CHAPITRE XXXIV
LA RENOMMEE DE SAINTETE DU PERE D'ALZON
L'examen par la S. Congrégation des Rites des procès diocésains relatifs à la cause de béatification du P. d'Alzon aboutit, le 29 mai 1958, à la publication du décret d'introduction de la cause. Au moment où allaient s'engager les procès apostoliques, le postulateur sollicita la dispense du premier d'entre eux, relatif à la réputation de sainteté du P. d'Alzon, et la S. Congrégation donna une réponse favorable à cette requête(1).
Après avoir rappelé la réputation de sainteté dont le P. d'Alzon bénéficia jusqu'à cette époque, nous montrerons comment elle s'est maintenue et même, pensons-nous, épanouie depuis lors.
A
JUSQU'A L'INTRODUCTION DE LA CAUSE (1958)
1. L'avis des contemporains.- Les contemporains du P. d'Alzon le considéraient comme un saint. Les témoignages qui affluèrent spontanément à Nîmes lors de son décès en apportent la preuve (Ch. XXXIII 10). Ceux qui furent recueillis de 1894 à 1910 par le P. Emmanuel Bailly en vue de la rédaction d'une biographie du fondateur de l'Assomption et publiés par lui dans les Notes et Documents les confirment et les explicitent(2).
Le procès de Nîmes se déroulant un demi-siècle après la mort du P. d'Alzon ne put réunir que 44 témoins (y compris 6 témoins entendus sur commissions rogatoires à Jérusalem, Paris et Arras), dont 32 témoins directs. La plupart d'entre eux exprimèrent explicitement leur conviction que le P. d'Alzon était un saint et témoignèrent de la réputation de sainteté dont il jouissait de son vivant et dont il continuait à jouir(3). La même conviction ressort chez la majorité des autres, des témoignages apportés en ce qui concerne l'activité et les vertus du P. d'Alzon(4).
2. Le recours à son intercession. - Dès la mort du P. d'Alzon d'ailleurs sa réputation de sainteté avait conduit de nombreuses personnes à recourir à son intercession : "Que d'âmes, écrit le P. Picard en 1881, vont au tombeau du P. d'Alzon demander force et consolation ! Que d'âmes croient avoir obtenu par son intercession de grandes faveurs(5) !" Un certain nombre de ces faveurs sont relevées par les témoins entendus lors du procès de Nîmes(6). A ces témoignages les avocats de la cause ajoutèrent en 1954, 5 documents extrajudiciaires jugés particulièrement significatifs circa gratias ex sanatione : ils concernent des faits s'échelonnant de 1898 à 1937(7). Un ouvrage publié en 1961 par les soins des Oblates de l'Assomption( 8) ajoute à ces grâces déjà connues un grand nombre de faveurs spirituelles (conversions, grâces de ferveur...) et temporelles (dont quelque 25 guérisons) attribuées à l'intercession du P. d'Alzon et choisies parmi un ensemble de témoignages publiés par divers bulletins d'œuvres assomptionnistes(9).
3. Modèle de sainteté pour ses fils et ses filles. - La réputation de sainteté du P. d'Alzon ressort aussi de la vénération dont il a toujours été entouré par les congrégations dont il est le père et qui n'ont cessé de voir en lui non seulement un maître spirituel mais aussi un exemple.
Convaincus que les écrits du fondateur - Directoire, Méditations, Instructions, Circulaires, Conférences, Lettres - étaient à la fois un reflet de sa sainteté et une nourriture susceptible d'y conduire à leur tour ses fils et ses filles, ses successeurs s'employèrent à les publier à l'intention de leur famille religieuse(10). En même temps diverses études s'appliquaient à dégager de sa vie et de ses œuvres son exemple et ses enseignements(11).
Ce sont encore cet exemple et cet enseignement que les communautés de la famille de l'Assomption s'attachent à faire revivre et à actualiser dans les commémorations annuelles du 21 novembre - jour anniversaire de la mort du P. d'Alzon.
Au cours des ans, diverses célébrations et notamment les grands anniversaires (cinquantenaire de la maison de Nîmes en 1893, centenaire de la naissance du P. d'Alzon en 1910, cinquantenaire de sa mort en 1930, centenaire de la fondation de l'Institut en 1945 et surtout en 1950) fournirent l'occasion d'aller plus spécialement à la rencontre de la personnalité du P. d'Alzon et de vérifier combien par sa propre existence il avait réalisé le but proposé à sa congrégation : "travailler à notre perfection en étendant le règne de Jésus-Christ dans les âmes"(12).
4. Le double transfert du cercueil du P. d'Alzon. - Le cercueil du P. d'Alzon avait été déposé dans le caveau du collège de l'Assomption au cimetière Saint-Baudile. Ses fils cependant souhaitaient qu'il reposât dans la chapelle du collège "où sa parole avait formé tant de générations d'élèves"(13). Après de longs et difficiles pourparlers avec les autorités compétentes, ils purent enfin procéder à ce transfert le 30 janvier 1892.
Le P. d'Alzon était revenu parmi les siens, mais 8 ans plus tard, ce furent les siens qui furent écartés de lui. Le collège ayant été spolié à la suite de la dissolution de la congrégation en 1900, la chapelle fut désaffectée. Une cloison séparait du reste de l'édifice, devenu lycée de jeunes filles, le caveau où reposait le P. d'Alzon. Avec l'autorisation de la direction du lycée, religieux et religieuses de passage à Nîmes avaient la faculté d'aller prier sur sa tombe. Mais cet éloignement et l'état d'abandon où se trouvait le tombeau heurtaient leurs sentiments filiaux. Le projet naquit donc de transférer le corps dans la future chapelle du nouveau collège de l'Assomption. Cependant quand survint la guerre de 1939, des doutes subsistaient encore sur la possibilité de pouvoir la construire un jour.
Aussi le P. G. Quénard, supérieur général, accepta-t-il avec reconnaissance une proposition de Mère M.-Michael, supérieure générale des Oblates de l'Assomption, et le 30 octobre 1942, il fut procédé à une nouvelle exhumation du cercueil du P. d'Alzon. Le 3 novembre suivant, celui-ci fut transféré dans un caveau creusé sous la nef centrale de la chapelle de l'Institut d'Alzon dirigé par les Oblates de l'Assomption, rue Séguier à Nîmes, en même temps que celui de Mère Correnson, co-fondatrice des Oblates, exhumé la veille du cimetière Saint-Baudile. Le P. d'Alzon lui-même avait béni cette chapelle le 15 avril 1880(14).
Disons dès maintenant que, quelque 20 ans plus tard, le cercueil du P. d'Alzon sera exhumé une troisième fois. Dans la matinée du 26 novembre 1964 en effet, Mgr Rougé, évêque de Nîmes, procéda dans les formes requises à la reconnaissance canonique des restes du P. d'Alzon.
En dehors des personnes appelées par leur fonction à assister à cette opération, quelques témoins supplémentaires y furent admis, dont les supérieurs généraux des Assomptionnistes et des Oblates de l'Assomption et une représentante de la famille du P. d'Alzon. Mais une centaine de religieux et de religieuses qui se pressaient dans la salle voisine, dont les cloisons avaient été enlevées, purent en suivre le déroulement dans le plus profond recueillement. Dans l'après-midi après une absoute présidée par l'évêque de Nîmes, les restes du P. d'Alzon retrouvèrent leur place dans le caveau auprès de ceux de Mère Correnson(15).
La chapelle de l'Institut d'Alzon étant une chapelle semi-publique, n'est pas ouverte de façon habituelle aux fidèles. Aussi les visites que reçoit le tombeau du P. d'Alzon, à part celles des religieuses et élèves de l'Institut, sont-elles surtout celles de religieux ou religieuses en pèlerinage ou de passage à Nîmes, mais il n'est pas rare cependant que l'une ou l'autre personne demande à pouvoir se recueillir devant lui.
B
LES TRENTE DERNIERES ANNEES
1. Le recours à l'intercession du P. d'Alzon. - Dès la mort du P. d'Alzon, ainsi que vous l'avons vu plus haut, de nombreuses personnes recoururent à son intercession. Beaucoup aussi, notamment parmi ses fils et ses filles, souhaitèrent que l'Eglise en reconnaissant officiellement sa sainteté, le donne un jour en exemple aux chrétiens.
L'ouverture du procès informatif de Nîmes marqua une intensification de la prière à cette intention dans les communautés de l'Assomption et parmi leurs amis et, en 1964, une formule de prière pour obtenir la béatification du P. d'Alzon reçut le nihil obstat de la S. Congrégation des rites(16).
Depuis plus d'un siècle le mouvement de recours à l'intercession du P. d'Alzon s'est donc maintenu de façon ininterrompue. Pour les 30 dernières années qui nous occupent ici, c'est surtout le bulletin de la maison assomptionniste de Layrac (Lot-et-Garonne, France) qui s'en est fait l'écho en publiant, dans chacune de ses livraisons trimestrielles, une série de remerciements qui témoignent de la confiance en l'action surnaturelle d'Emmanuel d'Alzon. "Sur plus de 30 ans, nous dit-on, c'est une constatation de très nombreuses interventions célestes dont quelques-unes sont spectaculaires" (v. infra 1).
2. Une étude toujours plus poussée de son action et de son enseignement. - Au moment où le procès informatif de Nîmes s'acheminait vers sa conclusion, deux œuvres importantes étaient en cours de réalisation qui contribueraient à mieux faire connaître et apprécier la pensée et la personnalité du P. d'Alzon.
Signalons en premier lieu les Cahiers d'Alzon publiés par le P. H. Bisson de 1952 à 1972 en vue de diffuser la spiritualité du fondateur de l'Assomption : au total 21 fascicules de présentation agréable et de maniement aisé(17).
Au sein de la famille assomptionniste, l'œuvre du P. Athanase Sage aurait cependant un impact plus important. En 1956, sous le titre Ecrits spirituels du Serviteur de Dieu Emmanuel d'Alzon, le P. Sage publiait en un volume de 1500 pages les principaux écrits spirituels du P. d'Alzon, dont un quart environ étaient encore inédits. Deux ans plus tard, paraissait un autre ouvrage du même auteur intitulé Un maître spirituel du XIXe siècle, les étapes de la pensée du P. Emmanuel d'Alzon. En situant ses écrits dans le cadre général de la vie de l'Eglise et de la France du 19e siècle et dans les circonstances concrètes de sa propre existence, ce livre permettait de mieux comprendre la pensée du P. d'Alzon et son évolution, et de se faire une meilleure idée de la personnalité d'un homme que ne quitta jamais la préoccupation de sa sanctification personnelle et que dévorait le zèle de la maison de Dieu(18). Préfaçant le premier de ces deux volumes, le P. Wilfrid J. Dufault, alors supérieur général, écrivait : "Je me réjouis à la pensée que ce volume deviendra pour tous les religieux de la Congrégation un vrai livre de chevet, stimulant quotidien pour une plus grande perfection, pour une étude toujours plus active de notre esprit, pour un dévouement sans cesse renouvelé au service de l'Eglise." Il faudrait pouvoir entrer dans l'intime des cœurs pour dire à quel degré ces livres furent "un stimulant pour une plus grande perfection", mais il est incontestable qu'ils favorisèrent la réflexion sur la pensée du P. d'Alzon au sein des communautés et furent le point de départ, surtout de la part de jeunes religieux, de recherches individuelles et collectives qui contribuèrent à donner à l'image du P. d'Alzon un relief plus accusé(19).
3. En vue d'un renouveau de la vie religieuse. - Le décret Perfectae Caritatis du concile Vatican II demandait aux religieux d'adapter la vie et la discipline de leurs instituts aux conditions nouvelles de l'existence dans la fidélité à l'enseignement de l'évangile et à l'esprit de leur fondation. Le chapitre général des Assomptionnistes de 1964 avait, en ce qui le regarde, déjà formulé ce souhait et, dans la limite de ses attributions, il avait procédé à un premier aggiornamento en donnant à la congrégation des Règles capitulaires destinées à remplacer l'ancien coutumier et qu'étayaient de nombreuses références au fondateur.
Au chapitre de 1969 serait confiée la révision des constitutions. Il fut précédé d'une enquête générale auprès de tous les religieux de la congrégation. Il importait que la révision se fasse dans la fidélité à l'esprit du fondateur, et c'est ici que l'on put mesurer l'importance providentielle des deux livres du P. Sage dont nous avons parlé plus haut et que vint compléter, en 1966, l'édition par le même auteur, en collaboration avec le P. Touveneraud des Premières Constitutions des Augustins de l'Assomption, 1855-1865(20). Les religieux étaient à nouveau mis en contact avec la personnalité spirituelle et le projet apostolique de leur fondateur, et cela au moment même où la vie religieuse connaissait une crise à laquelle leur congrégation n'échappait pas.
La revision des constitutions se poursuivit aux chapitres de 1975 et 1981, précédés eux aussi d'enquêtes diverses parmi tous les religieux. Le travail du chapitre de 1981 aboutit à la rédaction définitive des constitutions(21). On peut dire sans exagération que le P. d'Alzon avait présidé à sa préparation et à ses travaux. Conscient de toutes les richesses contenues dans l'exemple et le message du fondateur, le même chapitre, répondant à la demande générale des provinces de "favoriser une relecture du P. d'Alzon pour une inspiration actuelle" demanda au gouvernement général de poursuivre la publication des écrits du P. d'Alzon, de veiller à la traduction de ses textes fondamentaux dans les langues les plus employées dans la congrégation, afin d'encourager les études sur sa pensée et son action. Pour l'aider dans ce travail et pour "assurer la stimulation doctrinale et apostolique dans l'esprit du P. d'Alzon", il proposait la création d'une Commission internationale et l'organisation de rencontres de prédicateurs de retraites et de formateurs, etc. Il souhaitait aussi qu'un nouveau postulateur soit nommé pour reprendre le travail de la cause de béatification du P. d'Alzon, interrompu par le décès prématuré, à la fin de 1979, du P. Pierre Touveneraud(22). Le gouvernement général a rencontré ces vœux du chapitre. La commission internationale a été mise en place, les traductions des textes fondamentaux en anglais, espagnol, néerlandais, italien et portugais sont en bonne voie de réalisation ou d'achèvement et diverses études sont sur le chantier. En 1983, un nouveau postulateur de la cause du P. d'Alzon a été nommé en la personne du P. Wilfrid J. Dufault, ancien supérieur général.
4. L'année du centenaire (1379-1380). - Tandis que les Assomptionnistes préparaient leur chapitre de 1981, l'ensemble de la famille de l'Assomption célébrait le centenaire de la mort du P. d'Alzon. Elle ne l'avait pas improvisé. Une commission internationale chargée de susciter et de coordonner les initiatives avait été mise en place et, dans la perspective du centenaire, deux publications importantes virent le jour. En 1978, le P. P. Touveneraud, continuant l'œuvre du P. Vailhé, publiait en deux tomes les Lettres du P. d'Alzon, Années d'épreuves 1851-1858 (23) et, au début de 1980, le P. A. Sève livrait au public sous le titre Ma vie c'est le Christ, Emmanuel d'Alzon 1810-1880, une étude de la spiritualité du P. d'Alzon qui est une invitation à la rencontre "d'une existence brûlée par la passion de Jésus-Christ" (24).
Mais plus que les célébrations extérieures, ce qui importait c'était la préparation intime des religieux et des communautés par un contact renouvelé avec le fondateur. Une série de fiches les y aida qui devaient fournir une base à des échanges communautaires ou à des récollections mensuelles sur divers thèmes chers au P. d'Alzon(25). En même temps, un peu partout dans la congrégation, les religieux et religieuses avaient la possibilité d'assister à des retraites axées sur la pensée et l'exemple du fondateur. On reprenait ainsi une tradition inaugurée par le P. Sage, et le chapitre de 1981 encouragea fortement leur continuation. Ce travail de ressourcement fut l'aspect le plus important mais aussi le plus discret de l'année du centenaire que marquèrent de nombreuses cérémonies.
Dans tous les pays où les congrégations fondées par le P. d'Alzon se trouvent implantées, religieux et religieuses tinrent, en commémorant le centenaire de la mort de leur fondateur, à faire valoir l'exemple de sainteté qu'il leur avait laissé, ses intentions apostoliques, son esprit évangélique. Il est impossible de faire ici ne fût-ce qu'un simple relevé des cérémonies organisées à Rome et en France, dans les divers pays d'Europe, aux Etats-Unis et au Canada, en Amérique du Sud, au Zaïre et à Madagascar, sans parler des commémorations émouvantes dans leur discrétion et leur ferveur de l'Eglise du silence. Partout des prédicateurs exaltèrent l'exemple du P. d'Alzon au cours de célébrations liturgiques, en présence des plus hautes personnalités ecclésiastiques. Plusieurs séances académiques furent organisées qui permirent à des conférenciers de présenter tel point de l'activité, de la personnalité ou de la spiritualité du P. d'Alzon et souvent de l'éclairer d'un jour nouveau. En beaucoup d'endroits aussi des expositions illustrèrent la vie du P. d'Alzon et l'œuvre de l'Assomption.
Parmi toutes ces commémorations, nous nous bornerons à en citer trois(26). A Nîmes, principal théâtre d'activité du P. d'Alzon et berceau de ses congrégations, une concélébration eucharistique réunit 150 prêtres autour du cardinal Etchegaray et de 8 évêques. Mgr Cadillac, évêque de Nîmes, continuant la tradition inaugurée par Mgr Besson, présenta la grande figure du P. d'Alzon. Aux Etats-Unis, la principale manifestation du centenaire fut une semaine œcuménique qui se tint au collège universitaire assomptionniste de Worcester (Mass.) du 17 au 22 août en présence de nombreuses personnalités ecclésiastiques dont les cardinaux Willebrands et Medeiros. A Rome enfin, le 24 novembre 1980, le P. A. Wenger présenta devant un parterre de hautes personnalités ecclésiastiques et diplomatiques, sous la présidence du cardinal Bertoli, une conférence sur Le P. d'Alzon et le Pape, tandis que le 27 novembre suivant, le cardinal Garrone présidait dans la chapelle de la communauté, une célébration solennelle.
A la date du 21 novembre, le cardinal Casaroli avait fait parvenir au P. Hervé Stéphan, supérieur général, un long message dans lequel il lui faisait part des sentiments du Saint-Père, "fruit d'une méditation personnelle sur la vie exemplaire du P. d'Alzon". Le Saint-Père dégageait les principaux enseignements de cette vie et, à propos de chacun d'eux, invitait les fils et les filles d'Emmanuel d'Alzon à s'interroger sur leur fidélité à son message (v. infra 2).
Terminons cette trop brève rétrospective des commémorations du centenaire en évoquant une manifestation d'un genre original et à mille lieues du style hagiographique. Il s'agit du Colloque d'histoire que dirigèrent à Paris, du 4 au 6 décembre 1980, les professeurs René Rémond et Emile Poulat(27). Il permit à un auditoire composé en grande partie d'héritiers du P. d'Alzon d'entendre diverses communications de sommités universitaires, spécialistes de l'histoire de l'Eglise au 19e siècle, sur divers aspects de l'activité du P. d'Alzon et d'intervenir dans les échanges qui s'instaurèrent entre les auteurs et les historiens présents. Ce va-et-vient continuel entre les connaissances des historiens et les perceptions et préoccupations d'un auditoire se réclamant aujourd'hui d'Emmanuel d'Alzon ne fut d'ailleurs pas - au dire des historiens eux-mêmes - le moindre intérêt de ce colloque.
Passé au crible de la critique historique, le P. d'Alzon traversa l'épreuve plus vivant et plus rayonnant que jamais (v. infra 3).
1
Le recours à l'intercession du P. d'Alzon vu à travers le bulletin "Voulez-vous ?" de la maison de Layrac par le P. Eudes Hanhart, Layrac, le 24 septembre 1984. - Orig. ACR.
Le P. Eudes Hanhart, ancien économe général, après avoir parcouru les lettres de remerciement au P. d'Alzon publiées par Voulez-vous ? de 1948 à 1980, livre ici les impressions qu'il retire de cette lecture et sa conviction finale de l'action surnaturelle exercée par le Père d'Alzon.
Ajoutons qu'au cours des années suivantes, la rubrique Merci au P. d'Alzon a toujours été aussi bien fournie dans ce bulletin, relatant des faveurs de tout ordre obtenues à son intercession : faveurs spirituelles (conversions, crises de foi surmontées) et aussi matérielles. Parmi ces dernières on relève des guérisons mais aussi, assez fréquemment, de la part du P. d'Alzon qui connut tant de difficultés de ce genre, une aide reçue dans des circonstances financières difficiles. Pour beaucoup de correspondants, le P. d'Alzon est devenu un intercesseur habituel. Beaucoup aussi disent prier pour sa béatification.
A ses débuts, le premier numéro est de juin 1947, le "Voulez-vous?", organe trimestriel du scolasticat de théologie de l'Assomption, de l'Ouest, a recommandé le fondateur de l'Assomption, le P. Emmanuel d'Alzon, 1810-1880. Spontanément, des lecteurs lui ont adressé leur prière et ont vu leurs demandes exaucées. Ils ont remercié et leurs lettres sont reproduites, en partie, dans les publications du Bulletin.
Lire ces remerciements, des années 1948 à 1980, n'est pas une occupation fastidieuse. Il y a tant de variété dans ces lettres brillantes de spontanéité. A quatre parutions par an, cela fait cependant 120 numéros et plus de 3.000 lettres insérées. C'est toute une foule de correspondants reconnaissants, ou plutôt, la foule n'ayant pas d'âme, a-t-on dit, c'est une armée portant les insignes de la gratitude, de la prière et de l'affirmation de l'action surnaturelle d'Emmanuel d'Alzon.
Témoignages de poids inégal, certes, mais, tous, remerciements de demandes exaucées. Beaucoup sont naïves, toutes sont sincères.
E. d'Alzon a écouté ces demandeurs et leur a donc répondu. Beaucoup ont comme objet une seule difficulté matérielle, pécuniaire, de santé, ou autre, mais parfois aussi, des peines et souffrances lourdes, sur-angoissantes, impossibles à porter. Toutes, je dis bien toutes, ont été écoutées et prises en considération par le Père et solutionnées avec faveur.
Sur plus de trente ans, c'est une constatation de très nombreuses interventions célestes dont quelques-unes sont spectaculaires.
On peut et on doit en conclure un fait, qui, pris globalement n'est pas négligeable, qui pose une question et en suggère la réponse explicative : Emmanuel d'Alzon exerce une puissance qui dépasse les forces naturelles car les résultats obtenus sont au-delà d'une causalité humaine de la terre.
Ce n'est qu'une constatation et qui se borne à cela, en ajoutant qu'elle subsiste pendant trente ans, qu'elle continue; elle est permanente .
A ce qui précède on peut et on doit ajouter ceci : Une grâce obtenue par le P. d'Alzon attire l'attention sur celui qui a été prié. Mais comme, d'autre part, dans le monde surnaturel surtout, rien ne se passe sans l'action personnelle de Dieu, nous devons voir, avec évidence, que Dieu attire l'attention sur Emmanuel d'Alzon, sur sa personne, plus spécialement son message, son charisme.
Charisme de moine moderne : moine à plein temps, comme les religieux d'autrefois qui ont, par leur vie de prière et leur travail, édifié le monde chrétien, moine pour l'aujourd'hui, dans sa différence, si grande, d'avec l'ancien temps de nos pères, c'est-à-dire moine, qui doit, par sa famille religieuse rétablir notre société d'aujourd'hui dans ses valeurs chrétiennes, en un mot la ramener au Christ.
2
Message de S. Em. le cardinal Casaroli au P. Hervé Stéphan, supérieur général des Assomptionnistes, à l'occasion du centenaire de la mort du P. d'Alzon, Rome, le 21 novembre 1980. - Orig.dactyl . ACR.
Le Cardinal Secrétaire d'Etat communique au supérieur général les sentiments du Saint-Père, "fruit d'une méditation personnelle sur la vie exemplaire du P. Emmanuel d'Alzon".
Emmanuel d'Alzon s'est laissé envahir par le Christ et son dynamisme apostolique trouve sa source dans la prière. Il fit preuve d'une disponibilité exceptionnelle au service de l'Eglise comme en témoigne son activité d'une extraordinaire diversité. Pour un meilleur service de l'Eglise, il requit de ses fils le goût de l'étude et une vie communautaire pleine de vitalité.
Tels sont les points essentiels que le Saint-Père retient de la personnalité et du message du P. d'Alzon, et sur chacun d'eux il invite ses héritiers spirituels à s'interroger sur leur fidélité à l'idéal que leur propose leur fondateur.
SEGRETERIA DI STATO Dal Vaticano, le 21 novembre 1980
N. 43.292
Mon Révérend Père,
Voilà déjà cent ans que le Fondateur des Augustins et des Oblates de l'Assomption remettait son âme à Dieu, au terme d'une existence littéralement consumée par l'amour passionné de Jésus-Christ et de son Royaume à établir dans une société alors en pleine mutation.
Simple coïncidence, ou plutôt marque ultime de ressemblance, posée par le Maître sur la physionomie de son intrépide serviteur : le Père Emmanuel d'Alzon meurt à Nîmes le 21 novembre dans une atmosphère de drame et d'échec pour l'Eglise. Le Gouvernement français est en train de fermer plus de 260 établissements scolaires catholiques et d'expulser plus de 5000 personnes de Congrégations non autorisées. Quand on sait le combat mené par le Père d'Alzon en faveur de la liberté de l'Eglise, spécialement dans le domaine de l'enseignement, les circonstances de sa mort seraient à elles seules un riche sujet de méditation. Mais c'est toute sa vie qui doit demeurer une source d'inspiration pour la grande famille assomptionniste et pour le Peuple de Dieu.
Le Saint-Père, en écho au souhait que vous lui aviez exprimé, est particulièrement heureux de s'associer à l'action de grâce des Augustins et des Oblates, directement fondés par Emmanuel d'Alzon, mais également des Religieuses de l'Assomption, des Petites Sœurs et des Orantes de l'Assomption, instituées par ses filles spirituelles ou ses premiers compagnons. Félicitant chaleureusement toutes les communautés assomptionnistes, disséminées dans le monde entier, d'avoir voulu faire de cette année centenaire un temps de reconnaissance approfondie de la vie et de l'œuvre de leur Père commun, le Pape tient à partager avec elles les sentiments qu'un tel événement lui suggère, et les encourager ainsi à poursuivre leur route apostolique avec une foi à transporter les montagnes, selon le vœu de Jésus dans l'Evangile.
S'il est vrai que les plus remarquables disciples du Seigneur ont bien des traits communs, certains d'entre eux donnent l'impression d'avoir réuni, en une synthèse vivante et séduisante, les caractéristiques d'un certain nombre de leurs frères quant à la vie chrétienne et à la sainteté. Votre fondateur fait d'emblée songer à l'Apôtre Paul, radicalement saisi par le Mystère du Christ et de l'Eglise, mais également à saint Augustin, le chercheur anxieux et amoureux de la vérité de Dieu, à saint François, l'adorateur de la Passion du Christ, à saint Dominique, pourfendant les ténèbres de l'erreur et de l'ignorance religieuse, à saint Ignace, lâchant la carrière militaire pour devenir le soldat de Dieu. Comme eux, Emmanuel d'Alzon s'est laissé envahir par le Christ, habiter par Lui. Comme pour eux, cette identification s'est réalisée au prix d'un dépouillement total de lui-même. Pour parvenir à cette union intime au Christ, votre Fondateur prend les grands moyens. Il s'abîme dans l'adoration, à la manière des mystiques qui se sentent comme submergés par l'Absolu de Dieu. Il y passe des heures, de jour ou de nuit. Cette relation vivante au Père, au Fils et à l'Esprit se transforme en supplications ardentes pour travailler au Règne de Dieu avec des forces purifiées et centuplées par la grâce. Ce lien rigoureux entre la contemplation et l'action est typiquement alzonien. Les contemporains du Père en furent frappés. Aujourd'hui, celui qui fut durant toute sa vie un questionneur exigeant interroge encore ses religieux et ses religieuses : "Votre contact personnel et communautaire avec Jésus-Christ est-il suffisant et signifiant ? Pouvez-vous parler de proportion entre vos engagements apostoliques et votre vie de prière ?" En outre, la multiplication actuelle des groupes de prière - qui semble bien constituer un signe des temps - aurait certainement renforcé l'interpellation du Père d'Alzon à tous les siens. Appelés parfois à s'insérer dans de tels groupes, ses disciples ne sauraient oublier qu'ils se sont engagés à donner un témoignage original de prière commune et de prière privée, dans l'Eglise et pour l'Eglise.
Bien inséré dans son époque, qui se relevait des secousses de la Révolution et cherchait des voies nouvelles, Emmanuel d'Alzon a fait preuve d'une disponibilité exceptionnelle au service de l'Eglise. Le diocèse de Nîmes, auquel il se dévoua corps et âme pendant plus de quarante ans comme Vicaire général, en demeure le témoin privilégié. Et en même temps, ses luttes et ses fondations en faveur de l'enseignement catholique, des patronages, des orphelinats, de la presse, des pèlerinages, des églises d'Orient, révèlent son profond souci des hommes de son temps, avec une attention de plus en plus marquée pour les plus faibles et les plus démunis. On sait combien sa joie fut grande, lorsqu'il vit son confrère, le Père Pernet, fonder les Petites Sœurs de l'Assomption pour le service de l'évangélisation des familles ouvrières. Il pouvait se permettre d'écrire plus tard : "Un assomptionniste doit être mécontent de soi tant qu'il n'a pas fait cent fois plus qu'il ne peut... Et son repos alors consiste à faire mille fois plus" (Écrits spirituels, p. 182). Ses fils et ses filles n'ont point oublié ce langage dynamique. Depuis bientôt cent cinquante ans, ils ont accompli un travail apostolique considérable, avec un désintéressement qui mérite d'être cité en exemple. Qu'il suffise de mentionner, sur ce point précis, le très méritant labeur de la Bonne Presse, très largement connu et apprécié. A l'heure actuelle, compte tenu d'une relève insuffisante et de la multiplicité des besoins, votre fondateur, si inventif et audacieux, parlerait à ses disciples en termes équivalents à ceux qu'il employait au chapitre de 1873 : "Nous ne sommes que cinquante, nous devons agir comme mille..." Il les encouragerait énergiquement à découvrir les nouveaux secteurs de misère religieuse, morale, intellectuelle, corporelle, à élaborer en commun leurs projets nouveaux ou revisés, à éviter les dispersions d'énergie apostolique, à concentrer leurs forces sur des objectifs majeurs, souhaités ou demandés par l'Eglise. La disponibilité alzonienne est profondément ecclésiale, toujours reliée au Successeur de Pierre. En somme, par la voix du Père d'Alzon, c'est toujours l'Eglise qui pose aux Assomptionnistes une question fondamentale : "Vos activités aident-elles les hommes à rencontrer Dieu, à chercher en Dieu le sens de leur vie ?"
Cette participation courageuse à l'avènement du règne de Dieu en eux et autour d'eux, sans compromission et sans anonymat, toujours alimentée dans le cœur à cœur avec Dieu, requiert aussi des Assomptionnistes le goût de l'étude. En tant que Vicaire général, le Père d'Alzon poussait sans cesse le clergé de Nîmes à l'effort intellectuel dans les sciences sacrées. Fondateur de Congrégations, il stimule ses religieux - et plus encore après le Concile Vatican I auquel il participa -à s'abreuver aux sources de l'Écriture et des Pères. Les Assomptionnistes ont donné bien des preuves de leur amour de l'étude. La revue des "Études byzantines", si précieuse pour la connaissance des Églises orientales, témoigne aujourd'hui encore de leur fidélité à l'esprit du fondateur. Que la célébration du centenaire de sa mort soit l'occasion providentielle de renouveler leurs convictions quant à l'importance fondamentale de la "formation première" et permanente au plan intellectuel. Il y va de la santé et du dynamisme de leurs Congrégations, pour un plus grand impact de "l'Adveniat regnum tuum".
Enfin, pareil déploiement d'action apostolique et de vie de prière a besoin de s'appuyer sur une vie fraternelle très solide. Dans un langage de notre temps, le Père d'Alzon trouverait certainement les mots pour convaincre ses fils et ses filles que leur vitalité apostolique dépend de leur vitalité communautaire. Il serait à la fois bon et sévère pour les religieux qui veulent mener une vie indépendante. Il ne manquerait pas de souligner que les modifications nombreuses - et souvent très heureuses - apportées depuis Vatican II aux structures traditionnelles de la vie commune, sont insuffisantes si elles n'atteignent pas le niveau profond des relations interpersonnelles. Ne parlait-il pas lui-même de la communauté comme d'une maison de cristal, où les relations sont faites de franchise et d'estime, de cordialité et de simplicité ? Ce sont de telles fraternités qui déterminent et maintiennent un consensus concernant les valeurs essentielles, et constituent une terre ferme sur laquelle religieux et religieuses peuvent s'appuyer en cas de difficultés personnelles ou de mise en route de nouveaux projets. Aujourd'hui, il semble que le Père d'Alzon invite encore la grande famille de l'Assomption à devenir toujours davantage une communion de communautés fraternelles, spirituelles et apostoliques. Ce sont de telles équipes de vie qui peuvent être, pour les jeunes de notre temps, une Bonne Nouvelle, et éveiller chez un certain nombre le projet du don total au Seigneur. Il semble que plusieurs communautés s'en préoccupent. Le Pape souhaite vivement que les disciples du Père d'Alzon, se souvenant plus que jamais de l'effort extraordinaire qu'il fit au siècle dernier en faveur des vocations sacerdotales et religieuses, et sans cesser de promouvoir les laïcs à des responsabilités d’Église, contribuent activement à cette nouvelle floraison de vocations, dont le Peuple de Dieu a un besoin vital.
Tels sont les sentiments dominants que le Saint-Père désire vous exprimer, à vous et à tous vos frères et sœurs en religion. Ils sont le fruit d'une méditation personnelle sur la vie exemplaire du Père Emmanuel d'Alzon et un témoignage de profonde affection à l'égard de la famille assomptionniste. Il est sûr que toutes les communautés accueilleront ce message avec simplicité et avec joie, afin d'y puiser le courage pour le présent et pour l'avenir. Admirant la dévotion, à la fois sobre et solide, du Fondateur à l'égard de la Vierge Marie, spécialement contemplée dans le mystère de son Immaculée Conception, de son Annonciation et de sa Compassion - alors que l’œuvre elle-même avait été fondée dans le collège de l'Assomption -, le Pape confie à l'intercession de Notre-Dame la vie religieuse et le labeur apostolique des fils et des filles du Père d'Alzon, et il invoque sur leurs Congrégations respectives les plus abondantes Bénédictions du Seigneur.
Particulièrement heureux de vous transmettre ces pensées et ces vœux au nom de Sa Sainteté, je vous prie de croire, mon Révérend Père, à l'assurance de mes sentiments profondément dévoués dans le Christ.
Agostino Card. Casaroli
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Impressions d'un auditeur assomptionniste du Colloque d'histoire (Paris, 4-6 décembre 1380). Extraits d'un article du P. Morand Kleiber intitulé "Impressions d'un philosophe. - dans L'Assomption, n° 605 (printemps 1981), p. 16-18.
Dans l'esprit de ses initiateurs, le Colloque d'histoire au centre duquel se trouvaient la personne et l'œuvre du P. d'Alzon "ne devait être d'aucune façon la célébration d'un fondateur à la demande des religieux et religieuses se réclamant de lui [...] mais une session de travail entre historiens choisis pour leur compétence, dans le souci d'éclairer une personnalité située à une époque, sans vouloir conforter ou cautionner les activités et orientations des familles religieuses" (Ch. EHLINGER, dans la Présentation du volume des actes du Colloque).
Ouvert au public, il permit des échanges non seulement entre historiens mais entre ceux-ci et l'auditoire. A ce point de vue, il fut, comme l'a dit l'un d'entre eux, "une première" à laquelle les uns et les autres trouvèrent leur compte.
On lira ci-dessous les impressions d'un des participants assomptionnistes. Nous en soulignons la dernière phrase : "Pour les historiens le P. d'Alzon est sorti grandi de l'aventure. Et pour nous il est redevenu un puissant appel pour les valeurs qu'il a vécues et leur renouvellement en nous."
"Aimez-vous Emmanuel d'Alzon ?" C'est le titre qu'on pourrait mettre en tête d'affiche du Colloque des historiens des 4-6 décembre à Paris. C'est en effet la question que murmurait dans nos cœurs une voix de plus en plus forte à mesure que se suivaient les conférences. On était venu avec curiosité certes, mais aussi avec une expectative réservée devant ce qui pourrait être un sérieux "décapage" d'historiens. Nous sommes repartis enthousiastes et le cœur chaud après avoir renoué connaissance avec le P. d'Alzon, tel qu'il fut en son temps mais qui nous interroge et nous inspire aujourd'hui par tout ce qu'il fut et a fait.
Mon propos n'est pas de résumer un travail aussi dense mais de livrer à chaud quelques impressions pour les partager fraternellement avec ceux qui n'eurent pas la même chance que nous !
Surprise tout d'abord de constater l'intérêt manifesté par ces sommités universitaires (Paris, Montpellier, Lyon, Besançon, etc.) à une personnalité que nous croyions simplement être une figure de famille ! Non, le P. d'Alzon, manifestement, avait une stature publique et appartenait à l'histoire nationale du catholicisme français du XIXe siècle.
Surprise encore de voir des historiens de métier analyser avec passion la vie d'un homme engagé dans des luttes, des événements, des créations que nous connaissions déjà. Mais ce que nous classions dans le passé, tout près de l'oubli, ce que nous avons laissé dormir depuis des décennies sous prétexte que c'était d'un autre temps, nous était restitué par un regard extérieur avec la saveur toute fraîche et la vigueur d'une histoire vivante qui nous marquait encore, nous concernait et nous interpellait au plus profond de nous-mêmes.
Ne me demandez pas comment ! C'est un peu la magie de l'histoire bien faite. Car ces messieurs n'ont pas fait d'hagiographie ! La critique la plus rigoureuse était leur instrument. Rien n'était épargné par leur analyse décapante. Surtout pas de complaisance coupable ! Retrouver l'homme tel qu'il était, situé, avec ses partis pris, ses combats risqués ou ambigus, ses qualités, ses limites... ainsi le veut le métier d'historien.
Mais plus on voyait l'homme inséré dans les préoccupations et les luttes du XIXe siècle, en un sens très éloignées des nôtres, plus on le voyait grandir et devenir proche de nous. C'était le paradoxe de l'histoire. Comme l'a dit, en concluant, M. Poulat : "Mettre les choses et les gens pleinement dans leur temps est la meilleure façon de les rendre présents à nous."
J'ai mieux compris ce que voulait dire l'adage des historiens : "L'histoire n'est pas du passé mort, c'est de la pensée vivante qui concerne chacun d'entre nous."
Mais pour en arriver là, il faut y mettre le prix ! Et ce prix à payer consiste à s'armer d'une méthode rigoureuse : recherche des documents de première main certes, mais aussi conscience aiguë du conditionnement de l'historien par sa propre culture, élucidation de ses postulats et hypothèse de travail, délimitation des limites de son champ d'investigation et de la validité (partielle) de son discours, conscience du piège des mots et du danger d'anachronisme, de la distance par rapport au passé, etc. [...]
Les analyses pouvaient être décapantes. Mais en fait la "mémoire vivante" dans la salle réagit très bien à ce travail de vivisection. Elle eut même le sentiment merveilleux de retrouvailles avec un P. d'Alzon dans lequel elle trouvait ses racines.
Pour terminer, il faut dire que les historiens étaient aussi enchantés que nous. Ils travaillent, disaient-ils, sur la mémoire vivante d'autrui. Ils la fouillent du scalpel de l'analyse critique pour voir comment elle opère et interprète ce qu'elle vient de vivre. Ayant cette mémoire devant eux dans la salle, ils craignaient qu'elle ne se rebiffe.
Le Père Général a, je crois, exprimé le sentiment de tous en déclarant : "Le P. d'Alzon n'a pas à craindre le décapage des historiens. Il est assez grand pour s 'arranger avec eux !". Il s'est en effet bien expliqué. Pour les historiens il est sorti grandi de l'aventure. Et pour nous il est redevenu un puissant appel pour les valeurs qu'il a vécues et leur renouvellement en nous.
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1. Par rescrit du 4 juillet 1958, signé du cardinal Cicognani, préfet de la Congrégation (253-13/958).
2. Le P. A. COLETTE en a cité un choix dans Pages d'Archives, II, p. 271-280 (mai 1958).
3. Positio super Introductione Causae : Sunmarium (1943), n° XVIII, p. 137-149
4. Responsio ad animadversiones, n°12, p. 11-13
5. Summarium suppletivum (1954), § 13, p. 165; § 24, p. 170
6. Informatio (1954), n° 146-150, p. 102-105
7. Responsio ad animadversiones (1955), n° 8-10, p. 7-10.
4. Responsio ad animadversiones, n° 12, p. 11-13.
5. Circulaire n° 7 du 5 novembre 1881 (F. PICARD, Circulaires, l, p. 29-30.
6. Summarium, n° XIX, p. 150-160.
7. Summarium suppletivum, p. 282-295.
8. Le Serviteur de Dieu, Emmanuel d'Alzon, 1810-1880, p. 55-103, Paris, 1961.
9. Principalement Voulez-vous ? (scolasticat de Layrac) et L 'Echo de Saint-Maur (alumnat de Saint-Maur).
10. Voir P. TOUVENERAUD, Emmanuel d'Alzon, Bibliographie, p. 18-19 et 21-22, Rome, 1979.
11. Les plus importantes seront citées dans la bibliographie figurant à la fin de ce volume.
12. Voir notamment Summarium suppletivum, p. 296-302 et Pages d'Archives, II, p. 255 et 280-286. Pour les recueils commémoratifs publiés à ces occasions voir P. TOUVENERAUD, Bibliographie, p. 31-35.
13. Selon l'expression du P. Alexis Dumazer, supérieur du collège, dans une lettre au P. Picard du 2 février 1892 où il rend compte de ce transfert. "Voici notre chapelle, écrit encore le P. Dumazer, devenue en quelque sorte le rendez-vous des âmes pieuses qui ont connu les vertus de notre Père. Nous serons bien heureux si ce Père vénéré dont la présence dans le ciel ne fait pas de doute à nos yeux, y manifeste la puissance de son intercession auprès de Dieu par des grâces de choix et, disons le mot, par des miracles. Nous le lui demanderons par des prières ferventes, et nous le prierons surtout de nous animer de son esprit et de nous communiquer son zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes." Cette lettre a été publiée dans Souvenirs n° 95 du 11 février 1892, p. 867-871.
14. Sur les transferts de 1942, voir la lettre circulaire de Mère M.-Michael du 9 novembre 1942.
15. Le procès-verbal de cette cérémonie a été publié dans le Bulletin officiel de l'Assomption, IV, n° 1 (juin 1965), p. 38-43, et un récit de la journée dans Assomption 65, p. 12-19.
16. En voici la teneur : "Seigneur Jésus, roi du ciel et de la terre, qui avez suscité le P. Emmanuel d'Alzon pour être ici-bas le propagateur de votre règne, le défenseur de vos droits et le père d'une famille vouée à votre service, daignez, nous vous en supplions, glorifier votre serviteur et nous accorder les grâces que nous implorons comme signe de la gloire que vous voulez manifester en lui."
17. Pour le détail de cette publication, voir TOUVENERAUD, Bibliographie , p. 23-28.
18. Sur ces deux ouvrages du P. Sage, ibid., p. 28-29 et 43.
19. Ibid. , p. 57-58 (thèses de scolarité) et p. 64 (revues de scolasticats).
20. Ibid., p. 29.
21. Les nouvelles constitutions furent approuvées par la S. Congrégation des Religieux le 8 décembre 1983.
22. Chapitre général de 1981, Ordonnances, p. 4-6.
23. Sur ces volumes voir TOUVENERAUD, Bibliographie, p. 17.
24. Paris, Le Centurion, 1980.
25. Après la fiche de lancement du P. Hervé Stéphan, supérieur général, ces Fiches d'Alzon 1980, dues à divers religieux assomptionnistes et religieuses Oblates de l'Assomption, abordèrent successivement : La foi du P. d'Alzon, La mission, La prière du P. d'Alzon, La communauté a.a. , le P. d'Alzon et les pauvres, Le célibat évangélique et La Vierge Marie. Elles s'échelonnent du 2 juillet 1978 au 21 novembre 1980. Une 9e fiche, hors-série, intitulée Un aristocrate entre en sainteté est datée du 25 mars 1981.
26. L'édition française du bulletin interne de la congrégation Informations les présente brièvement dans ses n° 84, 85 et 86 de mai, septembre et novembre 1980.
27. Les Actes du Colloque furent publiés en 1982 (voir la bibliographie à la fin de ce volume). A cet ouvrage il convient d'ajouter une série de monographies consacrées au P. d'Alzon à l'occasion du centenaire : on en trouvera également la liste dans la bibliographie.