1859 à 1868

Mariages extraits de "La Vie Rémoise" d'Eugène Dupont

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1859

Le chapitre des mariages donne de la joie au cœur. Voyez plutôt : tout Reims presque va défiler devant l’œil du vieux Rémois et soulever à ses regards des tourbillons de souvenirs.

Allons, chasseurs, vite en campagne !!

Et les cors sonnent dans la cour d’honneur du château au pied du perron.

Voici les épousailles de Jacques Olry, attaché aux Affaires étrangères, et de Mlle Rœderer. On assiste aux grandes battues du Vexin, aux alentours de Gisors, et la meute des chiens aboie à nos oreilles. Les ruines de l’École de Musique, rue des Deux-Anges, montrent leurs ossements décharnés et calcinés. On pense à la maison de la Mutualité, à la richissime bibliothèque ! Somptuosités et détresses !

Puis, c’est Louis Joseph Bourg, qui épouse Victoire Mennesson. Bourg est un musicien de premier ordre, qui fut organiste à Saint-André, et se perdit dans les flots de la laine. On revoit, en ses vieux jours, ce corps impotent, à l’âme emportée, aux yeux si vifs, promené dans une poussette par un fils dévoué, Henri Bourg.

Un autre lainier se laisse entraîner par les doux appels de l’hyménée : c’est Adolphe Prévost, qui se marie avec Mlle Altmayer ; il sera plus tard l’un des doges de notre République lainière.

Les tissus ont leurs agapes matrimoniales : Émile Lochet et Mlle Fanart, Paul Pinon et Mlle Léonie Duplessis, Auguste Alard et Mlle Clémence Plumet, Jules Andrieu et Mlle Céline Appert, sœur du fabricant Appert-Tatat (en réalité le 10 janvier 1860).

Des grands noms encore : Alfred Magne, receveur du Loiret, et Mlle Werlé ; le Clicquot devenait financier.

Voici Gustave Adolphe, – non point roi de Suède, ni champion de la Libre-Pensée, tel Gustave Adolphe Hubbard, – mais G.-A. Labori, chef de gare à Reims, et Mlle Cartié, qui nous donneront le célèbre Labori, avocat de tant d’affaires retentissantes.

Lucien de Hédouville, châtelain de Montigny-sur-Vesle, épouse Pauline Augustine de La Prairie, châtelaine de Vrigny. Le célèbre et glabre Gerdret de La Prairie fit les noces dans son superbe parc de Vrigny, au vaste étang poissonneux.

Celui qui sera le député Thomas et l’un des fiers bonzes de notre Temple médical de Reims, devient le mari de Mlle Rouget-Liénard, pendant que la bière et le champagne mêlent leurs flots mousseux en l’honneur de Alfred de Tassigny et de Mlle Pauline Delbeck.

Lagarde, qui était adjoint de Huet, l’imprimeur, épouse la fille de son patron et sera à son tour gérant du journal le Courrier de la Champagne.

Et les grandes orgues de la Merveille tonitruent là haut pendant le défilé de ces hauts seigneurs et barons du négoce et de l’industrie de nos régions : Mendelssohn, ce Boche sonore, et sa sempiternelle Marche nuptiale du Songe d’une nuit d’été, marquent le pas de la colombe blanche et tremblante conduite glorieusement au trépas de sa virginité, sous les doigts puissants et agiles du maître Ernest Duval.

Pris de frénésie conjugale à son tour, ce précoce amoureux de 21 ans, ce Duval qui sera de toutes nos fêtes, convole, lui aussi, en hâte, avec la toute fraîche et gentille Clémence Leclère.

Ainsi va le monde !

1860

Peu de mariages ont lieu dans les hautes sphères rémoises. Quelques figures non encore oubliées de nos jours fleuriront à notre palmarès de réjouissances nuptiales, – choisies parmi le menu peuple artisan et boutiquier.

Pierre Cocâtre, cordonnier dans le Jard et successeur du vieil Alvin, dit le père Alby, ou, encore, le père À la Minute. Alby réparait les chaussures à la minute et sur place. On ne trouve plus de ces spécialistes empressés de nos jours, ni aux prix de l’époque, où un ressemelage en règle et de bon cuir tanné coûtait 1 fr. 50 de belle monnaie blanche. Demandez au vieux (?) cordonnier Fusy, ce qu’il pense de ses ancêtres professionnels. Quelles poires ! s’écriera-t-il.

Cocâtre fut, en son temps, une victime pitoyable du mercantilisme le plus méridional qui ait jamais existé. Un marchand de pinard des quatre départements vinicoles lui avait livré un vin fabriqué avec de la fuchsine.

Le pauvre bouif faillit mourir, mais la justice, dit-on, intervint. Ce qu’il en fut pour l’empoisonneur patenté, on n’en sait plus rien, mais les gens du quartier eurent le spectacle rare d’une barrique de lait rouge que le commissaire de police fit vider dans le ruisseau. Certains nez concupiscents en pâlirent.

Il fallut à l’époque une répression énergique pour arrêter ces façons d’abreuver nos populations de l’Est. La Fuchsine avait remplacé le bois de Campêche, autorisé en ces temps, et le produit qu’on appelait à Reims le vin Lestaudin, du nom de son fabricant de la rue Hincmar. Singulière façon de remédier à la crise viticole du Midi !

Saluons le diplodocus Léopold Nocton et sa fiancée Elvire Badoureaux ! Le vieux Nocton a subi l’épreuve de la Grande-Guerre et montra souvent sa maigre carapace sur le boulevard du Temple, entre 1915 et 1918, aux temps brumeux où les Rémois en exil allaient faire ce qu’on appelait leur tour des Loges devant le restaurant Bonvalet, siège de la Société Amicale de la Marne. C’est là que se comptaient entre eux les échappés du bombardement et qu’on repérait les arrivants de Reims pour apprendre d’eux quelques bribes de la situation de notre ville sous les obus boches.

Un mariage dans la flanelle et le bolivar : Martin-Ragot.

Puis, ce type curieux, trieur de laines de profession usuelle, maître de natation d’occase, Abel Bonjean, ouvrier apprêteur en 1860, et qui épouse la fille de Pierre Napoléon Guinot, originaire de Liry (Ardennes), et qui tenait un établissement de bains froids, sur la Vesle, à Fléchambault.

Bonjean reprit la succession de son beau-père, et plus tard, devint gérant-directeur de la Station des Bains-de-Rivière, installée à la moderne sur la Vesle, à hauteur du Château-d’Eau.

Le terroir des Bains-Guinot était la propriété de la famille Laviarde, dont le représentant le plus connu, Achille Laviarde, fut, en des temps d’opérette à outrance, roi d’Araucanie, à la mort d’Orélie-Antoine Ier. Royaume funambulesque et personnages bouffons, dont l’histoire a été esquissée à peine.

Bonjean fut l’un des janissaires du futur roi d’Araucanie, lorsque, simple sultan de Fléchambault, celui-ci terrorisait les Néreides aventurées dans le bassin Guinot, en apparaissant, en tenue de baigneur, au beau milieu du bain des dames.

En ces temps, Achille faisait de la politique en amateur. On le vit, en 1869, grand-électeur du candidat officiel Edouard Werlé, l’homme à la Maison de Retraite, contre le lénitif Jules Simon, l’homme aux petits jardins ouvriers, et, sur la fin de sa vie agitée, il apparaît, en 1873, aux côtés du Prince impérial, sur une photographie des fidèles tenants de l’Empire déchu, à Chislehurst.

Les coulisses de la politique voient souvent se glisser entre leurs portants de singuliers fantoches. Reims n’aura jamais l’historien de ses heures folles du siècle dernier ! Faut-il le regretter ?

L’une des filles d’Abel Bonjean, Irma, devint artiste-lyrique : elle était fort belle et douée d’un magnifique contre-alto. Sa beauté avait impressionné un tenant de la réaction bonapartiste à l’époque du 16 mai, celui-là même qui voulait des républicains, faire de la pâtée pour les chiens. Abel Bonjean en ressentit une douce fierté qui le mena, trop vite, malgré lui, au tombeau.

Et c’est sur cette gloire fuligineuse que nous baissons le rideau de la Revue de 1860.

À l’an suivant, d’autres compères et de non moins alléchantes commères, si possible !

1861

Au firmament des mariages ne scintillent que des étoiles de petite et moyenne grandeur, dont certaines ne tardèrent pas à filer vers des constellations plus favorables. On ne parlera pas de ces dernières, qui ne sont plus de notre monde depuis longtemps.

Du bout de notre baguette aimantée, attirons à nos regards proches les plus luisantes d’entre les autres.

Émile François Odelin, 26 ans, épouse gente demoiselle Laignier, dans la fleur de ses dix-neuf printemps. Et, de suite, association entre Louis Gabriel Laignier, tanneur rémois, rue des Capucins, n° 21, et le nouveau marié, dit Hippolyte, employé de commerce, ci-devant à Paris, rue Mauconseil, 17. La raison sociale est : Laignier-Villain & Odelin.

Un jeune médecin, Alphonse Panis, fils du professeur de ce nom à l’École de médecine, épouse Mlle de Montigny. Leur descendance fut nombreuse et a fait honneur à notre cité.

La famille était originaire de Chimay, où Panis père naquit en 1802. Naturalisé français, il s’établit à Reims et y gagne ses épaulettes de professeur en 1836, s’exerçant en apôtre convaincu à vacciner le plus de Rémois au possible, et soignant les malades du Bureau de bienfaisance pendant un demi-siècle. Le bon docteur avait complété son œuvre en faisant de son fils Alphonse le meilleur, ou du moins, le plus réputé des accoucheurs de notre ville.

Le public avait racolé une rumeur vagabonde dont l’existence est certainement apocryphe et qui contait à tous que l’aïeul des Panis, régisseur d’une famille noble de ce pays, émigrée en Belgique sous la Révolution, avait racheté de ses deniers personnels les biens sequestrés de ses maîtres pour les exploiter et leur rendre au retour des Bourbons. En reconnaissance, celui qui fut Panis père aurait été placé au Collège de Reims et élevé aux côtés de l’héritier de cette noble famille ?

Cette histoire a été tirée et colportée à plusieurs exemplaires avec variantes : l’historiographe inédit de Nicolas David, – prote et littérateur, né à Reims en 1822 et mort à Paris en 1874 –, narre de son côté que pareille aventure advint à l’aïeul de ce David, entrepreneur de bâtiments, qui avait acheté en 1796 à l’État les constructions à démolir de l’abbaye de Saint-Denis.

La rumeur a pris là une autre forme : c’est une fortune liquide, en espèces, en bijoux précieux, enfouie dans une fosse profonde et dissimulée, puis rendue à ses propriétaires, les Ruinart de Brimont. Les légendes sont comme les canards : elles vont toujours par deux.

En ce qui concerne Panis, on s’explique difficilement qu’il soit natif de Chimay lorsque sa famille s’occupe en France de régir les propriétés d’un émigré.

Toutefois, comme il n’apparaît pas autrement nécessaire d’éclairer cette lanterne, courons au-devant et sans plus tarder de ce violoniste si connu des Rémois, Jean-Baptiste Chauvry, professeur de musique déjà, qui, à 26 ans, épouse Marie Sophie Baudet, gentille modiste de 21 ans, sœur de notre Alexis de la fabrique, dont le souvenir ne s’éteindra qu’avec ses contemporains.

Celui qui fut le petit père Chauvry devenait, par cette alliance, le neveu du docteur Desprez. La grande Guerre le trouva aveugle et fit de lui, comme de tant d’autres, un chemineau de l’exil, jusqu’à ce que la mort vînt le soulager, en 1917, à Châlons-sur-Marne, où les deux vieux époux s’étaient réfugiés dès 1914. Que de mémoires vont s’éveiller, urbi et orbi, à l’évocation de ces deux noms : Chauvry et Baudet- Poissinger.

Jacques Lhuire, 30 ans, contremaître de filature, épouse Mlle Houbart, demoiselle de magasin, et sera le père de ce délicat et trop modeste poète lyrique rémois, Julien Lhuire, dont les manuscrits, déposés aux archives de l’Académie de Reims, ont été, avec tant d’autres, dévorés par les flammes, en septembre 1914.

Mais quel nom flamboie devant nos yeux charmés ! Ambroise Petit, notre Ambroise des Bilots, le glorieux fondateur de la chorale si célèbre des Enfants de Saint-Remi, lequel prend femme à vingt ans, sans plus attendre, tellement il se sent pressé par le destin de fonder une dynastie musicale dont nos oreilles seront à jamais les débitrices insolvables.

Et puis, ce sont des tout petits, tout petits crafouillats de nos rues populeuses et artisanes qui, eux aussi, ont droit au soleil de l’hyménée et vont faire leurs nids à la va-comme-je-te-pousse, dans les courées ou sous les toits de nos faubourgs, afin d’éterniser la maupiteuse engeance des éternels sans-le-sou, dont le travail assidu et sans gloire durable ni joies fécondes va tisser la trame et la chaîne de tant de bonheurs matériels, dont ils seront les contemplateurs mélancoliques. Rendons-leur grâce à tous : c’est encore les petits canards de ces couvées boiteuses qui barbotent joyeusement dans les mares boueuses de nos rues défoncées.

All right ! et vivent à jamais les Rémois !

Cet accès de lyrisme et ces effusions seraient à regretter si on en oubliait le souvenir de quelques autres compatriotes de l’élite gallo-romaine des derniers âges :

Le jovial Lantiome, la future gloire de notre barreau, se marie ; de même cet autre basochien, Émile Roze, voué au centenariat, qui tend son petit bras arrondi à la pimpante demoiselle Lapie, compagne dévouée d’un avocat retors, malin et loquace, comme il convient à la profession.

Nérot, violoniste et altiste fameux, tout en demeurant le passementier bien assorti et achalandé de la rue de Vesle, et qui deviendra l’Abraham d’une lignée infinie de jolis et délicieux petits-enfants, avant d’abandonner l’archet et la colophane pour aller écouter les célestes concerts, très tard, le plus tard possible.

Puis, pour clore ce palmarès vraiment rémois, l’homme de haute valeur morale et professionnelle qui fut le docteur Arthur Decès, dont le nom honoré, la main franche et les vertus monacales s’associent à cette autre noble fille de Reims, Anna Lochet, du nobiliaire bourgeois le plus élevé.

Toutes ces existences semi glorieuses, semi heureuses, vont se dérouler en films estompés sous le regard de ceux qui nous escortent dans cette Revue locale, – avec la légion aux cohortes innombrables que l’anonymat respecte, faute de pouvoir lui manquer de respect !

1862

Le grand évent de la saison fut la cérémonie pompeuse du mariage de l’industriel Firmin Charbonneaux, 35 ans, rue du Barbâtre, 55, avec Mlle Devivaise, 21 ans, habitant à Champigny-lès-Reims.

Eugène Truchon, le tonnelier, épouse la sœur de ce jeune Simonar, dont la mort accidentelle provoqua tant d’émotion en notre ville, où cette famille de maîtres plafonneurs était connue comme les Héry, les Albaut, les Lescot, de même corporation.

Un monument élevé au cimetière du Nord perpétue le souvenir de cet aimable éphèbe, que la piété paternelle a fait représenter par la sculpture en grandeur naturelle, revêtu du costume de la première communion, moins le brassard.

Cette dernière particularité fit longtemps croire à la rumeur publique que l’accident mortel survenu au jeune Simonar avait eu lieu précisément au jour même de son premier agenouillement devant la Sainte-Table. Erreur !

Le jeudi qui précédait cette cérémonie rituelle et coutumière, le garçonnet était allé passer la journée chez sa grand’mère Varoquier, à Saint-Thierry, et, pour le retour, il avait pris place sur une charrette chargée de fûts vides envoyés à Reims. Sur la route de Laon, à l’endroit où fut érigée la Croix-Simonar, en commémoration de l’accident, une secousse du véhicule fit choir l’enfant du siège branlant sur lequel l’imprudent charretier du convoi l’avait laissé se jucher, et, roulé à terre, les roues l’écrasèrent.

Très modestement à son tour convole en justes noces un jeune musicien nommé Bonneterre, né à Attigny en 1829, venu à Reims de bonne heure pour y faire consacrer son talent de violoncelliste. Bon violoniste aussi, il distribuait ses sciures à la fois dans les salles de danse, au pied des autels et dans la fosse orchestrale du Vieux-Théâtre.

Les philharmoniques eurent en sa personne le plus talentueux des exécutants. Ailleurs, ils ne sont plus à compter les couples que son archet entraîna au moyen du répertoire de danse le plus varié et le mieux choisi.

En l’honneur de sa fiancée, Ponce avait composé une scottisch intitulée : Odile, du nom de Mlle Dubois, sa femme, lingère à l’époque, tandis que lui-même exerçait la profession de trieur de laines.

Il y eut une dynastie de Bonneterre musiciens que Reims a connus et appréciés, notamment l’aîné et son cadet Ponce, tous deux de première force aux instruments à cordes.

Les répertoires de musique de danse foisonnent de productions dues à leur cerveau et à leur plume à copier.

Ils feront l’un et l’autre partie intégrante de l’histoire de la musique à Reims, en la seconde moitié du XXe siècle.

De partout, dans les villes et les villages, à des lieues à la ronde autour de notre centre rémois, on faisait appel à leur concours pour les concerts et les soirées de bienfaisance, les bals de fêtes patronales, les grands orchestres de fêtes publiques, les cérémonies à musique dans les paroisses, les soirées classiques avec quatuor où leur archet était nécessaire.

Ils furent, dans l’art populaire de la danse, à cent coudées au-dessus du ménétrier de campagne, qui fait le tour du village aux fêtes patronales.

En composition, pour la musique de bastringue, ils vont de pair avec les plus réputés : Narcisse Bousquet, E. Marie, Antony Lamotte, Michel Bléger, Buot, Ziégler, Vasseillière, Musard même !

Leur bagage musical est considérable, mais démodé de nos jours, surtout depuis que le quadrille, la polka et la mazurka ont cédé la place au jazz-band et au tango. À chaque chose son temps ! mais leurs airs étaient dansants, mélodiques et savamment orchestrés.

Ils eurent l’oreille des chicards et des lorettes dans nos bals de faubourgs, chez Savart, au quartier Cérès ; Éloy, rue des Romains ; Louis, au Pont-de-Muire ; Ragaut, rue de Neufchâtel ; à l’Embarcadère sous Brié, et chez l’illustre Bellavoine du Bal-Français, à Fléchambault.

Les orchestres raffolaient de leur répertoire, facile à jouer, sonore et chantant. Si l’on revient à nos ritournelles populaires du dernier siècle, leurs compositions feront prime sur le marché chorégraphique.

Hélas ! ou tant mieux ? il sera plus aisé de retrouver des mollets de danseuses que la musique de leurs gracieuses compositions. Leurs adagio ou andante étaient de rigueur au lutrin, pour violon ou violoncelle ou alto, avec accompagnement d’orgue, aux messes patronales de villages, et parfois aux obsèques de confrères que la mort avait arrachés au pizzicata, à l’arpeggio, au tremolo et au glissando si chers aux gratteurs de boyaux-de-chat !

Ponce fut longtemps contremaître de triage à l’usine Villeminot-Huart & Rogelet. Sur le tard, on le vit ceindre le tablier bleu de l’épicier, (qui l’eût cru ?) et gérer une succursale d’alimentation dans l’ex-rue des Treize-Maisons, – ce trognon de voie publique situé entre les rues Boulard et Brûlée–, juste en face la maison du petit père Lefèvre le ténor, où naquirent deux gloires musicales de Reims, Léon et Ernest Lefèvre.

C’est de là qu’ayant pris froid à l’enterrement de l’universel Henri Cadot, trieur de laines, cor d’harmonie au Théâtre, trombone titulaire et grosse-caisse facultative aux Pompiers, y faisant l’intérim de Pérardelle le joyeux édenté, Ponce prit à son tour le chemin de la Cathédrale et du Cimetière du Nord. Lui aussi, à l’instar du clownesque Cadot, il eut sa Marche funèbre de Chopin, aux lents accords émotionnants, – chef-d’œuvre du genre.

Toutefois, il n’avait osé réclamer, au préciput, de Gustave Bazin, – ainsi que l’avait fait son funambulesque collègue à la Municipale –, qu’on jouât la polka à coups de langue : Jeanne, de Holmières, à l’instant où le cortège funéraire arriverait aux portes de la nécropole.

Ce Cadot, en réalité, était un véritable Pierrot enfariné échappé du manège à Napoléon Rancy, pour divertir ses camarades d’atelier et d’orchestre.

Il faillit, un jour de Saint-Remi, se faire lapider par ses collègues de la Municipale. La coutume était qu’à cette date d’ouverture de la foire populaire, les Pompiers allassent en musique boire une chopine dans les cabarets aux alentours de la place Saint-Timothée, – souvent aux frais de l’excellent Victor Lambert, nabab du quartier.

C’était une joie savourée longtemps à l’avance, pour les oreilles aspirantes ouvertes sur le parcours du défilé sonore, aux pas redoublés entraînants !

Le cortège pétaradant et trombonnant montait Là-Haut alternativement par la rue Neuve et la rue du Barbâtre. On sait combien est escarpée la rampe qui rejoint la rue des Créneaux.

Un dimanche, Cadot, grosse-caisse ce jour-là, pour la gravir, mena la course au pas de chasseur pendant que clarinettes, pistons et trombones essouflés se sentaient mourir d’emphysème, sans consentir pour rien au monde à couper une marche militaire en morceaux pour reprendre respiration.

Cadot suait sang et eau, Charlier le sous-chef s’épongeait le crâne, et le père Yundt, la clarinette, qui vécut assez pour subir cette redoutable épreuve, claudicait de ses vieilles jambes variqueuses, les joues gonflées à crever et les yeux hors de leurs orbites. Une ! deusse ! gauche ! droite ! tout le monde suivait au pas de charge. Boum ! boum ! pataboum ! une ! deusse ! gauche ! droite !

Mioches morveux, gamines échevelées, grappes d’amoureux endimanchés, pères en casquettes, mères en bonnets, aïeules sans dents et grands-pères à lunettes, badauds de tous ordres, de toutes tailles, de tous costumes, tourlourous en culotte rouge et artilleurs en courte veste noire, ça et là les honteux qui ont enfoncé leur chapeau sur l’oreille parce qu’ils n’ont pu se résoudre à n’en pas être, – tout le Reims des faubourgs et du centre populeux grimpait en riant, sautant, chantant et trépignant, à l’assaut de la Butte immémoriale.

Ah ! mes frères en Rémophilie, quelle joie ! quelle folle allégresse aux fenêtres, sur les trottoirs, derrière les contre-basses aux vastes poumons dégonflés !

On vit ces choses en un temps où personne n’aurait songé que Dieu-Lumière serait la Pompéi qu’il est, sans un Vésuve consolateur !

1863

Les mêmes chercheurs de quintessence prétendent qu’en année de bon vin, les mariages d’inclination furent toujours nombreux. 1863 n’est pas pour affaiblir leur théorie : nos jeunes Rémois se précipitaient passionnément vers les douceurs de l’hyménée.

Parmi les unions qu’eurent à consacrer les officiers de l’état civil et bénir les pasteurs de nos religions d’État, citons le jeune et fringant Eugène Gosset, 26 ans, place Royale, n° 8, et Mlle Triquet, 18 ans, de la ferme de Richecourt.

En même temps, Jacques Géry, 23, rue Coquebert, et demoiselle Ehringer, rue de Vesle, 156 bis.

Puis, c’est le père Melchior Nitzsché, si bien connu des lycéens auxquels il enseigna les langues vivantes, notamment le boche, et qui, à 55 ans, convola avec une veuve consolable, Adèle Guinot, qu’il avait connue et appréciée pour ses qualités culinaires en fréquentant la pension alimentaire dirigée par cette personne, rue du Levant, 10. Nitzsché (atchoum) est mort en 1886, à 78 ans.

Le négociant David épouse Mlle de Lossy.

Louis Arsène Fanart, 28 ans, rue de la Renfermerie, 4, associe son nom fameux parmi les artistes rémois à celui de Rivart, non moins honoré.

Charles Barbelet, qui devait inaugurer dans nos murs la fameuse Tisane mousseuse de Champagne à 1 fr. 25 la bouteille, dont s’arroseront ses huîtres de Marennes et ses escargots réputés, marie le tonneau à la lingerie. Le Café Charles, de la place Royale, germait déjà en ses méninges avisées, et tous les gourmets rémois de sa génération lui en vouèrent une reconnaissance sans limite.

Adolphe Main, épicier, rue Neuve, 116, s’unit à demoiselle Dupuy, de Osly-Courtil (Aisne). Il était originaire du pays de Champfleury, Laon, et se montra parfois dans sa sphère intellectuelle, non moins original que cet écrivain humoristique.

Main fut un des plus ardents protagonistes et généreux mécènes de l’Orphéon des Enfants de Saint-Remi, dont le directeur, Ambroise Petit, était l’un de ses meilleurs amis. D’une amabilité extrême et de caractère enjoué, il devint populaire dans son quartier et parmi une clientèle étendue qui lui resta fidèle de son vivant.

De jambes courtes, il était obligé de se hausser sur la pointe des pieds pour atteindre une chaise de son séant. La tête allongée en forme de pain de sucre, – métier oblige ! – il s’exerçait habilement à plisser la peau du front pour faire danser son chapeau-melon à la façon d’une barque de pêcheur sur les eaux d’un océan.

Napoléonien enragé, il gardait une horreur invincible de tout le personnel républicain qui renversa l’Empire. Il témoigna publiquement de cette antipathie lors du changement de dénomination de sa rue. Et ses factures portèrent en en-tête : A. Main, rue Neuve, dite Gambetta. Hormis ce léger travers, homme inoffensif à tous degrés, et excellent citoyen.

Philippot, le marchand de dariolles de la rue de l’Étape, prend femme, vu le bon marché de la farine, dont le quintal est à 34 francs.

Aussi le récent négociant en laines Léon Favart, qui entre dans la famille des Lhotelain : on aura sans peine du pain et de la bonne laine à matelas.

Un charpentier de bois, aussi célèbre par son pantalon de velours à la hussarde, ses longs cheveux plats à la Corse et son vaste feutre mou que par sa voix de muezzin (ténor remarquable à la Cathédrale et à l’Union Chorale), Sagnier, enfant du Barbâtre, épouse une aimable et jeune rentrayeuse de la rue Montlaurent. Ah ! celui-là resta bien de Par-en-Haut toute sa vie.

Te souviens-tu, lecteur, des larmes qu’il t’arrachait lorsqu’avec trois de ses compères en robe de mousseline blanche fripée, il lançait aux voûtes de nos églises, les clameurs de désolation du De Profundis ! de Hardoin, – chef-d’œuvre du genre, si poignant, qui t’écrasait sur la stalle du chœur où la mort de quelque être cher t’avait fait échouer ?

Ah ! cet Hardoin ! son De Profundis ! et ces visions de l’abîme ! Les défunts même en tressaillaient dans leur cercueil !

L’accordeur de pianos Hector Manceaux, aux yeux de saphir et que la perruque aux longs anneaux guettait déjà, se prête lui-même à de charmantes accordailles.

Les blagueurs, nombreux dans le tissu, ont toujours prétendu que le père Senart-Colombier signait tous ses actes d’état civil du nom social : Senart & Cie. C’est une vaste fumisterie ! Achille Honoré, de ce nom, 26 ans, rue de Talleyrand, 23, épousera, en 1863, Mathilde Martin, dont le nom faisait partie de cette célèbre firme rémoise de tissus.

Le notaire Neveux, rue du Trésor, 3, décide, avec une délicieuse Châlonnaise à laquelle ont plu ses yeux et ses cheveux d’un noir de jais, sa haute carrure et la noblesse de son beau visage tout rond et sympathique, qu’ils donneront un jour à notre bonne ville de Reims un de ses enfants les plus glorieux, celui qui, pendant la guerre, fut le sauveur des richesses de nos musées, en même temps que le consolateur des proscrits, ce Thierry Seneuse, dont la douce enfance s’était écoulée à l’ombre des hautes et glorieuses tours de la Merveille. Que Thierry Seneuse soit loué à jamais pour son hymne à notre chère petite patrie commune !

1864

Nombreux sont les intérieurs qui vont s’éclairer du flambeau de l’hyménée.

Les pétards artificieux ou bouchonnards vont crépiter dans les rues et les cours, et aussi autour des tables somptueuses où coule à flots le champagne parmi les cristaux aux mille reflets.

Les chevaux enrubannés piaffent aux portails des églises et devant le municipe, les fouets claquent retentissants, et mille visions de dragées et de petits sous peuplent la cervelle des mioches qui s’accrochent aux cortèges baptismaux, en criant : Six liards ! six liards !

C’est le bel avers de la médaille qui luit aux regards des foules, ravies et consolées ! Nos rues vont s’animer des longs cortèges indisciplinés et désordonnés, parfois vacillants de noces en raie d’oignons ! joie affolante des gamins en école buissonnière.

Entendez ces noms et devinez ces visages roses et allumés des marieux, sous le haut-de-forme luisant d’importation parisienne ou le melon sorti des couches à Pradet le père ou à Javal, ou encore à Leriche.

Les chapeliers ne manquent pas dans Reims, non plus les marchandes de roses et de fleurs d’oranger en couronne, pour ceindre les fronts pudiques de nos vestales récalcitrantes.

Les belles heures sonnent au cadran de la vie. Ah ! la famille rémoise ne veut point s’éteindre... Disons que rien ne l’éteindra... que le Grand-Éteignoir appelé à éteindre le soleil lui-même.

À l’appel : Cruel et Marie-Elzévir (?) Souris, qui fonderont une importante maison de lingerie, rue Chanzy, 64, à l’endroit même où l’entrepreneur Roby vient de construire l’immeuble destiné à concentrer les bureaux et magasins d’expositions de la Cie du Gaz, ainsi que les appartements pour le personnel de ses employés principaux.

La Compagnie a racheté les terrains et dommages de guerre des numéros 64 et 66, qui, joints à ceux de son propre immeuble au n° 68, permettent l’édification de ce vaste et beau bâtiment.

Le boucher Adolphe Menu, de la rue de Vesle, 209, épouse la veuve de Jacques Fuchs-Gras, bouchère également rue du Jard, 26, et vient s’installer dans ce vétuste immeuble aux murs de façade sur rue Brûlée, en gros moellons de craie, lesquels n’ont jamais su ce que c’était que l’alignement.

Les obus boches ont respecté cette bonne vieille bâtisse, propriété actuelle du teinturier Paquot fils, lequel y a fait des réparations provisoires, sous un toit neuf en tuiles rouges, auquel il a retranché les lucarnes de deux mansardes où, des années, s’abritèrent des intempéries les fils d’un trieur de laines nommé Dupont, auquel certain Flâneur des Ruines que nous connaissons doit bien des choses !

Avec la maison voisine détruite, il y aurait possibilité d’élever en cet endroit un de ces vastes immeubles à logements particuliers dont notre ville a grandement besoin à cette heure. La rue du Jard y gagnerait en beauté et en sanité.

Le violoncelliste Édouard Brié prend comme compagne celle qui sera pour lui la meilleure des accompagnatrices et pour nombre de jeunes Rémoises, languides ou frétillantes, le professeur rêvé : Cécile Adélaide Niverd, qui exerce déjà à Vouziers, sous les auspices de son père.

Cette famille a pris définitivement pied dans notre ville, où elle sut trouver de la besogne.

Niverd père décéda il y a peu d’années à la Maison de Retraite, ayant pratiqué le professorat de violon et solfège jusqu’à l’extrême vieillesse. Talent modeste qu’on pouvait situer entre la ménétrique majeure et la violonique mineure ! Paix à ses mannes artistiques !

Mme Brié, devenue veuve, et ces derniers temps défunte, épousa en secondes noces un M. Védie, commerçant retiré des affaires, bien connu dans Reims, pour terminer ensuite ses jours, comme son père, à l’établissement de Retraite de la rue Simon, 26.

On se souvient, parmi la gent musicale, de certain soliste des Pompiers, saxophoniste de talent venu de la Garde républicaine, Niverd fils, disparu luiaussi, et depuis longtemps, de notre horizon. Songeons aussi au Niverd du Continental !

Alexandre Dieudonné Truchon, vannier, rue du Château-de-Porte-Mars, épouse une demoiselle Desautels, veuve Pommery, rue Sainte-Marguerite, 8.

L’atelier de vannerie pour champagnes de la firme Truchon fonctionnait rue de Contrai, à Reims, en 1917, en dépit des bombardements incessants dont nous gratifièrent à l’époque nos excellents voisins les Boches, que le diable confonde !

Le nom des Pierrard, industriels de haute allure, s’allie à celui fort célèbre des Armengaud, en la personne de Eugène Pierrard, courtier-juré aux Ventes publiques de laines coloniales, à Londres.

Par le mariage du boulanger Vuitry, de la rue de Vesle, 254, et de Mlle Cousin, notre ville s’enrichira d’un jeune concitoyen qui, élève de l’École des Arts, à Châlons, sera plus tard directeur de l’usine Collet frères & Meunier, d’où il ira à Paris installer des ateliers importants d’outillage de précision, avenue des Gobelins.

Ses bons amis, peuvent, à l’occasion, aller là-bas lui serrer la main, – sûrs d’être bien reçus.

Les noms des Hubert et des Naviaux vont évoquer pour nous toute une famille d’artisans de la ramone et du charbon. Alexis Hubert qui, à l’âge de 37 ans, était encore cuisinier au Grand Séminaire, se décide, sur le tard de la jeunesse, à convoler en justes noces avec Marie-Jeanne Naviaux, lingère, rue Neuve, 4, où elle cousait et repassait sous l’égide des Fontaine-Naviaux et Sainte-Catherine, dont elle abjure définitivement le culte.

De cette union issira ce bon gros Rémois que tout le monde a entendu, avant la guerre, alors qu’il conduisait un bourriquot chargé de cokes de l’usine à gaz, en criant, à tue-tête et d’une voix de fort ténor : Scarbilles-cokes ! v’là l’coq !

Joseph Hubert a endossé le tablier de débitant de vins, au n° 170 de la rue Gambetta, et nous l’entendons encore, par intermittences, crier, brièvement cette fois, et à voix moins tonitruante, les titres de nos journaux locaux, tantôt la Dépêche, tantôt le Télégramme, demain l’Éclaireur ou la Croix, avec un éclectisme généreux et sûr de ses résultats. Reims, pas plus que Rocambole, n’est mort !

Le Rémois à Paris rencontra souvent Hubert, même dans les parages de la rue de Rivoli, promenant sa petite voiture des quatre saisons, guettant au passage tel ou tel de ses concitoyens maupiteux et l’oreille basse, pour lui sauter au cou et lui demander des nouvelles de la patrie commune.

Ah ! ces rencontres de réfugiés dans la grande ville indifférente à leurs malheurs, ayant tant à faire, par elle-même, pour suffire à ses indigences morales et physiques indicibles !

Et nous avons pu survivre à de telles épreuves ! et revoir nos collines, fouler à nouveau le sol meurtri de notre pays natal, grâce au dévouement et au sacrifice de centaines de milliers de vies précieuses et gonflées de promesses !

Un chanteur délié et agréable de nos concerts familiaux, Squelin, de la rue des Moulins, 7, garçon de magasin, puis trieur de laines, – qui eut ses succès personnels pendant la décade 1860-1870, avec Gadiot, Simon, Richard et Menu, artistes rémois, – entre en ménage.

Il nous souvient l’avoir entendu débiter ses gais monologues et ses amusantes chansonnettes au Cercle des Frères de la rue du Jard.

Ce cercle congréganiste était une sorte de patronage d’anciens élèves de cette école où, le dimanche, assez souvent, on donnait aux habitants des rues voisines une séance concertante et récréative, dans une salle avoisinante de la chapelle. Ses murs retentirent de nos éclats de rire au : Qui veut voir la lune ? débité de sa jolie voix de ténor par le tout jeune Simon, au futur Max, enfant de la rue Neuve destiné à devenir le Grelucheux des Cloches de Corneville.

Nous le retrouverons sous peu, quand nous apprendrons son départ pour la capitale, en compagnie du fort ténor Richard et de la basse profonde Menu.

La rue du Jard assiste au défilé du cortège nuptial, sans Marche de Mendelssohn, des accordés Bertrand et Rosé.

Bertrand-Rosé, filateur, fut le plus brave et le plus honnête des hommes, confit en dévotion certes, et le plus philanthrope des patrons.

De haute taille légèrement voûtée, l’œil bon et la démarche humble, son visage ovale et sans coloration, orné de l’impériale, attirait la sympathie et le respect. Il honora Reims.

Le futur directeur de la Société des Déchets, Alfred Renard, âgé de 33 ans, et négociant en laines, épouse Mlle Frissard, 24 ans, rue de Talleyrand, 13.

Un souvenir en passant à son garçon de magasin, Arsène Dégodet, qui coule des jours paisibles et dénués de tout souci, en veuf aux souvenirs émus et aux regrets fidèles, à la Maison de Retraite, – oasis rafraîchissante pour les débris de la famille rémoise que la rigueur des temps a semés dans le désert de nos ruines, sans les y ensevelir –, laissant ce redoutable et pénible devoir aux soins de la terrible et impitoyable Faucheuse, grimaçante, toute en osselets, et joueuse de castagnettes macabres.

Ah ! l’horrible Vieille à la face répugnante et aux tibias menaçants ! Voyez un peu avec quelle ardeur elle fauche, elle fauche, dans le champ de nos amours, de nos amitiés, et aussi de nos indifférences !

1865

Si, de nos jours, les feuilles locales insèrent nombre de divorces, au grand dam de l’esprit de famille, celles de 1865 sont pleines de promesses de mariages, qui deviendront des réalités consolantes.

Que de silhouettes sympathiques défilent sur l’écran de ce théâtre des Ombres rémoises, évanouies pour la plupart dans le recul des temps ! Il y a des noces à tous prix, de tous rangs et à toutes sauces. Décrochons du tableau ces noms de «marieux» aux cheveux frisés, à la moustache conquérante, poussant le cocorico sonore du coq gaulois en s’exhaussant sur la pointe des souliers vernis de chez Villedieu, voisin du libraire Lemoine-Canart, dans le Cadran-Saint-Pierre. Les petits et grands, les gros, les bêtes, tous accourent devant l’objectif. La mémoire de nos lecteurs va voir apparaître leurs visages et leurs gestes familiers.

Le déjà gros Édouard Langlet, qu’on verra plus tard, ventre arrondi et teint blême, premier vendeur de tissus chez les Walbaum & Desmarest, de la rue des Marmouzets. Sentencieux et peu jaloux de l’esprit des autres, il écoute, rumine, rit et conclut.

Alexis Morlet, de Hauviné (Ardennes) sera pendant des années, à la tête du triage des laines de la maison Adolphe Prévost. Ceux qui ont vu le tableau de Tissot, placé au-dessus des fonts baptismaux, à la Cathédrale, en se rappelant le portrait du Cardinal Langénieux, à âne dans Jérusalem, se diront : « Tiens ! voilà Morlet !»

Le sergent de ville Germain, un joli rouquin parmi les bons, – tous les autres étant méchants comme la gale, – coudoie devant M. le Maire le charcutier Gaillot, au teint rose et l’œil enluminé. Ces deux voisins ont souvent chopiné ensemble. À Saint-Remi, M. le curé Aubert donne la bénédiction au fils de son sonneur, récemment défunt, Nicart, chevalier du fil à poix dans la rue du Châtelet.

Le futur «gros Ninet», à 30 ans, en a assez du célibat, et épouse une demoiselle Mergen, de la rue de l’Étape. C’est lui qui succède à Étienne Saubinet, cet homme de haute valeur, à la direction de la Société des Déchets.

Puis s’avance dans toute la gloire et la splendeur d’un grand nom local accolé d’un autre grand nom français, le superbe Alfred Werlé, teint frais et rose, qui comparaît devant son père, le Maire de Reims, au bras d’une descendante de Lannes, le «bras droit» de Napoléon. Le nom de Werlé va s’allonger de la particule et bientôt se faire précéder d’un titre nobiliaire et papalin. Le comte Werlé de Montebello sera l’une des figures les plus vivantes et l’une des notabilités les plus remarquables, dans sa retraite discrète et quelque peu «bougonneuse», de la Famille rémoise. On le verra, non sans regret, plus tard, par dépit électoral, secouer la poussière de ses escarpins sur la Cité acariâtre qui dédaigne ses présents et dénigre ses mérites. Les foules électorales sont éclectiques, capricieuses et changeantes. À certaine heure, elles reviennent sur leurs jugements, et les héritiers du paria recueilleront le bénéfice de leurs faveurs retrouvées. Tel M. Bertrand de Mun, qui sera un jour député du vignoble rémois. Ce n’est pas toujours le semeur qui récolte !

Un Halary, de la lignée des maçons qui ont planté tant de drapeaux dans Reims au sommet des bâtisses de nos rues nouvelles, se met aussi en ménage, avec l’intention formelle de ne point laisser s’éteindre sa race. Lui et ses frères, ont montré ce qu’ils savaient faire : des Halary, Reims en a trouvé à son service en tous temps, et en trouve encore.

Le capitaine Bussière, du 76e de ligne, en garnison à Reims au début de l’année 1865, avant que ce régiment permutât avec le 106e de ligne de Verdun, devient le beau-frère du négociant en laines Alphonse Prévost, rue des Moissons, 23. Plus tard, on le rencontra dans les bureaux de cette firme, à l’angle des rues Ponsardin et Cérès, avant de céder la place à l’ancien zouave du pape, Pérot, intéressé de commerce au peignage Jonathan Holden.

Les gens de la laine se rappelleront un grand diable chevelu et barbu du nom de Rustique de Pontailler, de noblesse fort déchue, et qui fait les délices des mélomanes qu’on a pu rencontrer dans les chantiers de trieurs de laines, où il exerçait cette profession, tout en roucoulant et déroulant ses cascades d’une jolie voix de ténor à la Chaillier. Son camarade d’atelier, Maucourt, dont un fils est actuellement négociant à Elbeuf, se marie en même temps que lui, pour devenir, peu après, contremaître de triage sous les ordres de son beau-frère Lamotte, acheteur à Londres de la maison de laines Albert Marteau, en pleine prospérité après la guerre 1870-7I. La franc-maçonnerie des Sompinats est agissante !

Puis c’est Guérard, marchand de lingerie à Montcornet, patrie de notre Camille, qui vient s’installer rue Neuve, 21, dans la boutique même de son épouse, Mlle Devraine, déjà âgée de 37 ans, tandis que lui-même en compte 43. La raison et les intérêts bien compris feront en tous temps excellent ménage : ces nouveaux mariés allaient en donner encore la preuve.

Le tisseur Mouny de la rue Marlot, 33, épouse Hortense Carré, sa voisine au numéro 35, dans le Jard. Mouny fut, à la fin de l’Empire et aux débuts de la IIIe République, un militant du parti radical-socialiste à Reims. Les salles de réunions s’animaient de sa voix goguenarde et de la flamme brûlante de ses yeux d’apôtre à l’heure des luttes de partis. Les candidats, sans le redouter, se tenaient en garde contre ses questions à surprise, envoyées au but comme ferait de son engin un adroit foot-baller. Il nous revient qu’un jour, dans une réunion d’électeurs, à la salle du Bal-Français, dans Fléchambault, trois candidats à la députation avaient à débiter leur programme en tranches épicées : Courmeaux, Lasserre et Portevin, chargés de préparer son lit à Victor Diancourt. Le peuple-souverain, silencieux et concentrant ses forces pour siffler ou applaudir ou rigoler, suivant le cas, vit s’avancer sur l’estrade auprès des orateurs, ce terrible Mouny, ses moustaches gauloises au vent, tanguant de ses épaules carrées, les mains dans les poches, et, un rictus moqueur sur sa face gouailleuse à la Clemenceau, poser à l’avocat Lasserre cette colle enfantine : « Nous dire pour quel motif vous avez accepté d’être maire de votre commune sous l’Empire ! » Les regards anxieux du public se dardaient sur les deux adversaires. Ah ! il fallut admirer l’aisance avec laquelle le futé défenseur de la veuve et de l’orphelin, au visage rasé, une longue redingote laissant voleter ses pans sur son grand corps dégingandé, aux bras de violoncelliste, glissant deux doigts de sa main droite entre le col et le menton, s’écrier, d’un ton emphatique à la Mangin : «Citoyen ! C’était pour le mieux combattre !»

Assommé, le pauvre Mouny en demeurait pantelant, et sous les rires et les battements de mains de l’assemblée, il dut regagner, l’oreille basse, la galerie d’où il était descendu en athlète assuré de son triomphe.

Mouny est mort depuis, pauvre comme Job ; Lasserre devint lui, président de Chambre à la Cour de Cassation. Ainsi se distribuent les rôles dans la Comédie humaine !

Le graveur Wéry, véritable artiste dont Reims s’honora, et qui exerçait à Paris, rue Montmartre, 76, vient épouser ici Mlle Mennesson, rue Notre-Dame-de-l’Épine, et devient membre de notre famille pour toujours.

Le beau Chardon, à la barbe d’or fluviale, épouse la demoiselle de magasin de la veuve Protin, rue du Jard, – angle de la rue Marlot –, et reprendra le «fonds» lorsque cette bonne vieille aura jugé le moment opportun de vivre de ses rentes, péniblement amassées. Chardon fera dorénavant l’ornement de l’escouade des Porte-Haches aux Sapeurs-Pompiers, avec sa barbe flottante, son chapeau-à-poil, son baudrier jaune et la large basane blanche de son tablier. Qu’ils étaient beaux à voir ces imposants Sapeurs, précédant, aux jours de revue, le bataillon des Pompiers au casque rutilant, entraînés par les alertes «pas-redoublés» de la Municipale dans le roulement des ran-plan-plan des tambours et aux sons des clairons pendant que la canne du tambour-major s’élançait dans les airs pour retomber en d’insaisissables moulinets ! Toutes ces splendeurs se sont évanouies dans le renouveau des générations, qui demandent toujours à voir autre chose.

1866

Le Rémois de cœur et d’action qui, malgré son âge avancé et les deuils qui le frappèrent pendant cette guerre de 1914-1918, est revenu habiter, rue Coquebert, n° 40, sa maison cruellement dévastée et privée des joies de la famille, – Henri Mennesson, épouse en 1866, l’aînée des demoiselles Duchâtaux, âgée de 17 ans. Lui-même était né en 1840. Jusqu’à ces derniers jours, il a porté vaillamment le fardeau de ses 82 ans, après une vie bien employée, pleine d’œuvres et de travail.

Un compositeur-typographe fort connu des Rémois de notre génération et qui est décédé, il y a quelques mois seulement, Victor Regnault, se marie à Saint-Brice. Il était de 39. Philanthrope et mutualiste convaincu, Regnault a consacré ses loisirs d’ouvrier, de prote, au développement des œuvres coopératives. Muni d’une plume assez alerte et exercée, il a écrit ses «Souvenirs de voyages», notamment de celui qu’il fit en ballon avec Eugène Godart, et le récit de ce qu’il vit à l’Exposition de Chicago, où il avait été délégué par sa corporation.

Le bossu Bachelart Théodore, contremaître de tissage à l’usine Grévin, rue Brûlée, 11, se trouve, à l’âge de 40 ans, une compagne et un soutien pour la traversée d’une existence écourtée. C’est un remariage au bénéfice duquel il apporte ses deux fils, avec ses talents de mécanicien et inventeur fort appréciés de la fabrique de Reims.

Béaslas, récemment installé à Reims comme professeur de musique, rue Linguet, 11, épouse Mlle Justine Brocks, institutrice privée au château de Rouville, dans le Loiret. Il fit partie de ce groupe de chefs de musique qui menèrent nos harmonies et nos fanfares à des triomphes dont Reims s’est enorgueilli. On l’a vu, en vareuse et casquette bleues, sa large face blanche aux bons gros yeux d’épagneul, barrée par une épaisse moustache noire, manœuvrer le bâton à la tête des Régates rémoises, pour faire suite au vieux soldat Antoni, et de l’excellente Fanfare des Tonneliers. Il fut aussi le premier et l’unique chef de la Fanfare Holden, créée par le goût et la munificence du peigneur de laines Jonathan Holden ; cette société avait recruté les meilleurs parmi les bons de nos solistes rémois : on se rappellera principalement le saxophoniste Gabriel Gautier, le bugliste Charles Lecomte, la basse en mi bémol Jules Cayde, le tubiste Georges Holden, neveu du Mécène et de courte et joyeuse mémoire. Tous ces noms d’artistes reviendront en temps au bout de notre plume.

La dynastie des plafonneurs Albeau consacre à l’hyménée son dernier représentant. Émile Albeau épouse Jeanne Flavie Héry, fille de ce «boucheur de trous de souris» qui tenait pension alimentaire et chambres garnies pour les ouvriers du bâtiment dans la rue Montoison. Quand on évoque ces noms, Héry et Albeau, on voit s’aligner devant le regard la longue théorie de ceux qui, dans la deuxième moitié du XIXe siècle contribuèrent à l’élargissement et à l’embellissement de notre cité. Des noms et des noms : parmi les principaux, Lescot, Menu, Jouanetaud, Auguste Petit et vingt autres. Leur histoire, si liée à la vie locale rémoise, apparaîtra peut-être un jour sous la plume de tels ou tels mémorialistes dont le rôle est de pincer les cordes en acier de la Harpe aux Souvenirs.

Lagèze, négociant à Paris, entre à Bétheniville, dans la famille Sautret-Ponsinet, et, devenu fabricant à son tour, s’associe avec Nouvion le père.

Le blond Henri Langlet, du Bourg-Saint-Denis, 96, où habite son père, Langlet-Villain, employé de commerce, se marie dans la rue Marlot, – ne voulant pas quitter le quartier –, avec Mlle Julien.

1867

Et l’Exposition Universelle met au cœur des Français un certain orgueil qui fait évanouir leurs angoisses du lendemain, dont les aspects s’assombrissent depuis le coup de tonnerre de Sadowa. La France va achever de manger le trognon de pain blanc qui lui reste en mains avant de se résoudre au pain noir.

En bandes joyeuses, les Rémois envahissent la gare et les trains de plaisir en partance vers la capitale. Le palais de l’Industrie va remplacer, pour les couples nouvellement unis devant M. le Maire, Rome, la mer ou la montagne.

Depuis Pâques, l’empressement à se marier se manifeste encore plus vif qu’auparavant ; nos scribes de l’état civil sont sur les dents. Ludinart ne sait où donner de la tête, et le gros Ballossier, qui enregistre les naissances quand son trombone lui en laisse les loisirs, est obligé de se porter en renfort vers son chef de service pour les mariages.

Ils sont nombreux, les volontaires de l’hyménée ; il y a affluence devant les tableaux affichés à l’Hôtel de Ville, et les commentaires vont bon train. Les langues féminines sont bien affûtées, et Dieu seul enregistrera les balivernes et les jugements téméraires qui s’échangeront là ! Qui de nous n’a pas reçu, à un moment donné, les échos de ces «parlottes» ? Les plus grands comme les plus petits vont passer à la toise : c’est surtout ceux-là qu’on remarque et «débine», ceux de la classe moyenne sont tellement ternes qu’on y prête peu d’attention. Chez les Grands, on peut s’offrir de jolies «pièces» :

Ernest Charbonneaux le savonnier, qui devient le gendre de Simon Dauphinot, futur maire de Reims.

Louis Mahin, fabricant à Sedan, épouse Émélie Payard, fille de Payard-Poterlot, marchand de laines, rue du Jard, n° 19. En 1870, Payard était à Sedan chez son gendre au moment de la bataille. On a de lui l’historique de l’ambulance qu’il avait créée pour un adoucissement immédiat aux souffrances infligées à nos soldats blessés.

Celui que nous connaîtrons plus tard au poste d’Aristarque du Courrier de la Champagne, et qui, en 1867, était chef d’institution pédagogique rue Vauthier-le-Noir, 12, prend femme à Paris. Nous le retrouverons certainement plus tard dans nos visites de famille.

Benjamin Mennesson, des tissus, qui habitait alors rue de la Clef, 6, épouse une fille de Richon, de Châtillon-sur-Marne, acheteur de laines en plaine, de la firme Seydoux, au Cateau.

Arthur Barbat, propriétaire au château de Bignicourt, et Marthe Tassin de Montaigu, rue de la Belle-Image. Tassin était alors un des plus importants négociants en laines de la place.

Le Messin Périn, cuisinier à Paris, se marie avant de venir à Reims installer, à l’angle de la rue des Chapelains, ses rôtissoires et ses fourneaux réputés.

Ephrem Aubert, employé à Sains-du-Nord, épouse une de ses cousines du même nom, domiciliée à Neuville-sur-Orne (Meuse) : c’est là qu’époux et épouse sont morts, Ephrem avant la guerre et sa veuve en 1921.

La liste des noms connus encore de nos jours s’allonge :

Anselme Amouroux et demoiselle Vivès, rue Clovis, 44.

Arsène Ballet, le couvreur, rue du Jard, 48.

Mlle Monnot des Angles, rue de Monsieur, 26, qui épouse un imprimeur de la rue Chanoinesse, à Paris, Le Baron.

Nicolas Marie Regrény, des toiles et cotonnades, dont l’étalage sera bientôt à l’angle de la rue et de la place Royale.

Le peintre Cuillier, qui épouse Julie Gardan, sœur de ce menuisier de la rue du Barbâtre, dont on recherche à cette heure la curieuse plaquette de «Souvenirs de l’invasion, 1870». Cuillier, vers la cinquantaine, était un petit homme au teint vermillon, barbichu et moustachu à l’impériale. Sa maison de la rue du Barbâtre, 4, s’effondra un jour à la suite d’inondation de caves provoquée par la crevaison de conduites d’eau. Il y a plus de quinze ans de cela, et l’excavation reste toujours béante : qui donc en fournira le motif aux curieux ?

Et puis voici le Dr Victor Lemoine, qui va se marier à Vitry-le-François.

Larangot, le commissaire-priseur, ramène de Montmirail Mlle Palle.

Le violoncelliste et luthier Meurger, rue Colbert, 24, et Mlle Caroline Mennesson, place Royale, 6.

Émile Gosset, pharmacien à l’angle des rues Cérès et Nanteuil, qui lèguera à notre cité l’un de ses plus érudits historiographes.

Lesturgie, armurier, rue Saint-Jacques, 2.

Enfin, – car il faut clore ce long palmarès conjugal –, Louis-Augustin Bocquet, principal clerc de notaire, rue Colbert, 13, devient le beau-frère du jeune médecin Jean-Baptiste Langlet, en la demeure paternelle de la rue de Venise, 67.

Cueillons toutefois, parmi les Tout-Petits, – qui ne sont pas les moins épluchés –, Pierre Bel, chiffonnier «morvandiau» dans la rue de Contrai, qui se console dans le mariage des déboires suscités par une insignifiante et méchante histoire de faux poids, laquelle lui vaut les honneurs de l’insertion judiciaire dans la presse locale, avec cent francs d’amende.

1868

Et maintenant, remontons à la source de vie et à la lumière, au flanc de ces couples joyeux et pétillants qui, drapés ou satinés, en noir ou en blanc, sous couronne de fleurs d’oranger ou gibus et «haut-de-cale» en poil de lapin, entrent vaillamment dans l’Imprévu, la crête rigide et droite ou l’œil prudemment mi-clos, au bras du mystérieux Hyménée !

Victor Ducancel, – dans l’intimité duc-à-cheval –, qui se marie à Abbeville.

Augustin Grévin, dit Casimir, grondeur et bourru, bonhomme au fond, et Clémence Robinet, veuve d’hier.

Ces doges et dogaresses du Champagne : Ferdinand-Henri Walbaum et Franciska Lüling, de Brême.

Henry Goulet et Claudine-Eugénie Renauld, veuve Adrien.

Le talentueux architecte, ce grand artiste, Alphonse Gosset, – qui vit encore par ses œuvres et la malice de son regard –, et Élisa Francart.

Le sec, inflammable et pétulant Victor Besnard, «adjupète» aux Pompiers, limonadier mousseux, émule des Bullier et des Mabille, et la jeunette, brune et pétillante damoiselle Pérard, de la rue de La Salle, 12 : Besnard offre galamment à tous ses compagnons du martyre conjugal, sa Salle pomponnée à neuf de la rue Large, 35, avec, inclus, un orchestre échevelé, essoufflé et époumoné parfois, à crins et à peaux, à pistons et à colophane, en buis et en érable, farci d’anches de clarinettes et de rondelles de feutre à clés. Ceux-là, notamment du sexe fort, mènent le cotillon, car ils ont dépassé l’âge des folies amoureuses.

À leur suite, en délire et «crevant» la santé et l’espoir, avide des lendemains hyper-aphrodisiaques, une jeunesse impatiente, ornée des grâces et des fleurs du printemps, que les fiacres de Verdelot ou les voitures de maître emportent à la Mairie et à la Paroisse en un cortège piaffant et enrubanné, qui révolutionne les commères en cheveux et leurs «chiards» au maillot.

Que de familles en liesse !

Dans le personnel des Anglais, le mécanicien Simon Mitchell épouse Christine George.

Son contremaître, Ernest Esteulle, en se mariant avec Émélie Delacroix, devient le beau-frère de Samuel et Alfred, tous deux de la maison, le premier en qualité de caissier-comptable, le second, chef-magasinier et placé à la réception des laines.

Un autre travailleur de la forge, Napoléon Vanny, se marie à son tour, avec une demoiselle Amélie Souliac. Peu d’années après, Vanny installe un restaurant avec salle de réunions et café-buvette, à l’angle du boulevard du Temple et de la rue de Bétheny. L’établissement fut remanié de fond en comble et embelli quand, à la retraite de Vanny, la «Société rémoise de la Libre-Pensée» y établit ses assises. La Salle-Vanny, devint le siège d’une sorte de club politique, et, en temps d’élections, centre de réunions publiques où pérorèrent, à tour de rôle, sous la IIIe République et après la période assoupie du 16 Mai, tous les candidats aux fonctions politiques. L’histoire électorale rémoise conservera dans ses Tablettes le nom de cette Salle-Vanny, qui n’était plus, en 1914, qu’une simple demeure particulière.

Le tissu et la laine ont leurs «promis» et «promises» : les deux frères Félix et Jules Benoist, qu’on marie le même jour, à la Cathédrale, en réunissant dans les mêmes agapes, les Benoist, les Godet et les Charbonneaux.

Ernest Leloup, employé à la Banque de France, et qui deviendra comptable à la maison de laines Jean-Baptiste Thuillier, épouse Marie Mennesson.

Jules Menu, employé aux tissus à la maison Lelarge & Auger, s’arrête au petit café des Trois-Maillets, à l’angle des rues Saint-Symphorien et des Cordeliers, pour y cueillir la belle fille au père Brimont, de cave réputée.

Les cousin et cousine Ernest et Éliacine Houpin, séparés seulement par le canal, suppriment cet obstacle pour resserrer les liens de leur aimable famille. Lequel passa le pont de Fléchambault le premier ? On présume que ce fut Ernest. Jules Machuel pourrait peut-être nous renseigner à ce sujet.

Le docteur Desprez, qui, expulsé de la rue Vauthier-le-Noir, est venu habiter au numéro 54 de la rue des Capucins, là même où il s’éteindra après une belle et longue vieillesse, trouve pour sa fille Marie-Joséphine, un «marieux» de Paris, du nom de François Chérut.

Élie Coqueret, qui cumulait les fonctions de chantre au lutrin de Saint-André avec celles de réceptionnaire de tissus chez les frères Givelet, de la rue de la Peirière, passe sous les fourches caudines comme les autres, – si malin qu’il soit. Déjà, son nez commençait à rougir, comme il convient à un chantre qui se respecte : sa tabatière ouverte à tout propos, contribua à l’éclosion du plus joli «capron» qu’on puisse admirer au milieu du visage d’un honnête homme. Il fut, au début du dernier quart de siècle écoulé, la joie et la distraction du personnel des bureaux et magasins de cette vénérable firme de tissus. Peu au courant des hommes et des choses de la politique, ou le feignant, un jour, ayant vu, dans un journal, que le comte de Chambord traitait le maréchal de Mac-Mahon avec éloges, en l’appelant : « le Bayard des temps modernes ! » notre Élie s’amène au bureau fort contrarié : « C’est-y-possible, Messieurs, qu’on puisse se permettre de traiter de «braillard» un homme qui fait si peu de discours ! » Délire des plumes et des crayons, trépignements des semelles sonores, claques sur les cuisses, contorsions de visages, gloussements, scène du Moyen-Âge à la fête des Fous !

De la même équipe ou à peu près, Alfred Pointu, garçon de magasin, habitant une petite bicoque, démolie depuis, au numéro 5 de la rue de l’Écu, qui convole en justes noces avec une jeune personne de Bourg-Saint-Denis, 57, du nom de Jeannesson. On l’a bien connu, de longues années, montant peu à peu en grade pour atteindre au poste envié de «vendeur aux flanelles» dans une grande maison rémoise de tissus et finir, en «retraité de court», joueur acharné à « la poule» du Passage-Marlier. Il eut cette chance inouïe de «couper», en décédant à propos, au périlleux destin de ses concitoyens, pendant la Grande Guerre.

Théodore Alavoine devient le gendre de Dugras, mesureur de tissus. La fille de Clément, le restaurateur, rue du Cadran-Saint-Pierre, 17, se marie avec un Parisien, Ernest François, marchand de comestibles, rue Montmartre.

Puis, des notabilités encore : le notaire Mareschal, impasse des Tapissiers, et Marie Marthe Goulet, rue du Barbâtre, 32.

Marie de Beffroy et Augusta de Colmet, au château d’Hugémont.

Paul Périn et Gabrielle Laignier.

Ernest Hourelle, qui épouse une autre Laignier.

Ernest Lantein et Mlle Laval, – filature et teinture.

Georges Bureau et Louise Harmel.

Combien ces noms sonnent haut et clair aux oreilles rémoises !