Vivre le vivant
J.de Rosnay nous présente ainsi le monde du vivant: "Les êtres vivants se divisent grossièrement en deux grands règnes : les animaux et les végétaux. Ils se distinguent l'un de l'autre par leur mode respectif de nutrition. Les animaux se nourrissent de végétaux ou d'autres animaux ; ils ne fabriquent pas leurs propres aliments, se contentant de les emprunter ailleurs. On dit qu'ils sont hétérotrophes. En revanche, les végétaux, grâce à la chlorophylle, transforment l'énergie lumineuse du soleil en énergie chimique et utilisent cette énergie pour fabriquer les aliments et les combustibles qui leur servent à entretenir leurs réactions vitales : ce sont des autotrophes. S'il est facile de classer un chien parmi les animaux et un arbre parmi les végétaux, on hésite à ranger dans une de ces catégories des organismes comme les protistes qui se comportent tantôt comme des animaux, tantôt comme des végétaux. Quant aux virus, certains scientifiques discutent encore pour savoir si ce sont des molécules chimiques complexes ou s'il faut les ranger parmi les êtres vivants. Autre particularité très importante de ces micro-organismes primitifs, par rapport aux animaux et végétaux supérieurs : ils ne sont composés que d'une seule unité morphologique élémentaire, la cellule, goutte microscopique de gelée vivante. Cependant, il faut noter que tous les organismes supérieurs, formés de millions de milliards de ces cellules, passent également par le stade unicellulaire : au moment de la reproduction sexuée. D'autre part, toutes leurs cellules, aussi complexes et spécialisées qu'elles puissent être, possèdent une structure comparable à celle du plus simple des protistes"(1).
Parmi ces protistes, il met en correspondance une cellule microscopique animale et une cellule microscopique végétale : "La paramécie représente l'être vivant unicellulaire le plus perfectionné que l'on connaisse. Cette cellule primitive réalise déjà à elle seule les principales fonctions de mouvement, de digestion, d'assimilation et de reproduction que les êtres vivants supérieurs n'accomplissent qu'avec l'aide de tissus formés de milliards de cellules et groupés en organes perfectionnés. Les algues flagellées sont d'autres micro-organismes très communs, et présents en grande quantité dans l'eau. La paramécie se déplace à l'aide de cils. Chlamydomonas (c'est le nom d'une de ces algues microscopiques) se meut très activement grâce à deux flagelles qui battent l'eau vers l'avant à la manière de deux fouets minuscules. Sa taille est très inférieure à celle de la paramécie : elle n'atteint qu'une dizaine de microns; mais, dans cet espace restreint, la nature a réussi à concentrer tout ce dont le petit organisme a besoin pour survivre et se reproduire. Ses organes internes, inclus dans le cytoplasme, sont, relativement, aussi importants que ceux de notre corps, cerveau, foie ou reins… La présence de chlorophylle et de cellulose devrait permettre de classer sans équivoque cette algue parmi les végétaux. Pourtant, placée dans l'obscurité, elle se «nourrit» comme n'importe quel animal de produits organiques puisés dans le milieu. De l'animal, elle possède aussi la mobilité. Elle se déplace vers une faible source de lumière grâce à une tache photo-sensible, véritable «œil» rudimentaire. Si l'on ajoute à ces étonnantes propriétés que l'algue Chlamydomonas peut se reproduire sexuellement (il existe, en effet, un type mâle et un type femelle), on comprend à quel point ce petit organisme, si différent de l'homme par la taille et par son «passé» beaucoup plus lointain, lui est cependant proche par les fonctions qu'il accomplit"(1).
Selon S.Mancuso et A.Viola : "À la différence des animaux, les plantes sont des êtres sédentaires dont la quasi-totalité vit enracinée dans le sol. Pour survivre à une telle situation, elles ont évolué de manière à se nourrir, à se reproduire et à se défendre autrement que les animaux, et développé des organismes modulaires destinés à faire face aux attaques extérieures. Ce choix leur a permis de réduire les effets de la prédation animale, par exemple lorsqu'un herbivore mange une partie de leur feuillage ou de leur tronc. Chez elles, il n'y a pas d'organes individualisés comme le cerveau, le cœur, les poumons, l'estomac, car leur lésion ou leur ablation par ce même herbivore compromettrait la survie de la totalité de l'organisme. Aucune de leurs parties n'est irremplaçable : presque entièrement redondante, leur structure est constituée de modules répétés interactifs capables, à certaines conditions, d'assurer à eux seuls leur propre survie. Toutes ces caractéristiques distinguent les plantes des animaux et les rendent plutôt semblables à une colonie qu'à un individu. Cette différence structurelle par rapport à nous a une autre conséquence : les végétaux nous apparaissent si distants, lointains, étrangers, que nous avons parfois du mal à nous souvenir qu'ils sont vivants"… Chez les plantes, les fonctions cérébrales ne sont pas séparées des fonctions corporelles: elles coexistent dans chaque cellule. On a ici un parfait exemple de ce que les spécialistes de l'intelligence artificielle appellent un embodied agent, un agent intelligent qui interagit avec le monde par l'intermédiaire de son corps… Comme nous le savons bien désormais, toute plante enregistre en permanence un grand nombre de paramètres environnementaux : ensoleillement, humidité, gradients chimiques, présence d'autres plantes ou d'animaux, champs électromagnétiques, pesanteur... Sur la base de ces données, elle est appelée à prendre des décisions relatives à la recherche de son alimentation, à la compétition avec ses rivales, à sa protection contre ses ennemis, à ses relations avec ses congénères et la faune locale"(2).
A la suite de leurs travaux, ils écrivent : "De nos jours, les scientifiques savent pourtant très bien que la différence entre les plantes et les animaux n'est pas qualitative mais quantitative. Les seconds utilisent la matière et l'énergie produites par les premières, qui, de leur côté, exploitent l'énergie solaire pour satisfaire leurs propres besoins. Les animaux dépendent donc des plantes, et les plantes du soleil. On en arrive ainsi à une conception plus générale de la vie végétale et à la compréhension de son rôle dans la biosphère : les plantes y servent d'intermédiaires entre le soleil et le règne animal. Leurs organites cellulaires les plus caractéristiques, appelés «chloroplastes», constituent le trait d'union entre toutes les activités du monde organique (c'est-à-dire de tout ce que nous désignons sous le mot «vie ») et le cœur énergétique de notre système planétaire… Les études les plus récentes ont montré qu'elles sont douées de sensibilité, qu'elles communiquent entre elles et avec les animaux, qu'elles dorment, qu'elles mémorisent des données et qu'elles sont même capables de manipuler d'autres espèces. En outre, elles méritent de plein droit le qualificatif d'intelligentes. Leurs appareils racinaires se déploient sans cesse à l'aide d'innombrables centres de commandement, dont l'ensemble les guide à la manière d'une sorte de cerveau collectif, ou plutôt d'intelligence distribuée qui, en augmentant et en se développant, assimile des informations capitales pour leur nutrition et leur survie. Les acquis récents de la biologie végétale permettent aujourd'hui de voir en elles des organismes dotés d'une faculté bien établie d'acquérir, d'emmagasiner, de partager, d'élaborer et d'utiliser des informations tirées de leur environnement. La neurobiologie végétale a pour principal domaine de recherche la façon dont ces brillantes créatures se les procurent et les transforment de manière à adopter un comportement cohérent".
Nous revenons vers J.de Rosnay qui expose le caractère capital de l'énergie solaire dans le processus du vivant :"Tandis que se poursuit ce nivellement irréversible, une grandeur physique s'accroît ; cette grandeur abstraite, les physiciens l'appellent l'entropie. Elle mesure le degré de «dégénérescence» ou d'«usure» de l'énergie, ainsi que le degré de désordre d'une structure organisée. Pour lutter contre les effets de l'entropie —énergie «usée»—, et éviter ce nivellement énergétique qui est la mort, la cellule a donc un besoin constant d'énergie «fraîche». Cette énergie est continuellement empruntée à l'extérieur sous forme d'aliments ; c'est ce qui explique pourquoi tout être vivant —même le plus simple— est obligé de se nourrir. La cellule a également besoin d'énergie pour accomplir un certain travail. Ainsi, quand elle se meut à l'aide de flagelles ou de cils, quand elle se contracte, elle effectue un travail mécanique. Au cours des synthèses chimiques internes, dans la conduction de faibles courants électriques, ou dans le transport de substances à travers sa membrane, la cellule effectue un travail chimique, électrique, ou de transport. A plus ou moins long terme, l'énergie chimique contenue dans les aliments absorbés ou fabriqués par les êtres vivants provient en définitive du Soleil. Les aliments sont en quelque sorte de l'énergie solaire en conserve. Sans le Soleil, toute vie sur la Terre aurait été impossible. Mais sous quelle forme cette énergie parvient-elle jusqu'à la Terre? Le Soleil émet en permanence, dans tout l'espace environnant, un rayonnement que nous appelons ultraviolet, lumière, chaleur, mais qui est en réalité de nature unique : c'est le rayonnement électromagnétique. Il se propage dans l'espace vide à une très grande vitesse et contient, suivant sa longueur d'onde et sa fréquence, une certaine quantité d'énergie utilisable. Cette énergie se trouve sous forme de petits «paquets» que l'on appelle des photons. Quand nous nous trouvons devant une ampoule électrique, un feu ou un émetteur de radio, nous sommes en permanence bombardés par des myriades de photons. Plus la longueur d'onde du rayonnement est courte, plus la quantité d'énergie portée par le photon est grande. Le flux d'énergie émis par le Soleil atteint notre Terre sous forme de photons dont l'énergie utilisable décroît de l'ultraviolet aux rayons calorifiques. Le schéma de l'«économie» de l'énergie solaire dans le monde vivant a la forme d'un circuit bouclé sur lui-même... Ce circuit comprend deux étapes essentielles. La première étape est la transformation de l'énergie lumineuse du soleil en énergie chimique. Autrement dit, l'énergie électromagnétique des photons est mise en réserve dans les liaisons chimiques d'un composé bien connu : le glucose. Cette opération, appelée photosynthèse (v.Note), libère dans l'atmosphère de l'oxygène gazeux. Elle s'accomplit généralement dans les cellules spécialisées des plantes vertes, mais déjà, nous l'avons vu, des micro-organismes primitifs comme l'algue Chlamydomonas la réalisaient. Au cours de la deuxième étape, le glucose, servant cette fois d'aliment, est «brûlé» en présence d'oxygène, dans les cellules des animaux et des plantes. Cette combustion «froide», appelée respiration, fournit de l'énergie directement utilisable par la cellule sous forme de «petite monnaie». Cette monnaie circulante est le combustible interne utilisé par tous les êtres vivants sans exception. Le nom de cette molécule très importante est l'ATP. Les produits de la respiration sont le gaz carbonique et l'eau. Voilà pourquoi animaux et végétaux ne peuvent vivre l'un sans l'autre la plante fournit le glucose et l'oxygène —agents essentiels de la respiration—, cependant que l'animal lui renvoie le gaz carbonique, source de carbone minéral, à partir duquel la plante verte fabrique les composés organiques dont elle a besoin"(1).
Nous nous sommes interrogés sur la finalité du vivant à travers son évolution. "Dans le vivant, la vie semble être à elle-même sa propre finalité : c’est ce que Kant nomme la «finalité interne». Le vivant veut persévérer dans l’existence, et c’est pourquoi il n’est pas indifférent à son milieu, mais fuit le nocif et recherche le favorable. La vie veut vivre : tout dans l’être vivant semble tendre vers cette fin, écrit G. Nicaise(3). Il cite un passage de Darwin dans L’origine des espèces. : "Tous ces résultats (…) sont la conséquence de la lutte pour l’existence. C’est grâce à cette lutte que les variations, si minimes qu’elles soient par ailleurs, et quelle qu’en soit la cause déterminante, tendent à assurer la conservation des individus qui les présentent, et les transmettent à leurs descendants, pour peu qu’elles soient à quelques degrés utiles et avantageuses à ces membres de l’espèce, dans leur rapport si complexes avec les autres êtres organisés, et les conditions physiques dans lesquelles ils se trouvent. Leur descendance aura ainsi plus de chances de réussite ; car, sur la quantité d’individus d’une espèce quelconque qui naissent périodiquement, il n’en est qu’un petit nombre qui puissent survivre. J’ai donné à ce principe, en vertu duquel toute variation avantageuse tend à être conservée, le nom de sélection naturelle, pour indiquer ses rapports avec la sélection appliquée à l’homme".
Nous voulons citer à la suite ce propos de S. Jay Gould : "Si la contingence n'avait opéré qu'une seule fois, et qu'une prédictibilité fondée sur le progrès eût ensuite prévalu, peut-être alors pourrions-nous considérer qu'après un tirage chanceux à la loterie de la vie l'apparition de l'homme aurait été quasi inévitable. Mais la contingence est un principe fractal et prévaut avec force à toutes les échelles. Lors de n'importe laquelle des centaines de milliers d'étapes de la séquence particulière qui a donné l'être humain actuel, toute variation infime et parfaitement plausible aurait produit un résultat différent, et aurait précipité l'histoire sur une autre trajectoire qui n'aurait jamais conduit à Homo sapiens, ou à toute autre créature dotée d'une conscience. Si les poissons d'une petite lignée bizarre n'avaient pas développé des nageoires capables de supporter leur poids sur la terre ferme (même si elles se sont formées pour d'autres raisons dans les lacs et les océans), les vertébrés terrestres ne seraient jamais apparus. Si un énorme corps extraterrestre —dernière balle perdue provenant du ciel— n'avait pas déclenché l'extinction des dinosaures, il y a soixante-cinq millions d'années, les mammifères seraient encore de petites créatures, marginalisées dans un monde de dinosaures, et incapables d'acquérir une plus grande taille pour loger un cerveau suffisamment gros pour engendrer une conscience. Si une petite et fragile population de protohumains n'avait pas survécu aux innombrables dangers des savanes africaines (et à des extinctions potentielles), Homo sapiens ne serait jamais apparu pour coloniser la planète entière. Nous sommes les glorieux accidents d'un processus imprédictible ne témoignant d'aucune tendance à une plus grande complexité, et non le résultat prévisible de principes évolutifs destinés à produire une créature capable de comprendre les mécanismes de sa propre création"(4).
A propos de contingence, S.Jay Gould écrit : "J'estime que la reconsidération de la faune de Burgess et sa mise en perspective par l'expérience fictive consistant à redérouler le film de la vie fournissent un puissant soutien à cette façon différente d'envisager l'évolution de la vie : chaque fois que l'on redéroule le film, l'évolution prend une voie différente de celle que nous connaissons. Mais si les conséquences qui en découlent sont tout à fait différentes, cela ne veut pas dire que l'évolution est absurde et dépourvue de tout contenu signifiant : quand on redéroule le film, on s'aperçoit que chaque nouvelle voie empruntée est tout aussi interprétable, tout aussi explicable a posteriori que celle qui a été réellement suivie et que nous connaissons. Mais la diversité des itinéraires possibles montre à l'évidence que les résultats finaux ne peuvent être prédits au départ. Chacune des étapes a ses propres causes, mais on ne peut dire quels états finaux seront réellement atteints; et aucun de ceux-ci ne sera à nouveau obtenu lorsqu'on redéroulera le film, parce que chacune des nouvelles voies de l'évolution se réalise par l'enchaînement de milliers d'étapes imprévisibles. Changez faiblement les événements initiaux, si faiblement que cela peut paraître sur le moment n'avoir qu'une minime importance, et l'évolution se déroulera selon une direction toute différente"(5).
A travers le récit du vivant, S.Jay Gould développe sa thèse sur la contingence –"la contingence est une chose en soi, et non la combinaison du déterminisme et du hasard"–: "La vie est apparue il y a 3,5 milliards d'années, dès que la Terre a été assez froide pour que soit assurée la stabilité des principaux composés chimiques. (Soit dit en passant, je ne pense pas que l'apparition de la vie ait résulté d'un événement imprédictible, dû au hasard. Je suppose que, étant donné la composition de l'atmosphère et des océans primitifs, la naissance de la vie était une nécessité chimique. La contingence s'est mise à jouer plus tard, lorsque la complexité de l'histoire a imprégné tout le cours de l'évolution). Au regard de la vieille croyance au progrès constant, rien ne serait plus étrange que les premiers stades de l'évolution de la vie —car pas grand-chose ne se produisit pendant très longtemps. Les plus vieux fossiles sont des cellules procaryotes datant de quelques 3,5 millards d'années. Les archives fossiles de cette époque contiennent aussi la plus haute forme de complexité macroscopique qu'aient pu donner ces procaryotes : les stromatolithes. Il s'agit de minces couches circulaires constituées par des sédiments piégés et agglomérés par des cellules procaryotes. Ces couches s'empilaient les unes au-dessus des autres à mesure que les marées les recouvraient et qu'il s'en reformait —et l'ensemble finissait par ressembler à un chou en coupe transversale (et aussi par la dimension). Les stromatolithes et les procaryotes qui les édifiaient ont dominé la scène paléontologique dans le monde entier pendant deux milliards d'années. Les premières cellules eucaryotes (les cellules complexes classiques des manuels, dotées de noyaux et de nombreuses structures cytoplasmiques) apparurent il y a environ 1,4 milliard d'années. On soutient traditionnellement qu'il fallait nécessairement des cellules eucaryotes pour que puissent apparaître ensuite des organismes multicellulaires complexes, ne serait-ce que parce que la reproduction sexuée requiert des paires de chromosomes, et que seule la sexualité peut fournir la variation biologique nécessaire pour que la sélection naturelle puisse édifier toujours plus de complexité. Mais les animaux multicellulaires ne surgirent pas tout de suite après les premières cellules eucaryotes. Ils firent leur première apparition juste avant l'explosion cambrienne, il y a environ 570 millions d'années. Donc, pendant plus de la moitié de l'histoire de la vie, la scène n'a été occupée que par les seuls procaryotes, et les animaux cellulaires n'y ont paru que dans la dernière tranche représentant le sixième de la durée totale de l'histoire de la vie. Un tel retard et une pareille longueur de temps mort suggèrent que la contingence a dû jouer et que d'innombrables possibilités n'ont pas été réalisées. S'il était nécessaire que les procaryotes «progressent» vers la complexité eucaryote, il faudrait en conclure qu'ils y ont mis le temps ! En outre, lorsqu'on considère l'hypothèse la plus en vogue sur l'origine des cellules eucaryotes, on entre dans le royaume des effets annexes et erratiques comme sources de changement imprédictible. La meilleure théorie actuelle admet qu'au moins certains des organites majeurs —les mitochondries et les chloroplastes presque sûrement, et d'autres organites avec moins de certitude— sont les descendants de cellules procaryotes entières, ayant évolué de façon à vivre symbiotiquement à l'intérieur d'autres cellules (Margulis, 1981). Selon cette conception, toute cellule eucaryote est la descendante d'une colonie cellulaire originelle ayant atteint ultérieurement un fort degré d'intégration. Pour sûr, la mitochondrie qui pénétra pour la première fois dans une autre cellule ne «pensait» pas aux bénéfices futurs de la coopération et de l'intégration ; elle tentait seulement de «gagner sa vie» dans un rude monde darwinien. Par conséquent, cette étape fondamentale dans l'évolution de la vie multicellulaire fut réalisée pour des raisons immédiates tout à fait indépendantes de ses effets lointains sur la complexité organique. Cette histoire paraît donc reposer bien plus sur la contingence que sur des séries de causes et d'effets prédictibles. Et si vous désirez néanmoins regarder l'origine des organites et le passage de la symbiose à l'intégration comme des événements prédictibles s'enchaînant de façon ordonnée, alors dites-moi pourquoi il a fallu attendre plus de la moitié de la durée totale de l'histoire de la vie avant que le processus ne se mette en train… Puisque l'intelligence humaine a surgi il y a seulement une minute géologique, nous devons faire face au fait étonnant que l'apparition de la conscience a nécessité près de la moitié de la durée totale potentielle de la Terre. Étant donné les erreurs et les incertitudes, les variations dans les vitesses et les directions lors d'autres déroulements possibles du film, jusqu'à quel point pouvons-nous être sûrs que nos aptitudes mentales distinctives doivent nécessairement finir par apparaître? Redéroulez le film de nouveau, et même si des directions générales identiques se manifestent, il faudra peut-être cette fois vingt milliards d'années avant que le niveau de la conscience ne soit atteint —oui, mais la Terre aura été incinérée des milliards d'années avant ! Redéroulez le film, et la première étape du passage des cellules procaryotes aux cellules eucaryotes pourrait prendre douze milliards d'années au lieu de deux milliards— et les stromatolithes, auxquels il n'aurait pas été donné le temps d'aller plus loin, risqueraient d'être les seuls témoins les plus complexes et muets à contempler Armaguedon"(5).
Pour en savoir plus sur le phénomène de "contingence" et l'évolution du vivant, nous avons relu F.Jacob : "L'organisation des systèmes vivants obéit à une série de principes, tant physiques que biologiques : sélection naturelle, énergie minimum, autorégulation, construction en «étages», par intégrations successives de sous-ensembles. La sélection naturelle impose une finalité non seulement à l'organisme dans son entier, mais à chacun de ses constituants. Chez un être vivant, toute structure a été sélectionnée parce qu'elle remplissait une certaine fonction dans un ensemble dynamique capable de se reproduire. C'est donc par leur histoire, par leur continuité, que se distinguent les molécules composant les systèmes vivants. Certaines n'ont pas varié depuis des millions d'années : en un sens, elles restent des copies de celles qui se formèrent jadis. D'autres, au contraire, se sont transformées sous quelque pression de sélection. Nombreuses sont celles qui se sont perdues en route. Plus nombreuses, peut-être, celles qui sont apparues avec des espèces nouvelles, avec l'homme par exemple… Quant à l'architecture en étages, c'est le principe qui régit la construction de tout système vivant, quel que soit son degré d'organisation. Telle est la complexité d'un organisme, même le plus simple, qu'il n'aurait vraisemblablement jamais pu se former, se reproduire, évoluer, si l'ensemble avait dû s'agencer pièce par pièce, molécule par molécule, comme une mosaïque. Au lieu de cela, les organismes s'édifient par une série d'intégrations. Des éléments similaires viennent s'assembler en un ensemble intermédiaire. Plusieurs de ces ensembles s'associent alors pour constituer un ensemble de niveau supérieur et ainsi de suite. C'est donc par la combinaison d'éléments de plus en plus élaborés, par une articulation de structures subordonnées les unes aux autres, que naît la complexité des systèmes vivants. Et si à chaque génération ces systèmes peuvent se reproduire à partir de leurs éléments, c'est qu'à chaque niveau la structure intermédiaire est thermodynamiquement stable. Les êtres vivants se construisent ainsi par une série d'empaquetages. Ils sont agencés selon une hiérarchie d'ensembles discontinus. A chaque niveau, des unités de taille relativement bien définie et de structure à peu près identique s'unissent pour former une unité à l'échelon suivant. Chacune de ces unités constituées par l'intégration de sous-unités peut être désignée par le terme général d'intégron. Un intégron se forme par l'assemblage d'intégrons de niveau inférieur ; il participe à la construction d'un intégron de niveau supérieur. Cette hiérarchie d'intégrons, ce principe de la boîte faite de boîtes est illustré déjà au niveau microscopique, dans l'élaboration des structures protéiques au sein de la cellule. On peut en effet distinguer trois étapes dans l'édification de ces structures. Dans la première, les éléments inorganiques sont convertis en petites molécules spécifiques, les sous-unités protéiques, par une série de réactions enzymatiques. C'est sur l'association entre enzymes et substrats, sur leur équilibre, que se fonde la spécificité des réactions. C'est par l'interaction des enzymes avec certains métabolites qu'est coordonnée leur vitesse. Dans une seconde étape, les polymères sont assemblés le long de matrices où viennent s'aligner en ordre précis des sous-unités. Cet agencement repose sur des associations spécifiques qui ne font encore intervenir aucune liaison chimique. C'est seulement une fois en place que les sous-unités sont enchaînées l'une à l'autre par l'action d'enzymes. Dans une troisième étape enfin, les chaînes protéiques se replient et s'assemblent en superstructures. Pour les plus simples de celles-ci, l'assemblage résulte des seules propriétés d'association que confère aux constituants leur structure : l'affinité des éléments entre eux suffit à l'agencement du système qui s'élabore spontanément. Pour les plus complexes, interviennent peut-être des sortes de «centres» dans l'organisation des autres éléments. Centres qui peuvent fonctionner, soit comme agents de structure pour modifier la conformation d'autres constituants, soit comme des sortes d'enzymes pour accélérer leur association, soit même comme matrices pour favoriser un agencement particulier parmi ceux qu'autorise la thermodynamique. Mais de toute façon, les arrangements possibles pour une structure organisée dépendent des énergies de liaison entre éléments. De toute façon, ils constituent une propriété d'équilibre du système. Même s'il existe de tels centres, leur formation reste déterminée par les interactions des constituants. En fin de compte, les structures les plus complexes s'échafaudent par une série d'étapes où les intermédiaires peuvent servir, non seulement de matériaux, mais le cas échéant d'agents pour l'édification de la structure suivante. Jusqu'à nouvel ordre, seuls les éléments incorporés dans la structure sont requis pour sa construction. C'est par l'assemblage spontané des constituants que se forment les êtres vivants"(6).
Avec F.Jacob, nous voulons revenir vers la finalité du vivant : " Tout le monde s'accorde à voir une direction dans l'évolution. Malgré les erreurs, les culs-de-sac, les tâtonnements, un certain chemin a été parcouru pendant plus de deux milliards d'années. Mais décrire l'orientation que la sélection naturelle a imprimée au hasard est chose difficile. Les mots de progrès, progression, perfectionnement la qualifient mal. Ils évoquent trop la régularité, le dessein, l'anthropomorphisme. Les critères n'en sont pas définis. Si c'est l'adaptation pour survivre, le colibacille apparaît tout aussi bien adapté à son milieu que l'homme au sien. Les mots de complication, de complexité ne s'appliquent guère mieux. Il y a des complications gratuites ; d'autres qui, par leur spécialisation, interdisent toute possibilité d'évolution ultérieure. Ce qui caractérise peut-être au plus près l'évolution, c'est la tendance à l'assouplissement dans l'exécution du programme génétique; c'est son «ouverture» dans un sens qui permet à l'organisme d'accroitre toujours plus ses relations avec son milieu et d'étendre ainsi son rayon d'action. Chez un être aussi simple qu'une bactérie, le programme est d'une grande rigidité d'exécution. Il est «fermé» en ce sens que l'organisme ne peut, d'un côté recevoir du milieu qu'une information très limitée, de l'autre y réagir que de manière strictement déterminée. Tout ce que perçoit une bactérie, c'est la présence ou l'absence de certains composés dans le milieu de culture. Tout ce qu'elle apporte comme réponse, c'est la production ou non des protéines correspondantes. Perceptions et réactions se réduisent chacune à une alternative, à oui ou non. Les «succès» de l'évolution aboutissent à accroître corrélativement la capacité de percevoir et celle de réagir. Pour que se différencie l'organisme, pour qu'il gagne en autonomie, qu'il étende ses échanges avec le dehors, il faut que se développent non seulement les structures qui lient l'organisme à son milieu, mais aussi les interactions qui coordonnent les constituants de l'organisme. Au niveau macroscopique, l'évolution repose donc sur la constitution de nouveaux systèmes de communication, aussi bien au sein de l'organisme qu'entre lui et ce qui l'entoure. Au niveau microscopique, cela se traduit par la modification des programmes génétiques, en qualité et quantité. Que l'évolution soit due exclusivement à une succession de micro-événements, à des mutations survenant chacune au hasard, le temps et l'arithmétique s'y opposent. Pour extraire d'une roulette, coup par coup, sous-unité par sous-unité, chacune des quelque cent mille chaînes protéiques qui peuvent composer le corps d'un mammifère, il faut un temps qui excède, et de loin, la durée allouée au système solaire. C'est seulement chez les organismes très simples que la variation peut s'effectuer exclusivement par petites étapes indépendantes. Il n'y a guère que les bactéries à qui la vitesse de croissance et l'importance des populations permettent d'attendre l'apparition d'une mutation pour s'adapter. Si une évolution est devenue possible, c'est que les systèmes génétiques eux-mêmes ont évolué. A mesure que se compliquent les organismes, se complique aussi leur reproduction. Toute une série de mécanismes apparaissent qui, reposant toujours sur le hasard, concourent à réassortir les programmes et obligent au changement: la dispersion du programme génétique sur plusieurs chromosomes; la présence de chaque chromosome non plus en un, mais en deux exemplaires dans chaque cellule; ,alternance de phases à un ou deux jeux de chromosomes durant le cycle de vie; la ségrégation indépendante des chromosomes; la recombinaison par cassure et réunion des chromosomes homologues; etc.".
Note : L'importance de la photosynthèse est vitale pour notre planète. Sans l'action durant des millions d'années des premiers organismes photosynthétiques, l'atmosphère ne se serait pas chargée des niveaux d'oxygène qui ont permis la formation de la couche d'ozone. Sans la couche d'ozone, la radiation ultraviolette du soleil n'aurait pas permis la vie terrestre, reléguant les possibilités de survie aux organismes aquatiques, protégés des rayons UV. La photosynthèse est la responsable de l'oxygène qui permet de vivre à tous les animaux. Néanmoins, il est facile de tomber dans l'erreur de croire que les grandes masses forestières de la planète sont les responsables d'une bonne partie de la production d'oxygène, car ce n'est pas le cas. Les grandes forêts et jungles sont importantes et vitales pour de nombreuses raisons, mais en vérité la respiration des plantes n'apporte pas autant d'oxygène que ce qu'on pourrait croire. Pour trouver la base de la production de l'oxygène sur la Terre, il faut se diriger vers la mer et se mettre à observer des choses très petites. Le phytoplancton est formé d'algues unicellulaires et de cyanobactéries photosynthétiques qui sont invisibles à l'œil nu et que, néanmoins, supposent la base irremplaçable de la chaîne trophique marine et de la production de l'oxygène de notre planète. Entre 50% et 85% de l'oxygène produit actuellement sur la planète, est libéré par ces micro-organismes autotrophes, auxquels on doit pratiquement tout. Il est également important de comprendre que la photosynthèse joue un rôle dans la séquestration du dioxyde de carbone, un gaz à effet de serre. En absorbant le CO2 de l'atmosphère, les plantes et les organismes photosynthétiques contribuent à réduire l'effet de serre et à atténuer le changement climatique. Ainsi, préserver les écosystèmes qui dépendent de la photosynthèse est crucial pour la santé de notre planète. https://www.projetecolo.com/qu-est-ce-que-la-photosynthese-definition-principe-et-formule-19.html
Les êtres vivants tirent leur énergie de l’oxydation des nutriments, et ceci est vrai même pour les plantes chlorophylliennes (qui utilisent l’énergie des photons pour fabriquer de la matière organique qui pourra être oxydée ultérieurement). Cependant, l’énergie libérée lors de cette oxydation n’est pas directement utilisable par les cellules. Elle est captée par un intermédiaire qui, dans l’immense majorité des cas, se révèle être l’ATP. En effet, de très nombreux évènements cellulaires ou réactions métaboliques énergétiquement défavorables peuvent se dérouler grâce à la rupture de la liaison phosphodiester riche en énergie d’une moléculed’ATP. https://planet-vie.ens.fr/thematiques/cellules-et-molecules/les-roles-de-l-atp
1-L'aventure du vivant. J.de Rosnay
2-L'intelligence des plantes. S.Mancuso et A.Viola
3-https://www.guillaumenicaise.com/philosophie/vivant/le%20vivant.pdf
4-L'Eventail du vivant. S.Jay Gould
5-La vie est belle- Les surprises de l'évolution. S.Jay Gould
6-La logique du vivant. F.Jacob