Le terme de Sehnsucht est intraduisible rigoureusement. Il désigne, non pas la "nostalgie" (le désir du retour) pour laquelle l'allemand dispose de Heimweh, mais une aspiration aussi impérieuse qu'indéfinie, le sentiment délicieux et douloureux d'une vocation à "on ne sait quoi". Tendance irrépressible et pourtant dépourvue de contenu, la Sehnsucht serait un désir dont l'absence d'objet assignable condamne le sujet à une quête incessante. C'est l'appel d'un ailleurs, l'exigence d'une autre vie ("Dahin !"). La traduction par "ardent désir" présente l'avantage de ne pas en faire un simple retour vers le passé, mais n'indique pas le caractère indéfini de cet état. On a pu aussi rendre ce mot par "impatience". L'espagnol "anhelo" présente certaines similitudes (désir ardent et haletant). Le meilleur commentaire en est peut-être donné par Gœthe lui-même dans son célèbre poème "Selige Sehnsucht" : vocation à mourir à soi-même, en vue d'un devenir plus haut, d'un sacrifice consenti, d'une métamorphose en un être encore inconnu (cf. la notion hegelienne d'Aufhebung, à la fois destruction et élévation, qui pourrait, avec quelque audace, être traduite par "sacrifice" plus que par "dépassement" ou..."sursomption"). C'est cette dimension d'inconnaissance qui fait voisiner la Sehnsucht avec la mystique ; raison pour laquelle, peut-être, on en trouve plus aisément un équivalent en espagnol (anhelo, deseo de no sé qué) qu'en français, langue de tradition peu mystique.
[ Cf. toutefois le célèbre texte de Pascal : Pensées Br. 425, Pléiade pp. 1185 :
« Qu'est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance sinon qu'il y a eu autrefois dans l'homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu'il essaye inutilement de remplir de tout ce qui l'environne, recherchant des choses absentes le secours qu'il n'obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c'est-à-dire que par Dieu même ?
Lui seul est son véritable bien ; et depuis qu'il l'a quitté, c'est une chose étrange, qu'il n'y a rien dans la nature qui n'ait été capable de lui en tenir la place : astres, ciel, terre, éléments, plantes, choux, poireaux, animaux, insectes, veaux, serpents, fièvre, peste, guerre, famine, vices, adultère, inceste. Et depuis qu'il a perdu le vrai bien, tout également peut lui paraître tel, jusqu'à sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu, à la raison et à la nature tout ensemble. » ]
La Sehnsucht est l'expérience de l'infinité du désir, et surtout de son caractère foncièrement métaphysique : loin d'être suscité par la présence de l'objet, le désir lui préexiste, à vide et avide. La Sehnsucht est l'expérience négative de l'infini. C'est pourquoi elle présente de fortes analogies avec l'expérience pubertaire d'un désir qui s'éprouve fortement mais ne sait à quel saint se vouer ("Non so piú cosa son' cosa faccio..."), et qui va jusqu'à interroger autrui sur sa propre nature ("Voi che sapete... donne vedete..."). Le désir commence par se manifester dans sa pureté, ziellos (sans but) : tendance, tension interne, dynamisme, appel, vocation.