Fuir, affronter, subir


Face à l'agression, ou plutôt face à l'émotion que déclenche l'agression, W.B.Cannon décrit un comportement qui pour lui présente une similitude entre l'homme et l'animal, et génère des réactions identiques d'un individu à l'autre : "Depuis des siècles, ceux qui étudient la nature humaine se sont passionnés à l’étude des émotions. Des moralistes, des philosophes, des psychologues ont discuté de l’origine des émotions, de leur rôle dans notre conduite, et des différents modes de contrôle auxquels elles sont soumises. Des naturalistes ont fait remarquer la ressemblance qu’il y a entre l’expression des émotions chez l’homme et chez les animaux.  Mais il n’est pas nécessaire de recourir aux descriptions données par les savants en ces matières. Nous pouvons discuter des grandes émotions et arriver à nous comprendre parfaitement à ce sujet parce que nous connaissons tous quelque chose en ce domaine. Tous, nous avons été en colère ou effrayés, ou nous avons vu des gens en état de colère ou de peur, ou nous avons pu observer des animaux domestiques présentant des signes de semblables émotions. Il n’est besoin de personne pour nous faire remarquer les ressemblances entre l’homme en colère, les dents serrées, les sourcils froncés, les poings serrés ou crispés sur une arme, marmottant, et le chien en colère avec les babines retroussées découvrant les dents, le poil hérissé, et grognant de façon menaçante. Ces modes d’expression sont tellement connus qu’ils constituent un langage commun à l’homme et au chien. L’un sait ce que l’autre veut dire. L’ouvrage classique de Darwin, The Expression of Emotion in Man and Animal, traite des nombreuses ressemblances entre les réactions émotives des hommes et des animaux. Les réactions dont parle Darwin sont pour la plupart superficielles ; par exemple, l’érection des poils, la dilatation des pupilles, la sécrétion de la sueur, l’accélération de la respiration et du pouls, et des attitudes corporelles caractéristiques. À côté de ces changements, cependant, il y a d’autres changements internes très importants qui accompagnent toute forte émotion et qui ont été mis en lumière par des recherches relativement récentes"(1).

Nous avons voulons nous référer à une description détaillée des réactions face à l'agression: "Face à un changement dans son environnement qu’il perçoit comme étant menaçant ou dangereux, le corps réagit en faisant appel à trois stratégies : combattre, fuir ou figer. Au cours de l’évolution, face à une menace, l’organisme de l’être humain produisait automatiquement une décharge d’énergie, mettant ainsi les êtres humains en mode de combat ou de fuite, leur permettant de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour survivre. Ainsi, aujourd’hui encore, le mécanisme combattre, fuir ou figer se déclenche en réaction à une menace. Lorsque la réponse combattre, fuir ou figer intervient, l’hormone adrénocorticotrope (ACTH) est produite par le cerveau et libérée dans le sang. Elle envoie des signaux aux glandes surrénales pour qu’elles produisent du cortisol et d’autres hormones. L’une de ces hormones, l’adrénaline, fait battre le cœur plus vite, augmente la pression sanguine, améliore la capacité pulmonaire et accroît la force musculaire. Toutes les autres parties du corps, désormais sous le contrôle du système nerveux sympathique, réagissent en dirigeant l’énergie vers les organes vitaux et en vous préparant à un effort excessif, c’est-à-dire que tout votre corps est en état de vigilance. Il est dans un état de surexcitation et prêt à tout pour survivre. Malheureusement, la réaction au stress n’a guère changé depuis deux cent mille ans. Il est rare que vous devions nous battre ou nous sauver pour rester en vie, mais nous avons toujours la même réaction primitive de nos ancêtres face à un danger. La réaction au stress donne de bons résultats dans des situations intenses de courte durée où notre vie est en péril. Elle fonctionne bien si nous échappons au danger et trouvons un refuge sûr, c’est-à-dire lorsque les taux des hormones responsables du stress reviennent rapidement à la normale. Cannon a mis en évidence qu’en cas de situation d’urgence, de danger, que cela soit physique ou psychologique, le corps libère l’hormone de l’adrénaline dans la circulation sanguine. L’adrénaline exerce plusieurs effets sur le corps qui lui permettent de se mettre en action : combattre ou fuir. La réponse combat-fuite est à envisager dans tout type de situation de danger, on parle aussi de réaction aiguë au stress. Les situations peuvent donc être très variées : une agression dans la rue par un inconnu, un incendie dans une cuisine, une prise de parole en public devant de nombreuses personne, etc. La peur et ses effets physiologiques ont été cristallisés dans des époques très lointaines, où la survie était une affaire quotidienne. Le corps se prépare à se mettre en mouvement, il faut plus de sang dans l’organisme pour oxygéner les muscles responsables de l’action, combattre ou fuir. le tremblement des jambes (et éventuellement d’autres membres) : en mode combat/fuite, le sang s’amoindrit dans les zones du corps non-vitales et se concentre d’avantage dans les zones du corps utiles pour l’action, d’où le tremblement incontrôlable des jambes. En mode combat/fuite, le langage n’est pas utile. Le cortex, partie du cerveau responsable du traitement du langage, est donc moins irrigué en sang et cela affecte le fonctionnement du langage. La vision périphérique diminue car l’œil se concentre sur son objectif. Le champ de vision est donc nettement réduit. Tout comme l’œil, l’oreille se focalise sur son objectif, les bruits périphériques sont atténués, voir coupés. Le corps chauffe car il se prépare à l’action, la transpiration veille à réguler la température du corps. Cela peut donc entraîner les effets d’une transpiration abondante : rougeurs, bouche sèche et pâteuse, odeur de transpiration…le ralentissement ou l’arrêt de la digestion et la nausée ou les vomissements. Le processus de digestion consomme de l’énergie, d’où le ralentissement ou l’arrêt de la digestion. Les aliments dans l’estomac représentent un poids inutile et encombrant pour combattre ou fuir, d’où la nausée voir les vomissements.  En cas de peur extrême, la terreur, la réponse combat/fuite ne pouvant pas être exécutée, le corps opte pour des stratégies différentes : la catalepsie, ou «gel», et le mimétisme de mort. La catalepsie, qui se caractérise par une perte de la motricité volontaire et une rigidité musculaire, la personne est alors immobile comme une statue d’où le terme «gel», peut s’expliquer par le fait que l’œil du prédateur est attiré par le mouvement. S’immobiliser permettrait de tromper l’œil du prédateur et de ne pas attirer l’attention sur soi. Le mimétisme de mort laisse penser au prédateur que sa proie est morte, il est donc inutile pour lui de poursuivre son attaque. Ces réactions extrêmes avaient bien sûr plus de sens face à un prédateur carnivore, il y a plusieurs milliers d’années. D’autres phénomènes accompagnent cet état de terreur : l’inhibition, la distorsion ou la perte de la mémoire. Face à une menace et à une peur extrême, il est parfois nécessaire de protéger son intégrité psychique. Faire abstraction en partie ou totalement de l’évènement, est un mécanisme de défense qui permet de prévenir des troubles post-traumatiques. Un malaise vagal peut intervenir en cas de peur extrême. Deux conséquences : pendant toute la durée de la syncope il n’y aura aucune mémoire de l’évènement et gisant au sol, souvent de couleur très pâle, cela évoque le mimétisme de mort(2).

Dans les lignes suivantes, W.B.Cannon insiste sur le caractère incontrôlé du "tumulte intérieur" généré par les émotions dans cette situation d'agression :  "Il est bien connu que l’homme est supérieur aux animaux moins évolués surtout à cause du développement, important et complexe, de ses hémisphères cérébraux. L’anatomie comparée montre que ces structures ont été superposées à un tronc cérébral qui diffère relativement peu chez les vertébrés supérieurs. Les réactions qui mettent en jeu le cortex cérébral peuvent laisser un temps prolongé, peut-être même des années, entre le stimulus et la réponse ; ces réactions peuvent être complexes au point d’être d’un caractère tout à fait imprévu; elles peuvent disparaître complètement ou être fortement modifiées par d’autres stimuli... L’écorce cérébrale, cependant, peut seulement contrôler les fonctions qui sont normalement sous le contrôle volontaire. Je voudrais insister particulièrement sur ce point. De même qu’il ne peut pas les provoquer, le cortex ne peut pas empêcher ces processus impérieux qui prennent naissance dans le thalamus et qui augmentent le sucre sanguin, accélèrent le cœur, arrêtent la digestion, ou provoquent les autres troubles caractéristiques d’une grande excitation. Quand une émotion est réprimée, elle est donc réprimée dans ses manifestations extérieures seulement. Il y a certainement des arguments qui montrent que lorsque les manifestations extérieures sont au maximum, le tumulte intérieur est également au maximum ; et il est probable que le contrôle cortical, exercé sur les manifestations extérieures de l’excitation, réduit aussi les troubles internes. Pourtant, dans un conflit entre le contrôle cortical et les activités des centres thalamiques, les manifestations internes incontrôlables peuvent être intenses… Le second point sur lequel je voudrais insister se rapporte aux preuves que les états conscients sont seulement en rapport avec les neurones corticaux. Nous ne sommes certainement pas au courant des réflexes nombreux et compliqués qui déterminent l’attitude du corps, ou les dimensions de la pupille, par exemple, bien que ces réflexes soient réglés par le tronc cérébral. Il s’ensuit que les mécanismes nerveux des émotions primitives, qui ont leur siège dans les ganglions basaux, ne sont probablement pas directement associés avec la connaissance. Comme nous l’avons vu, cette considération explique l’un des traits les plus caractéristiques de l’expérience émotive ; c’est-à-dire, son caractère mystérieux et non personnel. À certains moments, il se produit une prise de possession soudaine et puissante des forces de l’organisme, par les neurones sous-corticaux ; c’est-à dire, par des neurones dont l’activité n’est pas immédiatement accompagnée par des états conscients. Dans les circonstances favorables, dès qu’il y a une suppression, même momentanée, du contrôle inhibiteur normal, ces neurones inférieurs prennent possession des mécanismes qui causent l’action et les poussent violemment dans l’un ou l’autre de leurs divers schémas de réaction"(1).  

"Fuir un combat, quelque chose de lâche, l’impensable pour tout guerrier qui se respecte. Peut-être êtes-vous de ceux qui pensent que s’échapper ou reculer est quelque chose de honteux. Mais est-ce vraiment le cas ?". Selon les cultures, selon les passés, ces trois modes de réactions sont diversement valorisés, socialement et moralement. Tite-Live donne une tournure différente à la fuite : "Les légions romaines tremblaient pour leur unique champion, que les trois Curiaces avaient entouré. Par bonheur, il était indemne, trop faible, à lui seul, il est vrai, pour tous ses adversaires réunis, mais redoutable pour chacun pris à part. Afin de les combattre séparément, il prit la fuite, en se disant que chaque blessé le poursuivrait dans la mesure de ses forces. Il était déjà à une certaine distance du champ de bataille quand il tourna la tête et vit ses poursuivants très espacés. Le premier n'était pas loin : d'un bond, il revint sur lui. Le Horace avait déjà tué son adversaire et, vainqueur, marchait vers le second combat. Poussant des acclamations, les Romains encouragent leur champion : lui, sans donner au dernier Curiace, qui n'était pourtant pas loin, le temps d'arriver, tue l'autre. Maintenant la lutte était égale, survivant contre survivant ; mais ils n'avaient ni le même moral, ni la même force. L'un, deux fois vainqueur, marchait fièrement à son troisième combat ; l'autre s'y traînait, épuisé. Ce ne fut pas un combat : c'est à peine si l'Albain pouvait porter ses armes ; le Horace lui plonge son épée dans la gorge, l'abat, et le dépouille"(3). Dans son Eloge de la fuite, H.Laborit écrit : "Si mon autoportrait pouvait présenter quelque intérêt, ce dont je doute, c'est de montrer comment un homme, pris au hasard, a été façonné par son milieu familial, puis par son entourage social, sa classe hiérarchique, culturelle, économique, et n'a pu s'échapper (du moins le croit-il !) à ce monde implacable que par l'accession fortuite à la connaissance, grâce à son métier, des mécanismes fondamentaux qui dans nos systèmes nerveux règlent nos comportements sociaux. L'anecdote n'est là qu'en fioriture, en illustration. Quant à la libido, elle s'exprime sur une scène où les acteurs sont aussi nombreux que les noms qui peuplent un annuaire des téléphones. Chacun de ces acteurs est guidé lui-même par le désir de satisfaire sa propre libido et dans ce réseau serré de libidos entremêlées, je ne suis pas sûr qu'il soit urgent de privilégier la mienne, chacune ayant eu sans doute son expression personnelle dans l'étroit domaine de l'espace-temps au sein duquel elle s'est située. Personne n'est capable d'ailleurs de refaire l'histoire du système nerveux d'un de ses contemporains, à commencer par ce contemporain lui-même. Tout au plus peut-on utiliser ce qu'il vous a dit pour écrire un roman interprétatif. Ce que l'on peut admettre, semble-t-il, c'est que nous naissons avec un instrument, notre système nerveux, qui nous permet d'entrer en relation avec notre environnement humain, et que cet instrument est à l'origine fort semblable à celui du voisin. Ce qu'il parait alors utile de connaître, ce sont les règles d'établissement des structures sociales au sein desquelles l'ensemble des systèmes nerveux des hommes d'une époque, héritiers temporaires des automatismes culturels de ceux qui les ont précédés, emprisonnent l'enfant à sa naissance, ne laissant à sa disposition qu'une pleine armoire de jugements de valeur. Mais ces jugements de valeur étant eux-mêmes la sécrétion du cerveau des générations précédentes, la structure et le fonctionnement de ce cerveau sont les choses les plus universelles à connaître. Mais cela est une autre histoire ! Cette connaissance, même imparfaite, étant acquise, chaque homme saura qu'il n'exprime qu'une motivation simple, celle de rester normal. Normal, non par rapport au plus grand nombre, qui soumis inconsciemment à des jugements de valeur à finalité sociologique, est constitué d'individus parfaitement anormaux par rapport à eux-mêmes. Rester normal, c'est d'abord rester normal par rapport à soi-même. Pour cela il faut conserver la possibilité «d'agir» conformément aux pulsions, transformées par les acquis socio-culturels, remis constamment en cause par l'imaginaire et la créativité. Or, l'espace dans lequel s'effectue cette action est également occupé par les autres. Il faudra éviter l'affrontement, car de ce dernier surgira forcément une échelle hiérarchique de dominance et il est peu probable qu'elle puisse satisfaire, car elle aliène le désir à celui des autres. Mais, à l'inverse, se soumettre c'est accepter, avec la soumission, la pathologie psychosomatique qui découle forcément de l'impossibilité d'agir suivant ses pulsions. Se révolter, c'est courir à sa perte, car la révolte si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l'intérieur du groupe, et la révolte, seule, aboutit rapidement à la suppression du révolté par la généralité anormale qui se croit détentrice de la normalité. Il ne reste plus que la fuite. Il y a plusieurs façons de fuir. Certains utilisent les drogues dites «psychotogènes». D'autres la psychose. D'autres le suicide. D'autres la navigation en solitaire. Il y a peut-être une autre façon encore, fuir dans un monde qui n'est pas de ce monde, le monde de l'imaginaire. Dans ce monde on risque peu d'être poursuivi. On peut s'y tailler un vaste territoire gratifiant, que certains diront narcissique. Peu importe, car dans le monde où règne le principe de réalité, la soumission et la révolte, la dominance et le conservatisme auront perdu pour le fuyard leur caractère anxiogène et ne seront plus considérés que comme un jeu auquel on peut, sans crainte, participer de façon à se faire accepter par les autres comme «normal». Dans ce monde de la réalité, il est possible de jouer jusqu'au bord de la rupture avec le groupe dominant, et de fuir en établissant des relations avec d'autres groupes si nécessaire, et en gardant intacte sa gratification imaginaire, la seule qui soit essentielle et hors d'atteinte des groupes sociaux. Ce comportement de fuite sera le seul à permettre de demeurer normal par rapport à soi-même, aussi longtemps que la majorité des hommes qui se considèrent normaux tenteront sans succès de le devenir en cherchant à établir leur dominance, individuelle, de groupe, de classe, de nation, de blocs de nations, etc. L'expérimentation montre en effet que la mise en alerte de l'hypophyse et de la corticosurrénale, qui aboutit si elle dure à la pathologie viscérale des maladies dites «psychosomatiques», est le fait des dominés, ou de ceux qui cherchent sans succès à établir leur dominance, ou encore des dominants dont la dominance est contestée et qui tentent de la maintenir. Tous ceux-là seraient alors des anormaux, car il semble peu normal de souffrir d'un ulcère de l'estomac, d'une impuissance sexuelle, d'une hypertension artérielle ou d'un de ces syndromes dépressifs si fréquents aujourd'hui. Or, comme la dominance stable et incontestée est rare, heureusement, vous voyez que pour demeurer normal il ne vous reste plus qu'à fuir loin des compétitions hiérarchiques"(4). A la lecture du texte d'H.Laborit nous remettons en exergue cette phrase empruntée au monde du Budō : "La fuite fait partie du combat", replaçant la réaction à l'agression dans sa dimension relationnelle. La fuite n'est plus assimilée à une forme de débandade mais à un mode d'action, tantôt recul stratégique, tantôt feinte, tantôt négociation dans la gestion du conflit. A ce titre le langage, de part sa complexité, peut jouer un rôle d'instrument d'apaisement, de diversion, de résolution du conflit.

Nous citons L.Milia-Nieuwenhuis: "Le conflit est un affrontement entre deux parties avec une inégalité de rapport de force. Il y a une partie qui s’impose «au détriment d’une saine confrontation, où des avis divergents peuvent s’exprimer, pour apparaître ensuite compatibles, complémentaires ou incompatibles». Martin (2016) définit le conflit ainsi comme une opposition de besoins ou d’intérêts entre deux ou plusieurs parties dont la solution peut être recherchée soit par mesures de violence, soit par des négociations, soit par la médiation (appel à une tierce personne). En effet, il existe plusieurs façons naturelles de réagir face à la violence. «The  fight or flight response », c’est à-dire la réponse combat-fuite face au danger ou la violence a été décrite pour la première fois par le psychologue américain Cannon en début de 20ème siècle. La réaction animale face aux dangers, accompagnée d'une décharge générale du système nerveux, amène à un combat (fight) ou une fuite (flight). Cette théorie est plus tard reconnue comme étant le premier stade du syndrome général de l’adaptation régulant les réponses au  stress parmi les vertébrés et les autres organismes. Le modèle de Laborit (1976) décrit une troisième réaction naturelle qui serait de «se soumettre». Une quatrième réaction en situation de stress ou de danger chez l'être humain est proposée par Van Dawans et al. (2012) concernant le comportement pro-social. En effet, ce comportement de sociabilité augmente le contrôle du stress, mais aussi les chances de protection en situation de danger. Plutôt que de se battre, de se soumettre ou de fuir, l’individu montre un comportement de socialité marqué par la confiance et le partage. Il répond par une communication non violente en se référant à ses propres émotions. Au centre est son propre bien-être et celui d’autrui. C’est un moyen de développer l’empathie et l’altruisme. Il ne s’agit pas d’une réaction naturelle, mais plutôt d’un comportement appris"(5). Utiliser la sociabilité face à un conflit que l'on ne peut réduire frontalement, c'est la solution qui est habituellement retenue dans diverses situations telles que la prise d'otages, la diplomatie pour solutionner le conflit entre groupes sociaux, le recours à la médiation dans les conflits de voisinage ou familiaux, le recours à une législation, etc."(5).

Fuir, affronter, subir, similitudes des réactions de l'homme et de l'animal dans ce comportement de réaction à l'agression au sein d'une histoire commune de lutte pour la survie, H.Laborit éclaire ces données complexes sous le jour de la physiologie et de la biologie : "On s'intéresse de plus en plus depuis quelque temps au problème de l'agressivité, problème fondamental du monde contemporain: agressivité individuelle, des groupes, des Etats. Il me semble que l'on mélange assez souvent des choses différentes. Il paraît nécessaire de distinguer les mécanismes biologiques et neurophysiologiques de l'agressivité, de sa finalité et de ses facteurs… Nous avons vu qu'elle met en jeu essentiellement l'hypothalamus, le cerveau le plus ancien, que nous avons décrit comme le cerveau reptilien. Sa finalité est la survie de l'organisme dans son ensemble, au prix d'une réaction de lutte envers le milieu. La présence du cerveau que nous avons appelé des vieux mammifères, du système limbique, lui donne sa tonalité affective. C'est la recherche de la domination sexuelle, base de la reproduction, le besoin d'être aimé, admiré, d'être le plus beau, d'être préféré, ensemble affectif inconscient évidemment, comme tous les automatismes dont le siège demeure paléocéphalique, qui colore sentimentalement le réflexe agressif millénaire. Sur ces mécanismes fondamentaux, le cortex associatif a ajouté chez l'Homme, l'imaginaire, la représentation des situations non encore vécues, construite à partir de l'expérience antérieure qui peut fort bien n'avoir même jamais été agressive. Cette crainte d'un avenir sans sécurité, fournit au vieux cerveau matière à mobiliser les moyens de lutte organique. La vie en société ne permet pas à ceux-ci de s'extérioriser. L'agressivité refoulée, réprimée par des automatismes sociaux, deviendra la source principale des affections psychosomatiques. L'impossibilité de l'évitement par la fuite rendra le climat des relations interhumaines tendu, violent et accepté comme tel sous les vains prétextes de concurrence, de compétitivité, etc. Un simple jugement de valeur suffit à transformer un automatisme primitif en une qualité nécessaire. Mais à côté de ses mécanismes, de sa finalité qui réside dans la protection de l'Individu à l'égard de l'environnement, par le plus fruste, le moins élaboré, la lutte, nous devons aussi rechercher quels sont les facteurs qui déclenchent l'agressivité. Nous avons indiqué le rôle prépondérant de l'urbanisation, de l'impossibilité de l'évitement. Les facteurs de l'agressivité de l'Homme du néolithique devaient l'orienter sans doute préférentiellement vers la nature inanimée ou sauvage. Les rivalités et les luttes entre hordes devaient vraisemblablement se résoudre le plus souvent, comme on le constate encore dans la faune sauvage, par la fuite du plus faible vers un autre territoire. Cette solution est interdite aujourd'hui à l'Homme moderne. L'importance de l'environnement humain comme facteur de son agressivité a grandi parallèlement à la division du travail, à l'urbanisation et à l'aliénation de l'individu au groupe social. Ainsi, curieusement cet Homme moderne, dont la sécurité est cependant incomparablement mieux assurée qu'aux époques précédentes, dont la longévité en conséquence s'est accrue de façon considérable, demeure agressif, encore que l'on ne puisse affirmer que cette agressivité s'accroît. Mais cette agressivité conditionnée génétiquement et qui a contribué à la survie de l'espèce dans un environnement hostile se tourne, du fait même de la moindre agressivité du milieu inanimé et non humain, vers l'autre, vers l'Homme, vers le contemporain. Celui-ci est devenu l'obstacle fondamental à la domination, à la réalisation des désirs individuels et inconscients. C'est l'obstacle à la réalisation des phantasmes, l'ennemi à détruire, alors que les lois sociales s'y opposent. Cette agressivité, que l'individu isolé a rarement la possibilité d'assouvir seul, contre l'ensemble social, il cherchera alors à l'assouvir en s'unissant à ceux que leur niche environnementale rapprochent de lui, à ceux, en d'autres termes, ayant avec lui une communauté d'intérêts. Les groupes sociaux surgissent et leurs antagonismes permettent l'expression d'une agressivité qui peut camoufler son individualité première sous un masque altruiste que viennent colorer les jugements de valeur"(6).

En conclusion de son ouvrage, H.Laborit envisage une hypothèse que l'on qualifiera d'orientée solution : "Quant à la solution psychosociologique elle consisterait à orienter, si cela était possible, cette agressivité vers une forme nouvelle de lutte, la découverte de solutions neuves aux problèmes posés dans tous les domaines, à l'homme contemporain. Si cette motivation puissante qui monte en chacun de nous des abîmes obscurs des régions préhominiennes de notre encéphale pour envahir notre cortex hominien, pouvait être orientée vers le même but pour tous, la découverte de solutions neuves à tous les problèmes qui nous sont posés en tant qu'individus et en tant que membres à part entière de l'espèce humaine, alors une ère nouvelle pourrait s'ouvrir pour l'humanité"(4).

 

1-Conférences sur les émotions et l’homéostasie. Walter B. Cannon

2-https://martialartscultureandhistory.com/la-reponse-combat-fuite-et-ses-alternatives/

3-Histoire romaine. Tite-Live

4-Eloge de la fuite. H.Laborit

5-https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02351121/document. L. Milia-Nieuwenhuis

6-L'agressivité détournée. H.Laborit