[ Présentation sommaire non de deux concepts dans leur intégralité, pas même dans toutes leurs différences, mais seulement selon ce qui semble leur différence principale, le point sur lequel ils s'opposent de la façon la plus caractéristique. ]
Les termes de "mythe" et d' "allégorie" sont souvent confondus dans l'usage courant. Or ces deux notions sont très différentes quant à leur contenu. Toutefois, si elles sont assimilées, c'est qu'elles doivent présenter des caractères communs.
Mythe et allégorie, en effet, sont des narrations d'événements qui n'ont pas de fondement historique. On peut donc les qualifier d'inventions ayant une certaine prétention à la vérité.
Mais, dans le cas du mythe, celui qui le raconte, ou, plus précisément, qui le ré-cite, n'en est pas l'inventeur. Il ne fait que répéter une histoire qui lui a été transmise par la tradition. Le mythe, s'il narre un passé indéterminé, s'enracine dans un passé culturel opaque. Nul ne sait qui a inventé, qui a écrit l'histoire qu'il narre. Le mythe n'a pas d'auteur, et celui qui le dit n'est pas forcément apte à le comprendre mieux que quiconque. L'important est qu'il le dise ("legenda").
L'allégorie, au contraire, est inventée par un auteur, par un penseur. Elle n'est pas héritée.
D'autre part, le rapport à la vérité est très différent. Le mythe se prétend vrai, et veut être cru en son sens premier, même s'il peut, éventuellement présenter un sens second (ou "allégorique"). Il dit ce qui fut, en des temps immémoriaux, et qui explique le présent. Sa valeur narrative ne doit pas être remise en cause.
L'allégorie, au contraire, se présente comme un instrument, comme un vecteur pour une vérité autre qu'elle-même. Son contenu narratif est présenté ouvertement comme donnant pâture à la représentation imaginaire, afin de donner accès à un contenu intellectuel.
Le mythe commence par : "en ce temps-là...". L'allégorie commence par : "imagine-toi". Son aspect factice, pédagogique, est mis en avant, et l'activité imaginative prélude à l'activité intellectuelle au lieu d'y faire obstacle. Aussi l'allégorie préserve-t-elle la liberté de l'esprit, alors que le mythe est soumission. L'allégorie prévoit sa propre disparition comme allégorie, une fois que la signification aura été perçue : elle n'a de réalité que provisoire. Une allégorie qui serait toujours nécessaire à la compréhension manquerait son but. Le mythe, au contraire, exige d'être toujours présent, toujours répété, ne varietur.
Le mythe est donc aliénation de l'esprit : les choses sont ce qu'elles sont en raison d'une genèse qui ne peut être inventée, qui ne peut être découverte par les forces propres de l'esprit, mais qui doit être entendue du dehors, transmise par autrui.
L'allégorie, au contraire, n'est qu'une commodité pédagogique. Elle est utile, mais non nécessaire. Elle facilite le travail intellectuel en fournissant du matériau à l'imagination, mais elle sous-entend toujours que l'on pourrait, que l'on pourra se dispenser de ce substrat sensible de la pensée. L'allégorie vise sa propre disparition, au profit de la pure pensée : elle est le livre élémentaire de l'esprit, livre illustré, mais surtout premier livre d'une humanité encore enfantine, qui ne sait penser que sur des images. L'allégorie s'assume provisoire et transitoire. La confiance qu'elle réclame de l'auditeur n'est pas aveugle : il ne s'agit pas d'une croyance, encore moins d'une foi. L'allégorie est seulement analogique : son centre de gravité n'est pas en elle-même mais dans son interprétation rationnelle, devant laquelle elle devra s'effacer, le plus vite possible.
L'allégorie, à l'occasion d'éléments narratifs, est un exercice intellectuel, une activité, un dynamisme. Elle appelle à un regard critique, ce que ne saurait faire le mythe. De même qu'il est raconté de façon passive, par mémoire, il doit être reçu dans la passivité, sans modification.
Le mythe, certes, est contingent, tributaire de traditions, de cultures, et se présente comme contraignant. Alors que l'allégorie, qui est elle aussi contingente, se présente comme telle, ce en quoi elle est cohérente. C'est pourquoi on peut dire que le mythe est mensonge (il prétend à une vérité littérale), alors que l'allégorie est vérité, puisqu'elle invite à interpréter en termes rationnels ce qui est présenté sous un vêtement providentialisé de narration.
Le mythe est toujours collectif, social, religieux. Au contraire, l'allégorie est individuelle, inventée d'ingénieuse façon par une conscience magistrale, professorale, à titre pédagogique. La vérité y est incarnée, représentée selon un "codage" choisi pour sa pertinence, pour la multiplicité des leçons à en tirer.
Le mythe peut être considéré comme allégorique, comme porteur d'un sens philosophique, sous des apparences religieuses ou mythologiques. La religion est alors comprise, comme l'ont fait les Lumières, comme un prélude irrationnel à la rationalité (Lessing). Les mythes seraient alors des allégories très enfouies et oubliées comme telles, perdues dans le tautégorisme.
Mais, à l'inverse, l'allégorie peut se scléroser en une sorte de mythe : on peut se souvenir de l'allégorie de la Caverne sans l'avoir comprise, et ne faire qu'en répéter le sens littéral.
Mythe et allégorie s'opposent donc comme inertie et dynamisme de l'esprit, ce qui a permis de dire que ce sont les peuples esclaves qui ont besoin de mythes.