Femme adultère

Un des Pharisiens, la femme non lapidée et l'évangéliste Jean (8, 1-11)









Je m'appelle Joseph, je viens d'Arimathie et je fais partie des Pharisiens. Je connais par cœur la Loi de Moïse, celle que le Seigneur a donnée à notre peuple au cours de notre traversée du désert, notre Exode. Elle est belle, cette Loi, quand on en a compris le sens. Elle est dure aussi, mais c'est normal pour une loi, sinon à quoi servirait-elle ? Mais il faut faire bien attention, car il pourrait nous arriver de ne pas la servir, mais de nous en servir !

J'ai l'impression que beaucoup de mes amis Pharisiens se laissent parfois aller à utiliser la Loi, non plus comme un guide, une référence, mais une excuse, pour justifier leur comportement. Certains sont devenus des experts à ce jeu-là ! On trouve toujours un commandement qui, sorti de son contexte, peut justifier nos écarts. Ne dit-on pas que les prétextes sont faits pour s'en servir ?

Depuis quelques mois, un certain Jésus, un nouveau prophète semble-t-il, me trouble. Il connaît aussi bien la Loi que nous, mais il a dit, paraît-il, que "ce n'est pas l'homme qui est fait pour la Loi, mais que c'est la Loi qui est faite pour l'homme". Par exemple : il guérit des gens le jour du sabbat, jour de repos pour tous, même pour les guérisseurs. Ce repos est prévu pour rendre gloire à Dieu. Et lui prétend qu'en guérissant un malade, il rend aussi gloire à Dieu. Quand on y réfléchit, cela a du sens. Vous voyez, je ne m'y retrouve plus très bien.

Un autre exemple : quand des Pharisiens se sont ligués avec des Scribes pour tendre un piège à Jésus. Ils ont d'abord piégé un couple infidèle, l'ont pris en flagrant délit et ont traîné la femme (pas l'homme !) au milieu du Temple, pendant que Jésus y enseignait. Quelle brutalité ! Et en avant l'hypocrisie : "Maître, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là." Comment s'en sortir ? Jésus allait-il laisser faire ces excités ? Allait-il oser contredire la Loi ? C'aurait été sa perte ! …Vous avez entendu ce qu'il a fait ! Il n'a pas manqué d'inspiration ! J'avais un certain plaisir à les voir laisser tomber leurs pierres et "se retirer l'un après l'autre, à commencer par les plus vieux." C'est décidé, maintenant, moi aussi je vais suivre Jésus…

Moi je suis cette femme. Oui, c'est mal ce que j'ai fait. Que voulez-vous, quand on rencontre enfin un homme doux, attentionné, généreux, il y a de quoi craquer ! Reste que la Loi interdit d'être infidèle à son mari et elle a raison. Mais elle ne traite pas les hommes et les femmes de la même façon. C'est comme ça !

Ce jour-là, j'ai cru que c'était pour moi le dernier ! En fait, ce fut le premier de ma nouvelle vie… J'ai eu une peur terrible. Devant l'agressivité de ces Pharisiens, il n'y avait que le calme d'un homme de Dieu pour les arrêter. J'ai pensé un moment : j'ai peut-être une chance d'en sortir, car ce n'est pas à moi qu'ils en veulent, c'est à ce prophète devant lequel ils m'ont amenée. Lui, "du doigt, il écrivait sur le sol."

Je tremblais des pieds à la tête, me protégeant de mes bras, pour tenter de parer aux jets de pierres. La lapidation, c'est terrible, j'y ai une fois assisté. C'est alors qu'il a trouvé la parade. Il a échappé au piège des hypocrites. Vous avez entendu ce qu'il a dit : "Celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter la pierre !" J'ai attendu, fermant les yeux… Rien n'est venu… Lui non plus ne regardait pas. Comme s'il était sûr de ce qui arriverait. Il m'a demandé : "Où sont-ils ?" C'est alors que j'ai osé regarder autour de moi. Personne n'avait de pierre en main. Ceux qui m'avaient amenée au Temple étaient partis. Ouf !

Alors, là, devant tous les auditeurs de Jésus qui avaient tout vu, il m'a dit la plus belle déclaration d'amour que j'ai entendue : "Je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus !" Tout mon passé a cessé d'être un poids. Mes peurs se sont envolées et je me suis sentie forte et libre, prête à commencer une nouvelle vie…

Moi je suis Jean, l'évangéliste. Mes collègues n'ont pas raconté cet épisode de la vie du Seigneur. Quant à moi, c'est un de mes préférés. Pourquoi ?

Car, une fois de plus, Jésus parvient à dire en même temps la radicalité de l'appel de Dieu et sa miséricorde. Au départ de l’événement, tous sont pécheurs, autant la femme infidèle que ses accusateurs et même tous les auditeurs, en somme.

A la fin, tous ont eu l'occasion de grandir : les Scribes et les Pharisiens n'ont pas commis de péché supplémentaire ; quelques-uns, je l'espère, ont pris conscience de leur hypocrisie. Les auditeurs ont eu un enseignement en actes, avec exemple concret. Et la femme, dont on ne saura jamais le nom, a pris un nouveau départ. Faut croire qu'elle avait été fort peu aimée jusqu'alors. Jésus ne l'a pas condamnée, même pas jugée. Ou plutôt, il a jugé qu'elle avait un avenir et le lui a ouvert. C'est, je crois, la meilleure façon d'aider quelqu'un. C'est même une manière de l'aimer et donc de le libérer.

Ce que je ne sais toujours pas, car ce jour-là je n'étais pas tout près du Maître, c'est ce qu'il a écrit sur le sol. Je n'ai jamais osé le lui demander. Mais j'ai quand même une petite idée. Et si c'était "Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés" ? Ou alors "Aimez-vous les uns les autres, comme Dieu vous aime" ? Qui sait ?