Bartimée

Marc 10, 46-52




























Dessin de J F Kieffer,

colorisé par Jacques











Bonjour, c'est moi, Bartimée, l'aveugle du bord du chemin, dont vous venez d'entendre l'histoire. L'évangéliste Marc est un bon narrateur, mais je vais vous donner des détails qu'il n'a pas pu écrire. Je voudrais partager avec vous comment moi j'ai vécu ce jour bouleversant.

Ce n'est pas drôle quand il fait nuit 24 h par jour ! Tous les matins, Timée, mon papa, venait me déposer au bord de la route, à la sortie de la ville, pour mendier. Un peu comme on dépose un objet décoratif. Toujours en marge ! Jamais dans le coup ! J'avais beau imaginer le monde, d'après ce que j'entendais, mais quand on n'a jamais vu, on manque de repères !

Ce jour-là courait le bruit qu'un prophète allait passer, un guérisseur. J'ai pensé : C'est peut-être la chance de ma vie ! J'ai essayé de me rapprocher le plus possible du bord de la route, sans me faire écraser par les gens distraits… Peine perdue, je ne le verrai quand même pas ! "Il arrive !" crièrent les gens. J'ai beau être aveugle, je ne suis pas sourd ! Je me rapprochai, mais tout de suite des passants me cachèrent ! J'ai beau être aveugle, mais je ne suis pas muet, et j'ai crié : "Fils de David, aie pitié de moi !" C'est sorti tout seul !

D'habitude, les gens étaient gentils avec moi. Ils avaient pitié ! Voilà qu'ils voulurent "me faire taire !" Ah cette foule ! Je n'aurai aucune chance ! Sûrement, il est déjà loin ! Mais voilà que tous s'arrêtèrent. Un grand silence se fit. Et une voix : "Appelez-le !" A qui le prophète pouvait-il dire cela ?

Autour de moi, des voix que je reconnus : "Confiance, lève-toi, il t'appelle !" ça alors ! Cette foule qui était comme un mur devant moi devenait comme un pont ! Elle me dit ce que je n'avais jamais entendu : "Lève-toi !" Mais, je n'avais jamais fait ça ! J'allais tomber ! Je n'allais pas savoir par où aller ! Quelle panique ! Et en même temps, j'ai senti en moi une force inhabituelle. J'ai bondi sur mes pieds. Mon manteau est tombé. Ah ! Ce manteau ! Oui, il me protégeait de tout. Mais ce jour là, j'ai compris qu'il représentait tout ce qui me clouait au sol, qui m'empêchait d'aller et venir, qui me tenait à l'écart de tout et de tous. Plus besoin du manteau !

Me voilà devant Jésus, ce fameux prophète, debout, mais un peu chancelant. Comment ai-je réussi à aller jusqu'à lui, je n'en sais toujours rien. J'ai réalisé qu'il ne me fallait pas être capable de voir pour pouvoir avancer. Qu'a fait Jésus ? C'est à peine croyable ! Quand il a été sûr que je tenais debout, il m'a posé la question : "Que veux-tu que je fasse pour toi ?" Là, j'ai eu un gros doute ! Il ne faut pas être prophète pour se rendre compte de ce que désire le plus au monde un aveugle ! Heureusement, j'ai tout de suite compris que la question était plus profonde qu'il n'y paraissait. Jamais personne ne m'avait demandé ce que je voulais, moi. Toujours, on avait décidé à ma place ! Bien sûr que je souhaitais voir, de mes yeux, Jésus, ma famille, le monde autour de moi. Mais, devant Jésus, c'était devenu accessoire. Ce que je souhaitais à ce moment, c'était voir ce qui est invisible, même avec les meilleurs yeux. Je souhaitais voir avec le regard qui avait fait s'arrêter Jésus devant ce manteau, qui traînait à terre, avec un aveugle en dessous. Voilà ce que j'espérais, ce que je croyais possible, si Jésus voulait bien me le donner.

Comme vous l'avez entendu, Jésus m'a compris et m'a guéri. Et il m'a dit : "Va, ta foi t'a sauvé !" Vous vous rendez compte ? Il m'a dit que c'était ma foi, mon bond pour être debout, mon manteau que j'avais abandonné, ma marche vers lui, que c'était cela qui m'avait sauvé, et pas lui !

Il a fallu longtemps pour que je comprenne ce que Jésus a voulu dire quand il m'a affirmé que j'étais sauvé. Sauvé de quoi ? Sauvé de la nuit perpétuelle, bien évidemment, mais surtout du fait que je me croyais capable de rien. Sauvé de l'immobilisme, puisque, depuis ce jour là, je me suis mis en chemin avec lui. Sauvé de l'isolement, de la marginalité, puisque j'ai pu participer avec les disciples et les apôtres à la vie divine, à l'annonce du Royaume.

Voilà ! J'en ai dit assez ! Je n'ai qu'un conseil à vous donner : ne perdez jamais confiance ! Dans les nuits que vous traverserez, vous pourrez toujours rejeter votre manteau et bondir sur vos pieds. Foi de Bartimée !