CHAPITRE VIII
L'ABBE D'ALZON AU SERVICE DU DIOCESE DE NIMES
(1835-1845)
Dès son retour en France et malgré les appels de ses amis de Paris, l'abbé d'Alzon demeure fidèle à sa décision d'être au service de son diocèse d'origine, celui de Nîmes où il devait rester jusqu'à sa mort.
Après avoir précisé la situation canonique qui lui fut faite par l'Ordinaire du lieu (A), nous exposerons les diverses activités apostoliques du jeune prêtre, de 1835 à 1845 (B), date à laquelle il est devenu le fondateur d'un nouvel institut religieux.
A la documentation des archives de l'Assomption s'ajoute celle des archives du diocèse, mises en valeur dès avant la mort du P. d'Alzon par les biographes des évêques de Nîmes : Vie de Mgr de Chaffoy (+1837) par le chanoine COUDERC DE LATOUR-LISSIDE, Nîmes, 1856, 2 vol., 414 et 500 p.; Vie de Mgr- Cart (+ 1855) par l'abbé BESSON (futur évêque de Nîmes), Besançon, 1856, 456 p.; et, après la mort du P. d'Alzon, par ses biographes : le P. E. BAILLY, Notes et documents, vol. II, Cinquième période 1835-1844, Paris, 1900, 718 p.; et le P. S. VAILHE, Vie du P. d'Alzon, vol. I, chap. X-XVII, p. 205 à 374, Paris, 1926.
Dans son édition des lettres du P. d'Alzon, le P. S. Vailhé signale une grosse lacune : quelque 55 lettres seulement pour les années 1836-1843. Sans doute l'abbé d'Alzon eut-il moins de loisir pour écrire que lorsqu'il était étudiant, et sans doute encore, écrivit-il bien des lettres d'affaires appelées à disparaître plus rapidement. Mais nous savons aussi que certains éléments de sa correspondance furent fortuitement et même volontairement détruits par quelques-unes de ses dirigées. Mère Marie-Eugénie lui avoue qu'une personne, reçue par charité et renvoyée, avait jeté au feu, pour lui faire de la peine, avec les lettres de sa mère, celles qu'elle avait reçues de l'abbé d'Alzon de 1841 à 1843. Sr Marie-Thérèse de Jésus, carmélite, dirigée par lui de 1837 à 1845, Sr Emmanuel Frémiot, visitandine, dirigée par lui de 1838 à 1853, avouent au P. Emmanuel Bailly avoir détruit les lettres du P. d'Alzon(1).
Cette lacune peut être heureusement compensée par d'autres sources d'information que nous utiliserons.
A
SITUATION CANONIQUE DE L'ABBE D'ALZON
De 1835 à 1845, l'abbé d'Alzon va se trouver sous l'obédience de Mgr de Chaffoy jusqu'à sa mort en 1837, et sous celle de son successeur Mgr Cart, vivant entre-temps avec le clergé local la vacance du siège de Nîmes, d'octobre 1837 à février 1838.
1. Sous l'obédience de Mgr de Chaffoy (juillet 1835 - septembre 1837).
En route vers Lavagnac pour un temps de vacances auprès des siens, l'abbé d'Alzon venant de Rome, s'arrête à Nîmes où, le 5 juillet 1835, il promet obéissance à Mgr de Chaffoy, évêque de son diocèse d'origine (2). Dans une lettre à son ami d'Esgrigny, dont la rédaction s'étale sur un mois, du 13 juillet au 15 août, il révèle ses sentiments intimes quant à l'avenir de son apostolat, et malgré cette incertitude, se dévoue auprès de ses compatriotes de Montagnac, éprouvés par le choléra et devant célébrer la fête de l'Assomption (v. infra 1).
Lorsqu'il apprend que l'évêque de Montpellier tente de l'attirer dans son diocèse, il a la franchise d'en avertir Mgr de Chaffoy qui lui renouvelle toute sa confiance en offrant à son zèle apostolique la liberté de choix pour une pleine insertion dans le service du diocèse (v. infra 2). Ce même sentiment de confiance dans la valeur du jeune prêtre incite Mgr de Chaffoy, et malgré l'ombrage qu'on pourrait en prendre dans le clergé local, à lui décerner les titres de chanoine honoraire et de vicaire général honoraire, le 8 novembre 1835(3). Dès lors, l'abbé d'Alzon assiste chaque semaine au Conseil épiscopal.
Mais l'évêque, âgé de plus de 80 ans, est frappé de paralysie une première fois, le 9 novembre 1835 et, une seconde fois, le 26 septembre 1837. Il meurt le 29 septembre, veillé par son vicaire général, l'abbé d'Alzon, qui accepta de prononcer l'oraison funèbre de l'évêque défunt : "Ce fut ma jeune main, dit-il, qui s'éleva une dernière fois sur ce front vénérable pour prononcer la sentence du pardon et de la miséricorde (4)."
2. Vacance du siège épiscopal de Nîmes (octobre 1837 - février 1838).
Mis en avant comme vicaire capitulaire, l'abbé d'Alzon crut ne pas devoir accepter et le Chapitre nomma le chanoine Sibour, futur archevêque de Paris. A part lui, il alerta le cardinal Micara pour obtenir du Saint-Siège une excellente nomination (v. infra 3).
Par son savoir-faire, il évita que des mécontents n'obtiennent l'expulsion du Vicaire général Laresche que Mgr de Chaffoy avait amené avec lui dans le diocèse et dont il voulait faire, depuis sa maladie, son coadjuteur. Il réussit à le persuader d'avoir à se retirer de lui-même (v. infra 4).
3. Sous l'obédience de Mgr Cart (12 février 1838 - 13 août 1855).
Mgr de Chaffoy eut pour successeur, le 12 février 1838, Mgr Cart. Le nouvel évêque de Nîmes était né à Mouthe, dans le Doubs, le 31 août 1799, et avait été directeur de Séminaire, supérieur de communautés religieuses et plusieurs fois nommé vicaire général.
En juillet 1838, il arrive à Nîmes, âgé de 38 ans, sans vicaire général ni secrétaire et garde les vicaires généraux de son prédécesseur : Liron d'Ayrolles et Boucarut. Le premier, oncle de l'abbé d'Alzon, mourut peu après. Ce n'est que le 29 janvier 1839, après six mois d'hésitation par crainte de froissements, que Mgr Cart présenta à l'agrément du roi Louis-Philippe la nomination de l'abbé d'Alzon au poste vacant de vicaire général. L'ordonnance royale est datée du 4 mars et le décret épiscopal du 14 mars(5).
Mgr Cart savait fort bien quel contraste offrait son tempérament avec celui de son nouveau vicaire général, mais l'estimait "homme de Dieu et homme capable" (v. infra 5 a). Craintif, hésitant, il apparaissait timide, froid, peu ouvert, quoique affable dans l'intimité. L'abbé d'Alzon en souffrit, mais en rendant hommage à la profondeur de son cœur de prêtre et de pasteur (v. infra 5 b), et avoue n'avoir été à l'aise avec son évêque qu'après avoir eu l'occasion de le rencontrer en toute simplicité lors d'un voyage fait ensemble en Franche-Comté (v. infra 6).
B
ACTIVITES APOSTOLIQUES DE L'ABBE D'ALZON
II ne peut s'agir ici d'illustrer les activités apostoliques de l'abbé d'Alzon de 1835 à 1845, mais seulement, après en avoir évoqué la multiplicité sur la base des biographies que nous avons signalées, de montrer par des textes son dévouement dans le cadre d'œuvres qu'il crée ou auxquelles il collabore : service administratif du diocèse, ministère de la prédication, œuvres de formation de la jeunesse, œuvres de charité envers les pauvres et les plus démunis, direction spirituelle, etc. - Apôtre, sa manière à lui est de se dépenser sans compter et de susciter des âmes apostoliques.
1. Le service administratif du diocèse.
Vicaire général, l'abbé d'Alzon se met à la disposition de son évêque pour l'administration du diocèse. Il participe au Conseil épiscopal et regrette que la régularité des séances se soit détendue sous Mgr Cart. Il accompagne son évêque dans des visites pastorales. En accord avec lui, des succursales paroissiales furent créées dans les contrées de montagnes délaissées; des écoles chrétiennes ouvertes et des communautés religieuses établies : pension de l'abbé Vermot à Nîmes, en 1838 ; écoles des Frères au Vigan, en 1840 ; des Ursulines à Sommières, en 1842 ; des Sœurs des Vans à Bouillargues, des Sœurs de Saint-Joseph à Nîmes, entre 1841 et 1843, etc. (6).
Soucieux de la formation spirituelle et doctrinale du clergé, il assure des retraites aux séminaristes de Montpellier, en 1837, et de Nîmes, en 1840 (v. infra 12), et souhaiterait que le goût de l'étude soit entretenu par des examens après l'ordination (v. infra 10).
Toujours en rapport avec le P. Olivieri, commissaire du Saint-Office, il lui soumet des consultations théologiques sur des questions d'actualité ou de pastorale (spiritisme, taux usuraire, mariages mixtes). Par une lettre officielle, il déconseille toute souscription pour une édition de la Bible sujette à caution(7).
Les œuvres diocésaines : Caisse de secours pour les prêtres âgés, Œuvre de la Propagation de la Foi, Association du Très Saint et Immaculé Cœur de Marie, etc., sont l'objet de son attention et de son dévouement(8).
2. Le ministère de la prédication.
L'abbé d'Alzon se réjouissait d'avoir trouvé à Nîmes "une carrière autrement belle que celle d'administrateur". Il pouvait travailler à "la conversion des hommes et des protestants" (v. infra 4). Le ministère de la prédication, auquel il s'était préparé et qui correspondait au but de sa vie : présenter et défendre la foi, le trouve toujours disponible. Il se veut proche de son auditoire, et, dès le début, se refuse à prêcher des discours de rhéteurs (v. infra 1). S'il improvise, c'est sur l'acquis de fortes études et en sollicitant des critiques autorisées (v. infra 7, e).
Relevons seulement les stations d'Avent et de Carême : Carême pour la paroisse de Saint-Paul (Nîmes 1836), Avent pour la paroisse de Saint-Charles (Nîmes 1836), Carême pour la paroisse de Sainte-Perpétue (Nîmes 1837), nouvel Avent à Nîmes en 1837, Avent pour la paroisse de Saint-Baudile (Nîmes 1838), Carême pour la paroisse de Saint-Charles (Nîmes 1839), Carême pour la paroisse de Saint-Baudile (Nîmes 1841), Avent dans la cathédrale de Nîmes (1841), Carême pour la paroisse de Saint-Charles (Nîmes 1843), Carême à Alès en 1844(9).
L'abbé d'Alzon a le courage et l'énergie de sous-tendre ce ministère d'une vie d'étude, dont il reconnaît la nécessité (v. infra 7 b). Nous avons encore ses notes manuscrites sur des ouvrages parcourus, et quelques-uns de ses travaux publiés : Etudes sur saint Jean Chrysostome, Les Stromates de Clément d'Alexandrie, La connaissance de Jésus-Christ ou le dogme de l'Incarnation envisagée comme la raison dernière et suprême de tout ce qui est (compte rendu de l'ouvrage de l'abbé Combalot) (10).
3. Les œuvres pour la formation de la jeunesse.
Durant ses études, l'abbé d'Alzon avait toujours manifesté de l'intérêt pour la jeunesse et il gardait le souvenir des expériences qu'il avait vécues à Paris (Cf. Ch. III, IV, V, VII).
La première œuvre dont il se chargea fut celle d'un Cours d'instructions pour le catéchisme de persévérance de Nîmes, commencé le 10 janvier 1836(11), pour les grands élèves du collège royal avec la participation des élèves des Frères, d'autres jeunes gens et même des adultes, hommes et femmes. Des vocations sacerdotales s'y révélèrent : abbé Barnouin, abbé Goiffon(12).
Dans le même but, il crée, à côté de la Société de Saint-Stanislas, patronage pour les enfants des classes laborieuses, la Société de Saint-Louis-de-Gonzague, pour les enfants des classes dirigeantes. Les deux patronages se présentaient comme une Association de préparation et de persévérance (avant et après la première Communion) et fusionnèrent plus tard pour constituer l'Œuvre de la jeunesse(13).
Dès la fin de 1837, l'abbé d'Alzon peut dire qu'il est "à peu près maître de tous les enfants de Nîmes de 12 à 15 ans et qu'avec le temps il espère étendre son influence sur les plus avancés" (v. infra 4).
4. Les œuvres pour la formation des adultes.
Dès l'hiver 1836-1837, à l'exemple des Conférences de la Pension Bailly(14), l'abbé d'Alzon donne tous les lundis des conférences sur la philosophie et la religion, tandis que l'abbé Sibour donne le jeudi des conférences littéraires. Elles s'adressaient aux jeunes gens déjà engagés sur le plan humain et chrétien. Dans un climat de ferveur et d'amitié, on reprenait les fondements de la foi, on remettait sur pied la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul, on rêvait même d'établir un Institut laïc sous forme de Tiers-Ordre (v. infra 13 a). Ces réunions devinrent un lieu de conversion et une pépinière de vocations (v. infra 13 b, c). Deux jeunes professeurs dans l'enseignement d'Etat, Germer-Durand et Monnier, ramenés à la foi par l'abbé d'Alzon (v. infra 8), et appelés à devenir ses collaborateurs pour l'œuvre de l'Assomption, apprécièrent plus que quiconque cette œuvre de l'abbé d'Alzon.
Pour les milieux pauvres de Nîmes, avec la collaboration des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, l'abbé d'Alzon, après avoir ouvert des écoles gratuites pour les enfants, créa un centre de formation d'institutrices et organisa une école d'adultes, dite école du matin. Il s'agissait de donner l'instruction élémentaire, humaine et chrétienne que ces femmes, ouvrières et domestiques, ne pouvaient acquérir; leur travail quotidien les obligeait même à y venir dès 5 heures du matin, et chaque mardi, l'abbé d'Alzon célébrait la messe et commentait l'Evangile. Des vocations religieuses se firent jour en ces milieux pauvres et délaissés jusqu'alors(15).
5. Les œuvres de miséricorde.
Dès 1815, avait été fondée à Nîmes une Providence ou asile pour les enfants pauvres et orphelins, que Mgr Cart confia à l'abbé d'Alzon à la mort de son oncle Liron d'Ayrolles (v. infra 2). Cette œuvre était patronnée par une Association dite des Dames de la Miséricorde, personnes aisées dans le monde, auxquelles l'abbé d'Alzon eut le souci d'assurer une formation foncièrement chrétienne, par de fréquentes instructions(16). En 1839, l'Association compte 142 membres actifs et 70 agrégés.
Agé de 25 ans, et mis en présence de détresses morales, l'abbé d'Alzon voulut doter la ville de Nîmes d'un Refuge. Il s'assura l'autorisation de son évêque, Mgr de Chaffoy, et la collaboration d'une Congrégation fondée à cet effet par le chanoine Féret, de Limoges, qu'il avait eu l'occasion de connaître à Rome. Le 15 août 1836, une circulaire épiscopale est adressée au diocèse et l'abbé d'Alzon se fait quêteur pour cette œuvre (v. infra 7 b). "Allez, mon cher enfant, lui avait dit son vieil évêque, tous les fondateurs sont des fous, et vous en avez bien le caractère." En janvier 1837, la Supérieure générale des Servantes de Jésus-Christ, dites Sœurs de Marie-Thérèse, établit, rue de Beaucaire, le Refuge qui reçoit dès le mois de mars ses premières pénitentes. En octobre 1844, l'œuvre est transférée par l'abbé d'Alzon rue des Fours à Chaux, avec 45 pénitentes, dont certaines forment un groupe de Madeleines. Impressionnée par la vertu de l'abbé d'Alzon, Mère Marie de Jésus se place sous sa direction spirituelle jusqu'à sa mort, en décembre 1842 (v. infra 9 a et b).
Non seulement l'abbé d'Alzon aide l'œuvre locale de ses générosités et de son action spirituelle(17), mais il prend soin de la Congrégation même qui passe, de 1840 à 1843, par une période de tiraillements intérieurs (18).
Dès 1835, une Conférence de Saint-Vincent-de-Paul avait été établie à Nîmes. En 1840, sous l'influence de Monnier et la direction de l'abbé d'Alzon, la Conférence, qui était tombée en léthargie, reprend vie, comme en témoignent les 105 procès-verbaux de ses séances(19), où nous voyons l'abbé d'Alzon prendre la parole et parler de la nécessité de l'apostolat des laïcs en leur propre milieu et auprès des plus pauvres (v. infra 11, 13 b, c). D'autres Conférences s'établirent à Montpellier et à Alès, avec l'approbation et la coopération spirituelle de l'abbé d'Alzon. Celle de Nîmes eut une bibliothèque populaire placée sous la protection de saint François de Sales(20).
6. Le ministère des confessions.
De la correspondance de l'abbé d'Alzon, il ne nous reste pour cette période que vingt-trois lettres de direction, mais nous avons encore cinq longs manuscrits rédigés après sa mort par quelques-unes de ses filles spirituelles, dont Mère M. Eugénie.
Avant même de conduire vers la sainteté les âmes généreuses, l'abbé d'Alzon donnait à quiconque le lui demandait le sacrement de pénitence, soit au terme de ses stations d'Avent et de Carême, soit à la moindre occasion (v. infra 7 a, c). Aux pénitents qui revenaient à Dieu, il offrait, avec son amitié, le soutien de sa prière et de son dévouement : Monnier et Germer-Durand sont des exemples laïques, mais ils nous disent que des vocations sacerdotales et religieuses s'éveillent au contact de l'abbé d'Alzon (v. infra 8, 13 b et c).
Il en va de même avec le monde féminin, sans l'ombre du moindre soupçon. Mère Marie-Eugénie, sa dirigée par excellence, le dira à sa mort : "Comme directeur, comme confesseur, quel amour prédominant de la pureté il inspirait aux âmes(21) !" De même, le baron de Champvans, ancien préfet du Gard et très lié avec le P. d'Alzon, écrira lui aussi : "Ce grand cœur possédait les deux qualités maîtresses aux yeux de Dieu et qui effacent toutes les imperfections : la virginité et le détachement(22)."
Au terme de ses dix premières années de sacerdoce et avant de fonder l'œuvre de l'Assomption, l'abbé d'Alzon connaît par expérience la nécessité et les difficultés de l'administration, les joies et les épreuves de l'apostolat; mais nous devinons, à travers sa correspondance et les dires des témoins de sa vie, qu'il y a mis toutes ses forces vives, à défaut de ses grands projets d'avant le sacerdoce. Dès le début, il a voulu vivre pauvrement, refusant l'équipage avec livrée et armoiries, ouvrant sa porte et sa table à tous ceux qui avaient besoin de son appui et même de son pain : "Mon fils, disait sa mère, me coûte plus que deux vauriens(23)."
A l'occasion il parle de sa santé, mais non pour se plaindre ou être plaint (v. infra 14), et il sait bien "la difficulté qu'ont les gens les mieux intentionnés à faire le bien". Son naturel ardent, généreux, loyal, pouvait provoquer des blocages qu'il était le premier à reconnaître et à surmonter si l'occasion s'en présentait. Ainsi en fut-il avec Mgr Cart (v. infra 6 et 7 d).
1
Lettre de l'abbé d'Alzon à d'Esgrigny, Lavagnac les 13 et 30 juillet, 9 et 15 août 1835.- Orig.ms. ACR, AB 141; V., Lettres, I p. 652-854.
Ecrivant à son ami d'Esgrigny, l'abbé d'Alzon, qui vient de promettre obéissance à son évêque, vit un moment de vacances à Lavagnac, dans l'incertitude de l'avenir immédiat de son apostolat ; mais à Lavagnac, il se met au service de la paroisse frappée par le choléra et prépare la population à la célébration de la fête de l'Assomption. Très pris par ce dévouement, il s'excuse d'étaler la rédaction de sa lettre sur plus d'un mois.
Le 13 juillet 1835.
Je suis prêtre, et vous ne sauriez croire combien me pèse ma volonté, depuis que j'ai promis obéissance à mon évêque.
Je prévois que je serai passablement vexé. Mes projets sur les protestants sont entièrement détruits. J'ignore absolument ce que je ferai dans quinze jours. Mon désir serait d'aller étudier quelque temps à Paris, ou en Allemagne, ou en Angleterre. Le pourrai-je ? A peu près positivement non. Que fera-t-on de moi ? Je l'ignore. Au milieu de cette incertitude, qui, certes, a pour moi des moments de grand ennui, je tâche de me jeter aveuglément entre les bras de la Providence et de réprimer certains murmures qui viennent agiter mes lèvres. Ayez pitié de moi, mon bon ami; plaignez-moi d'être si faible et si impatient, si lâche pour la grande cause qui m'est préparée, si téméraire de me croire bon à quelque chose.
Le 30 juillet
Obligé d'interrompre cette lettre, je la reprends pour vous dire que nous sommes enveloppés par le choléra. J'ai offert mes services aux prêtres de la paroisse sur laquelle nous habitons; ils m'ont promis de m'appeler quand le moment serait venu.
Le 9 août
Je suis vraiment bien coupable envers vous, mon cher ami, et cependant j'espère que vous me pardonnerez, quand vous saurez que je me suis chargé de prêcher huit instructions pour préparer les gens de la paroisse, près de laquelle nous habitons, à la fête de la Sainte Vierge et au choléra, et que j'ai eu à peine une semaine pour me préparer. Hier, j'ai donné le premier exercice. Je suis un peu fatigué, parce que, ne voulant pas parler pour la première fois en chaire, je suis resté à l'autel et, pour me faire entendre, j'ai été obligé de crier comme un sourd. Je ne puis vous dire avec quelles impressions j'ai commencé ce nouveau genre de ministère. Ma résolution bien formelle jusques à présent, est de ne jamais prêcher de discours de rhéteur.
Le 15 août
Pour vous reparler de ce triste choléra, sachez que je ne suis pas encore mort et que j'espère que Dieu aura pitié de la paroisse, où j'ai prêché. J'ai distribué ce matin la communion à près de 250 personnes. C'est énorme, si l'on considère que les travaux de la campagne absorbent les moments du peuple, dans la saison où nous sommes. Je n'ai pas tant donné des sermons que des conférences. On en a été content.
2
Lettre de Mgr de Chaffoy, évêque de Nîmes, à l'abbé d'Alzon, juillet 1835. - V., Lettres, II, Appendice, p. 427-428(24).
De Lavagnac, l'abbé d'Alzon, par l'intermédiaire de son oncle Liron d'Ayrolles, vicaire général, redit à Mgr de Chaffoy son obéissance et sa disponibilité. L'évêque de Nîmes lui renouvelle alors sa décision de le garder dans son diocèse où il l'assure de toute sa confiance, en essayant de prévenir même ses intentions apostoliques.
Votre lettre, Monsieur l'abbé, m'a fait le plus grand plaisir; vous m'y renouvelez votre promitto, et moi je renouvelle à Dieu dans celle-ci mon grate accipio. Voilà donc un contrat synallagmatique passé, ratifié entre nous et que la volonté de Dieu seul dissoudra. Je suis surpris que M. N..., homme si estimable, ait cru pouvoir engager Mgr l'évêque de Montpellier à l'annuler. Je suis aussi surpris que dès votre arrivée dans son diocèse, il ait consenti à des démarches qui seraient une mauvaise preuve de bon voisinage.
Je sais que l'on veut me proposer des échanges. J'y répondrai comme Naboth : "Vive Dieu ! Jamais je ne céderai la vigne qui me vient de lui pour quelque autre, quelque meilleure qu'on me la vante."
Je crois à l'action de la Providence sur tout ce qui arrive dans ce monde. C'est non seulement la foi de l'Eglise, mais c'est ma ressource, ma consolation et toute ma confiance. Certes, ce n'est pas le hasard qui a placé votre naissance dans le diocèse de Nîmes et qui vous a donné la vocation de devenir prêtre. Quand il vous a rendu Nîmois, puis prêtre, je crois qu'il a entendu que vous fussiez prêtre nîmois. Venez donc aider à ce pauvre diocèse de Nîmes, que Dieu protège spécialement, je ne peux en douter, quand je vois tout le bien qu'il y a fait. Venez aider à un pauvre vieillard à porter un poids bien lourd pour des épaules plus qu'octogénaires. Nous travaillerons ensemble, nous nous aiderons, nous nous encouragerons à servir Dieu de notre mieux. Vous aurez ici à concourir à un grand nombre de bonnes œuvres. Monsieur votre oncle dirige une Société de dames, dites de la Miséricorde, qui se livrent au soin des pauvres. Sa santé a souffert beaucoup ces derniers temps; il va mieux maintenant, mais il a besoin d'aide. Un de vos compatriotes, M. de Tessan, est chargé de la conduite d'une maison d'orphelines, dite de la Providence, où se trouve une petite école de sourdes-muettes qu'il instruit. Déjà j'ai eu le bonheur de donner la communion et la confirmation à plusieurs. Il est fort valétudinaire et a besoin de secours.
Vous aurez place au chœur de la cathédrale avec le titre de chanoine honoraire. Vous fréquenterez le Séminaire tant qu'il vous plaira. Si vous vous sentiez disposé à travailler pour la chaire, vous pourriez faire quelques prônes ou sermons dans notre cathédrale. Vous pourriez ainsi, en attendant le moment de vous livrer à d'autres travaux, y étudier la théologie. Il y a, à l'évêché et au Séminaire, deux bibliothèques assez nombreuses. Le supérieur de notre Séminaire est un très bon théologien; le professeur de morale est aussi très instruit, rempli de talent et d'un caractère très heureux.
Dans tout ceci, je n'ai qu'un regret, celui de vous éloigner un peu du sein de votre respectable famille à laquelle je serais si heureux de prouver mon respect, mon dévouement et mon empressement à faire quelque chose qui pût leur être agréable. Mais ils ont eu la force de vous céder à Dieu qui a voulu vous convier à lui; ils seront certainement disposés à recueillir encore de nouveaux mérites en consentant à un léger éloignement d'eux par votre résidence à Nîmes.
3
Lettre du cardinal Micara à l'abbé d'Alzon, Rome 3 novembre 1837. -Orig.ms. ACR, EA 294.
Pour agir en toute prudence pendant la vacance du siège épiscopal de Nîmes, l'abbé d'Alzon avait écrit au cardinal Micara afin qu'il favorise à Rome la nomination d'un digne successeur à Mgr de Chaffoy. Le cardinal Micara le remercie de sa confiance, promet de faire tout ce qu'il pourra à Rome, encore que la nomination des évêques dépende pour une part du gouvernement dont on ferait bien de sonder les intentions. L'abbé d'Alzon, jeune vicaire général, a bien fait de ne pas accepter la charge de vicaire capitulaire.
Mio caro Emmanuele,
Rispondo. all'ultima vostra lettera, nella quale mi parlate della morte del Vescovo e dell’elezione del Successore, argomento della più grande consequenza. Dal mio canto, io procurerò quanto posso, che qui siano vigilantissimi sulla persona, che sarà proposta, e ne parlerò a chi si conviene con calore ed impegno. Mi piacerebbe però, che ancor voi e qualcun altro si maneggiassero presso il Governo per non lasciar libero il campo agl’intriganti e ai nemici come sarebbe della più grave necessita, che i Vescovi di Francia ed altre autorevoli persone facessero avvertita la S. Sede del disegno, che ha concepito il Governo di protestantizzare la Francia, come tentano di eseguire altri Governi ancora. Importa assai di mettersi in guardia sù questo articolo, che ha per oggetto uno stupido indifferentismo.
Voi avete fatto bene a ritirarvi dall'ufficio di Vic[ario] Capitolare, perché i momenti sono pericolosi. Potrete fare del bene in altra maniera, e in altro tempo. Fatevi coraggio, e pregate per noi, che sono diventato Vescovo nella mia Patria, come saprete, ed ho per questo bisogno di maggiori misericordie.
C[ardinale] M[icara]
4
Extrait de la lettre de l'abbé d'Alzon à d'Esgrigny, Nîmes le 26 décembre 1837. - ACR, AC 14; V., Lettres, II p.. 26-28.
Fidèle à ses amis de Paris, l'abbé d'Alzon s'excuse auprès de d'Esgrigny de ne pouvoir lui écrire souvent. Puis, il parle des deux aspects de son ministère sacerdotal : - de son rôle de vicaire général, qui l'oblige parfois à conduire certaines affaires avec "diplomatie chrétienne", - et de son zèle apostolique auprès de la jeunesse de Nîmes, en attendant de pouvoir travailler à la conversion des hommes et des protestants.
Il me semble que Dieu ait voulu me laisser seul dans les circonstances les plus embarrassantes où je me sois trouvé de ma vie... Voici en deux mots la pensée qui m'a dirigé. Monseigneur mort, j'ai cru avantageux au diocèse et à M. Laresche que celui-ci se retirât(25). Une faction a voulu le faire partir par la force, mais j'ai fait ce que j'ai pu pour lui persuader, comme ami, qu'il devait se retirer. Cette position était délicate, parce que je pouvais passer auprès de M. Laresche pour un émissaire de ses ennemis, et, en m'attachant à la fortune tombée, je devais passer auprès d'anciens amis pour un déserteur. Je crois avoir assez bien suivi la ligne que je m'étais tracée. J'ai toujours hautement justifié M. Laresche des calomnies qu'on a répandues sur son compte; j'ai signifié que je ne me faisais pas le Don Quichotte de son administration; j'ai dit que M. Laresche avait une position bien plus avantageuse en ne revenant pas qu'en revenant, et pour qu'on ne me soupçonnât pas d'ambitionner sa place, j'ai signifié - ce qui est très vrai - que je ne voulais pas être grand vicaire. J'ai certes une carrière, à Nîmes même, autrement belle que celle d'administrateur. Il me semble que Dieu me fournit tous les jours les moyens de travailler à la conversion des hommes et des protestants. Que puis-je désirer de plus ? Je n'ignore pas que bien des obstacles restent à renverser; mais enfin toujours est-il que je suis à peu près maître de tous les enfants de Nîmes, de douze à quinze ans, et qu'avec le temps je puis espérer d'étendre [mon] influence sur les plus avancés. Chaque année, je gagne énormément. Je n'ai qu'un malheur, c'est que l'on me reproche de n'avoir pas un genre assez populaire. Il est vrai que l'on trouve aussi qu'il y a eu un grand progrès chez moi depuis l'année dernière.
5
Extraits de la Vie de Monseigneur Cart, évêque de Nîmes, par l'abbé Besson, Besançon, 1856
Nous reproduisons ici deux extraits de la Vie de Mgr Cart, évêque de Nîmes, écrite en 1856 par l'abbé Besson, futur évêque du même diocèse : le premier nous dit l'estime dans laquelle Mgr Cart tenait l'abbé d'Alzon, "homme de Dieu et homme capable"; dans le second, l'abbé d'Alzon rend à son évêque un témoignage d'égale estime pour trois avantages qui compensent, au dire de l'auteur, l'exagération de la prudence humaine imputable au caractère de cet évêque.
a)
Citation d'un extrait de lettre de Mgr Cart à l'abbé Thiébaut, datée de Nîmes, le 6 mars 1839. - Op. cit., p. 225-226.
J'attends tous les jours de Paris l'agrément du Roi pour les nominations que j'ai faites : celle de M. d'Alzon au poste de vicaire général; celle de M. Rainaud, curé de Sainte-Perpétue, au canonicat vacant et celle de M. Goubier, vicaire de la cathédrale, à la cure de Sainte-Perpétue. Que Dieu daigne bénir et agréer lui-même tous ces choix ! Je les ai arrêtés le jour de Saint François-de-Sales. Je me suis assuré, en particulier, que M. d'Alzon est un homme de Dieu et un homme capable. Voilà pourquoi il me convient; seulement il me poussera et moi je le retiendrai.
b)
Citation d'une réflexion de l'abbé d'Alzon faite à Mgr Cart au nom de son clergé. - Op. cit., p, 334-335.
Un de ceux qui le voyaient le plus souvent, traduisait ainsi les sentiments du clergé à son égard : "Monseigneur, vous pouvez avoir vos défauts, mais ils sont compensés par trois avantages : votre cœur est un tombeau pour les secrets, vous respectez vos prêtres comme personne ne les respecte et vous êtes un saint." Ces trois mots, dit M. d'Alzon, sont l'esquisse la plus nette de sa grande âme.
6
Extrait de la lettre de l'abbé d'Alzon à la Mère M. Eugénie, 30 septembre 1845. - Orig.ms. ACR, AD 372; V., Lettres, II p. 317-322.
Sur le point de prendre en mains le pensionnat de l'Assomption et d'y former les débuts d'une fondation religieuse, l'abbé d'Alzon a cru devoir dire à son évêque la façon dont il s'était comporté à son égard depuis le début de son épiscopat, - ceci, afin d'avoir l'agrément de Mgr Cart pour ses nouveaux projets apostoliques.
Voulez-vous que je vous conte la conversation que j'ai eue avec Monseigneur ? Elle fut longue, puisqu'elle dura une heure et demie. Je la lui avais demandée depuis quelques jours. C'était un dimanche soir, après Vêpres, ordre donné de ne laisser entrer personne(26).
J'entre dans son cabinet et je lui dis que je viens lui parler comme à mon évêque, presque comme à mon confesseur, mais aussi comme à mon ami. Ce début le toucha. Il me dit qu'il pensait, depuis quelque temps, que j'avais besoin d'un guide et que, l'archevêque de Lyon(27) devant passer sous peu par Nîmes, il avait eu l'idée de me proposer une conversation à" trois. "Monseigneur, lui répondis-je, je vous assure, que vous me suffisez. Lorsque j'ai été nommé par vous grand-vicaire, je fus un an à me dévouer à vous d'une manière absolue. Je fus, plus tard, dans la pensée que vous ne compreniez pas mon affection et que je m'étais trop avancé. Il en résulta pour moi une espèce d'irritation qui dura jusqu'à mon voyage de Franche-Comté, époque où je vous aurais offert ma démission du grand-vicariat, si, ayant consulté vos amis, M. Thiébaut et M. Doney(28), je n'avais vu qu'il fallait prendre comme un fait de votre nature ce que je croyais m'être personnel. Dès lors, Monseigneur, je me suis senti tout calmé, et mon affection pour vous (je ne lui dis pas ma confiance) est revenue la même." Ce bon saint homme fut très touché, et en effet, je lui parlais avec mon cœur. Il fut un peu stomaqué, quand je lui dis que j'avais fait vœu de ne pas accepter de dignité, à moins d'un ordre exprès du Pape(29). Je lui fis observer : 1° que le vœu n'était pas absolu; 2° que, supposé que l'on songeât à moi, je devais me conduire dans cette circonstance d'une manière tout autre que pour les positions ordinaires; que, pour faire mon choix et connaître la volonté de Dieu au sujet de l'épiscopat, le Pape seul pouvait être arbitre d'une manière absolue.
Alors j'entrai dans le développement de mes projets(30). Il les trouva contraires à mes goûts. "C'est, Monseigneur, repris-je, que ni mon tempérament ni mon caractère n'y sont pour rien." Il me fit observer que j'aurais bien de la peine à me contenir dans une maison. "Aussi, Monseigneur, veux-je seulement vous demander la permission d'essayer pendant un an. Je comprends, ajoutai-je, que vous ayez le droit de me défendre de rien faire. Je n'aurais qu'à obéir, sauf à revenir de temps en temps vous demander si, en consultant Dieu, il ne vous a pas inspiré de m'accorder la permission que je sollicite." Il fut convenu que j'essaierais tout doucement, et nous nous séparâmes plus que jamais amis.
7
Extraits de lettres de l'abbé d'Alzon à sa sœur Augustine, 1836-1840
Il est regrettable que les lettres échangées entre l'abbé d'Alzon et sa sœur Augustine se soient presque entièrement perdues. Nous citons quelques extraits des lettres de l'abbé d'Alzon qui nous soient parvenues et qui manifestent combien il est pris de tous côtés par son zèle apostolique, n'ayant le temps ni de soigner son écriture ni d'écrire longuement.
a)
Nîmes les 4 et 5 mars 1836. - Orig.ms. ACR, AC 1; V., Lettres, II p. 1-3.
L'abbé d'Alzon prêche le Carême dans l'église paroissiale de Saint-Paul de Nîmes et s'excuse de n'avoir pas le temps d'écrire(31).
4 mars
Comment peux-tu te plaindre que je ne t'écris pas ? Voilà que j'avais commencé ma lettre, et pendant deux heures j'ai été interrompu. Maintenant je reprends pour m'interrompre dans un moment encore, car je suis un peu fatigué, j'ai de l'office à dire, et je suis convaincu que demain j'aurai beaucoup plus de choses à te dire que ce soir, où je suis tant soit peu hébété.
samedi 5 mars
Ma chère amie, je n'ai pas eu un moment à moi depuis avant-hier, et je ne sais pas trop si on me laissera faire ces quatre lignes. J'attends quelques personnes qui doivent venir se confesser; j'ignore si elles me laisseront le temps de remplir ce papier. [...]
Pour moi, je ne sais plus écrire. Tu vois comme je griffonne : j'ai perdu la main.
b)
Nîmes, le 25 août 1836. - Orig.ms. ACR, AC 3; ibid. p. 5-8.
Le 15 août, dans une circulaire au clergé et aux fidèles du diocèse, Mgr de Chaffoy avait annoncé le prochain établissement à Nîmes d'une maison de Refuge pour les jeunes filles repenties. L'abbé d'Alzon dit à sa sœur la part qu'il y prend et regrette de n'avoir pas le temps d'étudier.
Je suis tout préoccupé de mon Refuge. On m'a fait quêter par la ville avec le curé de la cathédrale. L'histoire de nos aventures serait un roman fort curieux. Le monde des poltrons et des sots est horriblement grand.
Monseigneur se porte assez bien physiquement, mais le pauvre saint homme s'anéantit. J'ai une foule de choses à te dire à ce sujet, que je me garderai bien de t'écrire. Sais-tu que, depuis que je suis ici, je n'ai pas un moment à moi ? Cependant, j'en ai assez pour avoir le temps de songer que je n'étudie pas et que je ferai peut-être mieux à Lavagnac. Voilà la seule considération qui m'engagerait à revenir auprès de toi.
c)
Nîmes le 6 mars 1839. - Orig.ms. ACR, AC 16; ibid. p. 30-32.
L'abbé d'Alzon est en instance d'être nommé officiellement vicaire général de Mgr Cart, l'ordonnance du Roi étant datée du 4 mars et l'acte épiscopal de nomination du 14. Il informe sa sœur de la rumeur qui s'ensuit et lui parle encore de son ministère sacerdotal de prédications et de confessions.
Toute la ville sait enfin que je suis grand vicaire, et l'on me permet de n'en plus faire un mystère, quoique les ordonnances ne soient pas encore arrivées. On me fait des compliments de tous côtés. Je crois que les gens comme il faut en sont bien aise, que c'est un triomphe pour eux; le peuple voit aussi bien la chose, en général; les protestants seuls et cinq ou six prêtres sont mécontents. Nous savons positivement que l'ordonnance d'approbation paraîtra incessamment. Le ministère ne demandera certainement pas mieux, à ce que l'on m'a dit, et j'en suis enchanté, parce que, s'il y voit un bon calcul, je suis débarrassé de tout sentiment de reconnaissance.
Je crois t'avoir écrit que je me suis chargé de faire par semaine deux gloses à Saint-Charles et que je prêcherai trois sermons à la cathédrale. Les gloses ne me coûtent rien, et cependant, hier soir encore, l'église était toute pleine. Je prépare beaucoup mes sermons; je suis sûr qu'ils n'auront pas le sens commun. [...]
J'irai voir demain une femme condamnée à mort : elle n'a que vingt-trois ans, et déjà elle a tué son mari. Je la vis, il y a huit jours : elle était assez calme, mais ne pouvait cependant s'accoutumer à l'idée de mourir(32).
Emmanuel
Que devient M. de la Mennais ?
d)
Nîmes le 9 août 1839. - Orig.ms. ACR, AC 17; ibid. p. 33-35.
L'abbé d'Alzon rappelle à sa sœur qu'elle doit être fidèle à lui donner des nouvelles de la famille; lui dit comment, pour le Refuge, il a pu accommoder la Supérieure générale des Dames de Marie-Thérèse avec Mgr Cart pour reconduire les conditions fixées par Mgr de Chaffoy et termine en avouant qu'il a besoin d'un mois et demi de repos.
Ton silence de huit jours me faisait de la peine; tu ne m'y avais pas accoutumé, et c'est une habitude que je ne me soucie point de prendre. Aie donc la bonté de te souvenir que c'est sur toi que repose principalement le soin de me donner de vos nouvelles. Tu peux être persuadée que je ne suis pas encore parvenu à l'absolue indifférence et que j'ai encore beaucoup du vieil homme. [....]
J'ai eu, ces jours derniers, quelques ennuis. L'évêque n'a pas voulu reconnaître les conditions auxquelles, du temps de Mgr de Chaffoy, on avait traité avec les Dames de Marie-Thérèse. Il a fallu revenir sur tout cela. La Supérieure générale est arrivée. Heureusement, on a fini par s'entendre, mais ça n'a pas été sans peine. J'avais signifié à l'évêque que, puisqu'il ne voulait pas reconnaître les propositions faites verbalement, je ne prendrais aucune part à la discussion du nouvel accommodement. Cependant, comme la Supérieure générale, qui, je ne sais pourquoi, ne jure que par moi, m'a conjuré de la représenter, j'ai tâché d'accorder les deux parties entre elles. Cela montre pourtant la difficulté qu'ont les gens les mieux intentionnés à faire le bien. […]
Voilà deux jours que cette lettre est sur ma table, sans que j'aie eu réellement une minute pour la terminer. Avec ta permission je ne la prolongerai pas davantage, de peur d'avoir à renvoyer encore après l'Assomption. [...]
Emmanuel
Je t'avouerai que je soupçonne que mon gosier va mieux, mais j'aime à me figurer que j’ai besoin d'un mois et demi de repos. Adieu donc.
e)
Nîmes le 23 juin 1840. - Orig.ms. ACR, AC 22; ibid. p. 52-54.
En juin 1840, l'abbé d'Alzon prêche, au pensionnat des Dames de Saint-Maur, la retraite préparatoire à la première Communion et il consulte sa sœur sur les idées à mettre dans un sermon.
Il me faut ton avis sur une matière en discussion. J'ai prêché avant-hier, et le sermon paraît avoir assez plu, quoique pour des motifs tout contraires. Une personne a trouvé qu'il n'y avait pas assez d'ordre; une autre a trouvé que j'étais d'une rigueur logique prodigieuse; quelqu'un a dit que mon sermon était très bon, parce qu'il était plein d'idées; un autre qu'il y en avait beaucoup trop. Or, je voudrais savoir ce que tu penses au sujet des idées à mettre dans un sermon : s'il vaut mieux qu'il y en ait peu, bien délayées, ou un plus grand nombre un peu entassées. Je crois qu'aujourd'hui il faut semer et que, pour cela, il faut jeter beaucoup de pensées dans les esprits, en leur laissant le soin de faire germer le grain; d'autre part, il est incontestable qu'il y a une ignorance profonde de la religion qui oblige à faire de longues explications des choses les plus simples, si l'on veut être compris.
8
Extrait d'une lettre de Germer-Durand à son ami Monnier, le 3 octobre 1836. - Publiée par E. BAILLY, Notes et documents, II, p. 62-64.
C'est en 1836-1837 que l'abbé d'Alzon entre en rapport avec deux personnalités de l'enseignement d'Etat, professeurs au Collège royal de Nîmes, et qui seront dans l'avenir ses amis et ses collaborateurs pour l'œuvre de l'Assomption. Il s'agit d'Eugène Germer-Durand, né le 20 juillet 1812 et de Jules Monnier, né en 1815, l'un et l'autre établis et mariés à Nîmes. C'est à l'abbé d'Alzon qu'ils doivent d'être revenus à un christianisme fervent. Dans sa lettre du 3 octobre 1836, Germer-Durand annonce à son ami Monnier les circonstances de sa conversion et l'invite à s'adresser comme lui à M. d'Alzon.
Hier, je suis allé trouver un prêtre pour me confesser. Tu n'ignores pas que j'en avais l'intention et quelle impatience j'éprouvais de le faire. J'ai été vraiment inspiré dans ce choix. Je suis tombé du premier coup sur l'homme qu'il me fallait. J'ai trouvé qui m'a compris. J'ai eu hier avec lui deux entretiens qui me permettent de pouvoir dire cela. Dans le premier, je lui ai raconté tout mon passé, afin qu'il comprît mon présent; il a compris. Oh ! je ne puis te dire alors quelle a été ma joie. J'y suis retourné le soir et je me suis agenouillé à ses pieds et devant un Christ, et j'ai commencé la confession de mes péchés, et j'en suis sorti toujours plus content de mon choix et plus reconnaissant envers Dieu... Je retourne demain chez M. d'Alzon (c'est le prêtre que j'ai choisi) pour continuer mes aveux et recommencer le bonheur d’hier(33).
9
Extraits de deux lettres de l'abbé d'Alzon à la Mère Marie de Jésus
Mère Marie de Jésus, née Marie-Sophie de la Rochetière, fondatrice et première Supérieure générale des Dames Servantes de J.C., dites Dames de Marie-Thérèse, qui tiennent des Refuges pour les repenties, était entrée en relation avec l'abbé d'Alzon, le 28 février 1837, lors de la fondation d'un Refuge à Nîmes. Elle fut si impressionnée par la vertu de l'abbé d'Alzon qu'elle le choisit désormais pour directeur. Cette religieuse est soucieuse d'avancer, à travers ses responsabilités, dans les voies de la sainteté. Aux difficultés ordinaires s'ajoutera pour elle un tiraillement entre les trois centres de son Institut: Limoges, lieu de la fondation, en 1815, Bordeaux et Lyon. La fondation de Nîmes permit à l'abbé d'Alzon d'aider la Supérieure générale à tenir sans scission et sans abdication le gouvernement de son Institut, jusqu'à sa mort, en 1842. - Nous citons un extrait de la première lettre que lui adresse l'abbé d'Alzon, dans laquelle il répond point par point aux demandes d'ordre spirituel de Mère Marie de Jésus, et la dernière lettre qu'il lui écrivit peu avant sa mort.
a)
Nîmes le 20 août 1837. - Cop.ms. ACR, AC 10; V., Lettres, 11 p.18-21.
Je vais essayer de répondre de mon mieux aux différentes questions que vous m'adressez. Je ne sais si je pourrai venir à bout de bien me faire comprendre.
1° Que dans les terreurs que vous éprouvez, je pense qu'il est plus parfait de vous abandonner entre les mains de Dieu, vous le comprenez vous-même sûrement, lorsque l'orage est passé. Sainte Thérèse ainsi tourmentée demanda du soulagement sur le fait et en fut si honteuse que, depuis, elle n'osa plus revenir à la charge. Dieu ne sait-il pas mieux que nous ce qui nous convient ?
2° Il faut, dans les moments d'espoir, être patiente envers soi-même, selon l'expression de Fénelon. Il est inutile d'examiner si vous avez offensé Dieu, le meilleur est de s'exciter en général à l'horreur du péché. Du moment que l'on n'y veut pas consentir, il est certain qu'on n'y a pas consenti : c'est la réponse des théologiens.
3° Vous devez, malgré vos tentations contre la foi, parler à vos Sœurs comme si vous l'aviez. Dieu, en vous faisant accomplir un acte de charité, veut peut-être vous y faire trouver le remède à votre peine.
4° Vos impatiences ne doivent pas vous faire manquer un seul instant à vos devoirs de supérieure : vous devez être toujours toute à tout.
5° Si les tentations de différents genres vous empêchaient d'agir, le démon aurait ce qu'il désire et vous lui céderiez la place. Votre devoir est de le combattre en agissant tout comme si vous n'étiez pas tentée.
6° Lorsque, après avoir parlé de Dieu ou en en parlant, vous vous considérez comme une hypocrite, il faut dire au démon, comme ce saint qui fut tenté d'orgueil au milieu d'un sermon : "Ce n'est pas pour toi que je l'ai commencé, ce n'est pas pour toi que je le finirai."
7° Qu'il en soit de même pour vos lettres. On parle, en général, si peu de Dieu que les personnes qui savent en parler ne sauraient faire trop d'efforts pour ramener toujours vers ce sujet.
8° Quant au pressentiment de votre mort, traitez-le avec indifférence et n'en conservez d'autre impression que la nécessité de mourir tous les jours, comme dit saint Paul.
9° Le sentiment de confiance est celui que Dieu aime le plus... Dites bien souvent : Mon Dieu, je vous laisse faire; mon Père, je remets ma vie entre vos mains. [...](34)
Voilà, Madame, quelques mots que je vous trace avec une sincérité inconcevable. Priez le bon Dieu pour qu'en écrivant ces lignes je n'aie pas rédigé l'acte de ma propre condamnation(35). J'espère que, peu à peu, à mesure que je vous connaîtrai davantage, je pourrai traiter les points que je laisse encore indécis. Soyez persuadée que, tant que je pourrai vous donner une réponse nette et précise, je le ferai avec bonheur; mais pour cela il faut prier. Je vous remets votre lettre, afin que vous puissiez mieux suivre l'ordre des questions que vous m'avez adressées.
Que la paix du Seigneur qui surpasse tout sentiment remplisse votre cœur et votre intelligence. Tout à vous en Jésus-Christ.
b)
Lavagnac le 28 août 1842. - Cop.ms. ACR, AC 35; V., Lettres, II p. 71-72.
Ma chère Soeur,
Où en est votre santé ? Au milieu des travaux et des fatigues que vous avez à endurer, comment vous y prenez-vous pour ne pas être malade ? Je comprends toutes les tracasseries que vous devez éprouver et je vous souhaiterais d'en être débarrassée, si sur cette misérable terre nous pouvions compter sur un seul moment de repos.
Je comprends très fort, comme vous me le dites dans votre lettre, que vous sentez tout le poids de votre gouvernement et que vous appréciez le bonheur des personnes, qui n'ont qu'à obéir. Mais, que voulez-vous ? Chacun a sa croix, et Dieu qui nous l'impose la mesure toujours à nos forces ou plutôt aux grâces qu'il est disposé à nous donner.
10
Note de l'abbé d'Alzon, vers 1838. - Orig.ms. ACR, BJ 2, p. 48; T.D. 49, p. 209.
Vicaire général, l'abbé d'Alzon souhaite, pour valoriser les études ecclésiastiques, l'institution des examens de jeunes prêtres, à subir pendant six ans, et prévoit les moyens pratiques de réaliser ce projet. Il fallut attendre plus de dix ans pour que le diocèse de Nîmes tente l'expérience et plus encore pour qu'elle entre dans la législation de l'Eglise.
Une des meilleures institutions pour obliger les jeunes prêtres au travail serait de les obliger à subir pendant les six premières années après leur ordination un examen de théologie, mais comme un pareil examen a quelque chose de pénible pour les jeunes gens, on n'en ferait pas une obligation absolue. Seulement on préviendrait que les noms de ceux qui ne se seraient pas présentés seraient affichés pendant les retraites pastorales. Pour éviter les frais de voyage, un grand-vicaire se présenterait dans chaque ville principale du diocèse : par là, les dépenses seraient économisées. On tiendrait note des réponses; on pourrait proposer trois traités fixés pour chaque année et l'on n'en présenterait que deux. Il y aurait un traité de dogme et deux de morale.
11
Extrait des procès-verbaux de la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul de Nîmes, séance du 19 juillet 1840. - Orig.ms. ACR, CX 30, p. 11.
L'abbé d'Alzon suit de près les travaux de la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul de Nîmes, fondée en 1835, et de nouveau très active à partir de 1840. En fin de séance, il prend la parole pour donner un sens apostolique à cette œuvre caritative. Même les laïcs ont une action immédiate, à exercer auprès des ouvriers et des plus pauvres.
M. l'abbé d'Alzon a terminé la séance par de nouveaux encouragements adressés bienveillamment à la Conférence. Il cherche à nous faire comprendre la mission des laïques à l'époque où nous vivons. Ils ont eux aussi un apostolat à remplir. Ils peuvent et doivent aider le prêtre. Ce concours commence à produire en France un bien dont notre patrie a le droit de s'enorgueillir. Ainsi, à Lyon, l'œuvre de la Propagation de la Foi est dirigée par un laïque. Ainsi notre Société de Saint-Vincent-de-Paul a été, jusqu'à ce jour, dirigée par un fidèle. Le laïque a en effet une action immédiate à exercer et souvent plus facilement que ne peut faire le prêtre. Recommandons-nous donc la moralisation de l'ouvrier, du pauvre peuple, employons-nous, employons nos efforts, nos relations, nos influences à cette charité. Le peuple est dispersé dans les casernes ou dans les ateliers, c'est là qu'il faut aller le chercher, le moraliser, le christianiser(36). Il en a besoin : sans les sentiments chrétiens, qu'il est seul et abandonné dans ses souffrances !
12
Extraits de notes de prédication de l'abbé d'Alzon, octobre 1840. -Orig.ms. ACR, BL 14-16; T.D. 50, p. 268.
En octobre 1840, l'abbé d'Alzon donne une retraite de six jours au Grand Séminaire de Nîmes, à raison de quatre instructions par jour. Nous reproduisons le canevas de la 13ème instruction où il traite de la vie apostolique à l'exemple de celle de Jésus-Christ, qui "s'y est préparé par la vie cachée, le jeûne, la prière, les tentations" et qui apparaît débordante de zèle apostolique, - expression chère à l'abbé d'Alzon et dont il donnera plus d'une fois, comme il le fait ici en s'appuyant sur l'Ecriture et les Pères, les notes caractéristiques. Sa vie permet de dire qu'il laisse parler son cœur.
Caractères du zèle apostolique.
Zèle désintéressé : Ecce nos reliquimus omnia, et secuti sumus te.
Zèle pur : Puritas cordis in duobus consistit, in quaerenda gloria Dei, et utilitates proximi. Saint Bernard.
Zèle ardent : Clama : ne cesses, quasi tuba exalta vocem tuam, et annuntia populo meo scelera eorum, et domui Jacob peccata eorum.
[Zèle en éveil] : Vigilans super muros, Jérusalem, posui custodes.
Zèle savant : Dabo vobis pastores juxta cor meum, et pascent vos in scientia et doctrina.
Zèle prudent : Posui ori meo custodiam, dum consisteret peccator adversum me.
Zèle patient : Moïse, Elie, Jérémie.
Zèle pour la gloire de Dieu : Meus cibus, ut faciam voluntatem ejus qui misit me, patris. In hoc natus sum, et in mundum veni, ut testimonium perhibeam veritati.
Zèle pour le salut des âmes : Venit filius hominis quaerere, et salvum facere quod perierat.
Zèle obéissant : Paulus servus Jesu Christi.
Zèle universel : saint Paul comparé à un aigle.
Zèle humble : Clericum ex ignobili gloriosum, quasi quamdam pestem fuge.
Zèle qui prêche le bon exemple : Sacerdotis Christi os, mens, manusque concordent.
Zèle multiple : Mort du bon prêtre.
[Zèle joyeux] : Saint Barnabé : Cum vidisset gratiam Dei, gavisus est. Act. II.
Zèle désintéressé : pourvu que le bien se fasse, peu importe.
13
Extraits de trois lettres de Monnier à Germer-Durand, Nîmes 1842
Les Archives de l'Assomption possèdent la correspondance échangée entre Monnier et Germer-Durand, de 1834 à 1845 (quelque 200 lettres). Il y est souvent question de leur ami commun et père spirituel, l'abbé d'Alzon. Soit la "Conférence du lundi", soit la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul, nous y apparaissent sous l'impulsion de l'abbé d'Alzon comme des foyers fervents de vie chrétienne laïque et des pépinières de vocations religieuses et sacerdotales.
a)
Nîmes, le 22 février 1842. - Orig.ms. ACR, OC 147.
Je ne puis finir sans te parler d'un projet que M. d'Alzon cherche à réaliser avec le concours de quelques jeunes gens de bonne volonté. Nous avons organisé, très modestement, très simplement, des conférences hebdomadaires, chez lui, le lundi. Boyer, MM. Azaïs, de Tessan, Lavie, Peschaud, mon collègue Loupot, M. Donatzi, un élève de philosophie, se réunissent chez lui, comme l'on se réunissait chez M. Sibour. Nous discutons quelques points religieux. S'il en sort quelque chose de bon, nous rédigerons ces causeries. Mais un lien est nécessaire, une consécration religieuse. Il faudrait faire de cela un Institut, distribuer des travaux, ordonner des recherches, des études, ce que font, en un mot, nos Conférences de Lyon et de Paris. Vous associerez-vous, Germain et toi, à ce projet ? Moi, particulièrement, j'allais plus loin. J'ai abandonné à M. d'Alzon ma liberté. Il me trace mes études, m'impose tel ou tel travail. J'ai déjà ma tâche fixée ce mois-ci. Se réunir ainsi religieusement en un Ordre laïque, où toutes les volontés seraient abdiquées entre les mains d'un supérieur. Recevoir de ce supérieur l'obligation de telle ou telle tâche, sans refuser, engagé à la remplir, il m'avait semblé qu'un Ordre ainsi réalisé serait peut-être préférable encore à un Institut. Il y aurait entièrement soumission, abnégation, dévouement, obéissance, pas de place à l'amour-propre, aux nonchalances, etc. Ne voudrais-tu pas organiser un Ordre de ce genre, associé par exemple à l'œuvre dominicaine et se faisant Tiers-Ordre des Frères Prêcheurs ? Cette pensée ne m'est pas venue, comme l'on dit, en l'air, et par simple rêverie d'enthousiasme. Il y a mieux que cela dans cette idée qui me poursuit souvent dans mes méditations, dans mes entretiens avec Dieu, en prière, à l'Eglise. Je la confie à ta piété; demande aussi à Dieu, cher ami, si cela serait bon, s'il nous appelle en effet à travailler encore de cette autre manière à la gloire de son nom béni. Je me fie plus à toi qu'à moi pour la consultation.
b)
Nîmes le 24 juin 1842. - Orig.ms. ACR, OC 152.
Au mois d'octobre prochain, nous envoyons au Séminaire cinq confrères. Cinq autres apprennent en ce moment le latin pour s'y préparer pour l'année prochaine. Nous aurons peut-être un Trappiste. Nous avons deux soldats novices chez les Frères, un autre chez les Frères de Saint-Jean-de-Dieu(37). Je prie Dieu que ces bénédictions demeurent longtemps sur notre Conférence. Nous avons quinze orphelins et pas d'argent. Autre bénédiction, mais qui alarme notre frère trésorier.
c)
Nîmes le 11 décembre 1842. - Orig.ms. ACR, OC 162.
M. d'Alzon commence ce soir une retraite pour les hommes, qu'il continuera jusqu'à Noël. C'est une préparation à la confirmation pour les hommes qui n'ont pas été confirmés, une occasion de renouvellement, de retour, de conversion pour les autres.
La Conférence assiste en grande partie à ces instructions. [...] Il nous parlera de Dieu, de la Très Sainte Trinité, de Jésus-Christ, du Saint-Esprit, des Sacrements, de l'amour de Dieu, surtout dans un sens pratique avec de fréquents retours sur nous-mêmes par forme de prières souvent et de méditation. [...]
Notre assemblée a été remise à jeudi prochain 15. Je t'en parlerai plus tard. Nous avons une riche offrande au Bon Dieu à y raconter : cinq confrères entrés en religion, avec six de nos anciens soldats ! Gloire et louange à Dieu !
14
Extraits de deux lettres de l'abbé d'Alzon à Mère M. Eugénie, novembre-décembre 1843
Sur sa demande, l'abbé d'Alzon donne à Mère M. Eugénie des précisions sur son état de santé. Il s'agit de douleurs névralgiques que sa constitution, de l'avis des médecins, rend plus aiguës. Certains reproches l'ont déterminé à prendre quelques ménagements, mais il n'entend pas que sa dirigée demande à Dieu de l'affliger à sa place : il doit accepter ses souffrances, qu'elles proviennent d'imprudences ou soient l'effet de la volonté de Dieu. Il est évident que les activités multiples de son zèle apostolique ont ébranlé sa santé.
a)
Nîmes le 13 novembre 1843. - Orig.ms. ACR, AD 320; V., Lettres, II p. 106-108.
Vous me demandez ce qui me fait souffrir. C'est, paraît-il, une irritation d'estomac qui procure une irritation des nerfs du cerveau et de toute la face; en un mot, c'est ce qu'on appelle aujourd'hui une névralgie. Je vous assure que, lorsqu'avec ces douleurs il faut dire la messe ou monter en chaire, il y a de quoi se trouver mal. Et voilà où j'en suis ! Hier surtout, j'ai eu une nuit et une journée affreuses. Comme cela dure, sauf quelques intervalles, depuis plus d'un mois, je crois quelquefois que je finirai par devenir fou. Soyez persuadée que je trouve qu'avec cela il y en a bien assez. Je m'en contente, et quand le mal me prend, je n'ai pas la force d'en demander davantage. Vous saurez, au reste, que les médecins prétendent que ma constitution est disposée de manière à me faire sentir la douleur dix fois plus qu'un autre.
b)
Nîmes le 13 décembre 1843. - Orig.ms. ACR, AD 322; V., Lettres, II p. 110-112.
Depuis ma dernière lettre, ma chère enfant, j'ai reçu tant de reproches de tout côté sur ce que je me tuais, que j'ai cru devoir prendre quelques mesures pour conserver mes jours. Ne dirait-on pas que je suis nécessaire ? Enfin, j'ai dû me soigner, et, comme la journée était prise, malgré moi, par deux ou trois retraites à prêcher, par les arrangements à prendre pour nos Carmélites (qui arrivent dans huit jours), et par une maison d'éducation pour les garçons que je me suis mis dans la tête d'organiser, lorsque le soir arrivait, au lieu de causer avec vous, comme je l'eusse bien voulu, j'allais me mettre au lit. Pendant ce temps, chère enfant, vous demandiez à Dieu mes douleurs. C'est ce que je ne veux pas, très positivement. Si je les ai eues par imprudence, ne convient-il pas que je subisse les conséquences de ma sottise ? Et si c'est Dieu qui me les envoie, n'est-ce pas une preuve qu'il faut que je souffre par quelque bout ? Du reste, elles ont assez diminué pour être très tolérables, et pas assez pour me faire croire que vous avez été exaucée. Ai-je besoin de vous dire cependant combien votre prière m'est allée au cœur ?
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1. V., Lettres, II, Avant-propos, V-VIII.
2. Mgr Claude-François-Marie de Chaffoy, né à Besançon le 2 février 1752, avait été évêque du diocèse de Nîmes supprimé par le concordat de 1801, mais rétabli en 1817, avec juridiction sur les anciens diocèses d'Uzès et d'Alès. Pendant la durée de son épiscopat, Mgr Chaffoy se dépensa à doter le diocèse d'un chapitre diocésain, séminaires, d'écoles, de catéchismes, d'œuvres de Charité. A l'arrivée de l'abbé d'Alzon, le synode diocésain venait d'avoir lieu et les statuts en furent promulgués en septembre 1835.
3. Documents officiels, DK 257, 258. - Vicaire général "honoraire", car la nomination ne fut pas présentée à l'agrément du Roi. Pour l'historique de ces nominations, cf. Notes et Documents, II, p. 7-12; VAILHE, Vie, I, p. 209-210.
4. Texte publié par l'abbé d'Alzon avec justification de propos contestés dans l'opinion : n'avait-il pas employé, avec l'expression de "frères séparés", celle d' "hérétiques" en parlant des protestants ? - Orig.impr. ACR, CV 71; T.D. 1-5, p. 2-26.
5. Documents officiels, ACR, DK 259, 260.
6. VAILHE, Vie. I, p. 271.
7. Réponses du P. Olivieri, ACR, EA 401, 402, 403. • Lettre de l'abbé d'Alzon au directeur de la Gazette du Bas-Languedoc, V., Lettres, II, p. 17.
8. VAILHE, Vie, I, p. 276-278.
9. VAILHE, Chronologie, p. 16-22.
10. Articles publiés dans les Annales de philosophie chrétienne, Paris, février 1839 (T.D. 7, p. 209-220); octobre 1839 (p. 220-240); janvier 1842 (p. 241-252).
11. Orig.ms. ACR, CT 108; T.D. 48, p. 15-18.
12. Notes et documents, II, p. 33.
13. Les PP. E. Bailly et S. Vailhé nous rapportent des témoignages de personnes ayant bénéficié dans leur adolescence de cette activité de l'abbé d'Alzon (V., Lettres, II p. XXX à XXXV).
14. L'abbé d'Alzon nous a laissé une note manuscrite à ce sujet : "Pendant l'hiver 1836-1837, j'eus l'idée de réunir quelques personnes chez moi pour causer de matières sérieuses. Le bien que m'avaient fait les réunions des Bonnes-Etudes, je voulais le procurer aux autres..." (Orig.ms. ACR, BJ 1, p. 53; T.D. 43, p. 50).
15. Notes et documents, II, p. 173-178.
16. Dès 1836, comme en témoignent ses notes manuscrites, l'abbé d'Alzon s'adresse aux Dames de la Miséricorde. - (Orig.ms. ACR, CT p. 109-114; T.D. 48, p. 19, 21-24).
17. Cf. une très longue relation manuscrite de Sœur Marguerite, l'une des fondatrices du Refuge de Nîmes (Orig.ms. ACR, DI 40; V., Lettres, II, Appendice, p. 526-539).
18. V., Lettres, II p. LXXI-LXXII.
19. Orig.ms. ACR, CX, 28-45 (63 pages).
20. V., Lettres, II p. LXVII-LXVIII.
21. Souvenirs sur le P. d'Alzon, 22 novembre 1880. ACR, DL 96.
22. Lettre au P. E. Bailly, 22 octobre 1896.
23. Témoignage oral recueilli par le P. E. Bailly (VAILHE, Vie, I, p. 246-248)
24. S. Vailhé reprend le texte publié par COUDERC DE LATOUR-LISSIDE, Vie de Mgr de Chaffoy, II, Nîmes 1856, p. 314-316. - L'auteur de cet ouvrage se permet d'écrire, du vivant même du P. d'Alzon, avant d'en venir au texte que nous citons, l'éloge suivant : "La manière dont M. l'abbé d'Alzon a répondu à la confiance de Mgr de Chaffoy, les services qu'il a rendus au diocèse, le dévouement admirable qui l’a fait s'immoler pour le bien des âmes et pour la gloire de Dieu, la piété si grande qui le distingue, la science ecclésiastique, le talent oratoire qui en font un prêtre à part tout cela nous dispenserait aujourd'hui de justifier la nomination faite par le saint évêque. Nous la justifierons cependant, assurés que nous sommes d’intéresser nos lecteurs par ce que nous avons à dire pour cela et de les édifier."
25. Originaire de Franche-Comté et ordonné prêtre en 1817, M. Laresche avait suivi, à Nîmes, en qualité de secrétaire, Mgr de Chaffoy qui en fit l'un de ses vicaires généraux et par deux fois sollicita d'en faire son auxiliaire avec future succession. Cette fausse position et la jalousie de certains prêtres l'obligèrent à rentrer dans le diocèse de Besançon, où il accepta en mai 1838 la modeste cure de Cantras, jusqu'à sa mort, le 5 février 1842.
26. Ce fut le soir du 21 septembre.
27. Le cardinal Louis-Jacques-Maurice de Bonald, transféré du Puy le 27 avril 1840.
28. Prêtres originaires de Franche-Comté, incardinés à Nîmes.
29. En juin 1844, l'abbé d'Alzon avait fait, à Turin, dans le sanctuaire de la Consolata le vœu de renoncer aux dignités ecclésiastiques (Cf. Ch. X, C).
30. Il s'agit de la prise en mains du pensionnat de l'Assomption et là-même de la fondation d'un Institut religieux (Cf. Ch. X, B et C).
31. Un article de chronique paru dans la Gazette du Languedoc, le 16 avril 1836, fait une mention spéciale de cette station de Carême et parle du prédicateur en ces termes : "Nous croyons devoir à la population religieuse dont nous sommes l'organe d'exprimer en son nom toute sa gratitude et pour le jeune dignitaire ecclésiastique dont le zèle et le dévouement ont été si vivement appréciés, et pour notre vénérable évêque dont en vérité le Ciel semble se plaire à bénir les choix."
32. Cette personne fut effectivement exécutée, le 7 mai 1839, sur la place des Arènes, à Nîmes; elle mourut très courageusement, accompagnée au supplice par une Sœur de charité.
33. A son tour, et par l'intermédiaire de Germer-Durand, Jules Monnier s'adressera à l'abbé d'Alzon : "Je serai, mon cher ami, écrit l'abbé d'Alzon le 21 mars 1837 à Germer-Durand, à la disposition du jeune homme que vous m'annoncez, depuis 8 heures du soir jusqu'à 10 heures." "Je roule pour Marseille, mon cher Durand, écrit Monnier le 22 mars. Va trouver M. d'Alzon et dis-lui pourquoi je suis parti. Il comprendra mon empressement, car je lui ai parlé de ce pauvre Lorquet. Lundi soir je serai de retour pour achever à ses genoux et dans ses bras la confession commencée." Donc, entre deux aveux, et avant même de recevoir l'absolution, le samedi 1er avril, Jules Monnier s'en était allé à Marseille ramener à Dieu un de ses amis.
34. L'énumération des réponses de l'abbé d'Alzon se poursuit ainsi jusqu'au n° 16. Nous passons à la conclusion de la lettre.
35. L'abbé d'Alzon, qui n'a que 27 ans, et deux ans de sacerdoce, craint de ne pas parler avec assez de prudence en matière de direction spirituelle, et cependant ne fait-il pas preuve de clarté, de doigté et de connaissance des auteurs spirituels ?
36. Les trois étapes de tout apostolat : rejoindre les personnes dans leur milieu de vie, en faire des hommes et des chrétiens. Au XIXe siècle, l'expression : moralisation de l'ouvrier, avait un sens positif et signifiait : faire prendre conscience à quelqu'un de sa dignité de personne humaine.
37. Une autre lettre de Monnier du 8 octobre 1842 nous permet d'identifier quelques noms : "Boyer est depuis huit jours au Séminaire. Allard est entré chez les Jésuites. Fournery va faire son Séminaire à Saint-Sulpice" (ACR, OC 156).