Lorca Romancero traduit
J’ai donné jadis quelques indications sur ma façon de voir le texte et de concevoir la traduction du Romancero :
http://lecalmeblog.blogspot.com/2010/06/lorca-romancero-gitano-1.html
[En ouvrant deux fenêtres, on peut faire concorder la page de VO et celle de VF][ Lorca a accédé au domaine public : https://www.abc.es/cultura/abci-lorca-valle-inclan-o-unamuno-dominio-publico-201701021146_noticia.html ]
Federico GARCÍA LORCA
Chants de la Geste gitane
Traduction : Michel Philippon
1. Chant de la lune, lune
À Conchita García Lorca
Dans sa robe de valériane,
la lune à la forge venant,
l'enfant la mire l'admire,
l'enfant reste l'admirant.
La lune agite ses bras
dans la grande émotion du vent ;
elle montre, lubrique et pure,
ses seins durs de métal blanc.
Va-t'en, lune, lune, lune.
S'ils venaient ici, les gitans
fabriqueraient avec ton cœur
des anneaux et des colliers blancs.
Petit, laisse-moi danser.
Lorsque viendront les gitans,
sur l'enclume, les yeux fermés,
ils te trouveront gisant.
Va-t'en, lune, lune, lune :
leurs chevaux, déjà, je les sens.
Laisse, petit, ne marche pas
sur mon amidon tout blanc.
Le cavalier s'approchait,
sur la plaine tambourinant.
Dans la forge, il garde les yeux
bien fermés, le petit enfant.
Ils venaient par les oliviers,
bronze et rêve, les gitans.
Sous leurs paupières demi-closes
ils regardaient droit devant.
Oh ! comme il chante dans l'arbre !
comme il chante, le chat-huant !
Dans le ciel s'en va la lune
par la main tenant un enfant.
À l'intérieur de la forge,
les gitans pleurent en criant.
L'air la veille, l'air la voile,
l'air la veille en la voilant.
2. Précieuse et le vent
À Dámaso Alonso
Précieuse arrive en frappant
sur sa lune parcheminée,
le long d'un sentier amphibie
fait de cristaux et de lauriers.
Le silence privé d'étoiles
à ce bruit s'enfuit effrayé,
et tombe où la mer bat et chante
sa nuit toute empoissonnée.
Sur les hauteurs de la montagne
dorment les carabiniers,
les gardiens des blanches tours
où demeurent les Anglais.
Et les gitans de l'eau bâtissent
pendant ce temps, pour s'amuser,
des tonnelles de coquillages
et de pins verts en ramée.
*
Précieuse arrive en frappant
sur sa lune parcheminée.
Le vent qui jamais ne dort
sitôt qu'il l'a vue s'est levé.
Il observe l'enfant et joue,
grand Saint Christophe dénudé,
une douce flûte absente
avec ses langues bleutées.
Petite, lève ton habit
et laisse-moi te regarder
Ouvre donc à mes vieux doigts
ton ventre de rose azurée.
Précieuse jette le tambour
et s'enfuit toute apeurée.
Le vent mâle la poursuit
avec une brûlante épée.
La mer fronce sa rumeur
et pâlissent les oliviers.
Les flûtes d'ombre et la neige,
gong lisse, se mettent à chanter.
Précieuse, cours, Précieuse !
le vent vert va t'attraper !
Précieuse, cours, Précieuse !
Regarde, il est arrivé,
satyre aux langues luisantes
et aux étoiles abaissées.
*
Précieuse, pleine d'effroi,
pénètre pour se cacher,
en haut, derrière la pinède,
chez le consul des Anglais.
Par les cris mis en alarme
viennent trois carabiniers,
avec leur ample cape noire,
et sur les tempes leur béret.
L'Anglais donne à la gitane
un verre tiède de lait ;
mais à la coupe de genièvre,
Précieuse ne va pas toucher.
Pendant qu'en pleurs elle leur conte
ce qui vient de lui arriver,
le vent mord avec fureur
les toitures ardoisées.
3. Rixe
À Rafael Méndez
À la mi-hauteur du ravin,
les grandes lames d'Albacete,
embellies de sang contraire,
comme des poissons se reflètent.
Un dur tracé de jeu de cartes
découpe sur l'aigreur verte
des chevaux pleins de fureur,
des cavaliers en silhouettes.
Deux vieilles femmes pleurent
sous la coupe d'une olivette.
Il monte le long des murs,
le taureau de la querelle.
Des anges noirs apportaient
des mouchoirs et de l'eau de neige.
Des anges aux longues ailes
en grandes lames d'Albacete.
Juan Antonio de Montilla
dévale mort la pente raide ;
son corps est tout jonché d'iris,
sa tempe une grenade ouverte.
Sur la grand'route de la mort
une croix de feu qui s'élève.
*
Le juge et la garde civile
arrivent par l'olivette.
Le sang répandu murmure
d'un serpent la chanson muette.
Messieurs les gardes civils,
ici toujours tout se répète :
quatre Romains sont morts
ainsi que cinq Carthaginois.
*
Le soir s'affole de figuiers
et de rumeurs brûlantes,
et dans les cuisses blessées
des cavaliers tombe en faiblesse.
Et dans l'air du couchant,
des anges noirs qui volèrent,
avec de l'huile dans le cœur,
des anges aux longues tresses.
4. Chant somnambule
À Gloria Giner
et à Fernando de los Ríos
Vert, comme je t'aime, vert.
Vert le vent. Les rameaux verts.
Et le cheval dans la montagne,
et la barque sur la mer.
Avec de l'ombre à la ceinture
à son balcon elle rêve,
verte de peau, de chevelure,
les yeux argentés d'hiver.
Vert, ainsi je t'aime, vert.
Sous la lune gitane,
les choses la regardent,
et elle ne peut pas les voir.
*
Vert, comme je t'aime, vert.
De grandes étoiles de givre
escortent le poisson de nuit
qui fraie le chemin de l'aube.
Le figuier aiguise le vent
sur l'émeri de ses branches.
Comme un chat, le mont chafouin
hérisse ses griffes d'agaves.
Mais qui viendra ? Et par où...?
Elle reste à sa balustrade,
verte de peau et de cheveux,
rêvant à la mer amère.
*
Compère, je veux échanger
mon cheval contre ton toit,
mon harnais contre ton miroir,
pour ton manteau, mon coutelas.
Compère, le sang que je perds
depuis les cols de Cabra !
Mon garçon, si je l'avais pu,
j'aurais déjà réglé cela.
Mais déjà je ne suis plus moi.
et ma maison n'est plus à moi.
Compère, je voudrais mourir
dans mon lit, comme il se doit,
avec des draps de Hollande,
et en acier plutôt qu'en bois,
De ma poitrine à mon gosier,
cette blessure, tu la vois.
Sur ton plastron blanc il y a
cent roses brunes, trois fois.
L'odeur de ton sang s'écoule
de ta ceinture autour de toi.
Mais déjà je ne suis plus moi.
et ma maison n'est plus à moi.
Au moins jusqu'aux plus hauts balcons
je veux monter, laissez-moi !
Laissez-moi monter ! laissez-moi
monter aux balcons les plus verts.
Jusqu'aux balcons de la lune
où l'eau fait un bruit de tonnerre.
*
Ils s'en vont, les deux compères,
les plus hauts balcons gravissant.
Laissant une traînée de larmes.
Laissant une traînée de sang.
Sur les toitures tremblaient
des lanternes de fer-blanc.
Et l'aube était meurtrie par mille
tambours de cristal blessant.
*
Vert, comme je t'aime, vert,
vert le vent, les rameaux verts.
Ils montèrent, les deux compères.
et le grand vent leur laissait
dans la bouche un goût amer,
de fiel, de menthe et basilic.
Où est-elle, dis-moi, Compère ?
Où est-elle, ta fille amère ?
Si souvent elle t'attendit,
si souvent t'aurait attendue,
cheveux foncés, visage clair,
au bord de ce balcon vert !
*
Sur la face de la citerne,
la gitane se balançait.
Verte de peau, de chevelure,
les yeux froids et argentés,
soutenue au-dessus de l'eau
par un bout de lune glacée.
Comme une place plus intime
la nuit qui s'amenuisait.
Des gardes civils, sur la porte,
donnaient des coups éméchés.
Vert, ainsi je t'aime, vert.
Vert le vent. Les rameaux verts.
Le cheval dans la montagne
et la barque sur la mer.
5. La nonne gitane
À José Moreno Villa
Silence de chaux et de myrte.
Des mauves dans les herbes fines.
Elle brode des giroflées
sur un tissu couleur de cuivre.
Volant dans le lustre gris,
sept petits oiseaux du prisme.
Comme un ours le ventre en l'air,
dans le lointain grogne l'église.
Comme elle brode ! Et quelle grâce !
Sur le tissu couleur de cuivre
elle préférerait broder
des fleurs selon sa fantaisie.
Ce tournesol, tout en galons !
Ce magnolia, quel délice !
Quels safraniers et quelles lunes
sur la nappe pour l'office !
À côté, dans la cuisine,
cinq pamplemousses s'endoucissent.
Ce sont, cueillies à Almeria,
les cinq blessures du Christ.
À travers les yeux de la nonne
deux cavaliers qui bondissent.
Une rumeur profonde et sourde
fait soulever sa chemise.
Voyant nuages et montagnes
dans les lointains précipices,
elle sent se briser son cœur
son cœur de sucre et de mélisse.
Comme la plaine est escarpée,
surmontée de vingt solstices !
O, les rivières qui se dressent,
entrevues dans sa fantaisie !
Mais elle reste à ses fleurs,
tandis que, droite dans la brise,
la lumière joue aux échecs
avec la haute jalousie.
6. L'épouse infidèle
À Lydia Cabrera et à sa négrillonne
À la rive je la menai,
croyant qu'elle était jeune fille,
alors qu'elle était mariée.
C'était la nuit de la Saint-Jacques,
et presque pour tenir parole.
Quand s'éteignirent les lanternes
s'allumèrent les grillons.
Je touchai ses seins endormis
au coin des dernières maisons ;
ils s'ouvrirent aussitôt
comme jacinthes en boutons.
Comme une soie déchirée
par dix couteaux, son jupon,
jusqu'au fond de mes oreilles
faisait sonner son amidon.
Sans argent brillant à leur cime,
les arbres se firent plus longs.
On entendait, très loin du fleuve,
les aboiements de l'horizon.
*
Après avoir franchi les ronces,
les aubépines, les ajoncs,
dans le sol je fis un creux
pour les cheveux de son chignon.
Alors j'enlevai ma cravate.
Elle quitta son jupon,
et puis ses quatre corsages.
Moi, revolver et ceinturon.
Nulle peau n'est plus soyeuse,
coquillage ni liseron ;
même le cristal sous la lune
ne jette pas de tels rayons.
Ses cuisses s'échappaient de moi
surprises comme des poissons,
à moitié pleines de jour,
à moitié pleines de frisson.
Je parcourus cette nuit-là
le meilleur chemin qui soit,
sur une pouliche de nacre,
sans rênes et sans éperons.
Je ne répète ses paroles
par honneur d'homme et discrétion.
Il est des choses qu'il faut taire
au grand jour de la raison.
Quand je la ramenai du fleuve,
salie de baisers, de limon,
les iris battaient contre l'air,
leurs épées en tourbillon.
Je fis selon ce que je suis,
puisque de gitan j'ai renom,
lui offrant un grand nécessaire
de couture en satin blond.
Mais je ne voulus pas l'aimer :
elle se disait jeune fille,
alors qu'elle était mariée,
quand à la rive je la menai.
7. Chant de la peine noire
A José Navarro Pardo
De leurs pics les coqs picorent,
creusant en quête de l'aurore.
Alors, Soledad Montoya
descend de la montagne sombre,
Sa chair de cuivre jaune
sent le cheval et l'ombre.
Enclumes enfumés, ses seins
fredonnent des chansons rondes.
Soledad, qui viens-tu chercher,
à cette heure, sans compagnons ?
Je cherche qui je veux chercher :
est-ce que cela t'importe ?
Je viens chercher ce que je veux,
mon allégresse ma personne.
O, Soledad de mes soucis,
cheval qui prend le mors en bouche
dans les vagues s'engloutit
quand à la mer enfin débouche.
Ne me parle pas de la mer
car la peine noire pousse
sur les terres à oliviers,
sous les feuilles qui frissonnent.
Soledad, que tu as de peine,
cette peine qui te désole !
Aigres pour l'espoir et la bouche,
tes larmes sont jus de citron.
Cette peine qui est si grande !
Folle, je cours dans ma maison
de la cave jusqu'au grenier,
mes tresses traînant sur le sol.
Quelle peine ! je deviens
couleur de jais, ma chair, ma robe !
Ah ! mes chemises de fil,
mes cuisses de coquelicot !
Dans l'eau fraîche des alouettes,
Soledad, lave ton corps,
et laisse ton cœur en paix,
Soledad Montoya.
*
En bas chante la rivière.
Le ciel et les feuilles la bordent.
Avec des fleurs de calebasse
le jour nouveau se couronne.
Oh, la peine des gitans !
Toujours pure et seule encore.
Peine aux méandres cachés,
toujours éloignée de l'aurore !
8. Saint Michel (Grenade)
À Diego Buigas de Dalmáu
Sur les monts, les monts, les monts,
on voit, depuis les balcons,
les mulets, mulets et leurs ombres,
des tournesols pour cargaison.
Leurs yeux se voilent de nuit
immense sur les pentes sombres.
Et dans les recoins de l'air,
l'aurore salée frissonne.
Un ciel de mulets tout blancs
ferme ses yeux de vif-argent,
en final couleur de cœurs
dans le calme de la pénombre.
L'eau se tapit dans la froideur
pour n'être touchée de personne.
L'eau folle, l'eau découverte,
sur les monts, les monts, les monts.
*
Saint Michel tout en dentelles,
dans la niche de sa tour,
expose ses belles jambes,
des lanternes alentour.
Archange en posture figée
comme sonnant les douze coups,
des plumes et des rossignols,
il feint la colère douce.
Éphèbe de milliers nuits,
il chante dans les vitraux,
étranger à toutes fleurs
et fleurant bon l'eau de cologne.
*
Sur la plage, la mer danse
un poème de balcons.
Les rivages de la lune
gagnent des voix, perdent des joncs.
Puis viennent des filles qui mangent
des graines de tournesol ;
secrètes planètes de cuivre,
sont leurs culs vastes et ronds.
Puis viennent de grands messieurs
et des dames d'allure sombre,
rembrunies par la nostalgie
d'un passé de rossignols.
Et l'évêque de Manille,
aveugle de safran et pauvre,
dit la messe à double tranchant,
pour les femmes et pour les hommes.
*
Saint Michel restait tranquille
dans la niche de sa tour,
avec des miroirs cousus
sur ses jupons et ses atours.
Saint Michel, le roi des sphères
et le roi des nombres impairs,
dans la luxuriance berbère
des clameurs et des belvédères.
9. Saint Raphaël (Cordoue)
À Juan Izquierdo Croselles
I
Au rivage des ajoncs
venaient des voitures fermées,
à l'endroit où les eaux polissent
le torse romain dénudé.
Cristal mûr, le Guadalquivir
garde les voitures couchées
entre les mirages de fleurs
et les échos des nuées.
Les enfants tissent et chantent
le monde désenchanté,
auprès des vieilles voitures
perdues dans l'obscurité.
Mais Cordoue ne tremble pas
sous le mystère compliqué,
car, si l'ombre fait se lever
l'architecture de fumée,
un pied de marbre affirme
sa pure lumière séchée.
De fins pétales de fer-blanc
brodent les vents en torsadé
sur les arceaux de triomphe
où la brise est déployée.
Neptune souffle par le pont
son grondement décuplé ;
des revendeurs de tabac
fuient par le mur écroulé.
II
Un seul poisson met dans l'eau
les deux Cordoues à l'unisson.
Cordoue des architectures,
douce Cordoue des ajoncs.
Ils se dénudent sur la rive,
les enfants sans expression,
en disciples de Tobie,
et en Merlins du ceinturon.
Par des questions ironiques,
ils agacent le poisson,
s'il préfère les fleurs de vin
ou la demi-lune et ses bonds.
Mais lui qui endeuille les marbres
et dore les eaux, le poisson,
de sa colonne solitaire,
leur donne équilibre et leçon.
Et l'Archange arabisant
cherchait berceuse et chanson
vêtu de paillettes sombres
dans les ondes en réunion.
*
Un seul poisson dans l'eau.
Deux Cordoues et deux beautés.
Cordoue brisée en jets d'eau.
Cordoue céleste et desséchée.
10. Saint Gabriel (Séville)
À D. Agustín Viñuales
I
Larges épaules, mince taille,
fin comme un jonc, adolescent,
la peau couleur de pomme sombre,
la bouche triste, les yeux grands,
il rôde dans la rue déserte ;
ses nerfs sont d'argent brûlant.
Avec ses chaussures vernies,
il brise les dahlias du vent
sur deux notes qui entonnent
les deuils du ciel brièvement.
Nulle palme ne l'égale
près de la mer, sur le rivage ;
nul empereur couronné
nulle étoile cheminant.
Quand il incline la tête
sur sa poitrine de jaspe,
la nuit, pour s'agenouiller,
voudrait de lisses surfaces.
Seules, les guitares sonnent
pour Saint Gabriel Archange,
l'Archange ennemi des saules,
dresseur de petits pigeons.
Dans le ventre de sa mère,
Gabriel, pleure l'enfant.
Les gitans, ne l'oublie pas,
t'ont fait cadeau du vêtement.
II
Annonciation des Rois Mages,
bien lunée, mal habillée,
ouvre la porte à l'étoile
qui par la rue est arrivée.
Dans les sourires et les lis,
l'Archange Saint Gabriel,
le petit-fils de la Giralda,
s'approche pour te visiter.
Des grillons cachés palpitaient
aux broderies de son gilet.
Les étoiles de la nuit
en campanules sont changées.
À trois clous d'allégresse,
Saint Gabriel, je suis rivée.
Ta lueur ouvre des jasmins
sur mon visage incendié.
Dieu te sauve, Annonciation !
Brune d'être émerveillée.
Ton enfant sera plus beau
que les pousses de la brise.
Ah ! Saint Gabriel de mon cœur !
Petit Gabriel adoré !
Pour t'asseoir je te voudrais
un fauteuil de petits œillets.
Dieu te protège, Annonciation,
bien lunée, mal habillée.
D'une tache et trois blessures.
ton petit sera marqué.
Ah, Gabriel resplendissant !
Petit Gabriel adoré!
Déjà au fond de ma poitrine
je sens le lait tiède monter.
Dieu te protège, Annonciation,
Mère de cent dynasties.
Tes yeux arides reflètent
des paysages de cavalier.
*
L'enfant chante dans le sein
d'Annonciation déconcertée,
trois balles d'amande verte.
dans sa petite voix tremblée,
Gabriel, par une échelle,
dans le ciel est monté.
Les étoiles de la nuit
en immortelles sont changées.11. Arrestation
d'Antoñito Camborio
sur le chemin de Séville
À Margarita Xirgu
Antonio Torres Heredia,
fils et neveu de Camborio
va, baguette d'osier en main,
à Séville voir les taureaux.
Bruni par la lune verte,
il marche lent, gracieux et beau.
Ses boucles sont empourprées
et brillent jusque sur son front.
À la moitié de son chemin,
il coupa des citrons bien ronds,
et jusqu'à obtenir de l'or,
il les jeta dans un peu d'eau.
Et à la moitié du chemin,
tout à coup les gardes ruraux
l'attrapèrent coude à coude
sous les branches d'un ormeau.
*
Le jour chemine, calme et lent,
le soir jeté sur l'épaule,
déployant sa grande cape
sur la mer et sur les ruisseaux.
Les olives sont en attente
de la nuit du Capricorne ;
comme un cheval, un petit vent
franchit les montagnes de plomb.
Antonio Torres Heredia,
fils et neveu de Camborio,
vient sans baguette d'osier
entre les cinq tricornes.
Antonio, qui es-tu ?
Si tu t'appelais Camborio,
avec du sang tu aurais fait
une fontaine à cinq ruisseaux.
Tu n'es donc fils de personne,
et pas un vrai Camborio.
C'en est bien fini des gitans
allant seuls par monts et par vaux !
Recouverts par la poussière,
frémissent les vieux couteaux.
*
À neuf heures du soir,
on l'emmène dans le cachot,
tandis que les gardes civils
boivent du citron coupé d'eau.
Et à neuf heures du soir,
on l'enferme dans le cachot.
Comme la croupe d'un poulain,
le ciel s'illumine aussitôt.
12. Mort d'Antoñito
le Camborio
À José Antonio Rubio Sacristán
Des voix de mort ont résonné
sur les bords du Guadalquivir.
Voix antiques qui s'approchent,
voix d'œillet rouge et viril.
Il cloua ses dents sur leurs bottes.
Comme un sanglier les mordit.
Il bondissait dans le combat,
dauphin glissant qui bondit.
Il baigna de sang ennemi
sa cravate cramoisie,
mais il ne put que succomber,
quatre poignards contre lui.
À l'heure où les étoiles lancent
leurs piques au fleuve gris,
véroniques de giroflées
aux taureaux en rêverie,
des voix de mort ont résonné
sur les bords du Guadalquivir.
*
Antonio Torres Heredia,
Camborio dur de crin,
bruni par la lune verte,
voix d'œillet rouge et viril :
Qui donc t'a ôté la vie,
sur les bords du Guadalquivir ?
Mes quatre cousins Heredia,
enfants de Benamejí.
Ce qu'ils n'enviaient pas chez les autres
chez moi leur faisait envie.
Des chaussures couleur corinthe
quelques ivoires serties,
et cette peau faite d'olive
et de jasmin pétris.
Ah ! Antoñito le Camborio,
digne d'une impératrice !
Explique-toi avec la Vierge,
car ta vie est bientôt finie.
Ah, Federico García,
appelle la Garde Civile !
Déjà ma taille s'est brisée
comme une tige de maïs.
*
Trois fois il hoqueta du sang
et il mourut de profil.
Monnaie vivante qui jamais
ne donnera plus de profit.
Enjoué, un ange pose
sa tête sur un coussin.
D'autres, fatigués et rougis,
allumèrent une bougie.
Et quand les quatre cousins
arrivent à Benamejí,
il n'y a plus de voix de mort
sur les bords du Guadalquivir.
13. Mort d'amour
À Margarita Manso
Mais qu'est-ce donc qui brille
dans les grands corridors ?
Onze coups ont sonné,
mon fils, ferme la porte.
Dans mes yeux, quatre lanternes,
se reflètent sans qu'il m'importe.
Celles des gens qui font luire
le cuivre et qui le frottent.
*
La lune décroissante,
pointe d'ail, argent moribond,
pose sur les tours jaunes
des chevelures blondes.
La nuit tremblante brûle
au cristal des balcons,
poursuivie par des chiens
par milliers qui l'ignorent,
et une odeur de vin et d'ambre
arrive par les corridors.
*
Une rumeur de voix anciennes,
une brise mouillée de chaume,
traversent l'arceau brisé
de la demi-nuit, et résonnent.
Les bœufs et les roses dorment.
Rien que dans les corridors,
les quatre lueurs se récrient
avec la fureur de Saint Georges.
Des femmes tristes du vallon
descendaient son sang d'homme,
sang amer de cuisse jeune,
sang tranquille de fleur en coupe.
De vieilles femmes du fleuve
pleuraient au pied du mont,
écheveau inextricable
de chevelures et de noms.
Les façades dessinaient
la nuit carrée, blanche de chaux.
Des séraphins et des gitans
jouaient sur leurs accordéons.
Qu'on avertisse les messieurs,
Mère, quand je serai mort.
Envoie des télégrammes bleus
qui aillent du Sud jusqu'au Nord.
Par sept cris et par sept sangs,
les lunes voilées se rompent,
par sept fleurs doubles de pavots,
dans les salons pleins d'ombre.
Couverte de mains coupées,
de fleurs en petites couronnes,
la mer de tous les jurements,
je ne sais où, résonne.
Et la brusque rumeur du bois,
à grands coups dans le ciel tonne,
tandis que criaient les lumières
dans les grands corridors.
14. Chant du prédestiné
Pour Emilio Aladrén
Toujours seul, toujours éveillé !
Tout petits, les yeux de mon corps,
tout grands, ceux de mon coursier ;
ils sont ouverts la nuit durant
sans regarder l'autre côté
là où s'éloignent insouciants
treize navires rêvés.
Mais purs et durs, et vigilants,
comme sont de bons écuyers,
mes yeux observent un nord
fait de métaux et de rochers
où mon corps vidé de son sang
consulte des tarots gelés.
*
Les bœufs trapus de l'eau
chargent sur les enfants
qui se baignent dans les lunes
de leurs cornes recourbées.
Les enclumes somnambules
sonnent un chant martelé :
c'est l'insomnie du cheval
et l'insomnie du cavalier.
*
Le vingt-cinquième jour de juin,
Amargo fut avisé :
Si tu le veux, dans ton jardin,
tu peux couper les lauriers.
Sur la porte, écris ton nom
sous une croix dessinée,
car des orties et des ciguës
sur tes côtes vont pousser,
et des aiguilles de chaux vive
viendront te mordre les pieds.
Ce sera dans la nuit obscure,
dans les montagnes aimantées
où les ruisseaux, comme des bœufs,
s'abreuvent de joncs rêvés.
Demande lumières et cloches.
Sache garder les mains croisées.
Sache apprécier les vents froids
de métaux et de rochers :
lorsque deux mois auront passé,
tu giseras mort enterré.
*
Saint Jacques fait tourner dans l'air,
nébuleuse, sa grande épée.
Un silence jaillissait
grave, dans le ciel voûté.
*
Le vingt-cinquième jour de juin,
ses yeux furent dessillés,
et le vingt-cinquième d'août,
il s'étendit pour les fermer.
Des hommes descendaient la rue
pour voir le prédestiné
qui fixait sur le petit mur
sa solitude reposée.
Et le linceul impeccable,
de romaine dureté,
faisait équilibre à la mort
par la rigueur de son plissé.
15. Chant de la Garde
civile espagnole
À Juan Guerrero.
Consul général de la poésie
Les chevaux sont noirs.
Noires les ferrures aussi.
Les capes sont luisantes
de taches d'encre et de cire.
Comme leur crâne est de plomb,
pleurer leur est impossible.
Ils arrivent par la grand'route
avec leur âme vernie.
Engoncés et octurnes, il vont,
ils animent, ils intiment
la gomme noire des silences
et les sables de peurs fines.
Dans leur tête sont cachées,
quand il passent, à leur envie,
des rêveries de pistolets
en une vague astronomie.
*
O, la ville des gitans !
Drapeaux aux carrefours garnis.
Avec la lune, avec la gourde
et les conserves de cerises.
O, la ville des gitans,
celui qui t'a vue ne t'oublie !
Ville de musc et de douleur,
de tours de cannelle sertie.
*
Quand arrive enfin la nuit,
nuit qui nuite toute la nuit,
les gitans se forgent des flèches,
des soleils à leurs établis,
tandis qu'à toutes les portes
appelle un cheval meutri.
À Jerez de la Frontière,
les coqs vitreux jettent leur cri.
Le vent tourne et s'engouffre nu
aux carrefours de la surprise.
La nuit reluit d'argentenuit
nuit qui nuite toute la nuit.
*
La Vierge et Saint Joseph
leurs castagnettes égarées,
s'en vont chercher les gitans
pour voir s'il les ont retrouvées.
La Vierge avance vêtue
comme la femme du maire,
en papier de chocolat,
des amandes en colliers.
Saint Joseph remue les bras
sous une cape satinée.
Avec les trois sultans de Perse,
Pedro Domecq marche en dernier.
Extase d'une cigogne,
la demi-lune se rêvait.
Les terrasses s'envahissent
de lanternes et de bannières.
Les miroirs mirent des sanglots
de danseuses aux hanches maigres.
L'eau et l'ombre, l'ombre et l'eau,
à Jerez de la Frontière !
*
O, la ville des gitans !
Drapeaux aux carrefours garnis.
Éteins tes lumières vertes,
car voici la garde émérite !
O, la ville des gitans,
celui qui t'a vue ne t'oublie !
Laissez-la loin de la mer,
sans peigne pour ses cheveux.
*
Ils avancent deux par deux
vers la fête, vers la ville.
D'une rumeur d'immortelles
les cartouchières sont envahies.
Ils avancent deux par deux.
Doublure de toile de nuit.
Le ciel n'est qu'une vitrine
d'éperons pour leur rêverie.
*
La ville ouvrait larges ses portes,
insoucieuse du péril,
laissant passer pour le saccage
quarante gardes civils.
Les horloges s'immobilisent,
et le cognac dans les flacons,
en novembre se déguise.
pour ne pas donner de soupçons.
À la hauteur des girouettes.
s'envolèrent de grands cris.
Les sabots font trébucher
et les sabres tranchent les brises.
Au long des rues dans la pénombre,
les vieilles gitanes s'enfuient
avec les pots remplis de pièces.
et les chevaux endormis.
Par les ruelles qui s'escarpent
montent les capes sinistres,
laissant derrière elles fugaces
les moulinets de leurs ciseaux.
*
Près du portail de Bethléem,
les gitans se réunirent.
Saint Joseph, couvert de blessures,
enterre une jeune fille.
Des fusils têtus et pointus
résonnent toute la nuit.
La Vierge soigne les enfants
avec de l'étoile en salive.
Mais la garde civile avance,
semant partout des incendies
dans lesquels, jeune et dénudée,
l'imagination se calcine.
Rosa, celle de Camborios,
assise à sa porte, gémit :
ses deux seins coupés
sur un plateau sont mis.
Et d'autres filles qui courent,
et leurs tresses qui les poursuivent ;
des roses de poudre noire.
éclatent dans l'air.
Enfin, quand en sillons de terre
les toits de tuiles sont réduits,
l'aube balance son torse
de pierre en un grand profil.
*
O, la ville des gitans !
Dans un tunnel de silence
la Garde Civile s'éloigne
et te laisse entourée de flammes.
O, la ville des gitans,
une fois vue, inoubliable !
Qu'on te cherche sous mon front.
Jeu de lune et de sable.
TROIS CHANTS HISTORIQUES
16. Martyre de Sainte Eulalie
À Rafael Martínez Nadal
I. Panorama de Mérida
Le cheval bondit dans la rue,
la queue largement déployée ;
les vieux soldats romains
sont à jouer ou sommeiller.
La montagne des Minerves
ouvre ses bras effeuillés.
Tout en haut, l'eau redorait
les aspérités des rochers.
La nuit de torses renversés
et d'étoiles au nez brisé
guette les crevasses de l'aube
pour toute s'y engouffrer.
De temps en temps on entendait
des crêtes rouges blasphémer.
Elle geint, la sainte enfant,
en coupes de cristal brisées.
La meule affûte des couteaux
et des crochets bien recourbés.
Les taureaux d'enclumes mugissent,
et Mérida s'est couronnée
de longues tiges de ronces
et de nards presque éveillés.
II. Le martyre
Elle monte, Flore nue,
par un petit escalier d'eau.
Et pour les seins d'Eulalie,
le Consul demande un plateau.
De la poitrine lui jaillissent
des veines vertes en ruisseau.
Son sexe tremble emprisonné,
dans les ronces, petit oiseau.
Sur le sol, déjà miracle,
ses mains coupées font des sauts
et pourtant peuvent se croiser,
faible oraison décapitée.
Par les trous béants et rouges
où ses deux seins étaient tantôt,
on voit des cieux en miniature
et du lait blanc qui coule à flots.
Mille petits arbres de sang
lui recouvrent tout le dos
et opposent des troncs humides
à la flamme et à son couteau.
Des centurions jaunâtres,
chair éveillée et grise
montent au ciel et leurs armures
d'argent résonnent bien haut.
Dans la passion, épées, crinières,
vibrent confuses en chaos.
Pendant ce temps, le Consul porte
les seins fumants sur le plateau.
III Enfer et gloire
La neige en ondes se dépose.
Eulalie est pendue à l'arbre.
Sa nudité de charbon
noircit les vents de glace.
Tendue, la nuit éclaire.
Eulalie morte dans l'arbre.
Dans la ville, les encriers
versent lentement leur encre.
Noirs, des mannequins sillonnent
la neige de la campagne,
dans leur silence mutilé
en longues files gémissantes.
La neige commence, émiettée.
Eulalie, blanche dans l'arbre.
Sur son flanc, près des piques,
du nickel en escadres.
*
Dans les cieux calcinés
un ostensoir éclate,
parmi les gosiers des ruisseaux
et les rossignols dans les branches.
Bondissez, vitres colorées !
Dans le blanc, Eulalie blanche.
Sainte, sainte, sainte, disent
les séraphins et les anges.
17. Don Pedro à cheval
(Chanson burlesque et lagunaire)
À Jean Cassou
Don Pedro venait
par un sentier.
Comme il pleurait,
le cavalier !
Agile et sans frein
était son coursier.
Il venait quêter
le pain, le baiser.
Par toutes les fenêtres,
le vent est questionné
sur l'obscur sanglot
du cavalier.
Première lagune
Au-dessous de l'eau,
continuent les mots.
Au-dessus de l'eau,
une lune ronde
se baigne
et rend jalouse l'autre,
si haute !
Et un enfant,
sur le bord,
voit les lunes et dit :
- Joue des cymbales, nuit !
Suite
Dans une ville lointaine,
Don Pedro est arrivé ;
Entourée de cèdres,
une ville dorée.
Verveine et romarin :
Bethléem parfumée ?
Les terrasses brillent
comme les nuées.
Un vieillard et deux femmes
viennent le rencontrer
avec des lampes d'argent
au passage des arcs brisés.
Les peupliers dirent non,
et le rossignol, qu'on verrait.
Deuxième lagune
Au-dessous de l'eau
continuent les mots.
Sur les cheveux de l'eau,
un cercle de flamme et d'oiseaux.
Et parmi les roseaux
des témoins sachant ce qui faut.
Rêve concret, déboussolé,
du bois de guitare.
Suite
Deux femmes et un vieux,
sur le plat sentier,
avec des lampes d'argent
vont au cimetière.
Ils ont trouvé mort
parmi les safraniers
de Don Pedro
le sombre destrier.
La voix secrète du soir
bêle dans le ciel,
licorne d'absence,
corne de cristal brisée.
La grande ville lointaine
est en train de brûler.
Dans l'arrière-pays,
un homme en train de pleurer.
Au Nord, une étoile.
au Sud, un marinier.
Dernière lagune
Au-dessous de l'eau,
il y a les mots.
Limon de voix perdues.
Oublié, Don Pedro,
sur la fleur refroidie,
ah !, il s'amuse avec les crapauds.
18. Thamar et Amnon
Para Alfonso García Valdecasas
La lune tourne dans le ciel
au-dessus des terres séchées ;
l'été y jette ses semences,
rumeurs de tigre et de brasier.
Par-dessus le faîte des toits,
des nerfs métalliques sonnaient.
Avec les bêlements laineux,
le vent ridé est arrivé.
La terre s'offre recouverte
de blessures cicatrisées.
Des cautères blancs de lumière
la piquent, la font sursauter.
*
Thamar rêve que sur sa gorge
des oiseaux se sont posés,
au son de cithares lunaires,
au son de tambourins glacés.
Et sous l'auvent, sa nudité,
boussole de palme effilée,
appelle aux flocons pour son ventre
et aux grêlons pour son côté.
Thamar est nue sur la terrasse ;
et elle y demeure à chanter.
En cercle autour d'elle, à ses pieds,
gisent cinq colombes gelées.
Amnon, mince et concret,
sur cette tour la regardait.
Ses reins étaient remplis d'écume
tandis que sa barbe oscillait.
Sur la terrasse s'étendait
sa nudité illuminée ;
entre les dents une rumeur
de flèche fraîchement fichée.
La lune est très basse et très pleine.
À force de la regarder,
Amnon y aperçoit les seins
de sa sœur et leur dureté.
*
À trois heures et demie,
sur le lit Amnon s'étendait ;
de ses yeux pleins d'ailes coupantes,
toute la chambre souffrait.
Massive, la lumière couvre
des villages gris ensablés,
ou montre un corail transitoire
de dahlias et de rosiers.
Au puits, les jarres se remplissent
d'un silence d'onde opprimée.
On entend, sur les troncs moussus,
le chant du serpent couché.
Amnon reste gémissant
sur les draps de son lit gelé.
Le frisson, en feuilles de lierre,
recouvre sa chair enfiévrée.
Thamar pénétra, silencieuse
dans la chambre ensilenciée,
couleur de veine et de Danube,
de marques lointaines troublée.
Thamar, efface-moi les yeux
avec ta fixe matinée.
Les fils de mon sang sur ta robe
tissent des volants festonnés
Mon frère, laisse-moi tranquille.
Sur mes épaules, tes baisers
sont des guêpes, des vents coulis,
en flûtes doubles essaimées.
Thamar, deux poissons me font signe
sur ta poitrine dressée,
et dans les lierres de tes doigts,
rumeur de rose emprisonnée.
*
Et dans les écuries du roi,
les cent chevaux qui hennissaient
Contre la minceur de la treille,
dans les seaux le soleil résistait.
Puis il la prend par les cheveux,
puis sa chemise est arrachée.
Sur la carte du pays blond,
du corail tiède en ruisselets.
*
O, par-dessus les maisons,
les clameurs qu'on entendait !
Quelle couche de poignards
et de tuniques déchirées !
Des esclaves vont et viennent
le long des tristes escaliers.
Des pistons jouent avec des cuisses
sous les nues immobilisées.
Rassemblées autour de Thamar,
des vierges gitanes criaient ;
d'autres recueillant les gouttes
de sa fleur martyrisée.
Des mouchoirs blancs deviennent rouges
dans les chambres barricadées.
Pampres et poissons s'échangent
des bruits de tiède matinée.
*
Tout en fureur et en violence
sur sa jument Amnon s'échappe.
Des noirs, les flèches s'élancent
sur lui depuis les contrescarpes.
Et quand claquent quatre sabots,
quand quatre résonances frappent,
David s'emparant de ciseaux,
tranche les cordes de la harpe.