Sexuellement parlant


"Nous nous interdisons une foule d'activités sexuelles avec des restrictions infondées, au nom de principes illusoires comme la "contre-nature", le "mal", la "non-conformité à notre genre sexuel", la "perversion" (l'anormalité) ou encore la "barbarie" (un comportement contraire à notre culture). Implicitement, ces critères s'appuient peu ou prou sur l'idée que "la sexualité a pour but la reproduction"(1), écrit S.Bosselet. La sexualité a-t-elle pour but la reproduction ? La Chose sexuelle véhicule-t-elle toujours un interdit social ?

Pour S.Bosselet la réponse à la première question est négative : "Le point faible de cette opinion commune réside dans le petit mot "pour". Dans la Genèse, Dieu crée le monde et les espèces animales "pour" l'homme, qui constitue le but et la fin de sa création. Il aurait donné à l'homme des yeux "pour" voir, un estomac "pour" digérer, une matrice "pour" porter le fœtus, etc. Appliquée à la biologie en général, cette conception peut s'appuyer sur cet argument de Paley, qui procède à une comparaison : si vous trouvez une montre sur la plage, avec son mécanisme complexe, vous devez supposer qu'elle a été fabriquée en vue d'une fin par un être intelligent. Si ensuite vous découvrez l'incroyable complexité des êtres vivants et les différentes fonctions de leurs nombreux organes, vous êtes nécessairement amenés à penser qu'ils ont été conçus par un être infiniment intelligent".

Sans apporter une réelle contradiction, A.Van Lysebeth fait état du dynamisme de l'espèce dépassant chaque individu : "L'Espèce peut être considérée comme un niveau d'intégration englobant les individus, et capable d'action sur eux. L'Espèce ne serait pas un mythe mais bien un dynamisme actuel, présent dans chaque individu et le dépassant cependant. Mais il y a un autre élément qui s'y ajoute. L'espèce s'est polarisée sur un autre plan. Elle se manifeste sous deux aspects complémentaires, l'aspect Féminin Absolu, et l'Aspect Masculin Absolu, dont chaque individu est un reflet plus ou moins parfait. Et cette polarisation est fondamentale : toutes les espèces, sauf les unicellulaires, sont sexuées et le sexe est un des aspects cosmiques de la manifestation et de la vie. Le sexe imprègne l'individu tout entier, imbibe son corps aussi bien que son psychisme et conditionne tout son comportement. Quand Freud affirme que tout est libido, il veut dire que notre sexe nous imprègne totalement et conditionne nos relations avec tout autre individu de notre espèce voire même d'autres espèces ou même avec des objets inanimés. Le concept "sexe" ne se limite donc pas, comme on l'imagine trop souvent, aux parties génitales ! Il est évident qu'on a les organes génitaux de son sexe, mais le sexe est bien plus que cela ! C'est un mode d'être ! La relation sexuelle, elle non plus, n'est pas limitée à l'acte sexuel! Avoir des relations sexuelles est, dans l'esprit de la majorité, synonyme d'accouplement ! Grave confusion ! Si Freud affirme que le nouveau-né à des relations sexuelles avec sa mère, cela signifie que le comportement même du nouveau-né est déjà conditionné par son sexe. Un bébé de sexe masculin agit différemment vis-à-vis de sa mère que de son père, son frère ou sa sœur. A la limite, on pourrait dire qu'on a des relations sexuelles même avec des objets ! Car un homme conduit sa voiture autrement que ne le fait une femme ! Si l'on entend par "relations sexuelles" tout comportement influencé par le sexe de l'individu, on pourrait aller jusqu'à dire que nous avons des relations sexuelles avec tous les hommes et toutes les femmes ! Il n'en demeure pas moins que c'est dans les organes du sexe que la polarisation s'exprime au maximum. Lorsque l'aspect Féminin Absolu, manifesté dans un individu de ce sexe, rencontre l'aspect Masculin Absolu dans un autre individu et que de cette rencontre naît un couple, même temporaire, c'est un événement cosmique pour l'espèce. Les cellules sexuelles et les organes qui servent à les produire et à les perpétuer, sont donc le point de rencontre à la fois du pôle de l'espèce dans l'individu, et le point de rencontre des énergies polarisées sous la forme féminine ou masculine. La sexualité est donc le moteur de l'individu, et le dynamisme de base de l'espèce en nous. Dans l'acte sexuel l'individu et l'espèce trouvent leur accomplissement. Transposer la sexualité sur le plan cosmique est la seule façon de lui conférer un caractère sacré au sens le plus absolu du terme"(2).

La sexualité est la voie d'accès à l'immortalité, celle de l'individu à travers celle de l'espèce. En nous interrogeant sur l'élan vital que fait immanquablement naître la sexualité, nous avons trouvé ces lignes de J.Ruffié : "A l'interpellation «mon frère, il faut mourir» par laquelle se saluaient, dit-on, deux trappistes qui  se rencontraient, il faudrait ajouter «mon frère, il faut aimer». Car c'est en aimant que nous accédons, biologiquement, à l'immortalité… De tout temps, les naturalistes ont été frappés par le luxe de détails, la multiplicité des adaptations que la sélection a mis en place pour mener la reproduction sexuée à son terme… La stratégie amoureuse de l'homme, qui, de par son intelligence occupe une position privilégiée au faîte du règne animal, peut revêtir des formes multiples, allant de l'effusion fugitive à l'écriture d'un poème ; d'un geste discret au drame passionnel… Quelles que soient les modalités suivies, le résultat est toujours le même : la fusion d'une cellule mâle, le spermatozoïde, avec une cellule femelle, l'ovule, pour donner un œuf"(3).

A.Van Lysebeth nous convie à porter un regard unificateur sur la sexualité : "Notre sexualité est bipolaire : l'une se situe au pôle «espèce», l'autre au pôle «individu». Le premier, le pôle «espèce», est localisé au bas du corps, dans les organes génitaux (muladhara et svadisthana chakras) qui sont littéralement l'enclave immortelle de l'espèce en nous, dont l'unique finalité est la procréation, la pérennité de l'Espèce. Le pôle «individu», lui, est à l'autre bout de l'épine dorsale, dans le cerveau, le Lotus aux mille pétales, le sahasrara chakra, est le siège de l'individualité, du «moi-je». La sexualité de l'espèce, dont les organes génitaux sont le support, c'est l'irrépressible pulsion vitale qui fait proliférer toute vie sur la planète, c'est la Kundalini du tantra. Cette sexualité foncière, animale –ceci n'étant pas péjoratif–, suscite chez la femme un intense désir les «jours-à-petits-bébés», les jours féconds du cycle. Innée, programmée, c'est encore elle qui guide le comportement sexuel instinctif chez la femme unie à l'homme, qui déclenche quasi mécaniquement les mouvements rythmiques du bassin et les ondes contractiles du vagin pour faire jaillir le sperme fécondant et accomplir le dessein de l'Espèce. Cette pulsion compulsive est évidente et bien connue. L'autre, plus spécifiquement humaine, celle du pôle «individu», est souvent insoupçonnée ou confondue avec la première "(4).

Volet "espèce" de la sexualité, volet "individualité", il nous reste à examiner le volet "social". Nous le ferons à la lecture de D.Sarr dont nous citons quelques extraits. Le premier point où la dimension sexuelle et la dimension sociale se rencontrent, est celui de la pudeur. "La pudeur est une des réponses que chaque société tente de mettre en place pour résoudre le conflit entre sexe biologique et sexe social, entre sexe régulé fondant la société et sexe pulsion de vie qui la menace. Comme celle d'inceste, la notion de pudeur est universelle et comme elle, elle prend des formes diverses. Un texte involontairement savoureux de 1914 relève que chez les peuples «du centre africain»  vivant totalement nus, les femmes se comportent de manière à ne jamais dévoiler leur sexe... et que la façon qu'avaient les contemporaines européennes de mettre en valeur leurs charmes par des frous-frous et des colifichets était finalement bien plus «impudique» que la nudité… Chaque individu a son propre rapport avec la nudité, façonné par son éducation, son histoire, qui sait ses gènes… Il faut inscrire cette histoire de la pudeur dans une histoire des corps, pour autant, bien sûr, que celle-ci également puisse être généralisée. Le corps, c'est cette matière qui respire, s'alimente, s'accouple, produit des excréments et périt. Et chaque civilisation entretient des rapports différents avec lui, fondant l'évolution parallèle de la pudeur… On considère généralement que la première fonction du vêtement chez Homo a été de se prémunir du froid et des intempéries. Elle serait intervenue après la perte de sa pilosité corporelle, autre marqueur fort de l'humanité. Ses autres fonctions ne seraient apparues que plus tard et, suivant l'époque et les circonstances, s'habiller a pu et peut être porteur de plus ou moins de besoin de protection, de plus ou moins de souci esthétique, de plus ou moins de marquage sexuel et de plus ou moins de marquage social, de plus ou moins de concessions à la pudeur, chacun de ces aspects pouvant bien sûr varier selon le contexte : chasse, moisson, entreprise, cérémonie religieuse, fête, sport, rendez-vous amoureux, etc. Mais qu'il s'agisse d'esthétique, de pudeur ou d'autre chose, s'habiller réfère directement au sexe, s'habiller sexualise. Se vêtir n'est d'ailleurs pas très ancien dans l'histoire humaine. À défaut de la conservation de vêtements préhistoriques, on a tenté de dater leur apparition par celle des poux de vêtements, qui remonterait à 80 000, voire 170 000 ans, mais cette dernière évaluation paraît bien lointaine, tant par rapport aux indices archéologiques, que par rapport aux premières confrontations de Sapiens avec des climats rigoureux. La représentation des «premiers hommes» couverts de peaux de bêtes est sans doute mythique : si elles étaient raclées et utilisées depuis 800 000 ans, elles pourrissaient très rapidement tant qu'on n'a pas su les tanner, et rien ne dit qu'on ait su le faire avant le Paléolithique supérieur. Les aiguilles à chas les plus anciennes, donc la possibilité de coudre des colliers, des vêtements, etc. datent de l'ordre de 50 000 ans. Le vêtement n'a finalement pu apparaître que chez Homo sapiens, peut-être concurremment avec les derniers Néandertaliens. Quant au tissage, sans lequel nous concevons à peine un vêtement, il est encore  plus tardif : ses premières traces connues (depuis  peu)  remontent à 30 000 ans"(5).

C.Ryan et C.Jetha écrivent : "Les êtres humains sont, par-dessus tout, des animaux sociaux. À part la mise à mort ou la torture physique, la pire punition de toute société a toujours été l'exil. À court d'endroits vides pour exiler les cas irrécupérables, nous nous sommes tournés vers l'exil interne, qui est la punition la plus sévère de notre système carcéral : l'isolement. Sartre avait tout faux lorsqu'il faisait dire à l'un de ses personnages : «L'enfer, c'est les autres ». C'est l'absence d'autres personnes qui est infernale pour les membres de notre espèce"(6).  Ou bien encore selon l'Abbé Pierre : "L'enfer c'est soi même coupé des autres". Ce qui laisse à penser que le poids social est primordial dans toutes activités humaines. Est-ce le sexe qui influence le modèle social, ou bien la société qui détermine les rapports de ses membres à la sexualité ? Nous citons D.Sarr : "Alors, sexualité, sexualité, tout est sexualité ?... Pas tout à fait, car au fil des cases parcourues nous avons constamment croisé le grand rival du sexe dans l'organisation sociale : l'argent ou, plus généralement, la production et la circulation de la richesse. Pour installer structures sociales et modes de pensée, argent et sexe s'entendent comme larrons en foire. Au sexe, l'Oscar du premier rôle dans les motivations profondes des comportements personnels et dans la structuration des sociétés; à l'argent, l'Oscar du scénario de leur transformation économique et des rapports de classes qui en découlent. On veut de l'argent pour avoir du sexe, on veut du sexe pour se perpétuer et perpétuer son patrimoine. Un troisième larron, le pouvoir, boucle la boucle et mérite quant à lui l'Oscar de la réalisation, pour mettre le tout en musique et faire rentrer dans le rang les récalcitrants. L'hypothèse du sexe Grand Organisateur, tant de l'essentiel du vivant que, cette réserve apportée, de l'essentiel des sociétés humaines parait tenir la route : le sexe est le véritable moteur de l'évolution de la vie jusqu'à la variété et la complexité que nous lui connaissons ; et c'est le socle de l'organisation sociale, directement quant aux relations personnelles, familiales, tribales ; indirectement quant à la vie économique ou aux relations de pouvoir".

 

(1)- La sexualité a-t-elle pour but la reproduction?  S. Bosselet

 

(2)-Pranayama.  A.Van Lysebeth

(3)-Le sexe et la mort. J.Ruffié

(4)-Au cœur du Tantra. A.Van Lysebeth

(5)-Sexe, le grand organisateur. D.Sarr

(6)-Au commencement était le sexe. C.Ryan et C.Jetha