Méthode dissertation-leçon

Méthodes de Philosophie générale

(dissertation, leçon)

Ce qui suit ne prétend pas à l'originalité, tout au contraire. Ces indications sont bien connues des correcteurs, et se trouvent plus ou moins rassemblées ou dispersées dans tous les enseigements oraux ou écrits de philosophie (et dans les rapports de jurys).

Les formulations sont souvent rapides et ne prétendent pas à littérature.

On n'improvise pas ces techniques, même si on en a lu ou entendu la méthode. Il faut s'exercer. L'effort le jour du concours ne suffit pas. Il faut posséder des automatismes ; il est nécessaire que les principes généraux de méthode soient une seconde nature. L'habitude n'est pas le contraire, mais la condition de l'esprit. Il faut faire soi-même de nombreuses dissertations, leçons et explications.

Kant : La religion dans les Limites de la simple Raison p. 245, note 1:

"on ne peut mûrir pour la liberté, si l'on n'a pas été mis au préalable en liberté (il faut être libre pour pouvoir se servir utilement de ses forces dans la liberté). Les premiers essais en seront sans doute grossiers et liés d'ordinaire à une condition plus pénible et plus dangereuse que lorsqu'on se trouvait encore sous les ordres, mais aussi confié aux soins d'autrui ; cependant jamais on ne mûrit pour la raison autrement que grâce à ses tentatives personnelles (qu'il faut être libre de pouvoir effectuer)."

On verra d'abord la méthode de la dissertation, puis celle de la leçon qui n'en est qu'une spécification.

La dissertation est écrite : il faut savoir écrire (graphie)

La leçon est orale : il faut savoir parler (articulation). Là aussi, il faut s'entraîner...

Les lectures doivent être commencées dès la 1° année, pour constituer un véritable humus culturel. Il faut avoir lu les grands classiques de la philosophie, mais aussi de la littérature, et les relire de temps en temps. Pour le CAPES en particulier, qui ne comporte pas de programme, la relecture est tout à fait nécessaire. Enfin, toute forme de culture humaniste ou scientifique est la bienvenue dans tous les cas. Il importe donc, pendant les années d'études, de se rendre vigilant à toute donnée culturelle qui puisse servir d'illustration à un problème philosophique.

Technique de la dissertation

•Ne jamais abandonner, sous quelque prétexte que ce soit. Un emauvaise note peut être compensée ; et on ne sait pas forcément si on est bon juge de la copie qu'on trouve piètre.

• Se préparer physiquement, car on pense en fonction de son cerveau : si le taux de glucides chute, tout problème métaphysique paraît inextricable... Les accidents du travail et de la route connaissent chaque jour une pointe vers 11 heures du matin. On peut parier qu'il en est de même pour les apories philosophiques. Ne jamais laisser s'installer l'hypoglycémie, qui se déguise immanquablement en une sensation de fatigue, de découragement, de vacuité et de vanité de la pensée.

La philosophie générale n'angoisse que parce qu'on croit qu'il n'y a pas de technique précise à mettre en œuvre. La connaissance précise des diverses techniques a donc une vertu thérapeutique éminente. La connaissance des règles du jeu donne confiance, car on sait quelles infractions seront sanctionnées ; on sait à quoi le correcteur s'attend. Trop de candidats voient la philosophie générale comme un spectateur européen voit le football américain : avec la perplexité de celui qui ne sait pas à quoi tend le processus, ni par quels moyens on parvient au but.

Pour chaque type d'épreuve (dissertation, leçon, explication de texte), c'est toujours la même technique, du Baccalauréat à l'Agrégation.

La philosophie générale est un art classique : il y a une forme préalable fixe, des règles déterminées : l'art est de les utiliser avec habileté. Comme dans la symphonie classique, la surprise est d'autant plus grande qu'elle s'insère dans une forme prévisible.

La dissertation est un artisanat, une technique, qui réclame du talent, non du génie. Cela s'apprend. On n'y a pas besoin d'inspiration. Si on en a besoin, c'est qu'on ne possède pas bien la technique. Il faut "se faire la main", par des exercices répétés. Pour cela, s'en faire d'abord une conception technologique. C'est de la fugue, du contrepoint, non de la composition. On apprend à faire en faisant. On peut alors faire des copies excellentes malgré les états d'âme qu'on connaît toujours plus ou moins le jour du concours. La connaissance précise de la technique, et l'habitude de la mettre en œuvre, loin de brider l'inspiration, la permettent : cf. le très romantique Schumann (25 oct 1845) : "Ce qui leur manque à tous, c'est de savoir écrire un choral à quatre voix". Un candidat bien préparé doit pouvoir obtenir la moyenne malgré une forte grippe : les techniques et les références de base doivent être une seconde nature.

La dissertation est un exercice écrit, destiné à être lu, voire relu : elle peut donc être dense. Une copie difficile, exigeant l'attention du correcteur, ne le rebute pas ; au contraire, elle l'honore. Ne pas se répéter, sinon pour résumer les étapes de la pensée. Ne pas délayer. La copie n'est pas destinée à des élèves : pas de concessions, mais pas d'ornements non plus. Tout ce qui n'est pas la stricte pensée doit être facilité pour le lecteur. Mais rien de la pensée ne doit être vulgarisé.

Etre lapidaire (étym. : gravé dans la pierre) ; économiser ses mots, aller à l'essentiel : penser est chose grave ; chaque phrase doit être suffisamment dense pour mériter d'être gravée dans la pierre. Dans le même sens, Alain aurait souhaité qu'on écrivît les dissertations en lettres capitales d'imprimerie, pour que la peine de l'écriture contraignît à la concentration de l'expression et à la rigueur de la pensée. Caillois souhaitait quant à lui le retour à l'écriture par cordelettes nouées, pour combattre l'exercice désinvolte de la pensée (Le Fleuve Alphée p. 77). Penser, c'est peser, non jouer, ni jongler.

Ne pas se répéter en vain. Cf. Jacques le Fataliste p. 139 : "Il y avait des jours où il était tenté de ne pas croire à la Bible. _ Et pourquoi ? _ A cause des redites qu'il regardait comme un bavardage indigne de l'esprit saint. Il disait que les rediseurs sont des sots qui prennent ceux qui les écoutent pour des sots."

Critères dits "externes"

Ils ne sont pas vraiment externes, car l'extérieur symbolise avec l'intérieur, et parce qu'il ne faut en aucune façon faire obstacle à l'attention du lecteur. Ce qu'on juge —très légitimement dans un concours de recrutement de professeurs— c'est la capacité à communiquer sa pensée.

[N.B. : lorsque je corrige une copie, je commence souvent l'appréciation générale de la copie par un jugement sur l'écriture, la langue, l'orthographe, le style, pour montrer que le lecteur n'a accès au fond philosophique qu'à travers la forme.]

Un seul principe (cf. Descartes Règle XVIII p. 104 : "la multiplicité des règles provient souvent de la maladresse du professeur") :

se mettre à la place du lecteur

Pascal : Pédagogues de Port-Royal p. 239 : "Il faut se mettre à la place de ceux qui doivent nous entendre, et faire un essai sur son propre cœur du tour qu'on donne à son discours, pour voir si l'un est fait pour l'autre, et si l'on peut s'assurer que l'auditeur sera comme forcé de se rendre."

Aristote : Poétique § XVII : "En composant la Fable, il faut se mettre à la place du spectateur."

Mais, jusqu'à présent, cette identification à autrui ne diffère pas foncièrement de celle qui a lieu dans la séduction ou la publicité. Il faut, en philosophie, se mettre à la place du correcteur non comme sujet particulier, mais comme sujet universel :

Kant : "Se mettre à la place de tout autre" (C.J. § 40)

Ainsi, on prépare la vraie communion humaine universelle, celle de la Raison, qui rassemble sans excommunier quiconque. L'échange des consciences est le seul moyen de lutter contre la prétendue "incommunicabilité" qui n'est radicale qu'autant qu'est radicale la paresse humaine.

Cet exercice, en lui-même métaphysique, vaut pour la dissertation et pour toute la vie : penser sans arrêt à autrui. C'est l'essence même de la sociabilité et de la moralité. C'est en faisant des dissertations qu'on apprend à vivre "en société" et non dans la simple juxtaposition ; qu'on apprend à faire l'amour ; qu'on apprend qu'il ne suffit pas d'avoir envie de dire ou de faire, mais qu'il faut en outre toujours tenir compte du fait qu'il y a en face quelqu'un, qui peut ou non recevoir. Cf. Schumann, Conseils aux musiciens : "Les lois de la morale régissent l'art"

Balzac (Physiologie du Mariage) dit, à propos du "lit", que c'est comme un poème : il faut faire naître un désir, le fomenter, l'exacerber, le satisfaire. C'est vrai aussi d'une dissertation. Car le commerce des esprits se fait selon les mêmes principes que le commerce dit "des corps" : délicatesse et ordre.

Il ne faut pas considérer que la communication avec autrui est donnée, mais qu'elle est conquise, qu'elle exige le passage par l'universel. Il n'y a de communication que dans et par la médiation, car n'est commun que ce qui a été porté à l'universel. "Le commerce des âmes est la plus grande et même la seule réalité", dit Renan ; mais toute réalité se mérite, se constitue par un effort.

Les "principes externes" vont traiter de la délicatesse ; la technique du plan traitera de l'ordre. Mais l'ordre n'est que la conséquence de la délicatesse.

Toujours penser qu'on sera lu.

Cf. Descartes Discours VI p. 638 : "Sans doute on regarde toujours de plus près à ce qu'on croit devoir être vu par plusieurs, qu'à ce qu'on ne fait que pour soi-même, et souvent les choses qui m'ont semblé vraies lorsque j'ai commencé à les concevoir, m'ont paru fausses lorsque j'ai voulu les mettre sur le papier."

(un des très rares passages où Descartes donne un rôle effectif à l'extériorisation dans la constitution de la pensée elle-même).

Toujours penser au correcteur en deux sens :

• imaginez que la Raison lit par-dessus votre épaule, et vous juge. Vous vous identifiez le plus que vous pouvez à cette Raison ; or le correcteur tente lui aussi cette identification quand il vous lit. La communication des âmes, comme l'a bien dit Malebranche, ne se fait qu'en Dieu, dans le Verbe éternel.

Cf. Schumann : Conseils aux musiciens "Joue toujours comme si un maître t'écoutait".

Bach disait, paraît-il : "Je joue pour le meilleur musicien du monde. Peut-être n'est-il pas là, mais je joue toujours comme s'il était là".

En somme, penser sous la surveillance de Dieu.

• Pour incarner les exigences de la raison sous des espèces plus sensibles à l'imagination, imaginez, sans toutefois vous en terroriser, que vous aurez un correcteur mal embouché, aigre, mal disposé à votre égard ; qu'il a des brûlures d'estomac, qu'il vient de recevoir sa feuille d'impôts, qu'il vient d'apprendre ses infortunes conjugales, et qu'il a des opinions contraires aux vôtres. Imaginez qu'il a envie de vous coincer, et faites donc une copie "incoinçable", même par un lecteur de la plus abjecte mauvaise foi…

Tout est important.

La copie doit être sobre et classique. Cf. Diderot : Jacques le Fataliste p. 156 : "... ce vêtement simple qui, n'attirant point le regard, fixe l'attention tout entière sur la personne."

Le lecteur ne doit pas penser à la présentation : elle doit lui être transparente.

Faciliter le voyage intellectuel en ôtant tous les obstacles matériels, et tous les sujets de distraction (Cf. Platon : si le voyage se fait dans un cahotement incessant, on n'a pas le loisir de contempler le paysage des idées). Négliger la présentation est signe d'un idéalisme absurde : c'est croire que le sens se reçoit indépendamment du signe, que le fond n'est pas solidaire de la forme.

En outre : le correcteur est un humain. Il n'est ni un chien, ni une machine. Même dans la simple graphie, et d'abord dans la simple graphie, il a droit au respect. Ecrire mal, l'obliger à déchiffrer votre écriture, c'est manifester le mépris que vous avez de son temps, de sa vie, et donc de la vie humaine en général. C'est vous déshonorer vous-mêmes.

En outre : une copie correctement présentée donne envie de pardonner, car elle met dans un état d'esprit positif, bienveillant. Alors qu'une copie négligée, peu lisible, irrite, met dès l'abord de mauvaise humeur, divise l'attention en la portant sur le déchiffrage. Le correcteur ne peut pas penser en même temps au sens et aux hiéroglyphes. Il est agacé, et n'a pas envie d'être clément. C'est comprommettre de façon fort sotte les efforts intellectuels qu'on a pu faire.

En outre, le correcteur sait, ou sent, que celui qui néglige sa présentation néglige sa pensée.

Cf. Alain, préface au Tiers livre : "Comme disait Proudhon, celui qui écrit mal pense nécessairement mal."

Qui écrit mal manifeste son incapacité à se maîtriser, à dépasser les excentricités naturelles et individuelles, à se soumettre à une loi universelle, à se hisser jusqu'à l'universel. Ecrire proprement est un exercice d'humanité, une ascension vers le surnaturel. L'artificiel d'une écriture lisible et conventionnelle (lisible car conventionnelle) n'est pas obstacle mais chemin vers le surnaturel. La maîtrise de la matérialité du signe est le passage obligé vers l'Esprit.

Enfin, cette contrainte a une utilité pour vous, car c'est la même âme qui écrit et qui pense. L'extérieur du geste retentit sur l'intériorité de la pensée. On n'a pas les mêmes pensées en costume et en blue-jeans ; si on emploie l'imparfait du subjonctif ou si on parle argot ; si on soigne ou néglige son écriture. L'écriture prépare à la pensée, comme le costume prépare au geste. L'écriture fait l'ambiance de la pensée, son acoustique, son style. Une écriture relâchée n'incline pas à une pensée maîtrisée.

Un stylo et un seul : exercice élémentaire de fidélité ; capacité à penser à l'avenir en montrant qu'on a été capable, la veille, de songer que l'on allait passer un concours écrit… Prévoir, tout bêtement, trois ou quatre stylos identiques. Encre sobre (et sombre). Graphie impeccable, sans fioritures qui distraient ; utiliser un transparent pour écrire droit (lire 300 copies qui gondolent comme des calligrammes est un exercice pénible, qui incline au pessimisme et à l'agressivité liés à toute nausée) ; couper les mots convenablement en fin de ligne ; ne pas dépasser sur l'autre page ; ponctuation, accentuation, orthographe, mots étrangers impeccables ; se relire srupuleusement : "Je n'ai pas relu" n'est pas une excuse ; "Je n'ai pas eu le temps de relire" montre qu'on ne sait pas gérer son temps. Aucune faute d'orthographe n'est admissible dans la copie d'un spécialiste du langage et de l'expression. Dans une dissertation, on choisit la coupe de ses phrases ; on est donc responsable de tout. Si on a un doute, on construit autrement la phrase.

La dissertation est un exercice intellectuel : pas de points d'exclamation ni de vocatif.

Il faut tout dire et ne rien laisser entendre : pas de points de suspension.

Des points d'interrogation, car cela est absolument nécessaire (c'est l'essence même de l'exercice que de désigner des tensions intellectuelles et de les résoudre), mais sans en abuser (pas en rafales).

Aucune familiarité. Dire "nous", sauf lorsqu'on décrit une expérience universelle ou universalisable, auquel cas on écrit "je" (p. ex. : "je pense donc je suis") Employer l'imparfait du subjonctif selon les lois de la bienséance. Eviter les adverbes en "ment", sans nuire à la clarté. Eviter les alexandrins.

Ecrire une langue simple, claire, fluide, limpide, en phrases brèves et immédiatement compréhensibles. Une copie est un texte qui ne doit pas réclamer d'explication de texte. Principe qui doit être sans arrêt suivi : rien ne doit être obscur ni ambigu au moment moment même où on le lit. Le sens, grammatical et philosophique, de chaque phrase, doit être perceptible au moment même où la phrase est lue. Des problèmes, mais jamais d'énigmes qui recevraient une solution ultérieure.

Cf. Drillon, Traité de ponctuation française : "Tout minime qu’elle soit, elle est indue, la dépense d’énergie intellectuelle fournie par un lecteur pour dissiper une équivoque. L’auteur est toujours coupable de l’avoir entraîné sur une mauvaise piste, et contraint de faire demi-tour."

Condillac : "Ce n’est pas assez que, quand on a lu une phrase, on sente la vraie liaison des idées ; il faut que dès les premiers mots on ne puisse pas s’y méprendre."


Pas d'enflure, de décorum, de ronflant, de clinquant. Etre précis et sobre. Modèles : Caillois : La Vertu d'Espérance, Descartes, Spinoza, Alquié. Plus c'est sobre, plus c'est beau. Anti-modèles : Lacan, Heidegger, Comte, Diderot, Montaigne, Péguy, Proust.

Ne pas prendre exemple sur ce qui "se publie".

En somme, écrire en latin, comme Tacite. Utiliser peu de mots techniques, mais précis et à bon escient. Mener son langage au lieu de se laisser mener par lui : Wo es war, soll Ich werden.

L'utilisation des auteurs

Ce sont des outils, des instruments, des moyens et non des fins. On peut ne pas en utiliser. C'est le candidat qui pense, et s'il peut penser seul, il est légitime qu'il le fasse. Les auteurs illustrent, enrichissent la pensée du candidat. Ils épargnent les impasses, et permettent de ne pas s'épuiser à enfoncer des portes ouvertes.

Eviter d'utiliser un seul auteur pour toute la copie : le passage par divers moments, par diverses inspirations et paysages intellectuels est quasiment une règle, même s'il y a presque toujours une dominante. Ne pas se contenter de citer des noms…

La connaissance des doctrines ne doit être qu'un moyen pour aider l'esprit à sortir de sa naïveté première.

Schumann : Conseils aux Musiciens : "Travaille bien les fugues des bons maîtres, et surtout celles de J.S. Bach. Que le Clavier bien tempéré soit ton pain quotidien. Alors certainement, tu deviendras un bon musicien."

Utiliser les grands auteurs plus que les moins grands. Changer d'auteurs selon les sujets. Sur le travail, p. ex. : Aristote, Hegel ; en renfort : Malebranche et Bergson (sur le travail intellectuel), Marx, S. Weil, Alain, Freud (travail du rêve), puis Giono, Zola… etc. Ne pas analyser les thèses de Giono ou Zola, mais s'en servir pour illustrer les problèmes que vous traitez, ou pour les amener.

Se référer aux "humanités". Le théâtre est souvent une source précieuse d'exemples, car il stylise les situations et les expériences. Sont rigoureusement interdits : les illustres inconnus, serbo-croates ou finno-ougriens (on vous soupçonnera de les inventer ad hoc) ; les bandes dessinées, la science-fiction, les vidéo-clips, les sketches, les pubs, le rock, en somme tout ce qui est la vraie Culture du XX° siècle ; les films (ce qui est parfois dommage) ; les correcteurs du concours ; vous-mêmes ; les commentateurs ; en général, les auteurs vivants (les Académiciens ne sont pas vivants mais immortels ; on pourra toutefois opérer parmi eux une discrète sélection, fondée sur le bon goût).

Remarques diverses

La première citation qui vient à l'esprit, vient aussi à l'esprit de la plupart des candidats. Penser que le correcteur sera peut-être las de voir pour la 400° fois s'envoler la chouette de Minerve… Eviter les citations rituelles des auteurs à la mode. Respecter les auteurs. Ne pas régler de comptes personnels. N'établir, entre les auteurs, ou entre vous et les auteurs, que des rapports intellectuels. Ne pas singer les auteurs à la mode. Ne pas hésiter, mais toujours de façon argumentée, à se demander si un auteur, même illustre, a raison ou tort.

Si le sujet est une citation, ne pas forcément rester dans la philosophie de l'auteur : on ne vous demande pas un commentaire, mais une dissertation (l'auteur n'est d'ailleurs pas toujours indiqué, surtout en leçon ; il n'est pas nécessaire de le reconnaître, sauf si l'expression est très célèbre).

Ne pas faire de l'histoire de la philosophie : 3 parties, 3 auteurs, et c'est le plus récent qui a raison. Il n'y a pas de taux minimum de références. Eviter les allusions triviales en restent au niveau de la simple anecdote : Descartes dans son poêle, le manteau de Spinoza, les promenades de Kant…

Il n'y a pas d'auteurs ou de références obligés ou interdits.

Ne pas juxtaposer des concepts issus de problématiques incompatibles.

Ne jamais citer sans expliquer, intégrer, analyser, mettre en perspective.

Le sujet

En être extrêmement soucieux. Certains membres du jury ont un souci quasi fétichiste de son libellé. Imaginer que ce souci va jusqu'à la mauvaise foi. Considérer soigneusement la spécificité du libellé. Le citer sans la moindre modification, ce qui relève d'une politesse et d'une probité intellectuelles élémentaires. Ne sacrifier ni la lettre, ni l'esprit (c'est parfois plus facile à dire qu'à faire…). Envisager les différents sens possibles, les faire jouer (pour soi) et ne retenir que ceux qui sont pertinents, ou les plus pertinents. Leur accorder un traitement proportionné à leur degré de pertinence philosophique. Bien dégager le sens qui correspond le plus équitablement à la formulation proposée. Ne pas chercher de traquenards, de pièges dans le sujet. Ne pas soupçonner le sujet, ni le critiquer, ni le questionner, ni l'accuser. Critiquer la faiblesse du sujet, c'est exhiber son incapacité à le traiter. Ne pas lui en substituer un autre.

Seul l'énoncé global a du sens. L'attention à chaque mot, très fructueuse, doit toujours s'insérer dans l'ensemble du sens du sujet. Pas de dissertation sur les mots du sujet, mais sur les idées, et leurs interconnexions. Il y a un "génie de la langue" : selon le contexte, une même notion prend des colorations différentes. Il y a des sens qui ne sont pas grammaticalement exclus, mais qui le sont philosophiquement, et par le simple bon sens ("La peine de mort", interprété comme : "il est pénible de mourir"…). Le sens le plus simple n'est nullement à exclure de la philosophie en raison de sa simplicité. Toujours penser que le sujet est un organisme où chaque terme est déterminé par sa relation aux autres (cf. Valéry : "le mot ne prend son sens que dans une organisation par élimination entre ses sens")

Ne pas éliminer les problèmes centraux sous prétexte qu'ils ne sont pas intéressants, ou trop classiques. Si on restreint le champ du sujet, le dire et le justifier. Ne pas se contenter d'un sens secondaire sous prétexte de subtilité. Eviter le métalangage sur le sujet.

Ne pas se limiter à une définition : aller au problème et à la problématique.

Tous les sujets sont des sujets de philosophie, et requièrent un traitement philosophique.

On demande un traitement personnel, pas forcément original, de nature démonstrative, dont le cheminement, laissé au choix du candidat, est jugé rétrospectivement sur sa pertinence, sa cohérence et sa fertilité.

Ne pas se contenter de "situer" le sujet ou le problème. Il n'y a pas de "philosophie implicite" du sujet. La forme interrogative est toujours réelle. Il n'y a pas d'appel implicite à un type de traitement ou de plan. Le sujet est un problème à traiter, non un thème à varier. Ne pas "parler" du sujet. Traiter le sujet de préférence à son "non-dit", ou à son "impensé", ou à son "tu"…

Autres conseils, dont on ne peut donner de démonstration :

a) interpréter le profane dans le sens du sacré plutôt que le sacré dans le sens du profane. Grandir l'homme plutôt que le rapetisser. D'abord, parce que grandir les choses est signe de grandeur : les rapetisser est un signe de petitesse. Ensuite, parce que vous donnez au correcteur le sentiment d'appartenir à une humanité, certes momentanément déchue et éloignée de son essence, mais à la vocation foncièrement grande et admirable.

b) si l'on a un sujet à forte connotation morale, il peut être utile, voire nécessaire, de répondre en sens inverse de la moralité ambiante, mais d'une façon qui soit philosophiquement justifiée, et qui se situe à un autre niveau. Par exemple : "Les personnes et les choses". Ne pas se cantonner à dire sur tous les tons que les personnes ont de la dignité et que les choses n'en ont pas. Envisager la dignité "personnelle" des choses. Sinon, on risque la fadeur et le convenu. De même, par exemple, sur la guerre : les tirades pacifistes font de mornes copies.

c) montrer la dimension pratique des sujets très théoriques, et la portée théorique des sujets très pratiques.

La recherche des idées

L’angoisse liée à l’importance de l’enjeu ne doit surtout pas inciter à se jeter sur les premières idées qui viennent. Il faut donc

- avoir une procédure prête à l’emploi

- et des barrières contre la précipitation.

Si une idée de plan vient vite, la noter bien sûr, mais s’efforcer de n’y plus penser, pour aller sonder d’autres secteurs. Que la première problématique trouvée ne ferme pas la porte à d’autres : on risque l’amère et tardive surprise d’avoir choisi trop tôt.

Commencer par laisser venir, et trier ensuite. Au tout début, une "attention flottante" n'est pas déconseillée. On peut laisser jouer les mots, les étymologies, les expressions toutes faites, à condition que cela soit ensuite passé au filtre rigoureux de la pertinence philosophique. Voir les domaines, faire tourner la question pour la faire jouer, pour voir ses facettes possibles. Penser aux sens métaphoriques, dérivés. Mais pas seulement : rechercher surtout les connexions conceptuelles essentielles.

Cette recherche revêt nécessairement des formes très diverses selon les personnalités. Quelques "trucs" s'avèrent néanmoins fructueux.

•se demander dans lesquelles des grandes sections de la philosophie ce sujet peut avoir un sens (esthétique, politique, philosophie du droit, de la religion, de l'éducation, logique, etc.)

•faire de même pour les grands domaines de l'activité humaine (la guerre, l'amour, le jeu, etc.)

•qu'en pense le vulgaire ? Comment réagit-il spontanément à ce problème, à cette notion ? comment évolue-t-on habituellement sur cette question ? qu'en pensent, classiquement, les naïfs adolescents ? Le progrès du plan peut se dessiner à travers cette interrogation.

•passer en revue d'abord les très grands, puis les auteurs moins grands, non point pour s'y asservir ou les citer, mais pour faire surgir les problèmes. Se demander : quel sens aurait cette notion, ou cette question, chez cet auteur ?

•quelles relations peut-on établir avec les grands thèmes métaphysiques ?

•quelles relations peut-on établir avec les thèmes philosophiques traditionnels ? (penser à la liste de thèmes du programme des classes terminales)

•penser à l'étymologie des mots essentiels (ne pas en abuser : ne s'en servir que si elle présente un réel intérêt philosophique)

•traduire le sujet dans le plus grand nombre possible de langues étrangères. Est-il traduisible ? Les concepts se correspondent-ils bien ? rendent-ils le même son ?

•quelles illustrations peut-on en trouver dans la grande littérature ? (on peut commencer par réfléchir sur ces exemples, s'ils sont bien choisis)

•Cette notion ou ce problème connurent-ils une époque privilégiée ? Ou une époque de discrédit ? (p.ex., sur la fidélité, il est utile de songer à l'époque de la "féodalité", qui lui doit son nom)

•chercher des définitions stables, et s'y tenir si elles sont pertinentes. Ne pas les donner si c'est pour ne pas s'en servir.

chercher l'opposé, ou les opposés de la notion (et ceci dans toutes les langues possibles). Car certaines notions ne peuvent se traiter correctement que par opposition avec d'autres qui les suivent comme leur ombre. La multiplicité des oppositions peut révéler la polysémie de la notion, et le dénominateur commun à ses différentes acceptions ; et, ainsi, il arrive qu'elle suggère un plan ("vie" a pour contraires : mort, inerte, théâtre, travail, école, éternité, ennui…)

•rechercher des analyses fondamentales, déjà connues et éprouvées, qui concernent le sujet (= des "topos"). Le correcteur ne sait pas si c'est la centième fois que vous servez ce topo, et de toute façon, cela n'a aucune importance : l'habitude est une vertu intellectuelle. Il importe toutefois que ce "topo" soit adaptable au sujet, et qu'il soit adapté au vocabulaire et à la problématique du sujet du jour. [cf. infra sur les "topos"]

•voir si on dispose de citations belles, pertinentes et percutantes sur le sujet.

Se demander dans quelles tonalités on va pouvoir faire moduler le sujet, selon la plan et la perspective qu'on adoptera. Choisir la palette la plus riche, couvrant le maximum d'espace théorique, et dans laquelle on se trouve le plus à l'aise.

Le Plan

Exigence d'un plan

Le plan est le principe d'unité de la dissertation, car une Dissertation, c'est Une dissertation. Il est l'essence même de l'exercice, ce sans quoi l'exercice n'est plus ce qu'il est. Il en est l'âme : partout présent, partout actif, visible en fin d'introduction.

Pas de rhapsodie, de variations, de transe mystique ou autre, de confidences, de confessions, de roman à épisodes. L'ordre est une règle absolue.

Unité de "danger", qui n'exclut pas les péripéties (différentes parties, discussions etc.)

Aucune digression, si brillante soit-elle, n'est admissible.

Cf. Aristote Poétique :

IX :"Ce qui peut être dans un tout, ou n'y pas être, ne fait pas partie du tout". = supprimer tout ce qui n'est pas indispensable.

VIII : "La fable qui imite l'action n'en doit imiter qu'une seule, une complète, et dont les parties doivent être disposées de telle sorte, qu'on n'en puisse déranger ou enlever une sans disjoindre et altérer l'ensemble."

VII : "La tragédie est l'imitation d'une action complète et entière, ayant une certaine étendue(…) J'appelle entier ce qui a commencement, milieu et fin. Le commencement est ce qui ne peut avoir quelque chose avant soi, mais qui veut quelque chose après. La fin, au contraire, est ce qui se trouve après une autre chose, mais ne doit rien avoir après soi. Le milieu est ce qui demande quelque chose avant soi et quelque chose après. Une fable bien composée ne doit donc pas commencer ni finir au hasard."

XXIII : "Il faut que la fable forme un ensemble dramatique ayant pour objet une seule action entière et complète, avec un commencement, un milieu et une fin. Que ce soit un tout complet, comme l'est un animal."

Deux choses à remarquer : "veut" = tend, désire, appelle, aspire. Il faut établir une tension intellectuelle. "Animal" : le modèle est biologique en deux sens : • 1/la dissertation est un organisme : le tout y détermine les parties. • 2/la dissertation a une âme unique qui régit les diverses étapes de sa vie : elle a enfance, adolescence, maturité.

Cf. Boileau : (Art poétique I, vv. 177-182) :

"Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ;

Que le début, la fin, répondent au milieu ;

Que d'un art délicat les pièces assorties

N'y forment qu'un seul tout de diverses parties,

Que jamais du sujet le discours s'écartant,

N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant."

Toutefois, ces vers présentent une grave faiblesse : ils invitent à penser le tout comme la somme mécanique des parties, habilement disposées par un artisan, un horloger, un architecte. Or il faut à la dissertation une nécessité de type organique plus que mécanique.

Le plan a pour fonction de synthétiser le multiple dans l'un, la diversité des arguments dans l'unité d'un projet (de même que le télos de l'animal aristotélicien est à la fois son idée, son âme, son sens, sa direction, sa signification, sa formule génétique, et son projet ultime).

L'exposé du plan a aussi une fonction d'aide-mémoire. Une dissertation où le plan n'apparaît pas semble toujours longue, trop longue, et pénible. Une dissertation au plan très net et bien suivi ne paraît jamais longue. Pour que la saisie de l'ensemble soit effectuée, et que rien ne soit perdu, il faut annoncer son plan en commençant.

Cf. Valéry : Cahiers, t. 2 p. 1676 :"Dans les démonstrations, on doit toujours annoncer ce que l'on va faire, de manière que l'auditeur, le disciple, aient conscience du but et du chemin, et ne soit pas seulement transporté de point en point comme un bagage. Alors les moments ou moyens intermédiaires prennent leur importance respective.(…) Le maître doit toujours dire en gros ce qu'il va faire, de manière que le fil de la démonstration ne soit pas perdu dans le détail."

Toujours mener le lecteur par la main ; le supposer distrait ; lui souligner les articulations de la pensée, les moments de tension et de crise.

Dieu n'annonce pas son plan : ne pas faire comme lui, ne pas se prendre pour Dieu, pour que l'auditeur ne soit pas toujours, comme la créature prise dans les remous de l'Histoire, à se demander avec angoisse quel est le plan. Car le correcteur-créature, pensant que vous n'êtes pas Dieu, en conclura vraisemblablement que votre histoire n'est pas l'apocolypse du Vrai, mais un conte plein de bruit et de fureur, racontée par un idiot (vous, en l'occurrence), et qui ne signifie rien...

Ne pas supposer que le lecteur est un Dieu qui peut instantanément lire le sens total, s'il existe, dans le moindre fragment.

Aidant à la vue synoptique du tout, le plan annoncé et suivi permet au lecteur (il faut toujours penser à lui) de maîtriser les événements intellectuels sitôt qu'ils se produisent. Et cette vision synoptique est la condition du plaisir intellectuel comme du plaisir esthétique :

Aristote : Poétique VII : "Tout composé, soit animal, soit d'un autre genre, n'est beau que par un certain ordre de ses parties et par une certaine étendue. En effet, la beauté consiste dans l'ordre et dans la grandeur. C'est pour cela qu'un animal très petit ne saurait être beau, parce que la vision n'est pas distincte.(…) Il en est de même d'un animal trop grand, de dix mille stades par exemple, car la perception n'en peut être complète ; l'unité, l'ensemble, échappent à notre vue. Si donc, pour être beau, tout corps, tout animal, doit avoir une étendue, et une étendue qui soit saisissable d'un coup d'œil, de même la fable doit avoir une certaine longueur, et une longueur telle que la mémoire puisse facilement la saisir."

Aristote : Poétique VIII : " La meilleure action, quant à l'étendue, est la plus longue, pourvu qu'on en puisse toujours saisir l'ensemble."

Structure universelle du plan

Il y a un schéma obligatoire, auquel tout plan doit se conformer : introduction, développement en 3 parties, conclusion. Dans l'introduction, on introduit, dans le développement, on développe, et dans la conclusion, on conclut.

L'introduction

C'est le plus délicat, tant pour le fond que pour la forme. Il faut, en quelques lignes, faire surgir le problème et ses ramifications. Définir un ton, et accorder trois cordes selon le tonos le plus favorable.

D'abord, amener le problème : il vaut mieux, en général, ne pas commencer directement par la question qui est posée, simplement parce qu'elle est posée. La philosophie ne naît pas des livres ou des programmes ou des concours, mais de questions qu'on se pose soi-même. Amener le problème consiste donc à le faire sourdre de la vie, et donc à le considérer de façon personnelle. C'est déjà une intériorisation du problème. Faire naître un désir en autrui en montrant comment le désir naît en vous. C'est très contagieux. Etre simple sans être simpliste. Partir d'une expérience universalisable, prise dans la vie ou dans la littérature. Pas de trivialité toutefois ; pas d'autoreprésentation infantile : "je suis ici dans une salle de concours, et on me demande de réfléchir sur la nature du travail intellectuel…" Commencer par une illustration de l'idée plutôt que par l'épluchage du mot. Ne pas hésiter à commencer par la brève caractérisation de l'attitude naïve devant le problème.

Puis, très vite, dégager les axes de l'interrogation (pas forcément sous forme interrogative). Quels problèmes sont soulevés, requis, engendrés par la question ? Dans quel contexte se posent-ils ?

Montrer que ces problèmes se lient naturellement en 3 séries, en articulant très rapidement et très efficacement les séries entre elles. Chaque série doit aboutir à une question, à la forme interrogative, qui constituera un des moments de la dissertation et sera annoncée comme telle.

Poser les questions, baliser le chemin, mais ne pas conclure (faute très grave). Montrer que l'on sait où l'on va, mais ne pas le révéler ; ne révéler que la direction de chaque étape. Maintenir le suspense, l'illusion comique.

Il est souhaitable, bien que difficile, de reprendre, en fin d'introduction, les trois thèmes dégagés par les questions, pour en montrer, selon un autre ou d'autres points de vue, la propriété et la pertinence, en les rapportant par exemple à des domaines définis, à des points de vue déterminés. C'est un excellent exercice, car il contraint le candidat à penser véritablement la justification à plusieurs niveaux de ses trois questions, et lui fournit une sorte d'auto-évaluation de son plan. Cette reprise des thèmes selon un autre vocabulaire manifeste que les questions n'ont pas été trouvées "de justesse", pour satisfaire à des critères formels et scolaires, mais correspondent à une nécessité propre de la pensée et du problème.

Cf. Bossuet : Sermon sur la Passion de Notre Seigneur GF p. 155 : "... proposons le sujet de tout ce discours. J'ai dessein de vous faire lire le testament de Jésus, écrit et enfermé dans sa Passion ; pour cela, je vous montrerai combien ce testament est inébranlable, parce que Jésus-Christ l'a écrit de son propre sang ; combien ce testament nous est utile, parce que Jésus nous y laisse la rémission de nos crimes ; combien ce testament est équitable, parce que Jésus nous y ordonne la société de ses souffrances. Voilà les trois points de ce discours. Le premier nous expliquera le fond du mystère de la Passion, et les deux autres en feront voir l'application et l'utilité : c'est ce que j'espère de vous faire entendre avec le secours de la grâce."

- L'introduction n'est pas un bruit extérieur, un hors d'œuvre étranger au développement, comme sont les ouvertures d'opéras jusqu'à Gluck. Elle en est la formule génétique, la semence.

- Elle n'est pas une première partie comme L'Or du Rhin l'est au Ring.

- Elle n'est pas un patchwork d'éléments qui apparaîtront par la suite, comme l'ouverture de La Force du Destin.

- Elle n'est pas un résumé comme on trouve au début des volumes de la collection Budé.

- Elle doit être comme l'ouverture de Cosi ou de Don Giovanni : tout indiquer sans rien révéler. Montrer la palette, les contrastes, la structuration harmonique de l'ensemble, non la miniature de l'opéra.

Ceci est extrêmement délicat, car il faut dire beaucoup en peu de mots, et satisfaire à des exigences contradictoires : être simple et profond, bref et précis, pédagogique sans être puéril, orienter sans déflorer. Etre dense sans être asphyxiant, être serré sans être comprimé (le développement est chose bien plus facile). Poser les bases théoriques, mais ne pas faire sécession par rapport à la pratique.

Si l'on se rendait compte de ces difficultés, on renoncerait aussitôt... cf. Valéry : si l'on savait à l'avance la difficulté qu'il y a à faire des vers, nul ne sonferait à devenir poète.

Défauts classiques en introduction :

•commencer par la question

•ne pas poser la question

•modifier la question

•poser la question comme question de la 3° partie, ce qui dit que les 2 autres sont hors-sujet

•imposer une rafale de phrases interrogatives

•poser les questions sans les désigner comme suscitant les différentes parties du devoir

•développer des exemples

•conclure par anticipation

•en faire un fourre-tout (l'introduction n'est pas début de l'écriture, mais début de la pensée), un chaos de choses et autres jetées pêle-mêle, et dans lesquelles on pêchera pour le développement.

•introduction qui fait la moitié de la copie

•considérer le mot, l'étymologie, et non l'idée.

Le développement

Après l'introduction, on laisse un blanc bien net, bien visible, qui parle très clairement aux yeux et à l'esprit du lecteur, sans le fatiguer, et qui marque le changement qualitatif, l'entrée dans une nouvelle et plus profonde salle du Temple (dans une symphonie classique, on n'enchaîne pas les mouvements). Et on le confirme dans son impression de début de développement en commençant par une phrase qui annonce le numéro de la partie, et la question qui y correspond, dans les termes très exacts où elle a été établie en introduction [on procède de même pour chacune des trois parties, avec un blanc et un avertissement : les trois parties sont de même structure formelle]

Le développement se compose d'exemples, d'analyses, répartis en paragraphes conformément au mouvement de la pensée. Des exemples peu nombreux, mais pertinents et finement analysés. Les exemples ne sont pas formellement obligatoires, mais très conseillés, pour éviter le reproche de cérébralité. Jamais d'exemples non analysés. Des exemples toujours dignes.

Cf. Vauvenargues : Maxime CCXIII :

"Quelques exemples rapportés en peu de mots, et à leur place, donnent plus d'éclat, plus de poids et plus d'autorité aux réflexions : mais trop d'exemples et trop de détails énervent [ sens étymologique : ôtent le nerf ] toujours un discours. Les digressions, trop longues ou trop fréquentes, rompent l'unité du sujet, et lassent les lecteurs sensés, qui ne veulent pas qu'on les détourne de l'objet principal, et qui d'ailleurs, ne peuvent suivre, sans beaucoup de peine, une trop longue chaîne de faits et de preuves [ni rafales d'exemples, ni abstraction permanente] On ne saurait trop rapprocher les choses, ni trop tôt conclure. Il faut saisir d'un coup d'œil la véritable preuve de son discours, et courir à la conclusion. Un esprit perçant fuit les épisodes, et laisse aux écrivains médiocres le soin de s'arrêter à cueillir toutes les fleurs qui se trouvent sur leur chemin. C'est à eux d'amuser le peuple, qui lit sans objet, sans pénétration, et sans goût."

Les transitions

Faire des transitions. Les bonnes discussions fournissent les vraies transitions, par maturation du problème.Enchaîner efficacement, et avec naturel, est la preuve que le plan n'est pas une concession maugréante aux exigences du jury. L'enchaînement ne doit pas seulement être un outil ajouté de l'extérieur, une charnière collée pour enchaîner, mais sourdre de la pensée. Il doit être à la fois la fin d'une étape, et le début de la suivante. La pensée s'achève en engendrant une nouvelle pensée, jeune et encore immature. Enchaîner avec naturel, comme le danseur fait servir la chute d'un mouvement au mouvement suivant, et transfigure sa pesanteur en grâce ; ou comme le pilote de Formule 1 fait servir la sortie d'un virage à l'attaque du suivant ; ou comme le chirurgien enchaîne ses gestes, ou comme le torero ses passes. En un mot : pas de séparation, de rupture, pas de discontinuité du temps, si l'on veut que la dissertation soit vivante et une comme un animal. La grâce, comme l'a parfaitement montré Bergson, c'est la courbe, qui est à la fois fin et commencement, conclusion et promesse.

Les préceptes formels de cet exercice ne sont en aucun cas, on le voit une fois de plus, des préceptes mécaniques, car le mécanique est fondé sur la discontinuité. Ce sont des préceptes vitaux.

La conclusion

Elle n'est pas simple résumé, mais synthèse. Elle porte les analyses du développement à leur plus haut point de généralité, à leur signification la plus vaste. Pas d'exemples nouveaux en conclusion. Elle doit être dans le droit fil du devoir, ne pas affirmer le contraire de ce qui a été démontré.

Aristote Poétique XV : "Le dénouement du drame doit venir de l'action même et non par une machine." (deus ex machina)

Souvent, lors de la préparation du brouillon, on s'aperçoit que ce sont les mêmes idées qui peuvent servir, soit à la conclusion, soit à la multi-justification du plan en fin d'introduction. En ce cas, équilibrer quantitativement, juger ce qui est plus efficace comme survol rétrospectif, ou comme annonce, et surtout, adapter la présentation de ces idées à l'endroit où elles seront en définitive placées.

La conclusion n'apporte rien de nouveau, sinon un regard global sur le chemin parcouru et sa signification.

Si on n'aboutit pas vraiment, le confesser. Si on pense avoir abouti, le dire. Le lecteurl doit sentir la solidité de al démonstration, par l'effet de focalisation finale de toutes les analyses qui ont été faites pendant la copie. La conclusion doit être une récapitulation qui concentre les mouvements et les forces en un point. La conclusion doit être ressentie comme la résultante d'un processus dont aucun des moments ne doit paraître rétrospectivement oublié ou vain. La conclusion doit être la justification de la fertilité de tout le travail qui a été fait.

La dernière phrase est d'une extrême importance, car elle est le dernier contact avant la notation (le correcteur, en principe, se laisse le temps de la décantation, mais...). Une bonne dernière phrase ne sauve pas une mauvaise copie, mais peut donner toute son efficace à une bonne copie. Seule cette phrase doit être travaillée du point de vue du style. Elle doit être belle, vraie, pertinente par rapport au traitement du sujet. Elle doit laisser une trace, comme une formule : elle seule doit laisser à penser, suggérer que la réflexion technique qui s'est déroulée pendant la dissertation peut et doit tout naturellement ouvrir sur une méditation qui ne soit plus tout à fait philosophique, technique, mais humaine. C'est le moment où l'on doit retrouver la vie réelle et concrète par laquelle on avait amené le sujet ; mais le lecteur doit maintenant avoir la sensation qu'il est préparé, armé pour penser la vie qui, au début, était simplement vécue comme problématique.

Ici, le son peut aider au sens. On a montré qu'on avait quelque chose à dire. Maintenant, on montre, par un échantillon, qu'on sait dire.

On peut se préparer aussi, pour ce moment, une anthologie de phrases de grands auteurs : Valéry ou Proust peuvent vous épauler utilement au moment de la notation.

Recherche du Plan

Malebranche : Traité de l'Amour de Dieu p. 27 : "On n'a de sentiment déterminé qu'à l'égard des questions que l'on a sérieusement examinées."

La recherche du plan ne doit venir qu'après la recherche des idées : les éléments doivent être considérés préalablement à leur synthèse. Un plan cherché et trouvé trop tôt limite la recherche (cf. supra), et rétrécit l'éventail. Ne pas craindre, au début, de laisser un peu errer la pensée. Si des idées de plan viennent très tôt, ne pas les mépriser ; les noter, mais ne pas se fixer sur elles. Le plan doit venir spontanément, à la relecture des notes, par regroupements spontanés et successifs d'idées. Relire ses notes en voyant quelles sont les idées qui consonnent, qui ont un air de famille, une affinité (par les thèses soutenues, certes, mais aussi par la méthode, le point de vue, le contexte, l'époque aussi, mais pas forcément). Les idées ont une tendance spontanée à symphoniser, à sympathiser entre elles, et par groupes. La difficulté est de faire trois vrais groupes, et de formuler le dénominateur commun de chacun (qui est comme le "leader" du groupe, son âme), ce qui amène tout naturellement aux trois questions. Ces questions doivent être brèves, précises, conceptuelles, sans lyrisme dans leur formulation. Ne pas chercher à tout prix à caser toutes les idées trouvées : c'est la voie la plus sûre vers l'abandon.

Un conseil tout bêtement pratique : quand on cherche les idées dans le désordre, revenir à la ligne pour chaque idée ; cela permet, une fois un plan possible trouvé, d'affecter à chaque ligne le numéro de la partie où l'idée devrait prendre place, et de juger commodément ensuite de ce qui est compris dans ce plan et de ce qui est laissé de côté, ainsi que de l'équilibrage des parties.

Ne pas commencer à rédiger sitôt les questions trouvées : il faut les éprouver, vérifier qu'elles ont une unité réelle, c'est-à-dire sont susceptibles d'un traitement organique, sans solutions de continuité : faire, pour cela, un plan détaillé par écrit, pour voir comment les diverses analyses vont s'enchaîner. Ne sacrifier la continuité du discours à aucune autre valeur. Plutôt éliminer une excellente idée qui s'insère mal, que de la plaquer.

Trouver les questions pertinentes, qui traitent au mieux le sujet en couvrant le plus d'espace philosophique, c'est le plus important, et cela ne s'enseigne pas, comme tout ce qui est important.

Rédiger ensuite l'introduction au brouillon, car c'est difficile, ainsi que la conclusion qui, pour les raisons données ci-dessus, ne peut être hâtivement bâclée en cas de Zeitnot. Recopier l'introduction, puis rédiger le développement, directement d'après le plan détaillé, sans rien changer au plan en cours de route.

Les plans "classiques"

- Le plan "historique" :

•1-Antiquité

•2-Classicisme

•3-Pensée contemporaine.

Ce plan est absolument interdit s'il n'a d'autre justification que la chronologie. Mais un bon plan peut revêtir cette forme, s'il a sa pertinence intellectuelle propre. En tout cas, la chronologie seule ne justifie rien.

Le plan dit "rationaliste":

•1-Thèse

•2-Objections

•3-Réponses aux objections, qui renforcent ou amendent la thèse. (Descartes/Gassendi/Descartes)

Plan simple, clair, sans snobisme ; montre sa capacité à se critiquer. Plan qui précise par l'aiguillon de la critique. Mais peu mouvementé, sans dramatisme. La 2° partie y tend souvent à la rafale, au fourre-tout. Et si la 2° partie a une vraie cohérence organique, on est presque inévitablement amené au type suivant :

- Le plan dit "dialectique" :

•1-Thèse

•2-Antithèse

•3-Synthèse.

[cf. le texte de Proust sur l'assassinat du poulet]

Ce plan est le plus difficile et le plus beau. Il est interdit si on ne le justifie pas autrement que par la tradition scolaire. On peut souvent le faire : il n'est pas nécessaire de le dire. Il est bon, en revanche, qu'un plan qui se justifie par la nature de la question posée, revête, en outre, cette forme ternaire. Avantages : il est très vivant, biologique, organique, dramatique, tragique, passionnant, et se termine nécessairement en hauteur. Mais il n'est utilisable que pour les questions, et non pour les notions. Et surtout, les transitions entre parties sont extrêmement délicates à négocier. Il faut non seulement que la pensée connaisse des renversements, mais encore manifeste qu'elle ne peut pas ne pas se renverser, par elle-même, par sa propre maturation. Pour cela, il faut qu'il y ait déjà des germes de son renversement futur dès le début. La difficulté du plan dialectique, et sa beauté, viennent du fait que la transition vers la 2° partie commence en fait dès la première ligne de la 1°, et , de même, la transition de la 2° à la 3° commence dès le début de la 2°, et donc, en fait, dès le début de la 1°. La fin doit être dès le commencement. La règle de continuité doit y jouer de façon absolue, et dans les ruptures elles-mêmes, ce qui en fait la difficulté et la miraculeuse unité.

Enfin, une synthèse qui soit vraie synthèse par changement de niveau déterminé par la nature de la thèse et celle de l'antithèse, la vraie synthèse "devenue" et non plaquée, est chose fort délicate et fort rare. Si l'on savait la difficulté qu'il y a à faire un vrai plan dialectique, on ne s'y lancerait jamais. L'utiliser avec prudence car (et le jury le sait, ou le sent), moins on sait ce qu'il est, plus on l'ose ; et plus on le sait, moins on l'ose...

- Le plan d'analyse de notions :

•1-description, définition

•2-contexte philosophique

•3-pratique

Avantage : couvre un espace immense. Inconvénients : n'est utilisable que pour les notions ; est sec car universel : il ne suffit pas à sa propre justification ; la 1° partie tend au fourre-tout ; les transitions sont difficilement négociables, et sont le plus souvent des changements de décor injustifiés. Excellente roue de secours, car il ne faut jamais remettre copie blanche. Mais ne l'utiliser qu'en dernier recours.

- Le plan d'opposition des notions :

(que j'ai la faiblesse de croire avoir un peu établi dans sa spécificité : c'est l'équivalent notionnel de ce qu'est le plan dialectique pour les problèmes)

•1- opposition

•2- participation

•3- éducation.

Convient pour traiter les couples de notions, en problématisant les types de rapports dont elles sont susceptibles. Convient aussi pour l'analyse d'une notion qui renvoie implicitement à sa sœur ennemie.

Ex. : L'éternité (sous-entendu : le temps et l'éternité).

•1- le temps est-il avilissement de l'éternité ?

•2- le temps est-il expression de l'éternité ?

•3- le temps est-il acheminement vers l'éternité ?

Marche toujours pour les sujets du type : L'apparence (et la réalité) ; l'opinion (et la science) ; l'erreur (et la vérité) ; la superstition (et la religion). Convient donc surtout aux couples de notions quand l'accent est mis sur la notion négative, ou apparemment négative. Et le traitement consiste à montrer qu'elle n'est pas si négative qu'on croit, qu'elle est moins obstacle à l'autre notion, que complice. C'est donc un plan dialectique puisque ce qui se présentait immédiatement comme obstacle se révèlera moyen. C'est un plan ironique.

Mais il ne peut servir que pour ce genre de sujets. En revanche, il couvre beaucoup d'espace, et a chance de briller en montrant une capacité à faire évoluer, non les notions, mais les types de rapports entre les notions.

La transition 2-3 y est facile : si le temps est l'image, même dégradée, de l'éternité, elle lui ressemble néanmoins ; il y a donc une communauté entre les opposés, et le temps peut être le moyen d'une initiation à l'éternité, en remontant de l'image au modèle. La transition 1-2 est singulièrement plus délicate, car l'opposition amène à une ontologie entièrement scindée, déchirée, divorcée. On a p. ex. un devenir fou, totalement opposé à l'être. Mais le devenir "est" en quelque façon. Il doit tenir quelque chose de l'être, et n'est pas pur néant. Il ne peut en être que le produit, et donc l'expression, ce qui amène à 2 (mais ce n'est pas toujours aisé). La transition 1-2, de même que la transition 2-3, est fondée sur la solidarité secrète des contraires.

Les erreurs… (musée des horreurs..)

Hermétisme : "je me comprends…" ; soliloque inspiré ; délire monadique ; autisme ; ésotérisme ; esprit de chapelle ; mysticisme ; conversation avec l'être ; transe ; charabia ; obscurité (le jury ne fait aucun crédit sur ce qu'il a à deviner, car les élèves de Terminale ne devineront rien) ; "je crois que…" ; suites d'opinions personnelles ou non (les philosophes n'ont pas d'avis sur les problèmes : ils pensent ; ils ne parlent pas des problèmes, il en traitent, et les candidats aussi, il faut l'espérer) ; chatoiement impressionniste ; mosaïque ; fourre-tout ; rhapsodies ; invectives ; cantiques ; utilisation du sujet à des fins passionnelles ou de propagande ; recherche systématique du paradoxe ; néologismes improvisés ; sous-entendus ; "bien entendu" !!! ; pures associations d'idées ; décomposition signifiante (toujours insignifiante) ; investissement libidinal des mots et des notions (tout au contraire, les désinvestir ; pas de libido, mais une inquiétude philosophique) ; flagornerie à l'égard du correcteur ; détails excessifs ; classifications excessives ; connaissances mal utilisées car mal maîtrisées ( le jury parle de "vide encombré", de candidats "plus encombrés que riches" : il est à remarquer que ce que dit le jury du XX° siècle dit exactement ce que disaient Descartes, Montaigne, Rabelais, Platon…) ; atomisation de l'énoncé ; gloses oiseuses ; dispersion ; sophismes ; "déconstruction", "décentrement", "coutures", "quelque part", "l'enfermement", etc… ; abstraction pure, cérébralité ; absence d'exemples ; narcissisme ; scientisme sommaire ; mots étrangers estropiés ; parler du passé au futur ; "on pourrait dire, citer, évoquer…" (le faire...) ; "les sciences humaines nous ont appris que…" donc Platon est un imbécile ; "au XX° siècle, on ne croit plus en Dieu…" ; ne s'étonner de rien ; séparation d'une idée de son contexte ; ignorance masquée par la prétérition : "je ne m'étendrai pas sur la pensée de Leibniz, qui est trop connue…" ; se contenter des signes extérieurs de l'avancée théorique ; ne pas suivre son propre plan.

Une chose est interdite : piétiner la philosophie.

Etre clair, précis, modéré, progressif, lucide. Avoir des exigences intellectuelles.

Note : M. Gourinat, en un excellent ouvrage, donne une méthode de la dissertation qui me semble, paradoxalement, pécher par sa rigueur philosophique. Selon l'auteur, il faut, pour tout sujet, se demander chez quel auteur ce problème est absolument central. Ensuite, il faut exposer avec précision le traitement que cet auteur donne à ce problème, et réfléchir sur cette base.

Le sérieux de cette méthode ne va pas sans inconvénients. D'abord, la subordination de la philosophie générale à l'histoire de la philosophie, défaut qui n'est déjà que trop fréquent les copies.

Ensuite, elle suppose chez l'étudiant une culture philosophique riche et précise, ce qui est en effet très souhaitable, mais est rarement réel. Cette méthode est excellente pour ceux qui n'ont plus, depuis longtemps, à se présenter aux examens ou concours.

Technique de la Leçon

Conditions pratiques :

On tire au sort un papier comportant deux sujets au choix, de nature et de style variés. Pendant la préparation, on a accès à des livres ; toutefois, ce jour-là, ne pas lire pour apprendre, mais pour préciser une allusion ou une référence, pour se rafraîchir la mémoire.

On passe en amphi, au premier rang, le jury étant à la tribune (dominant : il voit les notes du candidat et l'écrase psychologiquement ; ne pas s'en émouvoir). Les leçons sont publiques (auditoire en général fort restreint). Le président annonce le nom du candidat, les sujets proposés, et le sujet choisi. La durée préconisée pour la leçon est un maximum : il n'est pas nécessaire de "tenir" en jouant la montre. Ne pas se répéter pour faire durer.

Le comportement du jury dépend des années, du temps, de l'heure. Il va de l'attention soutenue, à une attention (apparente) moindre. Il peut arriver que certains jurés, au demeurant très attentifs et intéressés, éprouvent les nerfs du futur enseignant en jouant les cancres. Etre imperturbable, ne se laisser démonter par rien ; ne rien interpréter du comportement, positif ou négatif, du jury. Ne se laisser troubler par aucun incident extérieur : chien dans l'amphi, explosion, prise d'otages, marteau-piqueur... Ne s'interrompre que si le président du jury le demande.

Très important : la première impression est déterminante, et se produit non au premier mot du candidat, mais dès son apparition en haut de l'amphi. Partir gagnant : avoir une démarche assurée, mais sans arrogance ; se vêtir comme un professeur et non comme un étudiant. Montrer qu'on est déjà agrégé de toute éternité, et qu'on vient juste chercher le diplôme (sans arrogance, mais avec fermeté). Exister, sans être désinvolte. Avoir une présence, sans être insolent.

La technique est rigoureusement la même que pour la dissertation, sauf

• plus d'exemples, une discursivité moins serrée.

• annonce possible, en début de partie, des sous-parties qui la composeront (pour aider la mémoire de l'auditeur)

Pour donner de bons exemples variés, il faut donc une vaste culture générale, dont le jury déplore inlassablement la pauvreté chez la plupart des candidats.

Songer qu'il n'y a qu'une façon d'apprendre à gérer sontemps de préparation et de parole : c'est de s'exercer souvent.

Rédiger introduction et conclusion, pour les mêmes raisons qu'en dissertation. Soigner encore plus la dernière phrase, et la façon de la prononcer (qu'elle marque l'auditoire, sans tomber dans l'emphase).

Tant en philosophie qu'en culture générale, on ne peut pas tout savoir, mais on ne peut tout ignorer. Pas d'érudition. Utiliser judicieusement ses connaissances.

Ne pas rédiger tout, sinon la monotonie est inévitable, par manque de rythme, d'intonation. Une bonne dissertation, lue, fait une mauvaise leçon, n'est pas une leçon, mais une dissertation lue. Une rédaction complète est trop concentrée, trop dense pour être correctement suivie. Mieux vaut bafouiller un peu, que lire.

Parler clairement, à un rythme moyen. Bien articuler. Parler un bon français, clair, sans vulgarité ni rhétorique. Regarder le jury, et, dans le jury, le juré qui vous regarde plutôt que celui qui écrit. Ne pas s'enterrer dans ses notes. Ne pas craindre de joindre le geste à la parole, avec modération et naturel. De toute façon, on ne pense pas bien et on n'explique pas bien sans quelques gestes. On ne pense jamais vraiment les bras croisés. Une telle position, immobile, montre qu'on a un cerveau qui répète ce qu'il sait, mais non une âme qui vit ou revit la tension intellectuelle du problème. S'entraîner, s'il y a lieu, soit à modérer sa gestique, soit à en avoir une, discrète et naturelle.

Une leçon doit avant tout être claire et commode à suivre. Le membre du jury n'a aucunement la possibilité de revenir en arrière pour essayer de mieux comprendre. S'il n'a pas saisi, c'est fini, et c'est peut-être l'architecteure générale de la leçon qui lui aura échappé : c'est le candidat qui en est responsable.

Moduler son expression, avec des piano, des mezzo-forte ; ne pas abuser des fortissimi, ni des pianissimi.

cf. Furtwängler : Musique et Verbe p. 98 : "Celui qui récite un poème ou qui fait une conférence s'efforce de dire vers ou prose de façon à faire avant tout comprendre le sens de ce qu'il dit. Si nous l'écoutons avec attention, nous remarquons qu'il y parvient surtout au moyen de légères accentuations, souvent à peine perceptibles, rarement mesurables : ici un petit retard, là une inflexion de la voix.. Ce n'est qu'ainsi que, même dans les phrases longues et complexes, il se fait comprendre par son auditoire."

Ne pas paraître extérieur au débat. Montrer que le problème a été intériorisé. Avoir l'air convaincu. Avoir l'intention sincère de convaincre. S'efforcer de rendre la vérité sensible. Intéresser, réveiller, solliciter l'attention. Supposer un jury qui a envie d'être éclairé, convaincu. C'est d'ailleurs souvent le cas : le jury ne se désintéresse des leçons que par la fréquence des candidats qui ne cherchent aucunement à convaincre. Traiter les membres du jury comme s'ils étaient des philosophes (amoureux de la vérité, intéressés par la vérité) non comme des techniciens "du bâtiment" avec qui on peut utiliser des rafales de jargon.

Manifester de la foi en la philosophie, un engagement personnel, mais non subjectif. Ne pas chercher à ne pas avoir d'avis. Avoir ses options, et les justifier au maximum. Pas de grandiloquence ; pas de majuscules pour l'oreille.

Pas de psychodrame, de thérapie de groupe, de happening. On n'interpelle en aucune façon son jury, on ne le prend pas à partie, ni à témoin. On ne le prend pas non plus comme exemple...

Ne pas utiliser massivement les auteurs d'écrit d'agrégation, sauf si le besoin en est réel pour le sujet. Si on cite longuement, ne pas recopier, mais amener le volume, et lire (le rendre à l'appariteur). Le jury préfère qu'on passe sa préparation à penser plus qu'à copier.

Ne pas construire son plan en fonction des jurés.

Enfin, très important, plus important même que de savoir parler :

SAVOIR SE TAIRE

Ne pas asphyxier le jury sous un flot verbal ininterrompu. Un silence bien placé, après une analyse importante, démultiplie l'efficacité de cette analyse (et donne le temps de noter). C'est là que le jury a la sensation de faire une expérience intellectuelle en même temps que le candidat, et grâce à lui.

On est alors dans une temporalité de la rétrospection : le présent de l'analyse ne prend sens que par le futur du silence qui la laissera mûrir dans l'esprit de l'auditeur. Le présent est tributaire du futur. Le jet continu a toujours quelque chose de désinvolte, et dévalorise la pensée au profit du langage. Le silence souligne ce qui vient d'être dit : "Méditez cela !"

Cf. Giono : Jean le Bleu p. 191 : "La voix d'homme qui donnait la réplique à la Mexicaine roulait, souple et douce, et, au bout de chaque phrase, il y avait un mot qui sonnait sourd comme une bille qui touche le bord du billard. La femme ne répondait pas tout de suite après. On sentait que, pendant ce petit silence, le dernier mot faisait une course muette dans la femme, suivant un chemin que l'homme avait calculé."

Le silence montre qu'on ne craint pas de laisser au jury le temps d'examiner l'orient de nos pensées, qu'on ne cherche pas à en masquer l'inanité par l'étourdissement, qu'on n'est pas un homme politique qui enchaîne des idées par glissements indus de niveaux afin de cacher ses difficultés. Ce silence montre qu'on n'a pas peur d'être en public. Chaque seconde dure très longtemps. Ne pas se précipiter sur la phrase suivante montre qu'on n'est pas inquiet, qu'on est maître du jeu, qu'on a la haute main sur soi-même, sur son sujet, et sur son auditoire.Le candidat n'est pas un speaker appointé pour faire du bruit.

Leçons

Bibliographie

Les leçons se préparent à long terme, par la réflexion personnelle et la méditation des grands textes de l'histoire de la philosophie. Toutefois, leur aspect oral ne peut être que favorisé si on ajoute à cela des lectures un peu plus propices à une utilisation orale, qu'il s'agisse de textes proprement philosophiques ou de textes "para-philosophiques". Ces lectures ont souvent l'avantage de joindre l'agrément à la profondeur.

Ouvrages utilisables sur toutes sortes de sujets :

Montaigne [et Marcu : Répertoire des idées de Montaigne. Le consulter pour voir comment il est fait ; y penser le jour du concours]. De belles citations de Montaigne sont d'une efficacité remarquable, car elles incarnent en général, en une expression verte et terrienne, qui fleure bon le sous-bois, le fumier, le crottin, la futaille et le chien mouillé, de grandes idées philosophiques qui resteraient souvent par trop cérébrales. En outre, la pratique des Essais ne peut que rendre sensible à l'affleurement des étymologies, sensibilité très utile en philosophie générale. Enfin, la connaissance de Montaigne, ne daterait-elle que de la consultation du précieux ouvrage de Mme Marcu le jour même de l'épreuve, donne à une leçon un aspect cultivé et humaniste qui plaît généralement à un jury...

•Diderot

•Pascal : Pensées (index dans l'édition Br. chez Hachette)

•Valéry : Cahiers, Pléiade, 2 vol., à utiliser avec circonspection, car ce n'est en rien une pensée systématique.

•Alain , Pléiade, 4 vol., et surtout les Définitions, in Les Arts et les Dieux. A utiliser sans réserves : c'est un véritable bréviaire pour la leçon. Les index en Pléiade sont précieux, mais peu maniables le jour du concours. On n'oubliera bien sûr pas les Propos sur l'Education, ni les Propos sur le Bonheur, moins denses parfois, mais propices à l'oral.

Alquié : Signification de la Philosophie, Le Désir d'Eternité etc.

•Pascal :

Entretien avec M. de Saci (antiquité, humanisme, christianisme ; leurs rapports dialectiques)

Préface pour le Traité du Vide (autorité, expérience, histoire de l'humanité)

Trois Discours sur la Condition des Grands (éducation des princes)

Esprit de géométrie (méthode, définition)

Art de persuader (vérité et plaisir)

Lettres du •01/05/48, Pléiade 484-5 (visible, figure de l'invisible)• 05/11/48, Pl. 487-9 (mémoire et foi)• 17/10/51, Pl. 490-501 (mort et sacrifice) • Juin 52, Pl. 503 (deux ordres) • Octobre 56, Pl. 510 (Dieu caché) • 10/08/60, Pl. 522 (inutilité de la géométrie).

•Giono : Introduction à l'édition Pléiade de Machiavel.

•Augustin : Catéchèse des Ignorants, §§ 1 à 10, et p. 67. (enseignement) ; De Magistro, la fin (maître intérieur).

•Lessing : L'Education du Genre humain (foi et raison ; texte bref, clair, et très utilisable, très "rentable") ; Dialogues maçonniques (morale laïque).

•Freud : Deuil et Mélancolie (in Métapsychologie).

Lectures "littéraires"

Les choisir de préférence brèves, d'un abord facile, et surtout polyvalentes.

Il serait aberrant de considérer que, pour une utilisation en philosophie, les références littéraires doivent être austères. C'est tout le contraire : il faut citer des textes qui aient un sens philosophique, mais qui soient légers, précisément pour que la littérature donne "de l'air" à l'austérité philosophique. Le type de l'auteur à utiliser en philosophie, ce n'est justement pas Kafka, c'est Daudet. Il ne s'agit pas d'illustrer la philosophie par des auteurs à prétention philosophique, mais par des auteurs qui servent à la réflexion, sans en avoir l'air.

moralistes :

•La Boétie

•La Bruyère

•La Rochefoucauld

•Vauvenargues

•Chamfort

•La Fontaine : Fables

•Valéry : tout, et surtout :

Cimetière marin ; Ebauche d'un Serpent ; Narcisse, etc...Sur Bossuet ; Préface aux Lettres Persanes (le regard sur soi-même ; individu et société ; civilisation et barbarie ; ordre et désordre) ; Cantiques spirituels (poésie, création, fertilité de la contrainte ; surtout 1165-6, perception et intelligence ; 1205 : la création esthétique). Introduction à la Méthode de L. de Vinci (surtout 1212 : sexualité et amour ; 1216 : le grand homme ; 1240-1 : tradition et barbarie ; 1255 : le mot "être") ; L'Homme et la Coquille (nature et finalité) ; Discours aux Chirugiens (la main, la pratique).

•Buffon : Discours de Réception à l'Académie (le style)

•Caillois : Vocabulaire esthétique ; La vertu d'espérance (la moralité) ; Athènes devant Philippe (le civilisé face au barbare).

•Tocqueville : Souvenirs, à lire en parallèle avec...

•Hugo : Choses vues 1847-1848.

•Zweig : La Gouvernante (l'éducation comme désenchantement) ; Le Joueur d'Echecs (le civilisé et le rustre ; autrui ; l'abstraction ) ;

•Racine : tout, surtout la Préface de Bajazet.

•Molière : tout, surtout les Femes savantes

•Shakespeare : tout ce qu'on peut, surtout Hamlet.

•Claudel : Conversations dans le Loir-et-Cher ; les divers dialogues (sur tous sujets), et presque tout.

•Gide : La Symphonie pastorale ; La Porte étroite.

•Tolstoï : La Sonate à Kreutzer, avec la Postface (mariage, fidélité) ; Maître et serviteur ; La Mort d'Ivan Ilitch (la mort).

•Soljenitsyne : Une Journée d'Ivan Denissovitch (texte extraordinaire, mais ne pas le citer car au cœur de polémiques politiques contemporaines)

•Ionesco : Le Roi se meurt.

•Focillon : Eloge de la Main.

•X : Lazarillo de Tormes (éducation picaresque)

•Proust : tout ; principalement Contre Sainte-Beuve, § La Méthode de Sainte-Beuve.

•Mann : La Mort à Venise (la beauté, la mort)

•Voltaire : Contes (presque tous, mais surtout L'histoire d'un bon Bramin et Jeannot et Colin)

•Diderot : Neveu de Rameau ; Paradoxe sur le Comédien ; Entretien avec la Maréchale (morale et religion) ; Les Deux Amis de Bourbonne (la fin seulement, qui est un petit Art Poétique) ; Entretien d'un Père avec ses Enfants (loi juridique et loi morale)

•Yourcenar : Comment Wang-Fô fut sauvé (in Nouvelles Orientales : l'art) ; Alexis (le désir) ; Mémoires d'Hadrien (long) ; L'Œuvre au Noir (long)

•Flaubert : tout, surtout Bouvard et Pécuchet (un des rares textes littéraires utilisables en épistémologie)

•Daudet : Tartarin de Tarascon ; Le Siège de Berlin (in Contes du Lundi ; droit de mentir) ; Lettres de mon Moulin (Daudet est un auteur infiniment plus profond que la réputation qui lui a été faite d'auteur folklorique propice aux dictées de certificat d'études...)

•Mauriac : presque tout a un certain intérêt, mais souvent dilué, parfois un peu vieilli ; lire principalement, peut-être, Le Sagouin. De belles réflexions littéraires dans Mémoires intérieurs.

•Saint-Simon : en avoir lu un peu, au moins...

•Balzac : tout. Principalement Le Chef-d'œuvre inconnu, La Physiologie du Mariage.

•Stendhal : tout, principalement De l'Amour.

•Du Bellay : Les Regrets.

•Baudelaire : tout ce qu'on peut (dont les écrits intimes)

•Montesquieu : Lettres Persanes

•X : Lettres de la Religieuse Portugaise (essentiel, sur le thème de la passion, et pour le style ; choisir impérativement une bonne édition.

•Rilke : Lettres à un jeune Poète

•Giono : Rondeur des Jours (le temps : texte splendide ; en Pléiade : 4 pages)

•Goethe : tout...... , surtout Faust

•Schiller : Les Brigands (on peut se contenter d'un résumé...)

•Cocteau : Thomas l'Imposteur.

•Jünger : Orages d'Acier (la guerre épique)

•Remarque : A l'Ouest, rien de nouveau (la guerre prosaïque)

•Buffon : Histoire naturelle ( en avoir lu des passages)

•Lampedusa : Le Professeur et la Sirène (vie intellectuelle et vie sensuelle ; l'hellénisme)

N.B. : le Dictionnaire des Œuvres, pour n'être pas toujours intéressant, permet de ne pas dire de bêtises sur des textes qui n'auraient pas été relus depuis longtemps...User du merveilleux Littré, pour son choix de citations parfaites. Mais ne pas en abuser. Lalande pour être sûr de ne pas enployer des concepts philosophiques à contresens. Mais ne pas bâtir une leçon sur l'article du Lalande... La connaissance de quelques grands opéras ne saurait nuire : •Mozart : tout, surtout Die Zauberflöte. •Beethoven : Fidelio. •Wagner : tout.

Un bref exemple de référence littéraire, anodine en apparence, mais parfaitement utilisable pour, par exemple, rendre plus digeste un topo sur le négatif :

Anatole France Le Livre de mon Ami p. 175 :

[ à Guignol ] "Gringalet a tué le Diable ! Franchement, ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux (...). Le Diable mort, adieu le péché ! Peut-être la beauté, cette alliée du Diable, s'en ira-t-elle avec lui ! peut-être ne verrons-nous plus les fleurs dont on s'enivre et les yeux dont on meurt ! Alors, que deviendrons-nous en ce monde ? Nous restera-t-il même la ressource d'être vertueux ? J'en doute. Gringalet n'a pas assez considéré que le mal est nécessaire au bien, comme l'ombre à la lumière, que la vertu est toute dans l'effort et que, si l'on n'a plus de diable à combattre, les saints seront aussi désœuvrés que les pécheurs. On s'ennuiera mortellement. Je vous dis qu'en tuant le Diable, Gringalet a commis une grave imprudence."