L'émergence
Selon S.Poinat : "La réduction et l’émergence sont deux façons concurrentes de comprendre les rapports entre un système global et les sous-systèmes qui le composent. Sans chercher à donner immédiatement une définition de ces deux notions, on peut caractériser leur opposition de la façon suivante : alors que la réduction vise à expliquer le comportement du système global uniquement par le comportement de ses sous-systèmes pris isolément et par les lois générales supposées régir leur association, l’émergence considère que cette forme d’explication est impossible pour certains systèmes composés, qui présentent ainsi quelque chose de nouveau par rapport à leurs composantes. Or, au regard de leur place et des rôles qu’elles ont joué dans l’histoire des sciences, il y a une disproportion évidente entre l’émergence et la réduction. L’émergence est une notion qui apparaît tardivement, principalement au début du XXe siècle, et qui occupe une place très secondaire dans l’histoire. Au contraire, la réduction est une notion beaucoup plus ancienne, et qui joue un rôle central pour les sciences physiques, depuis leur constitution aux XVIe et XVIIe siècle et jusqu’à aujourd’hui… La différence entre l’émergence et la réduction consiste alors en ceci que : pour la réduction, le comportement du système global est entièrement déductible du comportement des composantes prises séparément et des lois s’appliquant aux autres systèmes composés des mêmes constituants, pour l’émergence, le comportement du système global n’est pas entièrement résultant du comportement des composantes de ce système. Le comportement du système global présente des aspects nouveaux, que l’on ne peut pas expliquer à partir des composantes du système prises isolément et des lois relatives aux autres systèmes composés ayant les mêmes constituants."(1)
H.Atlan distingue une émergence triviale : "L'émergence est d'une certaine façon triviale en ce qu'elle est toujours semblable à elle-même pour toutes les molécules d'eau et qu'elle peut être prédite à priori : deux atomes d'hydrogène et un atome d'oxygène produiront toujours la même émergence d'une molécule d'eau"; et une émergence non triviale : "Une part d'aléatoire, donc d'indéterminé ou au minimum d'inconnu, intervient dans ses mécanismes". "Une telle émergence est non triviale en ce qu'elle comporte toujours une part d'imprédictibilité. C'est cela qui peut se traduire par une adaptabilité à des conditions nouvelles grâce à laquelle de nouvelles structures ou de nouvelles fonctions apparaissent, en réaction à des perturbations imprévues. La part d'imprédictibilité dans ces mécanismes n'est évidemment pas liée à l'effet de forces mystérieuses telles que, par exemple, celles de la Vie, comme c'était le cas pour la notion d'émergence développée au XIXe siècle dans le cadre des philosophies de la Vie et des théories vitalistes dont elles s'inspiraient. Cette imprédictibilité relative est ici le fait de deux facteurs qui caractérisent les mécanismes d'émergence des systèmes auto-organisateurs : le hasard et la complexité"(2).
L'émergence découle de structures auto-organisées : "L'auto-organisation est un mécanisme ou un ensemble de mécanismes par lesquels des structures sont produites au niveau global d'un système à partir d'interactions entre ses constituants à un niveau d'intégration inférieur. Les interactions entre constituants sont elles-mêmes produites localement sans aucune référence à une structure globale préconçue. Au contraire, celle-ci est une propriété émergente du système et non une propriété imposée de l'extérieur du système".
[Cette auto-organisation], écrit H.Atlan, "nous semble étrange parce que nous sommes habitués à ce que l'organisation soit une production humaine, un fruit de l'art ou le résultat de planifications rationnelles au service de nos projets et de nos activités intentionnelles, créatrices de structures et de fonctions. Nous avons du mal, de prime abord, à imaginer qu'un ordre spontané et une activité prime abord, à imaginer qu'un ordre spontané et une activité fonctionnelle puissent se créer d'eux-mêmes, dans la nature, en dehors de toute intervention humaine... ou surnaturelle. Les êtres organisés, c'est-à-dire les organismes vivants, ont, pour cette raison, été longtemps considérés comme produits par l'activité créatrice d'une intelligence planificatrice surnaturelle. Ils ont été utilisés pour cela dans l'une des preuves de l'existence de Dieu qui a eu la vie la plus dure… Mon propos n'est pas de discuter de l'existence de Dieu, dont on sait par ailleurs que beaucoup en sont convaincus (ou non) à partir d'autres arguments ou d'autres expériences intérieures… [mais] de montrer que l'auto-organisation est possible dans la nature, en dehors de toute intervention planificatrice humaine ou autre, et qu'on en observe des phénomènes dans le monde vivant, mais pas seulement".
J.Ricard propose cette lecture de ce qu'il nomme "l'immuable et l'inerte, le mouvant et l'émergent". Il écrit : "Il peut paraître surprenant que certaines idées, qui sont à la base même des théories scientifiques globalement admises aujourd'hui, ont été formulées très tôt dans l'histoire de la pensée. Le cas des atomes est probablement emblématique d'une telle situation. Les notions d'atomes et de molécules furent évoquées à l'orée de la pensée occidentale par Leucippe, Démocrite, Epicure puis, plus tard, par Lucrèce dans le beau poème De Natura Rerum. Ces notions ne furent établies expérimentalement qu'au cours du XXe siècle. Une bonne partie de l'histoire de la physique a ainsi oscillé entre des opinions opposées concernant la structure de la matière, l'une prônant l'existence des atomes et des molécules, l'autre la niant. On peut évidemment se poser la question de savoir ce qui a pu pousser des philosophes qui, plusieurs siècles avant notre ère, étaient aussi des scientifiques, à formuler l'idée de l'existence de l'atome alors qu'aucune observation expérimentale ne pouvait le suggérer. Tout se passe comme si la connaissance progressait parfois par formulation d'hypothèses audacieuses suivies, beaucoup plus tard, par des tentatives expérimentales de confirmation ou d'infirmation… De manière très schématique, on peut distinguer parmi les philosophes présocratiques deux grands courants de pensée, le courant Milésien ou Ionien et le courant Eléate. Le premier ambitionne de connaître le monde sensible par l'observation et le raisonnement, tout en admettant la réalité du changement et de l'évolution. Le second recherche derrière les descriptions du monde une réalité cachée et intangible qui lui donne sens… Anaximandre était un éminent représentant de l'école Milésienne. Comme Thalès il était moniste et pensait que la totalité de ce qui existe dans l'univers provient de la transformation d'une substance originelle… Anaximandre semble aussi avoir été le premier à formuler l'idée d'une sorte d'évolution pré-darwinienne. Il professait en effet l'opinion que l'espèce humaine provient de la transformation d'autres espèces animales… Le courant Eléate est à l'opposé du courant Milésien et est représenté principalement par Parménide. Celui-ci professait que le flux Héraclitéen n'existe pas, que tout est immuable et que l'idée même de non-être est dépourvue de sens… La conséquence immédiate de l'argumentation de Parménide est qu'il faut faire une différence radicale entre l'être et l'apparence. La seule réalité connaissable est celle qui procède de la pensée pure et du raisonnement et non celle qui requiert l'observation du monde sensible. Cette dernière ne peut conduire qu'à l'illusion. Le monisme ionien est donc abandonné au profit d'un Etre immuable qu'il convient de connaître par le truchement de la philosophie. Le monde serait ainsi constitué d'une matière unique. Cette idée selon laquelle l'observation et l'expérience ne peuvent que conduire à l'illusion aura un grand succès en philosophie"(3). Nous rajoutons ces lignes tirées de l'ouvrage de J.Ricard à propos de la conception du monde selon Spinoza, parce que ce propos sera repris dans la suite de notre article par H.Atlan pour définir son approche de l'émergence : "La métaphysique de Spinoza est ainsi basée sur l'idée que le monde est constitué d'une seule Substance : Dieu identifié à l'ensemble de la Nature. Cette idée peut donc être considérée comme une réminiscence de la doctrine de Parménide. Dans la métaphysique de Spinoza, Dieu possède une infinité d'attributs qui représentent et définissent son essence même. De tous ces attributs, il est possible d'en connaître deux seulement : la pensée et l'étendue. Dieu n'est donc pas esprit pur. Il est aussi matière puisque l'étendue est l'un de ses attributs. Dieu conduisant son action dans le monde matériel, il doit nécessairement exister quelque chose de commun entre Dieu, cause de toute chose, et les évènements matériels qui procèdent de son action. Ainsi, la substance matérielle ne peut être conçue indépendamment de la substance divine, car aucune substance ne peut exister hors de Dieu. Dans ce Système, la Nature, identifiée à Dieu, doit être continuellement impliquée dans un processus d'auto-création. La définition, dans cet ensemble complexe d'objets, au moyen de leur limite logique ou physique, revient à définir ces objets par ce qu'ils ne sont pas. Selon le mot de Spinoza «toute détermination est une négation». Cette vision panthéiste, qui identifie l'ensemble du monde à un système global qui est Dieu lui-même, est évidemment à l'opposé de toute conception du monde dérivée de la révélation judéo-chrétienne. D'après Spinoza, tout, dans un tel système, est contrôlé avec une absolue nécessité. Le hasard et le libre arbitre n'ont aucune place dans cette métaphysique. Tout ce qui advient en ce monde est une manifestation de l'omniprésence de Dieu et rien, en ce système, ne peut ressembler aux notions de péché et de damnation. Le fait de considérer que les deux attributs de Dieu, ou du Tout, que nous pouvons connaître, c'est-à-dire la pensée et l'étendue, entraîne des difficultés de nature théologique. La principale d'entre elles réside dans l'idée que, si l'étendue est un attribut de Dieu, dans la mesure où l'étendue est divisible, on renonce à la notion de perfection de Dieu. Spinoza répond à cette critique en soulignant que la division de l'étendue ne peut être conçue de manière abstraite, en séparant par la pensée l'étendue proprement dite des corps et des objets qui la peuplent. L'étendue, en tant qu'attribut de Dieu, est constitutive et dynamique et, à ce titre, ne peut subir de division réductrice. Les idées de Spinoza pourraient être exprimées aujourd'hui dans le langage des sciences de la complexité et de l'émergence. La Nature est un Tout cohérent, un écosystème planétaire qui ne peut être divisé que de manière conventionnelle ou arbitraire".
H.Atlan souligne les malentendus pouvant survenir sur la signification des modèles censés montrer comment «l'esprit émerge du corps» ou aussi bien «la vie émerge de la matière» : "Admettre que l'esprit émerge du corps nous ramène à une ontologie dualiste où la matière causerait la pensée sans que l'on puisse comprendre comment, en dehors de l'invocation d'une « survenance ». Il en est de même de la vie émergeant de la matière. Dans ce cas, le malentendu est peut-être encore plus évident en nourrissant cette fois un néovitalisme censé être fondé sur les théories de l'auto-organisation". Dans les lignes suivantes, il fait part de sa conception de l'émergence : "Nous devons nous interroger sur la nature causale de la relation entre une propriété émergente à un niveau global et les phénomènes à partir desquels elle est émergente au niveau plus élémentaire. En outre, l'émergence est-elle dans la nature des choses ou bien dans le modèle qui les représente, c'est-à-dire dans l'«idée» de ces choses que le modèle nous apporte ? Une approche spinoziste de ces deux questions consiste à n'en voir là qu'une seule, dont la réponse est la suivante. La connaissance par les causes est «adéquate» quand il s'agit de causes totales. Elle est «inadéquate» s'il s'agit de causes partielles. Si le modèle est adéquat, il n'est qu'un autre aspect de l'objet dont il est le modèle, étant en fait, en tant que son idée comme l'idée de tout corps, confondu avec lui. Mais de ce fait, il ne peut pas y avoir de relation causale entre l'objet et son modèle. Les seules relations causales correctement concevables sont entre des idées, c'est-à-dire entre des éléments du modèle, ou entre des éléments constitutifs de l'objet modélisé. Les premières sont appelées des «raisons» et les secondes des «causes», mais elles sont elles aussi identiques, des aspects différents de la même chose. Il en résulte que la propriété émergente dans le modèle est bien causée par les propriétés élémentaires des constituants mais dans le modèle, et que cette propriété émergente dans l'objet matériel (le corps) est aussi causée par les propriétés élémentaires des parties composant ce corps. Toutefois, il n'existe pas de relation causale entre l'idée de cette propriété (c'est-à-dire dans le modèle) et le corps lui-même, ni dans sa réalité globale (avec lequel elle se confond) ni dans celle de ses constituants. Cette distinction peut sembler sans importance dans la plupart des cas que nous avons envisagés. Elle est pourtant capitale quand on envisage l'émergence de propriétés qu'on a l'habitude, sous l'influence de traditions vitalistes, de considérer comme « vitales » au sens où elles exprimeraient une nature différente, la « Vie » ; et encore plus quand on envisage l'émergence de propriétés cognitives, notamment intentionnelles, habituellement rapportées à l'Esprit. C'est le malentendu profond qui s'exprime à propos des modèles d'auto-organisation dans les expressions telles que «la Vie émerge des propriétés auto-organisatrices de la matière » ou encore « l'Esprit émerge des propriétés auto-organisatrices d'un réseau de neurones ». Le langage spinoziste permet ici d'être plus précis. Ce qui émerge d'un réseau matériel auto-organisateur est un comportement global. C'est, par exemple, le comportement d'un cerveau (ou d'une région du cerveau) dont les neurones sont les constituants. Les propriétés cognitives décrites en termes d'esprit sont des idées associées au comportement global du réseau de neurones, dans un modèle où les éléments constituants ne sont pas les neurones eux-mêmes, mais les idées de ces neurones, c'est-à-dire des descriptions abstraites de leurs propriétés individuelles, autrement dit leurs lois de fonctionnement. On peut donc dire que l'esprit, idée d'un corps composé (et de son cerveau), émerge de façon causale des idées des corps élémentaires (les neurones) constitutifs de ce corps. Les relations causales n'existent qu'entre descriptions en termes d'esprit, ou en termes de corps, et non entre corps et esprit, ni dans un sens ni dans l'autre, parce qu'encore une fois corps et esprit sont une seule et même chose décrite de façons différentes. Cette formulation peut sembler inutilement compliquée. En fait, elle seule permet d'éviter à la fois les pièges du causalisme matérialiste classique même renouvelé par le fonctionnalisme suivant lequel les états cérébraux sont causes des états mentaux et ceux de l'idéalisme du sujet transcendantal suivant lequel la pensée produit les corps matériels par leurs raisons suffisantes qui ne sauraient exister sans être conçues. Il en est de même de la « Vie », d'une cellule par exemple, qui émergerait de propriétés physico-chimiques de constituants moléculaires. Ce qui émerge de ces propriétés individuelles, ce sont d'autres propriétés physico-chimiques à un niveau global, et non une autre substance ou nature incommensurable qui serait la « Vie ». Ce monisme radical de la substance unique évite ainsi les apories du matérialisme et de l'idéalisme. Sont aussi évités les mystères du dualisme du corps et de l'esprit (ou d'une âme surajoutée qui animerait les corps vivants), qui implique à la fois leur incommensurabilité et une interaction malgré tout dont la nature reste à jamais mystérieuse"(2).
J.de Rosnay nous invite à considérer la causalité dans un rapport au temps : "Dès que l'on met en cause la chronologie des événements, notre logique perd pied. Elle est mal à l'aise. Pourquoi? Simplement parce que seule la chronologie permet l'explication par les causes. Or, être forcé d'abandonner, ne fût-ce qu'un instant, le principe de causalité, choque profondément notre logique…Il semble que l'on soit enfermé dans un cercle vicieux chaque fois que l'on se pose le problème des origines d'un système complexe. Comme pour le fameux problème de la poule et de l'œuf. Ou celui de l'origine de l'homme : tout homme ou femme descend d'un couple, lui-même engendré par un autre homme et une autre femme. Pour briser le cercle, il avait fallu imaginer à l'origine de l'humanité « un premier couple », créé par la volonté divine. De même pour l'origine de la vie : la vie repose sur un très petit nombre de composés organiques de base que l'on croyait fabriqués exclusivement par la vie. Comment a-t-elle pu commencer en l'absence de ces substances? Réponse: la première cellule a été créée par Dieu. Ou, ce qui revient au même, elle est apparue brusquement, toute assemblée, par le seul fait du hasard… Pourquoi de telles limitations dans notre lecture des phénomènes de l'univers? Probablement en raison de la convention provenant du sens psychologique adaptatif de l'avant/après. Cette convention fait qu'une succession ne nous apparaît logique que dans la mesure où elle est chronologique. Et donc dans la mesure où la flèche du temps pointe vers l'entropie croissante. Nous avons ainsi associé, sans vraiment nous en rendre compte, chronologie et causalité. Il en résulte que « la convention qui définit le sens du temps par l'entropie croissante est inséparable de l'acceptation de la causalité comme méthode d'explication » (Grunbaum). Principe de raison suffisante ou explication causale dépendraient donc de notre sens adaptatif du temps. On comprend pourquoi la physique (et avec elle toute la science) « accepte les explications de type causal (ou l'improbabilité est « donnée » au départ) et refuse les explications de type final (où l'improbabilité est « cueillie » au terme) ». Les limitations de notre pensée atteignent leurs extrêmes lorsque l'on considère le phénomène de l'évolution dans son ensemble : depuis la formation de la matière jusqu'à l'apparition sur la terre des systèmes vivants et des systèmes sociaux"(4)
Enfin la question du hasard et du déterminisme se pose naturellement en premier chef dans un regard sur l'émergence. H.Atlan conclue à une indécidabilité sur la prééminence de l'un sur l'autre dans l'état actuel de la connaissance : "Le rôle du hasard aux différents niveaux d'auto-organisation est évidemment superposé aux déterminismes de toutes sortes dont ceux d'origine génétique et biologique en général sont un cas particulier. Les contraintes des déterminismes l'encadrent et assurent la stabilité temporelle relative des structures et de leurs états fonctionnels, à différentes échelles de temps. Ceci repose une fois de plus la question de la nature du hasard, intrinsèque et ontologiquement irréductible ou « seulement » lié à la finitude de notre connaissance et à notre ignorance des causes, éventuellement irréductible en droit, sinon en fait. La théorie quantique a montré le caractère fondamentalement irréductible du hasard en microphysique, partie intégrante du formalisme probabiliste auquel elle se réduit. Certains y ont vu la preuve du caractère ontologique du hasard et, de ce fait, d'un indéterminisme fondamental, au cœur de la Nature. Un pas de plus est souvent fait, qui à partir de là veut fonder la croyance au libre arbitre de la volonté. Nous avons déjà discuté ailleurs de ces questions, en montrant notamment le caractère fallacieux de la déduction d'un hasard ontologique (intrinsèque) plutôt qu'épistémique (ignorance) à partir du caractère en effet probabiliste de la physique quantique". Plus récemment, lors d'un colloque, Michel Bitbol a finement analysé le caractère particulier de ce formalisme qui décrit un «hasard d'ignorance nécessaire», sur un fond d'indécidabilité quant à sa nature ontologique ou épistémique. C'est à d'autres niveaux que nous rencontrons ici l'aléatoire au cœur de l'organisation du vivant. Malgré quelques tentatives, le formalisme quantique n'est pas apparu pertinent pour traiter de ces phénomènes que la physique classique et la chimie décrivent de façon satisfaisante. C'est pourquoi on est en droit d'y reconnaître un hasard par ignorance, éventuellement réductible par des découvertes nouvelles de déterminismes historiques et de contraintes physico-chimiques. Ceci garde évidemment le caractère d'un postulat de recherche, postulat d'intelligibilité et de déterminisme de la nature nécessaire à la recherche de ces déterminismes, plutôt que d'une décision qui serait fondée sur l'état actuel des sciences biologiques. Autrement dit, ce qu'il en est « réellement » du hasard et du déterminisme de la nature reste indécidable, à quelque niveau d'analyse que l'on se place"(2).
1-Émergence et réduction dans l’histoire des sciences physiques. S. Poinat
2-Le vivant post-génomique. H.Atlan
3- Pourquoi le Tout est plus que la Somme de ses Parties. J.Ricard
4-Le macrocosme. J.de Rosnay