Père prodigue

Luc 15, 1-3, 11-32

Dessin de JF Kieffert

colorisé par Jacques









Je suis le fils cadet. Je n’en reviens pas ! Vous avez entendu ? Un père comme le mien, il n’y en a pas deux !

Déjà, quand je lui ai demandé ma part d’héritage. Il me l’a donnée tout de suite, sans me faire aucune objection, même pas une recommandation ! Pourtant, cela a dû lui faire mal au cœur. Il m’a fait entièrement confiance. Il n’aurait pas dû !

J’avais envie d’en faire à ma tête, c’est vrai ! À la maison, j’avais tout ce que je voulais. C’était trop monotone. Mais je ne voulais pas vraiment les quitter. Trop tard ! Il avait dit oui. À moi d’assumer, de faire mes preuves ! Vous connaissez la suite. Je me suis planté sur toute la ligne.

C’est alors que je me suis senti seul. Et triste et affamé. Même les porcs que je gardais (la honte !) me faisaient envie. Et c’est là, au plus profond de ma misère que j’ai fait un choix. Ma première décision vraiment personnelle. Assumer mes erreurs, me prendre en main. Retrouver cette ambiance de famille, même comme le dernier des ouvriers. Oui, je veux gagner moi-même ma vie.

Et vous avez entendu. Il n’a même pas écouté ma confession. Il m’a adopté comme fils pour la seconde fois. C’est vrai, j’étais perdu et j’ai retrouvé la tendresse d’un père.

Moi, je suis l’aîné. Vous avez entendu ? C’est trop injuste ! Il a claqué la moitié de notre patrimoine. Je ne comprends pas le paternel. J’ai toujours été réglo ; j’ai suivi à la lettre le règlement de la maison, je me tue au travail et voilà comment je suis lésé !

On dirait que mon père préfère ceux qui en font à leur tête, qui veulent parcourir le monde, qui se lancent à fond dans leurs projets, même s’ils sont tordus. Moi, c’est vrai, je n’ai jamais rien demandé. Il aurait sûrement dit oui. Chaque fois qu’il y avait une fête, moi j’avais en tête le travail. Pourquoi est-ce que je me sens toujours coincé, comme pris en faute ?

Comme toujours, je me suis mis en colère. J’ai boudé comme un gamin. Et, vous avez entendu, papa est sorti à ma rencontre, comme pour mon frérot. Il est venu me supplier, alors que c’est moi qui aurais dû lui demander pardon. Je serais bien content de voir quelle tête il a, le revenant, le “retrouvé” comme l’appelle mon père et qu’il me raconte ses aventures. Est-ce que je vais oser y aller ?

Ce n’est pas simple d’être père. Vous avez deux enfants et ils sont si différents. Ils ont l’âge adulte maintenant, mais pas encore la maturité. Je les aime tous les deux, tendrement, mais on dirait que cela ne suffit pas !

Regardez le cadet. C’est un idéaliste. Toujours de grands projets en tête, mais jamais d’engagement concret. Alors, je n’ai pas hésité quand il m’a demandé de partir. Enfin, me suis-je dit, il va tenter sa chance.

Mais, à peine était-il parti, il me manquait déjà. J’ai dû faire un terrible effort pour ne pas courir derrière lui et essayer de le retenir. J’ai bien fait. Il a fait son expérience. Il est passé par bien des situations auxquelles il a dû faire face. Mais quand même, quelle anxiété ! Chaque jour j’allais voir au détour du chemin.

Alors, le jour où il est apparu à l’horizon, je n’ai pu me retenir. Vous avez entendu la suite. Je n’en peux rien. À nouveau pouvoir le serrer dans mes bras ! Ce fut le plus beau jour de ma vie.

Mais... il y a mon fils aîné ! Je l’aime autant que son frère. Je ne parviens pas à le rendre heureux. Il a tout, il ne demande rien, il obéit. Comme si je n’étais pas son père, mais son patron.

J’espère que je pourrai aussi le serrer dans mes bras. J’ai tout fait. Je suis aussi sorti à sa rencontre et je l’ai supplié. Mais il doit lui-même faire l’autre bout du chemin. À lui de choisir. J’espère de tout cœur qu’il fera le bon choix.

Enfin, moi je suis Luc, l’évangéliste. Mes 3 collègues n’ont pas retenu cette parabole de Jésus dans leur Évangile.

Pour moi c’est une des plus belles histoires de Jésus. Quelle patience il a eu avec les pharisiens et les scribes, coincés dans leur vision légaliste de la Loi. Le fils aîné, c’est tout à fait eux. Il n’y a pas plus clair !

Quand on m’a fait entendre pour la première fois cette belle histoire, j’ai été émerveillé. À travers les deux fils, il y a tous les hommes. La seule chose qu’ils ont à faire, c’est de se laisser prendre dans les bras du Père. Et ce sont ceux qui en ont été éloignés, qui sont passés par les épreuves, pour qui cet élan est vital. Leur geste les sauve.

Vous l’avez tous compris : le père de la parabole, c’est Dieu ! C’est vraiment la parabole qui révèle la tendresse de Dieu Père pour tous ses enfants les hommes. Vous savez que c’est mon thème favori. Un Père au cœur de mère !