Propos sur
l’accord de libre échange Maroc-Amérique
par Mohamed Elhassani
2004
Inévitable de ne pas analyser l’événement économique dominant de l’heure: l’accord de libre échange conclu le 2 mars 2004 entre le Maroc et les Etats Unies d’Amérique …De prime abord, comment s’y prendre alors qu’une certaine volonté administrative n’a pas voulu le rendre public, à la disposition du citoyen qui est concerné au même titre que les officiels qui sont sensés nous représenter...
Tout le monde parle du traité mais personne n’en connaît le contenu et encore moins les enjeux, sauf peut être la haute sphère au pouvoir. La partie américaine avait proposé d’inclure une clause stipulant l’obligation de le rendre publique avant toute promulgation, mais la partie marocaine a refusé cette clause, sous prétexte qu’elle consulte les intéressés ! Façon de leur faire comprendre qu’ils ne doivent pas s’ingérer dans leur conception de la démocratie!
Position désolante, réminiscence de la mentalité de l’administration coloniale, qui classe la majorité des citoyens dans la catégorie des « indigènes ».
Rien d’instructif n’a donc filtré de ces négociations auto qualifiées de type « gagnant gagnant » et forcément le perdant éventuel n’est pas mis au courant sur le coup, on le fera plus tard lorsqu’il s’agira de payer la facture des échecs politiques tant au niveau diplomatique qu’au niveau socioéconomique…
La facture on la connaît : des accords similaires avec l’Union Européen nous coûtent déjà près de 58 milliards de Dh de déficit de notre balance commerciale, et ….milliard de Dh de dette….
Les congratulations mutuelles et les éloges prodigués aux parties prenantes qui ont semble-t-il "défendu « âprement » les intérêt de leurs pays mutuels, suffisent-ils de convaincre du succès de cet événement historique ? La partie américaine est contente… Qualifié de "révolutionnaire" par le représentant américain au commerce, Robert Zoellick, cet accord comporte par ailleurs des clauses de sauvegarde "pour le respect de la diversité culturelle". Rappelant "l'engagement pionnier du Maroc au sein de la francophonie", le ministre a voulu apaiser les inquiétudes du secteur culturel et audiovisuel. "Les subventions publiques seront maintenues" a-t-il déclaré. Décidément monsieur Zoellick a bien appris le langage fleuve des officiels marocains !
La partie marocaine est satisfaite, les intérêts qu’elle a défendus « âprement » sont sauvegardés. « Et dès le premier jour de l’entrée en vigueur de cet accord, le Maroc jouira de l’accès libre sans droits de douane, au marché dynamique américain qui comprend presque 300 millions de consommateurs qui importent annuellement 1.5 trillion de dollars américains de marchandises et de services. Les droits de douane sur 98 pour cent des exportations de marchandises du Maroc vers les États-Unis disparaîtront dès l’entrée en vigueur de cet accord. Les négociateurs marocains des textiles sont assurés de l’accès étendu au marché américain ».
La tradition hospitalière du Maroc a eu gain de cause une fois de plus: les américains seront copieusement servis et auront leur part du gâteau sans problèmes.
Seulement l’oncle Sam n’est pas dupe : il sait que de ce gâteau minuscule déjà à l’origine, il ne lui restera que des miettes (la France, premier partenaire commercial réalise avec l’Union européen 60% de son commerce extérieur tandis que les Etats-Unis ne comptent que pour 5%.). Ces miettes vont se volatiliser s’il n’agit pas très vite. Il fallait donc faire vite et ficeler l’accord avant que la table de l’hospitalité marocaine ne soit desservie, engloutie par les ayant - droit autoproclamés au nom d’une certaine légitimité néocolonialiste nord-méditerranéenne. D’ailleurs nos négociateurs d’élites semblent se préoccuper plus des intérêts des partenaires européens que des intérêts de leurs concitoyens. « Cet accord s'inscrit dans une stratégie nationale de développement dans le respect de nos bonnes et anciennes relations avec l'Union européen », a affirmé le ministre, soucieux de tranquilliser les détenteurs de ficelles européens et leurs disciples locaux...
En fait, si la partie américaine entame le processus munie d’une vision claire et précise, avec comme partie visible la stratégie du Grand Moyen Orient, la partie marocaine semble mener la tache démunie de tout bagage géostratégique doctrinal et méthodologique authentique. Et pour cause, les pouvoirs publics n’accordent que très peu d’intérêt à la recherche géostratégique, encore moins à l’identification de notre mission spécifique dans le monde. On s’acquitte donc de la tâche des négociations en navigant à vue, avec un seul mot d’ordre : « l’ouverture ». Et on part à l’aventure pour l’abordage improvisé de l’inconnu. Si ce négociateur prétend détenir une quelconque boussole, il ne s’agit en faite que d’instrument déréglé que lui procure les centres de recherches ou les attachés économiques des ambassades de l’ancien colonisateur.
En Amérique ou en Europe. Les choses ne s’improvisent pas de la sorte. Eux, ils ont une vision, ils connaissent clairement leurs objectifs, leurs intérêts, leurs moyens…Leurs institutions de recherches abordent ces questions dans le cadre d’une doctrine d’intégration: Intégration Régionale Nord-Sud (IRNS). L’une des subtilités de cette doctrine c’est de masquer les intentions de domination et d’hégémonie qui soutendent l’idéologie néocoloniale. L’ancienne division du travail trouve sa nouvelle formulation de velours, et il ne s’agit souvent que de changement de méthodes pour maintenir sous leur main mise sur les marchés du sud.
C’est avec cette vision que l’Union Européen s’est engagé en signant, depuis 1995, avec ses partenaires du sud et de l’est de la Méditerranée, des accords d’union douanière (Turquie) ou de libre-échange (Tunisie, Maroc, Jordanie, Égypte, Algérie, Liban).
Plus récemment, le paysage des formes non multilatérales des intégrations économiques internationales s’est enrichi d’une nouvelle catégorie: les zones de libre-échange transocéaniques, qu’il est difficile d’appeler zones régionales, faute de proximité géographique. Ainsi le Mexique, outre son appartenance à l’ALENA, a signé en 2000 un accord de libre-échange avec l’Union Européenne, tout comme le Chili en 2002. La réaction des Etats Unies d’Amérique est immédiate : le projet du Grand Moyen Orient, les accords bilatéraux avec les pays africains traditionnellement chasse gardée de l’Europe…etc
Les centres d’études occidentaux travaillent studieusement sur les questions que soulèvent de tels accords. Si plusieurs débats sont en cours, tels :
· l’IRNS est-elle une nouvelle voie d’accélération du développement, ou bien une simple nouvelle modalité de la dépendance du Sud vis-à-vis du Nord;
· l’IRNS peut-elle dynamiser le Sud tout en exacerbant la dichotomie entre mobilité Nord-Sud du capital et immobilité Sud-Nord du travail non qualifié;
· l’IRNS est-elle complémentaire ou antagonique avec l’intégration Sud-Sud ?);
· l’IRNS dynamise-t-elle les économies du Sud en érodant des positions rentières ou bien ne contribue-t-elle pas aussi à créer de nouvelles rentes)… ;
Le Sud lui ne découvre les déboires de son improvisation qu’en termes mathématiques de déficit de sa balance de paiement, qu’en termes d’aggravation du chômage, qu’en termes de service de la dette, qu’en termes de perte de recettes douanières sans contrepartie…Et l’on compose avec l’amère réalité des échecs, et l’on fait des promesses pour des lendemains meilleurs…
C’est dans ce contexte que l’oncle Sam s’est appliqué à faire passer son projet prometteur de miracles socioéconomiques. Dans un contexte d’économie disloquée par les accords « euromed », Ils nous affirment aujourd’hui que cet accord de libre échange avec les Etats Unies d’Amérique, permettra d’améliorer les performances de l’économie nationale, créera des milliers d’emplois, et assurera le bien-être du peuple marocain.
Pour certaines ONG, ces accords sont perçus autrement. C’est le cas de l’association Attac Maroc qui condamne en bloc cet accord. Mais là encore on constate qu’une vision locale authentique fait défaut. On se réfère à des labels français pour la sauvegarde des intérêts agricoles douteux, ou à l’exception artistique comme si les feuilletons mexicains et égyptiens qui nous envahissent sont des produits locaux…, ou encore la médication excessive française soutenue par une sécurité sociale qui ne peut qu’encourager la surconsommation profitant aux sociétés pharmaceutiques. On cite le cas des génériques du sida… Alors que tout le monde connaît que ce fléau est rarissime en terre d’islam…
On ne peut qu’être attentif aux autres observations soulevées par ATTAC Maroc qui a au moins le mérite de jouer son rôle de veille sociale et de contre pouvoir vigilent.
Pour répondre aux inquiétudes de la société civile associée au processus, M. Fassi, ministre délégué aux affaires étrangères assure « qu’il n’y pas lieu de s’inquiéter car tout a été négocié de façon à sauvegarder les intérêts des deux partis concernant certains produits. Autrement dit, la suppression des tarifs marocains pour les produits et les secteurs sensibles sera introduite progressivement donnant du temps aux Marocains pour s’ajuster et pour que les avantages des réformes économiques commencent à porter leurs fruits. En outre, l’accord tient compte du besoin de la stabilité économique et sociale en déterminant l’accès de la viande rouge, de la volaille et du blé au marché marocain ».
Et au représentant des États Unis pour le commerce extérieur, M. Robert Zoellick, de compléter : « que sous L’ALE, les exportateurs des États-Unis fourniront aux hôtels et aux restaurants de luxe de la viande rouge de haute qualité. Ceci aidera le Maroc à réaliser son objectif de tourisme 2010 sans perturber les marchés sensibles et ruraux de la viande !
Que Dieu nous préserve ainsi que notre monde rural de l’obésité occasionnée par leur hamburger…et leur médication excessive …Amen
Ainsi tout le monde semble-t-il aura sa part du gâteau sauf bien entendu les démunis de ce pays qui représentent 80% de la population si on compte parmi eux la masse des jeunes oubliés par les statistiques officielles, au seuil de la vie active et bien au delà du seuil de la pauvreté.
L’oncle Sam est-il vraiment sincère dans ses intentions de traiter cette pauvreté dans le cadre d’un nouveau plan Marshall pour l’Afrique et le Moyen Orient ? Nous avons de bonnes raisons pour le croire, et autant pour ne pas se faire trop d’illusions.
C’est pour cela, et toujours dans le cadre de l’hospitalité marocaine, mais cette fois-ci la vraie, que nous allons lui préciser notre propre vision sur le sujet, vision partagée par la majorité écrasante des marocains. Nous lui proposons les clefs pour réussir ce projet. « Sept commandements » peuvent résumer les repères nécessaires pour guider un éventuel projet de partage équitable des biens matériels et immatériels de ce bas monde…
1. Sur le plan financier du fait que les finances et les dépôts des marocains sont plutôt partagés entre les banque suisses et les succursales européennes, le meilleur moyen de drainer les capitaux des musulmans, c’est le recours et l’institution des mécanismes financiers islamiques, telles ces branches islamiques non usurières des banques qui fonctionnent bien, et qui draineront les capitaux des croyants hostiles aux pratiques usurières. Ce terrain est encore en friche car l’intégrisme laïque néocolonial n’a jamais bien voulu autoriser l’installation de banques islamiques au Maroc, contrairement à ce que l’on peut voir dans les pays anglo-saxons et les pays musulmans anciennement satellites.
2. Sur le plan de l’édification de régions économiques viables, en encourageant le démantèlement des frontières et des barrières entre pays frères, les opportunités pour les produits et services américains auront un espace plus étendu. La satellisation économique et énergétique du Maroc à l’Europe, a été entretenue en exhortant les responsables Maghrébins à fermer hermétiquement les frontières pour tout échange et complémentarité. Et c’est ainsi que les faux conflits régionaux seront dépassés.
3. Sur le plan environnemental, le néocolonialisme ayant l’exclusivité du marché des véhicules circulant seul sur toutes les route et les villes marocaines, a toujours dissuadé les pouvoirs publics locaux d’innover en matière de moyens de transport et de sources d’énergie. Les grands chantiers pour résoudre les problèmes de transports surtout urbains sont des créneaux prometteurs (métro, rail, RER…).
4. Il va de soit, comme la partie américaine l’exige, que le code du travail soit plus équilibré et moins rigide, mais doit aussi tenir compte des droits et obligations du salarié selon le droit musulman sur le travail.
5. Il en est de même pour le système de justice qui doit gagner en transparence et efficacité, comme le permet notre patrimoine législatif islamique, seul capable de dissuader la corruption, et les pratiques mafieuses.
6. Le respect de la propriété intellectuelle, en dehors de toute nuisance occasionnée par le monopole est chose admise, quoiqu’un hadith du Prophète exhorte que l’on fasse don de son savoir, car « celui qui dissimule un savoir que Dieu lui a enseigné, aura une bride de feu le jour de la résurrection ». Je ne sais pas si les responsables de Microsoft connaissent ce hadith, en tout cas l’une des raisons de l’essor de leurs affaires c’est sûrement à cause des logiciels « free » que les pays démunis utilisent à volonté!
7. Un système d’éducation qui répond aux besoins des entreprises et du marché, tout en réhabilitant les références et les ancrages de nos valeurs morales et de notre éthique, combien nécessaires pour asseoir la confiance entre les acteurs économique de nos deux pays. Il faut absolument insister sur ce point, car un marocain sans scrupule pour sa religion, est un très mauvais partenaire économique sans foi ni loi : les grandes affaires des crimes économiques qui sont jugées actuellement ne peuvent que confirmer ces propos.
Ce n’est qu’en tenant compte de ces principes, que l’homo sapiens « habilis », ingénieux et organisé, et l’homo sapiens « spiritualis », sûr de son apport vital en matière de finalités, pourraient aspirer à édifier des relations durables et exemplaires.
Mohamed El Hassani
Rabat le 24 mars 2004