Ce chapitre est réservé au plus gros défit que je me suis jamais lancé : tirer un potentiel maximum d'une épave d'un Cartel Régence (époque entre Louis XIV et XV).
J'ai retrouvé sur Internet plusieurs modèles identiques et signés vendus en salles des ventes me permettant de confirmer son ancienneté.
Mes dernières recherches attribueraient la marqueterie à Gilles MARTINOT (1622-1670) (Horloger du Roi en 1662).
Je tiens à préciser que certaines de mes "techniques" sont inspirées de celles utilisées par les professionnels. D'autres sont totalement créatives. Ce chapitre est un sauvetage à titre expérimental.
Le cartel a été restauré de 2015 à 2016. En 2022, j'ai pu finir l'ensemble grâce à l'acquisition d'un socle (cul de lampe) d'époque Louis XV à restaurer.
PRÉSENTATION
J'ai acheté cette épave de pendule dans une brocante à Saint-Andiol. L'objet avait été stocké dans une cave humide.
Lors du déballage, ma première idée fut de récupérer ou revendre les bronzes qui m'avaient fait tant défaut lors de la fabrication de mon cartel Louis XV rouge. Pris d'empathie, je ne pus résister à l'idée d'opérer en profondeur et me plonger, par la même occasion, dans un très long voyage dans le temps. Outre le fait de posséder un objet tricentenaire aux matériaux nobles (écaille de tortue, bronze et laiton), j'avais enfin l'occasion de m'exercer à de nouvelles techniques : le collage à l'ancienne à chaud avec de la colle d'os (commandée sur e-bay) et la manipulation de la marqueterie selon André-Charles BOULLE.
Les premières photos montrent le cartel à sa sortie du carton. Le corps de cette pendule est en chêne recouvert d'une pitoyable marqueterie d'écaille brune de tortue et de laiton. Les différentes parties sont toutes décollées (la colle de peau vieillit très mal surtout à l'humidité). La marqueterie (aussi fine qu'une carte de visite !) est collée sur papier noirci avant d'être collée sur le bois. Cette technique permettait de donner plus de "profondeur" et d’homogénéité à l'écaille parfois transparente.
Les bronzes sont tous oxydés mais on peut observer des traces anciennes de "dorure" (certainement un vernis "ocre") comme cela pouvait se faire à l'époque pour des pendules non signées plus ordinaires.
MODE OPÉRATOIRE
Restauration de la caisse en bois :
- individualisation de toutes les parties (ponçage du bois / dépose de la marqueterie), recollage à la colle de peau à chaud.
- Fabrication de l'amortissement et de la future console en pin (18 mm épaisseur) : découpage, collage, mise en forme à la ponceuse à bande, peinture en brun noir (bitume + pigments).
Restauration ou adaptation des bronzes :
Dépose des bronzes, lessivage dans un bain chaud de savon de Marseille, polissage délicat à la laine d'acier ooo, lustrage.
Dorure à l'aérographe d'une peinture acrylique diluée "Or nacré" de chez Cultura.
Essuyage des parties saillantes (contraste brillant / mat). Vernissage à l'aérographe d'un vernis "gomme laque" de chez Libéron.
Les bronzes manquants sont complétés depuis l'été 2015 :
1 renommée ailée à la trompette en bronze doré XIX° mais dans le goût du XVIII° 19 cm haut (brocante de Carpentras - 2015)
4 frises d'angles feuillagées XIX°s et 1 paire de chutes d'angles pour meuble (e-bay - 2015)
1 motif feuillagé central pour le fronton (brocante de Pernes-les-Fontaines - 2015)
2 moulures en bronzes à motif godronné (brocante de Carpentras février - 2016)
1 platine feuillagée pour le sommet de l'amortissement (brocante de Carpentras juillet - 2016)
1 paire de chutes d'angles pour meubles assortis à ceux du fronton (e-bay même vendeur - 2016) pour la future console.
Pour la renommée : Désoxydation à l'acide. Fabrication de la trompette manquante à partir d'une grosse vis à bois poncée. Creusement de la tête de vis pour former l'intérieur du pavillon et réservation d'une partie renflée pour l'embouchure. Dorure à l'aérographe ("Or nacré" - Cultura).
Pour l'amortissement, le fronton et la console : Adaptation des bronzes d'angles par découpage, ciselure, polissage et dorure à l'aérographe.
A l'instar du modèle identique en écaille verte, il devait y avoir 2 dragons sur le sommet des pieds (deux trous en opposition persistent à cet endroit). Les remplacer à l'identique sera impossible. . . mais l'espoir fait vivre !
Pour information : Ce beau cartel d’applique en corne verte et bronze doré à décor de rocailles, coquilles, agrafes et feuillages est flanqué de deux figures de dragons ailés, surmonté d’un enfant-Jupiter.. Le cadran et le mouvement signés d’Henry Padeval à Paris.. Époque Louis XV. H totale avec socle : 102 cm, L : 36 cm, P socle : 20 cm - adjugé 7200 € à Drouot le 6 juin 2016.
Restauration de la marqueterie :
Remplacer / compléter la marqueterie à l'identique est une mission impossible car l'écaille de tortue est introuvable et le découpage des motifs est extrêmement fin.
Pour montrer ce qui existait à l'origine, j'ai conservé quelques parties. Pour combler les très nombreux manques, j'ai collé une fine tôle de laiton (0,3 mm de chez CONRAD) peinte en fausse marqueterie d'écaille brune.
Pour cela et pour être fidèle aux motifs d'origine, j'ai scanné au préalable toute la marqueterie restante. J'ai reproduit les principaux motifs en lignes vectorisées en utilisant le logiciel INKSCAPE.
J'ai imprimé les motifs à l'échelle 1 sur des feuilles A4 transparentes autocollantes (PRINTPRATIC) que j'ai appliquées sur le laiton. Tous les motifs ont été découpés au scalpel. J'ai ôté uniquement l'adhésif sur les parties à peindre.
La couleur "écaille" a été passée généreusement au pinceau avec du bitume dilué au white spirit (Goudron de pin utilisé en jardinerie). Une fois bien sec, j'ai enlevé les adhésifs restants et j'ai "scarifié" les motifs en laiton à l'aide d'un ROTRING Tikky Graphic (encre de chine 0,3 mm). Enfin, je vernis le tout à l'aérographe avec de la gomme laque pour stabiliser l'ensemble et donner une patine uniforme brillante.
Les filets de laiton anciens ainsi que la marqueterie restante ont été polis à la roue de coton et vernis à la gomme laque. La patine est ainsi comparable à celle des motifs "neufs".
Tous les éléments en laiton ont été plaqués / cloués à la caisse uniquement sur leur bords avec de la colle néoprène (pointes en laiton de différentes tailles)
Découpe des vitrages :
Ce plastique "cristal" a été découpé à la scie à fil et toutes les arrêtes ont été poncées finement puis polies pour plus de netteté.
En raison de la difficulté à découper du verre suivant des formes complexes et arrondies, j'ai opté pour l'utilisation de verre synthétique (idem que pour la copie du baromètre Louis XVI).
J'ai collé un fin galon en passementerie dorée et noire (brocante de l' Isle-sur-la-Sorgue) à la colle néoprène pour un rendu parfait.
Restauration d'un mécanisme XIX°s et du cadran :
J'ai acheté également un mécanisme de marque JAPY du XIX°s. Il est de forme carré comme cela se faisait au XVIII°s. Je l'ai entièrement révisé (dégraissage, polissage, huilage).
Pour les aiguilles, je me suis inspiré d'un modèle "persil" caractéristique du XVIII°. J'ai découpé à la scie électrique à fil (bocfil) une tôle de zinc collée provisoirement sur un bois léger. J'ai affiné et sculpté les aiguilles à la lime puis les ai noircies par électrolyse (bain de bicarbonate de sodium sous courant de 12 V et électrode en cuivre).
Le cadran provient d'une horloge comtoise XVIII°s (brocante de Carpentras). Il est en bronze et à cartouches émaillés.
Pour l'adapter au mécanisme, j'ai du comblé les anciens trous avec de la résine + poudre métallique. Les cartouches manquants (minutes 60 et 5) sont issus d'une feuille de zinc recuite, emboutie, peinte et vernie. Les cartouches troués (heures VII et V) ont été comblés avec une pâte mastic bi-composant, poncée, peinte et vernie.
La couleur bleue des heures XI et V a été rectifiée avec une peinture émail pour faïence (voir mes assiettes peintes).
J'ai repercé de nouveaux trous adaptés au mécanisme.
J'ai découpé une platine (support du cadran + cartouches) dans une feuille d'aluminium de 1 mm faute d'avoir trouvé une tôle de laiton assez grande. Je l'ai peinte en sous-couche d'une couleur transparente laiton (peinture en bombe Luxens (Leroy Merlin)). J'ai pulvérisé ensuite la peinture "Or nacré" de chez Cultura pour uniformiser les dorures.
Le mécanisme a été vissé à la caisse par sa partie supérieure et est maintenu d'aplomb grâce à 2 pattes horizontales fabriquées en acier fin laqué blanc puis doré..
J'ai ajusté la profondeur et la hauteur grâce à ces pattes ajustables.
Les aiguilles en zinc patiné on été mises en place et collées à la colle cyanocrylate (type Araldite).
J'ai adapté un nouveau balancier XVIII° en forme de visage rayonnant (lentille re-ciselée, polie et dorée, achetée chez un artisan bronzier de Saint-Sauveur). La lentille qui est dans la thématique du Cartel et du temps comble parfaitement l'espace vide entre les angelots de la porte et le cadran en bronze.
Enfin, j'ai ajouté un timbre permettant de sonner les heures et les demies. Pour cela, j'ai utilisé un timbre en airain, une tige en cuivre et 2 écrous. J'ai fileté une extrémité de la tige et re-taraudé 2 écrous en laiton.
J'ai courbé l'extrémité de la tige à 90° et immobilisé le timbre entre les 2 écrous. J'ai percé le sommet en bois du cartel pour y faire passer la tige. J'ai réglé la hauteur pour que le marteau frappe correctement le timbre.
Ce système "suspendu" n'est pas conventionnel mais il préserve l'intégrité du mécanisme et de la marqueterie.
2022 - RESTAURATION DU CUL DE LAMPE :
Ce socle d'époque Louis XV a été acheté à la brocante de Villeneuve-lès-Avignon 7 ans après la fin de la restauration du cartel.
Ce type d'article isolé à prix correct est très rare sur le marché aussi, après avoir vérifié que les dimensions et la finesse des bronzes convenaient, l'affaire a été conclue.
Il proviendrait d'Aix-en-Provence et séjournait dans la boutique d'une antiquaire au Castellet (Var).
Il possède tous ses bronzes. L'absence de marqueterie n'est pas un problème car dans tous les cas, j'aurais du entièrement la refaire pour l'assortir à celle de mon cartel.
MODE OPÉRATOIRE
Dépose et nettoyage des bronzes (eau chaude + savon de Marseille + alcali), séchage, lustrage,
Voile de dorure à l'aérographe d'or nacré Cultura + pointe d'acrylique orangé, séchage, voile de gomme laque,
Nettoyage des parties en bois à recoller, collage à chaud à la colle d'os. Comblement des fentes par collage de fines lames de bois.
Traitement au xylophène,
Ponçage léger, dégraissage au solvant cellulosique, voile de bitume dilué au pinceau et White spirit.
Fabrication d'une terrasse manquante : découpage en onglets d'une baguette profilée en pin, façonnage en doucine par ponçage, cloutage et bitume.
Même mode opératoire pour la marqueterie que pour le cartel :
Gabarit des faces à plaquer en papier, scan, numérisation des contours et des volutes (inspiration des motifs du cartel),
Impression sur transparent adhésif, collage sur des plaques de laiton 0,3 mm (CONRAD) découpées et ajustées à la forme,
Découpage au scalpel (pochoirs),
Ceintrage des plaques de laiton,
Bitume, séchage,
Enlèvement des pochoirs, lignes et motifs ajustés à l'encre de chine,
Voile de gomme laque LIBERON, laine d'acier 000, 3 voiles de cire auto-lustrante STARWAX)
Cloutage des bronzes avec des pointes en laiton modernes.
Reprise à l'encre de chine pour un rendu plus précis.