La prière
La prière serait-elle le refuge d'une âme désespérée ? "Pendant que le marin, qui calcule et qui doute, Demande son chemin aux constellations; Pendant que le berger, l'œil plein de visions, Cherche au milieu des bois son étoile et sa route; Pendant que l'astronome, inondé de rayons, Pèse un globe à travers des millions de lieues, Moi, je cherche autre chose en ce ciel vaste et pur. Mais que ce saphir sombre est un abîme obscur! On ne peut distinguer, la nuit, les robes bleues Des anges frissonnants qui glissent dans l'azur"(1). Si l'étymologie ancre le mot prière dans une "demande instante", à la lecture de V.Hugo, on voit que la prière peut osciller entre demande et méditation : "Maintenant que je suis sous les branches des arbres, Et que je puis songer à la beauté des cieux".
Nous relatons deux expériences de prière, l'une réalisée à Manchester, l'autre à Washington. "Manchester a le plus fort taux de criminalité à l’arme blanche de toute la Grande-Bretagne. Face à se constat, l’évangéliste Andy Hawthorne appelle les chrétiens du monde entier à participer à un million d’heures de prière pour cette ville. En partenariat avec d’autres initiatives de prière, il demande que 30 000 chrétiens s’engagent à prier 20 minutes par jour pendant 100 jours dès le premier mai. L’objectif principal de ce mouvement de prière est de permettre aux jeunes de la ville d’entendre le message de l’Évangile. En effet, nombreux sont ceux qui sont impliqués dans des gangs, où les armes, la violence et le crime sont monnaie courante. D’ores et déjà, la police annonce une baisse de 45% de la criminalité dans les quartiers où les chrétiens sont actifs"(2).
"L’étude scientifique a été soigneusement contrôlée et effectuée entre le 7 juin et le 30 juillet 1993. Elle a porté sur un groupe de méditants qui est passé de 800 à un maximum de 4 000 au cours de l’essai. Ce projet de prévention du crime à Washington a entraîné une baisse sans précédent de la criminalité de 23,3 %. Avant le projet, les crimes violents n’avaient cessé d’augmenter au cours des cinq premiers mois de l’année à Washington, qui était une des villes les plus dangereuses des Etats Unis. Le taux de criminalité à Washington est trois fois plus élevé que la moyenne nationale. Une semaine environ après le début de l’étude, les crimes violents (crime de HRA : homicides, viols et agressions aggravées, mesurés par les statistiques uniformes de la criminalité du FBI) ont commencé à diminuer et ont continué à baisser jusqu’à la fin de l’expérience. Avant le projet, les chercheurs avaient publiquement prédit que le groupe de méditants réduirait la tendance de la criminalité de 20 %. Cette prédiction avait été ridiculisée par le chef de police qui affirmait que la seule chose qui diminuerait la criminalité serait une tempête de neige ! En fin de compte, la diminution maximale a été de 23,3 % ! Cette inversion significative de la tendance à la criminalité prévue s’est produite lorsque la taille du groupe était à son maximum dans la dernière semaine du projet et au cours d’une vague de chaleur importante. La recherche est extrêmement fiable selon les normes habituelles des sciences sociales. Par conséquent, nous savons que les effets du groupe de méditants ne peuvent pas être attribués à d’autres causes possibles, y compris la température, les précipitations, les fins de semaine et les activités policières et communautaires de lutte contre la criminalité. Trois ans ont été nécessaires pour les études qui ont mis en évidence que l’effet de cette médiation est allé plus loin que l’on pensait. D’autres aspects ont été notés : – Les appels psychiatriques d’urgence ont diminué – Les cas de traumatismes hospitaliers ont diminué – Les plaintes contre la police ont diminué. – Les décès accidentels ont diminué – L’indice de la qualité de vie s’est amélioré. – Cela a aussi permis à la popularité du gouvernement Clinton de remonter. Ainsi incidemment, il y a eu un soutien populaire accru pour le président américain. Les chercheurs, dirigés par John Hagelin, un physicien quantique renommé, ont mis en place cette étude sociale prospective majeure. Une commission d’examen de projet de 27 membres a été mise sur place, composée de scientifiques indépendants et de citoyens de premier plan. Leur tâche était d’assurer l’objectivité et la rigueur de la recherche en examinant et en approuvant le protocole de recherche, puis en surveillant ensuite le processus de recherche. Le projet de recherche a été jugé suffisamment solide, équilibré et approfondi pour être publié dans la revue scientifique « Social Indicators Research » évaluée par les pairs. L’idée était de montrer à quel point il est facile et simple de réduire la criminalité et le stress social en utilisant la méditation Ce que les chercheurs avaient l’intention de faire, c’était de faire une grande impression dans la capitale la plus importante du monde. L’idée était d’attirer l’attention des autorités compétentes sur les immenses possibilités de lutte contre la criminalité et de prévention de la guerre à l’aide de la méditation de groupe"(3).
Prier pour demander, mais quel regard faut-il poser sur le sens et la nature de la prière ? "Dieu veut que nous obtenions son secours par la prière dans un certain nombre de situations. Nous prions avant de prendre une décision importante (Luc 6.12-13), pour surmonter des barrières démoniaques (Matthieu 17.14-21), pour l’envoi d’ouvriers dans la moisson spirituelle (Luc 10.2), pour la force de vaincre la tentation (Matthieu 26.41) et pour pouvoir fortifier d’autres personnes spirituellement (Éphésiens 6.18-19). Nous venons à Dieu avec nos requêtes et avons la promesse que nos prières ne sont pas vaines, même si nous ne recevons pas exactement ce que nous avions demandé (Matthieu 6.6, Romains 8.26-27). Dieu a aussi promis que si nous demandons quelque chose conformément à sa volonté, il nous l’accorderait (1 Jean 5.14-15). Parfois, il retarde sa réponse, selon sa sagesse et pour notre bien. Dans de telles situations, nous devons persévérer dans la prière (Matthieu 7.7, Luc 18.1-8)"(4).)
Après coup on peut justifier et intégrer chaque évènement dans un destin qui semble répondre à un souhait de cohérence et d'ordre, celui de Dieu ou celui de l'Univers ou celui de la Vie ou celui de l'Amour… et expliquer pourquoi la prière n'a pas eu l'effet escompté, ou bien encore, comme le répète le Pangloss de Candide, parce que l'évènement était malheureux mais nécessaire puisse qu'il s'inscrivait dans un déroulement salutaire.
A la suite du projet STEP (Study of the Therapeutic Effects of Intercessory Prayer), Richard Dawkins écrivait : "Il y avait une différence entre ceux qui savaient qu'on avait prié pour eux et ceux qui ne savaient pas, mais pas dans le bon sens. Ceux qui savaient qu'ils avaient bénéficié de prières ont eu des complications significativement plus nombreuses que ceux qui ne savaient pas. Il est plus probable que les patients qui savaient qu'on priait pour eux ont éprouvé plus d'anxiété subissant l'«angoisse du résultat» selon les termes des expérimentateurs. Au dire d'un des chercheurs, le Dr Charles Bethea, «il est possible que cela ait semé le doute dans leur esprit, est-ce que je suis si malade qu'ils ont dû faire appel à leur équipe de prière ?». Le coauteur de l'étude Jeffery Dusek a déclaré que «Chaque étude se construit sur d'autres, et STEP a mis en place la conception au-delà de ce qui avait été fait précédemment. Les résultats, cependant, pourrait bien être dus à des limites de l'étude». Le chef d'équipe Benson a déclaré que STEP n'était pas le mot de la fin sur les effets de la prière d'intercession et qu'aux questions soulevées par l'étude, il faudra des réponses supplémentaires… Une méta-analyse de plusieurs études relatives à la guérison d'intercession à distance a été publiée dans la revue Annals of Internal Medicine en 2000. Les auteurs ont analysé 23 essais de 2 774 patients. Cinq des essais testaient la prière en tant que méthode de guérison à distance, 11 étaient sans contact, et sept étaient d'autre nature. Parmi ces essais, 13 ont montré des résultats statistiquement significatifs d'effets bénéfiques du traitement, 9 n'ont montré aucun effet, et 1 a montré un résultat négatif. Les auteurs ont conclu qu'il est difficile de tirer des conclusions concernant la guérison à distance et a suggéré d'autres études"(5).
Chercher des raisons et des causes à tous les travers et évènements qui peuvent survenir ne peut manquer d'interroger alors sur le sens de la prière. Pourquoi prier pour changer un avenir dont on ne connaît rien mais que l'on voudrait rendre conforme à nos souhaits? Si Dieu ou l'Univers… pourvoit à tout pour le meilleur, pourquoi ne pas se satisfaire de l'expression : "Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes"? Ce regard sur le sens de la prière nous a conduits à nous intéresser à la nature de celle-ci, vue notamment sous l'angle du taoïsme : "Wu wei : tout le monde connaît. Pas le terme, peut-être, mais les manifestations de la chose. C’est ce qui se passe lorsque l’acte que vous êtes en train d’accomplir vous réussit par enchantement, sans effort, ni volonté: votre tâche se remplit d’elle-même, pour ainsi dire, presque sans vous. Vous dites alors que vous êtes «en état de grâce», ou «dans le flux». Vous ressentez une euphorie paisible et une sorte de gratitude, sans trop savoir vis-à-vis de qui. Car cet état mental, lorsqu’il est là, rend possibles des exploits sportifs, des performances professionnelles, des actes de création, ou tout simplement des sommets d’aise dans le déroulement d’une conversation"(6). Nous citons aussi ces lignes à propos de Wu-wei : "Le non-agir implique un certain niveau de conscience et de connaissance de soi, du monde et des autres. Les actions ou comportements des uns et des autres ne sont pas «bien» ou «mal», ils sont le résultat d’un ensemble de causes qu’il faut comprendre et accepter… Un des grands principes du taoïsme est celui du non-agir (wu wei, wuwei ou wou wei), qui ne veut pas dire «ne rien faire», mais plutôt agir dans l’ordre des choses, en étant conscient que c’est la Vie qui dirige chaque action… La doctrine du non-agir, très proche du stoïcisme grec et romain, invite à ne pas entreprendre d’actions contraires à la nature. D’une certaine manière, c’est accepter son destin, c’est arrêter de croire que nous pouvons tout influencer, c’est nous remettre à notre juste place… Dans la mesure où notre existence est un jeu divin, notre part devient libre et active lorsque nous nous identifions au marionnettiste qui nous crée et nous dirige. Alors, le soi se dissout pour faire place au grand Soi"(7).
A quoi apparenter le concept de Wu-wei ? Au non-agir et à la sagesse antique du stoïcisme ("la voie de l’eudaimonia «ἡ εὐδαιμονία», le bonheur, la prospérité" pour les êtres humains consiste à accepter le moment tel qu'il se présente, à ne pas se laisser contrôler par le désir du plaisir ni la peur de la douleur")(8), ou bien à la participation au flux de l'Univers, de l'Amour, de Dieu… ("L'homme nouveau voit Dieu comme un Esprit Cosmique imprégnant tout…le côté toujours silencieux de sa pensée divine consciemment amalgamé en pensée avec l'Esprit Infini"(9) ?
M. Le Van Quyen rapporte une expérience menée par J.Brewer à propos du silence mystique : "En se basant sur les résultats antérieurs que je viens de décrire et sur ses propres observations, il a pu conclure que la méditation profonde modifie le réseau par défaut et le rend moins centré sur le moi, moins «égocentrique». Mais il est allé plus loin encore dans ses expériences. Pendant que les participants étaient dans le tube étriqué du scanner, il leur a permis d'observer en temps réel, à l'aide d'un petit miroir et d'un écran d'ordinateur, l'activité de cette petite zone «égoïste» de leur cerveau. Le dispositif était vraiment ingénieux car il fonctionnait comme un miroir de l'ego : lorsque l'ego était «désactivé», l'écran devenait bleu. Lorsque l'ego se mettait à «bavarder», l'écran virait au rouge. Et de fait, les participants reconnaissaient après quelques minutes que la couleur bleue correspondait exactement à l'impression qu'ils éprouvaient pendant la méditation profonde : de vivre un sentiment d'unité avec le monde... Ces observations sont à rapprocher d'autres qui ont fait couler beaucoup d'encre dans la presse. Ces dernières sont l'œuvre d'Andrew Newberg, directeur du Centre Myrna Brind de l'Hôpital universitaire Thomas Jefferson aux États-Unis. Le chercheur a étudié les cerveaux de nones franciscaines pendant leurs prières. Il a pu observer, à chaque fois que les religieuses priaient, une désactivation des activités cérébrales dans le lobe pariétal supérieur, à proximité du cortex cingulaire postérieur. Or on sait que le lobe pariétal a comme fonction importante de permettre à l'individu de s'orienter dans l'espace, d'évaluer les distances et les positions relatives. La diminution de son activité lors de la méditation serait donc en accord avec le sentiment de dissolution du «moi» et d'unité avec le reste de l'Univers, rapporté par les religieuses pendant leurs prières"(10).
M.Beauregard et D.O'Leary rapportent le compte-rendu de cette étude avec les Sœurs carmélites : "La pièce du scanner n'a rien à voir avec un centre de retraite spirituelle ; elle ressemble plus à quelque chose qu'on trouverait à la NASA. Malgré cela, les nonnes ont réussi à atteindre des états mystiques... Immédiatement après l'expérience, nous leur avons demandé d'évaluer leur propre expérience… En plus de demander aux nonnes de décrire leur expérience avec leurs propres mots, nous avons utilisé l'échelle du mysticisme de Hood pour permettre les comparaisons avec d'autres recherches. Nous avons fait un ajustement : l'échelle de Hood n'a pas été conçue spécifiquement pour le mysticisme chrétien, ce qui veut dire que toutes les questions ne sont pas utilisables. Les mystiques chrétiens considèrent en principe qu'ils entrent en contact avec une entité transpersonnelle plutôt qu'une entité impersonnelle, et ils décrivent le plus souvent leurs expériences en disant qu'ils ressentent un amour immense… Lors des entretiens qualitatifs conduits à la fin de l'expérience, les nonnes ont dit qu'elles avaient senti la présence de Dieu, son amour inconditionnel et infini, de même que la plénitude et la paix"(11).
1-Les contemplations. V.Hugo
2-(https://www.evangeliques.info/2009/04/30/un-million-d-heures-de-priere-pour-manchester/ )
5-Effet de la prière — Wikipédia (wikipedia.org)
6-«Wu wei», l’art de réussir sans essayer - Le Temps
7-Le non-agir du taoïsme : définition, philosophie, technique (jepense.org)
8- Stoïcisme — Wikipédia (wikipedia.org)
9-La vie des Maîtres. B.Spalding
10-Cerveau et silence. M.Le Van Quyen
11-Du cerveau à Dieu. M.Beauregard et D.O'Leary