Classicisme :

quelques thèmes et textes

- définir les caractères généraux liés à la notion : ordre, rapport entre fond et forme, lucidité, sobriété, équilibre, discrétion, travail, mesure, pondération, etc.


- marquer la différence entre le classicisme comme style particulier lié à un ou plusieurs moments historiques, ou comme tendance inhérente à tout art, connaissant simplement des périodes glorieuses et des périodes d’effacement (la première hypothèse allant vers l’histoire de l’art, la deuxième vers la philosophie de l’art)


- cerner (c’est le mot) cette notion par le contraste avec d’autres, voisines ou opposées, afin d’en percevoir les multiples facettes, ce qu’une analyse directe pourrait négliger. Romantisme bien sûr, mais aussi archaïsme, préciosité, modernité, académisme, baroque, etc.


- remarquer que cette notion esthétique est aussi une notion pédagogique : “les classiques” sont les auteurs qu’on enseigne dans les classes ; et les artistes classiques sont ceux qui se réfèrent au passé, à la tradition comme dépôt exemplaire du meilleur. Occasion de réfléchir sur les rapports entre talent et génie, tradition et innovation.


- se demander si le classicisme est un état initial de l’art, renversé ensuite (pour le meilleur ou pour le pire) en une réaction anti-classique (ex. du romantisme) ; ou si le classicisme lui-même n’est pas la réaction de mise ou de remise en ordre d’une excessive confusion antérieure (Renaissance, puis Malherbe qui vient enfin). Le classique, style premier qui dégénère, ou style second qui purifie ?


Primat de la forme sur le contenu

On peut dire classique un art où préexistent des formes, des schémas portant des noms (symphonie, crucifixion, sonnet). L’art consiste à se glisser dans ce cadre, dans ce moule préalable avec le maximum d’élégance. Le contenu particulier doit donc se soumettre à cette forme, sinon universelle, du moins générale. Dans l’œuvre classique nouvellement produite, il y a donc à la fois de l’ancien et du nouveau, du prévisible et de l’imprévisible, et le plaisir du consommateur d’art est dans ce jeu “entre des exigences contraires” (caractérisation de l’art par Valéry). La forme est donc ici ce qui, en limitant, en comprimant, en confinant, contraint à trouver des solutions nouvelles, des façons originales. La contrainte est donc facteur d’innovation. Gœthe : “In der Beschränkung zeigt sich erst den Meister” [c'est dans la limitation que se désigne le maître]. Au contraire, avec le romantisme, c’est le fond qui est premier, et qui exige une forme nouvelle pour s’exprimer. Cf. les noms des œuvres, en musique p. ex. : Symphonie n° 101 chez Haydn (œuvre désignée par un “nom commun”); Harold en Italie chez Berlioz (œuvre désignée par un “nom propre”, autobiographique). Ceci, lié avec le statut social de l’artiste : le classique reçoit des commandes d’œuvres prédéterminables ; le romantique exprime sa subjectivité et tente ensuite d’y intéresser un public. Dans le classicisme, il y a un langage et un goût largement partagés, qui permettent la 'commande' d'œuvres.


Lien entre forme et contenu

C’est un des modes du principe d’unité, ou de convenance. Tel fond, telle forme. Les sujets élevés doivent être traités dignement, et les sujets bas, bassement. Nulle bassesse, dans l’action ou dans les mots, ne doit altérer l’unité de ton. Et, inversement, on ne saurait traiter en grand style de faits mesquins ou bas. Pas d’interférence dans les niveaux. Mais on peut aussi, pour le plaisir, jouer avec ces préceptes. Par exemple, l’Amphitryon de Molière traite, en “perspective dégradante” les aventures des Dieux et celles des hommes, la grandeur des premiers faisant ressortir la trivialité des seconds, et réciproquement. Cf. les styles héroï-comique et burlesque. Toutefois, dans une œuvre de grand style, nulle intrusion basse n’est tolérable.


Primat du travail et de la lucidité (médiation, rigueur, discipline)

L’artiste classique est proche d’un artisan ; il suit des règles (même s’il ne s’y limite pas), il sait ce qu’il fait, il peut planifier sa production. Il a dû s’exercer pour acquérir les techniques de base chez un maître ; il doit travailler pour produire, et non attendre une hypothétique visitation de la Muse. Connaissant les moyens qui permettent d’obtenir tels résultats, il n’est jamais surpris par ses propres productions car il les a pensées avant de les réaliser, et ne trouve dans la réalisation rien d’autre que dans l’anticipation mentale qu’il en avait eue. Il est donc, mutatis mutandis, comme le Dieu des philosophes qui ne crée (ontologique) que conformément à ce qu’il a conçu (logique). Connaissant ses capacités et ses faiblesses, l’artiste classique sait à quoi s’attendre, et peut évaluer à l’avance si telle entreprise excède ses forces on non. Produisant l’œuvre, il réalise ses capacités, mais ne les crée pas et donc ne les découvre pas dans l’étonnement (= il ne 'réalise' pas au sens incorrect de 'se rend compte de'). Il fait son œuvre, qui ne le fait pas, sinon de façon infinitésimale par le biais d’une habitude accrue.


Primat de l’ordre et de la simplicité

Tout classicisme n’est pas austère comme le sont les tableaux jansénistes de Ph. de Champaigne, ou les ascétismes d’un Georges de La Tour ; il y a des degrés dans la rigueur (style austère, style sévère, style orné, etc.). “Plaire” est même un des idéaux de cet art. Mais il s’agit (double-bind) de plaire sans contrevenir à l’ordre, qui est le thème essentiel de tout classicisme ; éventuellement, sans contrevenir à la “raison”, thème important du classicisme littéraire français, mais où ce mot de 'raison' signifie la vraisemblance, le sérieux et l’honnêteté, plus que la rationali cartésienne. Il faut refuser les vains ornements, qui distraient de la structure, voire qui tentent d’en masquer la carence.

Dans les œuvres littéraires, la forme primant sur le contenu, le primat de la syntaxe sur le lexique est particulièrement marqué. Cf. le vocabulaire réduit de Racine. Cf. certains vers où la syntaxe à elle seule donne sens à un lexique presque vide par lui-même (“Je ne suis pas pour être de vos gens” Molière, Misanthrope). Une telle langue classique est donc maîtrisée, pensée, construite. Une langue faite de rapports bien plus que de supports.

Poussin : « Mon naturel me contraint de chercher et aimer les choses bien ordonnées, fuyant la confusion qui m'est aussi contraire et ennemie comme la lumière des obscures ténèbres. »

Pas d’exubérance, de détails, de floraison de mots concrets et précis. N’est noble que le vocabulaire général, qui tend à l’abstrait. Cf. l’ironie de Stendhal sur le mot “poule”, trop bas pour être admis en tragédie ; noter l’absence, chez Racine p. ex., de tout détail concret, dans le costume, le paysage, le décor etc. ; on dit, au plus, “la campagne” ; le plus souvent “en ces lieux”, ce qui est fort peu descriptif. Insistance sur la charpente syntaxique car elle est facteur d’unité ; réticence à la profusion lexicale, facteur de dispersion dans le Multiple. La manière plus que la matière. Volonté d’être intemporel et comme “a-topique”. L’Orient racinien n’est ni coloré ni épicé ; ce n'est pas du Delacroix : il n'est qu'une façon de dire l'éloignement et l'ennui.

Noter que cette conception peut se rencontrer à des époques inattendues : Maupassant : Préface de Pierre et Jean : « Il n'est pas besoin du vocabulaire bizarre, compliqué, nombreux et chinois qu'on nous impose aujourd'hui sous le nom d' « écriture d'artiste », pour fixer toutes les nuances de la pensée » [...]. Ayons moins de noms, de verbes, et d'adjectifs au sens presque insaisissable. [...] Efforçons-nous d'être des stylistes excellents plutôt que des collectionneurs de termes rares. »

Cf. la distinction entre la tragédie dite “riche” (comportant de nombreux événements, péripéties, personnages, etc.) et la tragédie dite “simple” (ce qui ne signifie pas “pauvre”), c’est-à-dire ramenée à sa “sévère essence” (p. ex., la Bérénice de Racine est, du point de vue de l’intrigue, assez minimaliste), distinction déjà présente en d’autres termes chez Aristote.

En musique p. ex., Brahms, grand romantique, mais aussi à bien des égards grand classique, regrettant de n’être pas l’auteur du thème du “Beau Danube bleu” : do mi sol...


Unité, équilibre et harmonie

L’unité classique n’est pas unité pure, mathématique, mais unité par conjonction harmonieuse des parties, subordonnées au tout qu’elles constituent, loin de le menacer. Cf. l’unité de la tragédie chez Aristote, décrite sur le mode de l’unité du vivant, de l’organisme composé d’organes tous ordonnés à même fin : c’est cette unité de fin, d’intention, qui est la véritable unité, riche, hiérarchique. Ne pas confondre non plus l’harmonie et la symétrie, qui en est la caricature simpliste. L’œuvre classique, après Aristote, consiste en un surcroît d’ordre par rapport à la réalité. La tragédie ne doit pas reprendre tout ce qui s’est passé, mais organiser, élaguer, purifier pour en faire apparaître plus nettement le sens. Critique aristotélicienne de la digression : supprimer tout ce qui peut ne pas être dans la tragédie (= contingent), car ce qui peut ne pas être dans un tout ne fait pas partie réellement, mais seulement accidentellement de ce tout (principe de densité : pas d’excipient). De même que dans le vivant, où la nature ne fait rien en vain, chaque élément doit être un organe contribuant à l’intégration de l’organisme. Il ne s’agit pas de décalquer la vie telle qu’elle est, son désordre, ses déséquilibres, mais de lui donner cohésion, cohérence. (à l'inverse du surcroît de désordre qu’on peut trouver chez un Rabelais, un Sterne ou un Céline).


Modestie

L’artiste classique doit être humble, discret. Il ne doit pas (opp. romantique) se mettre en avant. L’œuvre n’a pas à exprimer ses états d’âme. Elle peut seulement manifester ses compétences. Un fort tempérament doit se maîtriser (cf. l’opp. au XVII° s. entre poussinistes et rubéniens). En peinture, p. ex., la touche ne doit pas apparaître, car ce serait une trace du corps de l’artiste, de son attitude, de son système nerveux (cf. Delacroix, qu'on dit 'romantique', Journal 13 janvier 1857). Dans le classicisme pictural, le glacis unifie le tableau et le détache de son auteur. “L’art cache l’art”. La perfection est la disparition de la main du peintre, du tempérament de l’auteur etc.

Cf. Henry James : La Madone de l'avenir, Nouvelles t. 1, La Différence, p. 560 : "La Madone à la Chaise. [Raphaël] De toutes les belles toiles du monde, il me semble que c'est celle qui se prête le moins à la critique. Aucune ne trahit moins l'effort, [...] la discordance irrépressible entre la conception et le résultat, qui se manifestent obscurément dans tant d'oeuvres consommées".

Pascal réprouve le projet exhibitionniste de Montaigne (le “sot projet qu’il eut de se peindre” ; en effet, si “le moi est haïssable”). Delacroix : Journal 31 08 1855 : "La vraie supériorité n'admet aucune excentricité". Claudel : "L'art classique commence là où l'artiste s'intéresse plus à son œuvre qu'à lui-même. ». Cioran, Syllogismes de l’amertume p. 143 : "Beethoven a vicié la musique : il y a introduit les sautes d'humeur."


Urbanité

Par la forme préalable, l’œuvre classique ne surprend pas : elle s’annonce. Cf. la politesse selon Alain : toujours annoncer ce que l’on va faire. Donc, ne pas viser à l’effet, surtout à l’effet de surprise, qui est une sorte d’impolitesse esthétique (et un moyen trop facile de se singulariser). Par ex. : commencer par situer, dans le temps, dans l’espace, dans la société, dans les relations familiales etc. C’est l’objet du premier acte des tragédies (parfois un peu lourdement explicatif), ou du début de La Princesse de Clèves. Ensuite, les repères étant disposés, on met en jeu l’intrigue, la tragédie peut se nouer entre des éléments connus. Ne pas commencer “in medias res”, de but en blanc, en contraignant le spectateur de construire peu à peu, tant bien que mal, le cadre et les personnages (ex. contraire : le début des Sœurs Vatard, de Huysmans ; cf., exemple mixte, Balzac, La Cousine Bette : le romancier se sert, avec beaucoup d’art, de l’arrivée d’un personnage dans une maison pour situer habilement les protagonistes etc.). On est dans un art de Cour, de rite, de médiation. Tout doit être clair et compréhensible au moment où on l’entend ou le lit : ce principe est aussi un principe pour la rédaction d’une dissertation. (Relire le fameux Discours sur le style, de Buffon, qui donne d’excellents conseils pour la prose didactique).

L’urbanité devra aussi se traduire par la pudeur : on ne tue pas sur scène. À l’opposé du théâtre pré-classique français ou de la tragédie shakespearienne, on ne doit pas voir le sang couler ; les actes violents, qui sont “ob-scènes”, sont objet de narration, donc de mise à distance, d’atténuation, (cf. Platon Rép. III sur le style “simple”, c’est-à-dire unifié).

De même, un des caractères les plus universels du classique, c’est la litote, l’euphémisme : bien dire, c’est dire moins pour laisser entendre plus. C’est ne pas montrer, ou ne montrer que partiellement. Rien qui soit brut, cru, direct : il faut transposer, atténuer, ou, selon le terme classique, “gazer” (couvrir d’une gaze). Cf. l’understatement, la Dämpfung. Non seulement “rien de trop”, cela va de soi ; mais aussi, “moins est mieux que plus” (d’où les rapports complexes entre classicisme et préciosité). Discrétion, retenue, modération, économie de moyens (principe leibnizien) Cf. le débat sur l’expression de la douleur en sculpture dans le Laocoon : ne pas faire grimacer celui qui souffre, mais suggérer l’effort du héros qui tente de maîtriser la douleur.


Jugement

L’œuvre est avant tout objet d’un jugement, plus que d’une émotion. Cf. La Pasta disant que les Français vont au théâtre plus pour juger que pour sentir. [Occasion de se demander : est-ce le Français qui est classique, ou le classique qui est français ? Cf. infra, textes de Gide et Gracq]. Quand il reprend la poétique de Poe, Valéry se situe dans la tradition française de lucidité, de créateur auto-critique.


Rapport au passé (tradition, imitation, école)

Le passé n’est pas obstacle, premier occupant encombrant à déloger, mais riche sédiment dont on se nourrit, dépôt précieux d’une tradition seule capable de nous former. Respect de l’Antiquité, des vieux Maîtres, des Maîtres (= professeurs). Sentiment de dette. Le classique est celui pour qui il y a des classiques, que l’on s’honore d’imiter, de reprendre humblement. [Dans un tout autre contexte, songer à Comte : “Ordre et Progrès” ; ordre d’abord, progrès ensuite, car il n’y a pas de progrès sans ordre. Le classique insiste sur le premier des deux termes]


Fini

Tout dans la théorie classique tend à une esthétique du fini, du bien fini, de l’achevé. L’esquisse n’a de valeur que préparatoire pour l’œuvre et n’a nulle valeur en soi. Un tableau ne doit pas plus présenter de réserves (zones de toile non-peintes) qu’un meuble ne doit présenter de zones de bois brut. La fin doit être une vraie fin, où tout est résolu, éclairci, et non un arrêt laissant des situations en suspens [H. James critiqué pour avoir, à la fin de Portrait of a Lady, laissé ses personnages 'en l'air']. Aristote insiste sur la fin comme terme, comme achèvement. La tragédie est la forme classique par excellence car on y construit, on y établit les tensions qu’il s’agira de résoudre ; on y serre les nœuds que l’on dénouera tous dans le bien nommé “dénouement”. Ici, il faut opposer la tragédie classique au drame romantique : le drame est une situation inextricable fournie par la vie, dont la résolution pourra fort bien n’être que partielle, car ce n’est pas le dramaturge qui a fabriqué les problèmes. On retrouve ici l’opposition cartésienne entre le complexe (enchevêtrement, opacité, mais réductibles par décomposition à la transparence du simple ; Règle V) et le compliqué (enchevêtrement inextricable de ce qui est donné dans l’expérience). Noter le parallélisme avec la musique tonale : C G7 C = accord parfait de tonique, accord de dominante avec 7° dissonante ; accord parfait de tonique. Du repos au repos par le mouvement. Création et résolution de la tension. En musique, le style classique se caractérise par l’alternance tension/détente.


Classique et académique

Dans le classicisme, la règle est condition nécessaire mais non suffisante. C’est quand le classicisme vire à l’académisme que le respect de la règle devient condition suffisante de l’éloge, que l’imitation devient fin en soi. L’académisme tend au pastiche non-drôle (et même si ennuyeux qu’il en est involontairement drôle), dans le style “pompier” p. ex. L’académisme peut être dit le stade sénile du classicisme, sa sclérose. Le classicisme de la grande sculpture grecque connaît une résurrection magnifique et fertile à la Renaissance, qui copie l’Antique sans servilité ; puis la Renaissance devient le modèle à imiter pour le classicisme du XVII° siècle, non sans une certaine froideur provenant de cette “imitation d’imitation” ; puis le néoclassicisme et son interminable surgeon académique constituent une imitation au 3° degré, désertée de toute sève, depuis la froideur encore énergique des Horaces (David, 1784) à la pétrification, la glaciation scolaire des premières années du XX° siècle.



Thèmes divers de réflexion :

- en musique : fugue et fantaisie

- les joies les plus exigeantes sont les plus puissantes

- la fable : delectare et docere

- les époques les plus classiques ont connu des “impurs” : Saint-Amant, Scarron.

- classicisme ailleurs qu'en art (ou dans des domaines voisins) : le style classique aux échecs, en tauromachie, en cuisine, en vêtement.

- l’académisme absolu : Platon, dans les Lois, fait l’éloge de l’immuabilité de l’art en Égypte

- les personnalités créatrices où se superposent (parfois douloureusement un classicisme et son contraire) : Ingres, Delacroix, Brahms...

- la prose fr. classique : a) Selon le syntaxique, Mme de La Fayette ou La Rochefoucauld. b) Selon la simplicité, le premier XIX° non-romantique, héritier du XVIII° : Adolphe, de Benjamin Constant ; ou le style de Tocqueville (que R. Aron avait tort de dire triste).

- le classicisme comme dédain des moyens trop faciles (Valéry)

- double sens de “compassé”

- selon les divers arts, la notion de “classique” correspond à des époques très diverses (sculpture grecque ; peinture Renaissance et XVII° ; littérature fr. XVII° ; musique XVIII°, de Stamitz à Beethoven...). De même pour le “néoclassique” : en peinture, fin XVIII°, en musique, vers 1920).

- lire l’article de Vignal in Universalis : “Musique classique”

- y a-t-il un classicisme en matière de roman ? (pas de théorie antique du roman, alors que la tragédie a été définie par Aristote) ; en matière de comédie ?

- la formation “classique” des “romantiques” (Rimbaud poète météoritique après avoir été un élève de très haut niveau, digérant les classiques à une vitesse extraordinaire)

- l’expression classique des émotions fortes se fait de façon médiatisée (Racine : narration d'un cauchemar)

- trouver des incipit classiques et non-classiques caractéristiques.

- Shakespeare en France à la fin des années 1820.

- prendre un beau vers classique, et essayer de comprendre pourquoi il est beau (entreprise qui n’est pas illégitime dans un cadre classique, mais qui pourrait l’être ailleurs). Par ex. : Malherbe : “Et les fruits passeront la promesse des fleurs”.

- classicisme et grotesque : antinomiques en apparence ; pas toujours en réalité (cf. l’ornementation baroque). Antinomiques car les grotesques laissent libre cours à une fantaisie déliée des contraintes de la narration et de la vraisemblance. En outre, l’antique était le modèle absolu de la pureté classique, et la découverte de la Domus Aurea a révélé un antique délirant.

- classicisme et solennité, et grandiloquence ; et pourtant, art de la discrétion et de la litote...

- classicisme et rationalisme : “Ce qui se conçoit bien...” et Buffon.

- classicisme et Contre-Réforme

- la langue classique, châtiée ou châtrée ? cf. le “castizo”.

- classicisme de la fugue (composition du Même avec le Même, début XVIII° s.) et classicisme de la forme-sonate (composition du Même de l’Autre, fin XVIII° s. et suivants).

- Bienséance et fadeur

- L’art classique selon Hegel

- La dissertation de philosophie comme art classique.

- Les préceptes classiques, presque toujours postérieurs aux œuvres.



Quelques textes :


Boileau, Art poétique 1674 ( I, vv. 131 à 142) :

"Enfin Malherbe vint, et, le premier en France,

Fit sentir dans ses vers une juste cadence,

D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,

Et réduisit la muse aux règles du devoir.

Par ce sage écrivain la langue réparée

N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée ;

Les stances avec grâce apprirent à tomber,

Et le vers sur le vers n'osa plus enjamber.

Tout reconnut ses lois ; et ce guide fidèle

Aux auteurs de ce temps sert encore de modèle.

Marchez donc sur ses pas ; aimez sa pureté

Et de son tour heureux imitez la clarté".


Ingres : "Plus les lignes et les formes sont simples, plus il y a de beauté et de force. Toutes les fois que vous partagez les formes vous les affaiblissez. Il en est de cela comme du fractionnement en toute chose." (Écrits sur l'Art, Lausanne, 1994 p. 43)


Baudelaire : La Beauté : “Je hais le mouvement qui déplace les lignes”

Baudelaire : "La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable."


Valéry : Sur Bossuet (Pléiade t. 1) : « Bossuet dit ce qu'il veut. Il est essentiellement volontaire, comme le sont tous ceux que l'on nomme classiques. Il procède par constructions, tandis que nous procédons par accidents; il spécule sur l'attente qu'il crée tandis que les modernes spéculent sur la surprise. Il part puissamment du silence, anime peu à peu, enfle, élève, organise sa phrase, qui parfois s'édifie en voûte, se soutient de propositions latérales distribuées à merveille autour de l'instant, se déclare et repousse ses incidentes qu'elle surmonte pour toucher enfin à sa clé, et redescendre après des prodiges de subordination et d'équilibre jusqu'au terme certain et à la résolution complète de ses forces


Gide : Journal 1930 pp. 980-981 : "8 avril. Littérature française, beaucoup plus soucieuse de connaître et de peindre l'homme en général, que les hommes en particulier. Ah ! si Bacon plutôt que Descartes ! Mais le cartésianisme ne s'inquiétait pas de every man in his humour ; pas grand désir d'expérience, et, somme toute: insuffisante curiosité.”

Gide, Réponse à une enquête sur le classicisme :

"Il me semble que les qualités que nous nous plaisons à appeler classiques sont surtout des qualités morales et volontiers je considère le classicisme comme un harmonieux faisceau de vertus ; dont la première est la modestie. Le romantisme est toujours accompagné d'orgueil, d'infatuation. La perfection classique implique, non point certes une suppression de l'individu […] mais la soumission de l'individu, sa subordination - et celles du mot dans la phrase, de la phrase dans la page, de la page dans l'œuvre. C'est la mise en évidence d'une hiérarchie. Il importe de considérer que la lutte entre classicisme et romantisme existe aussi bien à l'intérieur de chaque esprit. Et c'est de cette lutte même que doit naître l'œuvre ; l'œuvre d'art classique raconte le triomphe de l'œuvre et de la mesure sur le romantisme intérieur. L'œuvre est d'autant plus belle que la chose soumise était d'abord plus révoltée. Si la matière est soumise par avance, l'œuvre est froide et sans intérêt. Le véritable classicisme ne comporte rien de restrictif ni de suppressif ; il n'est point tant conservateur que créateur ; il se détourne de l'archaïsme et se refuse à croire que tout a déjà été dit. J'ajoute que ne devient pas classique qui veut ; et que les vrais classiques sont ceux qui le sont malgré eux, ceux qui le sont sans le savoir…"


Gracq Lettrines 2 p. 326-327 : « Ses défauts naissaient de ses corrections, et la perfection qui quelquefois a prévenu ses vœux s'est constamment refusée à ses efforts ». (Halévy à propos de Diderot). Exemple type d'une écriture propre au français : non pas seulement la précision, mais la précision que j'appellerai éloquemment exclusive : chaque mot à mesure qu'il s'énonce apparaît irremplaçable par une espèce d'évidence immédiate, comme une pièce d'un puzzle venant remplir exactement le vide qui semblait l'appeler. Typiquement français aussi, le fait qu'une réussite de ce genre n'est jamais exempte pour le lecteur d'un soupçon d'affectation qui la souligne (...). "