CHAPITRE XI
LE PERE D'ALZON ET LA COMPAGNIE DE JESUS
Le lecteur de cette Position aura été surpris de rencontrer plusieurs fois des appréciations diversement nuancées sur la Compagnie de Jésus. Il est temps de nous expliquer mais en distinguant les périodes où elles s'expriment et le contexte historique dans lequel agit la Compagnie de Jésus.
1. L'attitude d'Emmanuel d'Alzon jusqu'en 1830. - Avant la restauration de la Compagnie par le Pape Pie VII (Bulle Sollicitudo, 7 août 1814), les Jésuites avaient repris pied en France sous l'appellation provisoire des Pères de la Foi et patronnaient une association d'émulation spirituelle et d'action apostolique, la Congrégation. En 1807, par un décret de messidor, an XII, qui les vise expressément, ils sont interdits et dissous par Napoléon 1er. Comme le décret subsiste malgré la Restauration, la décision du Pape provoque des remous jusque dans le clergé et plus encore dans la presse libérale qui dénonce avec violence l'illégalité et l'immoralité de leur retour en France(1). Mais les évêques leur sont favorables pour équiper leurs séminaires; et les élèves, confiés aux Jésuites, affluent dans ces établissements : raison de plus pour les adversaires d'intensifier la campagne hostile à leur égard, surtout à partir de 1824. Le mot "jésuite" devient un vocable honni pour accabler les partisans de la Restauration royaliste et de l'intolérance catholique.
Aux sarcasmes de Béranger et consorts s'ajoute en 1826 le pamphlet de Montlosier dénonçant, l'existence d'une vaste conspiration de quatre fléaux : la Congrégation, les Jésuites, l'ultramontanisme et l'esprit d'envahissement des prêtres. L'auteur confondait, sciemment ou non, la Congrégation avec une faction politique de jeunes ultra-royalistes: les Chevaliers de la Foi. Il s'ensuivit une telle vague d'anticléricalisme que le roi Charles X y perdit son trône, lors de la Révolution de juillet 1830.
Pendant cette période, la famille d'Alzon ne paraît pas avoir eu la moindre hostilité contre les Jésuites. Emmanuel lui-même, au collège Stanislas, les défendit contre ses professeurs (Ch. III, 2 a) et son père l'en félicita, tout comme il approuva sa présence aux séances de la Congrégation et son dévouement dans le cadre de la Société des Bonnes Œuvres, annexe à la Congrégation (Ch. III, 1 b). Lorsque, jeune séminariste, il quitte le Séminaire de Montpellier pour se rendre à Rome, son père aurait désiré qu'il séjournât chez les Jésuites. Mais depuis 1830 et l'Avenir de Lamennais, l'opinion catholique s'était divisée au sujet de la Compagnie de Jésus.
2. L'attitude de l'abbé d'Alzon pendant son séjour à Rome. - En effet, une autre voie était ouverte au catholicisme par l'Ecole mennaisienne, à la fois libérale et ultramontaine, alors que les Jésuites n'étaient pour le moins qu'ultramontains. Lamennais, qui les avait précédemment défendus, ne les épargna plus dans ses écrits. Il ne pouvait y avoir aucune collaboration et pas même de compréhension entre ces deux forces, même si le traitement des Jésuites par l'opinion publique aurait dû entraîner sinon de la sympathie, du moins un sens critique. C'est dans ce chassé-croisé que se trouve engagé le jeune séminariste Emmanuel d'Alzon quand, en 1833, il arrive à Rome et que, de plus en plus, le maître de l'école mennaisienne semble perdu, et perdu par ses idées libérales : qui le dénonce, ou qui l'a dénoncé, sinon les adversaires et les victimes du libéralisme, les Jésuites ?... Leur situation même et leur prise de position n'expliquent-elles pas l'esprit de corps dont ils font preuve ou qu'on leur prête ?... L'illégalité de leur existence en France et le fait de leur existence, de leur succès même en ce pays, ne peuvent-ils pas leur faire attribuer un esprit politique d'accommodement vis-à-vis des lois et même un esprit d'intrigue en recourant à des manœuvres dissimulées ?... Dans une situation conflictuelle, qui fera jamais la part de la vérité et des on-dit ?
Dans la correspondance de l'abbé d'Alzon pour cette période, où il poursuit à Rome sa préparation sacerdotale dans le climat de la crise mennaisienne, nous relevons dix-sept lettres confidentielles adressées surtout à sa famille, dans lesquelles il glisse des propos sur les Jésuites, que nous avons déjà relevés (Cf. Ch. VI et VII) et que nous complèterons par d'autres repris en ce même lot de lettres (v. infra 1).
Trois circonstances l'obligent pour ainsi dire à prendre du recul par rapport à la Compagnie : 1° ne pas être dupe de ceux qui veulent l'engager à s'installer au Collège des nobles; 2° atteindre à une formation intellectuelle qui ne soit pas celle d'une école; 3° voir clair dans le programme de Lamennais et dans le bien-fondé de sa condamnation. Echappant pour cela à l'emprise de la Compagnie, il risque d'être influencé par le groupe des amis romains de Lamennais et de les rejoindre dans leurs appréciations sur les Jésuites.
En effet, comme en témoigne son journal qu'il intitule Conversations, les propos de l'abbé d'Alzon sur la Compagnie ont pour fondements les dires des maîtres qu'il fréquente : le cardinal Micara, Capucin, le P. Olivieri, Dominicain, maître du Sacré-Palais et Commissaire du Saint-Office (Ch. V, 20 a et b). L'abbé d'Alzon, dans une volonté de lucidité à laquelle il faut rendre hommage, note qu'il est venu à Rome avec des préventions contre la Compagnie, puisées sans doute dans la lecture des ouvrages de Lamennais, mais qu'il a trouvé à Rome un milieu tout aussi prévenu contre les Jésuites (v. infra 1 a,1°). Unilatérales, ces préventions ne pourraient être qu'injustes. Aussi s'efforce-t-il de faire la part entre les personnes, "de très saints personnages", écrit-il, et la direction dans laquelle est lancée la Compagnie (v. infra 1 b) : "Il sévit dans son sein, écrit-il encore, des préventions incroyables contre ce qui vient de France" (v. infra 1 c).
Or ce qui vient de France, c'est le mauvais jeu de Lamennais, à leur jugement, de vouloir accrocher la religion à la liberté; aussi leur attitude de refus sera-t-elle ferme vis-à-vis de toute forme de libéralisme, et ils contribueront à la condamnation de Lamennais, insuffisante à leurs yeux (v. infra 1 e). Par contre, et, de ceux-là, l'abbé d'Alzon en était, ceux qui pensent qu'il y a dans le programme de Lamennais des éléments exigeant de l'Eglise une adaptation au monde moderne, ceux-là seront sévères vis-à-vis des Jésuites, accusant leur insuffisance, leur étroitesse d'esprit et leur orgueil dans la victoire.
De tous ces dires, l'abbé d'Alzon se fait l'écho dans "ses lettres, mais sans céder personnellement, malgré la rudesse des expressions, à des sentiments de mépris : "Tout ce qu'on m'avait dit contre eux m'avait donné des dispositions favorables à leur égard; ce que j'ai vu de mes yeux m'a tellement révolté que je craindrais être partial en les jugeant" (v.infra 1 a, 3°).-
Dans le même esprit, il corrige les dires outranciers de l'abbé Gabriel (v. infra 1 d), et se décide à faire en leur maison de Saint-Eusèbe et sous leur conduite un mois de retraite préparatoire à l'ordination (Ch. VI, 1, 3 b, 5). "Ni le cardinal Micara ni le P. Ventura ne voulaient le croire". "Je quitte cette maison avec la conviction qu'en général les Jésuites sont de saintes gens, mais qui disent trop du matin au soir la prière du pharisien..." La boutade est de tout le monde, mais veut rendre dans la pensée du jeune prêtre la nécessité de dépasser tout esprit de corps pour servir l'Eglise, et la servir uniquement (v. infra 1, c 2° et e).
Il ne s'agit point d'excuser objectivement ce qui ne peut être excusé objectivement; mais il s'agit d'apprécier propos, boutades et jugements avec une certaine indulgence, surtout quand des faits indéniables suffiraient à les provoquer. Parlant de sa retraite préparatoire au sacerdoce, Emmanuel écrit à sa soeur : "Les Jésuites ont eu le courage de me proposer le P. Rozaven, [jésuite], comme confesseur et de me presser de quitter le P. Lamarche, [Dominicain]. Tu penses comme j'ai accueilli la proposition" (Ch. VI 7).
3. L'attitude de l'abbé d'Alzon en 1844-1850. - Les propos de jeunesse de l'abbé d'Alzon sur la Compagnie de Jésus ne fixèrent pas son attitude pour le reste de sa vie : cela invite donc à les relativiser dans un climat particulier; seul, peut-être, un élément a demeuré : cet esprit de corps imputé à tort ou à raison par bien des gens et par lui-même à la Compagnie.
Dix ans après son séjour à Rome, l'abbé d'Alzon manifestera son attitude à l'égard des Jésuites en deux circonstances précises, soit pour affirmer la spécificité de sa propre fondation religieuse, soit pour les défendre dans une nouvelle période d'anticléricalisme.
Le procès de béatification de Mère M. Eugénie a dû faire la part de ce que la Bienheureuse écrivait à propos des Jésuites lorsque l'abbé l'informa de son voeu d'humilité sacerdotale et de son intuition à devoir fonder une nouvelle famille religieuse (2).
Citant la réponse de l'abbé d'Alzon (Ch. X, 22 b), le Relateur général de la Section historique note que l'abbé d'Alzon trouve excessif le jugement de la fondatrice : "Quoique je n'aime pas beaucoup plus les Jésuites que vous, je ne les juge pas tout à fait comme vous". Il fait aussi remarquer que l'abbé d'Alzon se place en quelque sorte du côté de ceux qui critiquent la Compagnie avec des intentions manifestement politiques et antireligieuses, dans le cadre de la campagne pour la liberté de l'enseignement. Or dans le cadre de cette campagne, nous savons quelle fut l'attitude de l'abbé d'Alzon. Ce n'est pas dans ce domaine que nous trouverons des propos à reprendre dans sa correspondance.
Comme bien d'autres, les Jésuites étaient entrés dans la lutte pour la liberté de l'enseignement.- Pour barrer la force du mouvement catholique, le gouvernement, en 1845, laisse dénoncer à nouveau par les députés libéraux le "péril jésuite", et la Chambre, le 2 mai, vote à une énorme majorité leur expulsion de France. Derrière le nonce et une partie de l'épiscopat, l'opinion catholique attend du Pape Grégoire XVI une protestation en leur faveur. Mais le Pape préfère obtenir du général des Jésuites un repli stratégique et momentané, pour éviter de plus grands malheurs.
Lors de ces événements, le P. d'Alzon est à Paris et assiste à un certain désarroi dans le camp catholique informé d'une telle mesure. Il suit les événements de près et en écrit à son évêque; dans une confiance égale, il s'entretient avec Veuillot, Montalembert et le P. de Ravignan, même si, comme nous l'avons dit, il ne fait pas preuve de la même rigueur dans la lutte engagée, puisqu'il préfère demander le plein exercice plutôt que de tout refuser pour faire passer à tout prix la loi sur la liberté de l'enseignement : le P. Deschamps, Jésuite, l'en avait blâmé (Ch. X, 12 c). Dans ce contexte, malgré "son peu d'enthousiasme pour les Jésuites", et alors même que "le malheur des Jésuites assure le succès de son affaire, il préfère que Rome ne soit pas déshonorée, comme on l'avait craint un moment, et que les choses aillent moins bien pour lui" (v.infra 2).
L'attitude de l'abbé d'Alzon à l'égard de la Compagnie sera la même lorsque, au début de la Révolution de 1848, Mère M. Eugénie croit pouvoir lui dire qu'on assurerait l'alliance de la religion et de la liberté si le gouvernement "bannissait les Jésuites" de France, tout en leur offrant "de belles missions où ils s'absorbent". A cette double proposition, le P. d'Alzon voit "de très graves inconvénients pour l'avenir, quelque chose d'indélicat qu'il ne peut surmonter, l'impression qu'auront les catholiques d'un nouvel acte de persécution". Parlant de l'expulsion des Jésuites par le gouvernement, il écrit : "Il n'en faut pas calculer la portée d'après nos sentiments personnels". Par contre, dès que l'occasion s'en est présentée, il s'efforce de favoriser les Jésuites chassés de Rome et de France à créer des missions en Algérie, avec l'appui du gouvernement français (v. infra 3 a et b). Comme le fait remarquer le Relateur général de la Section historique, Mère M. Eugénie suivit le P. d'Alzon dans cette proposition de dévouement à l'égard de la Compagnie (ibid. p. 36-40).
En effet, à la même époque, les Jésuites n'étaient pas seulement persécutés en France, mais aussi en Suisse et en Italie. Dans le mouvement du Risorgimento, Gioberti, pour favoriser la rencontre des aspirations du libéralisme italien autour de Rome, avait écrit en 1843 : Il Primato, suivi, en 1845, des Prolegomeni al Primato et, en 1847 du Gesuita moderno, véritable pamphlet contre les Jésuites qui avaient fait des réserves sur ses deux premiers ouvrages.
Lors de son séjour à Turin, l'abbé d'Alzon s'était entretenu avec la marquise de Barolo de son éventuelle fondation religieuse qu'il avait dû situer par rapport aux Jésuites. Au courant de ce qui se passe en Italie, la marquise de Barolo ne put s'empêcher d'écrire à l'abbé d'Alzon "qu'elle demanderait à Dieu de lui ôter un peu des préventions contre les Jésuites", ajoutant "qu'elle croit sa légère prévention complètement exempte de manque de charité" (Ch., X, 23 b). A Mère M. Eugénie qui lui demande de lire l’œuvre de Gioberti, l'abbé d'Alzon, tout en reconnaissant qu'il y a du bon chez cet homme, que sa capacité intellectuelle est très grande, ajoute qu'il a surtout le talent de produire l'enthousiasme, que c'est un philosophe et un auteur de systèmes (3).
4. L'attitude du P. d'Alzon demeure d'estime et de service. - On peut donc dire qu'en entrant dans le détail de ce qui peut surprendre au premier abord, l'abbé d'Alzon n'a pas, à l'égard de la Compagnie, une position monolithe et surtout pas dans l'agressivité(sic).
Il a toujours respecté les personnes et rendu hommage au zèle apostolique des PP. Jésuites : du P. Deplace, il écrit le 14 décembre 1843: "Nous avons un prédicateur parfait"(4). Dans le moment critique de 1845, et lorsqu'il est devenu membre du Conseil supérieur de l'Instruction publique en 1850, il sait prendre l'avis du P. de Ravignan, pour agir au mieux envers la Compagnie et ses maisons de France(5). Les prédications du P. Corail en 1849 à la Maison de l'Assomption obtinrent la louange unanime des maîtres et des élèves : "Je suis presque converti aux Jésuites, écrit le P. d'Alzon, c'est le P. Corail qui a opéré ce quasi miracle" (v. infra 4). Pendant les sessions du Concile d'Avignon, il travaille avec le P. Martin qu'il considère comme "le premier théologien" des PP. Jésuites de France (Ch. XVII A).
La bibliothèque du P. d'Alzon contient non seulement les principaux ouvrages des PP. Jésuites, mais aussi les Apologies écrites par eux aux moments critiques, en 1828 (anonyme) et en 1845 (du P. de Ravignan). Les ouvrages de spiritualité de saint Ignace, de Rodriguez, de Bourdaloue, de Judde, etc. sont conseillés par lui à ses religieux. Lors de sa retraite pastorale, il avait pris entre autres comme patron saint Ignace et il écrivait dans ses notes de retraite : "La vie de saint Ignace, dans l'endroit où il est question des combats qu'il avait à se livrer avant sa conversion, a fait sur moi une vive impression". Lorsqu'il devra présenter sa Congrégation à l'approbation de Rome, pour en faire comprendre la spécificité, il la placera entre les Jésuites et les Dominicains, retenant des uns leur zèle apostolique et des autres leur forme de vie plus communautaire. Quand, en 1870, il éprouve la nécessité, au moment du Concile, de donner à sa famille religieuse un nouvel élan apostolique, il écrit : "Saint Ignace a donné aux siens les Exercices spirituels, une heure de méditation et deux examens particuliers. Il faut que nous établissions quelque chose de semblable"(6).
Enfin, il faut ajouter que le P. d'Alzon n'hésita pas à prendre fait et cause pour la Compagnie chaque fois que son existence fut menacée par le gouvernement français, soit en 1845, comme nous venons de le voir, soit en 1880(7). La papauté, par contre, n'a pas toujours eu vis-à-vis des Jésuites au XIXe siècle la même politique : en 1845, Grégoire XVI n'a pas la .position d'intransigeance qu'on attendrait de lui; en 1846-1849, Pie IX se montre réservé à leur endroit. Ce n'est qu'en 1850 qu'avec son appui les Jésuites prennent une influence prépondérante dans les milieux de la Curie(8). En 1880, Léon XIII préfère encore une politique d'apaisement dans le conflit qui oppose les religieux, dont les Jésuites, au gouvernement français.
1
Extraits de lettres de l'abbé d'Alzon concernant les Jésuites, écrites de Rome en 1833-1834 et adressées à diverses personnes
En arrivant à Rome, dans le contexte de l'affaire mennaisienne, l'abbé d'Alzon voulait garder sa liberté de jugement. Son père aurait désiré qu'il réside chez les Jésuites; il se contentera de suivre leurs cours, logera dans une autre maison religieuse et se justifiera en soulignant les préventions des milieux romains contre la Compagnie, plus précisément des milieux mennaisiens de Rome qui l'ont accueilli et l'honorent de leur confiance. Ainsi voulant échapper à l'influence prépondérante des Jésuites, il risque de subir celle des amis romains de Lamennais et d'accroître dès lors ses propres préventions contre la Compagnie, dans la condamnation de Lamennais.
a)
Extraits de trois lettres de l'abbé d'Alzon à d'Esgrigny
1° Le 29 novembre 1833.-0rig.ms.-ACR.AB 23; V., Lettres, I p. 452.
Je suis ici fort vexé, parce que les lettres de recommandation que l'on m'a données en quittant la France se trouvent toutes, ou presque toutes, pour des Jésuites ou pour des amis des Jésuites. Ce sont des gens qui m'envoient tous au Collège des nobles, et je n'ai pas la moindre envie d'aller dans ce collège-là, parce que bien des personnes, en qui j'ai confiance, m'en détournent [...] Je veux bien croire que j'ai quelques préventions, mais je ne sais comment il se fait que ces préventions ne diminuent pas, au contraire.
2° Le 24 février 1834. - Orig.ms. ACR, AB 37; V., Lettres, I p. 508.
J'ai fait et ferai encore des connaissances précieuses dans tous les partis. Il n'y a que celui des Jésuites que j'ai planté là pour un temps, parce qu'ils voulaient me dominer.
3° Le 24 juin 1834. - Orig.ms. ACR, AB 61; V., Lettres, I p. 594.
Les Jésuites sont au bonheur. Je n'ai rien vu de plus affligeant que le spectacle que m'offrent les Jésuites; ils meurent, et ce qu'il y a de mieux, c'est de les laisser mourir de leur belle mort. Tout ce qu'on m'avait dit contre eux m'avait donné des dispositions favorables à leur égard. Ce que j'en ai vu de mes yeux m'a tellement révolté que je craindrais d'être partial en les jugeant.
b)
Extrait d'une lettre de l'abbé d'Alzon à son père, 19 décembre 1833. - Orig.ms. ACR, AB 26; V., Lettres,I, p. 462-465.
Les Jésuites se sont déclarés contre l'abbé de la Mennais avec une virulence, dont on ne se fait pas idée. Ils semblent avoir pris à tâche de critiquer tout développement : la théologie, aussi étroite que possible; l'idée de développement, aucune(9). [•••]
Les Jésuites sont détestés ici cordialement. Cependant je crois que les préventions sont souvent injustes. En particulier, les Jésuites comptent dans leur corps de très saints personnages : mais je crois le corps lancé dans une mauvaise direction. Tout ce qui vient de France est mauvais. Vous me connaissez assez Romain pour ne pas me croire défenseur exagéré des droits des évêques. Vous ne sauriez vous faire une idée de ce que j'ai entendu sur le compte de l'épiscopat français dans la bouche de personnes formées par le P. Rozaven. Etait-ce lui qui leur avait inspiré de pareils sentiments ? Ce que je sais, c'est qu'on m'en parlait relativement à la manière dont les Jésuites étaient peu accueillis par les évêques français. S'il faut les en croire, les Jésuites ont la mission de maintenir l'unité de morale, dont la sévérité varierait sans eux selon le bon plaisir de chaque évêque. Je ne savais pas, cependant que Jésus-Christ eût dit aux autres qu'aux évêques : "Allez et enseignez", et qu'il eût chargé les Jésuites de les faire marcher dans la même ligne. Du reste, tout ce qui n'est pas pour eux est contre eux. Bautain, la Revue européenne, la Gazette de France, en un mot à peu près tous les journaux sont frappés d'anathème.
Jugez si je puis avoir quelque agrément à vivre dans une maison dirigée par eux ! Ils ont dégallicanisé M. de Brézé, mais lui ont ôté le peu d'idées qu'il pouvait avoir. Je vois avec douleur que ce jeune homme, imbu de préventions contre tout le clergé de France, ne fera aucun bien quand il retournera dans sa patrie, alors qu'il eût pu en faire beaucoup.
c)
Extraits de deux lettres de l'abbé d'Alzon à sa sœur Augustine
1° Le 14 décembre 1833. - Orig.ms. ACR, AB 25; V., Lettres, I p. 459-461.
Je suis les cours du Collège Romain, où j'ai trouvé M. de Brézé et un jeune prêtre belge qui continue ses études; c'est M. de Montpellier, dont me parlait le P. Durand dans sa lettre. Ces Messieurs m'ont fait beaucoup d'accueil, M. de Brézé surtout. Ils sont seuls étrangers au Collège des nobles, où ils ont un appartement à part. Ils me pressent beaucoup d'aller avec eux, mais comme les Jésuites se sont prononcés d'une manière trop tranchante sur certaine question, je ne sais si je ne finirais pas par me mettre dans une position fausse en allant chez eux. [...]
Les Jésuites ont des préventions incroyables contre tout ce qui vient de France, et ces braves gens ne voient pas que toutes ces préventions sont autant d'obstacles à leur retour dans ce pays. Ils sont bien fiers, parce qu'à Lyon ils ont une maison publiquement ouverte. Je ne sais s'ils pourront en ouvrir ainsi dans beaucoup d'endroits avec le mépris - le mot n'est pas trop fort, - qu'ils ont et pour les évêques et pour le clergé. Ils ont ici une opposition terrible, et plusieurs personnes pensent qu'ils finiront par succomber.
2° Le 1er mars 1834. - Orig.ms. ACR, AB 38; V., Lettres, I, p.511 -515.
Lorsque je vois les Jésuites, je suis frappé de leur sainteté particulière, mais en même temps je suis révolté de leur manière de ne vouloir de bien que ce qui est fait par eux, de leur acharnement contre ce qui leur fait ombrage, de leur obstination à ne pas voir où gît le mal dans les circonstances actuelles, enfin de leur impossibilité à faire le bien. Lorsque je vois les autres, je suis effrayé de leur hardiesse. Ils me paraissent ressembler à ces postillons qui, à une descente rapide, craignant que le poids de la voiture ne fasse abattre les chevaux, les lancent au grand galop afin de les diriger au risque de se casser le cou. Je te fais ces observations entre nous, parce qu'en dernière analyse je suis convaincu que, s'ils sont prudents, la victoire est pour eux, à moins que Dieu (ce que je crois tous les jours davantage) ne rejette les uns à droite, les autres à gauche, et ne veuille faire la besogne à lui seul, afin de bien montrer qu'il est le maître.
d)
Extrait d'un projet de lettre de l'abbé d'Alzon à l'abbé Fabre, août 1834. - Orig.ms. ACR, AB 73; V., Lettres, I p. 629.
L'abbé Gabriel vous a parlé des Jésuites d'ici. Je crains qu'il n'ait exagéré les choses. L'Ordre des Jésuites est un corps qui a fait trop de bien pour qu'on puisse le blâmer. C'est aujourd'hui un corps essentiellement orgueilleux, j'en conviens, mais il y a chez lui de quoi le devenir. Il n'a plus, il est vrai, la même puissance, la même énergie, il s'épuise; mais c'est pour moi une raison pour n'en parler qu'avec modération, ou plutôt pour n'en pas parler. Ce serait augmenter son importance que de lui en supposer plus qu'il n'en a réellement. Il n'est que trop vrai : les corps religieux à Rome sont frappés de mort, et il est heureux que les membres les plus distingués de ces corps ne se fassent pas illusion. Les Jésuites seuls ne veulent rien voir, au moins pour ce qui les concerne.
e)
Extrait d'un projet de lettre de l'abbé d'Alzon à du Lac, 13 novembre 1834. - Orig.ms. ACR, AB 103; V, Lettres, I p. 741 et 745.
J'ai consulté trois théologiens, le P. Ventura, le cardinal Micara et le P. Olivieri. Selon ces Messieurs, l'Encyclique n'est pas un jugement doctrinal en ce sens qu'il obligerait à croire que telle proposition condamnée est contenue dans l'ouvrage de l'abbé. Il n'est, en effet, aucune proposition fausse qui ait été extraite des Paroles d'un Croyant. Il me paraît que tous les théologiens sont d'accord, à l'exception des Jésuites dont je ne sais pas l'interprétation. Je sais seulement que le P. Roothaan, leur général, a dit, il y a quinze jours, qu'il était très mécontent de l'Encyclique. [...]
Rome, dans ce moment, est partagée entre les Jésuites et les autres religieux : les Jésuites qui ont juré de faire subir à tous les Ordres l'avanie qu'ils ont reçue de Clément XIV, les religieux qui ont pris le parti de se populariser le plus possible; les Jésuites qui reprochent aux religieux tous les défauts des publicains, les religieux qui prétendent que les Jésuites disent du matin au soir la prière du pharisien : Non sum sicut coeteri, hominum.
2
Extraits de quatre lettres de l'abbé d'Alzon à Mgr Cart (1845)
Devant l'action des catholiques de France décidés à obtenir la liberté de l'enseignement, l'opposition libérale en vint à menacer les Jésuites d'expulsion. Tandis que l'abbé d'Alzon, engagé dans cette lutte au côté de Montalembert, était à Paris pour obtenir le plein exercice en faveur de sa Maison de l'Assomption, il tient son évêque au courant des péripéties de la menace qui pèse sur la Compagnie.
a)
Paris, fin mai 1845. - Orig.ms. ACR, AC 51; V., Lettres, II p. 249-251.
La Chambre des Députés avait voté le 2 mai 1845 l'expulsion des Jésuites du territoire français. Les religieux inclinaient vers la résistance; Mgr Affre se tenait dans une réserve officielle qui le fit accuser de complicité. Sur ce, le 13 mai, Montalembert écrivit à l'archevêque de Paris une lettre très forte qui lui fut renvoyée. Rossi, délégué du ministre Guizot, négociait à Rome leur suppression. Pour sa part, l'abbé d'Alzon a pu retenir, en partie du moins, la fureur du P. Etienne, procureur général des Lazaristes, contre les Jésuites.
Quant aux Jésuites, rien de nouveau sinon qu'après la lettre que l'archevêque renvoya à Montalembert, celui-ci alla le trouver; il affirme qu'ils se quittèrent bons amis, l'archevêque ne dit point cela. Le gouvernement persévère dans ses projets de supprimer Paris, Amiens, Grenoble et Lyon. Vous avez vu la lettre du P. Etienne, que tout Paris a trouvée ignoble. Eh bien ! il aurait agi plus mal encore, si je n'étais allé le trouver et le menacer de faire attaquer dans l'Univers et dans les journaux du Midi les religieuses de Saint-Vincent qui entreraient à l'Hôtel-Dieu d'Avignon. J'allai le voir le 22 avril, et il écrivit sa lettre le 24. D'après bien des détails, c'est un homme vendu. M. Guizot a été obligé de lui reprocher sa fureur contre les Jésuites. Il a fait interdire à ceux-ci une chapelle soignée par ses religieuses, mais bâtie par M. de Ratisbonne, actuellement Jésuite.
b)
Paris, le 27 juin 1845. - Orig.ms. ACR, AC 55; V., Lettres, II p. 260-262.
L'abbé d'Alzon a été reçu par le nonce. Celui-ci désirerait que Mgr Cart donne son avis sur la conduite que Rome aurait à tenir dans l'affaire des Jésuites, le nonce inclinant vers une action des évêques de France en leur faveur. "Si vous me demandiez mon avis, écrit l'abbé d'Alzon, je suis tout à fait de celui du nonce."
Ainsi que j'avais l'honneur de vous le dire, dans ma lettre d'avant-hier, j'ai vu le nonce. Une des choses dont il m'a parlé était relative à l'affaire des Jésuites. Il paraît que M. Rossi a empaumé, à Rome, l'abbé de Bonnechose, lequel fait tout ce qu'il peut pour engager les évêques à déclarer qu'ils ne s'opposeront pas aux mesures que l'on voudrait prendre contre les Révérends Pères. M. de Bonnechose a écrit, en ce sens, à l'évêque de Montauban (et à d'autres évêques), lequel a répondu qu'à la place du Supérieur général il ordonnerait aux Jésuites de se retirer tout doucement, mais qu'il croyait ne pas devoir émettre, comme évêque, d'avis contre les Jésuites et qu'il ne pensait pas que le Pape dût, non plus, manifester la moindre part à cette affaire. Le nonce voudrait que, si vous le jugiez à propos, vous écrivissiez à Rome au Pape lui-même pour lui dire votre avis à cet égard. Il paraît qu'en opposition aux démarches de M. de Bonnechose, l'archevêque de Rouen(10) va envoyer les lettres de vingt-cinq ou vingt-six évêques, qui ont des Jésuites dans leurs diocèses et qui tous, à l'exception de l'archevêque de Paris, déclarent qu'ils les défendront tant qu'ils pourront.
Vous connaissez mon peu d'enthousiasme pour les Jésuites. Or, si vous me demandiez mon avis, je me permettrais de vous dire que je suis tout à fait de celui du nonce. J'ai vu, ici, bien des gens qui ne les aiment pas plus que moi, dans le monde catholique, et tous, à l'exception de Carné et du P. Lacordaire, pensent que les Jésuites doivent tenir bon. Voilà ma commission faite.
c)
[Paris], lundi 7 juillet 1845.- Orig.ms. ACR, AC 56; V., Lettres, II p. 262-264.
Devant les nouvelles contradictoires publiées dans les journaux, l'abbé d'Alzon demande à son évêque de ne pas donner suite à la demande du nonce. En effet, Grégoire XVI a décidé le général des Jésuites à fermer lui-même les maisons et noviciats de France. Donc, au prix d'une satisfaction plus officielle que réelle donnée au gouvernement, Rome estima qu'il valait mieux étouffer qu'envenimer l'affaire.
Je présume que vous êtes désireux de savoir à quoi vous en tenir sur toutes les contradictions des journaux au sujet de la grande affaire des Jésuites. Voici le fait bien positif. Il n'y a pas à s'y tromper.
Il y a huit jours, le nonce étant à Neuilly fut chargé par L[ouis]-P[hillipe] de remercier le Pape de tout ce qu'il avait mis de complaisance à accorder ce que M. Rossi demandait. On fit venir le courrier extraordinaire qui venait d'arriver de Rome et qui affirmait que la nouvelle détermination du Saint-Père l'avait rajeuni de vingt ans. Le pauvre nonce, qui n'avait pas de nouvelles, était dans un état affreux.
Enfin, hier, à 10 heures du matin, après que tous les journaux eurent annoncé ce que le Messager avait publié la veille au soir, arrive une dépêche qui déclare que la réponse des cardinaux est bien authentique, que M. Rossi a complètement échoué, qu'il a été jusqu'à retirer son mémorandum, parce que le cardinal Lambruschini avait déclaré que, si on lui offrait une réponse officielle, la note serait plus polie, mais négative et ferme.
Le Pape a fait venir le Général des Jésuites pour lui dire qu'il n'exigeait rien, mais que c'était à lui de voir ce qu'il aurait à faire. M. Rossi est allé très souvent chez le P. Roothan, qui a accordé bénévolement que les maisons de Paris et de Lyon seraient dispersées, que les noviciats seraient changés de place, qu'à Grenoble on diminuerait la maison ou qu'on la disperserait - je ne me rappelle plus bien lequel des deux, - mais tout cela serait purement officieux. On pense qu'une manifestation des évêques en cette circonstance pourrait faire du bien, mais on n'ose pas les y engager.
Je suis, pour moi, dans la position la plus amphibologique. Le malheur des Jésuites assure le succès de mon affaire, et pourtant je préfère que Rome ne se soit pas déshonorée, comme nous l'avions craint un moment, et que les choses aillent moins bien pour moi. [...] ,
Le nonce désire que tout ce que je vous apprends ne soit pas censé venir de chez lui; mais vous pouvez l'annoncer.
d)
Paris, le 13 juillet 1845. - Orig.ms. ACR, AC 57; V., Lettres, II p. 265-268.
La décision de Rome a jeté le désarroi entre les catholiques. L'abbé d'Alzon, pour sa part, a tenté de relancer l'Univers et de pacifier Montalembert en justifiant la décision de Rome : laisser la cause secondaire des Jésuites pour revenir à la question essentielle, la liberté de l'enseignement.
Vous voulez des détails. Vraiment, vous avez bien tort d'en demander : je n'en ai que de déplorables à vous donner. Lorsque je dis déplorables, c'est en me plaçant au point de vue de l'Univers. Le nonce lui-même a été mal renseigné. C'est au moins ce qui résulte d'une foule de détails qui arrivent de tous côtés. M. Guizot affirme que la note publiée par le Messager a été rédigée par M. Rossi et soumise à l'approbation du cardinal] Lambruschini qui l'a eue six heures entre les mains. Du reste, voici un historique qui pourra vous en apprendre autant que j'en sais moi-même.
Après que je vous eus écrit, j'allai voir du Lac pour le presser d'établir pour l' Univers un plan de conduite. Je lui fis observer que l'Univers n'avait rien de mieux à faire que d'avouer que le Pape, en ne donnant pas une réponse officielle et en faisant traiter la question par le Général des Jésuites, avait voulu montrer qu'elle était d'un rang secondaire, et que le meilleur parti à prendre était d'accepter la leçon et de ne plus parler des Jésuites; qu'il fallait avouer qu'on était sorti du véritable terrain, la liberté d'enseignement et la liberté de l'Eglise, qu'on allait y revenir.
Le bon du Lac ne voulait pas mordre d'abord à cette idée. Cependant, les affirmations réitérées du Journal des Débats l'ont un peu démonté. Enfin, ce matin, il n'y a plus eu de doute, et le seul parti à prendre s'est trouvé être celui que j'avais proposé. Du Lac, l'ayant adopté, vient de le proposer à la réunion des principaux rédacteurs de l'Univers.
Pour chauffer la question, on a désiré que Montalembert dît une interpellation à la Chambre des pairs. Et comme, pour le quart d'heure, Montalembert boude l' Univers, j'ai été chargé de lui porter des paroles de paix. Je lui ai exposé le plan de campagne du journal. Il a commencé par hurler de ce qu'on lui avait annoncé des choses fausses. Je lui ai répondu que c'était le nonce qui avait fait donner les nouvelles. J'avais envie de lui dire que c'était de son écriture qu'était la note envoyée à l'Univers, note combinée entre lui, le nonce, Dom Guéranger, le supérieur des Jésuites, l'abbé Dupanloup et M. Beugnot. Enfin, le plan lui a paru bon; il l'a adopté, à la condition qu'on ne parlerait plus de Rome, parce que Rome lâchera toujours le pied, comme elle l'a lâché pour les évêques de Pologne, pour O'Connell, comme elle vient de le lâcher pour les Jésuites. Je lui ai fait observer que ce devait être pour les catholiques un motif de plus de s'unir, à mesure qu'on semblait les délaisser davantage. Montalembert ne voulait point parler, parce qu'il faudrait qu'il montât à la tribune demain lundi, et il se sent tellement bouleversé qu'il ne croit pas avoir le courage de dire quelque chose de bien. Je l'ai pressé de faire un effort, parce que, dans certaines circonstances, il faut savoir profiter de l'occasion. Il m'a promis d'y réfléchir. Les journaux d'après-demain vous apprendront quel a été le résultat de ses réflexions(11).
Le pauvre nonce n'en peut plus, et franchement, il est cruel d'être mystifié à ce point. Du reste, Montalembert m'a assuré que Louis-Philippe venait de promettre d'accorder le plein exercice à tous les évêques qui le demanderaient.
3
Extraits de deux lettres du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, 1848
Après la Révolution de 1848, faite sous le signe de la liberté, il semblait opportun à Mère M. Eugénie de réussir à réconcilier l'Eglise et la démocratie et d'assurer par là même aux ordres religieux non autorisés en France une reconnaissance légale. Pour cela, il faudrait vaincre les préventions de l'opinion publique et du monde politique en obtenant de Rome l'expulsion des Jésuites à qui l'on pourrait offrir de se dévouer dans les missions, conformément à leur vocation.
a)
Nîmes, le 10 avril 1848. - Orig.ms. ACR, AD 565; V., Lettres, III p. 333-335.
Pour la seconde fois, Mère M. Eugénie intervient auprès du P. d'Alzon, pour lui exposer ses vues de politique religieuse au sujet des ordres religieux et par le fait même à l'égard des Jésuites (Lettres des 25 mars et 8 avril 1848. - Lettres n° 1923, 1926). Elle propose de sonder les milieux romains pour savoir si le gouvernement pouvait demander au Pape de leur enjoindre de quitter la France en raison des circonstances actuelles.
Je me hâte de répondre à votre lettre qui m'arrive. Je crois en effet que M. de L[amartine] ferait bien d'écrire au Pape, mais je crois aussi qu'il ne faudrait pas trop que des ecclésiastiques entrassent là-dedans. J'y verrai les plus graves inconvénients pour l'avenir. Il y a là quelque chose d'indélicat que je ne puis surmonter. Quant à Buchez, il faut certes l'encourager dans sa voie, mais ce sont les laïques et non les prêtres qui doivent consommer l'œuvre. Du reste, qu'on ne se le dissimule pas, les catholiques verront dans cet acte une nouvelle persécution. Il n'en faut pas calculer la portée d'après nos sentiments personnels, mais d'après l'impression de toute la France catholique.
b)
Nîmes, le 18 avril 1848. - Orig.ms. ACR, AD 565; V., Lettres, III p. 335-338.
Dans sa lettre du 25 mars, Mère M. Eugénie avait fait allusion aux missions qui pourraient être confiées aux Jésuites en cas d'expulsion; cet aspect positif des dires de sa correspondante sur les Jésuites a retenu l'attention du P. d'Alzon qui s'en est ouvert à un colon chrétien d'Algérie,
M. de Baudicourt m'a donné une idée au sujet des Jésuites, que je vais vous communiquer. En ce moment, il est en Algérie à la tête d'une exploitation considérable, à laquelle il veut donner une teinte chrétienne. Il vient de parcourir le pays avec l'évêque d'Alger, et ils ont été tellement frappés l'un et l'autre de la disposition universelle des populations à recevoir le christianisme que, de concert avec l'évêque, il est parti pour Rome afin d'en parler au Pape. Il a été parfaitement accueilli. Il a proposé aux Jésuites qui ont quitté Rome de venir chez lui en Afrique. L'idée m'est venue que l'on pourrait peut-être engager le gouvernement à favoriser le départ des Jésuites français, en les secondant dans leur mission en Algérie. Je l'ai communiquée à M. de Baudicourt, qui l'a accueillie avec enthousiasme et qui est reparti pour Marseille, afin de découvrir le P. Roothaan qui doit être de ce côté-là, et lui demander si les missions d'Afrique ne lui iraient pas. Je suis convaincu que, en y mettant un peu de bonne volonté, on pourrait trouver là une solution à la question(12).
4
Extraits de deux lettres du P. d'Alzon, à propos du P. Corail, s.j., 1849 .
Le P. Corail, Jésuite, avait accepté de prêcher une retraite aux maîtres et aux élèves de la Maison de l'Assomption. Lui-même garda un "souvenir particulier de cette maison, de son vénérable directeur, si digne d'affection et d'estime, de ses excellents maîtres, de ses jeunes gens à qui, écrit-il le 8 juillet 1849, mon coeur est tout dévoué".
a)
De la lettre du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, datée de Nîmes le 22 février 1849. - Orig.ms. ACR, AD 628; V., Lettres, III p. 414.
Le P. Corail a donné une retraite parfaite. J'ai eu l'occasion, cependant, de faire ressortir le genre jésuite et le genre de l'Assomption, et j'ai vu avec plaisir que maîtres et élèves, comme par instinct, préféraient notre genre. Du reste, je crois que le P. Corail était aussi content de nous que nous de lui.
b)
De la lettre du P. d'Alzon au comte de Molleville, datée de Nîmes, le 28 avril 1849. - Orig.ms. ACR, AC 110; V., Lettres III, p. 426-429.
Je vous donnerai une grande nouvelle, je suis presque converti aux Jésuites. C'est le P. Corail qui a opéré ce quasi miracle. Il a prêché si admirablement une retraite à nos enfants, que je suis converti au P. Corail, sinon encore à tous les Pères. Cependant, depuis quelques années, je compte tant d'amis dans la Compagnie, entr'autres le P. Delfour, que, pour peu que cela continue, avant peu vous serez surpris de vous voir dépassé par moi dans votre attachement aux fils de saint Ignace.
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1 LATREILLE-REMOND, Histoire du Catholicisme en France, III, p. 245-246, Paris 1962.
2. Sacra Rituum Congregatio, Sectio historica, n° 101 - 1959, p. 36.
3. Lettre du 23 janvier 1845. - Orig.ms. ACR, AD 354; V., Lettres, II p. 222. - Des protestations indignées s'élevèrent contre Gioberti, dont celle de Silvio Pellico, publiée en même temps à Paris et à Rome en 1845. Hôte de la marquise de Barolo, Silvio Pellico était devenu un ami pour l'abbé d'Alzon, lors de son séjour à Turin en mai-juillet 1844. Malgré l'estime qu'il avait pour Gioberti, Silvio Pellico n'hésite pas à lui écrire : "Tu as grandement scandalisé, non le vulgaire servile, mais les âmes qui pensent... J'admire ton éloquence et je fais des voeux pour qu'elle s'unisse à plus de justice et de charité."
4. V., Lettres, II p. 113.
5. Cf. Lettres du P. de Ravignan, 6 avril 1851 : "Nous sommes heureux de vous savoir chargé de réunir les éléments de ce rapport [sur les établissements libres, dont les nôtres]"; du Provincial de Lyon, 9 avril 1851 : "Agréez, en particulier, ma reconnaissance pour les bontés incessantes que vous nous montrez". - Orig.ms. ACR, DH 76, 77.
6. Lettre à Mère Correnson, 24 janvier 1870. - Orig.ms. ACOA; T.D. 30, p. 33.
7. Il va sans dire qu'en 1880, comme en 1845, le P. d'Alzon fit siennes les directives pontificales.
8. R. AUBERT, Pontificat de Pie IX, p. 456-457; - G. MARTINA, s.j., Pio IX, 1846-1850, Rome 1974.
9. Pour affirmer ces assertions, l'abbé d'Alzon, qui ne veut en aucune manière aller loger chez les Jésuites, cite ici le discours d'ouverture du Collège romain, et le met en rapport avec ceux de l'abbé de Salinis, prononcés à Juilly : "Vous comprendrez sans peine, écrit-il à son père, de quel côté est l'avenir de la religion".
10. Mgr Blanquart de Bailleul, démissionnaire en 1858 et mort en 1868.
11. Montalembert prononça un très beau discours à la Chambre des Pairs, le 16 juillet 1845, et se plaça sur le terrain même que l'abbé d'Alzon lui avait indiqué (LECANUET, Montalembert, Il, p. 268 ss.). Le Pape en fut ravi.
12. Une lettre de Baudicourt au P. d'Alzon, du 24, avril, lui annonce que le provincial de Lyon a changé d'avis et vient d'abandonner le projet.