux rares bouclés et gris, barbiche au vent, son déballage d’étoffes étalait sa richesse et son élégance dans ce quartier de boutiquiers. Le bonhomme était originaire de Moulins.
Du même centre, mais ayant transporté ses meules passage de la Justice, le repasseur coutelier Malteaux, 76 ans. Il avait eu à son service un aveugle-né pour faire l’écu-reuil avec sa grande roue à tourner les meules.
L’artiste peintre Edmond Pujo, 27 ans, rue du Barbâtre, 21, époux de Eugénie Gosset, maître paveur : la veuve épousa ensuite le gros Dabancourt, successeur de son père.
Une haute personnalité qui fut maire de Reims après Simon Dauphinot : César Poulain, 63 ans, boulevard de la République, 77, fils de César et d’Iphigénie Briet, veuf en premières noces de Céline Benoist, sœur de Félix et Jules, ses associés à l’usine des Capucins, époux de Caroline Thérade. Cette mort et celle de Brébant avaient eu lieu à 24 heures de distance. Reste fut endeuillé doublement.
De Canton arrive la nouvelle du décès de Eugène Rivart, 26 ans, fils de Charles Rivart-Roy-Dumeurier, consul de Belgique.
De Gueux, mort de Martin- Ducrocq, de Suippes, 80 ans, ex-négociant en tissus, de la firme Senart & Cie.
À Monaco, sous le proconsulat du comte Félix Gastaldi, Émilie Gilles, 84 ans ; fille de Mathias Gilles-Bouquet, veuve de Nicolas Rivart.
Le 6 juillet, Charles Flajollet, de Nancy, 49 ans, sculpteur monumentiste, boulevard du Temple, 54, époux de Marie Bulteau, père de Hippolyte Flajollet-Dazy, son successeur.
Paul Camille Godefroy, de Saint-Juvin (Ardennes), 24 ans, cavalier au 6e chasseurs à Pont-Sainte-Marie, près Troyes, fils de feu Remy et de Antoinette Châtelain, rue Saint-Thomas, 3. Son frère Eugène Amédée est employé chez Véron, liquidateur, et Alfred, au Chemin de fer de l’Est.
Jeanne Liane Regrény, 41 ans, fille du marchand de fromages rue de Monsieur, 9, Regrény-Duchaume.
L’ex-notaire Émile Alexandre Lemoine, de Charny (Meuse), 48 ans, rue de l’Échauderie, 18, veuf de Noémi Victoria Rabiet, époux d’Alice Piot.
Jacqueline Virginie Gousset, 72 ans, épouse du regrattier en laines Sébastien Sérurier, rue des Murs, 1.
Augustine Antony, de Strasbourg, 46 ans, épouse de René Marmiesse, directeur de l’école d’équitation, au Manège, boulevard des Promenades.
Nicolas Firmin Maussant, de Sugny (Ardennes), 58 ans, juge de paix, époux de Constance Leconte, rue Thiers, 43.
Un banquiste populaire, le bel Adolphe Seigneur, 31 ans, place d’Erlon, 36, fils de feu Jean-Baptiste Seigneur et de Constance Adeline, 63 ans, marchande ambulante, gérante d’un « Tir » au pain d’épices et à la porcelaine-faïence à la Foire, concurrente redoutable du père Caussin, avec lequel elle rivalise de gouaille, de verve argotique, d’esprit des rues, d’humeur joyeuse, le cœur sur la main, pas mercanti pour un sou!
C’est 22 le gagnant ! Gardez vos planches et l’on re-commence ! Combien fréquentées, bruyantes, étincelantes sous la lumière tremblotante des becs de gaz, ces plaques de pain d’épices et ces verreries décorées en clinquant, mais si vite défraîchies dans nos foyers domestiques : un feu de paille !
Robert Antoine Ragaut, de Prouilly, 87 ans, ancien cultivateur, dont le chérubin, le gros et larmoyant Victor Ragaut exploitait, rue de Neufchâtel, 25, un BAL populaire, qui eut certaine vogue aux jours harmonieux et pleins d’espoirs de la jeune République IIIe !
La salle, vaste, profonde, aérée, à galerie de bois, s’ouvrait sur rue par un couloir à guichet où la mère Ragaut et son gendre Brunelet, employé de banque, faisaient le tri des clients en encaissant leurs gros sous.
L’orchestre, dirigé par Gaillet, trieur à l’usine Rogelet, assez nombreux et homogène, jouait ses danses harmonieuses et rythmiques, des meilleurs compositeurs, les Marie, Bousquet, Bléger, Antony Lamotte, les Bonneterre, Ziégler, Olivier Métra, etc. le dimanche, de 3 heures à 7 ; puis de 8 à 11. Le lundi soir, mêmes heures.
Certain violoneux de notre connaissance y grattait consciencieusement ses contretemps à double-corde, moyennant 3 fr. par séance, soigneusement épargnés pour assurer le versement à l’État des 1.500 fr. exigés pour être admis à ne faire qu’un an de service militaire, dit : volontariat.
À cette époque (1877-1878), Gaillet était un Sompinat maigre et quinquagénaire, long de taille, possesseur et armé d’un violon marque Salomon, noir de teinte, dont il arrachait des sont souvent aigrelets, d’autres fois miaulants, jamais émouvants, en traduisant un répertoire étudié longtemps à l’avance.
Veuf, il habitait, avec sa fille Aspasie, en séparation de conjungo, musicienne quelque peu, qui martyrisait de son côté un piano haletant et délabré aux résonances de crécelle.
Son chef trieur était l’excellent musicien Ponce Bonneterre. Comme partenaires à l’orchestre, il avait de bons instrumentistes faisant partie de sociétés rémoises, Régates et Pompiers, dont deux solistes remarquables : les frères Émile et Charles Lecomte, originaires de Bazeilles.
À leurs côtés, Détrée, piston ; le père Collard, grognard de Crimée et d’Italie, clarinette asthmatique, qui s’époumonait à l’entraînement des danseurs en dégoisant, en un cri perçant ; un appel doué de vertus excitantes et provocatrices, dont on ignorait la racine et la provenance : Pigeonneau ! Pigeonneau ! suffisant pour endiabler les mollets nerveux ou potelés de ces Vénus en cheveux et tablier, surtout quand l’orchestre se déchaînait à la Ve figure ou galop du quadrille : Orphée aux Enfers ou la polka à coups de langue : Jeanne d’Holmières !
Le barbouilleur de façades Louis Coutier, exsangue et décharné sous les étreintes passionnées d’une virago qui le faisait mourir à la peine, tout en le faisant aider par des camarades, sa Victorine, pour tout dire ! remuait les baguettes d’une petite caisse sonore à point ; Jacquemin, tête à la Vélasquez encadrée de noir, faisait ronfler la contre-basse.
Quand celui-ci abandonna Ragaut pour le Bal Éloy, rue des Romains, il fut remplacé par le trombone-saxophone et basse Jules Caÿde, de Pontfaverger, lequel avait pincé jusque-là au pupitre de 2ème violon, cédé en conséquence au mémorialiste futur de ces Souvenirs.
Entre les 2 séances du dimanche, Caÿde et son contretempiste dînaient chez le débitant buraliste Hourblin, du faubourg de Laon, vis-à-vis rue du Mont-d’Arène, d’une tranche de jambon de Reims chapeluré, arrosée d’une chopine de vin rouge de pays.
De Caÿde, Abel Maurice écrivait, en 1885, l’appréciation suivante : Maître de son art (basse en « Ut » ou trombone), justesse, légèreté du coup de langue, et du doigté, beauté de son, contre-ut bien rond, et d’une grasse sonorité, phrasé irréprochable.
Sous un visage rébarbatif, en dépit du sourire continu de ses lèvres, le père Rivière ophicléide amoureux, glissait sournoisement, aux reprises et aux codas, ses dé…bouchandos palpitants !
Mais qui donc claironnait au trombone ? Visé aîné, auquel succéda son cadet, Auguste, dit Pagusse, bel éphèbe aux boucles blondes qui tourneboulait les cœurs d’en-bas, valsant dans la sciure de bois !
Cette dizaine de musiciens constituait un tout homogène et satisfaisant, exercés au coude à coude, goûtant également les morceaux choisis du répertoire très riche du père Gaillet, lequel l’avait reçu des mains expertes de maître Ponce !
La Polka des Forgerons à base d’enclume ; la mazurka Dorothée, de Marie ; la scottish Reine de l’Alcazar, d’Antony Lamotte ; le Singe vert, de Métra ; Iris, valse, etc.
Le Ragaut était un primaire de la dernière cuvée, genre Morvandiau, cœur tendre à ce point qu’un soir, au Théâtre, on le vit pleurer à chaudes larmes en son mouchoir à carreaux, noir de tabac en poudre digéré par un pif en groin rose et charnu, devant les souffrances imméritées de la Jeanne-d’Arc de Michel Barbier et Charles Gounod !
Rue Neufchâtel, ont dansait couramment la varsovienne et les Lanciers intercalés entre danses courantes, aux refrains entraînants tissés d’une musiquette pimpante ou langoureuse, suivant les besoins.
Le danseur mâle faisait les frais, – 0.10 c. par danse, la perception étant assurée par Brunelet et un serviteur, chacun à l’extrémité d’un cordeau, parcourant dans les deux sens la salle en poussant devant eux le troupeau sautillant où se balançant mollement au rythme chorégraphique.
Chaque musicien avait droit, en outre de sa solde, payée comptant à la sortie, à un litre de bière ou une bouteille de vin.
La jeunesse d’alors a été remplaçait par une autre non moins vibrante, mais dont les cœurs battent indifféremment aux entraînements des orchestres, qu’ils soient du passé, ou du présent, ou encore de l’avenir. Car ne les dresse-t-on pas aux sons d’une musique qui se flatte de demain ? Quant à accommoder les accords du moderne jazz, délirants ou discordants, avec cette petite fleur odorante de l’amour, qui colore le front des jeunes dieux et déesses du nouvel Empyrée, – bernique et sansonnet !
Toutefois, le monde se perpétue, la terre tourne, le soleil l’éclaire, et la fin des harengs s’avère tardive et lointaine !
Charles Bouchette, 69 ans, ex-apprêteur, fils de Bouchette-Liévin et veuf de Louise Buffotot, décède à la Maison de Retraite. Il eut ses cuves à teinture rue de Contrai, 8, maison construite en 1890 par le menuisier Rendeux-Chevillot, dont le sous-sol tremble au passage des lourds Berliet et des immenses vaisseaux hippomobiles au service des envahissants Doges de l’alimentation, maîtres du monde !
À un geigneur du quartier qui, vers 1922, se plaignait auprès d’un de nos édiles, et non des moindres, du vacarme occasionné, à 5 heures du matin par le char à quatre roues non caoutchoutées d’un laitier en gros, M. Rêve, répond : Nous sommes impuissants ! Au surplus, l’exercice d’une profession alimentaire de nécessité publique, ne saurait être considéré comme tapage nocturne. Mets-çà dans ta poche, ton mouchoir par-dessus !
Le maître tailleur Cadot-Tortrat, rue de l’Étape, 41 ans.
Ernest Delacroix, 21 ans, scribe au peignage Isaac Holden, frère du chef magasinier, Alfred, et habitant rue de Mars, 34, décède chez ses parents, les Samuel Delacroix-Baucher, rue Ruinart, 12.
Luce Subé, de Châtillon-sur-Seine, 83 ans, veuve de Pierre Fassin et fille des Subé-Poussy. Son frère Jules est capitaine retraité à Bétheniville ; son gendre, Arthur de Bary, 61 ans, rue des Templiers, 12.
Charles Brouette-Bayeux, couvreur, rue des Gobe-lins, 8.
Émile Braine, imprimeur, rue du Cardinal-de-Lorraine.
Eugénie Stéphanie Vanier, de Bourgogne, 63 ans, rue Cérès, 65, veuve de Albert Marteau, mère de Charles, Victor et Albert. Témoins : Benjamin David, de Strasbourg, violoncelliste réputé et acheteur de laines coloniales, neveu de Samuel Moch, bloussier rue Chanzy, 71, et pensionnaire au restaurant de la mère Gélu, rue Nanteuil ; Charles Clerval, 48 ans, neveu de la défunte et des tissus.
Édouard Thubé-Bouton, de Fismes, 69 ans, zingueur avenue de Laon, après l’avoir été rue du Temple.
Jean Eugène Duhalde, des tissus, de Briançon, époux de Aline Cazier, 46 ans, rue Cérès, 13. Son comptable, Édouard Lefèvre, 55 ans, était baryton l’Union chorale.
Marie Stéphanie Concé, 33 ans, religieuse à la Congrégation, fille de François, comptable chez les teinturiers Concé & Jacquinet, rue des Moulins, 75. C’est le menuisier Valet, rue du Jard, qui est titulaire à l’archevêché pour la confection des cercueils en sapin réservés aux non-nes et aux clercs conventuels. Marie Concé était d’Auménancourt-le-Grand.
L’artiste peintre Xavier Armand Vauvillé, de Varennes (Oise), 72 ans, veuf de Zéphirine de Finance. Excellent violoniste, il fit partie de quatuors privés, notamment chez Paul Dazy, et de la Philharmonique.
Armande Antoinette Raimond, de Toulouse, 46 ans, rue des Tapissiers, 22, épouse du baryton Rougé, lequel se remariera, sans plus tarder avec une pédicure achalandée, Mme Farcé.
Marie-Jeanne Coutin, de Sy (Ardennes), supérieure à Saint-Marcoul, 62 ans, fille des Coutin-Raguet.
Jean Thibaut, de Luxembourg, 61 ans, tôlier rue Chanzy, 58, époux de Marie Anne Lanser. Son fils aîné, dit Ferdinand, a épousé Marguerite Mertens, et sera le père de Jean Thibaut, curé de Cormontreuil vers 1931.
Nombreuse famille de travailleurs très estimés. Dasnoy, des tissus, fut le mari de leur fille aînée ; Désiré Dupont, trieur de laines, de la cadette Marie ; Thibeault, de Pauline, et Pierre Baudet, caviste, de Zélie. Un fils de ces derniers, Pierre, trieur de laines, a été tué, sur le front de l’Argonne, en 1915.
Pierre Remi Jacquinet, de Coulommes-la-Montagne, 71 ans, rue des Salines, 1, époux de Euphrasie Discret, inspecteur des propriétés des Hospices de Reims.
Bertrand Cistac, de Gourdon (Haute-Garonne), 49 ans ; photographe rue Saint-Jacques, 3.
Charles Hornung, de Bar-le-Duc, ancien charron, 78 ans, chez son fils Émile Hornung-Charlot, rue de l’Université, 20.
Henriette Louise Noële Charpentier d’Audron, 79 ans, rue de Talleyrand, 6, veuve de Charles Louis Christophe de Bignicourt, famille des d’Audron de Seuil, du chevalier de Beffroy, d’Émile de Bignicourt, d’Anizy-le-Château. Ces bonnes gens nous ramènent au Moyen Age !
Arrêtons ici ce massacre et fuyons ce charnier. La Camarde avait inscrit à son tableau de chasse 3.124 pièces !!!
1887
Le boulevard du Temple se nommera désormais boulevard Lundy. Jean-Pierre Lundy, Rémois d’origine, était décédé à Paris le 27 décembre 1886. Il léguait à sa ville natale un demi-million en espèces et une remarquable collection de tableaux modernes, dont de précieux Corot.
Lundy, le père, était fabricant de tissus dans le Barbâtre ; il se servait de son fils Jean-Pierre pour représenter sa firme à Paris. À la suite d’une liquidation qui leur laissait un capital suffisant pour relever les affaires en souffrance, le père et le fils se mirent à l’œuvre courageusement. J.-P. Lundy fut un industriel avisé : il avait résolu le problème de vendre deux à trois sous moins cher au mètre que ses concurrents, tout en gagnant davantage. Comme il disait : Il y a faire et faire !
À son sujet, nous rapporterons une anecdote, contée alertement par Abel Maurice. Elle donnera un aperçu de la vie bourgeoise à Reims, dans la deuxième moitié du dernier siècle : Lundy faisait partie d’un groupe d’une douzaine d’amis intimes, dont un Baudet, un Walbaum, un François, un Guimbert. Le dimanche, on prenait une calèche et on s’en allait à la garenne de Gueux, à Rilly, ailleurs dans la montagne de Reims, là où les filles d’auberge sont accortes et la cuisine « superlificoquentteuse ». On avait emporté du Piper, on sablait le vin du crû en festoyant. C’était une véritable beuverie rabelaisienne. En semaine, on se targuait d’être digne des Loges et on en faisait le tour à dix reprises. Notons qu'en général, on ne quittait le travail qu’à neuf heures du soir ! À minuit, tous réverbères éteints, on rentrait chez soi. Un soir, dans une de ces promenades nocturnes du cénacle, Jean-Pierre s’arrête et dit : « Mes amis, j’ai loué un appartement à Paris. Je vais donc quitter Reims... et vous fait mes adieux ! » Stupeur générale, protestations, bouderie ; mais le lendemain Lundy disparaissait sans tambour ni trompette.
Il n’oublia jamais sa ville où il fit fortune et lui prou-va sa reconnaissance de la manière suivante : sa domestique héritait de 4.000 fr. de rente réversibles, à sa mort, sur le budget municipal de Reims.
Si ce noble exemple avait été suivi avec chaleur dans les sphères riches la communauté rémoise, peut-être n’aurait-on pas connu tant de misère chez les travailleurs !
Deux jours après l’exode de Lundy, disparaissait pour toujours de Jonchery-sur-Vesle, où il jouissait d’un repos douillet dans une gracieuse villa, après sa cessation de son commerce à Favréaux, le modeste photographe aux jambes en serpette de la rue du Bourg-Saint-Denis, Louis Baudart-Gerly, 58 ans.
Le 9 janvier, rue de Vesle, 85, a lieu l’enterrement civil de Martin-Peller, membre influent des comités électoraux du parti radical. Il était né aux Paroches (Meuse) en 1824. Par son père, capitaine d’infanterie, il était allié au général Martin des Pallières.
Engagé volontaire devenu sergent-major, il épousa à sa libération, Virginie Peller et, n’ayant aucune profession, il s’établit bistrot, en remplacement de Courtillon.
Il se mêla à toutes les manifestations républicaines et antireligieuses qui eurent lieu à Reims.
Au pouvoir, le parti radical lui témoigna sa reconnaissance en donnant son nom à la rue ou il débitait les petits verres en même temps que ses discours passionnés, mes sincères.
La belle, bonne et fine Marie-Charlotte Jolly, épouse d’Édouard Ken-Franck, directeur en cardé au Mont-Dieu, décède à 52 ans, rue Chabaud, 24. Elle était la sœur de l’adjoint au maire Jolly-Wateau.
Disparaît à 69 ans, le Rouge, Louis Menu, peintre en bâtiments dans le Jard, ainsi surnommé par ses voisins sous l’Empire, en raison de ses opinions républicaines bien connues, mais prudemment proclamées à l’époque. Il habitait rue Petit-Roland, chez son neveu Jules Martin, des tissus, républicain-démocrate convaincu, et père de ces Rémoises insignes qui sont où furent les épouses, l’une du peintre Paul Bocquet ; l’autre du poète Georges Périn, puis du journaliste et écrivain Daniel Réal, fils de Ferdinand.
Un bien gentil garçon, mais disgracié quant au physique, Eugène Sarazin, fils du fabricant de tissus de la rue de la Peirière, 17, meurt à la fleur de large. Il avait fait partie, en 1882, de la rédaction d’une gazette éphémère, la Revue rémoise, ou d’ailleurs on n’inséra jamais une ligne de lui !
Les rédacteurs de cette feuille étaient une bande de jeunes remplis de bonnes intentions, mais dénués de tous moyens de réalisation. La gaieté et l’esprit blagueur de Sarazin animèrent les soirées données par la rédaction dans le salon du 1er étage, du Café de Paris, propriétaire : Jean Gentgès.
L’homme à la grosse gorge, Cousinet, l’afficheur public, court et trapu, teint vermillon, cheveux gris sous la casquette en molleton à carreaux, et blouse blanche, le pot-à-colle à la main, décède à 69 ans, rue Marlot, 22. Époux d’une Guichem, il avait eu l’idée singulière et malencontreuse de marier sa fille, aimable blonde à l’allure virile, à un feldwebel poméranien du nom de Joseph Riethmüler, qui faisait partie, en 1870, des troupes d’occupations de notre ville.
Le père Nicolas Tabutiaux meurt octogénaire, rue Anquetil, 42. Il avait tenu de longues années boutique d’antiquailles et de quincaillerie sacerdotale, à l’angle de la rue Tronsson-Ducoudray, sur la place du Parvis-Notre-Dame, dans un de ces délicieux immeubles du temps passé avec lesquels nos pères avaient eu l’heureuse idée d’encadrer l’immortelle basilique de Jean d’Orbais et de Robert de Coucy.
Le mardi de Pâques, 12 avril, à 5 heures du soir, meurt en son domicile, rue Chanzy, 79, le travailleur de la laine Louis Joseph Dupont, né à Liry (Ardennes) le 7 février 1817. C’est le père d’une lignée de serviteurs de la laine, dont l’auteur de ces lignes, où, pour être encore plus exact, l’un des dactylographes de cette Vie rémoise (à chacun son dû !).
Le 11 juin disparaît Jean-Baptiste Langlet, courtier en laine, père de l’héroïque maire de Reims du temps de guerre. Quand son propre père, le Dr Nicaise Langlet-Henrot décéda, jeune encore, Jean-Baptiste, son frère Auguste et sa sœur, furent recueillis par les Henrot.
Jean-Baptiste fut envoyé à Liry (Ardennes) chez le chef de la famille, cultivateur en cette commune, il travailla plusieurs années. Puis l’oncle Henrot, le médecin, le fit re-venir à Reims où on le plaça chez le fabricant Givelet-Marguet. Après 17 ans de service dans cette maison, Jean-Baptiste Langlet s’établit courtier en laines et représentant de la filature Tranchant, de Signy-l’Abbaye, rue Chanzy, 115, entre le café Franchecœur, au 113, et la demeure du négociant en laines Charles Maire, au 117. C’est dans cette maison que naquit, en 1841, le futur Dr Jean-Baptiste Langlet.
Mme Quentin-Lacambre, – dont le nom rappelle le souvenir lugubre d’un sinistre, en 1871, qui fit de nombreuses victimes par suite de l’incendie d’un stock de tonnes de pétrole, – décède à 64 ans, route de Neufchâtel, non loin des casernes nouvelles d’artillerie.
Rue Hincmar, 28, au domicile de son père adoptif, Anatole Chardonnet, meurt à 25 ans, le capitaine de tirailleurs sénégalais Amédée Verzeaux.
À Avenay, meurt à 85 ans, Louis Paris, natif d’Épernay, ex-bibliothécaire de la ville de Reims et historiographe réputé.
Le jeune Adolphe Blanck, fils du géomètre et capitaine de pompiers Blanck-Souliac, décède à l’école de tir au camp de Châlons, où il était dessinateur sous les ordres du colonel Lebel. Il était simple caporal bien qu'il eût contribué à établir les graphiques du fusil Lebel.
De Paris, on signale la mort du général Farre, ex-ministre de la guerre, auquel on devait la suppression des tambours de régiment.
En 1857, Farre était chef de bataillon à Reims, où habitait alors son père, inspecteur des Forêts en retraite. En 1868, Farre, colonel, commanda le corps expéditionnaire à Rome. En 1870, il était général et chef d’état-major à l’armée de Faidherbe. Né à Valence (Drôme), il était entré à l’École polytechnique en 1816.
Nous ajouteront encore, à cette liste déjà longue de disparus, Louis Étienne Aimé. Sympathique entre tous, il était connu comme le loup blanc et adoré de la jeunesse sportive, ont-ils fut l’actif, le jovial, le patient professeur de gymnastique. Ex-zouave de 60 ans, ce digne successeur de Henri Defrançois, avait ouvert une salle d’escrime et d’exercices gymniques rue de Thillois, sur l’emplacement où s’élève actuellement le cinéma l’Opéra de Reims.
Nicolas Colmart, 51 ans, boulanger pâtissier, place Saint-Timothée, 11, initiateur de la foule gourmande au goût de la dariole à manger brûlante et qui fait accourir tous les Rémois à la foire à Saint-Remi.
Marie-Anne Détourbay, 87 ans, rentière, rue Jeanne-d’Arc, 15, veuve de Louis Rix, charpentier, et fille de Détourbay-Rizet, cultivateur à Poilly. Elle était la mère de la comtesse de Loynes. Les témoins sont : son vieux camarade le trieur de laine Baptiste Cochet, 80 ans, rue du Jard, 37, qui cafiotait avec elle au temps où elle habitait rue du Jard, 23, et le gros Draveny, secrétaire à la mairie.
On sait que sa fille, la fascinante Dame-aux-Violettes, d’abord rinceuse de bouteilles aux celliers des Farre, négociants en vins de Champagne, s’envola vers Paris et en passant par le bal Bullier et les petits théâtres du boulevard, mit notre capitale à ses pieds, devint la richissime comtesse de Loynes, et tenta de diriger la politique française.
Le père Lhoste autrement dit Lhoste-Pérard, 84 ans, fabricant, rue Jacquart, et habitant rue des Cordeliers ; fils de Lhoste-Paloteau et veuf d’Eulalie Pérard.
On a conté maintes ruses commerciales, plus ou moins authentiques, de ce pieux industriel. Elles firent la joie des caustiques Rémois, enclins aux sarcasmes et à la médisance. On citait notamment ce trait symptomatique des habitudes commerciales de l’époque.
Un jour, il montre à sa femme une pièce d’étoffe et lui dit : Eulalie! offres-moi 1 fr.60 au mètre de ce mérinos-double. – Mais !... – Offres toujours ! – Soit ! j’offre 1 fr.60 – Fort bien ! maintenant, laisse-moi ! Peu de temps après se présente un acheteur qui estime la même marchandise a 1 fr.50. Oh ! oh ! s’exclame le madré compère, – impossible, cher ami : vous êtes au-dessous du cours. – Pensez-vous ? – Certes, car, il y a à peine un quart d’heure, on m’en offrait 10 centimes de plus ! – Vrai ? – Sur mon honneur ! – Alors, dans ce cas, affaire entendue à ce prix. SI NON E VERO E BENE TROVATO !
Son atelier de la rue Jacquart était orné à l’entrée d’un bénitier et d’un crucifix, et le moindre juron eût exposé son auteur à un renvoi immédiat.
Redressons ici quelques Croix-de-bois dues à la mémoire d’humbles combattants de la jungle rémoise, dont le nom et la condition sociale sont, toutefois, dépourvues de la moindre auréole anecdotique !
Un neveu des Andrieu-Appert, des tissus, Georges Morand, 40 ans, époux de Louise Anne Liégeois, d’Hauviné (Ardennes), rue des Fusiliers, 20.
Louis Petit-Delbourg, ex-fabricant, faubourg Cérès, 31, décède à 86 ans : on a donné son nom à une voie du pâté de maisons qui s’élève dans l’ancien terrain des Coutures.
À Cannes, l’architecte diocésain Ruprich Robert, né à Paris en 1820, auquel succède Darcy.
Henri Lartilleux-Vaché, associé, pour le commerce des laines, avec Alphonse Chemin, son collègue chez Oury-Dufayt. Leurs bureaux sont rue Cérès, là même où s’amorcera plus tard la rue Bonhomme.
Ernest Léon Vigier, 17 ans, chez son père l’étameur de casseroles Vigier, dit Fanfan, rue Gambetta, 105.
Arthur Génin, des tissus, 38 ans, fils de Pierre Génin-Thibault, rue de la Renfermerie, 21.
Ohl-Desmarest, fabricant, 67 ans, à Jouy (Marne).
Adolphe Blanck, fils du géomètre lieutenant de pompiers Blanck-Souliac, décède à l’école de tir de Châlons, où il était dessinateur sous les ordres du colonel Lebel. Typhoïdique, 25 ans, simplement caporal, bien qu'il eût contribué à établir les graphiques du fusil Lebel.
Gustave Bley-Moore, des champagnes, poète rémois humoriste, rue Saint-Georges, à Paris.
Louis Félix Antoine Godbert, 76 ans, ex-fabricant.
Jules Michel Colson, de La Neuville-au-Pont, 59 ans, économe à l’École professionnelle, rue Clovis, 27.
L’ex-huissier Gillot-Drouet, 69 ans, rue des Anglais, 8.
Mme Guerbette-Lamiraux, épicier aux Loges-Coquault, successeur de Moreau-Bertèche.
Le 15 mars était décédée chez son fils Eugène Truchon, tonnelier rue du Champ-de-Mars, 10, Adélaïde Honorine Marlot, de Dizy-le-Gros, veuve de Jacques Truchon, et aïeule de Mme Ernest Kalas, 77 ans.
Le chanoine Paul Viard, 56 ans, rue Libergier, 12. De vicaire à Saint-Remi, il fut curé à Damouzy, puis à Saint-Thomas, de Reims. Témoins : Cuillier-Gardan, peintre-vitrier, rue du Barbâtre, 8, et Eugène Delarue, quincaillier, rue Colbert.
Lestaudin-Boulanfer, 60 ans, enterre son fils Ca-mille, né à Braine : Lestaudin fabriquait à Reims un vin de teinte, dit de campêche des mois hygiéniques.
Une couturière, dont le nom se rattache à l’histoire anecdotique de l’imprimeur poète Pierre Dubois, Madeleine Balteau, 56 ans, épouse de l’apprêteur Alphonse Martinet, rue des Moulins, 31.
Un type féminin du Jard, la grand’mère Pothé-Mené, au teint jaune et bilieux, meurt à 78 ans, à la Charité.
Hubert Baudet, 73 ans, cultivateur, rue Savoye, 29, veuf d’Antoinette Marquant et fils de Baudet-Strapart. Son frère Antoine Baudet-Paquis, rue Chanzy, 73, avait été marchand bonnetier au 98, même rue ; un fils de ce dernier, Eugène, a sa boutique de mercerie place Royale, 11.
Eugénie Élisabeth Alloënd-Bessand, 60 ans, veuve de l’avoué Victor Portevin.
Léon Eugène Martinon, 57 ans, rue David, 56, veuf de Julie Tonnelier, époux de Mathilde Queudière.
Charles Billet, 67 ans, marchand de laines, rue du Cardinal-de-Lorraine, 13, fils de Jacques Billet-Tronsson, époux de Pauline Racoir. Témoins : son neveu Henri Lucas, et son comptable Auguste Tailliart, 52 ans, rue Saint-Hilaire, 23.
Louise Émélie Benoist, 64 ans, rue Colbert, 22, veuve de Édouard Piret, fille de Pierre Roland Benoist-Malot, des Capucins.
Le cantonnier Demitra, de Craonne, dont les fils sont Fouilleurs de la Ville, 84 ans, à l’Hôtel-Dieu.
Élie Nestor Page-Demoulin, de Puisieux, 41 ans, professeur au Lycée.
Louis Maupinot, 42 ans, des tissus, rue Boulard, 21, époux de Marie-Antoinette Teisset, de Clermont-Ferrand.
Jean-Baptiste Millet, de Sommepy, 54 ans, cabaretier rue Henri IV, et chef trieur chez Édouard Leget, rue du Levant, 7, époux d’Anne-Marie Barrois ; leur fils aîné, Paul Marie Millet-Lépée, d’abord au service de É. Leget, entra à la Compagnie du gaz ; le cadet, Henri Armand, trieur de laines, fut un temps dans la chapellerie : en 1914, il s’était réfugié à Chalon-sur-Saône, où il est mort.
Joseph Méhaut, coiffeur, rue Colbert, 20, époux de Jeanne Joséphine Soulier, fille de Pierre Soulier, de Liry (Ardennes), dit Fanfan, contremaître et concierge chez Edmond Givelet, place Belle-Tour.
Louis Malotet-Petit, 85 ans, ex-marchand de laines, fils de Malotet-Allart.
M. Mathilde Bréart, de Pignicourt, 27 ans, couturière, rue Coquebert, 34, épouse de Charles Loilier, courtier en laines, de Menneville.
Louis Disant, propriétaire de l’Hôtel du Lion d’Or, place du Parvis-Notre-Dame, 87 ans, ex-vice-président du Bureau de bienfaisance et habitant place d’Erlon. Son petit-fils, Charles René Disant, reprit l’hôtel vers 1873. Témoins : Léon Valicourt, 44 ans, chantre au lutrin de Saint-Remi ; mourut victime du bombardement de Reims, à l’Hôtel-Dieu, où il s’était réfugié.
Jean Lauga, de Oraas, près Sauveterre (Basses-Pyrénées), 76 ans, ex-missionnaire réformiste au Cap de Bonne-Espérance, père du pasteur en exercice.
Hubert Bonnaire, de Remaucourt (Ardennes), 69 ans, rue Jacquart, 26, chef du Bureau militaire à la mairie, père de l’abbé, ex-vicaire à Saint-Remi, curé de Witry-lès-Reims.
Le lutteur Adonis Bazin, de Cernay-lès-Reims, 38 ans, à l’hospice d’Aliénés de Châlons.
Jean Craig, le grand Craig ! – au visage rosé encadré de blanc et comme découpé dans un rosbif, – de Stevarton (Écosse), 59 ans, mécanicien au peignage Isaac Holden rue Houzeau-Muiron, 18.
Jules Hermann Walbaum, 33 ans, rue des Templiers, 13, fils de Ferdinand Walbaum-Lüling, époux de Adèle Anna Paumier, fille du célèbre pasteur.
Onésime François Delahaye, 62 ans, de Bouvancourt (Marne), curé de Saint-André, fils de Delahaye-Baligout. Témoins : son neveu Henri Delahaye, curé de Cheppes (Ardennes) et son ex-vicaire, Henri Eugène Dieudonné, curé de Saint-Thierry, puis d’Avenay, mort à l’Asile Saint-Joseph, de cette commune, en 1923.
Ce fut grâce aux deniers de ce prêtre musicophile que la nef de cette église put longtemps retentir des accords de l’orchestre dirigé par le maître de chapelle Abel Lajoye, aux fêtes rituelles et paroissiales ; son successeur, moins donnant, supprima ces agapes harmonieuses !
1888
En tête de ce nécrologe : le conseiller municipal Boucton (Albert Charles), 42 ans, propriétaire à Cernay-lès-Reims, mais habitant rue Mabillon, 8, – voie nouvellement percée, s’ouvrant sur la rue Haute-Saint-André. Parmi les bons amis qui franchissent derrière lui la porte grillée du Cimetière du Nord. Hippolyte Hardy, courtier en fils et peignés, un gaillard trapu, au teint rose, à la volumineuse et blanche barbe de patriarche ; l’ex-notaire Ninin, rue David, plus tard retiré à Bois-Colombes, habitué de la Bibliothèque municipale ; le pharmacien Calvet, de Cognac, faubourg Cérès, 111, guérisseur et marchand d’herbages des plus appréciés dans ce quartier, petit bonhomme à face ratatinée, au teint poire de rousselet, dont le fils Alphonse Louis, âgé de 37 ans, un remuant d’une sociabilité bavarde, est médecin à Épernay.
Disparus aussi : cet autre pharmacien en retraite, type caractéristique des rues de Reims en sa longue redingote noire et son haut-de-forme poisseux, face glabre, maigre, blême, le nez enfoui dans un bouquin, issu d’une famille de lettrés et de parlementaires, immigré de Châlons-sur-Marne, et habitant rue des Tournelles : Félix Soullié, 70 ans, fils de Pierre Soullié-Folliet. Ses frères, bien connus et estimés : Henri Théodore, 73 ans, rue du Petit-Four, 21, et Prosper, ex-professeur au Lycée, 72 ans, rue de Thillois, 23, lui survivent.
Auguste Gruny-Boullenger, de Flavy-le-Martel (Aisne), commissionnaire en tissus, rue Cérès, 22, auquel succéda le Bourguignon Joseph Rémond, originaire de Bussy (Côte-d’Or), futur marchand de laines. Gruny était un homme actif, bien que bedonnant, au visage rose et réjoui, pétillant et sautillant. Il avait un frère exerçant la même profession : Théophile, rue Clovis, 22, et son agent d’affaires était Maxime Pérard, rue Nanteuil, 7, gaillard de haute taille aux favoris noirs des plus importants.
À la Maison de Retraite où, après cinquante années de travail dans le triage des laines, il s’était retiré, à la grosse pension de 800 fr. – la petite était de moitié –, décède, des suites de la jaunisse, le chef de tablée au réfectoire Désiré Dupont, né à Liry, le 4 décembre 1818, mort le 23 janvier à 9 heures du matin, il est inhumé au Nord, canton 13. Veuf depuis plusieurs années de Maria Morillot, il l’avait épousée en son village d’origine, Belan-sur-Ource (Côte-d’Or), au temps où il travaillait au service de Noirot père, acheteur de laines dans cette région pour la maison Lelarge, de Reims.
L’architecte et conseiller municipal Louis Fossier, 66 ans, de Châlons, rue Petit-Roland, 23, et vous de Félicité Chonet, 50 ans. Venu à Reims en 1850, Fossier père y débute comme lithographe ; il fut ensuite employé aux Chemins de fer de l’Est et, après un travail forcené, il devient architecte, donnant ainsi l’exemple du self-made-man de haute valeur. Son fils Louis Félix, musicien aux Régates et grand animateur dans le monde artistique rémois, exerce même profession.
Un Le Dieu de Ville, Louis Charles Edmond, de Fleury-la Rivière, 33 ans, célibataire, chef de bureau à la Société générale, à Paris.
Joseph Pierson, de Merny (Belgique), brave et loyal travailleur, magasinier chez les Henry Goulet et Picard-Goulet fils, rue du Barbâtre, 36, mais habitant rue Gambetta, 58. Époux de Mélanie Névraumont, il a 62 ans et meurt usé par un labeur sans trêve. Il avait à cette époque, comme co-magasinier en cette maison de laines, Eugène Sevrain, contremaître et Michel Allart, ex-serveur chez les Goulet et jadis valet de chambre de l’archevêque Landriot.
Les magasins de Goulet dressaient leurs trois étages, aux nombreuses fenêtres donnant sur cour et jardin, à droite et à gauche dans la rue des Orphelins, au-dessus de vastes caves à champagne. Une large et haute porte cochère donnait passage aux camions des deux industries, sur le Barbâtre, au n° 36.
Même rue et mitoyen, un cabaret au Vieux-Reims était tenu par Louis Simon-Névraumont, trieur de laines originaire de Mainbressy-Mainbresson (Ardennes). Ce Simon était pompier municipal, des plus dévoués : il prenait soin, imité en cela par certains de ses collègues, hommes d’affût, de n'aller au feu qu’avec des souliers usagés ; car, bonne mère, la Compagnie les remplaçait par des neufs ! Ah ! la vie est dure, mes amis, et, pour s’en tirer honnêtement, il n'y a pas de petits profits, il ne faut dédaigner aucun petit truc !
D’ailleurs, lors d’un incendie, tout le bâtiment travaillait pour y trouver son compte : Les sapeurs-couvreurs ne laissaient rien de la couverture et les sapeurs-charpentiers abattaient la charpente à coup de hache ; ce, dans le but de louable de circonscrire le sinistre.
Les triages Goulet-Picard occupaient les trois étages ; il y eut là parfois plus de cent trieurs à la besogne au temps où Henri Picard, gendre du notaire Baudet, tenait les rênes du négoce. Des quantités énormes de laines étaient importées de la Plata, sans compter celles de Russie, traitées à commission par Gaillot ; celles de Hongrie, par Samuel Moch ; celles de France par Vaillant, de Chaudardes ; Dupont, de Sissonne ; Carpentier, de la Thiérache, et autres intrépides coureurs de bergerie. La laine d’Australie y entrait par camions, soit de provenance directe, soit après avoir passé par les Docks de Londres.
On peut affirmer que, de 1883 à 1886, de 1887 à 1895, Henri Picard, concurremment aux Wenz, aux Gosset, aux Prévost et à d’autres firmes de moindre importance, mais d’activité équivalente, approvisionna les deux peignages de Reims d’une masse imposante de produits textiles qui contribuèrent à la prospérité industrielle de notre ville.
Ces grands commerçants eurent tous, des successeurs d’eux et, seule, l’abominable guerre 1914-18, fut capable d’interrompre leurs exploits. Reims-Textile a été décapitée par les bombes allemandes et réduit à sa plus simple expression. Jusques à quand ?
Désiré Puce-Launois, 43 ans, menuisier rue de Contrai, 36, fils de Puce-Notaire, jadis menuisier même rue, nº 6. Désiré Puce, ironie du sort, était un homme puissant et de complexion apoplectique.
Henri Louis Détré-Denis, de Sedan, 61 ans, représentant de commerce, rue des Murs, 24. Son fils Louis et son neveu, Léon, ont tous deux 34 ans. Nous les reverrons à la tête de la teinture et de la rue de Vesle, dans ce vieil immeuble, à façade vétuste à porte cochère caduque, respecté par les aveugles bombes Boches, pendant le siège, l’incendie et la destruction de la ville et forteresse de Reims, ainsi la désignaient ces tartuffes.
Ernest Piret-Martin, 47 ans, courtier en laines, sénile de bonne heure, fils de Édouard Piret-Benoist. Son comptable, Remi Résibois, devint exploitant du four à chaux situé Pré-aux-Moines, proche de Fléchambault.
Élie Samuel Déchy, de Paris, appartenant à la religion réformée, comptable à la maison Wenz et capitaine au 46e territorial, époux de Marie Julie Charlier, demeurant à l’extrémité de la rue Haute-Saint-André, 70.
En cet immeuble, sa propriété, habita, vers 1882-83, le courtier en laines Jules Dupont, avec sa seconde femme, Élisa Callais, et deux filles, Marie du premier lit, et Julia du second. Un beau-frère de Déchy, Isaac Joseph Charlier, habite à Neuve-Maison (Aisne) ; un autre, Élie Jonathan, est pasteur protestant à Troissy (Marne).
Mme Eugénie Lina-Letartre, dont le mari est chef cuisinier au café restaurant de la Douane, place Royale, 2.
Mlle Marie-Louise Dallier, 41 ans, célibataire, fille des Dallier-Lengrand, rue de l’École-de-Médecine, et sœur de l’organiste à Saint-Eustache de Paris, Henri Dallier, enfant de Reims.
Léopold Collomb, 57 ans, né à Auve, près de Sainte-Ménéhould, et négociant en tissus avec son frère Émile, rue du Carrouge, 6. Ami intime de Auguste Collet, ancien négociant en laines et représentant en vins de la firme Vital, de Nîmes, place du Palais-de-Justice, 6.
Auguste Génin, de Futeau (Meuse), limonadier, place d’Erlon, 50, – café repris par les Jény, après cession de la salle Besnard à Péria.
Octave Simon Canart, 26 ans, du commissariat de la Marine, à Porto-Novo, fils de Henri, colonel de cavalerie et ex-gouverneur du Sénégal, originaire de Reims, et de Eugénie Bigelot, résidant à Rochefort.
Théophile Rœderer-Grassière, de Strasbourg, 45 ans, rue des Capucins, 100, et propriétaire de la marque des champagnes Cristal-Rœderer, beau-père de l’architecte Boësch.
Pierre Édouard Renard, de Sainte-Ménéhould, 79 ans, conseiller à la cour d’appel de Paris, place d’Erlon, 79, veuf de Marie-Jeanne Hébert, époux de Florence Chanoine et fils de Claude et de Ménéhoulde Pierret. Ascendance du magistrat Renard-Gamahut, du littérateur Maurice Renard, de la Lionne et de Mme Octave Gueillot, rue du Marc, 9.
Henri Bellavoine, 35 ans, quincaillier, place Royale, 7, époux de Sophie Alice Leroy, des boucheries chevalines et fils de Constant Bellavoine-Vignot du Bal-Français, à Fléchambault.
Simone Vernier, Veuve Maugin, mère du beau Maugin-Templie des tissus, rue des Augustins, 13.
Un ancien instituteur des Ardennes, native de La Besace, – la portant presque ! – Louis Jodrillat, obligé, pour parfaire la somme nécessaire à sa subsistance, – sa retraite étant insuffisante –, d’exercer subsidiairement le métier de trieur de laines la maison Picard-Goulet fils. Ayant peu d’aptitude à ce métier, il meurt à la peine, sans laisser d’autres souvenirs que ceux-ci.
Arthémise Palmyre de Cambis, orientale de Pise, 87 ans, rue Chanzy, 13, veuve d’Achille de Sampigny d’Issencourt et aïeule de Charles de Bengy.
Marie Anne Rosalie Colmart, de Sillery, 75 ans, veuve de Bertrand Xavier Laviarde, faubourg Fléchambault, à l’écluse des anciens bains Andrau. Les Laviarde, dont est issu le roi d’Araucanie, habitaient rue du Barbâtre, 33, quand décéda, le 19 mars 1867, Bertrand Xavier Laviarde-Colmart, né le 5 février 1808, à Perthes-lès-Hurlus, et fabricant de tissus.
Ce Laviarde fit partie de la Loge maçonnique de Suippes (voir sa signature sur le diplôme de Latève, de Verzy, à la Bibliothèque municipale). Gustave Achille Laviarde, autrement dit, en langage des Cours, Achille Ier, avait 27 ans, étant né en 1841.
Retiré des affaires, le fabricant était allé avec les siens, habiter sa maison proche de l’écluse Fléchambault, sur la Vesle et les terrains d’étendage pour buresses du lavoir Balna. Derrière se trouvaient les bains de rivière exploités par Andrau, d’abord ; puis par Louis Napoléon Guinot, lequel eut pour gendre de trieur de laines et maître de natation Abel Bonjean.
L’histoire de cette famille des O’Laviarde, dont les origines sont irlandaises, est à écrire, surtout pour la période où vécut cet étrange et curieux personnage, Achille Laviarde, successeur d’Orélie-Antoine Ier au trône funambulesque et rigolboche d’Araucanie.
Eugène Jourdain-Sablain, 63 ans, marchand de laines, rue de Cernay, 30, né à Wagnon (Ardennes). Un gros réjoui à la face ronde, couleur lie de vin, aux cheveux crépus, aux yeux à fleur de tête, à l’air éberlué, vrai portrait d’un gendarme à la Vauradieux, client et proche voisins du Cruchon d’Or, au trône la mère Truchon.
Il avait pour comptable Édouard Robinet-Lefèvre, garçon de 30 ans qui avaient fait ses classes chez les petits Frères de l’esplanade Cérès, sous Sutor, dit Arétas. Robinet avait épousé la cadette des jolies filles du plombier Lefèvre, du faubourg Cérès, non loin de la rue David.
Une mort prématurée, qui impressionna vivement les Rémois : Camille Rogelet, 33 ans, époux de Marie Constance Berthe Radière, de Vienne-le-Château, et fils de Victor Rogelet-Palloteau.
Grand, vif, impulsif, généreux, il meurt volontairement, à la suite de déboires industriels, très lettré, sa bibliothèque, considérable par le choix des volumes et leur nombre, fut mise aux enchères peu après.
Il était à la tête de l’importante usine de peignage, filature et tissage Villeminot-Huard, rue Saint-Thierry, dont le lainier Adolphe Prévost fut longtemps le principal commanditaire et neveu du fabricant Eugène Desteuque. Louis Raïssac, secrétaire de la Mairie, qui vient lui-même de perdre une fille, est témoin à l’état civil.
Tout Reims, et notamment son personnel, plaignit Camille Rogelet et déplora sa perte.
Édouard Masson, 33 ans, rue de Contrai, 8, où il tenait une épicerie-buvette. Il était fils d’un inspecteur de la sûreté et cousin germain du brigadier de police Victor Masson, du poste des Capucins. Époux d’Élixe Béligne, il meurt le 15. Ex-élève des Frères du Jard, il était altiste à Musique municipale.
Un cordonnier commerçant de la rue Chanzy, 96, Vermonet-Legros, père du vitrailleur de la maison Marquant-Vogel. Il avait pour neveu Edmond Willemet, comptable la maison de laines Gosset, fils de la buraliste de la rue des Tapissiers (Carnot).
Eugène Déroche, 54 ans rue Dorigny, saisonnier aux halles avec son épouse Marie Clémence Roze, bien connue de la foule et très populaire en ce milieu spécial. Déroche était fils de la harengère Marie Remiette Déroche, rue des Carmélites. De son entourage aux halles, citons le débitant Paul Jonquet, place des Marchés, 32, et son beau-frère Char-les Alexandre Roze, fruitier dans le faubourg de Laon.
Auguste Germain Brion, 58 ans, ex-conseiller municipal, mercier en gros, rue de la Belle-Image, 1, époux de Zoé Nathalie Lebrun, fils de Brion-Bécasseau. Il laisse deux fils : Albert Brion, négociant en tissus, rue Piper, 2, et Jules, élève à l’École centrale.
Jacques Alfred Tortrat, 51 ans, entrepreneur de couverture, rue du Couchant, 3, époux de Noëllie Eugénie Huré, et fils des Tortrat-Chalamel.
Son beau-frère Jacques Remi Huré, avait été tuilier à Ludes, et son cousin Albert Dominique, armurier, rue Libergier, 54 ; son gendre Mauny était voyageur de commerce pour les tissus. Un neveu, Huré, voyageait pour les fabriques d’emblèmes religieux et habitait, en 1914, à Paris, rue des Volontaires ; il avait épousé la fille de Louis Beugé-Gaillard, contremaître de tissage, écrivain à ses heures de loisirs. Beugé avait signé une chronique sur le Pilier tremblant de Saint-Nicaise, publiée dans la Revue de Reims en 1845 et une série de lettres sur l’Algérie, au temps de son service militaire, en 1848, qu’inséra ces dernières années la Revue de la Révolution de 1848, dirigée par Georges Renard.
Marie Joséphine Chocardelle, 70 ans, rue de Thillois, 35. Son époux Eugène Courmeaux, d’accord avec ses propres convictions, la fait enterrer civilement et fait graver sur sa pierre tombale, au Cimetière du Nord, non loin de la fosse réservée au Langlet, l’inscription latine suivante : Consciam atque impavidum Mors raputi.
Eugène, né à Reims le 15 février 1817, était le fils de Symphorien (1773-1842) et d’Euphrosine Leclerc (1777-1866). L’épitaphe de Symphorien est : Mors corpus non animam. Celle d’Eugène, que la mort enleva le 21 novembre 1902, Pro jure diu luctatus deessit juris victoriam posterio optando. On peut lire, sur la même pierre, une quatrième inscription, en simple français, en souvenir d’une sœur morte, à peine entrée en ce monde, le 12 novembre 1815 : Anne Henriette Eugénie Courmeaux. Dieu veuille que cette enfant repose en paix !
Le musicien Joseph Yund, lorrain de Moyenvic, 66 ans, rue Salin, 3, époux de Jenny Rives. Vieux soldat claudicant, il était clarinettiste et sous-chef à la Musique municipale.
Au siège de Sébastopol, il eut les mains gelées ; la campagne terminée, il fut enrôlé dans les Dragons de l’Im-pératrice.
Type populaire, il fit la joie des auditeurs de concerts et des badauds, lors des retraites aux flambeaux et des re-vues de pompiers. C’était l’un des meilleurs collaborateurs de Bazin.
Nous nous rappelons l’avoir admiré, faisant, en boitant et en écorchant des canards, le tour du pays à la fête de Cormontreuil, un deuxième dimanche de septembre, sous la conduite d’un violoneux qui connaissait à peine le refrain obligatoire en ces réjouissances pastorales : La femme qui m’aura (bis) n'aura pas toutes ses aises... Oui, elle en aura des coups d’poings sur la... tête, Oui, elle en aura, bien plus qu'elle n'en voudra ! avec arrosage du gosier des musiciens aux portes des notables du pays.
À l’issue de cette randonnée avait lieu, sur la grande place, le quadrille d’honneur, ouvrant le bal de nuit ; même répétition le lundi, le mardi et au réchaud, le dimanche suivant. Aux alentours : massacre de lapins de tonneau et gibelottes parfumées à l’ail !
Le 28 avril était mort, en son domicile, rue Clovis, 129, le petit père Rosset, originaire de Paris, directeur en retraite de l’école Libergier. Veuf, il avait convolé en deuxièmes noces avec Rose Élisa Peltier, 49 ans.
À Paris, ses débuts dans l’enseignement furent assez pénibles ; il dut passer six années comme pion dans un établissement libre. Il fut enfin nommé au collège de Gisors, puis envoyé à Reims. Nombreux sont les Rémois qui profitèrent de ses leçons et de l’éducation parfaite qu'il leur donna en paroles et en exemples. Tous gardèrent de lui un excellent souvenir et la Ville elle-même l’honora en l’appelant au conseil municipal, dont il fit partie de 1876 à 1884.
Un groupe de ses anciens élèves, à la tête desquels se trouvait Désiré Censier, du boulevard Louis Rœderer, et Albert, le teinturier de la rue de l’Échauderie, versèrent leur obole pour l’érection d’un monument funéraire à leur maître vénéré. Parmi ces citoyens reconnaissants, citons : Habran, conducteur des travaux édilitaires, rue Chanzy, 28, Guillon, rue des Anglais, économe à l’École professionnelle ; le menuisier Lecreux, rue Hincmar ; l’imprimeur Mendel, rue Sainte-Marguerite, 8, et Simonet, fabricant de tubes à navettes, rue Montoison, 8. Le fils du père Rosset, Léon, 46 ans, ancien fabricant devenu comptable, était aussi grand et barbu que celui-là était petit et glabre, mais rondelet, cepen-dant, avec des lunettes et des cheveux longuets ; il avait l’allure d’un congréganiste. Un ami de Léon, Désiré Lenain, gère l’établissement de tissus de Legros, de Pontfaverger, rue des Trois-Raisinets, 11, avec Gabreau jeune.