Penser hélicoïdal
Tout est en mouvement dans l'Univers. A l'échelle de l'atome bien sûr, mais aussi au niveau des planètes du système solaire, ou encore du système solaire à l'intérieur de la Voie lactée. "D'après Linda S. Sparke et John S. Gallagher, le Soleil emprunterait une orbite elliptique perturbée par les bras spiraux et la répartition inégale de la masse dans la Galaxie. De plus, relativement au plan galactique, la trajectoire du Soleil oscille environ 2,7 fois par orbite. Des scientifiques ont posé l'hypothèse que ces oscillations coïncidaient avec des extinctions massives du vivant, mais l'analyse du transit du Soleil dans les structures spirales n'a produit aucune corrélation. Le Système solaire complète une orbite autour de la Voie lactée en 240 millions d'années environ, au cours d'une année galactique. Le Soleil aurait donc accompli de 18 à 20 orbites galactiques depuis sa naissance. La vitesse orbitale du Système solaire autour du centre galactique est d'environ 220 km/s. Le Soleil se déplace dans l'héliosphère à 84 000 km/h. À cette vitesse, il parcourt une année-lumière en 1 400 ans, soit une unité astronomique en huit jours" (1).
Ce mouvement se traduit en ellipse, en spirale, en hélice. Ellipse, spirale ou hélice, nous nous référons là-dessus aux définitions données par le dictionnaire: " Il est difficile de trouver une définition générale d'une spirale. Les auteurs semblent s'accorder sur l'idée qu'il s'agit de la trajectoire d'un point tournant autour d'un centre tout en s'en éloignant (ou s'en rapprochant)"(2). "En mathématiques, une spirale est une courbe qui commence en un point central puis s'en éloigne de plus en plus, en même temps qu'elle tourne autour. Le terme spirale se réfère en général à une courbe plane. Lorsqu'une spirale se développe en trois dimensions, on parle plutôt d'hélice… La spirale est un des motifs qui semblent avoir fasciné l'homme depuis la préhistoire, des gravures celtes aux tatouages polynésiens "(3).
Ce mouvement exerce son influence sur les formes présentes dans l'Univers: "On trouve des formes évoquant celles de la spirale dans toutes les échelles du vivant et du monde physique. Le premier type d'occurrence est associé à une croissance combinée avec un mouvement tournant. La spirale est bien connue et bien visible dans les formes de coquilles d'escargots ou de gastéropodes qui se développent de manière orientée -chaque espèce se répartissant majoritairement selon un type soit lévogyre (en regardant le coquillage la pointe placée en avant et l'ouverture en arrière, les spires tournent dans le sens trigonométrique) soit dextrogyre (les spires tournent dans le sens horaire). Les cornes de cervidés (telles celles des béliers et des antilopes) offrent de beaux développements spiralés. La spirale est un peu moins voyante mais fréquente en botanique, avec par exemple la structure du chou romanesco ou de la pomme de pin, la disposition spiralée des graines du tournesol, ou le point d'insertion des feuilles sur la tige (l'angle dièdre passant par l'axe de la tige et deux points qui se succèdent est la divergence, valeur caractéristiques de l'espèce). D'autres spirales sont issues de l'adaptation du vivant à l'environnement. Les animaux à queue comme le caméléon ou l'hippocampe enroulent leur appendice et on retrouve alors la spirale comme on peut l'observer dans une corde enroulée posée au sol. C'est la même forme que l'on peut observer chez des myriapodes. Les plantes grimpantes dessinent des spirales quand elles s'enroulent autour d'un tuteur ou lancent des vrilles pour s'y agripper. Le spirographe déploie ses filaments en spirales pour se nourrir et respirer. Pour construire sa toile, l'araignée procède à la construction successive de deux spirales. On retrouve cette courbe dans la trajectoire des animaux méfiants s'approchant de leur cible. Asa Schaeffer voit même en elle la trajectoire naturelle d'un être vivant privé de ses moyens d'orientation. On observe également une organisation en spirale dans les rassemblements de rennes, de pingouins ou dans les vortex de poissons pour se protéger des prédateurs ou du froid. Ce comportement est à rapprocher des courbes de poursuites mutuelles étudiées en mathématiques. La spirale est également présente dans le monde animal (certains tissus musculaires) et dans le monde microscopique chez certaines bactéries. Les bactéries spiralées sont souvent pathogènes pour divers animaux et certaines le sont pour l'homme (ex : spirochètes responsables de la syphilis, ou bactéries du genre Borrelia responsables de la maladie de Lyme, ou chez les Campylobacter, Campylobacter pyloridis responsables d'ulcères de l'estomac). Chez ces bactéries, la morphologie spiralée est souvent associée à une motilité particulière, adaptées au mucus ou à d'autres environnements mucilo-gélatineux (ex : intérieur de l'œil pour certaines borrélies). La forme spiralée (en tire-bouchon) et une motilité particulière de ces organismes semblent leur donner un avantage sélectif dans les environnements visqueux et mucilagineux. Dans des dimensions encore plus petites, l'ADN est lui-même spiralé (quand il n'est pas déroulé), mais il existe aussi chez les bactéries des ADN circulaires (en anneau). La chimie et la physique, en particulier la mécanique des fluides et l'astrophysique présentent aussi des exemples de déploiement en spirale. La formation de tourbillons d'air ou d'eau ou les phénomènes météorologiques en offrent de nombreuses illustrations ainsi que les galaxies spirales "(4).
Comment caractériser la dynamique à l'œuvre dans l'Univers ? Nous rapportons ce texte de L.Godin pour avancer dans notre approche du penser hélicoïdal : "La vie est souvent présentée comme un cercle, un cycle infini (voire infernal) dans lequel nous évoluerions de manière perpétuelle et qui nous ramènerait sans cesse à notre point de départ. Mais ceci est une erreur fondamentale de point de vue. Car rien n’est jamais identique à ce qui a précédé. Selon certains, les sociétés obéiraient à ce cycle avec leur développement, leur summum et leur disparition. Mais ceci est une vue simpliste. Car bien qu’évoluant sur un cycle semblable, celles-ci sont toujours différentes parce que les consciences ont évolué ce qui fait que rien n’est jamais pareil. La Terre tourne autour du Soleil en 365 jours et un quart. Mais le système solaire avance dans la galaxie. Aussi ne revenons-nous jamais à notre point de départ qui s’est déplacé durant ce laps de temps. La Terre décrit ainsi une hélice et non un cercle autour du Soleil. L’ADN tout comme les protéines ont des formes hélicoïdales. Or, ce sont les éléments fondamentaux de la vie. Les images fractales montrent aussi des images hélicoïdales de notre environnement. Les ondes scalaires… sont des éléments essentiels de la vie et de notre vie, sans lesquels nous ne pourrions pas exister. Or, celles-ci ont une forme hélicoïdale contrairement aux ondes électromagnétiques. La forme hélicoïdale est donc propre à la vie. De la même manière, notre existence ne procède pas d’un cycle (cercle) sans fin dans lequel nous évoluerions. Il s’agit d’une hélice dans laquelle nous évoluons et progressons. Vu sous l’angle matérialiste, tout revient à son point de départ... Mais sous l’angle de la vie, rien n’est jamais identique. Nous évoluons et avançons. Chaque tour de spire peut nous sembler revenir en arrière. Mais il n’en est rien. Nos expériences, nous ont permis d’avancer et de progresser. Nous ne reviendrons jamais à notre point de départ. Demain sera toujours différent d’hier"(6).
Nous voulons rapprocher la dynamique hélicoïdale du concept de temps, parce qu'elle est à la fois cyclique et à la fois cumulative. S'il y a l'apparence, comme le souligne L.Godin, d'un retour, il y a une évolution qui fait que "rien n’est jamais identique" et que "chaque tour de spire" n'est pas un retour en arrière. Les phénomènes mémoriels n'évolueraient pas autrement. Nous rappellerons la phrase de C.Seulin à propos de la dynamique du comportement : "Nous sommes des êtres qui répètent". Mais la mémoire est dépendante d’une élaboration imaginaire en perpétuelle reconstruction. Selon D.Schacter : “Au fil du temps nous encodons et stockons de nouvelles expériences qui interfèrent avec notre capacité à rappeler les précédentes”(6). Pour G. Edelman : "La mémoire… résulte d’un processus de continuelle recatégorisation”(7). E.Klein écrit :"L'idée de l'éternel retour, déclinée en termes de temps cyclique, s'appuie donc implicitement sur une sorte de faux syllogisme : prenant acte du fait que certains événements se répètent, elle suggère que cette répétition des phénomènes implique que le temps lui-même se répète. Or l'existence de cycles dans le temps ne signifie nullement que le temps est lui-même cyclique… En somme, pour qu'il y ait devenir et non simplement rengaine, ouverture et non simplement retour, il faut que du hasard, de l'imprévisible, des modifications soient chaque fois mis en jeu, de sorte que chaque cycle se distingue du précédent. La différence injectée dans la répétition empêche la répétition… à l'identique, et l'on n'est plus dans l'éternel retour ! "(8).
Nous faisons l'hypothèse que la conscience n'échappe pas à cette dynamique hélicoïdale. "Penser hélicoïdal", tout dans l'Univers nous y inciterait, et ce ne serait là que se laisser porter par une dynamique universelle. Pour qu'il y ait "penser hélicoïdal", pour reprendre les mots d'E.Klein, il faut "qu'il y ait devenir et non simplement rengaine, ouverture et non simplement retour, il faut que du hasard, de l'imprévisible, des modifications" interviennent dans la rengaine des idées pour qu'elles dessinent un flux dynamique. On peut noter, dans ce que nous appelleront les exemples de pensée ouverte que rapporte J.Hadamard, le caractère non prévisible de ces découvertes et leur survenue subite, leur répétition suivie d'une avancée. Tout laisse à penser qu'elles relèvent de cette dynamique hélicoïdale à l'œuvre dans l'Univers : "«Un soir», déclare Poincaré, je pris du café noir, contrairement à mon habitude, je ne pus m'endormir ; les idées surgissaient en foule ; je les sentais comme se heurter, jusqu'à ce que deux d'entre elles s'accrochassent pour ainsi dire pour former une combinaison stable». Cet étrange phénomène est peut-être d'autant plus intéressant pour le psychologue qu'il est plus exceptionnel. Poincaré nous explique qu'en ce qui le concerne, il sent assez fréquemment coexister le moi conscient et le moi subconscient. Il semble que, dans ces cas, on assiste soi-même à son propre travail inconscient, qui est devenu partiellement perceptible à la conscience surexcitée et qui n'a pas pour cela changé de nature. On se rend alors vaguement compte de ce qui distingue les deux mécanismes ou si vous voulez les méthodes de travail des deux Moi». Mais ce fait extraordinaire de regarder passivement, comme de l'extérieur, l'évolution d'idées subconscientes me semble lui être très spécial. Je n'ai jamais expérimenté cette sensation merveilleuse et je n'ai jamais appris qu'elle soit arrivée à d'autres que lui. Ce qu'il raconte dans le reste de sa conférence est au contraire absolument général et arrive à tout chercheur qui découvre une solution. Ainsi Gauss, à propos d'un théorème d'Arithmétique qu'il avait essayé de démontrer pendant des années, écrit : «Finalement, il y a deux jours, j'ai réussi, non à cause de mes pénibles efforts, mais par la grâce de Dieu. Comme en un éclair subit, l'énigme se trouva résolue. Je ne puis dire moi-même de quelle nature a été le fil conducteur reliant ce que je savais déjà à ce qui a rendu mon succès possible». Il est superflu de faire observer que ce qui m'est arrivé à mon brusque réveil est parfaitement analogue et est typique, car la solution qui m'apparut : 1e était sans aucun rapport avec mes tentatives des jours précédents, de sorte qu'elle n'aurait pu être élaborée par mon travail conscient antérieur ; 2e apparut sans aucun laps de temps pour la pensée, si bref soit-il. Le même caractère de soudaineté et de spontanéité a été signalé quelques années auparavant par un autre grand érudit de la science contemporaine, Helmholtz, dans une conférence importante qu'il a prononcée en 1896. Depuis Helmholtz et Poincaré, ce caractère a été reconnu par les psychologues comme étant très général pour tous les genres d'invention. Graham Wallas, dans Art of Thought, suggère de l'appeler «illumination», cette illumination étant en général précédée par un stade d'«incubation», pendant lequel l'étude semble complètement interrompue et le sujet abandonné. Une telle illumination est même mentionnée dans diverses réponses à l'enquête de L'Enseignement Mathématique. D'autres physiciens comme Langevin, des chimistes comme Ostwald, nous disent l'avoir expérimentée… Cardan a non seulement été l'inventeur du célèbre «joint à la Cardan», mais a aussi fondamentalement transformé la science mathématique par l'invention des Imaginaires. Rappelons ce qu'est une quantité imaginaire : les règles de l'Algèbre montrent que le carré de tout nombre, que ce dernier soit positif ou négatif, est un nombre positif ; par conséquent, parler de la racine carrée d'un nombre négatif est une simple absurdité. Or Cardan commet délibérément cette absurdité et entame des calculs sur ces nombres «imaginaires». N'importe qui décrirait cela comme de la pure folie ; et cependant, tout le développement de l'Algèbre et de l'Analyse aurait été impossible sans ce point de départ, lequel fut naturellement établi au XIXe siècle sur des bases solides et rigoureuses. On a pu écrire depuis que la voie la plus courte et la meilleure entre deux vérités du domaine réel passe souvent par le domaine imaginaire"(9).
1-Voie lactée — Wikipédia (wikipedia.org)
2-Spirale — Wikipédia (wikipedia.org)
3-Spirale - Définition et Explications (techno-science.net)
4-Spirale — Wikipédia (wikipedia.org)
5-La forme hélicoïdale, la forme de la vie - Luc Bodin (luc-bodin.fr)
6-A la recherche de la mémoire. D. Schacter.
7-Biologie de la conscience. G. Edelman
8-Les tactiques de Chronos. E.Klein
9-Essai sur la psychologie de l'invention dans le domaine mathématique. J.Hadamard