Mythe et science

 

A la question qu'est-ce que vous appelez un mythe, C. Levi Strauss répond : "Si on voulait chercher des définitions on en trouverait probablement autant que chacun des peuples auquel on les emprunte...  Ce sont des histoires que les gens se racontent, ou qu'ils entendent raconter, et qu'ils considèrent comme n'ayant pas d'auteur, non pas bien sûr qu'elles n'en aient pas, mais parce que ce sont les histoires qui se sont incorporées au patrimoine collectif du fait d'avoir été répétées et transformées au cours de ces répétitions successives, et par le moyen desquelles chaque société essaie de comprendre à la fois comment elle est faite, les rapports de ses membres avec le monde extérieur, et la position de l'homme dans l'ensemble de l'univers. Ce sont donc des histoires qui tendent à fonder, par ce qui s'est passé à l'origine des temps, la raison pour laquelle les choses sont comme elles sont. Quand je veux dire les choses sont comme elles sont, c'est aussi bien pourquoi le soleil et la lune se trouvent là où ils sont et non pas plus près ou plus loin, que pourquoi dans telle société prédomine la filiation matrilinéaire ou la filiation patrilinéaire dans telle autre, pourquoi l'une est organisée sur une base égalitaire et pourquoi dans l'autre il y a des différences de statuts et ainsi de suite. Seulement le propre du mythe je dirais est que, alors que nous-mêmes, enfin procédant par ce que nous considérons comme une explication scientifique, nous nous efforcerions pour chacun de ces domaines de faire prévaloir un type d'explication particulier et que nous emprunterions à la physique ou à la cosmologie pour les grands phénomènes de l'Univers ou bien à l'histoire pour ceux de la société, les mythes essaient de donner de tous ces phénomènes une interprétation globale.  Et autrement dit de situer dans ce que j'appellerais une seule matrice, un seul moule d'explications, la raison pour laquelle, disons pour simplifier énormément, le soleil pourrait être beaucoup plus près de la Terre mais alors la Terre entrerait en conflagration et les hommes mourraient dans un incendie général, ou bien il pourrait être beaucoup plus loin et alors ce serait la nuit perpétuelle et la pourriture régnerait sur l'ensemble de la Terre, et donc il faut qu'il soit à bonne distance. Et de la même façon, par le même principe  d'explication on essaiera de rendre compte de la raison pour laquelle, disons dans les sociétés, l'inceste, c’est-à-dire le mariage trop rapproché  est interdit, pourquoi le mariage trop éloigné est également exclu parce que ce serait un mariage avec des ennemis, qui exposerait le groupe à toutes sortes de dangers, et pourquoi il doit se faire à bonne distance. Et entre ces deux extrêmes, disons la place du Soleil par rapport à la Terre, et la distance à laquelle il est convenable d'aller chercher ses épouses,  et bien se situe toute une gamme de problèmes  intermédiaires qui relèvent à un bout de la physique, ou de la zoologie, ou de la météorologie, et à l'autre bout des problèmes d'organisation sociale. Et le propre du mythe  c'est de construire une explication sur plusieurs registres, un petit peu à la façon d'une partition d'orchestre où chaque instrument contribue au message total, ou chaque groupe d'instruments contribue au message total, mais le message total n'étant donné que par l'ensemble de l'orchestration, et bien le mythe c'est un type d'explication qui procède sur le même principe et qui essaie de faire concourir toutes les difficultés, tous les problèmes qui peuvent se poser à l'homme dans différents domaines, à la construction d'un seul modèle d'explication" (1).

A la suite, nous nous sommes interrogés sur les caractéristiques du mythe :"La genèse du monde est la première énigme que tentent de résoudre les mythologies. Le prélude de toute chose est parfois conçu comme un néant, parfois comme une étendue d'eau illimitée, stérile et obscure – notion que l'on retrouve aussi bien au Proche-Orient qu'en Amérique du Nord, en Asie du Sud-Est que chez les peuples Khoisan d'Afrique australe. Toutefois, le mythe le plus fréquent décrit la source de l'univers comme un œuf, un réservoir illimité de possibles dans une « coquille » toute enveloppante. Selon un schéma courant, un événement quelconque déclenche le processus d'évolution, ou, à tout le moins, provoque un changement. Pour les Dogon d'Afrique occidentale, une vibration produite par le dieu créateur Amma brisa l'enveloppe de l'Œuf cosmique et libéra les forces opposées de l'ordre et du chaos. Chez les Cheyennes d'Amérique du Nord, c'est un humble échassier qui, en conservant dans son bec un peu de vase, permit au Grand Esprit de transformer celle-ci en terre ferme au milieu de ce qui serait, sinon, demeuré une étendue d'eau infinie. Dans les îles du Sud-Est asiatique, un récit similaire fait intervenir une hirondelle dans la création de la première terre. Enfin, un mythe égyptien affirme que le premier événement de la création fut l'apparition d'un monticule de terre hors de l'océan abyssal appelé Nun.

Dans toutes les mythologies, création est d'abord synonyme de différenciation et de pluralité, s'opposant à l'unité et à l'indifférencié. Il est donc logique qu'une dualité – différenciation la plus élémentaire – en constitue la première étape. Ainsi, Pan Gu, l'ancêtre divin des Chinois, se développa-t-il dans Œuf cosmique pendant dix-huit mille ans avant de faire exploser celui-ci en deux moitiés : l'une, lumineuse, formant le Ciel, et l'autre, sombre, constituant la Terre. Un mythe d'origine des Maori fait apparaître le monde lorsque deux êtres créateurs, Rangi, le Ciel, et Papa, la Terre, jusque-là immobiles dans le vide et soudés l'un à l'autre, se séparèrent pour assumer leurs rôles cosmiques, opposés et complémentaires. On retrouve cette même notion dans les croyances de Méso-Amérique selon lesquelles la création commença lorsque le dieu originel de la Dualité, Ometecuhtli, se divisa en un aspect féminin, appelé Omecihuatl, et un autre, masculin, Ometeotl, qui à leur tour engendrèrent les dieux. Un mythe bambara d'Afrique occidentale constitue une variation intéressante sur le même thème : l'Œuf cosmique émit une voix qui produisit son propre « écho », son double de sexe opposé, les deux entités formant ainsi les jumeaux primordiaux devenus ensuite les parents du monde. Cette dualité initiale apparaît également dans certains mythes d'origine grecs où Titans et Cyclopes naquirent de l'union d'Ouranos (Uranus), personnification du Ciel et premier élément mâle du cosmos, avec Gaïa, la Terre.

Certaines mythologies considèrent que le conflit entre l'ordre créateur et le chaos destructeur s'établit selon un cycle perpétuellement renouvelé où alternent évolution et involution, création et destruction. En Amérique du Nord, les Indiens Hopi conçurent une série de mondes : le premier fut détruit par le feu ; le second par le gel ; le troisième par le déluge ; et le quatrième, le nôtre, est lui aussi promis à une disparition prochaine. Cela évoque le mythe des Aztèques d'Amérique centrale selon lequel quatre mondes furent tour à tour créés et détruits par différents conflits ayant éclaté entre les enfants du seigneur de la Dualité. Toutefois, dans cet ordre d'idées, le mythe philosophiquement le plus élaboré se trouve peut-être chez les hindous de l'Inde. On y découvre comment Vishnu, «l'immanent», repose sur le serpent cosmique Ananta, «sans fin», flottant sur l'océan primordial. Du nombril de Vishnu pousse un lotus qui, en s'épanouissant, révèle le dieu créateur Brahma. Par sa méditation, Brahma suscite l'univers. Involuant pendant des milliards d'années en quatre «âges» successifs, celui-ci finit par disparaître en même temps que son créateur, réabsorbé par Vishnu, avant que le «grand immanent» n'émette un nouveau Brahma, lequel suscitera un nouveau cycle de création... et ainsi de suite, à l'infini. Les Egyptiens pensaient également que l'univers est destiné à retourner au chaos, avant que n'apparaisse un nouveau cycle de création. La tradition gréco-romaine ne mentionne aucune destruction du monde, mais décrit cependant cinq âges successifs, associés à différents types humains. Ce cycle commence avec l'âge d'Or, lorsque les hommes étaient éternellement libres et heureux, et s'achève avec l'âge du Fer – le nôtre – qui verra l'auto-destruction finale du genre humain. Il est possible que la tradition celte des cinq invasions successives de l'Irlande soit une version du mythe méditerranéen des cinq âges"(2).

Le Big Bang pourrait-il s'apparenter à un mythe moderne ? Reprenons le propos de C.Levi Strauss, que nous avons retenu pour base : "Ce sont les histoires qui se sont incorporées au patrimoine collectif du fait d'avoir été répétées et transformées au cours de ces répétitions successives, et par le moyen desquelles chaque société essaie de comprendre… la position de l'homme dans l'ensemble de l'univers". Le Big Bang s'appuie sur une histoire associée à de l'information. La théorie a évoluée au fil du temps, enrichie, modifiée. Comme le mythe, le Big Bang s'inscrit bien lui aussi dans une explication des origines : "En général, le terme big bang est employé telle une métonymie de l'origine, comme si les modèles de big bang avaient directement accès à l'instant zéro, présenté comme l'instant marquant le surgissement simultané de l'espace, du temps, de la matière et de l'énergie. Dans le langage courant, l'expression big bang en est même venue à désigner grosso modo la création du monde, pour ne pas dire le fiat lux originel"(3).  "De façon générale, le terme «Big Bang» est associé à toutes les théories qui décrivent notre Univers comme issu d'une dilatation rapide. Par extension, il est également associé à cette époque dense et chaude qu’a connue l’Univers il y a 13,8 milliards d’années... Le concept a été initialement proposé en 1927 par l'astrophysicien et chanoine catholique belge Georges Lemaître, qui décrivait dans les grandes lignes l’expansion de l'Univers, avant que celle-ci soit mise en évidence par l'astronome américain Edwin Hubble en 1929. Ce modèle est désigné pour la première fois sous le terme ironique de «Big Bang» lors d’une émission de la BBC, The Nature of Things le 28 mars 1949 (dont le texte fut publié en 1950), par le physicien britannique Fred Hoyle, qui lui-même préférait les modèles d'état stationnaire. Le concept général du Big Bang, à savoir que l’Univers est en expansion et a été plus dense et plus chaud par le passé, doit sans doute être attribué au Russe Alexandre Friedmann, qui l'avait proposé en 1922, cinq ans avant Lemaître. Son assise ne fut cependant établie qu’en 1965 avec la découverte du fond diffus cosmologique, l'« éclat disparu de la formation des mondes», selon les termes de Georges Lemaître, qui attesta de façon définitive la réalité de l’époque dense et chaude de l’Univers primordial"(4).

Le Big Bang serait-il devenu un mythe à la suite de malentendus scientifiques ? A l'origine de notre mot «mythe», le grec muthos signifia d'abord simplement «parole, récit». Ce n'est qu'à partir du IVe siècle av. J.-C. qu'apparut dans la pensée grecque le concept de «fait historique», grâce à Hérodote et, principalement, à son récit des guerres médiques. C'est alors que, par opposition, muthos en vint à évoquer une «fiction», voire une «affabulation», un «mensonge» qu'il fallait clairement distinguer de logos, signifiant «raison» ou «discours» associé à l'idée de vérité. Basculant de  muthos à logos, dans l'élaboration de la connaissance, entre le mythe et la science le traitement de l'information diffère. Si la connaissance scientifique s'enrichit elle aussi au fil du temps, elle  ne procède pas uniquement par "agglomération" d'informations mais par analyse des données. E.Klein écrit : "Selon les premières versions des modèles de big bang, si l'on regarde ce que fut l'univers dans un passé de plus en plus lointain, on observe que les galaxies se rapprochent les unes des autres, que la taille de l'univers ne cesse de diminuer et qu'on finit en effet par aboutir — sur le papier — à un univers ponctuel — non pas au sens où il était à l'heure à ses rendez-vous, mais où il se réduisait à un point géométrique, de volume nul et de densité infinie. En d'autres termes, si on déroule le temps à l'envers, du présent vers le passé, les équations font bel et bien surgir un instant critique, traditionnellement appelé « instant zéro », qui serait apparu il y a 13,7 milliards d'années : cet instant se trouve directement associé à ce qui est communément appelé une « singularité initiale », sorte de situation théorique monstrueuse où certaines quantités, telles la température ou la densité, deviennent infinies. Or qu'est-ce qui empêche d'assimiler cette «singularité initiale» à l'origine effective de l'univers? De prime abord, rien. Mais seulement de prime abord... D'où vient notre réserve, qui ressemble à un coup de théâtre épistémologique? Les raisons peuvent se comprendre aisément : les premiers modèles de big bang ne tenaient compte que d'une seule force de la nature, la gravitation, décrite à l'aide du formalisme de la relativité générale. Cette interaction qu'est la gravitation, toujours attractive et de portée infinie (la force qui s'exerce entre deux masses n'est nulle que si ces deux masses sont séparées par une distance infinie), domine à grande échelle. Mais lorsqu'on remonte le cours du temps, la taille de l'univers se réduit progressivement et, au bout de 13,7 milliards d'années, la matière finit par rencontrer des conditions physiques très spéciales, pour ne pas dire extraordinaires, que la relativité générale est incapable de décrire seule, car des interactions fondamentales autres que la gravitation entrent alors en jeu : il s'agit des interactions électromagnétique, nucléaire faible et nucléaire forte qui déterminent le comportement de la matière, notamment lorsque celle-ci est à très haute température et à très haute densité… La relativité générale ne prenant en compte aucune de ces trois forces, elle n'est pas gréée pour décrire à elle seule l'univers primordial : contrairement à ce que suggère son appellation, elle n'est pas «générale», mais constitue plutôt une théorie spécifique de la gravitation, par conséquent incomplète.  Ses équations perdent toute  validité lorsque les particules présentes dans l'univers, dotées d'énergies gigantesques, subissent d'autres interactions que la gravitation. La relativité générale ne donne en réalité accès qu'aux «périodes tardives de l'univers primordial», si l'on peut dire, et nullement à celles qui les ont précédées. L'instant zéro qu'on persiste à accoler au big bang ne peut donc avoir été un instant physique, le premier instant par lequel l'univers serait passé : c'est un instant fictif inventé par l'extrapolation abusive d'une théorie incapable de décrire de façon adéquate un univers très chaud et très dense. Toutes prodigieuses qu'elles sont, les descriptions des différentes phases de l'univers par les modèles de big bang exclusivement construits sur la théorie de la relativité générale n'incluent donc jamais le commencement de l'univers proprement dit, et encore moins quoi que ce soit qui l'aurait précédé ou qui pourrait en être la cause"(3). 

Dans les lignes suivantes E.Klein rapporte l'histoire des errances et des cheminements afférents à l'élaboration de la théorie du Big Bang : "L'ironie de l'histoire, c'est que les modèles de big bang, que les spécialistes avaient d'abord appelés modèles «d'évolution dynamique», ont été les victimes épistémologiques de leurs premiers détracteurs. En effet, cette expression de «big bang» fut inventée en 1949, lors d'une émission de radio sur la BBC, par l'astrophysicien Fred Hoyle, promoteur d'un univers statique, qui voulait ainsi donner à ses auditeurs une image parlante de ce modèle concurrent du sien ...! Cette onomatopée tapageuse a fait mouche, de sorte que les scientifiques l'ont reprise à leur compte et sont ainsi tombés à pieds joints dans une sorte de piège sémantique. Cette expression est en effet des plus trompeuses, puisqu'elle suggère, de façon quasi autoritaire, que l'univers aurait résulté d'une explosion cataclysmique qui se serait produite en un lieu précis et correspondrait à l'origine de tout ce qui est. Il arrive aussi que les astrophysiciens eux-mêmes, soucieux d'être plus facilement compréhensibles, ou par désinvolture langagière, voire par désir de faire accroire que l'origine de l'univers serait à portée de leur vue et de leurs calculs, donnent corps à cette interprétation : ils expliquent par exemple que tel ou tel phénomène s'est produit tant de «fractions de seconde après le big bang», laissant ainsi entendre que ce dernier a bien été le déclencheur de l'horloge cosmique. Bref, rien de moins que l'« origine du monde », la vraie, la seule, l'unique, bien antérieure à celle peinte par Gustave Courbet. Heureusement, certains astrophysiciens — je pense entre autres à Michel Cassé, Marc Lachièze-Rey, Roland Lehoucq, Hubert Reeves... —, embarrassés par la confusion qui s'est installée, tentent de «rattraper le coup» et préviennent le public contre certaines extrapolations hasardeuses, notamment celles qui donnent à penser que les modèles de big bang décrivent une explosion au sens strict du terme. Leur tâche n'est pas facile, car le succès médiatique du big bang est tel que les images simples auxquelles on l'a d'abord associé ont vite produit leurs effets symboliques et culturels. Par percolation, elles se sont même enracinées pour de bon dans la psyché collective.  Les astrophysiciens sont sans cesse obligés de courir après les mots big et bang pour en corriger le sens, a fait remarquer Jean-Marc Lévy-Leblond : «Attention, ces mots ne veulent pas du tout dire ce que vous avez compris, ce n'est pas une explosion, ça n'a pas eu lieu en un point donné de l'espace, ni d'ailleurs à un moment donné... »"(3).

Après avoir fait un tour d'horizon des avancées de la physique actuelle, P.Trousson écrit à propos de la science et du mythe : "Qu'est-ce que le réel ? Que dit, en fait, la science sur la nature qu'elle est censée étudier ? Il est vrai que ces multiples interprétations, opinions et autres hypothèses ont de quoi troubler le profane. Pour commencer, cela voudrait peut-être tout simplement dire que le réel est beaucoup plus complexe qu'on ne le supposait, que les idées simples et notre bon sens, rationnel et «macroscopique», ne s'appliquent pas à toutes les échelles du cosmos… Le réel est nécessaire et présent, mais les niveaux de compréhension et de dévoilement sont multiples et divers. Il faut «reconnaître, dit encore d'Espagnat, que l'être, le réel, ne peut être visé que par des sortes de métaphores : les mythes en ce qui concerne l'art et les religions, les modèles en ce qui concerne la science. En sachant que ce sont des modèles et des mythes». Ainsi, pour le physicien, le défi est clair : il s'agit de sauvegarder le réalisme en le formulant par des définitions et des images nouvelles, susceptibles de redonner attrait et cohérence à son activité scientifique. La réalité n'est donc plus perceptible seulement par la raison, mais également par l'imaginaire ou même par le mythe. Le réel n'est dès lors plus uniquement le substrat de causes premières mais devient lieu d'expression de signes et de symboles élaborés et perçus par le mental. La raison répudiait la dimension humaine et culturelle de la représentation. L'imaginaire, au contraire, s'enracine dans une culture, se nourrit de ses symboles et de ses mythes. «C'est par un dépassement du spiritualisme que nombre de physiciens ou de philosophes contemporains, convaincus des limites de la méthode rationnelle, ont annoncé les retrouvailles de la science et de l'imaginaire, du réel et du mythe». Ainsi l'élan cognitif de la science peut sans honte joindre la démarche mythique au mode rationnel. Le mythe ne doit plus être vu comme une expression primaire et frustre. L'anthropologie et la sociologie y décèlent une des premières manifestations de la créativité et de la cohérence des peuples : Dumézil voit la pensée mythique comme structure de pensée, germe de logique locale et culturelle. Le mythe perçoit la pluralité, admet la multisignifiance et l'éclair intuitif, et il inclut la potentialité et le devenir. Ainsi, invoquer le mythe au cœur du réel ne doit point être ressenti comme une régression de la méthode scientifique mais comme son redéploiement. Sans être devenu purement spirituel, le réel n'est plus totalement rationnel. Etonnant, émerveillant, pluriel, aux symboles multisignifiants et accessibles à l'intuition plus qu'à l'analyse, le réel s'ouvre à nouveau au mythe. Bien que nombre de ces aspects ne soient pas observables, ils n'en sont pas moins représentables. Les trous noirs et les quarks sont ainsi des objets représentables et pourtant à jamais inaccessibles autrement que par le symbole, comme le sont les mythes. De plus en plus d'objets de la physique ne possèdent ainsi que la propriété potentielle de pouvoir devenir, au moyen d'éléments symboliques forgés par l'esprit humain. C'est le cas par exemple de ces particules dont les propriétés ne se figent que lors de la mesure par le physicien. Leur description au moyen des concepts de la réalité objective conduit à des paradoxes ou à des naïvetés, tout comme la lecture au premier degré des mythes conduit aussi à des enfantillages ou à des contradictions"(6).

 

1- https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i06290910/claude-levi-strauss-et-la-definition-du-mythe

2-Mythologies du monde entier. R.Willis. Collectif

3-Discours sur l'origine de l'Univers. E.Klein

4- https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Big_Bang

5-Le recours de la science au mythe. P.Trousson