Le Saint-Esprit

 

On sait que Saint-Augustin s'est longtemps interrogé sur le mystère de la création et de la Trinité. Nous voulons, à ce propos, rappeler la légende de l'ange et du coquillage : "Un jour, saint Augustin se promène sur une plage, pour méditer sur la Trinité. Tout à coup, il voit un enfant verser de l’eau avec un coquillage dans un petit trou. L’enfant lui tient à peu près ce langage : –  Je veux faire entrer toute la mer dans le trou que j’ai creusé. – Mon pauvre enfant, jamais tu n’y arriveras. – Peut-être, mais cela me serait plus facile qu’à toi d’épuiser, avec les seules ressources de la raison humaine, les profondeurs du mystère de la Trinité ! Il disparaît, c’était un ange"(1). S'interroger sur le Tiers serait-il une tâche aussi impossible que de s'interroger sur la Trinité ?

Nous avons posé la question de la Trinité à qui de droit, Michel Zabé, père assomptionniste, nous a apporté ces éléments de réponse : "Le Saint Esprit fait partie de notre vie… Cet Esprit nous dit Jésus, c'est le lien qui le réunit à son Père… La foi nous permet de reconnaître les signes par lesquels l'Esprit nous demande d'être le sel de la terre ou le levain… L'esprit de Dieu habite le cœur de tous les hommes animés par l'amour des autres… Dans ce mouvement de l'amour, l'aimant c'est le Père, l'aimé c'est le Fils, l'Amour c'est le Saint Esprit. Dieu entre dans la logique du verbe aimer pour lequel il faut être trois… Et le poète J.Prévert ne croyait pas si bien dire dans son jeu de mots : «C'est simple comme dieu et dieu font trois»(2)". Nous remarquons qu'il est question de lien, dont reparlerons plus loin, et du chiffre trois. 

A propos du chiffre trois, Adrien Choeur écrit : "Si le chiffre 2 est dualité, le chiffre 3 réconcilie les opposés, unit les contraires… Le 3 exprime en effet l’équilibre, l’harmonie et l’unité. C’est le retour du binaire à l’unité, par le ternaire. Le 3 permet de se hisser à un niveau de conscience supérieur, à la fois par l’inclusion et le dépassement de la dualité"(3).

Nous nous sommes référés au dictionnaire pour avoir une première approche de ce qu'il faut entendre par "lien", celui relie et qui lie les deux dualités se métamorphosant en "trinité" ou "tiers", notamment au sein d'un couple, et qu'il convient de traduire par "amour" au sein de la Trinité. Le lien est cette "chose flexible et allongée servant à lier, à attacher". Au sens figuré, le lien est  "ce qui relie, ce qui unit". Le lien peut aussi entraîner une servitude, lorsqu'il "retient, lorsqu'il enchaîne". En informatique il s'agit du lien qui "établit des relations et permet des accès rapide à des informations".

Nous voulons revenir vers les lignes d'Adrien Chœur. "Le retour du binaire à l’unité ". On pourrait redouter la réduction du binaire à l'unité. Mais il ajoute : "Le 3 permet de se hisser à un niveau de conscience supérieur, à la fois par l’inclusion et le dépassement de la dualité". A quoi nous servent  les avis des autres, interroge A.Eiguer : "L'orientation à écouter, voire à guetter les avis des autres, n'est pas forcément pathologique. Elle est pathologique lorsque l'on entend superficiellement ce que l'autre dit et que le lien n'a pas de consistance. Si non, elle témoigne de notre besoin de relation et part du constat que nous ne sommes pas en mesure de tout savoir. Elle remet au premier plan le fait que l'être seul n'existe pas et que, même si cela heurte notre fierté, nous devons admettre le besoin de partage, d'information, de trouver des alternatives à nos propres réflexions, aussi justes nous paraissent-elles. Il nous faut savoir que d'autres issues existent pour les comparer à celles que nous avons trouvées. Elles s'avéreront éventuellement correctes et pertinentes. Nous pourrions finalement faire le choix de ne les prendre en compte pour nos décisions, mais dans ce cas nous serions plus convaincus de l'option retenue. L'avis des autres sert à nous relier à eux et à créer un dialogue dans notre for intérieur, même à créer un débat. La manœuvre prend une dimension dynamique dès lors qu'elle facilite une solution. Elle est éventuellement pénible ; la décision, un accouchement dans la douleur ; son choix, déchirant. Toutefois la contradiction entre deux options est nécessaire pour mieux cerner les enjeux. Elle risque certes parfois d'entraver la décision et de nous faire « tourner en rond », ce qui arrive de préférence quand on se laisse envahir par la figure de celui qui a donné l'avis, plutôt que par ce qu'il énonce. Intervient alors le poids de l'expert et de son prestige qui favorise ces dérives. Je pense que rien ne vaut la mise en débat de plusieurs possibilités à l'intérieur de nous en sollicitant nos affects et nos représentations. Cette voie démantèle les illusions, fomentées certes par ce que nous avons souligné : l'importance du surmoi qui dans ce cas entre en collusion avec la position de l'autre extérieur… Cela peut nous désoler, nous devons admettre que l'autre restera quoi qu'il en soit mystérieux pour nous… Ses zones d'ombre lui donnent comme un droit, son droit à la liberté, peut-être… C'est pour cela que certains préfèrent se renfermer sur eux-mêmes et ignorer le monde… Il y a des liens où la dimension individuelle se perd. "(5).

Analysant les relations et les interrelations au sein de la "trinité",  A.Eiguer écrit: "Différentes forces tendent à resserrer la relation, certaines dans le sens de la contraindre au détriment de sa liberté… Dès lors que les liaisons sont établies, chaque objet interne est introjecté avec ses liens aux autres formant un groupe ; l'objet opère désormais à l'intérieur du psychisme et reste disponible pour se lier aux autres. Chaque interlocuteur réveille des aspects du monde intérieur qui restent habituellement muets. C'est ce qui explique que nous ne soyons jamais pareils avec les autres, membre de la famille ou ami. Nous adoptons un style différent de narration au contact de chacun d'eux. La situation rend le lien spécifique… On n'a peut-être pas assez souligné que le lien n'est jamais à deux, mais que la pluralité s'engage dès que l'on passe de l'un au deux… Le lien n'est pas seulement la production qui émerge des deux protagonistes qui sont au premier plan, mais un tiers est activement présent, celui qui observe les deux sujets, les sollicite, les contrôle, les protège ou qui peut même les attaquer. Pour Bion le troisième sujet est bien présent dans la réalité de la situation et, s'il n'est physiquement pas là, il a une présence virtuelle dans l'esprit des sujets du lien, et pèse sur eux. Le troisième sujet du lien serait aussi bien une personne, un groupe, une institution ou même une idée… Pour réagir à l'égard de ce tiers, le lien se resserre, chaque sujet du lien essayant de se positionner, de modifier les données de la relation à l'autre, de la protéger jusqu'à la dérober au regard de ces derniers si c'est nécessaire. Ainsi le tiers devient comme une instance régulatrice qui favorise le rapprochement des protagonistes et l'autorise ou au contraire l'entrave… le tiers fonctionne comme un contenant de la  relation... Différentes forces tendent à resserrer la relation, certaines dans le sens de la contraindre au détriment de sa liberté. Le prix d'être ensemble et le plaisir que cela apporte, se manifeste-il par de la privation ?".  

 

1-Plage, coquillage et Trinité - Dominicains de Bordeaux

2-Echanges avec le Père M.Zabé

3- Le symbolisme du chiffre 3 : signification, interprétation (jepense.org). A.Choeur

4- https://dictionnaire.lerobert.com/definition/lien

5-Jamais toi sans moi. A.Eiguer