CHAPITRE XX
LE P. D'ALZON ET LE SUPERIORAT
DU P. VINCENT DE PAUL BAILLY A NIMES (1863 - 1867)
A la fin de l'année 1857, le P. d'Alzon avait repris la direction du collège de Nîmes, après la crise financière qui aurait pu en entraîner la suppression (Ch. XIV C). L'élargissement progressif du champ apostolique de la Congrégation, à partir de 1859 (Ch. XIX, XXII), pousse le P. d'Alzon à considérer l’œuvre du collège de Nîmes comme l'une de celles de sa Congrégation, et donc, à lui conférer un supériorat particulier. C'est ce qu'il peut faire, à la rentrée scolaire de 1863, lorsque lui revient de Rome, jeune prêtre, le P. V. de P. Bailly, âgé de 31 ans (Ch. XIX, 1 d).
Le supériorat du P. V. de P. Bailly, qui va durer de 1863 à 1867, nous permet de voir comment le P. d'Alzon, supérieur général, agit avec les siens pour harmoniser au mieux l'avenir d'une œuvre, dotée d'un passé déjà long, en laquelle pénètre une jeune et forte personnalité, et sur laquelle pèsent des forces intérieures et extérieures, difficiles à maîtriser, comme le reconnaîtra le Chapitre général de 1868 (v. infra 12). La situation, déjà complexe au départ et sans cesse en mutation, est suivie non seulement par le P. V. de P. Bailly, supérieur local, et le P. d'Alzon, supérieur général, mais aussi par le P. Picard, assistant général, et le P. Saugrain, économe général. D'où une volumineuse correspondance, dont 193 lettres du P. V. de P. Bailly au P. d'Alzon et 118 lettres correspondantes, - dossier auquel il faut ajouter d'autres correspondances et un carnet de notes intimes tenues de loin en loin par le P. V. de P. Bailly.
1. Le P. V. de P. Bailly est nommé supérieur du collège. -
Le P. V. de P. Bailly avait séjourné à l'Assomption, alors qu'il était encore à réaliser sa carrière dans le monde, accueilli par le P. d'Alzon, comme son frère Benjamin à Clichy, pour aider sa famille en détresse (Ch. XIV 17). Ce n'est que le 15 octobre 1860 qu'il y revint pour être religieux. La situation des siens devenant des plus précaires, le P. d'Alzon le renvoie à Paris, en cours de noviciat, mais le confie au P. Picard, pour que sa formation religieuse soit continuée. Il rentre à Nîmes après la mort de son père, et fait profession religieuse le 31 octobre 1861; après quoi, il est envoyé à Rome pour ses études ecclésiastiques et reçoit la prêtrise, le 1er janvier 1863. De retour en France, à la fin de juin, il est désigné par le P. d'Alzon pour prendre la direction du collège de Nîmes.
Revenant par la suite sur cette nomination, le P. V. de P. Bailly semble s'accuser de l'avoir en quelque sorte provoquée : "Pouvais-je résister au P. d'Alzon me mettant au collège ? Non, mais très certainement je ne devais point, par une correspondance qui ruinait mes études, le préparer à compter sur moi." (Notes, GN 3, p. 53). Esprit vif, doué d'une plume alerte qui annonçait le futur journaliste, le P. V. de P. Bailly se plaisait à faire de la correspondance pour distraire les siens, à partir de détails que la vie ne cesse de présenter à la perspicacité et à la verve d'un observateur attentif. Ce qu'il faisait pour les siens, étant encore dans le monde, afin de les distraire dans leurs grandes peines, il continue de le faire pour ses confrères et peut ainsi déborder une mission précise et limitée, devenant plus un informateur religieux qu'un procureur occasionnel.
Ce qui est sûr, c'est que le P. d'Alzon l'avait apprécié, avec les autres maîtres du collège, lors de son premier séjour à Nîmes en 1853, pour ses qualités humaines et même pédagogiques, et qu'il le savait responsable à Paris du patronage de Sainte-Mélanie, dans le cadre des Conférences de Saint-Vincent de Paul. Il avait donc une certaine expérience de la jeunesse. Ne fallait-il pas lui donner ses chances ? En tout cas, sa nomination est accueillie avec plaisir : "Je me permets, écrit le P. Saugrain au P. d'Alzon, le 26 août 1863, de l'engager à être vraiment directeur du collège, sans cependant, ajoute-t-il, tout bouleverser" (OJ 14). Le 1er septembre, il lui écrit encore : "Il est possible que le P. Bailly prenne avec trop d'ardeur le rôle de directeur, mais il se calmera. Dans tous les cas, il y aura un avantage véritable à avoir une direction nouvelle qui mette de la vie dans la maison. Il est impossible qu'il n'y ait pas dans le P. Bailly certaines choses qui ne nous iront pas très bien, mais votre principe est de laisser à chacun son initiative, et à mon avis, c'est excellent pour tirer parti des gens de bonne volonté" (OJ 16).
De son côté, le P. d'Alzon lui écrit, par exemple, le 27 août : "Vous êtes jeune, mon fils, et ne savez pas que le contrepoids du zèle est la patience." Il ajoute : "De grâce, dites-moi tout ce que vous découvrez. Le système des réticences est le pire de tous" (AG 85; T.D. 27, p. 83). Et encore le 1er septembre : "Un peu de patience; pas trop de zèle [...] Votre patience voudrait-elle patienter ?" (AG 88; ibid., p. 87). Ces recommandations trouvent leur explication dans un désir de bien faire, de la part du P. V. de P. Bailly, mais aussi "dans une petite pointe d'exagération" qui affleure dans ses lettres et dont lui-même s'excuse "en reconnaissant qu'il a peut-être trop chargé les personnes, mais non pas la situation" (v. infra 1).
Effectivement, la situation du collège était à la fois critique et complexe. Il importait d'en clarifier les divers aspects et le P. d'Alzon va s'y employer. Sur le plan religieux, il fallait d'abord détacher le noviciat de la communauté locale et lui donner un maître des novices. De fait, le P. Saugrain est nommé à ce poste, lorsque le P. V. de P. Bailly devient effectivement directeur du collège à la rentrée d'octobre. Le noviciat ne pouvant être transféré au patronage, le sera, en juillet 1864 dans la maison natale du P. d'Alzon au Vigan. Il comptait alors une vingtaine de personnes dont l'entretien incombait à la Congrégation (Ch. XIX, 5 a).
La situation économique demeurait aléatoire, malgré la solution financière de 1857, confiant à la responsabilité d'une société d'actionnaires la gestion du collège : elle laissait la dette entière, tout en maintenant les problèmes de la gestion ordinaire, elle-même en déficit. Il importait de respecter les divers domaines de l'économat : économat général, confié au P. Saugrain, économats locaux (avec caisses distinctes pour l'oeuvre et pour la communauté), et droit de regard de l'économe général par délégation du supérieur général. Il fallait encore, non seulement faire des économies et assurer les rentrées d'argent, mais se libérer de la dette globale, sans nuire en rien à la santé des maîtres et des élèves.
Le fait nouveau est qu'après la mort de sa mère en 1860, et de son père en 1864, le P. d'Alzon hérite de la part des biens immobiliers qui lui revient, mais qui est à réaliser, avec les soucis que comporte une telle opération. C'est ainsi qu'on pouvait à la fois vivre dans l'indigence et passer pour riche. Le P. V. de P. Bailly, responsable de l'économat local au titre de supérieur, dénonce l'ambiguïté d'une telle situation (v. infra 2); mais le P. Saugrain écrit de son côté, au P. Galabert, le 8 juillet 1863 : "Les biens du Vigan sont en vente; ce pauvre Père se dépouille de tout avec une générosité admirable" (OJ 49). Cependant, comme économe général, il se doit d'inviter le P. d'Alzon à contrôler sa générosité pour ne pas dilapider, par des ventés trop hâtives, un capital des plus utiles à la congrégation et à ses oeuvres (lettre au P. d'Alzon, du 10 août 1864. - OJ 83). Il serait donc à désirer, comme l'écrit le P. Picard au P. Bailly qui le presse de restituer un emprunt, que chaque maison, comme celle de Paris, puisse résorber ses dettes courantes et équilibrer son budget : "Je ne comprends pas, lui écrit-il le 1er juin 1865, qu'on trouve fort beau de vivre d'aumônes et de ne faire aucune dette. C'est un résultat que la maison de Paris a seule obtenu" (EM 538).
Sur le plan local, le P. V. de P. Bailly devait encore accepter l'insertion de l'oeuvre dans la ville où elle se trouvait : "L'Assomption à la campagne, comme Juilly, Pontlevoy, Sorèze, écrit-il le 8 février au P. Galabert, serait autrement connue qu'au milieu de cette soit-disant ville de Nîmes, où les élections, les enterrements, les représentations, les visites absorbent supérieur général, directeur, etc., et les empêchent de rien produire" (FX 602). Parisien dans l'âme, le P. V. de P. Bailly n'était pas plus fait pour la campagne que pour la ville de province. "Nîmes vivra, écrit-il à part lui, le 28 janvier 1867, mais ce sera toujours une oeuvre restreinte, s'adressant seulement aux fidèles ardents du P. d'Alzon [...], et sans Nîmes, le Père a beaucoup de peine à placer cette activité pour remuer, qui est à la fois sa force et sa faiblesse. [...] Il a besoin de mener la ville où il se trouve, il ne peut mener Paris, il ne s'y plaira que quelques jours; jadis, j'ai rêvé notre centre à Paris, je n'y songe plus aujourd'hui" (GM 9). - Il ne faudrait pas oublier cependant que le Père est aussi vicaire général à Nîmes.
De plus, un collège a aussi ses problèmes annuels ou périodiques à résoudre sans cesse : programmes des études, personnel enseignant et domestique, règlement et discipline, recrutement des élèves et des maîtres, sans parler des jugements de l'opinion publique à partir d'échecs ou d'épidémies qui peuvent provoquer des récessions scolaires. D'autre part, un collège qui dure depuis vingt ans, a acquis ses us et coutumes, ses traditions pédagogiques, l'expression concrète d'un esprit dans un règlement, - un ensemble de données humaines qu'il est souvent dangereux de modifier. Ainsi, par raison d'économies, le personnel religieux s'est accru; le personnel laïc peut en porter ombrage; les élèves ont de la peine à se faire au changement. La tâche du directeur, qui est aussi le supérieur des religieux, jeunes pour la plupart, est aux prises avec les aléas d'une situation mouvante.
Enfin, la présence du P. d'Alzon, supérieur général, bien que coupée de fréquentes et longues absences, peut provoquer des interférences d'autorité, si la communauté en appelle à son arbitrage et à son expérience pour le bien de l’œuvre. Ce qui peut donner l'impression que le Père "veut toujours trop faire lui-même et trop faire faire aux autres" et que l'autorité locale a du mal à s'établir en face de la sienne et de sa forte personnalité. "Si j'ai mal jugé, mal défini la position, écrit, à part lui et en toute bonne foi, le P. V. de P. Bailly, je demande à Notre-Seigneur la grâce de voir plus clair" (GM 9; OJ 149).
2. Le P. V. de P. Bailly s'use à vouloir tenir son poste. -
Dans l'immédiat, le P. V. de P. Bailly a mis toute sa générosité à opérer le redressement et le renouvellement du collège. Les difficultés ne lui manquent pas. Le pessimisme risque de le gagner. "Pour moi, écrit-il le 12 décembre 1864 au P. Picard, je ne ferai jamais rien que par entraînement ou avec des sujets qui vont tout seuls et qui me conduisent dans le bien, même lorsque je les dirige" (FX 480). Et de nouveau, le 20 mai 1865 : "Je ne suis pas à ma place; évidemment, je suis d'une bêtise et d'une faiblesse de caractère qui paralysent mon métier" (FX 592). Parfois, cependant, malgré ses déceptions, il livre une note optimiste au P. d'Alzon : "En somme, lui écrit-il, le 5 mars 1866, au retour d'un voyage à Paris, j'ai trouvé la maison en bonne voie et je crois toujours, quand je touche de près le bien qui s'y fait, que c'est une œuvre qui, comme l’Église, doit vivre de ses douleurs" (FX 663).
Le P. d'Alzon accepte les plaintes du P. V. de P. Bailly; mais, instruit par l'expérience, l'encourage à dépasser les contrariétés et même les humiliations (v. infra 3). Lorsque, ne pouvant réaliser la vente de ses biens au Vigan, il convient avec le P. Bailly que le collège est "irravitaillable", il ose envisager de vendre, non seulement le terrain du patronage, mais encore la partie du bâtiment donnant sur l'avenue Feuchères, - ce qui, pour l'avenir, aurait dévalorisé le reste du terrain, - et même, de fermer le collège purement et simplement. Mais alors, le P. V. de P. Bailly se reprend, et le P. d'Alzon cherche une autre solution, en le convoquant à Paris, pour en discuter avec le P. Picard et Mère Marie-Eugénie de Jésus (v. infra 4).
C'est au P. Galabert qu'il donne son point de vue sur les solutions envisagées : "Madame la supérieure veut bien, le P. d'Alzon manquant, relever par des fonds la situation. [...] Pour moi, je serai toujours content du résultat, sans doute parce qu'il me viendra de mes supérieurs, mais aussi parce que, ou il me déchargera, ou il me permettra de continuer une œuvre à laquelle ses tribulations m'ont attaché." La conviction d'une issue possible n'est pas grande, car il ajoute encore : "Ma vie apostolique s'use à des luttes d'économies. [...] Ce que nos calculs ont révélé de plus net, c'est qu'à Nîmes, le Père est bien ruiné." (v. infra 5).
Pour aussi justifiée qu'elle soit, la façon personnelle avec laquelle le P. V. de P. Bailly assume sa responsabilité de directeur sur le plan pédagogique, en vient à diviser la communauté. "Il y a en ce moment à Nîmes, écrit-il, le 19 mai 1866 au P. Picard, deux courants, un qui me veut, un qui ne me veut pas; je vous parle comme à moi-même, ce courant existe aussi dans mon intérieur. [...] Que le bon Dieu manifeste sa volonté" (FX 689). Ce qui n'est peut-être pas tout à fait exact (v. infra 6). Le plus clair est que le P. Bailly s'use à vouloir tenir et que l'état de sa santé et la maîtrise de lui-même s'en ressentent (v. infra 7 a). Le P. d'Alzon se doit de prévoir son déplacement et lui demande un entretien (v. infra 7 b, c), qui se solde par un aveu d'incompréhension. Tout en admettant "l'extrême bonté" du P. d'Alzon à son égard et en lui offrant la plénitude de son obéissance, le P. V. de P. Bailly lui avoue avoir été desservi par son autorité (v. infra 7 d).
Le grief est sérieux, il peut être majoré. Interpellé de part et d'autre, le P. d'Alzon en a appelé sans doute à l'esprit religieux avec fermeté et franchise devant tous pour que personne n'en ignore. En effet, revenant, "dix-huit mois" plus tard sur l'incident, le P. d'Alzon écrit au P. Picard, le 9 septembre 1867 : "Remarquez que si les jeunes maîtres se sont plaints à lui de certaines choses, c'est qu'ils savaient mon opinion manifestée devant le P. Vincent de Paul et devant eux" (AE 253; T.D. 25, p. 204). La divergence de vues glisse de la direction de l’œuvre à "la direction des religieux". Alors, écrit le P. d'Alzon, "si le supérieur général ne communique pas sa direction aux religieux, tant vaut qu'il n'y ait pas de supérieur général (v. infra 9). "Il est possible, écrit-il aussi, qu'au fond de tout cela, il y ait une grande fatigue nerveuse. La preuve, c'est qu'il me laisse toujours brisé par ses conversations et qu'elles produisent le même effet à d'autres" (AE 251; T.D. 25, p. 201).
Le P. d'Alzon, conscient de la fatigue de ses religieux, mettait à leur disposition sa maison natale au Vigan et même le château paternel de Lavagnac où sa sœur, Mme de Puységur, les accueillait et les restaurait volontiers. C'est ainsi qu'il avait offert, en 1866, au P. V. de P. Bailly de passer ses vacances pascales au Vigan, et lui avait accordé, au mois de mai, un nouveau temps de repos à prendre au château de Lavagnac. Au début de septembre, il l'envoie à Paris pour être auprès de sa soeur Sidonie mourante; et, lorsque la rentrée scolaire est faite, il le mande à Rome, le 18 novembre, pour suivre la cause des Religieuses de l'Assomption aux prises avec les exigences abusives de l'abbé Véron, leur supérieur ecclésiastique à Paris. C'était encore le distraire du poids de sa charge par une occupation qui était aussi un service de reconnaissance. Mais, l'affaire étant suspendue à la mi-décembre, le P. V. de P. Bailly croit devoir quitter Rome et reprend, à Nîmes, le 18 décembre 1866, sa charge de directeur du collège. Encore faudrait-il ne pas se donner à soi-même l'impression d'une mise à l'écart.
3. Le P. V. de P. Bailly est relevé de sa charge. -
Au début du mois d'août 1866, le P. d'Alzon éprouve la nécessité de faire une retraite de quinze jours au Vigan. Il en écrit au P. Picard, le 6 août : "Vous me demandez peut-être : pourquoi faire une retraite si longue? D'abord, les saints en faisaient de quarante jours; puis, c'est parce que je ne suis pas un saint que j'ai voulu me recueillir un peu plus longtemps, et je m'applaudis de ma résolution." Examinant à loisir ses responsabilités de supérieur, il écrit à propos de Nîmes : "A Nîmes, nous avons le P. Vincent de Paul qui s'est admirablement relevé depuis trois mois. Je souligne admirablement, parce qu'il a eu la vertu de sacrifier son découragement et ses idées, et qu'il est pour moi et pour d'autres un vrai sujet d'admiration. Dieu l'a béni, et la maison s'est fermée pour les vacances dans la situation morale la plus admirable." Et il conclut : "Tout me pousse, pour l'an prochain, à résumer ainsi ma vie : les religieux, le noviciat, les Oblates, pour l'action extérieure; et quant à l'intérieur, c'est cette transformation en Notre-Seigneur, à propos de laquelle je fais les plus belles théories sans jamais rien réaliser." (AS 221; T.D. 25, p. 171-175).
A la veille de la rentrée scolaire, il écrit de nouveau le 3 septembre : "Le P. Vincent de Paul vous aura dit qu'au lieu d'un déficit de 24 000 francs, comme l'an dernier, celui de cette année pour le collège s'élève à 2 974 francs et quelques centimes, en comprenant les intérêts des actionnaires; c'est consolant. Ce qui ne l'est pas moins, c'est l'entrain des religieux et des professeurs que nous aurons l'an prochain, et le sentiment que nous nous remontons sur toute la ligne" (AE 225; p. 178). Et encore, le 24 octobre : "Il nous manque une douzaine d'élèves, sans quoi la maison serait aussi bien qu'on puisse le souhaiter" (AE 228, p. 182).
L'année scolaire 1866-1867 suit son cours avec ses difficultés et le pessimisme du P. V. de P. Bailly réapparaît, "avec ces mouvements de mauvaise humeur qui ne me font pas honneur", écrit-il le 7 février 1867 au P. Picard (FY 79); et le 10, de Paris au P. d'Alzon : "J'ai été à Auteuil; nous avons plus causé de Rome et de ce qui s'y est passé que de Nîmes et de ses tracas financiers" (FY 4). Au début de juillet, le P. d'Alzon l'encourage encore : "Vous êtes un curieux personnage, mais je vous avoue que la crainte de vous faire de la peine n'est entrée pour rien dans le refus très net que je vous ai fait d'accepter votre démission. Vous avez fait du bien, vous en faites et vous en ferez. Ma conviction est que, si l'Assomption comme collège subsiste à Nîmes, on vous le doit. Pourriez-vous faire mieux ? C'est possible. D'autres eussent-ils fait mieux ? Ce n'est pas probable. Laissez-moi donc de côté vos idées. On vous soutiendra, pourvu que vous ne finassiez pas. Voyez quel homme insupportable je suis" (AG 186; T.D. 27, p. 137). "Puisque vous le désirez, lui répond le P. V. de P. Bailly, je continue à supporter le fardeau, mais je vous demande de faire prier pour que je le porte au lieu de le supporter seulement" (FY 25).
Pour réaliser davantage d'économies sur la domesticité et augmenter le nombre des élèves, le P. V. de P. Bailly, en accord avec le P. d'Alzon, organise la venue des Oblates à Nîmes pour y tenir une école primaire annexée au collège, tout en assurant des services de maison. Chose étonnante, c'est au moment où se mettent en place ces dispositions, peut-être pas suffisamment concertées dans le détail, que le P. V. de P. Bailly offre encore une fois au P. d'Alzon sa démission, dans une lettre très longue qu'il qualifie lui-même de "philippique" (v. infra 8 a). Le P. d'Alzon s'efforce à le comprendre et reconnaît que si vraiment la charge dépasse ses forces, son devoir est d'y mettre un terme (v. infra 8 b).
Quel était le nœud d'un tel comportement ? Le P. d'Alzon consulte longuement son assistant général le P. Picard. Le P. V. de P. Bailly voulait une autorité plénière; le P. d'Alzon ne pouvait l'accorder au détriment de la sienne vis-à-vis des religieux, et au détriment de la paix nécessaire à la communauté pour conduire son œuvre (v. infra 9 a). L'un et l'autre conviennent, avec l'accord des religieux et de Germer-Durand, qu'il faut le libérer pour ne pas l'amoindrir, après qu'il aura réalisé la rentrée scolaire (v. infra 9 a). Le P. d'Alzon aidera le jeune P. E. Bailly à prendre la succession de son frère, sans assumer cependant l'administration matérielle, ayant autre chose à faire et pour sanctifier son âme, et pour remplir sa mission de supérieur général (v. infra 9 c).
Au double titre d'assistant général et d'ami, le P. Picard, qui a suivi le malaise depuis le début et reçu les confidences du P. V. de P. Bailly, lui écrit que le P. d'Alzon ne peut pas admettre que l'on procède avec lui par intimidation, qu'il lui garde toute sa confiance, mais que dans l'immédiat il doit tout faire pour favoriser son remplacement (v. infra 10). C'est à l'honneur du P. V. de P. Bailly d'avoir accepté ces décisions sans mettre en cause sa vie religieuse. Le 15 septembre, il répond au P. Picard : "Le Père est trop impressionnable pour n'avoir pas été vivement contrarié, mais il est trop bon pour ne point me le pardonner bientôt" (FY 93). Il quittera Nîmes plus tôt que prévu, lorsque l'occasion s'offrit au P. d'Alzon de le donner comme aumônier à un groupe de volontaires nîmois partant rejoindre l'armée pontificale (Ch. XX 11).
Dès la rentrée scolaire, le P. d'Alzon paie de sa personne, en voyant beaucoup les religieux, en faisant au corps professoral une série d'instructions sur Jésus modèle du maître chrétien (v. infra 11), et en consacrant tout le carême à commenter devant les élèves les Actes des Apôtres (T.D. 13, p. 140-335). On ne peut pas dire que tout soit résolu; on compte sur le prochain Chapitre général; mais la part prise par le P. d'Alzon à remettre à flot collège et communauté ébranle son équilibre de santé toujours précaire, à tel point qu'en avril 1868, il est demandé à la communauté de Paris de se défaire du P. Laurent, et à celui-ci, de quitter son ministère de prédicateur pour redevenir à Nîmes professeur de rhétorique. Le Chapitre général, réuni en septembre 1868 (Ch. XIX), en la présence des divers responsables y compris le P. V. de P. Bailly, fait le point, sans procès de personnes, sur les causes de l'amoindrissement du collège, y compris "l'action politique qu'a exercée le collège de Nîmes en faveur du mouvement romain et des intérêts temporels du Saint-Siège" (v. infra 12). On opte pour le maintenir, mais dans une solidarité plus grande que par le passé. Le P. V. de P. Bailly, après son retour définitif en France, sera affecté à la communauté de Paris, et sous la conduite du P. Picard, pourra donner une autre tranche de sa vie au service de l'Eglise, dans l'obéissance au P. d'Alzon.
Au départ de toute cette affaire, l'attitude du P. d'Alzon fut celle qu'il conseillait, le 17 décembre 1866, à Mère M. Eugénie : "Il faut que vous formiez des sujets capables de commander et que, pour cela vous acceptiez qu'ils se trompent quelquefois, afin qu'ils acquièrent de l'expérience" (AD 1431; T.D. 23, p. 237). Lorsque l'expérience aboutit à l'échec, le découragement peut le gagner : "Ma pensée se porte sur l'avenir de notre petite société, écrit-il au P. Picard le 30 mars 1867; et je vous avoue que je me demande comment il se fait que nous ayons en commençant tant de difficultés. Hélas, je sais bien que les contradictions sont l'apanage des œuvres de Dieu, mais il faut distinguer entre les contradictions fécondes et les contradictions stériles. Or, ce qui m'effraye, c'est la profonde stérilité des nôtres. Tâchez donc, cher ami, de prier Dieu de nous éclairer sur cette question si importante" (AE 244; T.D. 25, p. 193). Le Père retrouve son assurance en joignant à toute la prudence possible la persévérance dans l'esprit de foi : "Je maintiens, écrit-il le 11 février 1868 au P. E. Bailly, que, tout en mettant toute la prudence possible à tout ce que nous faisons, il faut mettre aussi un saint entêtement à persévérer dans l'esprit de foi. C'est l'esprit de foi qui nous sauvera" (AI 27; T.D. 31, p. 17). Une œuvre surnaturelle ne peut survivre que par l'esprit surnaturel .
Dans l'immédiat de l'incompréhension entre lui-même et le P. V. de P. Bailly, il reconnaît le fait et ses propres limites : "Quant aux points de désunion, lui écrit-il le 16 septembre 1867, permettez-moi de vous dire qu'il me paraît par vos paroles que nous sommes non pas en opposition, comme deux locomotives allant l'une au devant de l'autre, [mais] sur deux lignes parallèles. Nous ne risquons pas de nous heurter, mais encore moins de jamais nous rencontrer sur un même point. J'en suis désolé. Il faut que je sois d'une bêtise monstrueuse. Quant à la question que vous soyez un bon religieux, qui a jamais pu traiter une pareille question ? Seulement, il paraît que vous croyez que je dis bu quand je crois dire ba et que je me figure la même chose que vous" (AG 201; T.D. 27, p. 149).
1
Echange de lettres entre le P. V. de P. Bailly et le P. Picard, août-septembre 1863
Préparant la rentrée scolaire, le P. V. de P. Bailly avait transmis au P. d'Alzon ses impressions sur la situation du collège. Étant à Paris, le P. d'Alzon communiqua au P. Picard cette lettre, et le P. Picard se permit de dire au P. Vincent de Paul de ne point céder à l'exagération. Le P. Vincent de Paul accepte la remarque, mais en maintenant ses critiques.
a)
Du P. Picard au P. V. de P. Bailly, Paris, le 29 août. - Orig.ms. ACR, EM 429.
Vos ennuis sont arrivés jusqu'à Paris; le Père n'en a parlé qu'à moi, il les garde pour lui et doit vous avoir répondu d'agir avec une douce fermeté. Il importe que les novices arrivent à être des novices et ne se croient pas obligés de rester écoliers, les détails sont bien désagréables. [...] Maintenant, un conseil d'ami : dites tout ce que vous savez et apprenez, mais méfiez-vous d'une petite pointe d'exagération, qu'on vous reproche un petit peu. Cette observation ne porte pas sur vos lettres, mais sur les premières impressions que vous avez eues en arrivant de Rome. Les enfants n'en savent pas autant que vous le craignez sur les affaires déplorables dont vous m'avez parlé. Il paraît que les enfants sont enchantés de votre nomination. [...] Excusez mon amitié et croyez-moi tout vôtre de cœur.
b)
Du P. V. de P. Bailly au P. Picard, Nîmes, le 2 septembre. - Orig. ms. ACR, FX 373.
Je vous remercie bien du dernier paragraphe de votre lettre, de tels paragraphes sont toujours bien bons, je crois seulement que le reproche ne doit pas se circonscrire à la catégorie de faits indiqués, il est général pour moi. - Excusez cependant, je reconnais que j'ai peut-être trop chargé les personnes, non pas la situation, car enfin c'est par les enfants que j'ai appris les principales choses et c'est à ces faits que j'attribue certaines défections probables, les enfants auront parlé dans la famille comme dans la cour. Je vous en prie, parlez-moi toujours ainsi, c'est si rare, si petit que soit le gouvernement qu'on tienne, de pouvoir entendre une vérité désintéressée et intelligente, mais j'en attends de vous de moins douces; à l'occasion je vous servirai si vous le désirez. Priez pour que le bon Dieu me donne un peu de fermeté, je voudrais être craint et je ne suis pas à craindre.
2
Extraits d'une lettre du P. V. de P. Bailly au P. Saugrain, Nîmes le 4 juillet 1865. - Orig.ms. ACR, FX 625.
Le P. V. de P. Bailly se plaint au P. Saugrain, économe général, que le P. d'Alzon ne le met pas au courant de ses affaires financières; il estime que seule sa ruine pourrait leur assurer la paix. Sont vraiment fécondes à ses yeux les œuvres fondées dans la pauvreté.
Le Père paraît ne vouloir pas dire un mot de ses affaires d'argent; j'attends avec confiance en Dieu la déconfiture où il va évidemment. C'est seulement, selon mes vues, quand le Père sera ruiné tout à fait, que nous pourrons commencer à régler nos affaires d'argent et trouver, autant qu'elle est désirable, la paix que cette fortune a toujours enlevée et enlèvera toujours tant qu'elle existera, à tous ceux qui s'occupent des œuvres de l'Assomption.
La liquidation ne sera peut-être pas aussi pénible qu'on pourrait le redouter, et je compte sur l'aide de la Providence qui nous veut pauvres. Jamais les fondateurs n'ont pu se servir de leurs biens pour leurs œuvres et les plus féconds étaient pauvres. Que voulez-vous, j'ai pour patron saint Vincent de Paul et je vois les Petites Sœurs des Pauvres, qui fondent tant de maisons, quand nous ne pouvons en soutenir une, avoir commencé par une très pauvre fille; mais laissons l'avenir(1).
3
Lettre du P. d'Alzon au P. V. de P. Bailly, Le Vigan, le 30 août 1865. - Orig.ms. ACR, AG 130; T.D. 27, p. 106.
Le P. d'Alzon accepte les plaintes du P. V. de Paul, mais, instruit par l'expérience, l'encourage à dépasser les contrariétés et même les humiliations.
Mon cher et tendre ami,
Je vous plains de toute mon âme, mais ne vous découragez pas. C'est par tribulationes multas et malas que nous arriverons au royaume de Dieu. Donc il faut souffrir, c'est ce que je me suis dit toute la journée en accomplissant mes 55 ans. Donc nous offrirons à Dieu et à la Sainte Vierge nos peines, et nous tâcherons qu'en échange Dieu veuille nous donner un peu de sa si grande miséricorde. Je vous place sous la protection de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge. Votre frère, Frère Athanase, Frère Alexis, Frère Germer, Père Picard, Père Hippolyte sont en retraite; c'est admirable. Il sortira bien quelque chose de tout cela. Laissez faire le diable, et espérons que rira bien qui rira le dernier.
Voyez-vous, tout ennui, toute contrariété, toute humiliation qui nous brise est un moyen de féconder son action. Adieu, bien cher ami. Je prie bien pour vous. Tout vôtre en Notre-Seigneur.
E. d'Alzon.
4
Extraits de 3 lettres du P. d'Alzon au P. V. de P. Bailly, Paris, 1866
Le P. d'Alzon, en attendant de prendre une décision définitive de fermeture, accepte la vente de terrains avoisinant le collège, et convoque à Paris le P. V. de P. Bailly qui semble avoir changé d'opinion.
a)
Paris, 5 février 1866. - Orig.ms. ACR, AG 151; T.D. 27, p. 117.
Je vous avoue que je tourne et retourne le P. Picard dans tous les sens, pour lui reprendre ce que nous avons sur la maison de Paris. Et je crois dire qu'il y met une vraie bonne volonté.
Il fait des démarches, dont je ne vous fatigue pas, mais qui, il faut l'espérer, aboutiront. Quant à moi, je ne vois de ressources que dans la vente du patronage, que je vous autorise à faire comme vous l'entendrez, pourvu que ce ne soit pas à prix trop réduit. Quant à vendre le devant de l'avenue Feuchères, c'est une mesure extrême qu'il ne faudra subir que tout à fait au dernier moment de la clôture du collège, si on le ferme. Grosse question, devant laquelle je recule en ce moment. Prions, prions encore. Je demande à Dieu de me donner les trois quarts de vos soucis, je sais à quel point cela use, et il me semble que le quart que je vous laisse est bien suffisant pour vous sanctifier. Je vais me remuer tant que je pourrai.
b)
[Paris, vers le 10 février 1866].- Orig.ms. ACR, AG 153; T.D. 27, p. 118.
Je vous envoie 625 francs, avec le regret qu'ils ne soient pas accompagnés de trois zéros. [...] Je songe sérieusement à un emprunt de 100 000 francs. Je liquiderai avec cela; je fermerai, s'il le faut, et je vendrai tout le terrain de l'avenue. Avec la vente de ce terrain, celle du patronage et les 100 000 francs que Paris finira par me payer, nous finirons par arranger bien des choses. La maison fermée, nous aurons bien d'autres choses à faire.
c)
[Paris, le 15 février 1866].- Orig.ms. ACR, AG 154; T.D. 27, p. 119.
Vous ne m'avez pas fait la moindre peine, comme vous semblez le craindre; tout au contraire, et, quoique je vous aie donné carte blanche pour fermer le collège, parce que vous le croyez inravitaillable, si vous croyez qu'il peut aller, je ne demande pas mieux. Maintenant, voici ce que je pense. Ou venez à Paris, ou je partirai au plus tôt pour Nîmes. Le P. Picard est d'avis que vous veniez ici; venez-y donc, si vous le voulez. J'en serai ravi à ce point de vue qu'outre nos affaires que nous traiterons, vous pourrez y voir les vôtres.
5
Extraits de 2 lettres du P. V. de P. Bailly au P. Galabert, février-mars 1866
Le P. V. de P. Bailly se réjouit de voir le P. Galabert, supérieur de la jeune mission assomptioniste en Orient, s'installer pauvrement à Philippopoli (Bulgarie). - A Nîmes, on expiera les fausses apparences de richesse (a), car le P. d'Alzon y est bien ruiné (b).
a)
Nîmes, le 14 février 1866. - Orig.ms. ACR, FX 712.
Le P. d'Alzon travaille à l'arrangement de nos affaires; il y a là de très grosses questions à traiter. Pour moi, je serai toujours content du résultat, sans doute parce qu'il me viendra de mes supérieurs, mais aussi parce que, ou il me déchargera, ou il me permettra de continuer une œuvre à laquelle ses tribulations mêmes m'ont attaché. Vous n'enviez pas les tentatives ambitieuses d'Andrinople et dans la crèche de Philippopoli Dieu a fait des merveilles qu'il n'a pas voulu faire dans la grande ville; ce sera toujours ainsi quand nous préférerons la voie humble à la voie large. Et c'est toujours en faisant trop pour le monde, en voulant paraître plus que nous ne sommes en nombre par exemple, en vertu, etc., que nous sommes coulés. Ce qui nous entrave actuellement c'est la réputation de gens riches; car c'est elle qui cause notre misère en accroissant nos charges, nos prétentions et en tarissant nos ressources. Si le P. d'Alzon n'avait pas ses biens, je n'aurais pas 12 500 francs d'intérêts de plus à solder cette année que précédemment. Il nous faut être pauvre par la misère, nous ne le voudrons peut-être jamais, et nous expierons toujours ces fausses apparences où nous resterons.
b)
Nîmes, le 6 mars 1866.- Orig.ms. ACR, FX 713.
Des difficultés graves nées de la situation financière du P. d'Alzon, plus que celle du collège, m'ont obligé à ce voyage de Paris. Je dois vous dire que contrairement à certaines prophéties j'ai trouvé à Paris beaucoup de bonne volonté pour l'Orient et pour Nîmes. Pour Nîmes surtout dont Mme la Supérieure veut bien, le P. d'Alzon manquant, relever par des fonds la situation, le choléra nous avait fait un gros trou; 40 élèves de moins sans diminution des dépenses. [...] Dans la situation actuelle du P. d'Alzon, nous payons pour lui et il donne de l'argent en raison d'un budget où figurent - l'Orient - des journaux -Monnier - intérêts - etc. - Tout ce qui n'est pas sur ce budget, le P. d'Alzon ne peut le payer, car ce budget qu'il s'est créé dépasse très, très notablement ses revenus. Cela pour vous dire que le Père veut que nous trouvions par souscription les 4 000 francs annuels que nous vous adressons. [...] Je compatis du reste plus que ne le feraient penser ces lignes à vos embarras. Je m'y enterre jusqu'au cou de mon côté. Ma vie apostolique s'use à des luttes d'économies. [...] Nous sommes pauvres tant mieux. Ce que nos calculs ont révélé de plus net, c'est qu'à moins d'une affaire comme celle de Clichy, à Nîmes le Père est bien ruiné. Il doit son capital largement. Il ne donnera pas sans un nouveau miracle 300 francs au Saint-Père pour l'Orient.
6
Extraits d'une lettre du Fr. Alexis Dumazer au P. d'Alzon, Nîmes, 3 juin 1866. - Orig.ms. ACR, OJ 135.
Les initiatives du P. V. de P. Bailly comme supérieur en viennent à troubler la communauté. Le Fr. Dumazer y voit une rupture dans les traditions pédagogiques de la maison et la nécessité d'une option de la part du P. d'Alzon.
J'ai longtemps hésité à vous écrire, mais la position devient si difficile que je n'y tiens plus.
En deux mots, mon T.R. Père, le P. Vincent de Paul tire d'un côté, le P. Emmanuel Bailly et moi poussons la maison dans la voie que vous nous avez indiquée : il se trouve que nous allons en sens inverse. Je ne me sens plus la force de résister, aussi je viens vous demander, mon Père, franchement et simplement une direction.
Faut-il suivre le P. Vincent de Paul ? C'est abandonner la route que vous nous avez tracée, c'est renoncer aux moyens d'influence que vous nous avez recommandés, c'est (je vous demande pardon, mon T.R. Père, d'exprimer ma pensée si crûment) anéantir l'esprit de l'Assomption, c'est, je crois, aller à la ruine de l'oeuvre.
Faut-il suivre vos intentions et vos conseils ? C'est se séparer complètement du P. Vincent de Paul, c'est se tirailler, c'est donner raison à ces bruits qui circulent dans la ville et même parmi les élèves : Le P. Vincent de Paul pousse la maison dans un sens. Ces deux jeunes gens dans un autre. [...]
Quel que soit mon amour pour les vieilles traditions de la maison, je suis prêt à y renoncer, mon T.R. Père, si vous le voulez, mais je ne le ferai jamais sans un ordre de votre part. D'un autre côté, je suis bien décidé à rester aussi uni que possible avec le P. Vincent de Paul, mais ces deux choses me paraissent incompatibles. Il faut opter. Je vous demande, mon T.R. Père, de faire vous-même ce choix. Je ne crois pas que le P. Vincent de Paul puisse jamais entrer dans les idées que vous nous avez si souvent exprimées. Cela devient plus évident pour moi de jour en jour.
Ne pensez pas, mon Père, que je vous écrive ceci dans un moment de découragement. J'ai voulu attendre pour vous envoyer ma lettre d'être parfaitement maître de moi. Je suis en ce moment aussi plein de courage que jamais, aussi disposé à suivre vos ordres, mais je vous supplie, mon T.R. Père, de trancher entièrement la question. Je souffre trop de la situation indécise dans laquelle nous nous trouvons et qui va aller toujours croissant.
7
Extraits de lettres, relatifs à un projet de changement du P. V. de P. Bailly, mai-juin 1866
Malgré ses autres responsabilités, le P. d'Alzon ne cessait de suivre de près la situation de Nîmes, soit en étant sur place, soit en se laissant informer des données de la crise. Dès 1866, il envisage le déplacement du P. V. de P. Bailly, pour que ses qualités humaines et religieuses puissent donner leur fruit dans une autre situation.
a)
De Mère M. Eugénie au P. Picard, Nîmes, le 14 mai. - Orig.ms. ACRA.
De passage à Paris, Mère M. Eugénie transmet au P. Picard ses impressions.
Le P. d'Alzon se montre si bon et si affectueux pour moi que j'en éprouve intérieurement un peu de confusion. [..] Il va assez bien, mais (ceci pour vous seul), une chose m'afflige : entre lui et le P. Vincent de Paul, cela ne va pas tout à fait bien. Il le trouve fermé, se rétrécissant, s'entêtant, ne pouvant comprendre ce qui n'est pas son propre sens, etc. Je n'ai pas vu ce bon Père, il est allé à Lavagnac pour se reposer. Le P. d'Alzon a regretté que je ne le visse pas, il eût voulu que je causasse avec lui. Je crois pour mon compte que ce Père est écrasé, mal à l'aise, un peu entêté par son manque de sommeil qui lui affaiblit la tête. Le résultat sera, je crois, que le P. d'Alzon cherchera les moyens de le remplacer, et, toujours entre nous, d'ici à un an ou deux, il vous le donnerait à Paris, pour l'empêcher de s'amoindrir. A dire vrai, il me semble que c'est le seul parti qu'il ait à prendre s'il veut empêcher ce mal.
b)
Du P. d'Alzon au P. Picard, Le Vigan, 4 juin. - Orig.ms. ACR, AE 218; T.D. 25, p. 169.
L'argent promis par Mère M. Eugénie fera défaut. Le P. Vincent de Paul parlait de sa démission; le P. d'Alzon a refusé provisoirement, mais envisage son déplacement.
Les fonds que la supérieure avait promis au P. Vincent de Paul nous font défaut. Il n'y faut pas compter. [...] Je vous dirai en grand secret que je pourrais bien vous envoyer l'an prochain le P. Vincent de Paul. Il faut reconnaître que s'il réussit par un côté, il échoue complètement de l'autre. Il y a là des tiraillements très grands et auxquels il faut parer. Lui-même m'a positivement demandé de le débarrasser du fardeau. J'ai refusé, mais je vois qu'il faudra en finir par là. Pourriez-vous le loger ? Le P. Pernet ou le P. Augustin pourraient-ils quitter Paris ? Je parle pour le mois de septembre prochain ou pour le mois d'octobre. Je ne crois pas possible que le P. Vincent de Paul pût faire pour Auteuil. Ainsi ne comptez pas sur lui : il se tuerait, et je doute qu'il réussît. Il est en général trop peu bienveillant par nature, car c'est réellement un garçon d'une grande vertu. Je l'estime et je l'aime beaucoup; et je l'aimerais encore plus si je n'apercevais pas souvent chez lui son habileté et aussi sa sévérité de jugement.
c)
Du P. d'Alzon au P. Vincent de Paul Bailly, Le Vigan, 5 juin. -Orig.ms. ACR, A6 159; T.D. 27, p. 121.
Le P. d'Alzon assure le P. V. de P. Bailly de toute sa compréhension, en attendant de lui rendre visite.
Votre lettre contient une tristesse, dont je me rends parfaitement compte et dont je souffre pour vous plus que mon amitié ne peut dire. Je vois bien que vous fléchissez sous le poids; nous allons tâcher de vous l'enlever ou du moins de le diminuer, autant qu'il dépendra de nous. Un peu de patience. Je vous arriverai vendredi soir, vers 10 ou 11 heures.
d)
Du P. Vincent de Paul Bailly au P. d'Alzon, Nîmes, 16 juin. -Orig.ms. ACR, FX 659.
Sondé par le P. d'Alzon, le P. Vincent de Paul ne veut rien déserter. Certes, il a des raisons d'être découragé. Si sa démission est utile, que le P. d'Alzon l'accepte. Il ne veut avoir d'autre consolation que l'obéissance.
Vous venez de me demander si j'étais trop découragé pour continuer à diriger la maison et vous m'avez offert de me décharger. Le fardeau est assez lourd pour que je vous sois très reconnaissant, mais permettez-moi, je vous en prie, de vous montrer combien la situation vous apparaît différente de ce qu'elle est.
Je suis bien au-dessous de ma mission ici, c'est malheureusement trop vrai; mais là n'est point la source de ce que vous considérez comme mon découragement.
Vous savez, mon Père, à peu près quel temps vous avez eu à vous plaindre que je n'avais pas l'esprit de l'Assomption; il me revenait que vous aviez eu à le regretter avec plusieurs personnes de la maison ou du dehors, quand un soir vous me le dîtes devant tous les religieux, en désignant ceux qui avaient beaucoup cet esprit, ceux qui l'avaient un peu, ceux qui l'auraient plus tard, et moi qui ne l'avais pas et ne l'aurais jamais. Vous accentuâtes beaucoup, mon Père, et l’œuvre de direction que j'avais sérieusement entreprise vis-à-vis des jeunes religieux cessa complètement ce jour-là. La confiance qu'on avait en moi tomba subitement. J'ai dû perdre, moi surtout, confiance en moi, puisque vos paroles donnaient toute consistance aux bruits qui m'étaient revenus.
Depuis, on comprit que vous pensiez qu'un jeune sous-Directeur relèverait l'esprit de la maison, que vous regrettiez de vous être séparé de l’œuvre; j'étais l'obstacle.
Ce n'étaient sans doute que des bruits, je vous ai demandé franchement ce qui en était; vous me répondîtes avec beaucoup de bonté que vous y songiez depuis longtemps, que j'étais appelé à faire du bien à Paris, que je méritais de me reposer, que ce serait sans doute dans un an.
Depuis ce moment, toute la direction de la maison s'étant faite en dehors de moi, mes efforts n'ont point réussi toujours à ne point me mettre en contradiction avec vous. On me révèle que vous en êtes profondément blessé.
C'est dans ces circonstances, mon Révérend Père, que vous me demandez si mon découragement est trop grand pour continuer, et qu'alors, mais à regret, vous reprendriez le fardeau. Je ne veux rien déserter, mais si ma démission est utile à l'avenir de l’œuvre, je vous supplie de l'accepter. Vous m'avez souvent témoigné une extrême bonté, je vous conjure de me la continuer en me traitant aujourd'hui en religieux. Quoi que vous décidiez, je veux, mon Père, avoir la consolation d'avoir simplement obéi.
8
Échange de lettres entre le P. V. de P. Bailly et le P. d'Alzon, datées des 30 et 31 août 1867
Le P. V. de P. Bailly expose dans une longue lettre qu'il ne peut plus porter le fardeau du collège, où sa direction est trop souvent contrecarrée par les interventions du P. d'Alzon. Le P. d'Alzon, après avoir reconnu que l'un et l'autre peuvent avoir des défauts, promet sérieusement de le libérer si l'épreuve dépasse ses forces, car c'est son devoir.
a)
Du P. V. de P. Bailly au P. d'Alzon, Nîmes, le 30 août. - Orig.ms. ACR, FY 37.
Nous ne citerons de la lettre du P. Vincent de Paul que quelques passages qui rendent le ton de l'ensemble, qualifiée par lui de "philippique".
Si j'étais homme d'études, orateur et suffisamment sûr de mes jugements, je vous dirais sans hésiter : Mon Père, cédez-moi l’œuvre entièrement comme vous avez voulu faire il y a quatre ans, quand vous m'avez transformé en Directeur de collège tout d'un coup.
Mais en toute sincérité je n'ai pas les qualités qu'il faut et alors je me permets de vous dire : Reprenez, mon Père, sérieusement une œuvre qui est l’œuvre de votre vie, faites-vous aider par un religieux, par un jeune religieux qui aura à la fois plus d'expérience que je n'en avais en commençant, et plus de capacités diverses et qui n'aura pas les mêmes responsabilités. Les tiraillements seront beaucoup moindres, il comprendra qu'il doit vous consulter en toutes choses et vous ne lui refuserez pas alors vos décisions, même pour les petites choses.
[...] J'ai eu tort de parler d'obéissance de 35 ans, j'aurais dû dire de souplesse pour toujours accepter des opinions qu'un esprit neuf prend et laisse comme une terre molle et qu'un esprit cagneux adopte avec peine et n'abandonne plus aussi facilement. [...]
Vous jugerez, mon Père, au seul point de vue des œuvres, car l'unique récompense que j'ambitionne est celle du soldat qui demande à être placé sur le champ de bataille où il peut utilement donner, et non où il sera en sûreté.
Quant au changement de supérieur d'un collège, il me semble toujours beaucoup plus favorable aux vacances que dans l'année. Dans l'année le nouveau maître n'a qu'à faire l'intérim de l'ancien sans innover, au commencement, il peut opérer toutes les réformes qu'on pardonne à un nouveau supérieur. Et puis cette année plus de grands !
Ceci dit sans insister, mais pour que tout soit bien nettement exprimé. Je vous embrasse, mon très Révérend Père, de tout mon coeur, si vous le permettez encore après cette philippique, vous l'apprécierez peut-être moins sévèrement en la parcourant une seconde fois.
b)
Du P. d'Alzon au P. V. de P. Bailly, Le Vigan, 31 août.- Orig.ms. ACR, AG 193; T.D. 27, p. 145-146.
Le P. d'Alzon explique au P. V. de P. Bailly que son épreuve lui rappelle sa propre expérience et celle de tous ceux qui ont affaire à des supérieurs majeurs. Les supérieurs avec leurs vertus imposent des épreuves volontaires, et avec leurs défauts en imposent aussi d'involontaires. A 57 ans, on passe au-dessus de bien des plaintes. Son devoir de supérieur est de mettre un terme à une épreuve qui dépasserait ses forces.
J'ai lu avec toute l'attention possible vos 21 pages, et je suis d'autant plus disposé à vous donner raison qu'en vous lisant je me disais à chaque phrase : "Mais c'est mon histoire". Oui, mon histoire avec Mgr Cart, quand j'avais de 29 à 36 ans. C'était juste le même ordre de récriminations, je les croyais parfaitement fondées. J'ajoutais encore : "Mais c'est l'histoire de l'abbé Cabrières avec Mgr Plantier. Il me faut le calmer, depuis qu'il est esclave à l'évêché, et ce sont les mêmes douleurs - sa dernière ou son avant-dernière lettre en contenait l'expression". C'est, de plus, l'histoire de tous les vicaires avec leurs curés; (un grand-vicaire sait cela par coeur). Il y a plus. Que de fois n'est-on pas venu me dire : "Ah ! que vous êtes bon de rester avec votre évêque !" Aujourd'hui que j'ai plus de 35 ans, je suis devenu plus souple. L'âge m'a donné ce que vous prétendez qu'il vous ôte. Je ne veux pas entrer dans les détails. Le P. Brun, le P. Hippolyte ont eu ces épouvantables épreuves, et, jusqu'à la fin du monde, il en sera ainsi. Les supérieurs seront les bourreaux des inférieurs, et la preuve c'est que vous, que ma tyrannie fait si cruellement souffrir, vous en faites souffrir d'autres. Que faire ? N'être plus supérieur ? Je vous l'accorde. N'être plus inférieur ? Accordé. Rester tout seul, comme un bel astre dans l'espace ? Je vous annonce que vous vous ferez souffrir vous-même. Hélas ! l'on se porte partout soi-même.
Toutefois, je fais la très large part de mes défauts. En dehors des épreuves volontaires que les supérieurs imposent avec leurs vertus, il y a les épreuves involontaires qu'ils imposent avec leurs défauts, dont quelques-uns sont des défauts de mémoire(2).
[...] Eh ! cher ami, si maintenant j'entamais le chapitre de mes plaintes ? Mais je vous avoue que cela me semblerait un peu stupide avec mes 57 ans. Ce qui est permis à 35 ans ne l'est plus à près de 60. Que vous ayez des ennuis ! Eh ! cher ami, je passe mon temps à admirer la manière dont vous les prenez. Que vous ayez d'immenses ressources ! C'est incontestable. Que vous et moi ayons des défauts, c'est plus clair que le jour... Que vous ayez des défaillances, c'est tout naturel. Quand elles dépasseront vos forces, mon devoir est d'y mettre un terme. Ainsi, je vous prie, pour ne rien brusquer, de commencer l'année, et si vous ne pouvez tenir, je vous promets sérieusement de vous rendre votre liberté vers le mois de décembre.
9
Echanges de lettres entre le P. d'Alzon et le P. Picard, septembre 1867
Pour partager la responsabilité des mesures à prendre, le P. d'Alzon réunit ses collaborateurs de Nîmes au Vigan, et consulte par lettre le P. Picard.
a)
Du P. d'Alzon au P. Picard, Le Vigan, le 4 septembre. - Orig.ms. ACR, AE 251; T.D. 25, p. 199-201.
Le P. Vincent de Paul m'a écrit pour me prier de le débarrasser du collège. Je vous ai dit que c'était depuis longtemps sa marotte : ou de se retirer ou d'obtenir de moi :
1° la direction des religieux;
2° le changement complet du règlement;
3° l'obligation que j'approuve ce qu'il fait quand il me consulte. Je réponds :
1° que si le supérieur général ne communique pas sa direction aux religieux, tant vaut qu'il n'y ait pas de supérieur général;
2° que le règlement n'a pas été fait par moi seul, qu'il est le résultat de l'expérience de vingt ans et plus, qu'il a été fait sur des données qui sont les idées de l'Assomption, que des modifications légères sont admissibles, que des changement profonds amèneraient la perturbation et le défaut d'entente. Les PP. Hippolyte, Emmanuel, Athanase, Alexis, Germer, M. Durand sont de mon avis;
3° que le maître des novices ne peut donner aucune préparation pédagogique à ses jeunes gens s'il n'a pas le règlement;
4° que si chaque directeur, comme le soutient le P. Vincent de Paul, change le règlement, toute tradition se perd, etc. [...]
Oserai-je aller jusqu'au bout ? J'arrive à la conclusion qu'il n'a pas envie de quitter le collège, mais qu'il veut par ses offres de retraite me forcer à lui tout accorder. (Ceci est basé sur des conversations qu'il a eues avec son frère). A sa dernière demande, je lui ai répondu de faire la rentrée, et que s'il n'était pas content, je le laisserai vers décembre aller à Paris. [...]
J'ajoute un mot. Il est très possible qu'au fond de tout cela il y ait une grande fatigue nerveuse. [...] Il faudrait alors le ménager, et le laisser se retirer tout doucement pour ne pas l'écraser tout à fait. [. . .] Le P. Emmanuel aurait le titre de sous-directeur. Je mettrais un peu plus la main à la pâte, mais je serais condamné à rester au collège. A moins que vous ne voulussiez y venir. Addio. Encore un mot. Si c'est moi qui reprends le collège, de grâce, trouvez-moi une douzaine de mille francs, ou vous m'enterrez à la fin de l'année.
b)
Du P. Picard au P. d'Alzon, Paris, le 6 septembre. - Orig.ms. ACR, EM 636.
Je prenais la plume pour vous écrire les conclusions auxquelles vous êtes arrivé vous-même. Ainsi, sans nous être entendus, le P. Hippolyte, vous et moi, nous arrivions à la même solution. Je ne connaissais pourtant pas les derniers événements, et je cherchais les raisons nettes sur lesquelles je pourrais appuyer mes impressions. Les motifs étaient encore un peu vagues dans mon esprit, mais ils suffisaient pour me déterminer. Des conversations que j'avais pu avoir au Vigan, à Nîmes, à Lyon, était ressortie pour moi la conviction que le P. Vincent de Paul ne resterait pas plus longtemps au collège. Les nuances remarquées dès le commencement ne s'étant pas effacées, il se produisait un malaise qui risquait de paralyser les forces du directeur et celles du supérieur général, et qui pouvait compromettre l’œuvre en usant inutilement la santé de chacun. Les anciens prétendaient qu'ils ne reconnaissaient plus le collège, le P. Vincent de Paul se sentait gêné, il importait d'arriver au plus tôt à un arrangement sans rien brusquer et sans rien compromettre.
c)
Du P. Picard au P. d'Alzon, Paris, le 13 septembre.- Orig.ms. ACR, EM 638.
Comment pouvez-vous penser en effet à prendre l'administration matérielle du collège ? En avez-vous le temps ? Les expériences passées ne vous suffisent-elles pas ? Ne vaut-il pas mieux consacrer vos forces et votre intelligence à quelque chose de plus élevé ? Par là vous userez votre santé en efforts inutiles et en dehors, je crois, des desseins du bon Dieu. Quand on peut, comme vous, avoir une influence générale, exercer une grande action sur les âmes, on a sa ligne de conduite toute tracée. Notre-Seigneur peut permettre qu'on rencontre quelquefois sur sa route des obstacles, qui semblent détourner du but, mais il se contente de sanctifier par là et il ramène ensuite à la mission qu'il a voulu confier à son enfant. Prendre en mains l'administration matérielle du collège, est-ce un de ces obstacles suscités par le divin Maître pour sanctifier votre âme et vous préparer à mieux remplir votre mission ? Je ne le crois pas, car ce n'est pas nécessaire, d'autres peuvent faire cette besogne. [.. .]
Pour le P. Vincent de Paul, je crois la solution excellente. Il pourra se reposer; avec l'apaisement de ses nerfs il retrouvera toute sa facilité, son entrain reviendra, la fièvre fera place à l'apaisement et au calme. Ce bon Père pourra étudier la vie religieuse en même temps que la vie mystique, il continuera son noviciat. Vous comprenez, mon bien cher Père, qu'une fois ma pensée exprimée, je suis sûr qu'en tout vous avez voulu le bien et, si j'en crois tout ce qui m'a été dit, vous aviez à réagir pour maintenir le vieil esprit de l'Assomption. Vouloir supprimer les us et coutumes de l'Assomption, démolir le règlement, c'était et ce serait vouloir remplacer une oeuvre par une autre. Le P. Vincent de Paul ne le voulait certainement pas, mais si sans s'en douter il tendait à ce résultat, il vaut mieux arriver à une autre combinaison. Son changement était inévitable depuis un an, il vaut mieux le décider et agir que de rester toujours dans l'indécision. Votre solution est donc excellente. Laisser faire la rentrée et puis prétexter un voyage.
10
Extrait d'une lettre du P. Picard au P. V. de P. Bailly, Paris, le 13 septembre 1867. - Orig.ms. ACR, EM 665.
Au courant des décisions prises par le P. d'Alzon pour le collège de Nîmes et de la correspondance échangée entre le P. d'Alzon et le P. V. de P. Bailly, le P. Picard exprime franchement à son confrère que ses procédés d'intimidation ne sont pas recevables; qu'il est préférable pour lui, étant donnée la confiance qu'on lui porte, de favoriser son remplacement par une attitude d'humble et franche obéissance.
Votre protestation a mécontenté, et, si j'en crois mes renseignements, elle aurait une forme respectueuse mais peu religieuse, elle aurait besoin d'avoir pour excuse une irritation nerveuse et une agitation maladive. Le P. d'Alzon voit avec peine que vous lui mettiez toujours le marché en main et que vous procédiez avec lui par intimidation; il vous sait un excellent religieux, il a confiance en vous sur bien des points, mais par sur la direction des religieux, il a confiance aveugle en vos talents administratifs. Voilà l'expression dans toute sa crudité. Je révèle peut-être un secret, mais vous saurez garder la chose pour vous et en faire votre profit. Avec mes amis je ne puis répondre que par une franchise quelquefois brutale. Cela dit, que faut-il faire ? Rien maintenant, sinon se poser en parfait religieux, qui garde sa langue, agit comme s'il devait rester éternellement au même poste, marche avec courage et humilité et sait choisir le moment pour s'effacer et laisser grandir son successeur. Le résultat définitif était désirable, je crois. Il me paraissait difficile que vous restiez plus longtemps encore à Nîmes. Entre votre action et celle du P. d'Alzon, il y a une nuance qui ne s'est pas effacée et qui ne s'effacera pas dans le moment actuel, il vaut mieux exercer ailleurs une action plus complète. Si le P. d'Alzon vous a mis au courant de ses intentions et vous a annoncé qu'il vous déchargerait sous peu du collège, voici la ligne de conduite que vous pourriez suivre : accepter avec empressement la décharge, remercier; faire des excuses pour tout ce qu'il pouvait y avoir de trop vif, ou pour tout ce qui aurait pu faire de la peine et considérer votre prochain départ comme si c'était un fait accompli, sur lequel on ne revient plus. Voilà ma pensée, je suivrais cette ligne de conduite, vous en avez peut-être une meilleure, mais, je vous en prie, considérez les choses comme établies, et puis montrez-vous un saint religieux, qui peut se tromper, qui parle avec franchise et conscience et qui ensuite se range avec humilité pour suivre l'impulsion de l'obéissance; in omnibus gratias agentes. Dieu saura faire son oeuvre, il établira un bien que nous n'attendons peut-être pas.
11
Extraits de 2 lettres du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, octobre-décembre 1867
Sachant que Mère M. Eugénie partage toujours ses préoccupations, le P. d'Alzon, qui vient de reprendre en main le collège, fait le point sur l'avenir de l'oeuvre et de la communauté. Au mois de décembre, la reprise est en bonne voie.
a)
Nîmes, le 9 octobre 1867. - Orig.ms. ACR, AD 248; T.D. 23, p. 277-279.
Ayant examiné la situation des maîtres et des élèves à la rentrée scolaire, le P. d'Alzon conclut :
1° Que nous avons moins d'élèves, mais que nous sommes maîtres de ceux qui restent;
2° Que l'opinion universelle est que le P. Vincent de Paul a éloigné, désaffectionné les enfants par son système de défiance, qu'il a excité contre lui tout ce qui tient à la vieille Assomption;
3° Que j'ai le droit de parler clair et net, que les enfants, j'en suis sûr, reviendront quand les études seront prises au sérieux;
4° Que je puis en ce moment m'occuper de la maison, que je m'en occupe, en effet, en voyant beaucoup de religieux, dont je m'empare tous les jours un peu plus;
5° Que le P. Emmanuel prend tous les jours davantage une position de confiance aux yeux des élèves et que, sous très peu de temps, il pourra remplacer très avantageusement son frère. C'est la très grande conviction du P. Hippolyte, de M. Durand et la mienne.
Nous aurons un déficit plus grand que celui de l'an dernier, mais en comparant les professeurs employés ou domestiques que les Oblates remplacent et en établissant la balance des dépenses des uns et des autres, j'arrive largement à une économie de 3 000 francs, sans compter les gaspillages de la cuisine qui iront diminuant incontestablement.
b)
Nîmes, le 28 décembre. - Orig.ms. ACR, AD 4461; T.D. 23, p. 290-292.
A la fin du premier trimestre, le P. d'Alzon, qui y a mis tout son dévouement, annonce que le collège se relève, que les religieux exercent une heureuse influence et que l'esprit des maîtres est bon.
A tort ou à raison, tout le monde trouve que depuis le départ du P. Vincent de Paul la maison se remonte. Sauf quelques parents, on constate plus de travail de la part des élèves, plus de vigueur dans les classes, plus d'entrain dans les jeux, plus d'influence générale et heureuse de la part des religieux, plus de bon esprit chez les maîtres. Il est vrai que pour les maîtres je leur fais, tous les mardis à la messe, une instruction sur Jésus, modèle du maître chrétien. Tous les mardis soir, une conférence littéraire où MM. Durand et Allemand paient de leur personne de la manière la plus intéressante. Il est vrai que M. Durand et le P. Emmanuel vérifient par eux-mêmes les copies de tous les élèves, pour contrôler toutes les corrections des professeurs. Il est vrai que je multiplie les avis généraux et particuliers aux maîtres, que je me suis occupé sérieusement des ordres du jour. Enfin, on a forcé les religieux à se mêler aux élèves, système opposé à celui du P. Vincent de Paul. Il en résulte de la vie, de l'entrain, de la confiance, de la piété, de la surveillance, de l'action pour tous.
12
Extraits des Actes du Chapitre général de 1868, concernant le collège de Nîmes. - Procès-verbaux originaux ACR, C 31, p. 87-89.
Parlant des œuvres de la Congrégation, le Chapitre général de 1868 fait le point sur "le collège de Nîmes, ébranlé depuis quelque temps". Le Chapitre examine : 1° les causes de son amoindrissement; 2° les éléments de succès qu'il possède dans le présent et pour l'avenir; 3° les motifs qui doivent pousser à sa conservation définitive.
Nous citons le premier point de cette analyse et les décisions du Chapitre, ce qui permet de comprendre les difficultés du supériorat du P. V. de P. Bailly.
Parmi les causes de l'amoindrissement du Collège de Nîmes, les unes sont indirectes et extérieures, les autres directes et intérieures. -Les causes indirectes au dehors se trouveraient dans la fondation récente de plusieurs collèges voisins, dirigés par des ecclésiastiques ou par des religieux, - dans les efforts de plus en plus accentués de l'esprit universitaire, s'unissant aux efforts de la Révolution et de l'impiété, - dans certaines antipathies dont le clergé du diocèse n'a pas toujours su se défendre, - dans la mode qui s'est établie chez bon nombre de familles fortunées d'envoyer leurs enfants dans les grands établissements de Paris, - peut-être dans l'action politique qu'a exercée le collège de Nîmes en faveur du mouvement Romain et des intérêts temporels du Saint-Siège. - Les causes directes et intérieures seraient l'esprit qui est propre à l'Assomption et que l'on estime ou comme singulier ou comme imprudent par le temps qui court, - la peine, plus ou moins entachée de respect humain, que les élèves ont eue tout d'abord à s'habituer au nombre plus envahissant des Religieux, - la faiblesse des études, occasionnée par l'inactivité de leur Directeur spécial, maître laïque, les insuccès qui en ont résulté aux examens publics, -le prix trop élevé de la pension, - la négligence de relations avec les familles, - le manque d'unité dans la direction générale, - surtout les embarras financiers, - surtout encore les hésitations fréquentes et connues du public à propos de la fermeture ou de la non-fermeture du Collège. [...]
Après avoir pesé toutes ces considérations, le Chapitre exprime le vif désir : 1° Que le Collège ait toujours un nombre assez considérable de religieux pour suffire aux emplois; 2° Que les permutations du personnel deviennent de plus en plus rares, au moins pendant quelque temps; 3° Que la gestion de la dette du Collège soit séparée de la gestion financière actuelle, et confiée à l'Econome général; 4° Il arrête que le Collège subsistera, à moins d'une décision nouvelle, et que les religieux se feront un devoir de le déclarer dans toutes les occasions qui leur seront fournies; 5° Les religieux prendront de plus la résolution de se prêter, par un sentiment de respect, un appui mutuel et plus énergique peut-être que dans le passé.
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1. Il ne faut pas perdre de vue que le P. d'Alzon, après la mort de sa mère en 1860, et de son père en 1864, - sa soeur Marie étant mariée et en jouissance de son héritage liquide, - était parfaitement au courant de toutes les situations familiales et pouvait seul pourvoir à l'administration de son héritage immobilier; il avait aussi avec sa sœur la charge d'exécuter certains legs faits par son père, et de soutenir les œuvres d'éducation et de bienfaisance de la commune de Montagnac, fondées et entretenues par leurs parents (VAILHE, Vie, II p. 497-498).
2. Le P. d'Alzon reprend brièvement et seulement deux des griefs avancés contre lui : l'aménagement de quelques locaux pour l'établissement d'une école élémentaire à confier aux Oblates de l'Assomption. Il croyait lui en avoir parlé; or, c'était avec le P. Picard. - Le second, l'affaire d'un maître dont la propreté laissait à désirer et qui, selon le règlement de la maison, devait être renvoyé.