Nazareth
Luc 4, 16-21
Je suis un ami d'enfance de Jésus. Nous avons joué ensemble, avec bien d'autres enfants de Nazareth. Puis Jésus a plus souvent aidé son père Joseph, le charpentier du village. Moi aussi j'ai fréquenté l'atelier, pour rester en contact avec mon ami, tout en découvrant un métier d'avenir.
Jésus se sentait appelé, m'avait-il dit, à une autre mission que de travailler le bois. Une rumeur courait qu'au gué du fleuve Jourdain, près de Jéricho, des foules allaient écouter une sorte de prophète. Alors le fils de Marie est parti vers le Sud, se renseigner auprès de son cousin Jean.
Quelle ne fut pas ma surprise, quelques temps plus tard, un jour de sabbat, de voir Jésus présent dans notre synagogue. Et c'est à lui qu'il avait été demandé de faire la lecture. Déroulant le rouleau du livre du prophète Isaïe, il avait choisi un très beau passage. " L'Esprit du Seigneur est sur moi... "
Tous nous avions déjà entendu ces paroles, mais jamais comme ce jour-là. Je me suis demandé si c'était Isaïe qui annonçait ce qui arriverait un jour ou si le lecteur parlait de lui-même. " Le Seigneur m'a consacré par l'onction. " Là, j'ai été rassuré ! Pas possible ! Quand Jésus aurait-il reçu une onction ? C'est réservé aux rois ou, peut-être, aux prophètes.
" Annoncer une année favorable... " J'ai cherché dans ma mémoire, mais ne me suis souvenu d'aucune annonce pareille. Jésus aurait-il rencontré le prophète du Jourdain et serait-il devenu son disciple ?
Le passage de l'Écriture lu ce jour-là étant très court, lorsque je suis sorti de mes pensées, Jésus avait rendu le rouleau et s'était assis. Un silence pesant s'était établi. Tous attendaient le commentaire du grand-prêtre, mais celui-ci restait muet.
Alors Jésus s'est levé et a prononcé une seule phrase. Jamais explication n'avait été aussi courte. Que voulait-il dire ? " Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. "
Qu'avait-il annoncé ? Des " Bonnes Nouvelles pour les pauvres, les captifs, les aveugles, les opprimés " ! Il y a des siècles qu'on annonce cela, qu'on l'espère ! Et, parfois, on se réjouit de quelques cas positifs.
" Aujourd'hui ! ", a-t-il dit. Les temps seraient-ils accomplis ? Le Messie serait-il bientôt parmi nous ? Dieu aurait-il entendu les plaintes et les misères de son peuple ? Nos envahisseurs allaient-ils enfin arrêter de nous imposer leur présence ? Les pharisiens et les docteurs de la Loi allaient-ils vraiment se tourner vers les exclus pour les aider à découvrir la miséricorde de Dieu ? Quelles promesses dans cette courte affirmation : " Aujourd'hui ! "
Très vite, j'ai eu peur ! Pour Jésus ! Oser s'attribuer à lui-même cette annonce ! Comment la foule allait-elle réagir ? Tous l'avaient connu, l'avaient vu grandir. Il n'avait rien d'un illuminé, ni même d'un spécialiste de la Loi. Est-ce possible qu'il ait tellement changé en si peu de temps ?
Ailleurs, où on ne le connaissait pas, un tel message pourrait peut-être être bien accueilli. Le dicton ne dit-il pas : " Nul n'est prophète en son pays " ?
J'ai bien peur que cela ne tourne mal. Je préfère me retirer sur la pointe des pieds et observer de loin la suite des événements...
" Il m'a envoyé... " A nouveau, j'ai été touché par sa manière de proclamer ces paroles d'Isaïe. J'avais le sentiment que cet envoi n'avait rien d'ancien, que Jésus parlait vraiment de lui-même. J'ai regardé autour de moi et, sur les visages de mes voisins, je lisais l'étonnement, le doute ou même la réprobation.