Textes : Esquisse et ruines

Exposition Strasbourg 2003-4 (notice internet)

http://www.latribunedelart.com/Expositions%20-%20Apotheose%20du%20geste.htm

La liberté inhérente [à l’esquisse] a contaminé la touche de certaines œuvres achevées. Avec Fragonard l’ "esthétique de la touche" gagne les œuvres achevées, en en faisant un précurseur de l’Impressionnisme. [...] Participant de l’esthétique de l’inachevé, l’esquisse confère à l’artiste un grand pouvoir de suggestion, tout en montrant sa virtuosité ; elle permet également au spectateur de voir ce qu’il veut bien y trouver. En somme, l’esquisse ne s’achève que dans l’esprit du spectateur”.

(article sur Diderot) pp. 172-3 Le 6 septembre 1768, Diderot écrivait à Falconet : "La terre cuite est l'affaire du génie, le marbre n'est que la fin de l'ouvrage". De la même manière, les esquisses des peintres s'exposent, elles sont montrées au public. Elles sont admises aux Salons, elles y sont très présentes à partir des années 1760. Elles se vendent aussi aux collectionneurs. A la fin du siècle, de grands collectionneurs comme Conti et Vaudreuil les acceptent dans leurs collections. Certes, cet art de la touche a aussi ses détracteurs, il apparaît à certains comme la preuve de l'incapacité à produire une œuvre aboutie. Les peintres accusés, dit-on, ne savent pas dessiner, et parmi ces peintres se trouve Fragonard : en 1773, un anonyme, que l'on identifie avec le peintre Renou, tourne en ridicule son art, le "nec plus ultra, pour le heurté, le roullé (sic), le bien fouetté, le tarentulisme." En novembre 1762 paraissait dans Le Mercure de France un article dû sans doute au peintre genevois Jean-Etienne Liotard dans lequel l'auteur moquait la touche laissée visible comme "manière de peindre laide et grossière, vantée par l'impatience, la paresse, l'intérêt et l'ignorance." Dans son Traité des règles de la Peinture, il affirmait que "les qualités les plus agréables et les plus essentielles dans la peinture sont la netteté, la propreté et l'uni." Mais peu à peu l'intérêt pour l'esquisse gagne, même si Diderot, lui-même collectionneur d'esquisses, tout en désignant son public, marque les limites de cet horizon d'attente : "Le mérite d'une esquisse, d'une étude, d'une ébauche, ne peut être senti que par ceux qui ont un tact très délicat, très délié, soit naturel, soit développé et perfectionné par la vue habituelle de différentes images du beau en ce genre, ou par les gens mêmes de l'art." Toujours est-il que l'expert de la vente Varanche de Saint-Geniès en 1777 note à propos des esquisses : "Si les tableaux soigneusement finis plaisent plus vulgairement, il est une certaine classe d'amateurs qui jouissent suprêmement sur un seul croquis ; ils recherchent l'âme et les pensées de l'homme de génie, qu'ils savent voir et reconnaître."

Alain : Système des Beaux-Arts I, IV : Il faut aussi remarquer que ce repos et cette assurance de l'esprit retrouvant la forme fidèle et invariable, se fortifie par tous les signes du travail et de la résistance ; en ce sens la trace de l'outil dans la pierre, dans un bois dur, dans le fer, est déjà un ornement ; et l'œil retrouvera toujours, comme un des signes de la beauté, cette puissance de l'objet contre le changement, manifeste encore dans l'usure et même dans les débris des choses durables. En revanche les signes même les moins frappants d'une matière flexible, et qui cède au lieu de s'user, détruisent toujours l'effet des ornements, quand ils seraient pris des meilleurs modèles.

Aristote (Poétique)

il faut évidemment constituer des fables dramatiques comme dans la tragédie, et les faire rouler sur une action unique, entière et complète, ayant un commencement, un milieu et une fin, pour que, semblable à un animal unique et entier, elle cause un plaisir qui lui soit propre.

Balzac :

Gambara (pagination GF) : 98 : "La musique est , parmi les arts celui qui pénètre le plus avant dans l'âme. Vous ne voyez que ce que la peinture vous montre, vous n'entendez que ce que le poète vous dit, la musique va bien au-delà : ne forme-t-elle pas votre pensée, ne réveille-t-elle pas les souvenirs engourdis ? [...] (p. 99) La musique seule a la puissance de nous faire rentrer en nous-mêmes ; tandis que les autres arts nous donnent des plaisirs définis" ; 116 : "Souvent la perfection dans les oeuvres d'art empêche l'âme de les agrandir. N'est-ce pas le procès gagné par l'esquisse contre le tableau fini, au tribunal de ceux qui achèvent l'œuvre par la pensée, au lieu de l'accepter toute faite ? "

233 : "... déifiée par le souvenir, sans cesse rajeunie par les désirs inexaucés ! ".

Massimila Doni :

p. 144 : "L'idée sera toujours plus puissante que le fait ; autrement le désir serait moins beau que le plaisir, et il est plus puissant, il l'engendre".

p. 204 : “La musique moderne, qui veut une paix profonde, est la langue des âmes tendres, amoureuses, enclines à une noble exaltation intérieure. Cette langue, mille fois plus riche que celle des mots, est au langage ce que la pensée est à la parole ; elle réveille les sensations et les idées sous leur forme même, là où chez nous naissent les idées et les sensations, mais en les laissant ce qu'elles sont chez chacun. Cette puissance sur notre intérieur est une des grandeurs de la musique. Les autres arts imposent à l'esprit des créations définies, la musique est infinie dans les siennes. Nous sommes obligés d'accepter les idées du poète, le tableau du peintre, la statue du sculpteur ; mais chacun de nous interprète la musique au gré de sa douleur ou de sa joie, de ses espérances ou de son désespoir. Là où les autres arts cerclent nos pensées en les fixant sur une chose déterminée, la musique les déchaîne sur la nature entière qu'elle a le pouvoir de nous exprimer”.

p. 233 : "déifiée par le souvenir, sans cesse rajeunie par les désirs inexaucés ! "

Cousine Bette LIV "L'argent ne s'obtient que par des choses faites, et qui plaisent assez aux bourgeois pour être achetées"

Balzac : Physiologie du Mariage (“De l’instruction en ménage”)

Que l'esprit naturel est tout , et que l' on est bien plus instruit de ce que l'on apprend ans le monde que de ce qu' on lit dans les livres ; Qu' enfin la lecture finit par ternir les yeux , etc . .

Laisser une femme libre de lire les livres que la nature de son esprit la porte à choisir ! ... Mais c' est introduire l' étincelle dans une sainte - barbe ; c' est pis que cela , c'est apprendre à votre femme à se passer de vous , à vivre dans un monde imaginaire , dans un paradis .

Car que lisent les femmes ? Des ouvrages passionnés , les Confessions de Jean - Jacques , des romans , et toutes ces compositions qui agissent le plus puissamment sur leur sensibilité .

Elles n' aiment ni la raison ni les fruits mûrs . Or , avez - vous jamais songé aux phénomènes produits par ces poétiques lectures ?

Les romans , et même tous les livres , peignent les sentiments et les choses avec des couleurs bien autrement brillantes que celles qui sont offertes par la nature ! Cette espèce de fascination provient moins du désir que chaque auteur a de se montrer parfait en affectant des idées délicates et recherchées , que d' un indéfinissable travail de notre intelligence .

Il est dans la destinée de l' homme d' épurer tout ce qu' il emporte dans le trésor de sa pensée .

Quelles figures , quels monuments ne sont pas embellis par le dessin ? L' âme du lecteur aide à cette conspiration contre le vrai , soit par le silence profond dont il jouit ou par le feu de la conception , soit par la pureté avec laquelle les images se réfléchissent dans son entendement .

Qui n' a pas , en lisant les Confessions de Jean - Jacques , vu Mme de Warens plus jolie qu' elle n' était ? On dirait que notre âme caresse des formes qu' elle aurait jadis entrevues sous de plus beaux cieux ; elle n' accepte les créations d' une autre âme que comme des ailes pour s' élancer dans l' espace ; le trait le plus délicat , elle le perfectionne encore en se le faisant propre ; et l' expression la plus poétique dans ses images y apporte des images encore plus pures .

Lire , c' est créer peut-être à deux .

Ces mystères de la transsubstantiation des idées sont - ils l' instinct d' une vocation plus haute que nos destinées présentes ? Est - ce la tradition d' une ancienne vie perdue ? Qu' était - elle donc si le reste nous offre tant de délices ?Aussi , en lisant des drames et des romans , la femme , créature encore plus susceptible que nous de s' exalter , doit - elle éprouver d' enivrantes extases . Elle se crée une existence idéale auprès de laquelle tout pâlit ; elle ne tarde pas à tenter de réaliser cette vie voluptueuse , à essayer d' en transporter la magie en elle . Involontairement , elle passe de l' esprit à la lettre , et de l' âme aux sens .

Et vous auriez la bonhomie de croire que les manières , les sentiments d' un homme comme vous , qui , la plupart du temps , s' habille , se déshabille , et ... , etc ., devant sa femme, lutteront avec avantage devant les sentiments de ces livres , et en présence de leurs amants factices à la toilette desquels cette belle lectrice ne voit ni trous ni taches ? ... Pauvre sot ! trop tard , hélas ! pour son malheur et le vôtre , votre femme expérimenterait que les héros de la poésie sont aussi rares que les Apollons de la sculpture ! ...

Bien des maris se trouveront embarrassés pour empêcher leurs femmes de lire , il y en a même certains qui prétendront que la lecture a cet avantage qu' ils savent au moins ce que font les leurs quand elles lisent .

D' abord, vous verrez dans la Méditation suivante combien la vie sédentaire rend une femme belliqueuse ; mais n' avez vous donc jamais rencontré de ces êtres sans poésie , qui réussissent à pétrifier leurs pauvres compagnes , en réduisant la vie à tout ce qu' elle a de mécanique ? Étudiez ces grands hommes en leurs discours ! apprenez par coeur les admirables raisonnements par lesquels ils condamnent la poésie et les plaisirs de l' imagination .

Mais si après tous vos efforts votre femme persistait à vouloir lire ... , mettez à l' instant même à sa disposition tous les livres possibles , depuis l' Abécédaire de son marmot jusqu' à René , livre plus dangereux pour vous entre ses mains que Thérèse philosophe .

Vous pourriez la jeter dans un dégoût mortel de la lecture en lui donnant des livres ennuyeux ; la plonger dans un idiotisme complet , avec Marie Alacoque , La Brosse de pénitence , ou avec les chansons qui étaient de mode au temps de Louis XV ; mais plus tard vous trouverez dans ce livre les moyens de si bien consumer le temps de votre femme , que toute espèce de lecture lui sera interdite .

[dans la foulée, voir les passages sur les lectures et les rêveries romanesques d'Emma Bovary]

Balthus « Je vois les adolescentes comme un symbole. Je ne pourrai jamais peindre une femme. La beauté de l’adolescente est plus intéressante. L’adolescente incarne l’avenir, l’être avant qu’il ne se transforme en beauté parfaite. Une femme a déjà trouvé sa place dans le monde, une adolescente, non. Le corps d’une femme est déjà complet. Le mystère a disparu.»

Barbey : Diaboliques, Partie de Whist 182 : LP p. 182 : j’ai deviné, pressenti, un de ces drames cruels, terribles, qui ne se jouent pas en public, quoique le public en voie les acteurs tous les jours ; une de ces sanglantes comédies, comme disait Pascal, mais représentées à huis clos, derrière une toile de manœuvre, le rideau de la vie privée et de l’intimité. Ce qui sort de ces drames cachés, étouffés, que j’appellerai presque à transpiration rentrée, est plus sinistre, et d’un effet plus poignant sur l’imagination et sur le souvenir, que si le drame tout entier s’était déroulé sous vos yeux. Ce qu’on ne sait pas centuple l’impression de ce qu’on sait. Me trompé-je ? Mais je me figure que l’enfer, vu par un soupirail, devrait être plus effrayant que si, d’un seul et planant regard, on pouvait l’embrasser tout entier.

Batteux : ... c’est pour atteindre à cette liberté que les grands peintres laissent quelquefois jouer leur pinceau sur la toile : tantôt, c’est une symétrie rompue ; tantôt, un désordre affecté dans quelque petite partie ; ici, c’est un ornement négligé ; là, un défaut même, laissé à dessein : c’est la loi de l’imitation qui le veut : à ces petits défauts marqués dans la peinture, l’esprit avec plaisir reconnoît la nature. [...] les arts [affectent] des négligences pour paroître plus naturels et plus vrais. "

Baudelaire 1-1007 : Guys : "ébauche parfaite" : M. G. commence par de légères indications au crayon, qui ne marquent guère que la place que les objets doivent tenir dans l’espace. Les plans principaux sont indiqués ensuite par des teintes au lavis, des masses vaguement, légèrement colorées d’abord, mais reprises plus tard et chargées successivement de couleurs plus intenses. Au dernier moment, le contour des objets est définitivement cerné par de l’encre. À moins de les avoir vus, on ne se douterait pas des effets surprenants qu’il peut obtenir par cette méthode si simple et presque élémentaire. Elle a cet incomparable avantage, qu’à n’importe quel point de son progrès, chaque dessin a l’air suffisamment fini ; vous nommerez cela une ébauche si vous voulez, mais ébauche parfaite.

Baudelaire s R Wagner et Tannhauser :

"J'ai souvent entendu dire que la musique ne pouvait pas se vanter de traduire quoi que ce soit avec certitude, comme fait la parole ou la peinture. Cela est vrai dans une certaine proportion, mais n'est pas tout à fait vrai. Elle traduit à sa manière, et par les moyens qui lui sont propres. Dans la musique, comme dans la peinture et même dans la parole écrite, qui est cependant le plus positif des arts, il y a toujours une lacune complétée par l'imagination de l'auditeur".

Baudelaire : Fusées : (X ou XVI selon les éd.)

« J'ai trouvé la définition du Beau, de mon Beau. C'est quelque chose d'ardent et de triste, quelque chose d'un peu vague, laissant carrière à la conjecture.

Je vais, si l'on veut, appliquer mes idées à un objet sensible, à l'objet par exemple, le plus intéressant dans la société, à un visage de femme. Une tête séduisante et belle, une tête de femme, veux-je dire, c'est une tête qui fait rêver à la fois, — mais d'une manière confuse, — de volupté et de tristesse ; qui comporte une idée de mélancolie, de lassitude, même de satiété, — soit une idée contraire, c'est-à-dire une ardeur, un désir de vivre, associés avec une amertume refluante, comme venant de privation ou de désespérance. Le mystère, le regret sont aussi des caractères du Beau.

Une belle tête d'homme (comportera) l'idée d'une puissance grondante et sans emploi, — quelquefois [...] le mystère, [...]. »

Baudelaire Curiosités Esthétiques : "Exalter la ligne au détriment de la couleur, ou la couleur aux dépens de la ligne, sans doute c'est un point de vue; mais ce n'est ni très large ni très juste, et cela accuse une grande ignorance des destinées particulières. / Vous ignorez à quelle dose la nature a mêlé dans chaque esprit le goût de la ligne et le goût de la couleur, et par quels mystérieux procédés elle opère cette fusion, dont le résultat est un tableau".

Baudelaire. Préface de Le Spleen de Paris, 1869 A Arsène Houssaye

Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on ne pourrait pas dire, sans injustice, qu'il n'a ni queue, ni tête, puisque tout, au contraire y est à la fois tête et queue, alternativement et réciproquement. Considérez, je vous prie, quelles admirables commodités cette combinaison nous offre à tous, à vous, à moi et au lecteur. Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie vous le manuscrit, le lecteur sa lecture. Enlevez une vertèbre, et les deux morceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine. Hachez-la en nombreux fragments, et vous verrez que chacun peut exister à part. Dans l'espérance que quelques-uns de ces tronçons seront assez vivants pour vous plaire et vous amuser, j'ose vous dédier l'ensemble du serpent tout entier.

J'ai une petite confession à vous faire. C'est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le fameux Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand (un livre connu de vous, de moi, et de quelques-uns de nos amis, n'a-t-il pas tous les droits d'être appelé fameux ?), que l'idée m'est venue de tenter quelque chose d'analogue, et d'appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d'une vie moderne et plus abstraite, le procédé qu'il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque.

Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?

C'est surtout de la fréquentation des villes énormes, c'est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant. Vous-même, mon cher ami, n'avez-vous pas tenté de traduire en une chanson le cri strident du Vitrier, et d'exprimer dans une prose lyrique toutes les désolantes suggestions que ce cri envoie jusqu'aux mansardes, à travers les plus hautes brumes de la rue?

Mais, pour dire le vrai, je crains que ma jalousie ne m'ait pas porté bonheur. Sitôt que j'eus commencé le travail, je m'aperçus que non-seulement je restais bien loin de mon mystérieux et brillant modèle, mais encore que je faisais quelque chose (si cela peut s'appeler quelque chose) de singulièrement différent, accident dont tout autre que moi s'enorgueillirait sans doute, mais qui ne peut qu'humilier profondément un esprit qui regarde comme le plus honneur du poëte d'accomplir juste ce qu'il a projeté de faire.

Votre bien affectionné, CB

Baudelaire : Un Charogne :

Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,

Une ébauche lente à venir

Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève

Seulement par le souvenir.

Bernhardt Maîtres anciens, p.37 Jusqu’ici, dans chacun de ces tableaux, soi-disant chefs-d’œuvre, j’ai trouvé un défaut rédhibitoire, j’ai trouvé et dévoilé l’échec de son créateur. Depuis plus de trente ans, ce calcul infâme, comme vous pourriez le penser, s’est révélé juste. Aucun de ces chefs-d’œuvre mondialement connus, peu importe leur auteur, n’est en vérité un tout et parfait. Cela me rassure [...]. Cela me rend heureux. C’est seulement lorsque nous nous sommes rendu compte, à chaque fois, que le tout et la perfection n’existent pas, que nous avons la possibilité de continuer à vivre. (Folio, traduction Gilberte Lambrichs)

Bonnefoy Yves : (Goya, Baudelaire... entretiens d'Y. B av. J. Starobinski, Genève 2004) : "Certains lecteurs sont des co-auteurs de ce qu'ils lisent, allant chercher dans la profondeur inexplicitée des textes de quoi enrichir le sens que ceux-ci vont prendre pour le moment présent de l'histoire. Le lecteur peut créer une œuvre autant qu'en recevoir nourriture" (cité Massé "La parole..." p. 95)

Camus : Noces : « Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposé par l'homme, sont rentrées dans la nature. Pour le retour de ces filles prodigues, la nature a prodigué les fleurs. Entre les dalles du forum, l'héliotrope pousse sa tête ronde et blanche, et les géraniums rouges versent leur sang sur ce qui fut maisons, temples et places publiques. Comme ces hommes que beaucoup de sciences ramènent à Dieu, beaucoup d'années ont ramené les ruines à la maison de leur mère. Aujourd'hui enfin, leur passé les quitte, et rien ne les distrait de cette force profonde qui les ramène au centre des choses qui tombent. »

Céline Nord p. 310 : "vous regardez un tableau moderne, vous vous donnez un peu plus de mal"

Cézanne : « Le fini fait l'admiration des imbéciles. »

Clair (Jean) : Lait noir de l'aube p. 124 : "Dessiner, c'est marquer la frontière, c'est insister sur notre essence, c'est délimiter cette petite portion d'espace et de temps par laquelle nous existons aux yeux des autres. C'est défendre son intégrité, son unité biologique et spirituelle. "Je" est ici, parmi ces lignes, et je m'y tiens."

Clair (Jean) : Courte histoire de l'art moderne p. 13 : "La notion d'inachèvement donne ainsi à la modernité l'un de ses traits directeurs : bon nombre d'œuvres modernes se présentent comme inachevées, à l'instar du projet de la modernité. Comme si le projet lui-même était considéré comme interminable, de Mallarmé à Blanchot, du "Livre" introuvable au livre "à venir". Ce projet perpétuellement relancé et toujours déçu constitue vraiment l'essence de la modernité."

Cochin : "Ce qui fait le fini d'un tableau n'est point le fondu du pinceau c'est plutôt le compte rendu avec exactitude quoique souvent avec une négligence apparente de toutes les formes et les surfaces de la nature. Il y a des tableaux que les gens sans connoissance appellent finis, où il manque presque tout ce qu'un peintre qui connoit bien la nature et le fond de son art auroit mis dans une simple ébauche. "

Compagnon : (« La 'Recherche' à hauteur d’homme », Le Magazine littéraire, avril 2010)

Peut-être est-ce la première chose dont il faut se convaincre pour pouvoir se plonger dans Proust : cette œuvre n’est pas parfaite, elle est ce qu’elle est, mais elle aurait pu être autre chose. Le livre que nous tenons entre les mains est contingent, inachevé : il a été interrompu par l’imprimeur pour les premiers volumes, par la mort de l’auteur pour les derniers. Il a été, pour ainsi dire, bâclé. Si ce roman peut, doit être lu vite – il sera toujours temps d’y revenir -, c’est aussi que, à l’encontre d’une idée reçue qui effraie aussi, il a été conçu dans la hâte, entre 1909 et 1912 pour la première version à peu près au point à la veille de la Grande Guerre, entre 1915 et 1916, pour la seconde version introduisant Albertine, c’est-à-dire en très peu de temps. Au-delà, Proust relit, révise, remembre, raccorde indéfiniment. Montaigne, lui, a mis vingt ans à écrire les Essais, de 1572 à sa mort en 1592, soit moins de soixante pages par an. Proust lui, fonçait.

Delacroix : Journal : Je me suis mis, après mon déjeuner, à reprendre le Christ au tombeau : c'est la troisième séance d'ébauche ; et, dans ma journée malgré un peu de malaise, je l'ai remonté vigoureusement et mis en état d'attendre une quatrième reprise. Je suis satisfait de cette ébauche, mais comment conserver, en ajoutant des détails, cette impression d'ensemble qui résulte de masses très simples ? La plupart des peintres, et j'ai fait ainsi autrefois, commencent par les détails et donnent l'effet à la fin. Quel que soit le chagrin que l'on éprouve à voir l'impression de simplicité d'une belle ébauche disparaître à mesure qu'on y ajoute des détails, il reste encore beaucoup plus de cette impression que vous ne parviendriez à en mettre quand vous avez procédé d'une façon inverse. (...) Un des grands avantages de l'ébauche, par le ton et l'effet, sans s'inquiéter des détails, c'est qu'on est forcement amené à ne mettre que ceux qui sont absolument nécessaires. Commençant ici par finir les fonds, je les ai faits les plus simples possible, pour ne pas paraître surchargés, à côté des masses simples que présentent encore les figures. Réciproquement, quand j'achèverai les figures, la simplicité des fonds me permettra, me forcera même de n'y mettre que ce qu'il faut absolument. Ce serait bien Ie cas, une fois l'ébauche amenée à ce point, de faire autant que possible chaquemorceau, en s'abstenant d'avancer Ie tableau en entier : je suppose toujours que l'effet et Ie ton sont trouvés partout. Je dis donc que la figure que l'on s'attacherait à finir parmitoute les autres qui ne sont que massées, conserverait forcément de la simplicité dans les détails, pour ne pas la faire trop jurer avec ses voisines qui ne seraient qu'à l'ébauche. II est évident que si, Ie tableau arrive par l'ébauche à un état satisfaisant pour l'esprit, comme lignes, couleur et effet, on continue à travailler jusqu'au bout dans Ie même sens, c'est-à-dire en ébauchant toujours en quelque sorte, on perd en grande partie Ie bénéfice de cette grande simplicité d'impression qu'on a trouvée dans Ie principe.L'œil s'accoutume aux détails qui se sont introduits de proche en proche dans chacune des figures et dans toutes en même temps ; Ie tableau ne semble jamais fini. Premier inconv'nient : les détails étouffent les masses ; deuxième inconvénient : Ie travail devient beaucoup plus long.

Delacroix J 330 : "l'ébauche d'un ouvrage ne plaît tant que parce que chacun l'achève à son gré" ; J 341 "L'ébauche [...] doit agir davantage sur l'âme, à raison de ce que celle-ci y ajoute"

Delacroix, Journal 23 juillet 1849 p. 199 : lettre à Peisse, recopiée (il devait donc y attacher de l'importance puisqu'il copie rarement ses lettres ds son Journal :

"Ce fameux beau que les uns voient dans la ligne serpentine, les autres dans la ligne droite, ils se sont obstinés à ne le jamais voir que dans les lignes. Je suis à ma fenêtre et je vois le plus beau paysage : l'idée d'une ligne ne me vient pas à l'esprit. L'alouette chante, la rivière réfléchit mille diamants, le feuillage murmure ; où sont les lignes qui produisent ces charmantes sensations ? Ils ne veulement voir proportion, harmonie, qu'entre des lignes : le reste pour eux est chaos, et le compas seul est juge (...) Il y a plusieurs volumes à faire là-dessus".

Delacroix p. 279 6 juin 51 : "Contre l'opinion vulgaire, je dirais que la couleur a une force beaucoup plus mystérieuse et peut-être plus puissante ; elle agit pour ainsi dire à notre insu"

De Piles : "Les dessins touchés et peu finis ont plus d'esprit et plaisent bp davantage que s'ils étaient plus achevés"

Descartes Dioptrique IV Des sens en général, FA 1 p. 685

"Leur perfection (des images par rapport aux objets qu'elles leur représentent) dépend de ce qu'elles ne leur ressemblent pas tant qu'elles pourraient le faire. Comme vous voyez que les tailles-douces, n'étant faites que d'un peu d'encre posée ça et là sur du papier, nous représentent des forêts, des villes, des hommes, et même des batailles et des tempêtes, bien que, d'une infinité de diverses qualités qu'elles nous font concevoir en ces objets, il n'y en ait aucune que la figure seule dont elles aient proprement la ressemblance ; et encore est-ce une ressemblance fort imparfaite, vu que, sur une superficie toute plate, elles nous représentent des corps diversement relevés et enfoncés, et que même, suivant les règles de la perspective, souvent elles représentent mieux des cercles par des ovales que par d'autres cercles ; et des carrés par des losanges que par d'autres carrés ; et ainsi de toutes les autres figures : en sorte que souvent, pour être plus parfaites en qualité d'images, et représenter mieux un objet, elles doivent ne lui pas ressembler."

Dezallier d'Argenville : (1762) "un artiste en peignant un tableau se corrige et réprime la fougue de son génie ; en faisant un dessein (sic) , il jette le premier feu de sa pensées, il s'abandonne à lui-même ; il se montre tel qu'il est" (LXII-III)

Diderot :

cf: 6-276 : “La loi de tout finir a quelque restriction”

Salon de 1767 AT XI 147 ("emprunt" à Burke) : "La nuit dérobe les formes, donne de l'horreur aux bruits, ne fût-ce que celui d'une feuille, au fond d'une forêt, il met l'imagination en jeu"

Salon de 1767 OC CFL t. 7 p. 284-6 :

Pourquoi une belle esquisse nous plaît-elle plus qu'un tableau ? c'est qu'il y a plus de vie, et moins de formes. A mesure qu'on introduit les formes, la vie disparaît. Dans l'animal mort, objet hideux à la vue, les formes y sont, la vie n'y est plus. Dans les jeunes oiseaux, les petits chats, plusieurs autres animaux, les formes sont encore enveloppées, et il y a tout plein de vie, aussi nous plaisent-ils beaucoup. Pourquoi un jeune élève, incapable de faire même un tableau médiocre, fait-il une esquisse merveilleuse ? C'est que l'esquisse est l'ouvrage de la chaleur et du génie ; et le tableau l'ouvrage du travail, de la patience, des longues études, et d'une expérience consommée de l'art. Qui est-ce qui sait, ce que nature même semble ignorer, intruoduire les formes de l'âge avancé ; et conserver la ve de la jeunesse ?

[...]

L'esquisse ne nous attache peut-être si fort que parce qu'étant indéterminée, elle laisse plus de liberté à notre imagination, qui y voit tout ce qui lui plaît. C'est l'histoire des enfant qui regardent les nuées, et nous le sommes tous plus ou moins. C'est le cas de la musique vocale et de la musique instrumentale. Nous entendons ce que dit celle-là, nous faisons dire à celle-ci ce que nous voulons. [...] Voici, mon ami, des esquisses de tableaux et des esquisses de descriptions."

id 365-366 : Si cette esquisse m'appartenait, je ne permettrais jamais à l'artiste de l'achever. [...] Ce n'est rienn, et c'est beaucoup. comme de toutes les esquisses. [...] Une mauvaise esquisse n'engendra jamais qu'un mauvais tableau ; une bonne esquisse n'en engendra pas toujours un bon. Une bonne esquisse peut être la production d'un jeune homme, plein de verve et de feu, que rien ne captive, qui s'abandonne à sa fougue. Un bon tableau n'est jamais que l'ouvrage d'un maître qui a beauxoup réfléchi, médité, travaillé. C'est le génie qui fait la belle esquisse et le génie ne se donne pas. C'est le temps, la patience et le travail qui donnent le beau faire, et le faire peut s'acquérir.

Salon de 1765 CFL 6-142-3, "La mère bien-aimée” Greuze :

“Les esquisses ont communément un feu que le tableau n’a pas. C’est le moment de chaleur de l’artiste, la verve pure, sans aucun mélange de l’apprêt que la réflexion met à tout ; c’est l’âme du peintre qui se répand librement sur la toile. La plume du poète, le crayon du dessinateur habile, ont l’air de courir et de se jouer. La pensée rapide caractérise d’un trait. Or plus l’expression des arts est vague, plus l’imagination est à l’aise. Il faut entendre dans la musique vocale ce qu’elle exprime. Je fais dire à une symphonie bien faite, presque ce qui me plaît ; et comme je sais mieux que personne la manière de m'affecter, par l'expérience que j'ai de mon propre cœur, il est rare que l'expression que je donne aux sons, analogue à ma situation actuelle, sérieuse, tendre ou gaie, ne me touche plus qu'une autre qui serait à mon choix. Il en est à peu près de même de l'esquisse et du tableau. Je vois dans le tableau une chose prononcée ; combien dans l'esquisse y supposé-je de choses qui y sont à peine annoncées.”

Diderot :

Salon de 1767 OC CFL 7-293-4 : Au sortir des esquisses de Robert, encore un petit mot sur les esquisses. Quatre lignes perpendiculaires, et voilà quatre belles colonnes, et de la plus magnifique proportion. Un triangle joignant le sommet de ces colonnes, et voilà un beau fronton ; et le tout est un morceau d'architecture élégant et noble ; les vraies proportions sont données, l'imagination fait le reste. Deux traits informes élancés en avant, et voilà deux bras ; deux autres traits informes, et voilà deux jambes ; deux endroits pochés au dedans d'un ovale, et voilà deux yeux ; un ovale mal terminé, et voilà une tête ; et voilà une figure qui s'agite, qui court, qui regarde, qui crie. Le mouvement, l'action, la passion même sont indiqués par quelques traits caractéristiques, et mon imagination fait le reste. Je suis inspiré par le souffle divin de l'artiste. Agnosco veterls vestigia flammae*. C'est un mot qui réveille en moi une grande pensée. Dans les transports violents de la passion, l'homme supprime les liaisons, commence une phrase sans la finir, laisse échapper un mot, pousse un cri, et se tait. Cependant j'ai tout entendu. C'est l'esquisse d'un discours. La passion ne fait que des esquisses. Que fait donc un poète qui finit tout ? Il tourne le dos à la nature.... Mais Racine ? Racine ! à ce nom, je me prosterne, et je me tais. * (Virgile En. IV, 23. je retrouve la flamme ancienne)

Salon de 1767 OC CFL 7-371 : Le vrai goût s'attache à un ou deux caractères, et abandonne le reste à l'imagination. Les détails sont petits, ingénieux et puérils [...]. Il me montre tout ; il ne me laisse rien à faire. Il me fatigue, il m'impatiente. Si une figure marche, peignez-moi son port et sa légèreté, je me charge du reste. Si elle est penchée, parlez-moi de ses bras seulement et de ses épaules ; je me charge du reste. Si vous faites quelque chose de plus , vous confondez les genres ; vous cessez d'être poète, vous devenez peintre ou sculpteur. Je sens vos détails , et je perds l'ensemble.

Diderot

Salon de 1767 OC CFL 7-116 : "O mon ami, la plate chose que des vers bien faits ! la plate chose que de la musique bien faite ! la plate chose qu'un morceau de peinture bien fait, bien peint !"

Salon de 1767 OC CFL 7-224 : "Un homme de lettres, qui n'est pas sans mérite, prétendait que les épithètes générales et communes, telles que grand, magnifique, beau, terrible, intéressant, hideux, captivant moins la pensée de chaque lecteur, à qui cela laisse, pour ainsi dire, carte blanche, étaient celles qu'il fallait toujours préférer. Je le laisse dire ; mais tout bas je lui répondais, au dedans de moi-même : Oui , quand on est un pauvre diable comme toi , quand on ne se peint que des images triviales. Mais quand on a de la verve, des concepts rares, une manière d'apercevoir et de sentir originale et forte, le grand tourment est de trouver l'expression singulière, individuelle, unique, qui caractérise, qui distingue, qui attache et qui frappe. "

Diderot OC CFL 5- 293 sur Bouchardon :

« Il s’applique; il dispute le prix de l’Académie; il l’emporte, et il est envoyé à Rome. Quand on a du génie, c’est là qu’on le sent. Il s’éveille au milieu des ruines. Je crois que de grandes ruines doivent plus frapper que ne feraient des monuments entiers et conservés. Les ruines sont loin des villes; elles menacent, et la main du temps a semé parmi la mousse qui les couvre une foule de grandes idées et de sentiments mélancoliques et doux. J’admire l’édifice entier; la ruine me fait frissonner; mon coeur est ému, mon imagination a plus de jeu. C’est comme la statue que la main défaillante de l’artiste a laissée imparfaite; que n’y vois-je pas? Je reviens sur les peuples qui ont produit ces merveilles et qui ne sont plus, et in lenocinio commendationis dolor est manus, cum id ageret, extinctae***. »

Diderot, sur H. Robert, Salon de 1767, DD7-267 :

"L'effet de ces compositions, bonnes ou mauvaises, c'est de vous laisser dans une douce melancolie. Nous attachons nos regards sur les debris d'un arc de triomphe, d'un portique, d'une pyramide, d'un temple, d'un palais; et nous revenons sur nous-memes; nous anticipons sur les ravages du temps ; et notre imagination disperse sur la terre les edifices memes que nous habitons. A l'instant la solitude et le silence regnent autour de nous. Nous restons seuls de toute une nation qui n'est plus. Et voilà la premiere ligne de la poetique des ruines" 268 Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. Tout s'anéantit, tout périt, tout passe. Il n'y a que le monde qui reste. Il n'y a que le temps qui dure. Qu'il est vieux ce monde ! Je marche entre deux éternités. De quelque part que je jette les yeux, les objets qui m'entourent m'annoncent une fin, et me résignent à celle qui m'attend. Qu'est-ce que mon existence éphémère, en comparaison de celle de ce rocher qui s'affaisse , de ce vallon qui se creuse, de cette forêt qui chancèle, de ces masses suspendues au-dessus de ma tête, et qui s'ébranlent? Je vois le marbre des tombeaux tomber en poussière ; et je ne veux pas mourir ! et j'envie un faible tissu de fibres et de chair, à une loi générale qui s'exécute sur le bronze ! Un torrent entraîne les nations les unes sur les autres, au fond d'un abîme commun ; moi, moi seul, je prétends m'arrêter sur le bord, et fendre le flot qui coule à mes côtés !

Diderot : “Le dessin donne la forme aux êtres ; c’est la couleur qui leur donne la vie ; voilà le souffle divin qui les anime...”

Diderot : Essai ch. III p. 268) “Si dans un tableau la vérité des lumières se joint à celle de la couleur, tout est pardonné, du moins dans le premier instant, incorrections dans le dessin, manque d’expression, pauvreté de caractère, vices d’ordonnance, on oublie tout ; on demeure extasié, surpris, enchaîné, enchanté”

Diderot : Lettre sur les Sourds et les Muets : « Comment se fait-il donc que, des trois arts imitateurs de la nature, celui dont l'expression est la plus arbitraire et la moins précise parle le plus fortement à l'âme ? Serait-ce que, montrant moins les objets, il laisse plus de carrière à notre imagination, ou qu'ayant moins besoin de secousses pour être émus, la musique est plus propre que la peinture et la poésie à produire en nous cet effet tumultueux ? »

(voir d'autres textes en fin de page)

Eco : « L'oeuvre est ouverte au sens où l'est un débat : on attend, on souhaite une solution, mais elle doit naître d'une prise de conscience du public. L'ouverture devient instrument de pédagogie révolutionnaire. »

(...) Toute œuvre d'art alors même qu'elle est une forme achevée et close dans sa perfection d'organisme exactement calibré, est ouverte au moins en ce qu'elle peut être interprétée de différentes façons, sans que son irréductible singularité soit altérée. Jouir d'une œuvre d'art revient à en donner une interprétation, une exécution, à la faire revivre dans une perspective originale.

(...) Elle rend possible une multiplicité d'interventions personnelles, mais non pas de façon amorphe et vers n'importe quelle intervention. Elle est une invitation, non pas nécessitante ni univoque mais orientée, à une insertion relativement libre dans un monde qui reste celui voulu par l'auteur. [...] L'auteur offre à l'interprète une œuvre à achever.

Express 1994 expo Poussin : Jusqu'à ce que la maladie empêche ses mains tremblantes de tenir un pinceau. Sa dernière œuvre, «Apollon amoureux de Daphné» est sûrement l'une des plus émouvantes de l'histoire de l'art. Inachevée, car la mort le rattrape. Poussin y décrit l'infortune d'Apollon, dieu de la fertilité et de la vie, qui n'atteint jamais l'objet de son désir, séparé de sa belle nymphe par toute la largeur du tableau. Les traits sont à peine indiqués, les corps ébauchés, le fond est presque flou, mais Corot et Cézanne sont déjà là.

Faliu (Odile ; conserv. BN) : Un fou de dessin au dix-huitième siècle, petit maître de l’eau-forte libre

L’Académie particulière gravée par Gabriel de Saint-Aubin combine plusieurs vertus : elle est due à un artiste rare, dont la pointe et le crayon n’ont cessé de noter l’esprit de son temps sur des planches de cuivre, des carnets de dessins, des feuilles volantes, des livrets de Salons ou des catalogues de ventes. Jean Adhémar (La Gravure originale au XVIIIe siècle, Paris, Somogy, 1963, p.101) décrit l’infatigable artiste : "on le rencontre partout, dans toute occasion, le crayon à la main. Il dessine en tout temps et en tout lieu : les scènes de la rue, les spectacles qu’il voit autour de lui, les petits événements du jour, les nouveaux monuments. Pour vivre, il se spécialise dans des dessins sur les marges des catalogues de Salons et de ventes (qui alors ne sont pas illustrés), afin de conserver pour les amateurs le souvenir des tableaux. " Ses eaux-fortes témoignent d’une semblable curiosité pour tout ce qui l’entoure et d’un intérêt marqué pour les possibilités offertes par la taille-douce, exploitée à travers de nombreux états d’impression.

Dans L’Académie particulière, nul doute que Saint-Aubin ne s’est dessiné --- lui-même ou son double --- dans l’ombre du premier plan, assis par terre, tout au plaisir de dessiner, attentif et absorbé, ses yeux et sa main créant une sorte de "compas" esthétique très personnel capturant avec douceur le motif, ici le grand corps blanc féminin étendu sur un divan. Estampe "découverte" par la nudité du modèle mais nullement aguicheuse ou obscène, l’Académie particulière de Gabriel de Saint-Aubin donne à voir avec sobriété et un frémissement retenu l’émerveillement devant la beauté. Eau-forte originale du siècle des Lumières, sa fraîcheur ravissante ne manquera pas de séduire l’oeil contemporain, nous l’espérons. (Odile Faliu, Conservateur en chef, Bibliothèque nationale de France)

Félibien (André) : Entretiens... 1685 : Rembrandt : "Tous ses tableaux sont peints d'une manière très particulière, et bien différente de celle qui paraît si léchée, dans laquelle tombent d'ordinaire les peintres flamands. Car souvent il ne faisait que donner des coups de pinceau, et coucher ses couleurs fort épaisses, les unes auprès des autres, sans les noyer et les adoucir ensemble. Cependant, comme les goûts sont différents, plusieurs personnes ont fait cas de ses ouvrages. Il est vrai aussi qu'il y a beaucoup d'art, et qu'il a fait de fort belles têtes. Quoique toutes n'aient pas les grâces du pinceau, elles ont beaucoup de force ; et lorsqu'on les regarde d'une distance proportionnée, elles font un très bon effet, et paraissent avec beaucoup de rondeur. [...] Il n'y a pas longtemps qu'on m'en fit voir une, où toutes les teintes sont séparées, et les coups de pinceau marqués d'une épaisseur de couleurs si extraordinaire qu'un visage paraît avoir quelque chose d'affreux, lorsqu'on le regarde un peu de près. Cependant, comme les yeux n'ont pas besoin d'une grande distance pour embrasser un simple portrait, je ne vois pas qu'ils puissent être satisfaits, en voyant des tableaux si peu finis. [...] Il a si bien placé les teintes et les demi-teintes les unes auprès des autres, et si bien entendu les lumières et les ombres, que ce qu'il a peint, d'une manière grossière, et qui même ne semble souvent qu'ébauché, ne laisse pas de réussir lors [...] qu'on n'en est pas trop près. Car, par l'éloignement, les coups de pinceau fortement donnés, et cette épaisseur de couleurs que vous avez remarquée, diminuent à la vue, et, se noyant et se mêlant ensemble, font l'effet qu'on souhaite.

La distance qu'on demande pour bien voir un tableau n'est pas seulement afin que les yeux aient plus d'espace et plus de commodité pour embrasser les objets, et pour les mieux voir ensemble : c'est encore afin qu'il se trouve davantage d'air entre l'œil et l'objet.

[...] Quelque soin qu'on apporte à bien peindre un ouvrage, toutes ses parties étant composées d'une infinité de différentes teintes, qui demeurent toujours en quelque façon distinctes et séparées, ces teintes n'ont garde d'être mêlées ensemble, de la même sorte que sont celles des corps naturels. Il est bien vrai que quand un tableau est peint dans la dernière perfection, il peut être considéré dans une moindre distance ; et il a cet avantage de paraître avec plus de force et de rondeur, comme font ceux du Corrège. [...] La grande union et le mélange des couleurs sert beaucoup à donner aux tableaux plus de force et de vérité, et [...] aussi plus ou moins de distance contribue infiniment à cette union.

Flaubert : Lettre à Ernest Duplan du 12 juin 1862, Correspondance III, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1991, p. 221-222 « Jamais, moi vivant, on ne m'illustrera, parce que la plus belle description littéraire est dévorée par le plus piètre dessin. Du moment qu'un type est fixé par le crayon, il perd ce caractère de généralité, cette concordance avec mille objets connus qui font dire au lecteur : « J'ai vu cela » ou « Cela doit être ». Une femme dessinée ressemble à une femme, voilà tout. L'idée est déjà fermée, complète, et toutes les phrases sont inutiles, tandis qu'une femme écrite fait rêver à mille femmes. Donc, ceci étant une question d'esthétique, je refuse formellement toute espèce d'illustration. »

Gautier Maupin GF p. 353 : "Son corps était une petite merveille de délicatesse – Ses bras, un peu maigres comme ceux de toute jeune fille, étaient d’une suavité de linéaments inexprimable, et sa gorge naissante faisait de si charmantes promesses qu’aucune gorge plus formée n’eût pu soutenir la comparaison. – Elle avait encore toutes les grâces de l’enfant et déjà tout le charme de la femme ; elle était dans cette nuance adorable de transition de la petite fille à la jeune fille : nuance fugitive, insaisissable, époque délicieuse où la beauté est pleine d’espérance, et où chaque jour, au lieu d’enlever quelque chose à vos amours, y ajoute de nouvelles perfections".

Gide à Valéry Lettre n° 12, fév. 1891, p. 61 2° éd. :

Gide rapporte ce que Mallarmé lui a dit de son livre (à Gide) :

“Votre livre est un livre de silences - vous avez su la chose la plus difficile : se taire ; - de sorte que toutes les pensées sont dans l’intervalle des lignes” [...]

puis Gide parle à Valéry des vers que ce dernier lui a envoyés :

"J'aime vos vers, non comme des meilleurs, mais comme des plus "pour moi". Je rêverais une pièce - courte - mais vraiment "de silence", qui ne semblerait qu'une portée musicale où l'initié lecteur grouperait les notes sensitives au gré de ses intimes émois - comme, plutôt, une lyre inutile, muette et toute inanimée, où le souffle circulerait, au cours de la lecture haute, excitant dans le rapport des cordes les harmonies absconses à s'échapper mélodieuses. Il faut faire cela. Votre pièce en approche, mais j'y sens encore trop les phrases".

Gide Journal des Faux-Monnayeurs : « Puis, mon livre achevé, je tire la barre, et laisse au lecteur le soin de l’opération ; addition, soustraction, peu importe : j’estime que ce n’est pas à moi de la faire. Tant pis pour le lecteur paresseux : j’en veux d’autres. Inquiéter, tel est mon rôle. Le public préfère toujours qu’on le rassure. Il en est dont c’est le métier. Il n’en est que trop. »

Gide Paludes, exergue : « Avant d’expliquer aux autres mon livre, j’attends que d’autres me l’expliquent. Vouloir l’expliquer d’abord c’est en restreindre aussitôt le sens ; car si nous savons ce que nous voulions dire, nous ne savons pas si nous ne disions que cela. — On dit toujours plus que CELA. — Et ce qui surtout m’y intéresse, c’est ce que j’y ai mis sans le savoir, — cette part d’inconscient, que je voudrais appeler la part de Dieu. — Un livre est toujours une collaboration, et tant plus le livre vaut-il, que plus la part du scribe y est petite, que plus l’accueil de Dieu sera grand. — Attendons de partout la révélation des choses ; du public, la révélation de nos œuvres. »

Goetz Ingres-collages p 79 : "un esprit de 1777* pouvait écrire : 'si les tableaux soigneusement finis plaisent plus vulgairement, il est une certaine classe d'amateurs qui jouissent suprêmement sur un seul croquis ; ils recherchent l'âme et les pensées de l'homme de génie, qu'ils savent voir et reconnaître". * il s’agit de l'expert de la vente Varanche de Saint-Génies en 1777

Guitry (En Verve p. 46) : "Un croquis, ce n'est pas le début d'un chef d'œuvre à venir ; ce n'en est pas la fin ; c'en est l'essentiel"

Hoffmann LP p. 17 s Callot, début : "Pourquoi, maître hardi, ne puis-je me rassasier de la vue de tes gravures fantastiques ? Pourquoi tous ces personnages, souvent suggérés par un ou deux traits audacieux, ne quittent-ils plus ma mémoire ? etc.

Horace : Art Poétique, trad. Batteux (1748) :

« Si un Peintre s'avisoit de mettre une tête humaine sur un cou de cheval, & d’y attacher des membres de toutes les especes, qui seroient revêtus des plumes de toutes sortes d’oiseaux ; de maniere que le haut de la figure représentât une belle femme, & l’autre extrémité un poisson hideux ; je vous le demande [...], pourriez-vous vous empêcher de rire à la vue d'un pareil tableau ?

C’est précisément l'image d'un livre qui ne seroit rempli que d'idées vagues, sans dessein, comme les delires d'un malade, où ni les pieds, ni la tête, ni aucune des parties n'iroit à former un tout. Les Peintres direz-vous & les Poëtes, ont toujours eu la permission de tout oser. Nous le savons : c'est un droit que nous nous demandons & que nous nous accordons mutuellement. Mais c'est à condition qu'on n'abusera point de ce droit, pour allier ensemble les contraires, & qu'on n'accouplera point les serpens avec les oiseaux, ni les agneaux avec les tigres. »

James (sur les critiques à Portrait of a lady : on dira que je la laisse en suspens ; mais le tout de rien n'est jamais dit.)

"The obvious criticism of course will be that it is not finished - that I have not seen the heroine to the end of her situation - that I have left her en l'air. - This is both true and false. The whole of anything is never told ; you can only take what groups together. What I have done has that unity - it groups together. It is complete in itself - and the rest may be taken up or not, later." Henry James, The Notebook of Henry James, eds. F. 0. Matthiessen and K. B. Murdock (New York: Oxford University Press, 1947), p. 18

James (H.) : Travelling companions (début) The most strictly impressive picture in Italy is incontestably the Last Supper of Leonardo at Milan. A part of its immense solemnity is doubtless due to it's being one of the first of the great Italian masterworks that you encounter in coming down from the North. Another secondary source of interest resides in the very completeness of it's decay. The mind finds a rare delight in filling each of it's vacant spaces, effacing its rank defilement, and repairing, as far as possible, it's sad disorder. Of the essential power and beauty of the work there can be no better evidence than this fact that, having lost so much, it has yet retained so much. An unquenchable elegance lingers in those vague outlines and incurable scars; enough remains to place you in sympathy with the unfathomable wisdom of the painter. The fresco covers a wall, the reader will remember, at the end of the former refectory of a monastery now suppressed, the precinct of which is occupied by a regiment of cavalry. Horses stamp, soldiers rattle their oaths, in the cloisters which once echoed to the sober tread of monastic sandals and the pious greetings of meek-voiced friars. [...] Since that day, I have seen all the great art treasures of Italy I have seen Tintoretto at Venice, Michael Angelo at Florence and Rome, Correggio at Parma; but I have looked at no other picture with an emotion equal to that which rose within me as this great creation of Leonardo slowly began to dawn upon my intelligence from the tragical twilight of it's ruin. A work so nobly conceived can never utterly die, so long as the half-dozen main lines of it's design remain. Neglect and malice are less cunning than the genius of the great painter. It has stored away with masterly skill such a wealth of beauty as only perfect love and sympathy can fully detect. So, under my eyes, the restless ghost of the dead fresco returned to it's mortal abode. From the beautiful central image of Christ I perceived it's radiation right and left along the sadly broken line of the disciples. One by one, out of the depths of their grim dismemberment, the figures trembled into meaning and life, and the vast, serious beauty of the work stood revealed. What is the ruling force of this magnificent design? Is it art? is it science? is it sentiment? is it knowledge? I am sure I can't say; but in moments of doubt and depression I find it of excellent use to recall the great picture with all possible distinctness. Of all the works of mans hands it is the least superficial.

Johnson (Samuel) : A writer only begins a book ; a reader finishes it.

Keats : Ode on a Grecian Urn, II :

"Heard melodies are sweet, but those unheard

Are sweeter"

Lamartine, Le Lézard sur les ruines de Rome,

in Médit. poét. inédites, XIII (1846)

Un jour, seul dans le Colisée,

Ruine de l’orgueil romain,

Sur l’herbe de sang arrosée

Je m’assis, Tacite à la main.

Je lisais les crimes de Rome,

Et l’empire à l’encan vendu,

Et, pour élever un seul homme,

L’univers si bas descendu.

Je voyais la plèbe idolâtre,

Saluant les triomphateurs,

Baigner ses yeux sur le théâtre

Dans le sang des gladiateurs.

Sur la muraille qui l’incruste,

Je recomposais lentement

Les lettres du nom de l’Auguste

Qui dédia le monument.

J’en épelais le premier signe:

Mais, déconcertant mes regards,

Un lézard dormait sur la ligne

Où brillait le nom des Césars.

Seul héritier des sept collines,

Seul habitant de ces débris,

Il remplaçait sous ces ruines

Le grand flot des peuples taris.

Sorti des fentes des murailles,

Il venait, de froid engourdi,

Réchauffer ses vertes écailles

Au contact du bronze attiédi.

Consul, César, maître du monde,

Pontife, Auguste, égal aux dieux,

L’ombre de ce reptile immonde

Éclipsait ta gloire à mes yeux!

La nature a son ironie

Le livre échappa de ma main.

Ô Tacite, tout ton génie

Raille moins fort l’orgueil humain!

Léautaud Boissard 2 in Œ 1602 : (parlant du style de Jean Schlumberger, L. parle du sien) : « Il y a là un art d'une sobriété extrême, une émotion profondément humaine, et par la façon dont certanes choses ne sont dites qu'à demi, un motif de rêverie qu'on trouve rarement »

Leibniz : De la Production originelle des Choses pp. 89-90

"Il est en effet injuste, comme disent les juristes, de juger avant d'avoir examiné la loi tout entière. Nous ne connaissons qu'une partie infime de l'éternité qui se prolonge dans l'immensité ; car les quelques milliers d'années dont l'histoire nous a conservé la mémoire sont très peu de chose. Et cependant, c'est d'après cette expérience minime que nous jugeons témérairement de l'immensité et de l'éternité, semblables à des hommes qui, nés et élevés dans une prison ou, si l'on veut, dans les salines souterraines des Sarmates, croiraient qu'il n'y a pas dans le monde d'autre lumière que la méchante lampe, à peine suffisante pour diriger leurs pas. Regardons un très beau tableau, et couvrons-le ensuite de manière à n'en apercevoir qu'une minuscule partie : que verrons-nous dans celle-ci, même en l'examinant de très près, et surtout même quand nous nous en approchons de plus en plus, sinon un certain amas confus de couleurs, fait sans choix et sans art ? Et cependant, en écartant le voile et en regardant le tableau tout entier de la distance convenable, on comprendra que ce qui avait l'air d'une tache faite au hasard sur la toile, est l'effet de l'art consommé du peintre. Ce qui arrive à l'œil dans la peinture, arrive également à l'oreille dans la musique. Les plus grands compositeurs entremêlent très souvent les accords de dissonance, pour exciter et pour inquiéter l'auditeur qui, anxieux du dénouement, éprouve d'autant plus de joie, lorsque tout rentre dans l'ordre."

Leibniz : Théodicée II § 134 :

"L'objet de Dieu a quelque chose d'infini, ses soins embrassent l'univers ; ce que nous en connaissons n'est presque rien, et nous voudrions mesurer sa sagesse et sa bonté par notre connaissance : quelle témérité, ou plutôt quelle absurdité ! Les objections supposent faux ; il est ridicule de juger du droit quand on ne connaît point le fait. Dire avec Saint Paul "O altitudo divitiarum et sapientiæ", ce n'est point renoncer à la raison, c'est employer plutôt les raisons que nous connaissons, car elles nous apprennent cette immensité de Dieu dont l'apôtre parle ; mais c'est avouer notre ignorance sur les faits, c'est reconnaître cependant, avant que de voir, que Dieu fait tout le mieux qu'il est possible, suivant la sagesse infinie qui règle ses actions. Il est vrai que nous en avons déjà des preuves et des essais devant nos yeux, lorsque nous voyons quelque chose d'entier, quelque tout accompli en soi, et isolé, pour ainsi dire, parmi les ouvrages de Dieu. Un tel tout formé, pour ainsi dire, de la main de Dieu, est une plante, un animal, un homme. Nous ne saurions assez admirer la beauté et l'artifice de sa structure. Mais lorsque nous voyons quelque os cassé, quelque morceau de chair des animaux, quelque brin d'une plante, il n'y paraît que du désordre, à moins qu'un excellent anatomiste ne le regarde ; et celui-là même n'y reconnaitrait rien s'il n'avait vu auparavant des morceaux semblables attachés à leur tout. Il en est de même du gouvernement de Dieu : ce que nous en pouvons voir jusqu'ici n'est pas un assez gros morceau pour y reconnaître la beauté et l'ordre du tout. Ainsi la nature même des choses porte que cet ordre de la cité divine, que nous ne voyons pas encore ici-bas, soit un objet de notre foi, de notre espérance, de notre confiance en Dieu. S'il y en a qui en jugent autrement, tant pis pour eux, ce sont des mécontents dans l'Etat du plus grand et du meilleur de tous les monarques, et ils ont tort de ne point profiter des échantillons qu'il leur a donnés de sa sagesse et de sa bonté infinie pour se faire connaître, non seulement admirable, mais encore aimable au-delà de toutes choses."

Leibniz : Théodicée II § 146 :

"On voit dans ces objets quelque chose d'entier et d'isolé, pour ainsi dire ; et toutes les fois que nous voyons un tel ouvrage de Dieu, nous le trouvons si accompli qu'il en faut admirer l'artifice et la beauté ; mais lorsqu'on ne voit pas un ouvrage entier, lorsqu'on n'envisage que des lambeaux et des fragments, ce n'est pas merveille si le bon ordre n'y paraît pas. Le système de nos planètes compose un tel ouvrage isolé, et parfait, lorsqu'on le prend à part ; chaque plante, chaque animal, chaque homme en fournit un, jusqu'à un certain point de perfection : on y reconnaît le merveilleux artifice de l'auteur ; mais le genre humain, en tant qu'il nous est connu, n'est qu'un fragment, qu'une petite portion de la cité de Dieu ou de la république des esprits. Elle a trop d'étendue pour nous, et nous en connaissons trop peu pour en pouvoir remarquer l'ordre merveilleux. (...) Il faudrait juger des ouvrages de Dieu aussi sagement que Socrate jugea de ceux d'Héraclite en disant : ce que j'ai entendu me plaît, je crois que le reste ne me plairait pas moins si je l'entendais."

Lilar : Journal de l’analogiste au sujet de la Villa d’Este (réf. à vérif.) : « Aucun endroit ne se prête à méditer sur l’étrange attrait des métamorphoses comme ce séjour lentement gagné par l’assoupissement végétal. Sous le travail opiniâtre de centaines de fontaines et sous l’assaut des mousses, tout s’y défait, s’y désagrège, s’y résorbe. Au hasard des allées, seules entretenues, on rencontre les marbres les plus nobles, minés, érodés, verdis. […] Où finit le marbre, où commence le sournois cancer végétal, on ne sait plus. Où l’invention du Bernin, où les retouches insidieuses de la nature ? Une statue intacte, préservée, peut-être belle, laisse curieusement indifférent. Pourquoi ? Serait-ce que la beauté fascine moins que la désagrégation de la beauté ? Et nous deviendrait-elle précieuse dans la mesure où nous la savons périssable. »

Louÿs (Pierre) : Lettre à P. Valéry, 9 sept. 1891, Corresp. à trois, Gallimard p. 818 : « Ce sont des réalisations achevées, les Dürer, les Vinci ; et l'imagination d'un esprit moyen dépasse toujours la réalisation d'un esprit supérieur. Ce qu'il y a d'ADMIRABLE en littérature, c'est que jamais rien ne s'y réalise ; c'est que quand je dis : "Le ciel était bleu", vingt mille personnes voient ce bleu de vingt mille bleus différents. Un livre est d'autant plus beau qu'il est lu par un lecteur plus intelligent, et le lecteur collabore. On lui laisse une part d'imagination spontanée qui est énorme et qui constitue la valeur principale de son émotion à lire. Le peintre, lui, interdit l'imagination du public ; et même il la contredit par des affirmations qui me révoltent, inférieures qu'elles sont à tout ce que nous savons voir, à côté de nous, de vivant. Ensuite, débusquons la sculpture et le dessin. Ce sont des arts insultants. Leur seul intérêt est de faire abstraction de la couleur pour ne s'occuper que de la ligne, et la fixer. Or, il est grossier de supposer que nous ne sommes pas capables de faire cette abstraction-là nous-mêmes, instantanément, sur le Passant*. Ce sont des arts de vulgarisation, des schémas à l'usage des classes. Cela me rappelle les cartes muettes. *[? allusion à la pièce de Coppée ?]

McCullers : "There's nothing that makes you so aware of the improvisation of human existence as a song unfinished. Or an old address book. " « Il n’existe rien qui ne vous fasse plus prendre conscience des aléas de la vie qu’une chanson incomplète. Ou qu’un vieux carnet d’adresses. »

Mallarmé : "...le creux néant musicien"...

Monet : "celui qui dit avoir fini une toile est un terrible orgueilleux. Finir voulant dire complet, parfait, et je travaille à force sans avancer, cherchant, tâtonnant, sans aboutir à grand chose..."

Montaigne III, VIII, 931 : "Celui qui n'a pas rempli sa force, il vous laisse deviner s'il a encore de la force au-delà, et s'il a été essayé jusqu'à son dernier point ; celui qui succombe à sa charge, il découvre sa mesure, et la faiblesse de ses épaules."

Morand : L'Homme pressé p. 27 : "Rien de ce que les siècles ont ajouté au premier établissement, conçu bas, compact, parfait, comme un galet, n'a tenu contre les éléments. Au contraire, tout ce qui date de dix siècles paraît neuf".

Mauriac : Un adolescent d'autrefois GF : 181 beauté prépubère : "... elle était belle, non pas de cette beauté fixée dans certains traits, mais qui tient à une ligne appelée à s'effacer, liée au moment d'une mue. J'avais surpris un instant entre l'aube et l'aurore, ou plutôt entre l'aurore et le matin, - la merveille qui ne durera pas, est là sans être vraiment commencée"

Nietzsche HTH I § 178 p. 541 (LP p. 145) : L'incomplet considéré comme l'efficace. De même que des figures en relief agissent si fortement sur l'imagination parce qu'elles sont pour ainsi dire en train de sortir de la muraille et tout à coup retenues on ne sait pas quoi, s'arrêtent : ainsi parfois l'exposition incomplète, comme en relief, d'une pensée, d'une philosophie tout entière, est plus efficace que l'explication complète : on laisse plus à faire au spectateur, il est excité à continuer ce qui fait saillie devant ses yeux en lumière et ombres si fortes, à achever la pensée, et à triompher lui-même de cet obstacle qui jusqu'alors s'opposait au dégagement complet de l'idée."

Nietzsche HTH 199, LP 172 : « L'incomplet comme attrait artistique. L'incomplet produit souvent plus d'effet que le complet, notamment dans le panégyrique : pour son propos, on a besoin précisément d'une piquante lacune comme d'un élément irrationnel qui fait miroiter une mer devant l'imagination de l'auditeur et, pareil à une brume, couvre le rivage opposé, par conséquent les bornes de l'objet qu'il s'agit de louer. A citer les mérites connus d'un homme, si on est complet et étendu, on fait toujours naître le soupçon que ce soient là ses seuls mérites. L'homme qui loue complètement se met au-dessus de celui qu'il loue, il semble le voir de haut. C'est pourquoi le complet produit un effet d'affaiblissement. »

Pareyson : « L'œuvre d'art est une forme, c'est-à-dire un mouvement arrivé à sa conclusion : en quelque sorte un infini contenu dans le fini. Sa totalité résulte de sa conclusion et doit donc être considérée non comme la fermeture d'une réalité statique et immobile, mais comme l'ouverture d'un infini qui s'est rassemblé dans une forme. »

Péguy Clio, Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne, in Œuvres en prose complètes III, Bibliothèque de la Pléiade p. 1008 : « La lecture est l’acte commun, l’opération commune du lisant et du lu, de l’auteur et du lecteur, de l’œuvre et du lecteur, du texte et du lecteur. Elle est une mise en œuvre, un achèvement de l’opération, une mise à point de l’œuvre, […] un accomplissement, un emplissement ; c’est une œuvre qui (enfin) emplit sa destinée. Elle est ainsi littéralement une coopération, une collaboration intime, intérieure ; singulière, suprême ; une responsabilité ainsi engagée aussi, une haute, une suprême et singulière, une déconcertante responsabilité. C’est une destinée merveilleuse, et presqu’effrayante, que tant de grandes œuvres, tant d’œuvres de grands hommes et de si grands hommes puissent recevoir encore un accomplissement, un achèvement, un couronnement de nous, mon pauvre ami, de notre lecture.

Picasso : “achever un tableau, c'est comme achever un homme”

Pline l’Ancien et in lenocinio commendationis dolor est manus, cum id ageret, extinctae. Pliny the Elder, Naturalis Historia (ed. Karl Friedrich Theodor Mayhoff) book 35, chapter 52 illud vero perquam rarum ac memoria dignum est, suprema opera artificum inperfectasque tabulas, sicut irim aristidis, tyndaridas nicomachi, mediam timomachi et quam diximus venerem Apellis, in maiore admiratione esse quam perfecta, quippe in iis liniamenta reliqua ipsaeque cogitationes artificum spectantur, atque in lenocinio commendationis dolor est manus, cum id ageret, exstinctae. (0.58) trad. Littré : livre 52 [20] Mais ce qui est surtout curieux et digne de remarque, c'est qu'on admire plus que les productions terminées les derniers morceaux des artistes, ceux même qu'ils ont laissés imparfaits, comme l'Iris d'Aristide, les Tyndarides de Nicomaque, la Médée de Timomaque, et ce tableau d'Apelle dont nous avons déjà parlé, la Vénus. En effet, on y considère l'esquisse laissée et les pensées même de l'artiste; une certaine douleur intervient pour faire priser davantage le travail, et on regrette la main arrêtée par la mort dans l'exécution.

Proust : Une fois seul, il revoyait ce sourire, celui qu’elle avait eu la veille, un autre dont elle l’avait accueilli telle ou telle fois, (...) ; et la vie d’Odette pendant le reste du temps, comme il n’en connaissait rien, lui apparaissait avec son fond neutre et sans couleur, semblable à ces feuilles d’études de Watteau, où on voit çà et là, à toutes les places, dans tous les sens, dessinés aux trois crayons sur le papier chamois, d’innombrables sourires.

Proust : CG : « Une autre de mes grandes admirations, lui dis-je, c’est Elstir. Il paraît que la duchesse de Guermantes en a de merveilleux, notamment cette admirable botte de radis que j’ai aperçue à l’Exposition et que j’aimerais tant revoir ; quel chef-d’œuvre que ce tableau ! » Et en effet, si j’avais été un homme en vue, et qu’on m’eût demandé le morceau de peinture que je préférais, j’aurais cité cette botte de radis. / — Un chef-d’œuvre ? s’écria M. de Norpois avec un air d’étonnement et de blâme. Ce n’a même pas la prétention d’être un tableau, mais une simple esquisse (il avait raison). Si vous appelez chef-d’œuvre cette vive pochade, que direz-vous de la « Vierge » d’Hébert ou de Dagnan-Bouveret ?

Rilke : Lettre à Clara Rilke, 2 sept 1902, Corresp, Seuil p. 23 : « D'immenses vitrines, pleines d'admirables fragments de La Porte de l'Enfer. Cela défie la description. Rien que des fragments, côte à côte, sur des mètres. Des nus de la grandeur de ma main, d'autres plus grands, mais rien que des morceaux, à peine un nu entier : souvent un morceau de bras, un morceau de jambe tels qu'ils se présentent, côte à côte, et tout près, le tronc qui leur revient. Ailleurs le torse d'une figure contre lequel se presse la tête d'une autre, le bras d'une troisième... comme si une tempête indicible, un cataclysme sans précédent s'étaient abattus sur cette œuvre. Pourtant, mieux on regarde, plus profondément on ressent que tout cela serait moins entier si chaque figure l'était. Chacun de ces débris possède une cohérence si exceptionnelle et si saisissante, chacun est si indubitable et demande si peu à être complété que l'on oublie que ce ne sont que des parties, et souvent des parties de corps différents, qui se rassemblent si passionnément ici. On devine soudain qu'envisager le corps comme un tout est plutôt l'affaire du savant, et celle de l'artiste, de créer à partir de ces éléments de nouvelles relations, de nouvelles unités, plus grandes, plus légitimes, plus éternelles... »

Rilke

Les mains de Rodin.

« L‘artiste est celui à qui il revient, à partir de nombreuses choses, d’en faire une seule et, à partir de la moindre partie d’une seule chose, de faire un monde. Il y a dans l’œuvre de Rodin des mains, de petites mains autonomes qui, sans faire partie d’aucun corps, sont vivantes.

Des mains qui se dressent, irritées et méchantes, des mains dont les cinq doigts hérissés paraissent aboyer comme les cinq gueules d’un chien des enfers. Des mains qui marchent, des mains qui dorment et des mains qui s’éveillent ; des mains criminelles, des mains à l’hérédité chargée, et d’autres qui sont fatiguées, qui ne veulent plus rien, qui se sont couchées dans un coin comme des bêtes malades qui savent que personne ne peut les secourir. Mais les mains sont déjà un organisme complexe, un delta où conflue quantité de vie venue de loin, pour se déverser dans le grand fleuve de l’action. Il y a une histoire des mains, elles ont effectivement leur civilisation à elles, leur beauté particulière ; on leur reconnaît le droit d’avoir une évolution propre, et leurs propres désirs, leurs sentiments, leurs lubies et leurs préférences. Or, Rodin, sachant par l’éducation qu’il s’est donnée que le corps n’est tout entier composé que des théâtres où se joue la vie — une vie capable à chaque endroit de devenir individuelle et grandiose – a le pouvoir de conférer à n’importe quelle portion de cette vaste surface vibrante l’autonomie et la plénitude d’un tout. De même que pour lui le corps humain n’est un tout que pour autant qu’une action commune (interne ou externe) mobilise tous ses membres et toutes ses énergies, de même, pour lui, les différentes parties de corps différents s’ordonnent aussi, inversement, en un seul organisme, lorsqu’elles sont jointes ensemble par une nécessité intrinsèque. Une main qui se pose sur l’épaule ou la cuisse d’autrui ne fait déjà plus tout à fait partie du corps dont elle est venue; avec l’objet qu’elle effleure ou empoigne, elle forme une nouvelle chose, une chose de plus, qui n’a pas de nom et n’appartient à personne; et c’est de cette chose, avec ses frontières bien déterminées, qu’il s’agit dorénavant. Cette découverte est le fondement du groupement des personnages chez Rodin ; c’est d’elle que résulte la façon inouïe dont les figures sont liées les unes aux autres, la cohésion des formes et leur manière de ne pas se lâcher, à aucun prix. Il ne part pas des figures qui s’enlacent, il n’a pas de modèles qu’il dispose et arrange. Il commence aux endroits où le contact est le plus fort, qui sont autant de sommets de l’œuvre ; il attaque à l’endroit où naît quelque chose de nouveau, et tout le savoir de son instrument, il le consacre aux mystérieuses manifestations qui accompagnent le devenir d’une chose nouvelle. Il travaille quasiment à la lueur des éclairs qui jaillissent en ces points et, de tout le corps, il ne voit que les parties qui en sont éclairées. Le charme du grand groupe, homme et jeune fille, intitulé le Baiser, réside dans la répartition sage et équitable de la vie ; on a le sentiment que, des surfaces en contact, des ondes partent là dans les corps tout entiers, des frissons de beauté, de pressentiment et d’énergie. De là vient qu’on croit voir la félicité de ce baiser partout sur ces corps; il est comme un soleil qui se lève, et sa lumière est répandue partout […] »

Rodin : L'Art (Gsell) :

78 "Ce qui plaît surtout aux ignorants, c'est l'inexpressive minutie de l'exécution, et la fausse noblesse des gestes. Le vulgaire ne comprend rien à un résumé hardi qui passe rapidement sur les détails inutiles pour ne s'attacher qu'à la vérité de l'ensemble.(...) On admire les artistes forts en thème, qui calligraphient des contours dénués de signification."

136 : (art) "Les formes qu'il crée ne doivent fournir à l'émotion qu'un prétexte à se développer indéfiniment"

141 "Si vivace, si profonde est la pensée des grands artistes qu'elle se montre en dehors de tout sujet. Elle n'a pas même besoin d'une figure entière pour s'exprimer. Prenez n'importe quel fragment de chef d'œuvre, vous y reconnaîtrez l'âme de l'auteur. Comparez si vous voulez des mains dans deux portraits brossés par le Titien et par Rembrandt. La main du Titien sera dominatrice ; celle de Rembrandt sera modeste et courageuse. Dans ces étroits morceaux de peinture tient tout l'idéal de ces maîtres."

189 Michel-Ange : "Toutes les statues qu'il fit sont d'une contrainte si angoissée qu'elles paraissent vouloir se rompre elles-mêmes. Toutes semblent près de céder à la pression trop forte du désespoir qui le habite. Quand Buonarotti fut devenu vieux, il lui arriva de les briser réellement. L'art ne le contentait plus, il voulait l'infini."

(in Cathédrales) : "Ce qu'il y a de plus beau qu'une belle chose, c'est la ruine d'une belle chose".

Rodin : « La notion du fini est aussi dangereuse que celle de l'élégance : toutes deux peuvent tuer un art. On obtient la solidité, la vie, par le travail poussé non dans l'achèvement des détails, mais dans la justesse des plans successifs. »

Rosenberg : (1994): "Avec Fragonard, esquisse et tableau achevé se confondraient, la distinction entre première pensée, ébauche, composition définitive serait abolie. Le non-fini deviendrait œuvre d'art à part entière"

Saint-Victor Paul de , 1860, Rosenberg, Frag, TOP p. 6 col. 2 : "Fragonard est le poète de la peinture érotique : il échappe à l'indécence du genre par la rapidité de l'exécution. L'art doit courir sur ces charbons ardents ; une légère ivresse peut seule excuser les licences et les orgies du pinceau. L'esquisse est leur pudeur et leur idéal : l'indécence commence avec le fini. On excuse une fantaisie libertine spirituellement ébauchée : une gravelure blaireautée est impardonnable. C'est le puritas impuritatis* dont parle un ancien. Aussi je préfère de beaucoup les frottis galants de Fragonard à son célèbre tableau de L'Escarpolette. Ici, tout est accentué, noté, souligné... Il ne sied pas à un conte libre d'être si nettement écrit" (Beaux-Arts 19 X 1860, n.p.).

Sainte-Beuve : Lundis : Pléiade t.1 p.885 : Le style de Diderot : "Le style essentiel, l'exécution mystérieuse, la touche sacrée, ce je ne sais quoi d'accompli, d'achevé, qui est à la fois l'indispensable, ce "sine qua non" de confection dans chaque oeuvre d'art pour qu'elle parvienne à l'adresse de la posterite, -- sans doute ce coin précieux lui a échappé souvent ; il a tâtonné alentour, et n'y a pas toujours posé le doigt avec justesse".

Simmel (La Parure et autres essais) :

« Le charme de la ruine consiste dans le fait qu’elle présente une œuvre humaine tout en produisant l’impression d’être une œuvre de nature. Ce qui a dressé l’édifice vers le haut, c’est la volonté humaine, ce qui lui a donné son aspect actuel, c’est la force mécanique de la nature. Tant que l‘on peut parler de ruines et non de monceaux de pierres, la nature ne permet pas que l’œuvre tombe à l‘état amorphe de matière brute. Une forme nouvelle est née qui, du point de vue de la nature, est absolument significative, compréhensible, différenciée. La nature a fait de l’œuvre d’art la matière de sa création, de même qu’auparavant l’art s’était servi de la nature comme de son matériau. C’est ce qui explique aussi que la ruine s’assimile au paysage environnant, s’y implante comme l’arbre ou la pierre, tandis que le palais, la villa, la demeure paysanne émanent toujours d’un autre ordre de choses et ne paraissent s’accorder qu’après coup à l’ordre de la nature. Un équilibre s’établit, où les puissances antagonistes de la nature et de la culture se réconcilient derrière notre passage, au moment où se défont les traces de l‘effort humain et où la sauvagerie regagne le terrain perdu. Pour qu’une ruine paraisse belle, il faut que sa destruction soit assez éloignée et qu’on en ait oublié les circonstances. On peut désormais l’imputer à une puissance anonyme, à une transcendance sans visage : l’Histoire, le Destin. Nul ne rêve calmement devant des ruines fraîches qui sentent le massacre. Et la colère déborde contre un destructeur qui porte un nom. Il faut que personne n’ait gardé l’image du bâtiment intact. Le sacrilège serait de vouloir dater ce qui doit être ressenti comme immémorial. »

Stael (G. de) 2-299 : Une réflexion nouvelle m'a frappée dans les écrits qui m'ont été communiqués par un homme dont l'imagination est pensive et profonde ; il compare ensemble les ruines de la nature, celles de l'art et celles de l'humanité. « Les premières, « dit-il, sont philosophiques , les secondes poétiques, et les « dernières mystérieuses. » Une chose bien digne de remarque en effet, c'est l'action si différente des années sur la nature, sur les ouvrages du génie et sur les créatures vivantes. Le temps n'outrage que l'homme ; quand les rochers s'écroulent, quand les montagnes s'abîment dans les vallées, la terre change seulement de face, un aspect nouveau excite dans notre esprit de nouvelles pensées, et la force vivifiante subit une métamorphose, mais non un dépérissement ; les ruines des beaux-arts parlent à l'imagination, elle reconstruit ce que le temps a fait disparaître, et jamais peut-être un chef-d'œuvre dans tout son éclat n'a pu donner l'idée de la grandeur autant que les ruines mêmes de ce chef-d'œuvre. On se représente les monuments à demi détruits, revêtus de toutes les beautés qu'on suppose toujours à ce qu'on regrette : mais qu'il est loin d'en être ainsi des ravages de la vieillesse !

Stendhal : "Les paysages étaient comme un archet qui jouait sur mon âme."

Stendhal : Henri Brulard chap. 16 : "Un roman est comme un archet, la caisse du violon qui rend les sons, c'est l'âme du lecteur."

Sterne Livre II, chapitre XI : "Ecrire, quand on s'en acquitte avec l'habileté que vous ne manquez pas de percevoir dans mon récit, n'est rien d'autre que converser. Aucun homme de bonne compagnie ne s'avisera de tout dire; ainsi aucun auteur, averti des limites que la décence et le bon goût lui imposent, ne s'avisera de tout penser."

Tournier : Le Vol du vampire* : « Un livre écrit, mais non lu, n'existe pas pleinement. Il ne possède qu'une demi-existence. C'est une virtualité, un être exsangue, vide, malheureux qui s'épuise dans un appel à l'aide pour exister. L'écrivain le sait, et lorsqu'il publie un livre, il lâche dans la foule anonyme des hommes et des femmes une nuée d'oiseaux de papier, […] qui se répandent au hasard en quête de lecteurs. A peine un livre s'est-il abattu sur un lecteur qu'il se gonfle de sa chaleur et de ses rêves. Il fleurit, s'épanouit, devient enfin ce qu'il est : un monde imaginaire foisonnant, où se mêlent indistinctement […] les intentions de l'écrivain et les fantasmes du lecteur. »

Valéry : Dialogue de l'Arbre : "Le manque d’un seul mot fait mieux vivre une phrase : elle s’ouvre plus vaste et propose à l’esprit d’être un peu plus esprit pour combler la lacune."

Van Gogh : Lettre à Théo, 1885 (Rosenberg, Chardin p. 102) : « Je suis de plus en plus convaincu que les vrais peintres ne finissaient pas leurs tableaux, dans le sens qu'on a trop souvent donné au fini, c'est-à-dire si poussés qu'on puisse fourrer le nez dessus. Vu [sic] de tout près, les meilleurs tableaux, et justement les plus complets au point de vue technique, sont faits de touches de couleurs posées tout près l'une de l'autre. Ils ne font tout leur effet qu'à une certaine distance... A ce point de vue, Chardin est aussi grand que Rembrandt.. »

Voltaire : Préface Mariamne (ou Essai moeurs ?) : Pour parvenir à écrire comme M. Racine, il faudrait avoir son génie, et polir autant que lui ses ouvrages. Quelle défiance ne dois-je donc point avoir, moi qui, né avec des talents si faibles, et accablé par des maladies continuelles, n'ai ni le don de bien imaginer, ni la liberté de corriger, par un travail assidu, les défauts de mes ouvrages? Je sens avec déplaisir toutes les fautes qui sont dans la contexture de cette pièce, aussi bien que dans la diction. J'en aurais corrigé quelques-unes, si j'avais pu retarder cette édition; mais j'en aurais encore laissé beaucoup. Dans tous les arts, il y a un terme par delà lequel on ne peut plus avancer. On est resserré dans les bornes de son talent; on voit la perfection au delà de soi, et on fait des efforts impuissants pour y atteindre.

Yourcenar : Le Temps, ce grand sculpteur, Paris, Gallimard, 1983, p. 61-66 :

Le jour où une statue est terminée, sa vie, en un sens, commence. La première étape est franchie, qui, par les soins du sculpteur, l’a menée du bloc à la forme humaine ; une seconde étape, au cours des siècles, à travers les alternatives d’adoration, d’admiration, d’amour, de mépris ou d’indifférence, par degrés successifs d’érosion et d’usure, la ramènera peu à peu à l’état minéral informe auquel l’avait soustrait son sculpteur. […] Ces durs objets façonnés à l’imitation des formes de la vie organique ont subi, à leur manière, l’équivalent de la fatigue, du vieillissement, du malheur. Ils ont changé comme le temps nous change. […] La forme et le geste que leur avait imposés le sculpteur n’ont été pour elles qu’un bref épisode entre leur incalculable durée de roche au sein de la montagne, puis leur longue existence de pierre gisant au fond des eaux. Elles ont passé par cette décomposition sans agonie, cette perte sans mort, cette survie sans résurrection qui est celle de la matière livrée à ses propres lois ; elles ne nous appartiennent plus. »

DIDEROT :

Salon de 1767 OC CFL 7- 265 :

5 pages... numérisées de façon un peu approximatives sur

http://www.archive.org/stream/oeuvresden04dide/oeuvresden04dide_djvu.txt

Ruines d'un Arc de Triomjphe , et autres monumens.

Tableau de quatre pieds deux pouces de haut, sur quatre pieds trois pouces

de large.

L'effet de ces compositions, bonnes ou mauvaises, c'est de

vous laisser dans une douce mélancolie. Nous attachons nos re-

gards sur les débris d'un arc de triomphe , d'un portique, d'une

pyramide, d'un temple, d'un palais; et nous revenons sur nous-

mêmes. Nous anticipons sur les ravages du temps; et notre ima-

gination disperse sur la terre les édifices même que nous habi-

tons. A l'instant , la solitude et le silence régnent autour de

nous. Nous restons seuls de toute une nation qui n'est plus* et

voilà la première ligne de la poétique des ruines.

Adroite, c'est une grande fabrique étroite , dans le massif de

laquelle on a pratiqué une niche , occupée de sa statue. 11 resîe de

chaque côté de la niche une colonne sans chapiteau. Plus, sur la

gauche , et vers le devant , un soldat est étendu à plat-ventre sur

des quartiers de pierre , la plante des pieds tournée vers la fabrique

de la droite, la tête vers la gauche, d'oîi s'avance à lui un

autre soldat , avec une femme qui porte entre ses bras un petit en-

fant. On voit au-delà, sur le fond , des eaux; au-delà des eaux

vers la gauche, entre des arbres et du paysage , le sommet d'un

dôme ruiné; plus loin, du même côté, une arcade tombant de

vétusté ; près de cette arcade , une colonne sur son piédestal -

autour de cette colonne , des masses de pierres informes ; sous

l'arcade, un escalier qui conduit vers la rive du lac; au-delà

un lointain, une campagne ; au pied de l'arcade, une figure;

plus , sur le devant, au bord des eaux , une autre figure. Je ne

caractérise point ces figures , si peu soignées qu'on ne sait ce que

c'est, hommes ou femmes, moins encore ce qu'elles font. Ce n'est

pourtant pas à cette condition qu'on anime des ruines. M. Ro-

bert, soignez vos figures. Faites-en moins, et faites-les mieux.

Surtout, étudiez l'esprit de ce genre de figures , car elles en ont

un qui leur est propre. Une figure de ruine n'est pas la figure

d'un autre site,

Grande Galerie éclairée du fond.

Tableau de quatre pieds trois pouces de large , sur trois pieds un pouce de haut.

Oh Iles belles, les sublimes ruines ! Quelle fermeté ,etenmêino

temps quelle légèreté , sûreté, facilité de pinceau ! Quel effet I

quelle grandeur ! quelle noblesse ! Qu'on me dise à qui ces ruines

appartiennent , afin que je les volej le seul moyen d'acquérir,

quand on est indigent. Hélas ! elles font peut-être si peu de bon-

heur au riche stupide qui les possède ; et elles me rendraient si

heureux I Propriétaire indolent ! époux aveugle ! quel tort te fais-

ie lorsque je m'approprie des charmes que tu ignores ou que tu

négli'^es ! Avec quel étonnement , quelle surprise je regarde cette

voûte brisée, les masses surimposées à cette voûte I Les peuples

qui ont élevé ce monument, oii sont-ils? que sont-ils devenus?

Dans quelle énorme profondeur obscure et muette mon œil va-

t-il s'égarer? A quelle prodigieuse distance est renvoyée la por-

tion du ciel que j'aperçois à cette* ouverture ! l'étopnante dégra-

dation de lumière I comme elle s'affaiblit en descendant du haut

de cette voûte, sur la longueur de ces colonnes I comme ces té-

nèbres sont pressées par le jour de l'entrée et le jour du fond 1

on ne se lasse point de regarder. Le temps s'arrête pour celui

gui admire. Que j'ai peu vécu I que ma jeunesse a peu duré !

C'est une grande galerie voûtée , et enrichie intérieurement

d'une colonnade qui règne de droite et de gauche. Yers le mi-

lieu de sa profondeur , la voûte s'est brisée , et montre au-des-

sus de sa fracture les débris d'un édifice surimposé. Cette longue

et vaste fabrique reçoit encore la lumière par son ouverture du

fond. On voit à gauche , en dehors , une fontaine ; au-dessus

de cette fontaine, une statue antique assise; au-dessous du pié-

destal de cette statue , un bassin élevé sur un massif de pierre ;

autour de ce bassin, au-devant de la galerie , dans les entreco-

lonnemens, une foule de petites figures , de petits groupes , de

petites scènes très-variées. On puise de l'eau , on se repose , on

se promène , on converse. Yoilà bien du mouvement et du bruit.

Je vous en dirai mon avis ailleurs, M. Robert; tout-à-l'heure.

Vous êtes un habile homme. Yous excellerez , vous excellez

dans votre genre. Mais étudiez Vernet. Apprenez de lui à des-

siner à peindre , à rendre vos figures intéressantes; et puisque

vous vous êtes voué à la peinture des ruines , sachez que ce

«■enre a sa poétique. Vous l'ignorez absolument. Cherchez-la.

Yous avez le faire ; mais l'idéal vous manque. Ne sentez-vous

pas qu'il y a trop de figures ici , qu'il en faut effacer les trois

quarts? Il n'en faut réserver que celles qui ajouteront à la solir

tude et au silence. Un seul homme , qui aurait erré dans ces té

nèbres, les bras croisés sur la poitrine, et la té te penchée /m'au-

rait affecté davantage. L'obscurité seule , la majesté de l'édifice

la grandeur de la fabrique , l'étendue , la tranquillité le re-

tentissement sourd de l'espace m'aurait fait frémir. Je n'aurais

jamais pu me défendre d'aller rêver sous cette voûte , de m'as-

seoir entre ces colonnes , d'entrer dans votre tableau. Mais il y

a trop d'importuns. Je m'arrête. Je regarde. J'admire et je passe.

M. Robert , vous ne savez pas encore pourquoi les ruines font

tant de plaisir , indépendamment de la variété des accidens

qu'elles montrent ; et je vais vous en dire ce qui m'en viendra

sur-le-champ.

Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. Tout

s'anéantit , tout périt , tout passe. Il n'y a que le monde qui

reste. Il n'y a que le temps qui dure. Qu'il est vieux ce monde 1

Je marche entre deux éternités. De quelque i)art que je jette les

yeux , les objets qui m'entourent m'annoncent une fin , et me

résignent à celle qui m'attend. Qu'est-ce que mon existence éphé-

mère , en comparaison de celle de ce rocher qui s'affaisse, de

ce vallon qui se creuse, de cette forêt qui chancelé, de ces

niasses suspendues au-dessus de ma tête, et qui s'ébranlent?. Je

vois le marbre des tombeaux tomber en poussière; et je ne veux

pas mourir î et j'envie un faible tissu de fibres et de chair à

une loi générale qui s'exécute sur le bronze I Un torrent entraîne

les nations les unes sur les autres, au fond d'un abîme com-

mun j moi, moi seul , je prétends m'arrêter sur le bord, et

fendre le flot qui coule à mes côtés I

Si le lieu d'une ruine est périlleux, je frémis. Si je m'y pro-

mets le secret et la sécurité , je suis plus libre , plus seul , plus à

moi, plus près de moi. C'est là que j'appelle mon ami. C'est là

que je regrette mon amie. C'est là que nous jouirons de nous

sans trouble, sans témoins, sans importuns, sans jaloux. C'est

là que je sonde mon cœur. C'est là que j'interroge le sien , que

je m'alarme et me rassure. De ce lieu, jusqu'aux habitans des

villes, jusqu'aux demeures du tumulte , au séjour de l'intérêt

des passions , des vices , des crimes , des préjugés , des erreurs

il y a loin.

Si mon âme est prévenue d'un sentiment tendre, je m'y livre-

rai sans gêne. Si mon cœur est calme, je goûterai toute la dou-

ceur de son repos.

Dans cet asile désert , solitaire et vaste , je n'entends rien •

j'ai rompu avec tous les embarras de la vie. Personne ne me

presse et ne m'écoute. Je puis me parler tout haut, m'afïliger

verser des larmes sans contrainte.

Sous ces arcades obscures , la pudeur serait moins forte dans

une femme honnête ; l'entreprise d'un amant tendre et timide ,

plus vive et plus courageuse. Nous aimons, sans nous en douter,

tout ce qui nous livre à nos penchans , nous séduit , et excuse

Dotre faiblesse.

Je quitterai le fond de cet antre, et j'y laisserai la mémoire

importune du moment , dit une femme; et elle ajoute :

Si Ton m'a trompée, et que la mélancolie m'y ramène, je

m'abandonnerai à toute ma douleur. La solitude retentira de

3na plainte. Je déchirerai le silence et l'obscurité de mes cris j

et lorsque mon âme sera rassasiée d'amertumes , j'essuierai mes

larmes de mes mains; je reviendrai parmi les hommes , et ils

ne soupçonneront pas que j'ai pleuré.

Si je te perdais jamais , idole de mon âme ; si une mort

inopinée , un malheur imprévu te séparait de moi ; c'est ici que

je voudrais qu'on déposât ta cendre, et que je viendrais conver-

ser avec ton ombre.

Si l'absence nous tient éloignés , j'y viendrai rechercher la

même ivresse qui avait si entièrement, si délicieusement disposé

de nos sens; mon cœur palpitera derechef; je rechercherai, je

rettouverai l'égarement voluptueux. Tu y seras , jusqu'à ce que

la douce langueur, la douce lassitude du plaisir soit passée.

Alors je me relèverai ; je m'en reviendrai ; mais je n'en revien-

drai pas sans m'arrêter , sans retourner la tête , sans fixer mes

regards sur l'endroit oii je fus heureux avec toi et sans toi. Sans

toi ! je me trompe; tu y étais encore; et à mon retour, les

hommes verront ma joie; mais ils n'en devineront pas la cause.

Que fais-tu, à présent? oii es-ta? n'y a-t-il aucun antre, au-

cune forêt, aucun lieu secret, écarté , où tu puisses porter tes

pas , et perdre aussi ta mélancolie?

O censeur, qui réside au fond de mon cœur, tu m'as suivi

jusqu'ici ! Je cherchais à me distraire de ton reproche; et c'est

ici que je t'entends plus fortement. Fuyons ces lieux. Est-ce le

séjour de l'innocence? est-ce celui du remords? c'est l'un et

l'autre, selon l'âme qu'on y porte. Le méchant fuit la solitude ;

l'homme juste la cherche. Il est si bien avec lui-même I

Les productions des artistes sont regardées d'un œil bien dif-

férent , et par celui qui connaît les passions , et par celui qui les

ignore. Elles ne disent rien à celui-ci. Que ne disent-elles point

à moi ? L'un n'entrera point dans cette caverne que je cherchais ;

il s'écartera de cette forêt où je me plais à m'enfoncer. Qu'y

ferait-il ? il s'y ennuierait.

S'il me reste quelque chose à dire sur la poésie des ruines ,

Robert m'y ramènera.