Prana
Respirer, une activité si commune, volontiers oubliée puisqu'elle relève d'un automatisme. Néanmoins on trouve le mot souffle employé dans nombre d'expressions faisant état de divers souffles, telles que : "Couper le souffle, rendre son dernier souffle, être à bout de souffle, trouver un nouveau souffle…".
T. Similowski écrit à ce sujet : "La respiration est une fonction bien particulière : comme les pulsations cardiaques, elle est automatique, fonctionnant même pendant le sommeil, et autorégulée (elle s’intensifie par exemple à l’effort sans que nous y prêtions attention) ; mais à l’inverse de ces dernières, il est aussi possible de la commander volontairement. On peut ainsi retenir son souffle pour nager sous l’eau, éviter une mauvaise odeur, être le plus silencieux possible… mais également s’en servir pour communiquer, que ce soit à travers un simple soupir d’exaspération ou par le biais de la parole : en court-circuitant le contrôle automatique de la respiration, nous sommes capables de doser subtilement notre souffle pour produire des mots, des intonations ou des phrases… cette particularité est permise par un double système de contrôle : certaines zones du tronc cérébral assurent le pilotage automatique et inconscient de la respiration, tandis que des régions corticales peuvent prendre le dessus et imposer un rythme particulier… le fait de respirer envoie en permanence au cerveau des tombereaux d’informations. Celles-ci proviennent du nez qui capte des odeurs et se refroidit suite au passage de l’air, des bronches et des poumons qui se gonflent et se dégonflent, des muscles qui se contractent, des articulations des côtes qui bougent... Heureusement, ces informations n’atteignent pas la conscience. Le cerveau s’aperçoit très vite qu’elles sont toujours semblables d’une respiration à l’autre et se met à les filtrer. Il continue tout de même à les analyser, notamment grâce à une zone cérébrale nommée «insula». Dès qu’il détecte une anomalie ou une simple modification (par exemple si vous êtes essoufflé suite à un effort intense), il fait émerger la respiration dans la conscience. On parle d’«intéroception», littéralement la perception de l’intérieur. L’objectif étant de sonner l’alarme en cas de danger pour l’organisme… Heureusement, le pouvoir du souffle sur nos émotions peut aussi être utilisé pour notre bien-être! L’abondance d’informations respiratoires qui remontent au cerveau a une conséquence fondamentale : il est très facile de «défiltrer» ces informations, simplement par la pensée… Très schématiquement, ces exercices visent à obtenir deux types de résultat : d’une part, une respiration consciemment perçue et contrôlée ; d’autre part, une respiration plus lente, plus ample, plus régulière. Ils exercent une telle fascination que certains les présentent comme des remèdes miracles, leur attribuant des vertus qui vont bien au-delà de ce qui est réellement démontré par la science. Ils n’en exercent pas moins un réel effet apaisant, comme l’attestent de plus en plus d’études. Comment agissent-ils ? Plusieurs mécanismes, sans doute combinés, seraient en cause. Le premier est démontré de longue date : une respiration lente et profonde stimule le système dit parasympathique, qui apaise l’organisme. En effet, les poumons et les bronches sont dotés de multiples récepteurs nerveux, captant notamment l’ampleur de leur étirement. Ces récepteurs sont connectés au système parasympathique et leur activation intense provoque la mise en jeu de ce dernier, avec un effet inhibiteur destiné à éviter que l’appareil respiratoire ne s’abîme en se gonflant trop. Cet effet inhibiteur s’étend aux pulsations cardiaques, qui ralentissent, et agit également sur certains centres cérébraux des émotions. Au final, il se traduit par un effet relaxant… À plus long terme, les exercices respiratoires pourraient modifier durablement l’organisation et le fonctionnement de certains circuits cérébraux, au travers de mécanismes de neuroplasticité. Ce terme désigne la capacité du cerveau à se modifier tout au long de la vie, par exemple lors d’un apprentissage. Chez les guitaristes, la zone du cortex qui reçoit les informations sensorielles en provenance de la main gauche est ainsi plus étendue que chez les autres. De même, la représentation corticale du diaphragme augmente en taille et en sensibilité après seulement quelques jours d’entraînement à la «respiration diaphragmatique», à raison de quelques minutes par jour. La méditation modifie aussi l’activité de nombreuses aires cérébrales, voire leur volume, peut-être en partie grâce aux exercices respiratoires. L’insula deviendrait ainsi moins réactive et déclencherait moins facilement du stress et de l’anxiété dans les situations de vie difficile"(1).
On respire de l'oxygène, oui mais en quelle proportion ? Selon D.Mérien, l'air inspiré contient 21,0 % d'oxygène, 0.03% de CO2, 79,0 % d'azote ; l'air expiré 16.5% d'oxygène, 4.5 % de CO2, 79.0 % d'azote. "En comparant le volume d'air expiré à celui d'air inspiré, on constate que l'homme ne retient qu'une partie de l'oxygène de l'air inspiré et rejette l'autre partie"(2). Nous n'utilisons pas pleinement nos capacités pulmonaires, pour environ 4.5 l de capacité totale des poumons, nous ne renouvelons qu'un dixième environ du volume d'air à chaque respiration. Sur ce point nous rapportons cette information sur la corrélation entre le taux de CO2 et l'assimilation de l'oxygène : " L’effet Bohr est le phénomène qui lie concentration de dioxyde de carbone tissulaire et libération de l’oxygène accrochée à l’hémoglobine dans ces tissus. En gros, plus il y a de CO2 dans les tissus, plus l’oxygène est facilement assimilé par ces derniers. C’est logique puisque s’il y a beaucoup de CO2, cela veut dire que l’activité métabolique est intense et donc que le besoin en oxygène l’est aussi. Par conséquent, si vous voulez correctement alimenter les tissus, vous avez besoin de CO2… Un facteur aggravant est évidemment le stress qui pousse à une respiration superficielle et rapide, idéale pour éliminer le dioxyde de carbone. Un autre facteur aggravant est de ne pas respirer par le nez mais par la bouche. Dans ce cas, la respiration est trop rapide et la ventilation trop importante. Résultat, le CO2 s’élimine trop vite"(4).
A propos des variations du pH sanguin influant sur notre état émotionnel et vital, nous citons de nouveau D.Mérien : "Une substance est plus ou moins acide ou alcaline. Son degré d'acidité dépend de sa concentration en ions hydrogène (H+). Cette concentration s'exprime par le symbole pH qui signifie potentiel en ions hydrogène. Ce pH peut se déplacer sur une échelle variant de 1 à 14, l'extrême acidité est à 1, l'extrême alcalinité à 14, la neutralité à 7. Lorsque la concentration en ions hydrogène est forte, la substance est acide. L'alcalinité est en situation inverse. A la neutralité pH7 on observe un équilibre entre les substances acides et basiques. Notons que la concentration en ions H+ se situe sur cette échelle de 1 à 14 en modifications logarithmiques. Donc une légère variation du pH sur cette échelle correspond à une modification importante de la concentration en ions hydrogène, et par conséquent à un déplacement important de l'acidité ou de l'alcalinité. Le pH normal du sang humain se situe à 7,35 et son amplitude de variation est relativement faible (de 7,28 à 7,42). On dit que le sang possède un pouvoir tampon. Si le sang est soumis à de plus fortes variations, l'organisme entre dans des situations périlleuses. En se déplaçant de 7,28 vers 7,00 -ce qui est peu- il y a risque d'apparition de coma, tandis qu'une modification de 7,42 vers 7,80 peut induire des crises convulsives. Au-delà de ces situations extrêmes, la mort survient. Heureusement, ces accidents sont rares. Le pH sanguin est un régulateur de la vie émotionnelle. Notons que le pH sanguin, variant ordinairement de 7,28 à 7,42, est légèrement alcalin. Lorsque ce pH est à sa normalité vers 7,35, l'hypothalamus, notre cerveau émotionnel, est approvisionné par un sang qui favorise ses possibilités normales de réaction. Ce qui veut dire que l'hypothalamus engendrera une décharge immédiate consécutive à la charge d'un sentiment. Ceci constitue la réponse appropriée de l'évacuation émotionnelle dans un temps raisonnable. Mais lorsque ce pH sanguin glisse de 7,35 vers 7,28 le sang devient légèrement moins alcalin que la normale. Dans ce cas ce sang inhibe les réactions hypothalamiques et les décharges émotionnelles s'effectuent plus lentement. Parfois elles sont bloquées lorsque ce pH sanguin diminue plus fortement. En situation inverse, c'est-à-dire lorsque ce pH sanguin s'élève de 7,35 vers 7,42, le sang devient légèrement plus alcalin et l'activité hypothalamique est suractivée. Il se produit alors des déblocages émotionnels accentués. Ainsi le pH sanguin apparaît-il comme régulateur de la vie émotionnelle. Or le pH sanguin est lié à la nature de notre alimentation. Une alimentation en fruits et légumes apporte des sels minéraux qui vont accentuer la tendance alcaline du sang et donc favoriser les levées émotionnelles. Par conséquent, une alimentation riche en sels minéraux organiques s'avère primordiale pour la protection du psychisme. D'ailleurs les adeptes du végétarisme parviennent souvent à un meilleur équilibre émotionnel. Lors de la pratique du jeûne, ce sont les corps acides de l'organisme qui sont évacués en plus grande quantité. Cela favorise un déplacement du pH sanguin vers une plus grande alcalinité, donc vers une meilleure libération émotionnelle. A l'inverse, le stress ou le surmenage induisent de nombreux corps acides dans l'organisme, le pH sanguin régresse et l'hypothalamus se rigidifie, les émotions sont moins bien déchargées, l'énergie vitale circule mal ; cela peut être une situation qui va générer des troubles psychosomatiques".
La notion d'ions+ et d'ions- nous conduira plus avant dans notre approche du Prana. A ce sujet, M-F. Elliott écrit : "On a remarqué depuis longtemps que les êtres vivants étaient sensibles aux influences météorologiques : malaises éprouvés par temps d'orage, ou à l'inverse bien- être parfois ressenti après une averse. Ces phénomènes sont dus à l'électricité atmosphérique qui a un retentissement important sur notre équilibre biologique et notre santé. En respirant, nous absorbons en effet des corpuscules électrisés, appelés «ions». Il s'agit de charges électriques (les unes négatives, les autres positives), qui sont fixées par les molécules d'oxygène de l'air. Dans la nature, cette ionisation est due essentiellement aux rayons cosmiques, aux phénomènes de «respiration» végétale, aux radioéléments contenus dans le sol et dans l'air, et à la pulvérisation des liquides (pluie, cascades, vagues). Or, de nombreuses recherches ont démontré que les ions négatifs facilitaient le passage de l'oxygène au travers des alvéoles pulmonaires et son absorption par le sang, ainsi que le rejet du gaz carbonique. Des spécialistes réunis en congrès à Briançon en 1968 ont conclu par ailleurs que «l'excès d'ions positifs est à l'origine d'une réduction de la capacité respiratoire vitale et du volume expiratoire maximal. Sur l'appareil circulatoire il ne semble pas y avoir d'altération notable, alors que d'autres tests tendent à prouver que les ions positifs peuvent être à l'origine d'une détérioration des performances psychophysiologiques (3)». Tandis que les ions positifs semblent avoir une influence néfaste sur la santé, les ions négatifs au contraire se révèlent être un stimulant énergique de nos fonctions vitales, déterminant ainsi la salubrité d'un climat. Or, si en montagne on trouve près de 2 000 ions négatifs par centimètre cube d'air, ce chiffre tombe à 700 en plaine, à la campagne, à 150 en ville !"(5).
A.Van Lysebeth cite lui aussi l'article paru dans Le Monde dans la rubrique Actualité médicale et scientifique : "Briançon mars. -Station climatique importante par ses installations et son équipement, Briançon a reçu les congressistes d'une journée d'étude sur l'ionisation atmosphérique organisée par le Centre briançonnais de recherches bioclimatiques. De ce congrès ressort la nécessité d'entreprendre de véritables recherches dans le domaine de l'électricité atmosphérique. Les travaux exposés, quelquefois contradictoires, ont mis en évidence un besoin d'obtenir une collaboration étroite entre physiciens et médecins. La nécessité d'une diversité des points de mesures, d'une méthodologie de recherche, d'une information sérieuse centralisée, est également apparue pour éviter un travail souvent trop isolé dans ce domaine où l'on étudie les répercussions qualitatives et quantitatives sur les êtres vivants des particules chargées d'électricité dans l'atmosphère. Les travaux entrepris au laboratoire de recherches sous-marines de Toulon, présentés par le Dr. Vogt, ont retenu l'attention des participants à cette journée, dirigée par le professeur Bricart, de la faculté des sciences de Paris. Les expériences du laboratoire de Toulon portent notamment sur les effets des ions atmosphériques en excès. De leur étude, il ressort que, sous l'action des ions négatifs, on assiste à une modification des constantes respiratoires (augmentation de la pression partielle alvéolaire de l'oxygène et diminution de la pression partielle alvéolaire du gaz carbonique), alors que sous l'action des ions positifs se produit le phénomène inverse"(6).
Dans ces lignes, S.Michenaud livre ses approches multiples du Prana : "L'éthymologie du terme Prana donne un éclairage utile sur la réalité complexe qu'il désigne. La racine ana- est un nom d'action qui correspond en français à «souffle» ou «respiration». ». Le préfixe pra-, quant à lui, désigne l'antériorité ou le début de la racine qu'il précède. Il apporte également une notion d'intensité. Déjà, le sens de Prana se dévoile et désigne ce qui vient avant la respiration et qui en donne l'impulsion, ce qui en soutient le mouvement.
En français, le terme Prana est traduit souvent par «énergie subtile de vie », «force vitale» ou «souffle vital», et on comprend bien que si la capacité à soutenir tous les mouvements de la vie dans notre corps s'épuise, le corps meurt, il cesse d'être «vivant». En Inde, pour dire que quelqu'un est décédé, on dit que le Prana de la personne a quitté son corps. D'où l'importance constante de certaines traditions à cultiver le niveau de Prana. Mais traditionnellement, le Prana infuse également tout l'Univers, c'est la mère de toutes les autres énergies. Une pierre, une fleur, un animal et un homme ont tous un niveau de Prana. Il est seulement différent pour chacun. Ainsi, cette force vitale se trouve aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur du corps humain, et ce sous des formes variées. Contrairement à certaines idées reçues dans les milieux du Yoga et de l'Ayurveda, le Prana n'est pas seulement lié à notre respiration organique, à l'air que l'on respire, et à l'oxygène plus particulièrement. L'air n'est donc pas notre seule source de Prana. Cependant, la respiration est l'outil le plus maîtrisable par l'homme en lien direct avec cette réalité, et, dans la discipline du Yoga, elle se décline en exercices et techniques variés appelés Pranayamas. Les sages antiques de l'Inde, les Rishis, nous disent que, plus que tout dans cet Univers, l'être humain est celui qui a la plus grande capacité à faire évoluer son Prana. Et contrairement à une roche, notre système est naturellement soumis à des variations importantes et fréquentes d'énergie ou de Prana. La tâche des traducteurs occidentaux n'est pas toujours aisée dans la mesure où le terme Prana est employé pour un large panel de significations qui peut aller du plus tangible mouvement de la respiration jusqu'aux degrés les plus subtils de la conscience. Mais nous devons retenir un élément essentiel : le Prana est à la fois une notion synthétique et une expérience qui ne peut pas se désolidariser de la conscience. Le Prana peut également être envisagé comme de la conscience en mouvement. Cette réalité a des répercussions très pratiques : la conscience est un facteur qui guide et intensifie le Prana avec son contenu. C'est la raison pour laquelle l'attention portée sur les différentes parties du corps ou sur la respiration pendant certains exercices de Pranayama est absolument capitale d'un point de vue «énergétique »"(7).
(1)CERVEAU ET PSYCHO n°103. T.Similowski
(2)Renaître par le souffle. D.Mérien
(3)Le Monde, 24 à25 mars 1968 : «Les influences de l'électricité atmosphérique sur la santé ».
(4)https://artdelarespiration.fr/le-dioxyde-de-carbone-co2
(5)Savoir bien respirer. M-F. Elliott
(6)Pranayama. A.Van Lysebeth
(7)La pratique de la respiration. S.Michenaud