CHAPITRE III
ETUDES SECONDAIRES ET SUPERIEURES
D'EMMANUEL D'ALZON
(1824-1830)
A partir de la rentrée scolaire 1824, M. d'Alzon demeurant à Lavagnac, le jeune Emmanuel passe du collège Saint-Louis au collège Stanislas, où il poursuivra, toujours comme externe, le cycle de ses études classiques : trois années d'études littéraires et une année de philosophie, pour obtenir le baccalauréat-ès-lettres; puis, selon le désir de ses parents, il devait entreprendre des études de droit en vue d'une carrière dans la diplomatie ou la magistrature.
Il n'est pas sans intérêt de rappeler le climat dans lequel vivait à Paris, sous la Restauration, la jeunesse étudiante : "Immoralité et irréligion pour beaucoup, frivolité et indifférence pour d'autres, bonne volonté et ferveur - mais combien exposées - chez un tout petit nombre : telles sont les diverses attitudes qui caractérisent les jeunes de ce temps... Il y a là de quoi inquiéter les parents les plus indifférents, de quoi faire trembler les plus clairvoyants (1)."
On comprend donc que M. d'Alzon suive avec attention la formation humaine, intellectuelle et chrétienne de son fils Emmanuel. Ce n'est pas pour rien qu'il l’a placé comme externe, et, soit par lettres, soit par les informations qu'il reçoit de Mme d'Alzon, il contrôle et oriente les études, comme les relations du jeune étudiant, même si le collège Stanislas jouit d'une réputation méritée auprès des familles chrétiennes.
Nous allons donc suivre le jeune Emmanuel d'Alzon, d'abord dans ses études classiques, puis dans ses études universitaires, au cours desquelles il liera de nobles amitiés (cf. Ch. IV). Nous verrons que les goûts de l'adolescent le porteront un instant vers la carrière militaire, mais que la décision finale du jeune homme d'être prêtre n'ira pas dans le sens des projets de son père (cf. Ch. V).
Pour la période qui nous intéresse (1824-1830), toutes les lettres d'Emmanuel ne nous étant pas parvenues, ce sont surtout les lettres de M. d'Alzon qui nous renseignent sur l'évolution des aspirations et des dispositions de l'étudiant pendant ses études classiques; mais lors de ses études universitaires, nous aurons une information plus large dans sa correspondance avec ses amis. C'est aussi la période où il est plus à même de suivre la marche des événements qui se précipitent vers la Révolution de 1830, et de débattre des problèmes et des opinions concernant l'Eglise et la société, à partir des aspirations des jeunes de son âge qu'il rencontre à la pension Bailly, et de la pensée des maîtres de l'heure, dont Lamennais.
A
ETUDES CLASSIQUES (1824-1828)
1. Trois années d'études littéraires (1824-1827). - Aux dires d'un compagnon d'études, Armand de Pontmartin, Emmanuel avait été au collège Saint-Louis un élève "non pas médiocre, mais inégal, un peu fantasque et, chose étrange, il y avait des jours où les professeurs traitaient de paresseux cet adolescent qui devait être le plus rude des travailleurs, le plus actif, le plus laborieux, le plus infatigable des semeurs de vérité, des piocheurs d'âmes. On devinait que le vers latin, le Conciones, le verum enim vero n'étaient pas encore son affaire, que son moment n'était pas encore venu, mais qu'il viendrait(2)."
Le dépaysement de l'adolescent en sa première année de scolarité à Paris devait y être pour quelque chose. A la rentrée scolaire de 1824, ses parents le placent au collège Stanislas et la situation intellectuelle de l'élève s'améliore, comme en témoignent, sur ses cahiers de classe, la mention des places obtenues lors des compositions (3). "Sauf en version grecque, où il excella toujours, en version latine et quelquefois en discours français, il n'est jamais classé parmi les dix premiers : sur une moyenne de 30 à 35 concurrents, son nom se place ordinairement du 14ème au 18ème rang. Il convient d'ajouter qu'en avançant en âge, l'enfant progresse d'une manière sensible : sa position en classe s'améliore et s'affermit, à mesure que les études demandent plus d'intelligence, qu'elles font moins appel à l'imagination et à la mémoire (4)."
Si son esprit fut de bonne heure richement et sagement meublé, c'est à son père surtout qu'il en fut redevable. En effet, soit par des encouragements à partir de confidences faites par l'adolescent (v. infra 1 a, b), soit par des conseils sollicités par l'étudiant (v. infra 1 c, d 2°, e), M. d'Alzon servait à son fils de guide éclairé pour la formation du caractère, de l'intelligence et de la foi.
Avec une filiale déférence, Emmanuel se rangeait à l'avis de son père, mais non sans exprimer et défendre son point de vue.
Passionné pour la lecture, il rêve de se constituer pour plus tard une vaste bibliothèque et projette, pour l'installer, d'importantes transformations au château de Lavagnac. Préoccupé de son avenir, au cours d'une causerie amicale pendant les vacances, il avoue à son père le projet de s'engager à Saint-Cyr pour entreprendre une carrière militaire.
Profondément contrarié, M. d'Alzon se contente pour l'instant de l'en dissuader (v. infra 1 b); mais lorsque Mme d'Alzon fut mise dans la confidence et eut avoué sa désolation, M. d'Alzon intervient énergiquement par deux lettres successives, pour que le jeune rhétoricien ne donne pas suite à une orientation de vie qui déplaît à ses parents et qui peut compromettre sa foi chrétienne (v. infra 1 d, 1° et 2°).
La remontrance paternelle porta ses fruits : désormais, il ne sera plus question de Saint-Cyr (v. infra 1 f).
Au cours de son année de rhétorique, Emmanuel d'Alzon se montre capable de discuter avec son professeur sur les Jésuites, peut-être à propos des œuvres de Pascal. Il élargit ses horizons en participant, sur le plan chrétien, aux réunions de la Congrégation (5) ; et, sur le plan humain, sa mère va lui procurer l'occasion de se rendre à la Chambre des députés (v. infra 2 a).
2. Une année de philosophie (1827-1828). - Pour achever sa formation, Emmanuel d'Alzon devait ajouter une année d'initiation à la philosophie en vue d'obtenir son baccalauréat-ès-lettres. Comme on le voit par la lettre de M. d'Alzon et par la lettre d'Emmanuel (V. infra 1 g et 2 b), les auteurs contemporains étaient au programme: de Bonald, Lamennais (6), Joseph de Maistre, les maîtres du traditionalisme.
Pour eux, l'ébranlement du monde issu de la Révolution procède du déséquilibre des idées, désaxées de leur fondement. Il fallait revenir à la Révélation divine, laquelle a présidé à l’éclosion de la raison, a été transmise par le langage et a été confiée de fait à l'Eglise, qui parle par la bouche de Pierre : l'ultramontanisme s'inscrivait dans la ligne et comme à la pointe du traditionalisme. Il en résultait une "philosophie sociale" qui semblait aussi favorable à l'Eglise qu'à l’ordre établi (7). Le jeune Emmanuel ne pouvait pour le moment décanter toutes les valeurs et toutes les méprises de cette philosophie. Du moins alliait-il à la docilité de l'élève l'effort de reprise et de réflexion du jeune étudiant.
Ses cahiers de philosophie (8) attestent que le cours était enseigné ou dicté, tantôt en latin, tantôt en français et que, loin de transcrire ses notes telles quelles, l'élève ne les reproduisait qu'après les avoir mûrement élaborées et enrichies de réflexions personnelles. De plus, il lisait les ouvrages que lui signalait son professeur, complétant de la sorte l'enseignement oral reçu et achevant le travail d'assimilation (9).
Au terme de ses années de formation classique, il obtenait le grade de bachelier-ès-lettres qui lui fut accordé le 1er août 1828(10).
3. Présence au sein de la jeunesse étudiante. - Emmanuel d'Alzon n'avait pas attendu d'être bachelier pour se mêler à la jeunesse étudiante du Quartier latin qui se regroupait dans des "Sociétés" ou foyers de jeunes ouverts à leur intention par des prêtres ou des laïcs chrétiens. Il ne s'agissait pas tant de proposer aux étudiants de "saines distractions" et de les détourner des "dangers de la capitale", que de les aider à parfaire leur instruction, à approfondir leur foi chrétienne et à préparer leur entrée dans le monde des adultes.
Alors qu'il participait aux réunions de la Congrégation que le gouvernement royal va supprimer d'autorité, Emmanuel d'Alzon, dès 1827-1828, fréquente la Conférence religieuse fondée par l'abbé de Salinis, aumônier du collège Henri IV, et transférée de ses appartements chez l'abbé de Scorbiac, aumônier de l'Université et logé à la Sorbonne. C'est là que, le 11 avril 1828, Emmanuel d'Alzon voit pour la première fois l'abbé Féli de Lamennais (v. infra 3 c).
Le 19 juin 1828, il est agrégé à l'Association pour la défense de la Religion catholique, fondée le 28 mai précédent par l'abbé de Salinis : il y est inscrit sous le n° 947(11). Puisque le gouvernement royal s'avère incapable de contenir la vague libérale et anticléricale qui sévit dans le pays et qu'il retourne au gallicanisme politique en mesurant à l'Eglise ses libertés, l'Association se propose de fournir aux jeunes gens que leurs goûts et leurs talents appelleraient à la défense de la religion, le moyen de s'y rendre propres par des études supérieures dans les différents ordres de sciences. Elle se mettait aussi au service de l’Œuvre des bons livres, fondée antérieurement, pour lui assurer plus d'efficacité.
A la même époque, Emmanuel fréquente la pension Bailly, où des étudiants reçoivent le vivre et le couvert et où d'autres viennent de l'extérieur partager les loisirs, les cours de répétitions et les joutes politiques et religieuses, sous la responsabilité du maître de la pension, M. Bailly. En effet, ce laïc chrétien avait organisé pour les jeunes gens qui fréquentaient son établissement une Société d'études littéraires, comportant trois sections : littéraire, philosophique et historique, et à laquelle il adjoignit une Conférence de droit et une Conférence des études historiques. De plus, les jeunes eux-mêmes se réunissaient par affinité et La Soirée, fondée par d'Esgrigny, fut assurément le plus durable et le plus fervent de ces groupes d'amis auxquels Emmanuel s'associera sans tarder (v. infra 3 a et b).
Par ailleurs le dévouement de M. Bailly l'incite à prendre des responsabilités soit vis-à-vis de la Société des Bonnes Œuvres et de la Société des Bonnes Études, dérivant l'une et l'autre de la Congrégation, soit vis-à-vis de la Conférence religieuse et de l'Association pour la Défense de la Religion Catholique, l'une et l'autre fondées par l'abbé de Salinis.
Il ne fait pas de doute que c'est dans ce milieu estudiantin, ouvert au monde politique et religieux du temps, qu'Emmanuel trouvera non seulement d'authentiques amitiés chrétiennes (c. Ch. IV), mais également sa vocation sacerdotale (cf. Ch. V) et des relations personnelles avec les hommes les plus marquants de l'époque, tels Bailly, Bonnetty, Combalot, Lamennais, Lacordaire, Montalembert, Ozanam, Dom Guéranger...
Mais qui était M. Bailly, dont le nom s'impose à notre attention ? "Un artisan du renouveau catholique au XIXème siècle", répond l'abbé P. Jarry qui lui a consacré une thèse de doctorat à la Faculté de Théologie d'Angers, en 1971(12).
Emmanuel-Joseph BAILLY, dit Bailly de Surcy (1794-1861), était né à Bryas en Artois, d'une famille très catholique. Il songea d'abord à devenir prêtre, puis vint se fixer à Paris, en 1819. Nous le trouvons jusqu'à sa mort mêlé à toutes les initiatives, non point tant comme créateur, mais comme animateur et soutien. Ainsi est-il à l'origine de la presse catholique, avec le 1er Correspondant-avant Montalembert, avec le 1er Univers - après Migne, mais avant Veuillot, et à l'origine de la Société de Saint-Vincent de Paul, auprès d'Ozanam. L'appui financier qu'il donnera à Dom Guéranger pour sa fondation parisienne, en 1845-1849, sera cause de sa ruine. Marié en 1830, il aura, entre autres enfants, Vincent de Paul et Emmanuel, tous deux religieux de la congrégation de l'Assomption fondée par le P. d'Alzon.
Qu'il nous suffise pour l'instant de l'avoir rencontré au Quartier latin partageant la vie des étudiants, les faisant largement profiter de son expérience d'aîné, mais aussi cheminant avec eux vers une certaine forme de libéralisme, sans pour autant renier ses sentiments chrétiens et son attachement à la royauté (v. infra 5).
B
ETUDES UNIVERSITAIRES (1828-1830)
Dès qu'il eut renoncé à la carrière militaire "sur quelques observations de son père", et après son insertion dans la jeunesse étudiante de Paris grâce aux Sociétés de M. Bailly et autres, Emmanuel d'Alzon prit la décision de "se vouer à la défense de la religion", non point dans "les fonctions publiques", dans la magistrature, mais à "la tribune", dans la députation. Il crut devoir "s'y préparer par de fortes études" et une initiation à "la marche de l'administration", avec, dans le secret du cœur, la volonté de s'y consacrer un jour dans le sacerdoce (cf. Ch. V, 1 c).
De fait, le jeune étudiant s'inscrit à la Faculté de Droit de la Sorbonne et se met courageusement à ses études. Pour bénéficier des cours de répétition et se préparer à la parole publique, il s'inscrit encore aux Conférences de la pension Bailly : Conférence de jurisprudence de la Société littéraire, Conférence de droit, Conférence des Etudes historiques.
Mais dans son intention de "servir à la défense de la religion", il demeure fidèle à la Conférence religieuse de l'abbé de Salinis et, parce que membre de l'Association pour la défense de la religion catholique, il contribue, le 10 mars 1829, surtout par des subsides, à la fondation du journal le Correspondant. Financé par les membres de l'Association, ce journal hebdomadaire, puis semi-hebdomadaire, devait être alimenté par la correspondance de ses adhérents, d'où son nom. Ce fut M. Bailly qui en commença la publication avec la collaboration d'une jeune équipe de rédacteurs, membres de la Société littéraire (13). Emmanuel d'Alzon y publie, au n° 11, le 30 juin, un article intitulé "Fête-Dieu"(14). De plus, il s'initie à la charité chrétienne en se faisant agréger à la Société des Bonnes Œuvres, et membre de la 2ème section, visite les hôpitaux pour y catéchiser les malades.
Sa première année de Droit s'achève sans qu'il passe les examens malgré l'intention qu'il en a, car ses parents anticipent d'un mois leur départ de Paris pour Lavagnac.
De la fin de juillet au début de novembre 1829, il passe ses vacances à Lavagnac. De là, il écrit à ses amis de Paris, et comme il le dira à l'un d'entre eux, il semble qu'il ait consulté l'abbé Vernières, ami de la famille d'Alzon et directeur spirituel au séminaire de Montpellier, sur sa vocation au sacerdoce, lequel "lui conseille d'attendre" (cf. Ch. V, 1 e).
C'est pourquoi il revient à Paris pour une nouvelle année de droit qu'il n'achèvera pas non plus, par suite de l'évolution de la situation politique qui ne cesse de se détériorer et de compromettre la cause de l'Eglise, par trop liée à la restauration de l'Ancien Régime.
En effet, tandis que, dans le pays, sévit la vague anticléricale contre "le parti prêtre" qui prône l'alliance du Trône et de l'Autel, dans les milieux politiques, succède au ministère Martignac qui avait essayé de servir la royauté en ménageant à la Chambre les oppositions entre le parti royaliste et le parti libéral, le nouveau ministère Polignac qui préfère appuyer le parti royaliste et en vient, le 16 mai 1830, à dissoudre la Chambre élue.
M. d'Alzon devance les événements pour rejoindre son corps électoral et quitte Paris le 8 mai 1830 avec les siens, y compris Emmanuel. Il devait être réélu, mais pour une Chambre qui ne durera guère, puisqu'elle est dissoute avec les Ordonnances de juillet, dont les mesures répressives provoqueront la Révolution de 1830 (26, 27, 28 juillet).
De cette période (1828-1830), nous avons douze lettres d'Emmanuel d'Alzon : deux à son père, deux à Lamennais (cf. Ch. VII, 3 a et 4 a) et huit à ses amis : de La Gournerie et d'Esgrigny (cf. Ch. IV, 2 a, b et c; V, 1 a, c et e). Nous ne citerons ici que les deux lettres à son père (v. infra 4 a, b), mais pour conclure cette période de la formation classique et universitaire d'Emmanuel, nous croyons devoir citer la lettre qu'il reçut de M. Bailly, pendant les vacances de 1829; car s'il fut en relation avec Lamennais, celui-ci n'a pas été le seul à l'éclairer sur la marche des événements politiques et sur la nécessité de dégager l'Eglise des "friperies de l'Ancien Régime" (v. infra 5).
Car telle était la position du Correspondant et de ses jeunes rédacteurs. Au sein de la presse contemporaine, soit franchement hostile à la religion, soit bassement servile d'un régime politique que ses fautes rendaient chaque jour plus précaire, soit encore respectueux de la foi chrétienne mais en apparence seulement, le journal se voulait "proprement catholique" pour servir l'Eglise en toute indépendance et donc ouvert aux "idées ultramontaines" et aux "idées libérales", mais non point "Jacobin catholique" comme le sera à ses yeux l’Avenir.
1
Extraits de lettres de M. d'Alzon à son fils, 1826-1827
De Lavagnac où il réside, M. d'Alzon suit attentivement les études littéraires et philosophiques de son fils, élève au collège Stanislas à Paris. Ces lettres, à défaut de celles d'Emmanuel, nous éclairent sur le comportement de l'adolescent.
a) Lavagnac, le 13 janvier 1826. - Orig.ms. AC&, EA 466.
M. d'Alzon félicite son garçon d'une victoire remportée sur "le mauvais génie" de l'adolescence(15).
Il me tardait bien, mon cher Emmanuel, de recevoir ta lettre. Je te félicite de ta victoire que tu as remportée sur le mauvais génie qui te tourmentait si fort. Prends garde qu'il ne te joue encore quelque mauvais tour. N'attends pas qu'il revienne à la charge, pour faire usage des armes qui t'ont déjà aidé à le terrasser. Un bon soldat ne doit pas trop laisser reposer les siennes après le combat, ni attendre, pour les ressaisir, que l'ennemi revienne l'attaquer de nouveau. J'y gagnerai le plaisir d'avoir un peu plus souvent de tes nouvelles. Tâche donc, mon cher enfant, de m'écrire de temps en temps. Ne va pas te mettre l'esprit à la torture, pour ce que tu auras à me dire. J'ai été assez content du style de ta lettre.
C'est sans doute aussi ce mauvais génie qui est cause que tu as un peu oublié la recommandation que je t'ai souvent faite de ne jamais trop te presser de parler ou de dire ton avis, et que tu as fait à M. Chamet [?] une réponse qui l'a un peu indisposé contre M. ThuilIier(16) et contre toi; heureusement que ta mère tâchera de réparer.
b) Lavagnac, le 9 novembre 1826. - "Orig.ms. ACR, EA 469.
Au début de l'année de rhétorique, M. d'Alzon encourage son fils et lui demande d'être très docile envers son professeur. Il se réjouit de ce qu'il soit devenu membre de la Congrégation plutôt qu'élève à Saint-Cyr, ce qui lui permettra de se fortifier dans sa foi chrétienne.
Je vois avec bien du plaisir que tu travailles et que tu fais des progrès dans le grec; j'aimerais bien que tu puisses aussi en faire dans la version latine. Dis-moi si M. Thuillier a commencé à vous faire des discours français et s'il est un peu content de ton travail dans ce genre; écoute bien toutes les remarques qu'il peut vous faire à ce sujet, et tâche d'en profiter; on peut devenir un bon rhétoricien, sans avoir été un excellent humaniste. Puisqu'il se plaint que tu n'apprends pas assez bien tes leçons, fais en sorte de ne plus mériter le seul reproche qu'il ait à te faire.
Te voilà donc membre de la Congrégation, je suis bien de ton avis; j'aime bien mieux que tu aies été admis dans cette société qu'à Saint-Cyr. J'espère que ce sera un nouveau moyen pour toi de te fortifier dans tes principes religieux, de t'acquitter de tous tes devoirs et d'être toujours fidèle à Dieu.
c) Lavagnac, le 23 novembre 1826. - Orig.ms. ACR, EA 471.
M. d'AIzon est heureux de savoir qu'Emmanuel apprend les mathématiques. Qu'il n'oublie pas pour autant sa rhétorique. Et pour l'y encourager, il veut bien l'aider à réaliser le vaste plan de bibliothèque que "le jeune littérateur" rêve d'organiser à Lavagnac.
Je ne pensais pas que tu apprenais les mathématiques. J'en suis fort aise, pourvu que cela ne nuise pas à tes devoirs de rhétorique. Mande-moi si tu t'y sens quelques dispositions et si tu as l'espoir d'y faire quelques progrès.
Te voilà donc fortement occupé de jeter les fondements d'une bibliothèque. C'est une entreprise très digne d'une jeune littérateur, mais comme tu sais que dit le proverbe, qui n'est rien moins que romantique : Paris ne s'est pas fait dans un jour; j'y ajouterai aussi peu élégamment que les temps sont durs, que j'ai environ cent vingt muids de vin de moins que l'année dernière. Cependant, je ne dis pas que je refuse absolument de t'aider à poser la première pierre de cet édifice littéraire. Mais je désire que tu prennes patience pour l'élever peu à peu. Mande-moi quels sont les ouvrages de Cicéron que tu souhaites le plus d'avoir et le prix qu'ils coûtent, afin que je puisse voir ce qu'il me sera possible de faire.
d) Extraits de 2 lettres de M. d'AIzon à son fils, concernant ses projets d'avenir.
Nous donnons ici des extraits de deux longues lettres dans lesquelles M. d'AIzon, en accord avec la peine qu'en éprouve sa mère, donne à son fils des éléments de réflexion, pour qu'il se détourne d'une carrière militaire, en entrant à l'école de Saint-Cyr. Le père parle avec calme, tendresse et fermeté. On n'a conservé aucune des lettres d'Emmanuel sur cet épisode; il finira par rejoindre l'avis de ses parents. On ne peut pas dire que la confiance mutuelle du père et du fils en ait souffert.
1° Lavagnac, le 11 décembre 1826. - Orig.ms. ACR, EA 473.
Il paraît, mon cher Emmanuel, que l'urticaire que tu viens d'avoir t'a mis non seulement le sang, mais aussi l'imagination en mouvement. Dans tes précédentes lettres, tu ne manifestais que des goûts paisibles et tranquilles; tu ne rêvais que les charmes et l'agrément d'avoir une bibliothèque et, pour m'engager à satisfaire à ton désir d'en avoir une, tu mettais en usage tout ce que tu as déjà appris de rhétorique. Mais aujourd'hui je ne sais quel son de trompette s'est fait entendre à tes oreilles. Adieu, les livres ! Ce n'est plus d'une bibliothèque qu'il retourne, mais du métier de soldat, de l'Ecole de Saint-Cyr.
Je me rappelle très bien la conversation que nous eûmes à ce sujet sur une des banquettes du vestibule. Ce que je te dis alors, je te le répète encore à présent : si c'est ta vocation, je serais bien fâché de m'y opposer. Mais que d'épreuves à subir, que de prières à adresser à Dieu pour s'en assurer ! Que de réflexions à faire sur tous les dangers dont cet état est environné, non seulement dans cette malheureuse Ecole, mais encore lorsqu'on en est sorti ! Quel chagrin, quelle douleur pour ta mère et pour moi, si nous venions à voir s'évanouir le fruit de tous les soins que nous nous sommes donnés, de tous les sacrifices que nous avons faits et que nous faisons encore pour graver et conserver dans ton cœur les plus précieux des biens, la foi et les mœurs !
Tu espères que Dieu te fera la grâce de ne pas les perdre. Mais comment peux-tu te promettre que, n'ayant jamais été exposé à des occasions aussi périlleuses et aussi fréquentes que celles où tu te trouveras, tu auras la force de résister et de ne pas succomber ? Combien de jeunes gens qui, élevés dans les mêmes principes que toi, présumaient aussi de leurs forces et ont fini par se laisser entraîner au torrent de la manière la plus déplorable ! Une chute en amène une autre et, peu à peu, on en vient jusqu'à secouer entièrement le joug de la religion et de la vertu. Voilà, voilà, mon cher enfant, ce qui demande de ta part les plus sérieuses réflexions. Si malgré tout cela tu persistes à te voir appelé à l'état militaire, il y a encore un moyen de t' en assurer et d'éprouver ta vocation par un léger noviciat, c'est de faire pour aller à Saint-Cyr ce que tu as fait pour venir passer les vacances à Lavagnac c'est d'entrer en toute pension au collège et de te résigner à ne voir ta mère ni moi, lorsque je retournerai à Paris, pas plus souvent qu'il ne te le sera permis tout le temps que tu seras obligé de rester dans cette Ecole. [...]
Tu me répondras peut-être : que voulez-vous donc que je fasse ? Je ne puis pas passer toute ma vie à la campagne. Non, certes, je ne prétends pas que tu passes ta vie à la campagne, ni que tu embrasses un état qui ne serait pas de ton goût; mais ce que je désire, c'est que tu achèves tes études, comme il est convenable que cela soit, qu'ensuite tu fasses un cours de droit et qu'en même temps, si cela peut te faire plaisir, tu suives d'autres cours qui te mettront à même d'acquérir des connaissances agréables et utiles, pour toutes les positions de la vie. Si, pendant ce temps-là, le goût te venait d'entrer dans la diplomatie, dans l'administration, ou dans la magistrature, hé bien, tu pourrais choisir. Pour moi, il me semble que je préférerais la magistrature parce que c'est toujours un état honorable, qu'il est plus facile de l'exercer dans son pays et à portée de sa famille et de ses affaires, et qu'on y est dans une position plus indépendante. A présent, mon cher enfant, que je t'ai fait toutes mes observations et que, d'après ce que tu m'écris, ta mère t'a fait aussi les siennes, réfléchis-y bien attentivement et surtout prie Dieu qu'il daigne t'éclairer et te faire connaître sa volonté à laquelle, comme je te l'ai déjà dit, je serais bien fâché de m'opposer, lorsqu'elle nous sera bien connue. J'espère que tu ne doutes pas de tous mes vœux pour ton bonheur et de ton bonheur pour l'autre monde, encore plus que dans celui-ci, et que, d'après ce motif, tu n'attribueras qu'à ma bien vive tendresse pour toi tout ce que j'ai cru devoir te représenter.
2° Lavagnac, le 19 janvier 1827. - Orig.ms. ACR, EA 476.
Tu as deux idées que tu fais toujours marcher de front, mon cher enfant : Saint-Cyr et ta bibliothèque, je te dirai pour la première que sans vouloir gêner en rien la confiance à laquelle nous attachons tant de prix, ta mère et moi, pour ton bonheur et pour le nôtre, il me semble que tu devrais nous parler de ton envie d'entrer à Saint-Cyr avec un peu plus de ménagement pour la peine que tu sais que nous en éprouvons.
Tu ne m'as jamais écrit de manière à m'adoucir le sacrifice que j'aurais à faire, si réellement Dieu te veut dans l'état militaire. Je pense que tu n'as pas plus cherché à l'adoucir à ta pauvre mère, car tu m'écris tout simplement : "Maman a beau me gronder, je pense beaucoup à Saint-Cyr". Je serais désolé que tu ne nous fisses pas voir à découvert ce que tu penses, et que tu usasses envers nous du moindre déguisement; mais j'aimerais aussi de te voir un peu plus sensible au chagrin que ton entrée à Saint-Cyr nous causera; chagrin qui n'est que trop fondé sur la crainte des dangers auxquels nous t'y saurons exposé et sur l'idée d'une séparation qui peut durer si longtemps, soit à ton entrée, soit à ta sortie de l'Ecole.
D'ailleurs, si je te voyais témoigner quelque peine de celle que tu nous feras éprouver, je pourrais croire que ta persévérance dans ton projet est le fruit de toutes les réflexions que tu as faites sur tous les sacrifices qui, tant pour toi que pour nous, doivent en être la suite. Mais quand je vois que, lorsque tu nous en parles, c'est avec un air d'indifférence pour ce qui nous regarde - que je suis pourtant bien éloigné de te supposer au fond du cœur, - je suis alors au contraire porté à regarder ce projet comme une espèce d'engouement de jeune homme, ou de gageure que tu te piques de soutenir, sans en prévoir les conséquences. L'exemple d'Edmond de Malartic qui a voulu aller à Saint-Cyr et qui, aujourd'hui, voudrait en sortir, mais que son père veut y retenir, puisqu'il l'a voulu, devrait pourtant te faire faire de sérieuses réflexions.
Ton ardent désir d'avoir une bibliothèque ne fait aussi que fortifier l'idée que je me fais de ton goût pour Saint-Cyr. Et, en effet, je te prie de me dire quel besoin auras-tu, si tu y entres, d'avoir une bibliothèque ? N'y seras-tu pas à temps, lorsque tu pourras en jouir ? Et qui sait quand, mon pauvre enfant, si tu prends le métier des armes ?
Cependant, comme je ne vois pas encore bien clair à cette vocation, je veux bien que tu commences à acheter quelques livres, mais je désire qu'avant de te décider de toi-même pour tels ou tels ouvrages, tu aies soin de nous consulter, ainsi que des personnes qui, par leur âge, leurs connaissances et la maturité de leur jugement, soient capables de diriger ton choix. Je désire aussi qu'avant de conclure des marchés comme tu l'as fait avec ton président d'étude, tu nous consultes également pour savoir si nous pourrons consentir à cette dépense. [...]
Ta mère verra si elle peut t'acheter le cours de littérature de La Harpe qui, malgré un peu trop de partialité pour son ancien patron, Voltaire, est pourtant un très bon ouvrage. Quant à ceux de Casimir [De] Lavigne, je te prie de n'y pas penser encore; il a des opinions trop libérales. Adieu, mon cher Emmanuel, tu sais avec quelle tendresse je t'aime. J'approuve beaucoup que tu lises les histoires dont tu me parles, mais je n'en dis pas tout à fait autant des ouvrages de Walter Scott. J'aimerais aussi de savoir si on te permet de lire ce que tu me dis de [dernier mot illisible].
e) Lavagnac, le 2 avril 1827. - Orig.ms. ACR, EA 479.
En attendant la réponse de son fils, quant à ses projets d'avenir, M. d'Alzon lui donne un avis personnel et prudent sur la lecture de Montesquieu.
Tu peux unir tant qu'il te plaira l'expression originale de Sénèque avec la période harmonieuse de Cicéron et faire sympathiser l'imagination vive et ardente de M. de Chateaubriand avec la profondeur de qui tu voudras, mais ce ne sera pas encore avec celle de l'ouvrage de Montesquieu, que j'ai ici. C'est une profondeur qui n'est pas de ton âge et qui n'est bonne qu'à mettre des idées de travers dans de jeunes têtes. Ce n'est pas pour philosopher, et philosopher en politique, qu'on fait sa rhétorique. Tu peux donc courir après un autre lièvre que celui-là. J'aime bien mieux te voir lire l'Esprit de l'histoire, de Ferrand que l'Esprit des lois. L'Esprit des lois entre les mains d'un rhétoricien ! Tu as bien raison de dire que tu as besoin que je vienne à ton secours.
f) Lavagnac, mardi 29 mai 1827.- Orig. ms. ACR, EA 481.
Par des lettres disparues, M. d'Alzon est heureux d'apprendre que son fils renonce à Saint-Cyr, pour envisager une carrière au Conseil d'Etat. Si M. d'Alzon l'avait détourné de Saint-Cyr, ce n'était pas tant pour contrarier ses goûts que par souci de lui procurer une situation où sa foi serait protégée. Aussi s'engage-t-il à ne rien négliger pour aider Emmanuel dans son orientation vers la magistrature.
En passant à Montpellier, j'ai trouvé tes lettres du 14 et du 17 [mai] et celle de ta mère du 15, que Christol m'y avait adressées. Elles m'ont fait d'autant plus de plaisir qu'il y avait plus de quinze jours que je n'avais eu de vos nouvelles. J'en éprouve un bien grand surtout de voir que tu ne songes plus à Saint-Cyr, et que cela ne t'empêche pas de te livrer à l'étude. Il paraît que celle du grec t'occupe beaucoup dans ce moment-ci, que tu augures assez bien de la dernière composition de cette faculté. Il va bien me tarder d'apprendre la place que tu as obtenue, dut-il m'en coûter - quoique le vin ne se vende pas - ce que tu sais que je t'ai promis. Ce n'est pas pour t'engager à embrasser un état qui ne serait pas dans ton goût, que j'ai cherché, mon cher enfant, à te détourner d'entrer à Saint-Cyr. Je t'ai parlé de la magistrature comme de tout autre état dans lequel je voyais moins de dangers pour ta foi et pour tes mœurs que dans le service, et où je trouvais que nous étions moins exposés à vivre séparés; mais puisqu’il ne te convient pas, n'en parlons plus. Une place d'auditeur au Conseil d'Etat te serait, dis-tu, fort agréable. Hé bien, nous y penserons. Quoique ces places soient assez difficiles à obtenir, il faut espérer qu'en nous y prenant de bonne heure et avec le crédit de nos amis, nous viendrons à bout d'en obtenir une. Ton amour pour le grec, ni les autres études littéraires pour lesquelles tu peux te sentir du goût, n'y mettront point obstacle. Crois qu'il y a au Conseil d'Etat des personnages qui ne sont pas moins devenus délicats dans la lecture des ouvrages de Démosthène et de Bourdaloue, qu'ils ne se sont rendus habiles dans l'interprétation des ordonnances et des lois. Je suis loin de prétendre te comparer à eux, mais je veux dire pourtant qu'avec de la bonne volonté, tu pourras très bien accorder l'étude du grec et des belles lettres, avec celle du droit : absolument nécessaire pour devenir auditeur au Conseil d'Etat. Cette étude est aussi très utile à un prétendant à la députation. C'est un peu viser de loin que d'y songer vingt-trois ans d'avance. Mais toujours est-il bon, en attendant, de ne rien négliger de ce qui peut contribuer avec le temps à la réussite de ce projet ou de tout autre, ou du moins empêcher de passer ta vie dans le désœuvrement et une dangereuse oisiveté. Ce projet ne me paraît pas du tout bizarre; et je désire vivre assez longtemps pour voir ce qu'il plaira à Dieu qu'il en soit.
g) Lavagnac, le 19 octobre 1827. - Orig.ms. ACR, EA 482.
M. d'Alzon encourage Emmanuel au début de son année de philosophie et continue à lui prodiguer des conseils d'études, d'autant que l'élève aborde des auteurs contemporains comme de Bonald et l'abbé de Lamennais, lequel passait alors pour le grand défenseur de la cause de l'Eglise.
Te voilà donc initié dans les mystères de la philosophie. Ta mère m'écrit que tu t'es bien remis à l'ouvrage et que tu parais sérieusement occupé de ton affaire. Cette nouvelle me fait le plus grand plaisir. J'espère que tu continueras à me le procurer, en te souvenant de ce que je t'ai si souvent dit du prix du temps, à ton âge, et des regrets qu'on éprouve, plus tard, de ne l'avoir pas employé comme il faut.
Quoique M. Michelle t'ait engagé à laisser là M. l'abbé de La Mennais, je te conseille cependant de ne pas l'abandonner tout à fait, parce que, s'il n'est pas encore reconnu que son système est supérieur aux autres systèmes de philosophie, il n'est pas prouvé non plus qu'il leur soit inférieur. Tu verras ce que M. de la Romiguière lui-même pense de la science philosophique. Le point de départ de M. de La Mennais, ainsi que son unique but, c'est la religion. Son style en vaut bien pour le moins un autre. En voilà bien assez pour ne pas négliger cet auteur. Ne manque pas, au reste, d'étudier ceux dont ton professeur t'a parlé.
Est-ce qu'il ne t'a plus rien dit des Recherches philosophiques de M. de Bonald ? C'est cependant un excellent ouvrage. Il est vrai qu'il n'est pas au nombre de ceux qu'on appelle élémentaires, non plus que celui de M. de Lamennais et que, peut-être plus tard, il t'en recommandera la lecture. [...]
Adieu, mon cher petit philosophe, je t'embrasse de tout mon cœur ainsi que ta mère et tes deux sœurs.
d'Alzon.
2
Extraits de deux lettres d'Emmanuel d'Alzon à son père
Emmanuel d'Alzon informe son père de ses études de rhétorique et de son enthousiasme au début de son année de philosophie.
a) [Paris], samedi 3 mars 1827. - Orig.ms. ACR, AA 4; V., Lettres, I, p. 5-8.
Mon cher papa, j'ai enfin la permission de vous écrire. Il y a je ne sais pas combien de courriers que je demande à maman si je le puis, et toujours elle me répond qu'elle a quelque affaire à vous mander, ou bien qu'elle vous a écrit elle-même, le courrier précédent. Aujourd'hui, elle a bien voulu me céder le plaisir de m'entretenir avec vous.
[...] Vous ai-je dit, il y a un mois, que j'avais été à la grande Congrégation ? J'y allai encore dimanche dernier, avec une députation du collège. On nous y lut nos statuts. C'était M. Alexis de Noailles qui était lecteur. Le Mardi-Gras, nous allâmes, avec maman, à la Chambre des députés, où je l'entendis encore parler. II y avait, par moments, un tapage d'enfer. Le président agitait sa sonnette de toutes ses forces. C'est un véritable charivari. J'entrai sans billet. Maman en avait un pour elle. Je fis sortir M. de Malartic qui me plaça très bien.
Il y a près d'un mois que M. Thuillier n'a donné les places. J'espère cependant être assez bien placé : c'est en version grecque. L'hiver est-il fini à Lavagnac ? Depuis deux ou trois jours, il fait à Paris plus chaud dans les rues que dans les maisons. Je lis actuellement beaucoup de Racine. Il y a plus d'un mois que je n'ai lu du cher Walter Scott. Si vous n'avez pas encore fini l'emballement de mes livres, joignez-y, je vous prie, Gresset. Je sens que je n'ai point de français dans ma tête et que je ne connais presque pas d'auteurs. Je vais acheter sur mon mois les Pensées de Pascal. On nous donne parfois des lieux communs qui se rapprochent de ces pensées, et M. Thuillier m'a assuré que c'est un très bon modèle.
M. Thuillier m'a fait hier ou avant-hier un long sermon sur les Jésuites. Je le laissai dire, me contentant de lui faire quelques objections qui quelquefois l'embrouillaient un peu. J'ai laissé tomber la discussion dans laquelle il semblait toujours très disposé à rentrer.
b) Paris, le 11 décembre 1827. - Orig.ms. ACR, AA 5; V., Lettres, I, p. 8-12.
Mon cher papa, je suis fou du système de M. de Bonald. Son livre est admirable, sa philosophie est toute divine, sa manière de procéder est la perfection même. Ce n'est pas que j'en aie entendu faire un grand éloge en classe, car son système n'y est pas adopté ; mais, pour peu qu'on le veuille méditer, on sent tout ce qu'il vaut.
Il y a un ou deux mois que j'avais lu ses Recherches philosophiques d'un bout à l'autre; mais samedi dernier, son fils étant à la maison m'en parla et me demanda ce qu'on en pensait. Nous en causâmes assez longtemps. Il me dit, comme à vous, que le système de M. de La Mennais n'était que le développement de celui de son père, mais il ne m'en donna pas les raisons. Le soir, comme je travaillais à mon devoir de classe, l'idée me vint de chercher la manière dont procédait M. de Bonald. J'ouvris un certain cahier, dans lequel j'écris tout ce qui me passe par la tête de ce genre-là et, après avoir bien cherché, médité, argumenté, voici ce que j'écrivis. Je vous le copie, parce que je veux vous donner une idée de mes méditations particulières. [...] (17)
Je travaille beaucoup. Voici le plan de vie que je suis depuis quelques jours et dont je me trouve fort bien. Je me lève à 6 heures. A 6 h. 1/2 au travail jusqu'à 8 h. 1/4. J'emploie ce temps à apprendre une heure de grec et trois quarts d'heure de français, le matin étant le meilleur temps pour la mémoire. Par là, la mienne se dérouille si bien que, ce matin, en moins de trois quarts d'heure, j'ai appris cent vers de Racine tirés d’Andromaque. C'est le discours de Démosthène Sur la couronne que j'étudie, pour le grec; il est très beau et m'exerce beaucoup. Entre les deux classes, je travaille ou à la philosophie ou à diverses choses. Le mardi, je vais, à ce moment, au cours de Villemain. Depuis 7 heures jusqu'à 10 h. 1/2 du soir, je m'occupe de philosophie, et de 10 h. 1/2 jusqu'à 11 h. 1/2, de quelque lecture, comme Anacharsis, l'Esprit de l'histoire, ou je prépare le grec que j'ai à apprendre le lendemain. Je suis toujours couché quelques minutes avant minuit.
J'ai encore quelque peine à vaincre le sommeil, mais j'espère en venir à bout. Et cependant, le matin, le moment où j'avais le plus envie de dormir est celui où j'ai le plus vite appris mon Racine. Vous pensez bien qu'avec de telles dispositions je pense à la bibliothèque.
[...] Il faut que j'aille me confesser et vous prie de songer à ce beau projet.
Emmanuel
Je vous prie, mon cher petit père, de me pardonner mes fautes d'orthographe. C'est tout au plus si j'ai le temps de jeter un coup d'œil sur ce que je vous ai écrit.
3
Emmanuel d'Alzon et les jeunes catholiques de son temps
Du Lac et d'Esgrigny, amis d'Emmanuel d'Alzon, nous informent de ce qui se passe à la pension Bailly, et notamment de l'activité d'un groupe intime ayant pour nom "La Soirée". Du Lac insiste sur le caractère chrétien de cette réunion; d'Esgrigny sur d'autres aspects. Si du Lac ne mentionne pas Emmanuel, nous savons par d'Esgrigny qu'il en fit partie la seconde année de sa fondation. Dans une note, d'Esgrigny nous dit aussi l'activité d'Emmanuel à la Société des Bonnes Œuvres dans la section des hôpitaux, et sa participation à la Conférence religieuse de l'abbé de Scorbiac. Par le compte rendu de la séance du 11 avril 1828 nous savons que l'abbé de Lamennais y fut présent ce jour-là et qu'Emmanuel le vit peut-être pour la première fois.
a) Extraits de la lettre de Melchior du Lac à Turquetty, Paris, 21 mars 1835. - Cop.ms. ACR, EB 152.
La "Soirée" est la réunion de six jeunes catholiques qui se connurent et s'aimèrent, en 1827, 1828 et 1829; ils se réunissaient tous les mardis, depuis 7 heures jusqu'à minuit, et quelquefois jusqu'au matin. Là, dans ma chambre, ordinairement, nous causions, nous nous montrions nos cœurs, nous lisions nos auteurs aimés, de Maistre, La Mennais, Lamartine, et plus souvent l'Imitation ou la Bible. Puis, nous nous mettions à prier Dieu, afin qu'il descendît au milieu de nous. Nous eûmes ainsi deux années entières de joie et de bonheur [...] d'une bonne et véritable amitié que le temps ni l'absence n'ont pas usée et qui durera, car elle est fondée sur le Christ.
b) Note sur 1826-1832, d'après les souvenirs de M. d'Esgrigny, recueillis par le P. Emmanuel Bailly. - Cop. dactyl. faite sur l’orig. ms., disparu depuis, du P. E. Bailly ACR, DG 214.
Nous fûmes 6 (du Lac, de la Gournerie, Thiébault, Gouraud, d'Esgrigny, Popiel) qui fûmes une soirée à part. La première année, d'Alzon n'en était pas; il désirait incroyablement en être. Là, nous lisions des travaux, nous nous exercions à déclamer, nous lisions des passages d'auteurs, nous nous exercions à la discussion, à la diction, etc. Il y avait un entrain indicible ; la première année, c'était le mardi, -M. Bailly n'en était pas. (C'est moi, d'Esgrigny, qui fondai cette petite réunion intime). Il n'y venait qu'à titre de visiteur, quoique ce fût chez lui; cela le contrariait un peu. Quand il venait, on suspendait tout pour le reprendre ensuite - secret d'enfants.
La deuxième année, nous l'eûmes le jeudi, et puis il y en eut une autre du matin (c'est-à-dire de 5 à 6 heures, l'après-midi au lieu du soir). D'Alzon y fut. Il nous lut un travail très curieux, sorte de roman d'imagination à la Walter Scott, sur une persécution prévue en imagination dans un temps ultérieur contre l'Eglise, à la façon des Camisards. Cela tint plusieurs soirées et nous intéressa beaucoup, avec des vues très saisissantes de l'avenir.
Je connus d'Alzon à la Conférence religieuse chez M. de Scorbiac, à la Sorbonne.
Visite à Bonnetty qu'on taquinait - original.
Petite opposition (avec M. de Blangy) contre M. Bailly. Du Lac, Thiébault et moi représentions la droite et nous nous levâmes pour sortir et nous séparer de cette sorte de gauche d'où naquirent quelques difficultés désagréables dans les conférences et les discussions. [...]
Dès 1826-1827, nous faisions des visites de charité en 3 sections : 1° aux hôpitaux, (les Sœurs recouraient à nous quand le malade résistait; nous en ramenâmes); 2° aux prisons; 3° aux pauvres, chez eux. -Du Lac et moi, allions aux hôpitaux (d'Alzon aussi).
c) Compte rendu des séances de la Conférence religieuse (1828)
Utilisant le compte rendu des séances de la Conférence religieuse au cours des premiers mois de l’année 1828, l’abbé Bonnetty (Annales de philosophie chrétienne, avril 1878) et le P. S. Vailhé (Vie, I, p. 73-74) en viennent à la présentation de la séance du 11 avril tenue chez l'abbé de Scorbiac à la Sorbonne, l'abbé Féli de Lamennais étant présent. Les deux relations se recouvrent et se complètent l'une l'autre. D’Esgrigny, âgé d'une vingtaine d'années, était plus à même de saisir la faiblesse de l'argumentation de Lamennais, que son jeune ami Emmanuel, âgé de dix-sept ans et demi et s'en remettant au jugement de son père quant à la valeur du système philosophique et de la pensée religieuse du maître (v. supra 1g).
c1. Présentation de l'abbé Bonnetty :
Le 8 février 1828, - M. d'Alzon entreprend de prouver la révélation primitive par l'impossibilité à l'homme d'inventer la parole.
Le 22 février. - M. d'Alzon fait un rapport sur le travail de M. B(onnetty) sur l'état de nature, et en adopte les conclusions.
Le 28 mars. - M. Delahaye achève son travail sur le déisme, et M. d'Alzon lit un rapport sur le travail de M. Viguier sur la nécessité d'une religion.
Le 11 avril 1828. - M. l'abbé de la Mennais assiste à la séance. -MM. Delahaye, Bonnetty, Gouraud lisent plusieurs travaux sur le déisme. M. de Jouenne (d'Esgrigny) demande si la doctrine du sens commun n’est pas plus favorable au Déisme qu'au Christianisme. - M. de la Mennais distingue : Avant Jésus-Christ l'attente d'un Rédempteur est universelle et est certifiée par le Sens commun. Jésus-Christ vient, se dit le Rédempteur et fait des miracles pour l'attester. C'est un fait particulier qui ne demande pas l'assentiment universel, mais les preuves ordinaires des faits. Ces preuves sont celles admises par le Sens commun, or il faut admettre que certaines vérités peuvent être de Sens commun sans avoir pour elles l'assentiment universel. - Objections et doutes.
c2. Présentation du P. S. Vailhé :
La discussion portait sur le déisme; divers conférenciers ou rapporteurs en avaient parlé avec plus ou moins de bonheur, lorsque l'ami intime d'Emmanuel, Luglien de Jouenne d'Esgrigny, s'en prit, non pas au déisme, mais au critère dont se servait l'Ecole mennaisienne pour le condamner. "Le déisme, objecta d'Esgrigny, affirme l'existence et l'unité de Dieu, et vous lui reprochez de s'en tenir là. Mais votre critère de certitude ne va pas plus loin. Car vous ne pouvez invoquer ni le témoignage du sens commun ni le consentement universel des peuples en faveur des dogmes que l'Eglise appelle des mystères, tels que la Trinité, l'Incarnation, la Rédemption, l'Eucharistie. Il s'ensuit que la théorie du sens commun favorise le déiste plutôt que le chrétien." [...]
A ce coup direct et imprévu de d'Esgrigny, ce ne fut pas un disciple qui répondit, mais le maître lui-même qui se sentait atteint. Il parla longuement et avec volubilité, comme il le faisait toujours, dans une attitude qui lui était familière, la tête inclinée vers le plancher comme s'il cherchait à y lire sa démonstration. Le procès-verbal n'a conservé que le squelette de son argumentation, qui consista dans une série d'affirmations sans preuves, du moins pour la difficulté qu'on avait soulevée. Aussi l'impression ne fut pas heureuse. D'Esgrigny maintint son objection, et, aux termes mêmes du procès-verbal, la question resta indécise.
4)
Extraits de deux lettres d'Emmanuel d'Alzon à son père, au début de ses études universitaires, novembre-décembre 1828
Au début de ses études de droit, Emmanuel d'Alzon informe son père de l'application qu'il y met; aux cours de la Sorbonne, il ajoute d'autres études en s'inscrivant aux différentes Conférences de M. Bailly, tout en suivant la Conférence religieuse de l'abbé de Salinis. A cette activité intellectuelle il joint une activité caritative et apostolique auprès des malades, puisqu'il est aussi membre de la Société des Bonnes Œuvres. Ce qui ne l'empêche pas de suivre le mouvement politique et de donner à son père qui le lui demande des nouvelles de M. de Lamennais.
a) Paris, 1e 22 novembre 1828. - Orig.ms. ACR, AA 6; V., Lettres, I, p. 15-21.
[...] Vous désirez que je vous trace le plan de mes occupations; je vais le faire avec le plus d'exactitude possible, l'accompagnant d'un exposé des motifs qui vous en fera pénétrer le but. Comme j'ai beaucoup de temps à moi, qu'avec cela, grâce à Dieu, je me porte bien (condition importante), j'ai cru que je ne pouvais mieux faire que de bien travailler. L'étude du droit m'occupe à peu près trois heures : une heure [ou] une heure et demie de cours et deux d'études particulières. Clément(18) que j'ai consulté, m'a assuré qu'il n'en fallait pas davantage. Je pense que vous n'irez pas contre les décisions de Clément. Vous voyez que, si je ne travaillais pas plus de temps, il m'en resterait beaucoup, et beaucoup trop, pour battre le pavé, et j'ai pensé que je ne pouvais pas travailler sans aucun but, sous peine de m’ennuyer extraordinairement. J'ai pris le parti de suivre un bon nombre de conférences. Cela fait passer les soirées et force de (sic) travailler. Ainsi je me suis fait inscrire pour trois : celle de M. de Salinis(19), celle d'histoire et celle de la première année de droit. Je suivrai ensuite comme auditeur bénévole la conférence littéraire et peut-être celle de droit public(20).
Voilà mes soirées presque toutes prises. Cependant, cela ne suffit pas. Il faut que chaque membre apporte son contingent, et c'est pour fournir le mien que je travaillerai. Car voici mon plan d'études. Je dois me lever à 6 heures, travailler la matinée pour les conférences; après déjeuner je vais à la Messe pour que la paresse ne m'arrête pas le matin et, de midi et demi à 6 heures, soit au retour du cours, soit qu'il n'y en ait pas, je travaille deux heures à mon droit. Le reste du temps, je lis ou j'apprends par cœur pour me former le style et la mémoire. Je travaillerai peu après dîner; les conférences m'en empêcheront, et pour perdre moins de temps, j'ai engagé ma mère à dîner à 6 heures; elle y a consenti volontiers, et Augustine seule en a été, dit-elle, dérangée.
Je prendrai, je pense, un maître d'écriture, mais ce ne sera pas tout de suite. J'ai de l'ouvrage par-dessus les épaules et je ne sais pas quelle heure je lui donnerai. Mais je vous promets que, dès que ma besogne diminuera, je vous satisferai sur cet article. […].
Je vous enverrai les brochures que vous m'avez demandées. J'écrirai à ma tante Rodier et je lui en ferai également passer. J'ai force choses à lui dire sur l'Association pour la forcer de convenir que c'est une œuvre admirable. [...]
Je voudrais bien vous envoyer quelques nouvelles politiques, mais je ne le puis, parce que je n'en sais aucune. Mais si vous en voulez savoir de philosophiques, il paraît que l'ouvrage de M. de la Mennais ne tardera pas à paraître(21). M. de Bonald va aussi publier un ouvrage intitulé De la philosophie dans la société; Mlle Lacroix a copié déjà presque toute la première partie. Il donnera également une édition de sa Théorie du pouvoir, dont il refera quelques chapitres. Quelques personnes qui ont eu connaissance de l'ouvrage de M. de la Mennais assurent qu'il est si fort qu'elles désirent qu'il ne le conduise pas devant les tribunaux. Mais je crois vous l'avoir déjà écrit une fois; celle-ci, en tout cas, est pour ma tante Rodier; vous pourrez le lui écrire [...]
b) Paris, le 13 décembre 1828. - Orig.ms. ACR, AA 7; V., Lettres, I, p.21-24.
[...] Je vais ce soir à une nouvelle conférence qui roule sur le droit public : elle est composée de gens sensés et raisonnables; de plusieurs magistrats, et on y discute toutes les matières politiques. Elle se tient chez M. Bailly. Elle est absolument privée. On n'y devrait admettre que les jeunes gens de troisième année de droit. Ainsi, j'en étais exclu pour deux ans, mais on m'a fait la faveur de ne pas regarder [à] mon temps, et j'en suis d'autant plus aise que, bien que je désirasse beaucoup en faire partie, je ne l'avais pas demandé et que l'on m'a proposé d'en être.
Jeudi dernier, j'ai fait ma troisième visite à l'Hôtel-Dieu(22); lundi, j'y avais été pour la seconde fois. Je n'ai pas encore fait l'instruction. Ce sera mon tour jeudi prochain. Mais pendant que mon confrère vaquait à cette occupation, j'allais voir les malades au lit. Tous me donnèrent de bonnes marques, excepté un qui est bien désolant. J'eus beau le prendre de toutes les façons, il finit par me dire que ça ne lui faisait ni froid ni chaud. Je prierai le jeune homme qui vient avec moi et qui a plus d'habitude, de lui parler. Voici ma méthode habituelle. Lorsque je les vois pour la première fois, je leur parle de leur santé, de leur métier, etc.; ensuite, je les exhorte un peu à la patience, et ce n'est que la seconde fois que je leur parle un peu sérieusement. Je vous donne tous ces détails, mais vous comprenez que je ne parle à personne de cette œuvre. Ici, ma mère seule sait que j'en fais partie. J'ai pourtant été forcé de l'écrire à ma tante Rodier, parce que je compte tirer de son œuvre des livres pour distribuer aux malades(23). Bien que je lui aie écrit, ma lettre n'est pas encore partie et ne partira que demain. [...]
5
Extrait de la lettre de M. Bailly à Emmanuel d’Alzon. Paris le 23 septembre 1829. Orig.ms. ACR, FJ 236.
Dans une lettre de remerciements pour un mot d’Emmanuel d'Alzon, M. Bailly l’invite à réfléchir et à travailler, même pendant les vacances. Les événements se précipitent et "les ultramontains eux-mêmes n'ont pas la science infuse".
Mon cher ami, je viens enfin vous remercier de votre amical et délicieux souvenir. Vous écrivez bien mal, pas aussi mal que moi cependant; je vous ai lu malgré cela couramment; mon cœur vous devinait : puisse-t-il être de même du vôtre à mon égard !
Courage, mon ami, propagez les principes : élargissez les idées de bien des personnes. Une femme de mon pays, dans un incendie, aurait sauvé sa personne et son enfant; mais elle a voulu sauver aussi ses robes : robes, femme et enfant ont été brûlés. Combien de gens qui veulent ainsi sauver des friperies de l'Ancien régime avec l'essentiel : s'ils étaient seuls à la besogne, certainement tout serait perdu, principal et friperie. Heureusement il y en a de plus raisonnables qui s'en mêlent; ainsi, sans aller plus loin, vous, mon ami ! Courage donc.
L'Association va vraiment bien : elle rendra ses comptes et cela bientôt, au 1er Conseil général de la 2e année(24). [...]
Le bon La Gournerie et vos autres amis(25), et vous, mon cher d'Alzon, que vous devez de grâces à Dieu d'être si heureusement nés, d'avoir été si bien élevés, de vous être rencontrés par le monde. Que d'innocence, de vertu, d'amabilité, d'esprit, en vous tous ! [...]
Adieu, mon cher ami. Pensez à nous. Offrez mes humbles respects à M. votre père. Les circonstances continuent à tailler de la besogne aux députés : il y fera chaud l'année prochaine. A propos, lisez-vous ? travaillez-vous ? Car enfin les ultramontains eux-mêmes n'ont pas la science infuse : il faut travailler et se rendre fort. Adieu encore.
Tout à vous.
E. Bailly
__________________________
1. Pierre JARRY, Un artisan du renouveau catholique au XIXème siècle : Emmanuel BAILLY (1794-1861). Faculté de Théologie d'Angers, Thèse dactylographiée, 1971, 2 vol. : 1. Texte (544 p.), 2. Notes et annexes (278 p.). Cf. ici, vol. 1, p. 107 et ss.
2. Armand de PONTMARTIN, Souvenirs d'un vieux critique, 1ère série, 1881, p. 325-340 : Le P. Emmanuel d'Alzon.
3. Les ACR, BR 1-4, conservent encore de l'élève d'Alzon à Stanislas un cahier d'histoire et un cahier de textes (versions latines, versions grecques, vers latins et thèmes).
4. VAILHE, Vie, I p. 48.
5. Il s’agit de la Congrégation mariale, fondée en France en 1801 par le P. Delpuits, s.j., à l'instar de celle qui fut fondée à Rome en 1560. Elle regroupait les jeunes gens pour travailler à l'approfondissement de leur vie chrétienne. Des pratiques de charité, comme la visite aux hôpitaux, aux prisons, etc., étaient associées aux exercices de piété : messes et conférences, tous les quinze jours, le matin. D'après les registres qu'a publiés G. de Grandmaison dans son ouvrage La Congrégation, Paris, 1890, Emmanuel ne fut jamais agrégé, mais simple affilié. On sait, par ailleurs, que la Congrégation injustement accusée et confondue avec une organisation secrète à but politique les Chevaliers de la Croix, fut condamnée par le gouvernement en 1828.
6. Le philosophe de Bonald et l'abbé de Lamennais étaient connus et estimés des d'Alzon. De Bonald (1754-1840), né à Milhau, dans les Cévennes, était un ami de M. d'Alzon. L'abbé de Lamennais (1782-1854) avait été invité par Mme Rodier, sœur de M. d'Alzon, à faire un séjour à la campagne de Lavagnac, en 1826 (Lettre de Lamennais à Paris le 7 juillet 1826; LE GUILLOU, III, lettre 1164).
7. Cf. A. SAGE, Approches et recherches, Rome, 1968, p. 172-173.
8. Les ACR, A 67, conservent 17 cahiers de philosophie d'Emmanuel où l'on mesure la totalité du programme de ce cours et la place relative faite dans ce cadre aux philosophies du jour.
9. VAILHE, Vie, I p. 68.
10. ACR, DK 249 : original du diplôme daté du 8 août 1828.
11. Orig. ACR, DK 250 : "M. d'Alzon a été reçu membre de l'Association pour la Défense de la Religion Catholique et a souscrit pour 10 fr. l'abonnement, le 19 juin 1828. - L. PERREAU, Président de la Direction. - BAIILY, Trésorier."
12. v. supra note 1.
13. A propos du Correspondant, cf. JARRY, Emmanuel Bailly, vol. 1, p.251 et s.
14. T.D. 7, p. 203-206.
15. D'après le texte, il semble être question de manques d'égards dont les adolescents sont capables par intempérance de langage.
16. Le professeur de rhétorique d'Emmanuel au collège Stanislas.
17. Nous omettons le passage indiqué, ayant pour titre dans le texte "Manière dont, je crois, raisonne M. de Bonald".
18. Clément Rodier, cousin d'Emmanuel d'Alzon.
19. Conférence religieuse.
20. Conférences, toutes sous le patronage de M. Bailly.
21. Allusion au volume : "Des progrès de la révolution et de la guerre contre l'Église", qui était sous presse en décembre 1828, mais qui ne parut que dans la 1ère quinzaine de février 1829.
22. 2ème section de la Société des Bonnes Œuvres, annexe à la 'Congrégation' .
23. Il s'agit probablement de l'Œuvre des bons livres.
24. Il s'agit de l'Association pour la défense de la religion catholique.
25. Il s'agit de : du Lac, d'Esgrigny, Thiébault, nommés dans le passage omis.