CHAPITRE XIV
LE P. D'ALZON ET LA MAISON DE L'ASSOMPTION A NÎMES
(1846 - 1857)
En 1843-1844, le P. d'Alzon avait assumé la responsabilité de rénover à Nîmes l'établissement scolaire de l'abbé Vermot, et c'est dans le cadre de cette œuvre, devenue la Maison de l'Assomption, qu'il avait jeté les bases de sa fondation religieuse : l'Association de l'Assomption (Ch. X, B et C).
Il ne pouvait s'en désintéresser, d'autant plus que ses intentions apostoliques de formation chrétienne de la jeunesse s'harmonisaient avec le désir de l'Eglise de France d'assurer à l'enseignement chrétien, avec la liberté nécessaire vis-à-vis du monopole universitaire toutes les possibilités de rayonnement chrétien et culturel.
Le P. d'Alzon entre dans cette pastorale, mais avec réalisme. D'une part, il assure à la Maison de l'Assomption une solide implantation à Nîmes : il ne veut pas, malgré des propositions avantageuses venant de Paris, s'en éloigner trop tôt, et il réussit avant même la loi Falloux à lui obtenir le plein exercice.
D'autre part, il ne cesse, payant de sa personne et de son argent, de donner à son établissement scolaire une haute tenue chrétienne, littéraire et scientifique. Alors que la nouvelle loi accorde seulement la liberté de l'enseignement secondaire, il ose se préparer à la concession de la liberté de l'enseignement supérieur en posant les jalons d'une "Université libre", à défaut, dit-il, d'une "Université catholique" (1).
Mais l'audace de ses projets, élaborés en conformité avec les décisions du concile d'Avignon (Ch. XVII, A), bute sur une épreuve de santé et une crise financière. Cependant, en 1857, l'amorce d'une reprise est possible. Ainsi, de 1846 à 1857, avons-nous deux périodes : celle de l'essor évident (1846-1852) et celle d'une crise presque mortelle (1852-1857).
Nous traiterons successivement, dans ce chapitre :
A - De l'implantation à Nîmes de la Maison de l'Assomption,
B - De sa vie intérieure et de son rayonnement,
C - De la crise financière et de son dépassement.
A
IMPLANTATION DE LA MAISON DE L'ASSOMPTION A NIMES
Pour assurer à la Maison de l'Assomption une solide implantation à Nîmes, le P. d'Alzon sut résister à des propositions avantageuses venant de Paris, obtint la concession du plein exercice et réaménagea les locaux en fonction de la progression constante des élèves.
1. Propositions d'implantation à Paris. - Dès que fut opérée la reprise en main de l'établissement scolaire de l'abbé Vermot et connues les intentions du P. d'Alzon en faveur de l'enseignement chrétien, d'aucuns jugèrent que son action devait se transporter ailleurs pour atteindre à sa plénitude et notamment à Paris.
La première proposition qui lui est faite, dès 1845, est celle de prendre la direction du collège Stanislas, où lui-même avait fait ses humanités et qui jouissait d'une situation privilégiée auprès de l'Université. L'abbé Gratry en était le directeur depuis 1841. Venu de Strasbourg à Paris sur l'invitation de Mgr Affre, pour y rétablir la discipline, il voulut opérer une sélection parmi les élèves, ce qui entraîna des mécontentements et une sérieuse crise financière, laquelle inquiéta le Dr Gouraud, administrateur de l'établissement, si bien que l'abbé Gratry cherchait à se retirer et à recouvrer sa liberté (2).
Or, il avait lié connaissance avec le P. d'Alzon lors du carême prêché à Paris en 1845. Ensemble, ils avaient parlé d'éducation chrétienne et de la nécessité de former des professeurs dans une atmosphère de vie religieuse (3). L'abbé Gratry en avait conclu que le P. d'Alzon pouvait prendre sa succession. Cette invite (v. infra 1) fut appuyée par le Dr Gouraud, ami et condisciple à Stanislas d'E. d'Alzon, et par Mère M. Eugénie qui prit des informations pour s'assurer que dans les sphères gouvernementales on accepterait l'installation d'une nouvelle Congrégation enseignante à Paris (4). Il s'ensuivit un échange de lettres, dont nous possédons encore une vingtaine et qui montrent les qualités reconnues au P. d'Alzon et sa prudence en face d'un projet aussi inattendu que séduisant (v. infra 2 a, b).
En 1847-1848, l'abbé Gratry s'étant retiré, le collège fut transféré et reconstitué dans un cadre plus économique par l'abbé Goschler, nouveau directeur académique. Une nouvelle instance fut faite par le Dr Gouraud, entre autres, au P. d'Alzon pour qu'il vienne en prendre la haute direction. Comme précédemment, le Père offrit la possibilité de services immédiats; mais, ayant consulté Dieu dans la prière, il refusa de s'engager (v. infra 6), même pour une période limitée, et le conseil de l'Assomption de Nîmes répondit par un non définitif : "Je viens d'écrire à l'abbé Goschler, signifie le P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, le 21 décembre 1850, que le conseil de l'Assomption repoussait l'idée d'accepter Stanislas (5)."
Tandis que se discutait la proposition de l'abbé Gratry, une autre était faite au P. d'Alzon par Mgr Affre, archevêque de Paris. Dans le contexte de la réforme des études et des séminaires de son diocèse, Mgr Affre avait fait bâtir un collège, rue Notre-Dame des Champs, comme annexe à son petit séminaire de Saint-Nicolas et pour lequel il espérait obtenir le plein exercice (6).
Les premières ouvertures eurent lieu de vive voix à Paris pendant le carême de 1846 et Mère M. Eugénie fut mise au courant : "Je pense beaucoup à l'idée de vous voir ici pour les séminaires, écrit-elle au P. d'Alzon dès son retour à Nîmes; parlez-m'en toutes les fois que vous en saurez quelque chose(7)."De son côté, elle lui communique tout ce qu'elle peut savoir et notamment que Mgr Affre serait disposé à confier au P. d'Alzon son collège de la rue Notre-Dame des Champs. Mgr Affre lui-même en écrivit au P. d'Alzon : il avait besoin d'un alter ego pour diriger "la belle oeuvre" entreprise (v. infra 3). Le P. d'Alzon retint le délai concédé et manifesta à Mère M. Eugénie le désir de le voir proroger, dominé qu'il était par le sens de ses responsabilités à Nîmes envers son diocèse, son œuvre et sa Congrégation (v. infra 4).
La mort tragique de Mgr Affre, le 25 juin 1848, mit fin à ces tractations.
2. Concession du plein exercice. - Dès sa décision de relever l'établissement Vermot, le P. d'Alzon avait mesuré l'importance d'avoir le plein exercice pour assurer la meilleure formation chrétienne possible de la jeunesse. Le 21 août 1845, ses démarches avaient abouti pour les classes de grammaire seulement. Il s'autorisa de ce demi-succès, pour anticiper sur les dispositions de la loi promise, en faisant déjà donner, à la Maison de l'Assomption, les cours des classes d'humanités. La valeur de l'enseignement et la tenue de l'établissement forcèrent les autorités académiques à ne pas urger contre ce passe-droit (v. infra 7).
Mais le P. d'Alzon se devait de rendre légale une situation de simple tolérance. Se trouvant à Paris, en janvier 1848, pour présider une vêture chez les Religieuses de l'Assomption, il reprit ses démarches. Après avoir obtenu, le 17 février, une audience encourageante de Guizot, président du Conseil, il attendait avec impatience la faveur demandée et promise dans les huit jours, lorsqu'éclata la révolution des 22-25 février, qui mit fin à la Monarchie de juillet 1830 et proclama la seconde République. Malgré des appels alarmants reçus de Nîmes, il prolonge son séjour à Paris dans l'espoir d'aboutir, puis rentre à Nîmes le 17 mars.
La loi escomptée pouvant être remise sine die du fait de l'incertitude des événements, le P. d'Alzon voulut obtenir, dès avant l'élection du Président de la République, une solution officielle, en passant par les députés de l'Assemblée favorables à son dessein : à Nîmes, Chapot qu'il connaissait, et à Paris, Bûchez connu de Mère M. Eugénie. Il rédigea un rapport à cet effet et finit par obtenir ce qu'il désirait, le 20 décembre 1848 (v. infra 8 et 9.)
Désormais, il a donc les mains libres pour tenir sa maison à sa guise, dans "une garantie de stabilité et de durée" (v. infra 10). Le 15 mars 1850, la liberté de l'enseignement secondaire, encore que limitée, était accordée en France par la loi Falloux. A cette date, aux dires mêmes des rapports d'inspection académique, le P. d'Alzon avait réussi à implanter à Nîmes un établissement scolaire chrétien digne de ceux de l'Etat.
3. L'aménagement des locaux. - Avec la progression constante du nombre des élèves et la nécessité de réserver aux religieux des locaux qui leur soient propres, le P. d'Alzon éprouva le besoin de transformer la structure matérielle de la Maison de l'Assomption. Deux solutions pouvaient être envisagées : ou bâtir sur place en accommodant les lieux, ou construire à neuf sur un autre terrain.
Par un nouvel achat de terrain, le 24 janvier 1845, il avait pu agrandir l'espace de l'établissement Vermot. Mais, dès l'été de 1846, il doit convenir que l'on sera trop à l'étroit si le chiffre des élèves continue à croître, même s'il entend ne pas dépasser pour des raisons pédagogiques le chiffre de 300 élèves. Personnellement, il aurait préféré s'établir ailleurs et bâtir à sa convenance, mais sans devoir augmenter de trop le prix de la pension de peur d'effrayer les parents des élèves (8). Une proposition inattendue du préfet du Gard, désireux d'acquérir l'immeuble de l'Assomption pour y établir la préfecture, l'encourage à réaliser son projet pour lequel il fait faire des plans (9). Mais l'affaire n'eut pas de suite. Alors, ne pouvant acquérir un nouveau terrain et bâtir sur la base du seul prix de vente de l'ancien avec son immeuble (v. infra 5), le P. d'Alzon, devenu seul propriétaire de l'Assomption depuis le 26 août 1848, se contente d'un nouvel agrandissement sur place par un autre achat de terrain, le 12 novembre 1849 (10).
Ainsi, les vues apostoliques du P. d'Alzon de créer un établissement scolaire d'enseignement chrétien digne des établissements d'Etat pour ne recevoir aucune plainte de la part de l'Université, se heurtaient aux difficultés financières de l'opération; par ailleurs, dans le cadre d'une période de récession économique, le budget du collège, tel qu'il était, se grevait chaque année d'un certain déficit. L'audace de l'apôtre exigeait d'être tempérée par le réalisme de l'administrateur, si l'on ne voulait pas courir la perspective d'une crise financière à plus ou moins longue échéance. "Dans un temps comme le nôtre où l'argent est tout, écrit-il le 28 septembre 1848, ceux qui veulent être à Dieu doivent supporter le martyre des écus. C'est le moyen d'être pauvre et de la bonne manière(11). "
Cependant, la nécessité s'imposait de remplacer un oratoire trop exigu par une chapelle à construire sur le terrain nouvellement acquis, mais "de telle façon qu'il puisse la vendre pour maison" si jamais on devait aller ailleurs. Elle sera dédiée à la Vierge Marie, dit-il en posant la première pierre, le 1er mai 1849, car "Marie doit être notre Mère, notre seconde pierre de fondation, Jésus-Christ en étant la première (12)". La bénédiction et l'inauguration eurent lieu le 18 octobre 1849. Mais le lendemain, il écrit : "Mon médecin vient de m'interdire la messe pour dix jours (13)"; le choléra sévit dans la région et sans doute demande-t-il trop à sa santé.
B
VIE INTERIEURE ET RAYONNEMENT DE LA MAISON DE L'ASSOMPTION A NIMES
Il ne s'agit pas ici de faire l'histoire d'un établissement scolaire, ou encore un exposé sur les idées pédagogiques du P. d'Alzon, mais bien plutôt de le voir à l’œuvre en sa maison, formant, selon son propos, "des chrétiens solides, des hommes de leur temps et des citoyens de leur pays". D'autre part, le succès de sa maison devant les autorités académiques (v. infra 11), l'autorise, au nom même de la loi sur la liberté de l'enseignement secondaire, à poursuivre ses initiatives. Aussi voulons-nous évoquer la vie intérieure et le rayonnement de la Maison de l'Assomption.
1. Vie intérieure de la Maison de l'Assomption. - La documentation d'archives sur la vie intérieure de la Maison de l'Assomption est difficile à maîtriser, à moins d'y opérer un sondage. C'est ainsi que nous avons retenu un certain nombre d'extraits de lettres : soit d'élèves au P. d'Alzon (v. infra 12), soit du P. d'Alzon à ses élèves (v. infra 18), soit du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie (v. infra 13), soit enfin d'un témoin extérieur présent dans la maison et écrivant aux siens (v. infra 17); ces pièces montrent qu'en cet établissement scolaire, sous l'impulsion du P. d'Alzon, tout concourt à l'éducation chrétienne de la jeunesse (14).
De jour et de nuit, sans délaisser pour autant d'autres responsabilités, le P. d'Alzon paye de sa personne (v. infra 12 a, 13 c). Ses collaborateurs, prêtres, religieux et laïcs, entrent dans ses initiatives pour valoriser non seulement l'enseignement qu'ils doivent en stricte justice aux élèves de l'Assomption, mais encore cette éducation chrétienne qui prend l'âme et le cœur de l'enfant, au triple niveau de l'instruction, de la piété et du dévouement (v. infra 16 a). Le P. d'Alzon rétribue ses professeurs au prorata de leurs qualifications académiques et selon les normes mêmes de l'Université, mais il exige d'eux des convictions chrétiennes qu'il entretient par des réunions pédagogiques, des instructions et des retraites (15). Lui-même n'enseignait pas; cependant, par nécessité et par goût, il fut amené à donner le cours d'histoire de l’Église, dans le cadre de l'instruction religieuse et, chaque samedi, une instruction spécialement adaptée aux élèves (16).
Vu de l'extérieur, le P. d'Alzon peut apparaître comme un homme "fort occupé", mais il sait prendre le temps de recevoir et de diriger ses élèves comme ses jeunes professeurs (v. infra 16 b, 17 c). De même qu'il a constitué une société d'élite, dite des vingt-quatre, pour favoriser l'émulation dans les études, de même, chaque année, il conduit un groupe de volontaires, soit en pèlerinage, soit en retraite, à la Chartreuse de Valbonne (v. infra 13 a, b, d), en vue d'éveiller plus de générosité chrétienne.
Pour le P. d'Alzon, l'éducation, comme la piété, ne peut être close sur elle-même. Elle doit s'insérer dans la vie, et dans une vie de dévouement et d'apostolat. C'est pour cela qu'après avoir restauré la Conférence de Saint-Vincent de Paul de la ville de Nîmes, il organise en trois sections une autre Conférence en sa maison. Il acquiert, au nom des élèves, un vaste terrain où plus de cent enfants abandonnés à eux-mêmes sont récréés et instruits de la foi chrétienne par les élèves. On visite les pauvres et les malades chez eux; et les soldats, illettrés pour la plupart, reçoivent eux aussi des grands élèves les bases d'une instruction humaine et chrétienne.
On cotise pour l’œuvre de la Propagation de la foi, mais, plus concrètement encore, on accueille un jeune noir instruit et baptisé à l'Assomption, dont on paye la pension des études. Enfin, le collège prend sa place dans la vie religieuse du diocèse, lors de la restauration des processions de la Fête-Dieu, par exemple, ou de l’Église de France, lors du passage à Nîmes de Louis Veuillot, à son retour de Rome (v. infra 17 d, f, g).
Certes, il ne s'agit pas de surfaire ni le personnage ni sa maison : lui-même en sa franchise saurait bien nous reprendre; il n'empêche qu'au sortir de leurs études les élèves de l'Assomption sont heureux de solliciter encore du P. d'Alzon une direction pour demeurer fidèles à l'idéal qui leur a été proposé (v. infra 12 b, c). Prenant au sérieux cet attachement, le P. d'Alzon se fait l'ami de ceux dont il a été le père et le maître. Si bien que le rayonnement de la Maison de l'Assomption, c'est d'abord la persévérance chrétienne de ses élèves (17).
2. Rayonnement de la Maison de l'Assomption. - Vicaire général du diocèse de Nîmes, fondateur d'une Congrégation vouée à "l'enseignement entendu dans le sens le plus absolu du mot", membre du Conseil supérieur de l'Instruction publique, le P. d'Alzon ne pouvait se contenter de rester un simple "maître de pension". Lorsque, après six ans d'efforts, son collège eut acquis des bases suffisamment solides, il crut devoir élargir son programme et en informer l'opinion publique dans son discours des prix du 16 août 1851 (18). Dans la liberté accordée par la loi, il annonce : 1° la création d'une revue "pour donner plus d'unité à notre enseignement chrétien"; 2° l'ouverture d'une Maison de hautes études.
a) Le programme de la revue est dans son titre même : Revue de l'Enseignement chrétien. Sa publication mensuelle est assurée par les professeurs de l'Assomption, sous la direction du préfet des études, Germer-Durand. Le P. d'Alzon la couvre de son autorité, lorsque des mises au point s'imposent. De fait, la revue, dès sa parution, se trouve sollicitée par la controverse du moment : il s'agit de ce qu'on a appelé la "querelle des auteurs classiques". Alors que, depuis 1849, les maîtres de l'Assomption avaient décidé de réintroduire les auteurs chrétiens à côté des auteurs profanes, l'abbé Gaume et ses partisans dénonçaient comme étant "le Ver rongeur des sociétés modernes", -"le paganisme dans l'éducation" - (19). Cette malheureuse "querelle des classiques" réveilla des susceptibilités gallicanes devant le progrès des "idées romaines", si bien que Pie IX crut devoir intervenir pour pacifier l'opinion de l’Église de France par l'encyclique Inter multiplices (1853).
Au lecteur attentif des articles du P. d'Alzon parus dans la revue et de sa correspondance, il apparaît, dans la querelle des classiques, sans outrance exclusive et, dans la controverse élargie, sa position "ultramontaine" est avant tout au service de l'unité de l’Église (v. infra 15 a, b, c ).
Dès la deuxième année, la revue se donne un double but : une première partie, intitulée Études chrétiennes, résume ouvrages et articles pour permettre aux professeurs de suivre le mouvement des idées; une seconde partie, plus spécifiquement pédagogique, entend venir en aide, par des travaux pratiques, aux professeurs inexpérimentés. Dans la dernière année de son existence (1855), sans qu'elle devienne une revue de sciences ecclésiastiques, on y publie des travaux de théologie, de philosophie et d'art chrétien. Il faut reconnaître que les abonnés furent peu nombreux, quelque 160, en grande partie ecclésiastiques, pour 380 établissements libres (20). Il y a là plusieurs motifs : l'attente différente de la clientèle dont témoigne l'évolution même de la revue, la haute tenue scientifique de certains travaux, l'orientation apologétique et sans doute la prise de position de la revue dans la controverse des auteurs classiques (21).
b) Le second projet du P. d'Alzon, toujours dans le cadre de la loi, et au profit de l'unité chrétienne, était de réaliser une Université libre, à défaut, dit-il, d'Université catholique, puisque les Universités d’État avaient alors des Facultés de théologie. Le projet avait été envisagé par le concile d'Avignon, dès 1849 (Ch. XVII A). En 1851, sûr du dévouement et de la qualité de ses professeurs, il constitue une Maison de hautes études. La documentation des archives de l'Assomption à ce propos permet de distinguer plusieurs sections, pour ne pas dire facultés : 1° une école préparatoire aux grandes écoles de l'Etat; 2° une école pour former des professeurs libres, clercs et laïcs; 3° une école de hautes études littéraires et scientifiques; et enfin, 4° une école de théologie (v. infra 14). Cette tentative audacieuse valut à son auteur des félicitations et des encouragements; cependant, malgré les sacrifices consentis, le succès fut assez mince et le nombre des étudiants ne fut jamais important. "L'heure n'était pas venue et le P. d'Alzon avait quelque vingt ans d'avance; l'idée devait renaître pour aboutir, en 1875, et nous retrouverons l'homme sur la brèche, au soir de sa vie, dans le même combat (22). Lorsque le P. d'Alzon fut condamné pour maladie grave provoquée par le surmenage le 19 mai 1854 à un repos complet, ses tentatives audacieuses d'Université furent définitivement ajournées.
Mentionnons pour mémoire la part prise par le P. d'Alzon à la fondation, à Rome, d'un séminaire français. Dès ses études sacerdotales à Rome, en 1833-1835, le P. d'Alzon avait conçu le projet d'un séminaire destiné à ses compatriotes, et l'avait même soumis à Lamennais (Ch VIII, 13 b). En 1852, l'exécution de ce projet paraît plus aisée, puisque le prince Louis-Napoléon venait d'établir l'auditeur de Rote pour la France, en la personne de Mgr de Ségur. Mettant à profit cette circonstance, le P. d'Alzon, lors d'une réunion d'autorités ecclésiastiques autour de Mgr de Ségur, fait valoir et agréer sa proposition de chercher à établir à Rome un séminaire français. Nous savons cela, à défaut de document officiel, par une lettre de Mgr V. de Marcy, ancien élève de Santa Chiara et devenu chapelain de France à N.D. de Lorette (v. infra 19).
C
LA CRISE FINANCIERE DE LA MAISON DE L'ASSOMPTION (1854-1857)
"Le 19 mai 1854, écrit le P. A. Sage (23), est une date décisive dans l'histoire de la sainteté et de la spiritualité du P. d'Alzon." Lui-même devait écrire, le 20 juillet 1871 : "Je suis tombé malade en mai 1854, et cela a duré trois ou quatre ans, avec des fatigues et des tortures inouïes (24)." Cette phrase lie deux données qui ont réagi l'une sur l'autre : l'ébranlement de sa santé et la crise financière de la Maison de l'Assomption.
De fait, le 19 mai 1854, le P. d'Alzon est frappé d'une congestion cérébrale occasionnée par le surmenage et les préoccupations (v. infra 20 a, b). A peine a-t-il eu le temps de suivre une cure à Vichy, qu'il doit être auprès de son évêque âgé et malade, jusqu'à sa mort le 13 août 1855 et recevoir, comme vicaire capitulaire la gestion diocésaine (Ch. XVII E). L'épuisement nerveux est tel qu'il renonce à la direction de son collège et la confie, à la rentrée d'octobre 1855 à l'abbé de Cabrières (25). Menacé de paralysie en décembre (v. infra 20 c), le P. d'Alzon doit s'en remettre aux soins des médecins et s'obliger à des séjours de repos auprès des siens, à Lavagnac ou à Montpellier, et surtout à des cures de santé, à Lamalou-les-Bains, à raison de deux saisons par an, de 1856 à 1860 (v. infra 20 d, e). Cependant, dès 1857, l'amélioration de son état lui permet de reprendre une activité normale.
Durant cette longue épreuve de santé, le P. d'Alzon est à la merci de la crise financière de ses œuvres scolaires de Nîmes et de Paris. Avant d'en aborder l'histoire, il importe de se rappeler qu'après la reprise des affaires en 1850, une nouvelle récession économique s'amorce et culmine en 1857. L'exemple contemporain de la faillite des œuvres de Pauline Jaricot suffit à replacer dans la grande histoire la détresse des œuvres de l'Assomption à la même époque où, dans l'opinion publique, toute faillite était une infamie. De plus, la liberté de l'enseignement secondaire faisait surgir un peu partout et sans plan d'ensemble des institutions scolaires, livrées aux aléas de la concurrence.
1. La crise, 1854-1856. - Malgré l'assurance d'un large héritage à venir (v. infra 21 c), en fait, le P. d'Alzon ne disposait d'aucun capital liquide (v. infra 27), lorsqu'il avait créé des œuvres d'enseignement fort coûteuses, à Nîmes et à Paris, par des emprunts dont les intérêts absorbaient régulièrement les maigres bénéfices, et ajoutaient chaque année un nouvel apport aux dettes contractées. Quelque parfaite qu'ait été la tenue des livres de compte, le budget demeurait en déséquilibre croissant et, en 1855, c'est l'impasse d'où, coûte que coûte, il fallait sortir(26).
Certes, dans le passé, la famille du P. d'Alzon avait répondu à ses appels et payé des dettes par trop criardes. A une nouvelle demande de ce genre, en janvier 1856 (v. infra 21 a), son père, sa mère et ses deux sœurs entrent en scène pour assainir une situation qui leur semble catastrophique. Une expertise générale des biens est exigée, et confiée à un prêtre, l'abbé Berthomieu, qui représente le P. d'Alzon, et un laïc, M. Devès, qui représente la famille. Avec la collaboration du Fr. Hippolyte Saugrain, économe du P. d'Alzon, les experts opèrent d'abord une vérification minutieuse des comptes du collège de Nîmes depuis la fondation jusqu'au 21 février 1856; le procès-verbal daté du 27 février 1856, constate qu'il n'y a eu ni gaspillage ni dépenses somptuaires, mais que la maison doit aujourd'hui la somme totale de 619 381 fr, 40 (27), et conclut à la nécessité, si l'on ne veut pas vendre Nîmes, de recourir à des ressources étrangères, comme la vente de Clichy. Aussi, dans l'intention de faire vendre Clichy qui, d'après eux, vivait au détriment de Nîmes, les parents du P. d'Alzon exigèrent l'expertise de cette maison, qui fut faite par les mêmes experts, le 10 mars 1856 (v. infra 22 a) (28).
A partir de ces données, il y aura divergence de vues entre le P. d'Alzon et ses parents. Pour le P. d'Alzon : 1° Clichy doit appartenir à la Congrégation; 2° Nîmes doit être maintenu jusqu'à preuve péremptoire d'une liquidation à faire dans les meilleures conditions matérielles et morales : c'est l'avis de ses religieux, de Mère M. Eugénie (29) et aussi de l'abbé Berthomieu (v. infra 21 b, c).
Pour permettre un nouvel exercice scolaire (1856-1857), les religieux de Clichy acceptèrent de rembourser leurs dettes à la maison de Nîmes, selon les clauses d'un accord passé, le 18 avril 1856, entre le P. d'Alzon et sa famille, sous le contrôle des experts (30). Cependant, avant d'engager ce nouvel exercice, le 11 septembre 1856, après un contrôle rigoureux de la comptabilité, les experts concluent, malgré l'exactitude des comptes, à la nécessité de liquider l'établissement, au terme de l'exercice 1856-1857 (v. infra 21 d) (31).
2. L'impasse, 1857. - A partir de cette dernière décision (11 septembre 1856), M. le Vte d'Alzon ne néglige aucune occasion de presser la vente de Clichy, fût-ce par une démarche auprès du nonce et menace d'hoirie (v. infra 21 e). Malgré le succès de cette maison, reconnu par les experts, et l'approbation romaine de la Congrégation, Mme la Vtesse d'Alzon supplie son fils de mettre en ordre ses affaires de Nîmes. Pour plaider leur cause auprès de leur fils, M. et Mme d'Alzon firent appel à l'abbé Vernières, confident de la famille et lié d'amitié spirituelle avec le P. d'Alzon. Ce prêtre, pour prévenir une séparation qui serait douloureuse, autant pour les parents que pour le fils, demande au P. d'Alzon, qui n'a pas démérité (v. infra 24 a), de dégager sa cause de celle de sa Congrégation (v. infra 21 f).
Divers projets pour sauver la situation furent élaborés, soit par les Tertiaires de l'Assomption, soit par Mère M. Eugénie, mais tous furent écartés par la famille, inflexible devant toute situation qui laisserait au P. d'Alzon, et donc aux d'Alzon, la responsabilité de couvrir une entreprise ruineuse. L'abbé Berthomieu, toujours fidèle à servir le P. d'Alzon (v. infra 24 b), doit convenir que l'affaire est dans l'impasse et qu'il vaudrait mieux pour le P. d'Alzon former des religieux, écrit-il le 19 juin (32), afin de réduire en ces établissements un personnel salarié, cause principale du déficit.
Voyant toutes les tentatives de sauver le collège de Nîmes disparaître les unes après les autres, le P. d'Alzon, en cure à Lamalou, revient saluer les siens à Lavagnac, et ses collaborateurs à Nîmes, pour se rendre à Paris, le 29 juin, presque en fugitif. Il a pour consolation de garder la confiance de ses religieux (v. infra 22) et l'estime de Mgr Plantier qui l'a reconduit dans sa charge de vicaire général, le 16 novembre 1855 (v. infra 25).
3. Le dénouement. - La fermeture du collège devait être annoncée à la distribution des prix par le P. Hippolyte Saugrain, économe, qui réglerait les professeurs en les congédiant. La nouvelle s'en ébruita et provoqua un tel émoi dans la ville, où l'on ignorait la gravité de la situation, que l'idée de constituer une société d'actionnaires prît corps (v. infra 22 c), dans le but d'acheter l'établissement que la famille d'Alzon voulait vendre à tout prix. Devant les appels pressants, le P. d'Alzon se décida à rencontrer les promoteurs de cette société, les membres de sa famille et son évêque et, pour laisser libre jeu aux tractations en cours, revint à Paris. Les vacances ne facilitent ni l'organisation de la société, ni l'alignement des souscriptions, et tout le monde redoute un enthousiasme méridional (v. infra 23 c). Devant ces lenteurs, la famille d'Alzon envoie, le 20 septembre 1857, par son homme d'affaires, M. Garbouleau (33), à la société anonyme de Nîmes, une sommation d'en finir avant le 5 octobre. Revenu de Paris pour une cure de santé à Lamalou, le P. d'Alzon se rend à Lavagnac attendre l'issue de cet ultimatum (v. infra 21 g).
C'est alors qu'intervint l'abbé Vernières qui, en rapprochant les points de vue, aboutit à un contrat de vente signé par le P. d'Alzon le 18 octobre 1857. En attendant la réalisation de cette vente, il peut reprendre la direction intellectuelle et morale du collège pour un nouvel exercice méticuleusement organisé, sur le plan scolaire par Germer-Durand, et sur le plan financier par le P. Hippolyte Saugrain. Un nouveau contrôle de gestion fut opéré le 5 novembre, et le P. Saugrain fut remplacé comme économe par l'abbé Barnouin. Le 22 février 1858, jour prévu pour la vente, Germer-Durand, préfet des études, tertiaire de l'Assomption et membre de la société anonyme, se porte acquéreur légal de l'immeuble de l'Assomption, pour la somme de 325 000 F.(34) (v. supra XIII 5).
Bien que l'on puisse écrire au jour le jour le détail de toute cette crise, là n'est pas cependant l'essentiel de l'activité du P. d'Alzon. Rappelons que c'est en 1855 qu'il offre à ses religieux la Règle de l'Assomption, qu'il obtient pour sa Congrégation le décret de louange le 1er mai 1857, qu'il donne au groupe de ses Adoratrices l'ébauche d'une spiritualité qui sera déployée dans un Directoire écrit en 1859 pour les religieuses et les religieux de l'Assomption. Même s'il a retrouvé sa santé et si ses affaires se sont assainies, il a la douleur de voir disparaître sa sœur aînée, le 16 juillet 1860, et sa mère infirme et aveugle, mais admirablement résignée (v. infra 26 a, b). Les divergences de vues n'avaient en rien blessé le respect et l'affection réciproque; aussi fut-ce pour le P. d'Alzon une souffrance supplémentaire de ne pouvoir administrer les derniers sacrements à sa mère, parce que l'évêque de Montpellier lui avait retiré les pouvoirs de confesser en son diocèse, après sa prise de position en faveur de Pie IX menacé dans ses Etats (35). Cette mort mit fin aux difficultés financières ci-dessus exposées. Elle donna au Père la jouissance d'une partie de la fortune de sa mère, partagée à l'amiable avec sa sœur, Mme de Puységur. Une note du P. S. Vailhé, historien du P. d'Alzon, remise au Postulateur, le 26 septembre 1954 (v. infra 27), donne les éléments d'un jugement en matière de justice et de prudence de la part du P. d'Alzon.
1
Extraits de la lettre de l'abbé Gratry au P. d'Alzon, datée de Paris, le 4 novembre 1845.- Orig.ms. ACR, EA 66.
Après une première lettre datée de l'été 1845, l'abbé Gratry fait une nouvelle instance auprès du P. d'Alzon, pour qu'il soit attentif aux signes que lui fait la Providence.
Poussé par un mouvement de l'esprit de Dieu, vous vous engagez devant Dieu à renoncer aux honneurs ecclésiastiques et à prendre la dernière place, le poste le plus dur, l'éducation de la jeunesse; et, presque aussitôt, le plus beau collège de France, placé au centre, plein d'un avenir qui sera tout ce que l'on voudra, vous est offert. Or, Notre-Seigneur veut que l'on sache discerner les signes. Celui-ci ne paraît pas très obscur. [...]
Pour vous donc, cher frère, vous avez aujourd'hui devant vous une œuvre composée de deux parties qui sont : Stanislas et l'Assomption de Nîmes (je mets en dehors les autres œuvres, car on n'en peut poursuivre qu'une à la fois). L'Assomption est l'idée que vous vous êtes faite; Stanislas est l'idée que la Providence vous a faite. C'est à celle-ci qu'il faut courir sans abandonner l'autre. Laissez sur un point secondaire une force secondaire et portez l'effort principal sur le "point principal". Le temps est court, les âmes se perdent; allons vite au plus fort de la mêlée. Le plus fort de la mêlée, c'est un grand collège situé à Paris, propre à servir de base à une Ecole normale ecclésiastique, et de plus, à un foyer de fortes études apologétiques. C'est là précisément le plus fort de la mêlée, parce qu'à Paris surtout est le combat, et que les armes du combat sont justement l'éducation et la science. [. . .]
Or, pour une telle œuvre, voici le vrai terrain. Le meilleur de toute la France, c'est Stanislas : terrain dès longtemps préparé, muni et fortifié. Eh bien ! je vous assure que ce point périclite et périclite de toutes manières, si on n'y porte promptement secours, tandis qu'un bon élan donné par un homme vraiment propre au gouvernement, tel que vous êtes, établirait, je crois, le collège pour longtemps dans une situation où il n'a jamais été. Pour moi, je ne suis pas du tout un homme de gouvernement et j'ai la douleur de mal gouverner, pendant que j'ai la douleur de ne pas faire ce que je pourrais faire avec fruit, peut-être (36).
2
Extraits de deux lettres du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, concernant les propositions de l'abbé Gratry et du Dr Gouraud (1845)
Aux instances de l'abbé Gratry auprès du P. d'Alzon, vinrent s'ajouter celles du Dr Gouraud, administrateur du collège Stanislas, et celles de Mère M. Eugénie, soucieuse de voir le P. d'Alzon s'installer au plus vite à Paris. Sans refuser une aide, le P. d'Alzon entend bien ne rien compromettre de son œuvre à Nîmes.
a)
Nîmes, le 26 octobre 1845. - Orig.ms. ACR, AD 380; M., Lettres, II p. 340-342.
Devant des propositions, émanant du Dr Gouraud, plus concrètes que celles de l'abbé Gratry, le P. d'Alzon veut bien envisager l'offre qui lui est faite, mais se refuse à y répondre dans l'immédiat.
La question de Stanislas me paraît immense. Quitter Nîmes en ce moment serait une sottise et une faute. M. Gratry n'a à se plaindre que parce qu'il n'a pas su former des hommes. Dieu permet qu'il s'en forme ici. Il faut poursuivre. Voici ce que je propose :
1° J'irai prêcher une retraite à Stanislas, la première semaine de carême 1846 (37).
2° Je ferai tout ce que je pourrai pour arriver le plus tôt possible.
3° Je n'arriverai qu'avec des aides, et il faut que je les prépare.
4° Je puis promettre à M. Gratry un aide excellent qui fait ici les fonctions de préfet de discipline et qui les comprend parfaitement à ma manière. J'ai besoin de le garder encore quelque temps, mais je le céderai au mois d'octobre (38).
5° Je pourrais très bien m'entendre avec M. Boussinet, le préfet des clercs de Stanislas. C'est un vieil ami de séminaire. Il a tout ce qu'il faut pour faire à merveille.
6° Je promets de chercher ici encore des hommes et de les envoyer à Stanislas comme maîtres d'études ou surveillants.
Quant à moi, je vous avoue que je persiste dans mes idées de n'arriver que lorsque je pourrai m'entourer de quelques hommes sur lesquels je puisse compter pour m'aider. [...]
L'idée de faire un noviciat à Paris me plaît très fort, mais puisqu'il va assez bien ici, pourquoi le déplacer dans ses commencements ?
b)
Nîmes, le 14 novembre 1845. - Orig.ms. ACR, AD 385; V., Lettres, II p. 354-369.
La prudence du P. d'Alzon, que le Dr Gouraud trouve extrême, ne lui permet pas d'accepter la situation instable qu'on lui offre à Stanislas, car il risque d'être à la merci des actionnaires. Par ailleurs, il sait trop bien qu'il en est à ses débuts en matière d'éducation et d'enseignement.
M. Gouraud, me dites-vous dans votre avant-dernière lettre, me trouve d'une réserve et d'une prudence peut-être extrêmes. Mais pour quelqu'un si souvent accusé, comme je le suis, d'aller trop vite, ai-je si grand tort ? Puis, suis-je bien sûr du terrain sur lequel je vais poser le pied ? On veut, en dernière analyse, se servir de moi et puis me remercier, quand on n'en voudra plus. Ce n'est pas la pensée de Gouraud, mais avec son refus d'accepter, l'instinct de propriété des autres le conduit là. Suis-je obligé de vouloir cette position précaire ? Pour moi, peu importe. Pour un Ordre, c'est autre chose. Maintenant, je sais bien qu'il faut risquer quelque chose. Je sais aussi que, si nous formons une communauté et que si les propriétaires ne veulent pas traiter, à un moment donné tout le personnel se retirant, la brèche faite à l'établissement sera considérable. [...]
Gouraud comprend la nécessité de former des hommes. Mais savez-vous bien qu'il faut que je me forme moi-même ? Il est une foule de choses d'expérience que mon amour-propre me fait espérer pouvoir acquérir, précisément parce que je sens très bien qu'elles me manquent. Or, moi aussi, je fais ici une espèce de noviciat du commandement. Je m'aperçois de fausses mesures que l'on croyait utiles, d'exagérations dans la discipline qui amènent des désordres plus grands, de facilités à prendre certains caractères, de difficultés à en pénétrer d'autres; je vois que j'ai été souvent trop sévère, souvent trop indulgent; tout cela peu à peu se coordonne, mais encore un coup le temps à moi m'est aussi fort nécessaire.
3
Lettre de Mgr Affre, archevêque de Paris, au P. d'Alzon, Paris, le 24 juin 1846. - Orig.ms. ACR, DZ 433.
Mgr Affre renouvelle par écrit son espoir d'avoir le P. d'Alzon comme collaborateur dans son oeuvre de réorganisation des petits séminaires de Paris, avec l'ouverture d'un collège rue Notre-Dame des Champs (39).
Je ne vous écris, Monsieur l'abbé, que deux mots que vous trouverez bien vagues et que je me sens néanmoins pressé de vous transmettre.
La Providence semble m'ouvrir une belle voie pour le projet qui nous a occupés ici; elle la [sic] protège au-delà de nos espérances. Je ne puis vous en dire davantage aujourd'hui, mais j'ai cru devoir vous dire au moins cela, afin que vous vous fortifiiez de plus en plus dans votre résolution.
J'aurai besoin ici d'un alter ego, sans quoi je ne pourrais diriger suffisamment cette belle oeuvre. Travaillez donc à vous rendre libre, sinon pour l'année prochaine, du moins pour la suivante. Ne parlez pas de ces quelques mots.
Tout à vous.
+ Denis, archev. de Paris.
4
Extraits de trois lettres du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, concernant les propositions de Mgr Affre (1846-1847)
Mère M. Eugénie de Jésus était au courant des propositions faites au P. d'Alzon par Mgr Affre; sans manquer à la discrétion que Mgr Affre lui a demandée dans sa lettre du 24 juin 1846(40), le P. d'Alzon renouvelle à Mère M. Eugénie ses appréhensions d'aller trop tôt à Paris.
a)
Nîmes, le 2 juillet 1846. - Orig.ms. ACR, AD 433; V., Lettres, III p. 73-76.
Le P. d'Alzon songe à faire de Mère M. Eugénie son intermédiaire auprès de Mgr Affre, puisqu'elle est au courant de ses désirs.
[...] Vous ai-je dit que l'archevêque m'avait écrit, pour me dire que ses affaires allaient tous les jours de mieux en mieux et me presser de me mettre le plus tôt possible à sa disposition ? Je lui ai répondu(41), mais je suis tenté de lui écrire que, s'il veut- s'aboucher avec vous, il le peut sans difficulté, puisque vous avez le mot de tout ce que je désire faire. [...]
b)
Nîmes, le 16 février 1847. - Orig.ms. ACR, AD 491; V., Lettres, III p. 206-207.
Le P. d'Alzon ne pourra aller au plus tôt à Paris qu'en octobre 1850 : il doit bâtir à Nîmes, et surtout, il ne veut arriver que comme supérieur de religieux.
[...] Je vais vous dire toute ma pensée. Il me semble que je dois rester, cette année tout entière, dans les données suivantes. Je pense me mettre à bâtir au printemps. J'installerai mon peuple au mois d'octobre 1849, et je crois qu'il sera nécessaire de séjourner un an pour prendre des traditions. Au mois d'octobre 1850, je pourrais aller à Paris. Or, voici ce que je voudrais encore. Je préparerais mes Constitutions, au moins en gros, afin qu'avant d'arriver à Paris je puisse dire à l'archevêque : "Je suis prêt à me mettre à vos ordres, mais à condition que vous accepterez cette forme de Congrégation." Si l'archevêque approuve, il me sera très facile de lui dire : "Des religieuses qui ont notre esprit demandent à être dirigées par nous. " Si j'ai le bonheur de lui plaire, comme je l'espère bien, il me paraît qu'il me sera bien facile d'obtenir ma demande.
Ce plan me paraît assez bien combiné. Toutefois, examinez-le et dites-m'en votre pensée. [...]
c)
Nîmes, le 27 février 1847. - Orig.ms. ACR, AD 495; V., Lettres, III p. 213-215.
Partir à Paris dans l'immédiat serait compromettre une oeuvre mal affermie, et d'ailleurs est-on sûr de trouver à Paris des hommes capables et disponibles ?
Quant à ce qui concerne l'archevêque de Paris, je ne sais trop que vous dire, sinon que j'attends beaucoup du temps et que Dieu saura, s'il le veut aplanir les obstacles; mais quitter ici une maison mal affermie pour aller en établir une autre ailleurs, c'est, ce me semble, me mettre sur les bras d'insurmontables difficultés, devant lesquelles il me semble indispensable de reculer. Il ne faut pas me faire illusion, je n'ai guère à compter sur les hommes à Paris. Pendant les cinq mois que j'y passai, il y a deux ans(42) , pendant le carême, l'an dernier(43), qu'ai-je trouvé ? Dans une position analogue quelles difficultés n'ont pas les directeurs de Stanislas ? Et pourtant, jusqu'à ce que j'aie trouvé un homme entièrement capable de me remplacer ici, puis-je songer à laisser une maison dont l'avenir est si beau et si positif ? Je vous ai écrit que Montolieu était fermé. On a voulu le rouvrir, mais le gouvernement s'y oppose. Vous ne vous faites pas une idée du mauvais effet produit par cette chute. Or, la responsabilité chrétienne exige que nous ne gâtions pas à plaisir notre cause déjà bien assez compromise.
5
Extraits d'une lettre du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, Nîmes, le 23 avril 1847. - Orig.ms, ACR, AD 508; V., Lettres, III p. 232-235.
Le P. d'Alzon fait part à Mère M. Eugénie de ses difficultés pour l'agrandissement de son collège et des contrariétés intérieures qu'il en éprouve. Il la remercie d'une offre d'argent.
Je suis toujours sans terrain. Vraiment, c'est un peu terrible, mais il m'est impossible de rien trouver, à moins d'y mettre des prix fous; et comme, pour le moment, je ne vois pas que les bénéfices soient jamais ici bien gros, je reste en suspens. J'ai presque envie de profiter du projet de loi, pour dire que l'avenir me semble trop incertain pour risquer des capitaux considérables, et que je préfère attendre quelque temps. Je suis réellement à ce sujet dans une grande perplexité. Je fais, en attendant, chercher de tous côtés. Mais qui peut me dire si, après avoir si longtemps cherché en vain, je serai plus heureux que maintenant ? Il y a des moments où le découragement gagnerait, si l'on ne savait pas que tout ce que nous pouvons éprouver de déceptions dans ce triste monde est bien peu pour payer le bonheur de là-haut, si jamais nous le méritons. Au milieu de toute cette débâcle, je vois mon voyage de Paris s'éloigner comme un mirage. Je devrais partir après-demain, et ma place n'est certes pas encore retenue(44).
Je ne vous ai pas encore remerciée des 150.000 francs que vous m'offrez. Vraiment j'aurais bien bonne envie de les accepter. Mais quand pourrai-je vous les rendre ? Il faudra que j'aille à Paris pour traiter de vive voix cette question, car, avec la meilleure volonté du monde, il pourrait bien se faire que, si jamais je les touchais, je ne les gardasse beaucoup trop longtemps. [...]
Je vous demande pardon, ma chère enfant, de vous laisser un peu trop voir mon accablement. Vraiment, il est bien honteux que, lorsqu'on dit la messe tous les jours, on n'ait pas plus de force contre les contrariétés. Aussi, je veux m'y mettre tout de bon et me relever contre moi-même. Il est aussi peut-être bon de sentir par moments sa faiblesse, afin d'apprécier davantage la nécessité de s'appuyer uniquement sur Notre-Seigneur.
6
Lettre du P. d'Alzon au Dr Gouraud, Chablais le 25 septembre 1847. - Orig.ms. ACR, AC 90; D'A., T.D. 19, p. 236.
L'abbé Gratry ayant pu se retirer, le collège Stanislas était passé sous la direction de l'abbé Goschler, et le conseil d'administration avait décidé son transfert. Le Dr Gouraud profita de ces circonstances pour solliciter à nouveau le P. d'Alzon. De Chablais, où il fait sa retraite chez les Dominicains, le P. d'Alzon, après avoir prié, se refuse aux instances de son ami, sauf à aider l'abbé Goschler sur le plan financier, dans la mesure du possible.
Cher ami, je viens de prier Dieu de toutes mes forces, afin de lui demander des lumières. Je suis forcé de vous dire que je ne puis pas. Croyez bien que si j'ai eu du plaisir, il y a quelques jours, à vous être bon à quelque chose, j'ai en ce moment bien de la peine à résister à vos instances. Il me paraît que la personne dont je vous avais parlé et qui pourrait disposer de fonds considérables, ne voudrait les donner que pour un établissement dans le Midi de la France. Je vais cependant me mettre en quatre pour procurer des fonds à M. Goschler. Peut-être ne sera-ce pas impossible. Je prie pour vous, cher ami, mais qu'il m'est pénible de ne pouvoir faire autre chose ! Si je ne vous donne pas ici toutes les raisons de mon refus, c'est que le temps me manque, mais j'y ai réfléchi toute la journée.
E. d'Alzon.
7
Extraits de deux lettres du P. Tissot au P. d'Alzon, Nîmes, les 25 et 30 janvier 1848
Le P. Tissot, officiellement encore directeur de la maison de l'Assomption, rend compte au P. d'Alzon, présent à Paris pour l'obtention du plein exercice, de la visite des inspecteurs de l'Académie. Satisfaits de l'enseignement donné, ils appuyeraient volontiers la démarche du P. d'Alzon.
a)
De la lettre du 25 janvier. - Orig.ms. ACR, OF 156.
Hier nous avons eu la visite de MM. les Inspecteurs. Aux nombreuses questions qu'ils ont adressées sur les élèves des classes élevées, nous avons répondu que la plupart de ces élèves se destinaient à des Ecoles spéciales, mais que plusieurs étaient répartis sur diverses classes qui portaient les noms de troisième, seconde et rhétorique, bien qu'en réalité le travail de ces classes avait moins pour but le baccalauréat que l'entrée aux Ecoles spéciales.
M. Plagniol disait que M. le ministre vous avait fourni des armes contre lui-même, en vous accordant l'autorisation jusqu'en quatrième, car après cette classe, que faire des élèves, surtout en présumant d'un provisoire qui peut être illimité. Ils concluaient en disant qu'ils désiraient beaucoup que vos démarches aient un plein succès, afin que eux et vous sortissent d'une fausse position.
b)
De la lettre du 30 janvier. - Orig.ms. ACR, OF 157.
MM. les Inspecteurs ont terminé leurs examens. M. Fourteau a été tout à fait enchanté de la méthode suivie en septième et en huitième. Il me disait que nos élèves, au bout de trois ans d'un travail analogue à celui qu'ils font maintenant, sauront autant de latin et de grec que de bons élèves de troisième.
Ces Messieurs semblaient dire que si on les priait de faire un rapport sur notre maison dans le but d'appuyer votre demande, ils s'y prêteraient volontiers(45).
8
Extrait d'une lettre du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, Nîmes, le 9 novembre 1848. - Orig.ms. ACR, AD 603; V., Lettres, III p. 383-384.
Pour aider Mère M. Eugénie dans ses démarches en vue d'obtenir le plein exercice pour le collège de Nîmes, le P. d'Alzon lui résume les principaux arguments à faire valoir.
Ma chère fille, si je n'ai pas répondu hier à votre bonne lettre, c'est que j'ai été obligé de me mettre en course pour savoir quelles pièces étaient nécessaires à ma demande de plein exercice. Il paraît qu'une simple pétition suffit. Je ne vous l'envoie pas, pour ne pas vous écraser de ports de lettres, mais je l'adresse aujourd'hui même à Buchez, sous le couvert du Président. Supposé que vous ayez à faire mettre en avant d'autres personnes, voici quelques motifs que j'ai déjà indiqués à M. Chapot. S'il n'est pas parti pour le Midi, il les présentera, j'en suis sûr.
1° Je suis propriétaire de l'établissement.
2° Depuis quatre ans, il est allé se développant chaque année.
3° Le prix de la pension, plus élevé que celui du collège, diminue la concurrence. Je n'ai qu'un quart, au plus, d'internes du département; les autres me viennent de l'Hérault, du Vaucluse, des Bouches-du-Rhône et du Var.
4° Il n'y a pas de maison de plein exercice dans les huit ou dix départements environnants; ou s'il y en a, elles sont sans valeur, puisque je n'en ai pas entendu parler.
5° On n'ose plus dire que la maison située à Nîmes jettera la division entre les catholiques et les protestants.
6° L'état moral du collège s'est amélioré par la concurrence que je puis faire, selon l'avis de l'ancien recteur, M. Nicot. On peut le constater sur ce point comme sur les autres.
7° Quelques parents ont retiré leurs enfants, sous prétexte que nous sommes républicains. Le fait est que nous ne faisons pas de politique. Mais il est sûr que les tendances que le public nous suppose, d'après un journal rédigé par quelques professeurs, ne sont pas hostiles à la République (46).
8° Enfin, je n'ai d'externes qu'en huitième, ce qui ôte toute possibilité de diminuer l'éventuel des professeurs du lycée. (L'éventuel est une somme que les professeurs du lycée touchent pour chaque externe.)
Voilà les principaux motifs que je fais valoir (47).
9
Lettre de M. Freslon à M. Buchez, Paris, le 20 décembre 1848. -Orig.ms. ACR, OF 201.
M. Freslon, ministre de l'Instruction publique et des Cultes, signifie à M. Buchez, député intéressé, que le plein exercice est accordé au pensionnat de l'Assomption à Nîmes.
REPUBLIQUE FRANÇAISE
Ministère de l'Instruction publique et des Cultes.
1ère division, 3ème bureau, f° 872 mp de l'enregistrement.
Objet : Pensionnat de l'Assomption, à Nîmes, plein exercice.
Monsieur et cher collègue, vous avez bien voulu me faire connaître l'intérêt que vous preniez à une demande formée par M. le Directeur du pensionnat dit de l'Assomption, à Nîmes, à l'effet d'être autorisé à donner dans son établissement l'enseignement secondaire complet.
Je m'empresse de vous annoncer que cette autorisation vient d'être accordée à M. l'abbé d'Alzon(48).
Je suis heureux d'avoir pu prendre, dans cette circonstance, une décision conforme au voeu que vous m'avez exprimé.
Recevez, Monsieur et cher collègue, l'assurance de ma haute considération.
Le ministre de l'Instruction publique et des Cultes
Freslon.
M. Buchez, représentant du Peuple.
10
Extrait du rapport de M. l'abbé d'Alzon, directeur, sur l'exercice scolaire 1848-1849 à la Maison de l'Assomption. - 0rig.imp. ACR, A.113, p. 161-175.
En vue de restaurer l'enseignement chrétien, le P. d'Alzon a déjà introduit dans les classes de grammaire l'étude des auteurs chrétiens. Malgré les objections possibles, il entend poursuivre dans cette voie, d'autant que la Maison de l'Assomption bénéficie à présent du plein exercice et que les événements politiques n'ont pas brisé son essor.
Mais ne nous exposons-nous pas à rendre par là plus difficile l'admission de nos élèves au baccalauréat ? Nous sommes convaincus du contraire. Si, comme nous l'espérons, nos études grammaticales deviennent chaque jour plus fortes, évidemment les élèves pourront ensuite faire de meilleures études littéraires. Ils ne perdront rien de la partie technique de l'enseignement; ils y gagneront beaucoup de fausses impressions de moins et un ensemble de saines idées de plus.
Nous sommes d'ailleurs moins gênés dans nos allures, depuis qu'enfin nous pouvons donner l'enseignement complet chez nous; car, vous le savez, à l'instant où nous allions couronner par un cours de philosophie, l'enseignement classique, ce plein exercice que M. de Salvandy nous présentait dans le vague lointain d'un avenir indéfini, que M. Guizot nous assurait avant huit jours (la révolution de février ne les lui accorda pas), M. Freslon (qu'il reçoive ici le témoignage public de notre reconnaissance) en faisait le dernier acte de son passage au ministère.
Par cette concession, notre établissement, qui, après tout, eût participé à la liberté telle quelle de la future loi sur l'enseignement, reçoit comme par anticipation une garantie de stabilité et de durée, qui rassurera, nous l'espérons du moins, les plus effrayés de nos amis, et nous permettra de poursuivre nos travaux avec une sécurité plus grande pour l'avenir. [...]
Si la Providence fait beaucoup pour nous, nous savons que l'homme ne doit pas lui laisser tout faire. Le plein exercice concédé, le nombre de nos élèves accru malgré tant de causes de diminution, le succès des quelques candidats présentés, cette année, par nous aux examens du baccalauréat; en un mot, l'importance chaque jour plus grande de la maison, nous impose des devoirs de plus en plus sérieux. Nous croyons avoir commencé à les remplir.
11
Rapports d ' inspection académique pour les exercices scolaires 1850-1851 et 1851-1852 à la Maison de l'Assomption. - Arch. départ, du Gard, 2T 52.
Il n'y a pas aux archives départementales du Gard de rapport d'inspection académique pour les exercices scolaires 1848-1849 et 1849-1850, après l'obtention du plein exercice pour l'établissement. Voici ceux des deux années suivantes, après la promulgation de la loi Falloux sur la liberté de l'enseignement secondaire.
a)
Rapport pour l'exercice scolaire 1850-1851
Directeur : M. Brun, 31 ans (le vrai est M. d'Alzon, bachelier-ès-lettres le 1er avril 1829), certificat de stage délivré le 16 décembre 1850. Il remplit les fonctions de surveillant dans la maison. - Aucune personne de l'autre sexe n'habite dans la maison. - Le pensionnat est exclusivement catholique. - Local : très vaste et bien disposé. - Voisinage immédiat : ne laisse rien à désirer. - Dortoirs : très beaux et bien surveillés. - Deux beaux réfectoires. - Etudes : très bien. -Cours : deux grandes bien aérées. - Classes : laissent à désirer. -Une salle d'exercice sert de préau. - Aspect général de la maison : très bien. - Elèves : pensionnaires 200. - Tenue des élèves : très bonne. - Propreté : très bien. - Politesse : très bien. - Le maître n'a pas demandé que ses élèves soient interrogés.
Observations : La belle position de M. d'Alzon, grand vicaire et membre du Conseil de l'Instruction publique(49), lui permet les moyens de faire une forte concurrence au lycée.
b)
Rapport pour l'exercice scolaire 1851-1852
Directeur : M. Brun. - Maîtres : 38, [dont] 8 pour l'administration, 18 pour l'enseignement, 12 pour la surveillance. - Elèves : 196 pensionnaires, 7 externes (fils de fonctionnaires de l'établissement); total 203.
Observations : La Maison de l'Assomption, dirigée en réalité par M. d'Alzon, vicaire général du diocèse, ne laisse rien à désirer pour la salubrité du local, les dispositions hygiéniques, comme pour la surveillance morale. Quant aux études, dont l'inspection académique n'a pas à s'occuper, il est de notoriété publique que le chef de l'établissement travaille à remplacer plus ou moins complètement les auteurs latins-grecs, expliqués généralement dans les classes, par des extraits d'auteurs chrétiens. Une revue, qui se publie à Nîmes depuis le mois de novembre 1851, est destinée à expliquer ce changement dans la méthode et à en préconiser l'emploi(50).
12
Extraits de lettres d'élèves au P. d'Alzon
Les Archives de l'Assomption conservent un certain nombre de lettres adressées au P. d'Alzon par ses élèves du collège, où l'on découvre leur affection, leur reconnaissance, pour tout ce qu'ils ont reçu à son école, comme aussi leur fidélité à vouloir servir l'Eglise, à l'exemple de leur père et maître.
a)
De la lettre de Henri de Saillan, 6 février 1850. - Orig.ms. ACR, OG 211.
Cet élève, apprenant que le P. d'Alzon vient d'être malade, s'en émeut et ose le gronder en lui rappelant comment, à l'occasion d'insomnies, il a pu le voir veiller la nuit.
De la cour, je vous voyais la nuit vous lever, allumer votre lampe, et tantôt descendre à la chapelle ou dans votre cabinet, tantôt rester dans votre chambre éveillé, à travailler sans doute, ou à penser à nous qui certes en avions bien besoin. Mais tout cela n'est pas du repos et vous n'en prenez guère dans la journée. Puis le matin, vous étiez levé comme nous pour ne vous coucher ensuite que bien plus tard. Quand je me rappelle tout cela, cher Père, c'est avec tristesse parce que je crains toujours de vous voir devenir malade. Aussi que de fois j'ai pensé à vous tout cet été et cet automne, tandis qu'on parlait du choléra. Maintenant, au moins, je suis bien tranquille de ce côté, et le serais entièrement si je vous savais plus soigneux de vous-même et de votre santé.
b)
De Henri Galeran, 27 décembre 1851. - Orig.ms. ACR, EA 40.
Cet élève, devenu prêtre et missionnaire apostolique, offre ses voeux au P. d'Alzon et voudrait que tous ses compagnons soient de vrais catholiques au service de l'Eglise.
Je supplie la charité du Coeur de Jésus-Christ, petit enfant, de vous combler de ses grâces, de vous conserver longtemps à l'affection de ceux qui vous entourent et de bénir vos saintes entreprises, dont le but est de faire connaître et surtout aimer le divin Sauveur. Que la divine Marie féconde les sueurs de tous les maîtres de l'Assomption, afin que de leurs mains sortent des hommes tels que les réclame de nos jours la cause de l'Eglise; des hommes de foi, inébranlables dans leurs convictions, ennemis jurés du respect humain, à l'abri d'une fausse piété ridicule qui ne convient pas à de vrais catholiques. Je me rappelle, mon Père, que vous nous répétiez souvent, dans vos instructions du samedi : "Vous êtes destinés à remplir une mission dans le monde, Dieu compte sur vous ! Gardez-vous d'être infidèles !" Je voudrais que tous ceux qui m'ont suivi dans l'Assomption puissent comprendre ces paroles comme le Seigneur me les a fait comprendre; ils verraient là un noble aliment pour leur ambition et une occasion continuelle de se signaler au service de Jésus-Christ.
c)
De Ferdinand Varin, 30 décembre 1853. - Orig.ms. ACR, OH 83.
Achevant ses études de, droit, et marié depuis peu, cet élève demande au P. d'Alzon de lui continuer cette direction spirituelle qui lui a fait éviter toute faute de jeunesse depuis sa sortie de l'Assomption.
Mon séjour à Paris va bientôt être fini, et alors, je commencerai à proprement parler une vie d'homme, en menant à Besançon, la vie de famille et d'apprenti magistrat. Vos bons conseils me seront alors plus nécessaires que jamais pour me garantir des faux pas que ne peut manquer de faire un si jeune chef de famille.
Si je puis vous affirmer maintenant que j'ai passé ces deux années de liberté à Paris sans faire aucune faute de jeunesse, c'est uniquement grâce à vous, mon cher Père, et grâce aux principes que l'éducation de l'Assomption a fortifiés en moi. Aussi vous serai-je toute ma vie reconnaissant de ce résultat qui est à mon sens plus rare et plus important que le monde ne paraît le croire.
13
Extraits de 4 lettres du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie (1851-1853)
Ces extraits de lettres écrites aux alentours de la fête de Pâques, et dans le contexte des retraites que le P. d'Alzon assurait à ses grands élèves pour les aider à clarifier leur vocation, montrent combien il avait le souci de leur sanctification.
a)
Nîmes, le 30 avril 1851.- Orig.ms. ACR, AD 756; T., Lettres, I p. 31-32.
Je viens de passer la semaine à Valbonne(51), où m'ont accompagné onze de mes enfants; ils m'ont édifié et j'espère que, de tout ce que Dieu a dit à leurs coeurs, il sortira quelques belles vocations religieuses. [...] La Chartreuse m'a fait un grand bien. Ces enfants étaient trop bons pour ne pas me mettre le coeur à l'aise.
b)
Valbonne, 15 avril 1852. - Orig.ms. AD 818; T., Lettres, I p. 154-155.
Mes enfants ne me laissent pas une minute, ma chère fille. Il faut être sans cesse avec eux, et sans cesse les prêcher, les confesser, les faire promener. Je ne m'en plains certes pas, mais je voudrais leur faire du bien et, en m'occupant d'eux, il m'en reste trop peu pour d'autres personnes, pour vous, ma chère fille; et c'est ce qui me peine [...]; car, depuis mon départ, je me sens par-dessus tout porté à faire du bien aux âmes que Dieu m'a confiées, [...]. En retournant à Nîmes, j'ai eu bien à faire. Il me semble que, grâce à Dieu, déjà j'ai fait quelque chose pour remettre... Je ne finis pas ma phrase, car j'ai été interrompu par les sanglots d'un jeune homme qui venait se jeter dans mes bras et qu'il a vite fallu confesser. Il y en a un autre qui, je le crois, tourne autour de ma chambre et qui n'ose pas se décider à entrer. Peut-être ira-t-il au Père prieur. [...] Veuillez consulter Notre-Seigneur sur ce que je dois penser de cet attrait qui me porte à m'occuper presque constamment dans mon oraison de la sanctification des âmes. Si j'étais arrivé à quelque degré de vertu, je comprendrais cet oubli de moi-même, mais tel que je suis, je ne puis bien m'en rendre compte. Il y a des moments où cela me semble folie.
c)
Nîmes, le 22 mars 1853. - Orig.ms. ACR, AD 871; T., Lettres, I p. 251-252.
Vous êtes occupée, ma chère fille. Hélas ! et moi, je suis écrasé. Les morts, les mourants et ceux qui restent pour pleurer ceux qui meurent me font tourner la cervelle. Un examen à faire subir à près de 60 gamins, un quart d'heure par individu, et mes confessions de Pâques. Je me lève matin, je me couche tard. Aujourd'hui, j'avais bien arrêté que je ferais une petite visite, par lettre, à ma chère fille, pendant la récréation du déjeuner. C'était un excellent moyen de tromper l'appétit. D'autres s'en sont chargée. Le père d'un enfant chassé, une vieille femme à conseiller, le médecin à consulter, un enfant à éclairer sur sa vocation, M. Durand qui réclame une solution à quatre questions, Mme Durand qui réclame une visite, et me voilà à 8 h. 1/2, et ma lettre n'est pas commencée. Notez qu'on m'attend à la chapelle et que les Carmélites attendent un sermon de moi avant 10 h. [...] Je prierai bien pour vous cette Semaine sainte. Ma fille, ma, fille, sanctifions-nous. Dieu nous bénira dans nos œuvres en proportion de notre sainteté.
d)
Nîmes, le 4 avril 1853. - Orig.ms. ACR, AD 873; T., Lettres, I p. 256.
J'avais emporté à Valbonne du papier à lettre en provision pour faire une très longue correspondance, mais j'ai été pris d'un si gros rhume, accompagné de mal de gorge, que je frémissais à la pensée de me courber pour écrire. Je parlais sept à huit heures par jour et le soir je n'en pouvais plus. Quand les enfants me quittaient pour aller se coucher, j'y allais aussi et ma correspondance en a souffert. [...] Vous serez peut-être bien aise de savoir ce que nous avons fait pendant ces quelques jours. Vraiment, nous n'avons pas perdu notre temps. Quelques élèves ont été peu dévots; mais, sur 21, il y en a bien eu une quinzaine dont j'ai été très content. Il est triste de voir certaines jeunes natures ne pas donner du tout ce qu'elles pourraient tenir, si elles le voulaient.
14
Extraits de pièces concernant la création d'une Maison de hautes études par le P. d'Alzon, en son collège de Nîmes (année 1851)
Estimant que la liberté de l'enseignement secondaire, accordée par la loi de 1850, devrait être couronnée par la liberté de l'enseignement supérieur, le P. d'Alzon entend ne pas être pris au dépourvu. Aussi va-t-il donner plus d'importance à l'Ecole préparatoire aux Ecoles d'Etat, laquelle fonctionne déjà à l'Assomption, au terme des études classiques. Mais, plus encore, il met en place, fût-ce d'une façon modeste, un embryon d'Université libre qu'il appelle : Maison de hautes études. Cet enseignement supérieur comporte, d'après la documentation que nous en avons (ACR, CX 11-27), une première section, qui formera des professeurs pour les institutions libres; une seconde section, qui permettra aux grands élèves de perfectionner leurs études littéraires et scientifiques, et une troisième de hautes études théologiques.
a)
De la circulaire de Mgr Cart, évêque de Nîmes, aux évêques de France, 19 juillet 1851. - Orig.imp. ACR, CX 14.
Mgr Cart informe les évêques de France qu'une Maison de hautes études, fondée à Nîmes par l'abbé d'Alzon, est à même de préparer des professeurs pour les institutions libres.
Quoique la Maison de hautes Etudes fondée à Nîmes par M. l'abbé d'Alzon, mon Grand-Vicaire, et dont je me permets de vous envoyer le prospectus, soit spécialement destinée aux Diocèses de la province d'Avignon, je crois devoir donner connaissance à votre Grandeur de cette oeuvre importante, à raison des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons.
Il arrive, en effet, Monseigneur, que, dans beaucoup de localités, les Conseils municipaux adressent à nos dignes collègues dans l'Episcopat des demandes ou propositions, afin qu'ils veuillent bien se charger des collèges communaux; il devient donc nécessaire de préparer des professeurs pour les institutions libres aussi bien que pour nos petits Séminaires. Le prospectus ci-joint vous engagera peut-être à envoyer quelques-uns de vos ecclésiastiques dans la Maison de 1'Assomption, qui mérite toute la confiance qu'elle a su inspirer, ou bien jugera-t-on peut-être utile, Monseigneur, d'essayer dans votre province quelque chose de semblable à ce qui se pratique à Nîmes.
b)
De la lettre de Mgr Parisis, évêque de Langres, au P. d'Alzon, Paris, 7 août 1851. - Orig.ms. ACR, DZ 477.
Mgr Parisis, membre, avec le P. d'Alzon, du Conseil supérieur de l'Instruction publique, se dit favorable à ses projets : création d'une Maison de hautes études et publication d'une revue de l'enseignement chrétien.
Vous savez combien je suis favorable à votre projet de hautes études, et combien j'ai été frappé, édifié, consolé de tous les moyens vraiment extraordinaires que Dieu vous a ménagés pour le faire réussir.
Il me paraît bien que vous avez une vocation formelle, avec toutes les grâces qui s'y rattachent, pour exercer une influence considérable sur l'éducation de tous les degrés. C'est pour cela seul que je ne prononce jamais votre nom quand il s'agit de places et de dignités qui cependant vous conviendraient bien.
J'approuve encore beaucoup ce bon projet d'une revue de l'enseignement chrétien et je vous prie de me compter au nombre de vos abonnés.
c)
De la lettre du P. d'Alzon au cardinal Fornari, Nîmes, le 13 août 1851. - Minute ACR, AO 22; T., Lettres, I p. 66.
Le P. d'Alzon informe le cardinal Fornari, préfet de la S.C. des études, de son projet de fonder une Université libre ou Maison de hautes études : littéraires et scientifiques, d'une part, théologiques, de l'autre, dans un esprit parfaitement romain, et voudrait obtenir de Rome un professeur de droit canon et un professeur d'histoire ecclésiastique.
La bonté si parfaite avec laquelle Votre Eminence a bien voulu me traiter toujours m'encourage à lui faire part de nouveau d'un projet dont j'ai eu l'honneur de l'entretenir à Paris. Depuis longtemps, je suis préoccupé de la pensée de fonder une Université libre, puisque l'on ne peut encore s'occuper de fonder une Université catholique(52). Mais, là encore, il y a de grands obstacles, parce que l'on prétend que la loi sur l'enseignement supérieur n'étant pas faite, il est impossible de prendre à l'avance la liberté qu'elle consacrera un jour. Aussi ai-je cru devoir me restreindre à une Maison de hautes études pour commencer.
Mais, Monseigneur, à côté de cette Maison de hautes études littéraires, je cherche à établir quelque chose encore, c'est une Maison de hautes études théologiques, et voici le point sur lequel je souhaite très vivement que Votre Eminence veuille bien m'honorer du concours de ses lumières et de ses conseils.
Vous savez, Monseigneur, qu'à Paris va se former une maison de ce genre, sous la conduite de l'abbé Lequeux(53). C'est dire dans quel esprit elle sera dirigée. Je voudrais fonder dans le Midi un contrepoids à cet esprit et, pour cela, avoir des professeurs réellement romains. Ne pourrais-je pas compter sur le concours de Votre Eminence, pour me procurer un professeur de droit canon et un professeur d'histoire ecclésiastique ? J'ai déjà un professeur de dogme dont je crois pouvoir répondre. Il va sans dire que, la première année, le nombre des auditeurs sera extrêmement restreint. Mais il s'agit de commencer, et si Dieu bénit cette idée, je ne doute pas qu'elle ne produise les plus heureux résultats. [...]
La question d'argent n'en serait pas une; elle serait remise entre les mains de Votre Eminence, qui la traiterait, j'en suis sûr, avec toute la prudence nécessaire à une oeuvre qui commence dans de très petites proportions.
15
Extraits d'articles du P. d'Alzon parus dans la "Revue de l'Enseignement chrétien"
Pour servir les maîtres de l'enseignement chrétien, et dans un esprit de collaboration, le P. d'Alzon, aidé du corps professoral de son collège, publie, de 1851 à 1855, un organe de presse intitulé "Revue de l'enseignement chrétien". Les Archives de l'Assomption en possèdent la collection complète, formant quatre volumes (Orig.imp. ACR, A 69-72). Le P. d'Alzon n'y écrivit que 12 articles qui ont été reproduits dans le Corpus causae (T.D. 6). De ces articles nous ne donnerons que trois extraits.
a)
De l'article liminaire intitulé "Introduction". - T. I, novembre 1851, p. 1-17.
Le P. d'Alzon livre au public ses intentions de servir la cause de l'enseignement chrétien, dans le cadre de la liberté accordée par la loi de 1850.
Ce recueil périodique n'aspire qu'à pénétrer dans les établissements chrétiens, ecclésiastiques ou laïques, consacrés à l'éducation.
Quelle que soit la valeur de la nouvelle loi sur l'enseignement, il est sûr qu'une concurrence, à laquelle les amis de la liberté prendront chaque jour une plus large part, s'est ouverte entre l'enseignement libre et ce qu'on est convenu d'appeler l'enseignement public.
De part et d'autre, les esprits sont vivement préoccupés d'améliorer l'instruction. Il nous a paru que la cause de l'enseignement catholique avait un intérêt majeur à être représentée par un organe propre à servir de moyen de communication entre les maîtres des divers établissements chrétiens, qui croiraient devoir travailler à l'oeuvre commune par un loyal échange d'utiles pensées(54).
C'est pour l'étudier que nous faisons appel à tous les hommes qui envisagent l'instruction secondaire au même point de vue que nous, à tous ceux qui voient, dans la pratique de l'enseignement chrétien, une des plus grandes missions qu'il soit donné à l'homme d'accomplir. Nous les conjurons de répondre à cet appel. D'autres plus dignes que nous viendront sans doute bientôt tenir d'une main plus ferme le drapeau que nous osons lever aujourd'hui. Nous reprendrons alors, avec empressement, la place qui nous convient; trop heureux de leur avoir au moins facilité le moyen de se rapprocher, de correspondre entre eux et de mettre en commun, avec les résultats de leur expérience, les idées à l'aide desquelles ils pourront féconder leurs travaux et en assurer le succès.
b)
De l'article intitulé "Controverses". - T. I, juillet 1852, p. 467.
Depuis sa parution, la revue du P. d'Alzon, tout en demeurant fidèle à son objectif premier, doit prendre position dans une controverse qui ne cesse de s'élargir. Avant de livrer à ses lecteurs "les principales pièces du procès", il tient à dire que personne plus que lui et ses collaborateurs ne désire le maintien des droits épiscopaux.
Depuis la publication de notre dernier numéro, la controverse a pris de telles proportions que nous croyons devoir nous borner à enregistrer les principales pièces du procès(55). D'illustres prélats ont jeté leur nom dans l'arène; nous ne voudrions paraître en contredire aucun, de peur de manquer au respect qui leur est dû. Nous ne voudrions pas non plus envenimer une discussion où l'on reproche à nos amis trop d'amertume, et où nous aurions été si heureux de trouver, du côté adverse, des exemples de la douceur que l'on a tant raison de nous recommander.
Si Mgr l'évêque d'Orléans a cru apercevoir dans les expressions de nos collaborateurs quelques paroles peu respectueuses, nous lui en faisons nos sincères excuses, en leur nom et au nôtre(56). Personne plus que nous ne désire le maintien des droits épiscopaux. C'est dans ce sentiment que nous faisons des voeux ardents pour qu'ils soient définis sur une question où NN.SS. les évêques eux-mêmes paraissent ne pas être entièrement d'accord; c'est pour cela aussi que nous nous réservons de dire notre pensée, quand les esprits seront plus calmes et que nous pourrons l'exprimer tout entière, sans craindre de manquer à un respect dont nous ne nous départirons jamais.
c)
De l'article intitulé "Quelques réflexions à propos de l'Encyclique (Inter multiplices)". - T. II, mai 1853, p. 257-267.
En 1853, pour pacifier l'opinion catholique, paraît l'Encyclique Inter multiplices. En effet, la "querelle des classiques" est venue s'ajouter à d'autres controverses, en matière de droit et de liturgie, qui divisaient l'Eglise de France : les gallicans d'un côté et les ultramontains de l'autre. Le P. d'Alzon invite les lecteurs de sa revue à accepter les directives du Pape au profit de l'unité de l'Eglise.
Mais la pensée de Pie IX nous semble surtout se révéler dans l'invitation si souvent répétée de prendre pour mot de ralliement les droits de la Chaire apostolique, et d'exciter de plus en plus l'amour des peuples pour l'Eglise et pour le Siège suprême qui en est le centre. "Omni igitur episcopalis vestrae vigilantiae studio nihil umquam, neque re neque verbis, praetermittite quo fideles ipsi hanc S. Sedem magis magisque ex animo diligant, venerentur, omnique obsequio excipiant, et exsequantur quidquid Sedes ipsa docet, statuit atque decernit(57). " Ces paroles, adressées d'abord aux évêques, le sont également à tous les prêtres et à tous les chrétiens; nous sommes heureux de les prendre pour notre devise et pour point de départ de tout notre enseignement.
[...] Conciles provinciaux, liturgie, études classiques et sacrées, droits et devoirs des écrivains laïques, puissance incontestée du Siège infaillible, répression de tout ce qui tendrait à en discuter les imprescriptibles droits, n'est-ce pas le résumé de toutes les controverses modernes, et l'Encyclique n'en donne-t-elle pas la plus claire et la plus paternelle solution ? Quand ces paroles ont-elles été accueillies avec un plus filial amour ? Ne sent-on pas dans la voix du Pontife non seulement le juge qui décide, mais le docteur et le père qui guide et qui conduit ? Pour nous, nous l'avouons, l'Encyclique nous découvre un nouvel horizon; et, sans pouvoir déterminer d'avance quels seront tous les féconds résultats de cet acte solennel, il nous paraît impossible que ceux qu'elle signale ne soient pas désormais des conquêtes assurées, et que tous les coeurs catholiques ne se sentent pas excités à se grouper autour du Chef de la famille, pour se préparer à de nouvelles luttes, sans doute, mais aussi à des triomphes nouveaux.
16
Extraits de lettres de professeurs de l'Assomption (1852-1853)
Les Archives de l'Assomption possèdent un volumineux dossier de lettres écrites par les professeurs de l'Assomption : prêtres, laïcs, religieux. A titre d'exemple, nous citons un extrait de lettres de Monnier à Germer-Durand, les plus proches collaborateurs du P. d'Alzon, et d'un jeune professeur qui a dû s'éloigner de l'Assomption pour raison d'études.
a)
De Monnier à Germer-Durand, Nîmes, 1er juin 1852. - Orig.ms. ACR, OH 25.
A son ami Germer-Durand, alors en pèlerinage à Rome, Monnier évoque la vie du collège où chacun, autour du P. d'Alzon, donne tout ce qu'il peut pour le bien des élèves.
La première communion de nos enfants a eu lieu le jour de l'Ascension. [...] Le cher Père, au renouvellement des voeux du baptême, a eu d'heureuses inspirations et nous a vivement impressionnés. La valeur du serment que ces enfants allaient faire sur les évangiles a été expliquée par lui avec une chaleureuse éloquence. [...] Le dimanche suivant, Monseigneur nous a donné toute sa matinée. Tu sais sa bonté, son esprit si délicat, si aimable, si enjoué. [...] Nous avons eu quelques jours après la fête de M. d'Alzon, notre partie à Campagne, nos ballons, nos illuminations, nos représentations, nos improvisations. [...]
Je t'ai remis au milieu de notre petit monde de l'Assomption, pensant bien t'être agréable. C'est notre Rome à nous, pauvres affairés de la maison des hautes études, du collège, de la Revue, des conférences de Saint-Vincent de Paul, du patronage, des apprentis, des orphelins, des pauvres, des malades, des soldats (58), anti-païens, classiques chrétiens, prononciateurs en us, ultramontains(59), administrateurs, conseillers, etc., etc. Tout et rien, grands besogneux et serviteurs inutiles (Dieu le fasse dans le sens du bon mot). Je voudrais bien te placer aussi quelques instants au milieu des collègues. Mais là, tu sais nos tristesses, nos ennuis. J'aime mieux ne te parler de rien(60). Prie toujours pour que les beaux esprits, et les flâneurs, et les pédants nous débarrassent ou se débarrassent de leur pédantisme, de leur flânerie et de leur Rambouillétisme. Après tout, dans ce silence, on retrouvera la douceur, qui est meilleure conseillère. On ne s'empresse plus, on ne se dépite plus, on ne s'aigrit plus, on est calme, confiant, surtout adouci, et l'on s'environne de plus d'attraits. Beati mites, quia terram possidebunt.
Frère Boulet a pris la soutane. M. Marie-Joseph Lévy est novice. Tu te souviens peut-être de M. Prouvèze, qui nous a fait à la belle main le tableau d'honneur : il est ici en retraite, et vient essayer du noviciat. Un ancien enfant du patronage qu'affectionnait beaucoup Cardenne, est aussi attaché à l'Ordre. De Cabrières sera fait sous-diacre samedi prochain; Dassas prendra la soutane. Ce sont là nos dernières nouvelles(61). L'oeuvre des soldats est transportée dans la maison. [...] En ce moment, nous avons 50 à 60 soldats qui font, avant de se retirer, leurs prières dans notre chapelle.
b)
De Poulain-Corbiez au P. d'Alzon, 13 janvier 1853. - Orig.ms. ACR, OH 66.
Eloigné de l'Assomption pour raison d'études, ce jeune professeur évoque ses souvenirs et redit au P. d'Alzon son espoir de revenir un jour à l'Assomption.
"Moi aussi, dites-vous dans votre lettre du 21 octobre, je voudrais bien que vous pussiez nous revenir un jour." Mon Père, je ne forme qu'un souhait, c'est que Dieu ait entendu cette bonne parole et qu'il la ratifie.
Je l'espère et voici pourquoi. C'est que 1° j'aime toujours l'Assomption, ses Pères, ses enfants, sa règle et sa vie, comme le jour où, le coeur brisé, je franchis son seuil; et cette persévérance d'amour, de douleur et de souvenir ne me paraît pas venir de moi seul qui suis inconstant, léger, frivole et enfant aussi. C'est que 2° (et je vous parle avec franchise) je n'ai guère maintenant de piété ni de dévotion, j'ai tant d'embarras, de dettes et de contrariétés ! Mais je pratique mes devoirs à la rigueur, et si je me conduis bien comme je le fais, après Dieu, c'est au souvenir, c'est à l'espoir de l'Assomption et à vos prières sans doute que je le dois. [...] Oh ! je donnerais... quoi ? je n'ai rien, - je donnerais cent francs à venir pour être là dans votre cellule de l'Assomption, où je vous vois à l'heure qu'il est, pour me chauffer avec vous près de votre grille et causer pendant de longues heures avec mes enfants en cercle !
17
Extraits de lettres de Vincent de Paul Bailly à ses parents et à sa soeur (année 1853)
Futur religieux de l'Assomption et fondateur des oeuvres de Presse de la Congrégation, Vincent de Paul Bailly (1832-1912), pour aider les siens et moyennant quelques cours, avait été accueilli gratuitement, en 1853, par le P. d'Alzon, à la maison de l'Assomption, alors qu'il était stagiaire, à Nîmes, dans le service des télégraphes. Ses lettres écrites à ses parents et à sa soeur offrent une documentation de première main sur ce qu'il voit comme vie d'études, de prière et de bonnes oeuvres dans l'établissement du P. d'Alzon.
a)
De la lettre à son père, le 25 mars. - Orig.ms. ACR, FX 36.
Me voilà rendu à ma nouvelle résidence. [...] M. d'Alzon est très occupé par les exercices de la Semaine sainte. J'ai à peine trouvé un instant pour lui dire quelques mots. [...] Je suis arrivé tard hier soir, on m'a fait souper, puis on m'a introduit dans ma cellule. C'est une chambre assez grande, très élevée, d'une simplicité évangélique; mais je n'ai pas à me plaindre, car la chambre du Supérieur même n'est pas beaucoup mieux. [...] Je vais tout à l'heure à l'office du soir, je prierai bien pour toute la famille; le bon Dieu me comble de bénédictions, je me trouve entouré de saintes gens.
b)
De la lettre à son père, le 5 avril. - Orig.ms. ACR, FX 37.
C'est mercredi que, pour la première fois, j'ai pris le ton doctoral de professeur. Je ne pouvais revenir de mon aplomb. J'avais deux grands élèves qui m'auraient assommé chacun en particulier. Cela s'est à peu près bien passé; du reste, tous ces jeunes gens sont très bien élevés, très polis, et respectent en moi un professeur qui vient de Paris, c'est un fameux titre à Nîmes.
c)
De la lettre à son père, les 20-25 avril. - Orig.ms. ACR, FX 39.
M. d'Alzon est fort occupé, il tient sa maison avec grand soin, s'occupe beaucoup de celle de Paris(62); car il est un des bons revenus du télégraphe (je ne sais s'il m'est permis de dire cela); de plus, il prêche souvent à la cathédrale et dirige beaucoup de pénitents et d'élèves de la maison; on a grand peine à lui parler, il n'est presque jamais seul et est toujours pressé; il faut donc quelque chose d'important pour le déranger, de là vient que je le vois rarement et seulement quelques minutes; mais toutes les fois que je lui ai parlé, il a été on ne saurait plus gracieux. La dernière fois que je suis allé chez lui, il m'a remis une magnifique gravure allemande représentant les disciples d'Emmaüs; il m'a dit qu'il était bien content de m'avoir chez lui, qu'il était heureux de rendre ce service à la famille, éprouvée par tant de chagrins.
d)
De la lettre à sa soeur Adrienne, le 1er mai. - Orig.ms. ACR, FX 55.
En arrivant à l'Assomption, j'ai retrouvé les pauvres de Saint-Vincent de Paul et, grâce à la haute renommée de papa(63), on m'a mis à même de faire beaucoup de bien si j'en étais capable; je suis devenu vice-président d'une petite conférence dans le genre de celle de la Persévérance, elle est seulement beaucoup plus nombreuse, elle compte plus de soixante membres, on ne réunit pas à la fois toute cette famille, ce serait à ne s'y pas entendre; mais on choisit environ vingt membres d'élites appelés chefs-visiteurs, et qui seuls prennent part à la séance hebdomadaire qu'on nomme Xe Comité, [...] Il y a trésorier, secrétaire, chef de vestiaire et boutiquier, parmi les dignitaires du Comité. La grande ressource financière est la boutique; les boutiquiers achètent en ville à aussi bas prix que possible toutes sortes d'objets, quelquefois sur commande, et revendent le tout le plus cher possible dans la maison, où un sage règlement leur assure le monopole du commerce. [...]
A quinze minutes de l'Assomption, M. d'Alzon a acheté un immense terrain au nom des élèves(64). [...] Chaque dimanche, on réunit là plus de cent apprentis de la ville, on les a organisés par séries ayant son chef, et chacun des chefs distribue les jeux à sa série; on a des quilles, des ballons, des cerceaux, des balles, etc., etc. On commence donc par jouer; puis vient un goûter somptueux, formé des restes de pains des goûters de l'Assomption et des sacrifices de chacun au dessert des repas quand on fait passer la corbeille des pauvres; ensuite vient l'étude et la classe, et enfin la Conférence de Saint-Vincent de Paul, car les patronnés ont aussi la leur, on distribue des livres, des habits et on se sépare. Le matin, on tire un rideau dans la salle d'étude des grands et on découvre un autel, une petite chapelle où un prêtre célèbre la messe chaque dimanche; on vient de voter 50 fr. à la conférence pour l'enrichir d'un calice. C'est ainsi que plus de cent enfants sont enlevés au vagabondage pour être instruits de la religion par la sage administration de l'Assomption; une si bonne oeuvre ne peut manquer d'attirer les bénédictions du ciel sur cette sainte maison où se pratiquent toutes les oeuvres de piété et de charité.
e)
De la lettre à son père, le 19 mai. - Orig.ms. ACR, FX 40.
M. Douliot(65) quitte l'Assomption. Il ne voit pas un avenir satisfaisant ici; d'ailleurs il ne pouvait s'y plaire, dit-il, n'ayant plus le bonheur de partager les sentiments de foi et de religion qui animent l'ensemble de la maison. [...] M. d'Alzon doit être tourmenté de ce nouvel embarras. [...] Il se flattait encore, il y a quelques jours seulement de l'acquisition de M. Douliot et manifestait cependant quelques craintes sur ses convictions religieuses, sachant bien que, sans cela, le séjour ici ne peut être durable.
f)
De la lettre à sa mère, le 29 mai. - Orig.ms. ACR, FX 41.
Depuis quelques jours, nous sommes ici au milieu de cérémonies religieuses touchantes et grandioses. Le samedi de la Pentecôte, la maison de l'Assomption célébrait une grande fête à l'occasion du baptême d'un petit nègre qu'un missionnaire a échangé contre un vieux fusil sur les côtes d'Afrique, et qu'il a recédé pour rien aux élèves de l'Assomption et à M. d'Alzon. Ce petit négrillon a été instruit de la religion depuis une ou deux années et la solennité de son baptême a eu lieu le samedi de la Pentecôte, avec tout le cérémonial qui accompagnait autrefois cette cérémonie(66). [...]
Jeudi dernier, nous avons eu la première communion de vingt enfants, dont le recueillement, l'ordre, m'a rappelé le souvenir si touchant de notre chère Sidonie à Sainte-Clotilde. Aujourd'hui c'est une solennité bien plus importante qui nous réunit; pour la première fois depuis 1829, on a fait la procession de la Fête-Dieu. Ici, c'était une grande affaire; la ville se compose de 40 000 catholiques et de 20 000 protestants au moins, qui ont la fortune et par suite l'influence entre les mains; jusqu'au dernier moment, on a redouté quelque entrave.
g)
De la lettre à sa soeur Adrienne, le 6 juillet. - Orig.ms. ACR, FX 57.
Je ne te parlerai pas encore aujourd'hui d'un petit saint, Paulin Garnier, qui est l'édification de toute la maison. Je le connais à peine, lui parle rarement, et c'est néanmoins le lien le plus solide qui m'attache à l'Assomption. Et disons-en deux mots aujourd'hui. C'est un petit garçon de 16 ans; petit pour son âge, néanmoins il est en rhétorique où il a beaucoup de succès. La moindre parole qu'on lui adresse le fait rougir; si on le met un peu en évidence, il devient écarlate et semble torturé; mais quand il s'agit de faire le bien, il sait vaincre sa timidité naturelle; c'est ainsi qu'il enseigne les soldats, leur parle du bon Dieu et je suis persuadé qu'auprès des pauvres de sa conférence, c'est un apôtre qui fait merveille. [...]
Quand le célèbre M. Veuillot passa à Nîmes, à son retour triomphal de Rome, le Père, qui se plaît aussi à tourmenter le petit Paulin, le plaça à la droite de M. Veuillot devant toute l'assemblée du clergé et les hauts personnages accourus pour honorer le héros; et M. d'Alzon le présenta à M. Veuillot pour ce qu'il était et le laissa assis à côté de lui pendant tout le temps de la réunion. Jamais il n'a dû souffrir autant. [...]
Plus je le vois et plus je trouve d'analogie entre sa vie et celle de saint Louis de Gonzague ou de saint Stanislas(67).
18
Extraits de lettres du P. d'Alzon à ses élèves
Les Archives de l'Assomption n'ont récupéré qu'un petit nombre de lettres du P. d'Alzon écrites à ses élèves. Nous en citons deux, à titre d'exemple, qui montrent la façon concrète et exigeante avec laquelle il les poussait dans la vie chrétienne.
a)
De la lettre à Alphonse Amouroux, le 24 juin 1853. - Orig.ms. ACR, AN 144; T., Lettres, I p. 303.
Cet élève, devenu notaire par la suite, mais alors âgé d'une vingtaine d'années, consulte le P. d'Alzon sur son avenir.
Il est possible, mon cher enfant, que Dieu veuille s'emparer tout à fait de vous. Mais dans la position où vous êtes, rien ne presse. L'essentiel est que vous deveniez un fervent chrétien et pour cela laissez-moi vous donner quelques conseils : 1° Consultez Notre-Seigneur dans l'oraison et pour cela faites tous les jours un quart d'heure de méditation. 2° Communiez aussi souvent que votre confesseur vous le permettra. 3° Récitez tous les jours un Souvenez-vous pour obtenir que la Sainte Vierge vous éclaire sur le parti que vous avez à prendre. 4° Imposez-vous quelques mortifications et, à moins que vos parents ne l'exigent, privez-vous un peu de la musique. Voilà bien quelques idées qui, mises en pratique, vous feront du bien. [...]
Je reviens sur ce que vous me dites de vos idées sérieuses. Il faut beaucoup prier. Si Dieu vous appelle au sacerdoce, souvenez-vous que c'est pour y devenir un saint; autrement, je vous préviens que je vous préfère de beaucoup simple chrétien. Vous serez, je l'espère, toujours bon, mais pour être prêtre dans votre position, il faut aspirer à être parfait. Vous voyez que je ne vous dissimule rien. Adieu, bien cher enfant, encore une fois tout à vous. Priez beaucoup pour la conversion des protestants.
b)
De la lettre à Numa Baragnon, début de janvier 1854. - Orig.ms. ACR, AL 2; T. Lettres, I p. 365.
Pour donner des conseils valables, le P. d'Alzon voudrait bien savoir ce que fait concrètement ce jeune homme de 20 ans, appelé par la suite à une carrière politique.
Vous m'écrivez avec trop de phrases, cher Monsieur, cela sent trop le jour de l'an; rendez-moi donc mon cher Numa. [...]
Il est bien vrai que j'ai un peu à faire et qu'il faut prendre sur son sommeil pour avoir le temps de vous écrire. Mais je ne m'en plains pas le moins du monde : il est si bon de causer un peu en famille. Savez-vous que, pour vous donner des conseils, il faut savoir ce que vous faites, et vous ne m'en dites rien. A quelle heure vous levez-vous ? Priez-vous Dieu ? Qui voyez-vous ? Ne faites-vous pas quelques petites folies ? Et si vous en faites, les réparez-vous ? Vous fait-on bien enrager ? Travaillez-vous ? Dans quelles maisons allez-vous ? Voyez, que de choses je veux savoir. Il faut me répondre au plus tôt et faire quelques pages de mémoires. Je vous assure que j'y tiens. Voici ce que vous ferez. Un soir, après dîner, vous prendrez une tasse de café, vous ferez bon feu, vous prendrez votre plume et vous passerez votre soirée à m'écrire.
19
De la lettre de Mgr V. de Marcy au P. E. Bailly, le 21 juin 1893.-Orig.ms. ACR, DH 125.
Informé que le P. E. Bailly a entrepris d'écrire la vie du P. d'Alzon, Mgr de Marcy lui communique une précision donnée par le P. d'Alzon au cours d'une retraite prêchée par lui à Santa Chiara, et concernant les origines du séminaire français à Rome.
Le début de la retraite fut la présence de Dieu. Son exorde commença ainsi : "A Paris, en ? (je ne puis donner une date exacte) (68), autour d'une table étaient réunis pour déjeuner Mgr de Ségur, Mgr Mathieu, archevêque de Besançon, le R.P. Régis, Procureur général des Cisterciens, et votre serviteur. Tous avaient à coeur de s'unir pour la défense du Saint-Siège et de l'Eglise de France. Tous apportaient en cette réunion intime les communications qu'ils estimaient les plus adaptées à la situation politique et religieuse de la France et de l'Italie. Je suppliai alors mes vénérables collègues de vouloir bien accepter et soutenir ma proposition, de chercher à établir à Rome, aux pieds du trône du Vicaire de Jésus-Christ, un séminaire français où les élèves viendraient puiser, avec les trésors de la science sacrée, l'amour du Siège apostolique et la sainte ardeur pour combattre les idées malsaines du jansénisme et du rationalisme. Au sortir de cet entretien, l'idée était acceptée, votre Séminaire était fondé, nous fîmes les démarches, et aujourd'hui, mon vieil ami le P. Freyd (69), ici présent, m'oblige, en vertu de la sainte obéissance, à vous parler de Dieu. Ce n'est pas un docteur qui vous parle, jamais je n'oserais le faire, pauvre petit prêtre; mais c'est un ami de la première heure, presque un Père, qui vient vous dire d'aimer Jésus-Christ et surtout de vivre en sa présence".
20
Extraits de cinq lettres du P. d'Alzon, relatives à sa maladie, et écrites à Mère M. Eugénie (1854-1856)
Le 19 mai 1854, le P. d'Alzon est frappé d'une congestion cérébrale occasionnée par le surmenage et les préoccupations. A la fin de 1855, menacé de paralysie, il est condamné pendant près de deux ans à une demi-inaction. Dans ses lettres à Mère M. Eugénie, il fait, de loin en loin, le point sur son état de santé et révèle ses sentiments intérieurs devant Dieu; les extraits cités permettent d'en juger.
a)
Nîmes le 20 mai 1854. - Orig.ms. ACR, AD 32; T., Lettres, I p. 430.
Enfin, je suis pris, et dans mon lit, après quelques petits coups de sang qui ne sont rien, mais que je veux empêcher de devenir graves.
Je suis constamment assoupi, et le petit qui tient la plume(70) a veillé toute la nuit une marmotte. On m'a fait une assez forte application de sangsues, et l'on va m'administrer quelques médecines. Bref, si je veux me lever, je tombe par terre sans me trouver mal : ce qui me fait préférer à toute autre la position horizontale. [...] Mon médecin veut m'envoyer à Vichy. Il est certain que j'ai besoin de très grand repos et d'une absence absolue de mes préoccupations ordinaires. J'aurais autre chose à vous dire, mais ma tête me fait trop mal en ce moment, et je m'arrête. Adieu, ma chère fille. Je me crois passablement pris. Il y a aujourd'hui trente ans que j'ai eu quelque chose de semblable.
b)
Nîmes le 22 mai 1854. - Orig.ms. ACR, AD 33; T., Lettres, I p. 431.
Il est sûr que j'ai la tête très faible, que l'on m'ordonne de quitter Nîmes, que l'on me défend d'aller à Paris. Il me faut pour quelque temps laisser toutes mes affaires de côté. Ce n'est qu'à cette condition qu'on me fait espérer de ne pas perdre le peu de sens commun que je puis avoir. Il faut se soumettre à cette humiliation et à l'agréable perspective de devenir tout à fait nigaud. Si je tombe dans l'idiotisme, on vous le fera savoir. [...] Les uns disent que c'est un coup de sang; moi, je crois que c'est un affaiblissement du cerveau, vu que je souffre depuis quelque temps dans l'épine dorsale. Je remercie la Sainte Vierge de m'avoir envoyé ce bobo pendant le mois de mai, et je demande à Notre-Seigneur de me faire trouver dans mon mal quelques lumières pour écrire le chapitre de nos Constitutions sur les infirmes.
c)
Lavagnac, le 29 décembre 1855. - Orig.ms. ACR, AD 1044; T., Lettres, I p. 647.
Je regrette de vous laisser partir sans vous voir, mais ma tête me pèse aujourd'hui dix quintaux. A un mois plus tard, si ma santé le permet(71).
d)
Montpellier, le 3 février 1856. - Orig.ms. ACR, AD 1056; T., Lettres, II p. 19.
Mon médecin me trouve mieux. Je ne suis pas de son avis; au moins mes nerfs me font horriblement souffrir. Cependant, il me semble que je veux, avec bien de l'abandon, tout ce que Dieu veut, et comme j'invoque beaucoup ces jours-ci les âmes du Purgatoire, je dis sans cesse comme elles : "Je l'ai bien mérité". Comme plus je l'accepte, plus j'y trouve de profit, je l'accepte de tout mon coeur(72).
e)
Lamalou, le 12 juin 1856. - Orig.ms. ACR, AD 1094; T., Lettres, II p. 99.
Somme toute, le séjour de Lamalou(73) m'aura été utile. Je ne parle pas pour la santé seulement, qui me paraît prendre une assez bonne tournure, mais surtout pour mon âme qui se repose, s'apaise et qui, dans ses longues heures de solitude, sent la nécessité de revenir toujours plus sous la main de Dieu. Je lis l' Imitation et le Nouveau Testament, et je ne lis presque que cela. L' Imitation m'avait toujours fait beaucoup de bien. Je retrouve dans le Nouveau Testament une saveur qui, pendant quelque temps, s'était perdue pour moi, et j'en suis bien heureux. J'aime toujours un peu plus Jésus-Christ et son Eglise. Je lisais hier ce verset de saint Paul : Vosmetipsos tentate si estis in fide : ipsi vos probate. An non cognoscitis vosmetipsos, quia Christus Jesus in vobis est ? nisi forte reprobi estis (II Cor., XIII, 5). Ce reproche de la perte du sentiment de la présence de Jésus-Christ en nous est effrayant. Et pourtant, quelle transformation, si nous sentions sans cesse Jésus-Christ en nous ! Je prends la résolution de m'appliquer à sentir le plus possible cette action divine et à vous la rappeler, ma chère enfant, car voilà notre grand bien, Jésus-Christ!
21
Extraits de 7 lettres du P. d'Alzon relatives à ses affaires d'argent, et écrites à Mère M. Eugénie (1856-1857)
A travers un état de santé fort précaire, le P. d'Alzon doit assumer les embarras financiers de ses oeuvres d'enseignement et les divergences de vue avec les siens à ce sujet. Tout au long des tractations, il informe Mère M. Eugénie des chances de succès ou de ruine complète, prenant le tout sous le regard de Dieu et dans l'intérêt primordial de sa Congrégation.
a)
Montpellier, le 25 janvier 1856. - Orig.ms. ACR, AD 1052; T., Lettres, II p. 13-15.
Comme il l'a fait tant de fois, et en attendant une solution définitive, le P. d'Alzon a demandé à ses parents une avance d'argent, afin de pouvoir conduire à son terme l'exercice scolaire. Malgré les droits du P. d'Alzon à un héritage assuré, ses parents se sont toujours montrés réticents à devancer l'échéance de cet héritage, par des avances occasionnelles d'argent. Il est évident que si le P. d'Alzon vendait ses terrains de Nîmes, il n'aurait plus de dettes : c'est ce à quoi pense sa soeur aînée, Augustine; lui-même espère ne pas devoir en venir là.
Hélas ! ma fille, j'ai très fort raison de me préoccuper. On n'a pu se servir de vos actions et il a fallu que je puisse obtenir de mon père encore 20 000 francs. Il en faudra 30 000 au mois de juin, et vous voulez que je ne sois pas préoccupé ? Cependant, j'y trouve une nouvelle expérience. Ma soeur aînée s'oppose à ce qui me mettrait à flot et, au moment où j'écrivais ces mots, mon père entre dans ma chambre pour me dire qu'il est fatigué de me fournir de l'argent et qu'il faut que je cède mon établissement aux Jésuites. Or tout cela est une petite combinaison de ma soeur aînée. Je crois que je vais quitter Montpellier. Comme je m'y occupe d'affaires autant qu'ailleurs, malgré les supplications que j'ai faites pour qu'on me laissât en repos, tant vaut que j'aille là où je pourrai m'en occuper sans les tiraillements de famille qui énervent plus que toute chose. [...] Au fait, quand je n'en pourrai plus, je prierai Notre-Seigneur de venir me prendre. Ce sera peut-être le moyen de me délivrer de mes terreurs. Un mal chasse l'autre. Je m'applique à prendre toutes ces épreuves de la manière la plus soumise et la plus sanctifiante. Je ne réussis pas toujours. Cependant, je suis, il me semble, plus maître de moi.
b)
[Montpellier, vers le 19] février 1856.- Orig.ms. ACR, AD 1057; T., Lettres, II p. 29.
La famille d'Alzon a décidé une expertise générale et a nommé deux experts : un prêtre, l'abbé Berthomieu, qui représenterait le P. d'Alzon, et un laïc, qui représenterait ses parents. Le P. d'Alzon reste auprès des siens pour suivre l'affaire.
Je rentre de chez l'abbé Berthomieu, à qui j ' ai exposé toute la situation. J'ai l'espoir qu'il me donnera un bon coup de main; seulement, il faut s'armer de patience. Croyez que, si je n'étais convaincu de la nécessité d'être ici, je préférerais mille fois être à Paris; mais tout bons que soient mes parents, ils ont leurs idées, et le secours qu'ils me donnent leur donnerait le droit de faire prévaloir leurs idées, si je n'étais là pour tenir bon. La peine que je leur fais est toujours ma plus grande inquiétude. Priez pour que je n'y tombe pas.
c)
Montpellier, le 13 mars 1856. - Orig.ms. ACR, AD 1069; T., Lettres, II p. 40-41.
La famille d'Alzon n'avait pas agréé l'achat de Clichy; aussi pense-t-elle que la vente de cette propriété couvrirait les dettes de Nîmes. L'abbé Berthomieu n'est pas de cet avis, car le P. d'Alzon a pour se couvrir sa part d'héritage, même si on la lui calcule au plus juste.
Il paraît que le projet de mes parents était de me faire vendre Paris. M. Berthomieu, qui se conduit admirablement, s'y oppose au moins autant que moi et déclare, en ce moment même, à mes parents que, s'ils ne veulent pas me venir en aide, lui se charge de tout. Dans un sens, je le préférerais. La fortune de mes parents est d'environ deux millions ."Si le partage est égal, j'ai au moins 600 000 francs. J'ai prouvé que l'on me traitait très rigoureusement pour les terres que l'on m'affecte; de plus, j'ai à prélever 150 000 francs d'un legs d'une de mes tantes, d'où vient la fortune de ma mère. Quelque rigueur que l'on mette dans les préférences pour mes soeurs, et supposant que j ' aie perdu 200 000 francs à Nîmes (je crois n'en avoir perdu que 150 000), il me resterait toujours 300 000 francs au moins, car le calcul porte à 400 000 francs juste, en admettant 200 000 francs de perte.
d)
Nîmes, le 29 octobre 1856. - Orig.ms. ACR, AD 50; T., Lettres, II p.144.
Le P. d'Alzon reprend son nouvel exercice scolaire dans l'obscurité de l'avenir, et s'en remet à Dieu.
Eh ! bien, ma chère fille, le sacrifice est consommé. La maison de Nîmes ne subsistera plus. M. Berthomieu, qui est venu hier ici, a été de cet avis avec moi. Nous ne ferons pas nos frais cette année-ci. Il faut voir dans ces impossibilités la main de Dieu et la bénir. Je ne puis vous dire le bien que me fait votre bonne amitié dans ces moments qui me semblent un peu douloureux. Toutefois, ne vous y trompez pas, je ne souffre plus, sauf que, toute la nuit, ma tête et mes dents m'ont tourmenté et que j'ai des bouffées de mes anciennes tentations d'incrédulité. Au fond, je laisse faire le bon Dieu de mon mieux, et il me semble que jamais je n'aie été moins mal disposé à paraître devant lui.
e)
Paris, le 27 février 1857. -Orig.ms. ACR, AD 66; T.,Lettres, II p.205.
Le P. d'Alzon n'entend pas couvrir les dettes de Nîmes par la vente de Clichy, car il veut garder à sa Congrégation, pour ne pas en être séparé, une position totalement indépendante des siens, de ses parents et de Mme de Puységur, sa soeur.
Mon père lui [P. Laurent] a écrit pour le presser de vendre Clichy. J'ai cru apercevoir que, si je consentais à vendre Clichy, on se serait arrangé pour conserver Nîmes. Sur ce chapitre, je me suis montré inflexible avec Mme de Puységur, qui est arrivée depuis quelques jours et qui semble fort empressée de vous revoir. Je crois une grande imprudence de renoncer, non pas à Clichy, puisque je pense bien qu'il faudra le vendre, mais à un établissement à Paris. Il me semble que l'avenir de la Congrégation est là. De plus, je suis propriétaire de Nîmes et j'ai toujours en face de moi les exigences de ma famille qui, je le vois, voudrait que je paye les dettes de Nîmes avec le boni de la vente de Clichy, de façon qu'ayant donné à mon père ma procuration, on pût donner congé à tous les religieux. On ne m'a pas dit cela, mais cela apparaît, d'après une conversation que j'ai eue avec Mme de Puységur. Je tiens à vous en prévenir, afin que, si elle vous dit quelque chose, vous soyez prête à répondre.
f)
Lamalou, le 20 juin 1857.- Orig.ms. ACR, AD 1117: T., Lettres, II p. 265.
Dans l'hypothèse d'une vente de la maison de Nîmes, il était normal de penser à Mère M. Eugénie pour l'acquérir et y déployer le pensionnat annexe à son prieuré de Nîmes, fondé en 1855. Malgré tout ce qu'il doit de reconnaissance à Mère M. Eugénie et au nom même de leur amitié surnaturelle, le P. d'Alzon l'invite à une très grande prudence.
Je reçois de Mme de Puységur la certitude que la maison de Nîmes vous sera vendue, si vous la voulez toujours. Elle a écrit, me dit-elle, à M. Berthomieu des choses qui ne me regardent pas. Elle fera, s'il le faut, le voyage de Paris. Enfin, elle veut que l'Assomption vous reste. [...] Permettez-moi de vous faire observer, à mon tour, que je crois la prudence chrétienne une nécessité. Vous savez le proverbe : Si prudens est, gubernat nos. Ainsi la prudence est une preuve que vous faites votre devoir, si vous la consultez. Mais vous m'aviez tellement parlé de votre penchant à la sagesse humaine que j'avais voulu protester contre ce qu'il y aurait pu se trouver d'excessif, quoique je n'aie jamais eu de reproche à vous faire sur votre excès de prudence.
g)
Lavagnac, le 6 octobre 1857.- Orig.ms. ACR, AD 87; T., Lettres, II p. 334-335.
A la fin de l'exercice scolaire de 1856-1857, la suppression définitive du collège avait été annoncée. Une société anonyme par actions tente de se constituer pour assurer le sauvetage du collège. Le P. d'Alzon ne veut pas que cette affaire avorte par sa faute, mais que la volonté de Dieu soit faite quoi qu'il arrive et quoi qu'il lui en coûte.
Pour en revenir à l'affaire de Nîmes, j'attends ici, parce que c'est l'avis de M. Berthomieu et qu'il met à notre affaire un dévouement qui doit être payé de quelque confiance. Mes pauvres parents sont ce qu'on est à 80 ans; il leur est impossible de voir la même affaire sous deux aspects. Il faut accepter cette difficulté. Pour moi, en mon âme et conscience, si l'affaire avorte sans qu'il y ait de ma faute, j'en serai consolé. Voilà deux jours qu'à la consécration il m'est impossible de dire autre chose que fiat voluntas tua. Quelle que soit la volonté de Dieu, je la prends sans savoir où je vais. Encore si je n'avais pas mes incrédulités ! Je voudrais être un saint; je ne puis que me taire. Heureusement Notre-Seigneur aussi s'est tu. Je me persuade que je l'imite par là. [...] Si vous saviez comme ma lâcheté aurait envie de tout planter là et de partir pour Paris ! Ce sont de tristes aveux qu'on ne fait qu'à vous.
22
Extraits de lettres de trois religieux de l'Assomption au P. d'Alzon
Les religieux du P. d'Alzon n'ont cessé de lui manifester leur confiance et leur attachement. Nous citons des extraits de lettres de trois d'entre eux, qui montrent leur confiance dans l'avenir de la Congrégation, à travers le déroulement de la crise de Nîmes.
a)
Extraits d'une lettre du Fr. Etienne Pernet, Clichy, le 11 mars 1856. - Orig.ms. ACR, EH 22.
Les experts désignés par la famille d'Alzon, après avoir contrôlé la gestion du collège de Nîmes ont éprouvé la nécessité de faire le même contrôle à Clichy. Econome de ce collège, le fr. Etienne Pernet rend compte de l'expertise faite en cette maison et assure le P. d'Alzon de la confiance de la Communauté.
L'argent n'est rien pour nous. Supposé que les affaires par ici se fussent trouvées en mauvais état, nous étions parfaitement disposés à ne point nous décourager. Au contraire, nous nous serions serrés plus étroitement contre vous; une plus grande affection, si elle eût été possible, nous aurait unis à vous pour être fidèles à notre vocation et pour travailler sous votre direction d'une façon quelconque à la gloire de Dieu et au service de notre divin Maître. Tout ce qui vient d'avoir lieu a bien fait connaître combien le lien qui nous unit est fort et qu'évidemment il vient de Dieu. [...] Tout s'est très bien passé ici; et je pense que ces Messieurs qui nous ont été envoyés n'ont aucune raison de se plaindre de nous. [...] Le P. Laurent est très content, très heureux, en ce moment. Toutefois ne pensez pas qu'il se glorifie de ses succès, temporels : je lui ai entendu dire qu'il était heureux à cause de vous, à cause de l'oeuvre et du développement aussi prochain que probable de notre association.
b)
Extrait d'une lettre du P. François Picard, Rome, le 7 mai 1857. -Orig.ms. ACR, EM 76.
Le P. François Picard, jeune prêtre étudiant à Rome, apprenant du P. d'Alzon qu'il faudrait peut-être sacrifier la maison de Nîmes, ose "lui parler de foi et d'abnégation" pour assurer l'avenir de la Congrégation, fût-ce dans une extrême pauvreté.
La tourmente qui menace l'Assomption paraît arriver à un point, où on ne peut plus lutter contre elle sans se décider à des sacrifices bien coûteux et bien pénibles. Si, devant le bon Dieu, ces sacrifices vous paraissent indispensables, si les dettes sont si fortes qu'elles doivent engloutir la maison de Nîmes, il faut livrer la maison de Nîmes; si une partie de l'immense local de Paris devait aussi disparaître, il faut s'en débarrasser le plus avantageusement possible, se débarrasser des dettes en même temps et n'en plus faire; enfin, si Nîmes et Clichy devaient être emportés, il n'y a pas encore de raison de perdre courage; il faut sauver les hommes, rallier autour de vous tous vos enfants et vous mettre à l'abri avec eux derrière les remparts de la pauvreté, de la patience et de la foi. Quelques-uns succomberont peut-être, mais Dieu donnera aux autres des forces nouvelles; vous ne serez pas abandonné; souvent vous nous avez cité l'exemple de saint Paul de la Croix resté seul avec un Frère Convers, de saint Alphonse de Liguori deux fois abandonné de tous les siens, et toujours confiants en la grâce pour suivre et arriver au port au moment où ils croyaient tout désespéré. C'est au milieu de ces peines, de ces tribulations, de ces continuelles incertitudes que les fondateurs d'Ordre ont appris à n'avoir confiance qu'en Dieu, à renoncer à leurs projets pour entrer dans les desseins de la Providence, et suivre dans la voie de la perfection la main de Dieu qui guidait tous leurs pas. Je ne sais pourquoi je vous dis ces choses, et vous parle de foi et d'abnégation, lorsque j'en ai si peu; mais je n'ai pourtant en ce moment nulle crainte dans l'avenir de l'Assomption. Les maisons pourront disparaître, mais l'oeuvre subsistera(74).
c)
Extrait d'une lettre du P. Hippolyte Saugrain, Nîmes, le 2 août 1857. - Orig.ms. ACR, OH 266.
Le P. Hippolyte Saugrain, économe du collège de Nîmes et de la Congrégation, avait suivi plus que tout autre les aléas de la crise financière. Lorsqu'il fut décidé, au terme de l'exercice 1857, que l'oeuvre de l'Assomption ne serait pas reconduite à Nîmes, pour servir au mieux le P. d'Alzon il l'informe que la ville entière est en émoi; mais il ne veut pas être dupe des solutions avancées.
La ville entière est en émoi (à la lettre) à la pensée que l'Assomption sera dissoute dans quelques jours. Les catholiques nobles, bourgeois et peuple regardent cette chute comme un malheur public et un échec pour le catholicisme dans le Midi. Plusieurs Messieurs catholiques, pères de famille, sont allés trouver l'évêque pour le supplier de ne pas laisser tomber l'oeuvre de l'Assomption, d'en faire plutôt une oeuvre diocésaine, etc. Il y a eu trois députations de cette espèce, et à toutes Monseigneur a répondu négativement. [...]
Les pères de famille dont je vous ai parlé, plus un certain nombre dont je n'ai pas les noms présents, devaient vous envoyer une députation pour vous engager à prendre de nouveau le gouvernement de l'Assomption. Une autre députation a demandé rendez-vous à M. le vicomte d'Alzon pour lui faire part de la désolation de la ville.
Il ressort de tout ceci, - là commence mon opinion, ne vous y fiez pas trop :
1° Que Monseigneur ne veut de l'Assomption, ni en blanc, ni en noir(75). [...]
2° Que MM. les Nîmois ont jusqu'ici beaucoup parlé et peu agi. Combien ont-ils offert ? Jusqu'ici je n'ai pas de chiffre. Cependant je dis et je répète qu'il n'y a moyen de faire revivre l'Assomption qu'avec une souscription qui commencerait à ses risques et périls; que vous ne pouvez pas, pour des raisons de famille vous engager dans une nouvelle responsabilité. [...]
J'oubliais de vous dire que MM. les curés de Nîmes ont dû faire cette après-midi une démarche collective à Monseigneur. Je leur souhaite une bonne réception, mais je ne puis et ne sais comment apprécier la chose.
.
23
Extraits de 4 lettres de Mme d'Alzon à son fils
Les archives de l'Assomption possèdent encore treize lettres écrites par Mme d'Alzon à son fils, en ces années 1856-1857. Elles révèlent que le Père traverse un conflit de devoirs : ou suivre la prudence des siens et ne leur causer aucune peine, - mais alors il sacrifie ses oeuvres, ou servir les intérêts de sa Congrégation, - mais alors à travers une incompréhension passagère envers les siens. De fait, pour avoir suivi cette seconde attitude, la crise de Nîmes étant surmontée, nous voyons que l'affection réciproque est demeurée entière entre la mère et le fils.
a)
Lavagnac, le 11 août 1856. - Orig.ms. ACR, EA 517.
Le succès de la maison de Clichy dont lui parle son fils n'est pas, pour Mme d'Alzon, une excuse; il doit, avant tout, "chercher à tarir les causes de sa perte, à Nîmes".
C'est donc à Nîmes, mon cher enfant, que j'adresse ma lettre en réponse à celle que je reçus hier qui m'annonce ton départ de Paris. Tu as dans cette lettre une expression de satisfaction sur le succès de ta maison de Clichy que je souhaite bien voir réussir. Mon cher enfant, je suis accoutumée à voir de si grandes illusions te fasciner les yeux que je te conjure de ne pas oublier ta promesse solennelle de ne rien augmenter dans les bâtiments de cet établissement; je serais désolée d'être obligée, s'il en était autrement, d'y mettre des obstacles. Non, je ne veux penser qu'il soit possible que tu puisses ne pas sentir les désagréments que nous causent les affaires de Nîmes ; j'espère que tu te rendras à l'évidence, à la raison, aux convenances et à la justice.
[.. .] Je ne puis plus continuer et cependant, mon cher enfant, que de choses j'aurais à te dire. Enfin je finis en te conjurant de prendre l'esprit de ta position et de te persuader que tu ferais une véritable folie en ne cherchant pas les moyens de tarir à Nîmes les causes de ta perte. Adieu.
b)
Montpellier, le 22 mai 1857. - Orig.ms. ACR, EA 527.
Une chose plus importante que "la prétendue approbation donnée à sa Congrégation", serait, selon Mme d'Alzon, que son fils assure le payement de ses dettes; elle ne tolérera plus aucun détour de sa part.
Je ne comprends pas le grand avantage que tu retireras de la prétendue approbation donnée à ta Congrégation. Je pense que tu as présenté une requête où tu as fait valoir des avantages, etc. Mais si les choses avancées sont illusoires et que tu ne puisses pas soutenir, que deviendra cette approbation et à quoi servira-t-elle ? La seule chose qui doive nous occuper sérieusement, c'est de payer des dettes contractées par..., mais les choses, de quelle manière qu'elles soient à tes yeux, m'apparaissent d'une manière raisonnable, et je désire que tu sois bien convaincu que je suis bien résolue à t'empêcher d'aller plus loin, et que nous devons bien prendre garde aux détours que tu cherches à prendre pour continuer des choses commencées avec de grandes illusions(76).
[...] Je pense que ta santé est ce qu'elle sera toujours quand les choses iront selon tes désirs... J'espère que tu pourras me lire, mais je veux croire que tu me devines et que tu comprendras ce que tu nous causes de désagréments et d'embarras.
c)
Montpellier, le 23 août 1857. - Orig.ms. ACR, EA 528.
Mme d'Alzon, au courant des initiatives prises à Nîmes pour sauver le collège, voudrait savoir les engagements de son fils.
On avait pris quinze jours pour conclure cette affaire... Mais voyant le temps se passer sans que ces mandataires eussent parlé d'affaires, nous avons envoyé pour voir où en était la chose. Rien n'est avancé, rien n'est réglé, on a laissé toute chose sans conclusion; chacun s'occupe de son affaire personnelle. Nous avons chargé un homme d'affaires de prendre à coeur cette histoire bien singulière, de la ranger, etc.
Je voudrais savoir quels sont tes engagements avec cette brillante société. Je tremble pour toi que, dans un moment de reconnaissance, pour ce qui avait l'air d'une bienveillance extraordinaire, soit un mouvement méridional qui exige de toi beaucoup plus que tu n'aurais voulu. Je te demande la grâce de vouloir me dire tes engagements, comme tu les entends; et, dans ton intérêt, ne va pas trop loin. Je te prie de me dire ce que tu sais de cette affaire que je vois être un peu extraordinaire dans l'ensemble.
d)
Lavagnac, le 24 novembre 1859. - Orig.ms. ACR, EA 529.
La dernière lettre que nous ayons de Mme d'Alzon, écrite à son fils, montre que le P. d'Alzon n'a pas été rejeté par les siens, mais qu'il demeure attendu et accueilli "de coeur et d'âme" par sa vieille maman âgée, infirme et presque aveugle.
De toutes les privations et de tous les sacrifices que m'imposent mes infirmités, tu peux être persuadé, mon bien cher enfant, que la privation de causer avec toi est la chose la plus pénible; il ne se passe guère de jours où je ne verse des larmes, en offrant à Dieu une si pénible privation... Je fais dans ce moment l'impossible, je veux essayer de te dire le plaisir d'avoir eu de tes nouvelles aujourd'hui. [. . .] Tu ne pourras pas me lire, je ne puis pas me relire non plus, je finis donc, mon cher enfant, en t'embrassant de coeur et d'âme.
24
Extraits de lettres adressées au P. d'Alzon par deux prêtres mandatés pour assainir ses affaires d'argent (1857)
Deux prêtres, entre autres, intervinrent avec l'accord du P. d'Alzon et des siens, dans l'assainissement de la situation officielle du collège : l'abbé Berthomieu, répondant officiel du P. d'Alzon, et l'abbé Vernières, conciliateur officieux, qui réussit à rapprocher les points de vue.
a)
De l'abbé Vernières au P. d'Alzon, le 2 avril 1857. - Orig.ms. ACR, EA 212.
L'abbé Vernières, confident de la famille d'Alzon, intervient auprès de leur fils, au nom d'une vieille amitié; sans être, dès le début, parfaitement au courant, il supplie le P. d'Alzon de ne pas quitter la France et, s'il est nécessaire, de disséminer convenablement les membres de sa Congrégation. - Le P. d'Alzon n'en était pas réduit à cette extrémité; il discutait seulement avec l'Ordre augustinien d'une collaboration pour le développement d'une colonie agricole se trouvant près d'Alger.
Je suis désolé de vous voir résolu à quitter la France, l'Europe -même, plutôt que de revenir dans un pays où vous avez fait le bien, où vos ennemis eux-mêmes ne peuvent rien vous reprocher, ni sur la doctrine, ni sur les moeurs ; le non potuit consummari ne se rapportant qu'au matériel, dont vous n'étiez pas censé vous occuper, ne peut diminuer en rien votre considération personnelle, ni votre autorité comme docteur. Et le grand exemple de résignation que vous donneriez compenserait bien des choses. La fuite sera toujours mal interprétée; et que ferez-vous ailleurs que vous ne puissiez faire ici ? [...]
Et votre Congrégation ? Elle est encore fort peu nombreuse. Quand j'avais pensé à Mgr de Reims et [à Mgr] de Montauban(77) , c'était pour vous aider, le cas échéant, à disséminer convenablement les membres qui méritent une vraie considération. Ou la Congrégation a déjà assez de consistance avec un but assez marqué pour marcher seule, ou elle ne les a pas. Dans le premier cas, votre coeur seul souffrirait de vous séparer d'elle; dans le second cas, ce serait une espèce de satisfaction de faire cesser au plus tôt l'état précaire de ses membres et de votre responsabilité au sujet de leur avenir.
b)
De l'abbé Berthomieu au P. d'Alzon, Montpellier, le 27 avril 1857. -Orig.ms. ACR, DZ 538.
Depuis qu'il a été mêlé à cette affaire, l'abbé Berthomieu ne veut agir que pour la gloire de Dieu, et par l'exercice de la charité. Les pressions de la famille d'Alzon, fût-ce par des tiers, ne pourront contrarier son dévouement à servir les intentions légitimes du P. d'Alzon.
Vous savez, mon bien cher Monsieur, qu'entre nous il a été bien convenu que les considérations humaines n'auraient jamais aucune place. Dieu partout, Dieu en tout, Dieu toujours; tout pour sa plus grande gloire, surtout par l'exercice de la charité. Tel est votre langage, tel est le but de vos affaires; c'est aussi vers ce but que je veux tendre à présent plus que jamais, puisque mon âge et mes infirmités peuvent me faire arriver au premier jour aux pieds du souverain juge, pour la reddition de mes propres comptes. [...]
Vos parents ne m'ont rien dit de leur démarche auprès de M. Vernières, ni de votre réponse à ce Monsieur(78). J'ai fait et je ferai l'ignorant; depuis le principe, ils auraient désiré l'établir auprès de vous pour recevoir vos confidences, vous ne l'avez pas voulu; ils reviennent à la charge; il faut bien le leur pardonner, aussi bien que les menaces du nonce(79) et de l'huissier; c'est par la pression d'une gêne inaccoutumée et de craintes devenues chroniques qu'ils ont parlé de la sorte : vous savez combien il y a loin de la menace aux coups dans le coeur d'une mère.
25
Extrait de la lettre de Mgr Plantier, évêque de Nîmes, au P. d'Alzon, Nîmes, le 5 juillet 1857. - Orig.ms. ACR, DZ 81.
Mgr Plantier, évêque de Nîmes depuis le 28 septembre 1855, devant la perspective de la fermeture du collège, même s'il ne peut en prendre lui-même la relève, remercie le P. d'Alzon de l'oeuvre accomplie auprès de la jeunesse et lui réitère toute sa confiance.
La chute de l'Assomption m'accable doublement, et parce que c'était votre oeuvre et parce que c'était une institution précieuse à mon diocèse. De si nobles motifs vous l'avaient fait entreprendre, vous l'aviez fondée à travers tant d'orages bravés et tant de difficultés ou d'hostilités vaincues, vous aviez fait, pour la développer et l'asseoir, tant de sacrifices généreux, vous vous étiez créé par là une vie si laborieuse, si amère, vous qui pouviez avoir une existence si belle et si facile, que je ne puis, sans la plus cruelle désolation, voir tomber ce qui vous a coûté tant de dévouement et d'efforts. Et ce qui met le comble à ma peine, c'est que mon diocèse tout entier va perdre un établissement qui lui rendait d'immenses services. Tant de jeunes gens de naissance et de fortune y recevaient une éducation sérieusement chrétienne que c'était là pour notre avenir comme un foyer d'espérance.
Mais enfin, puisque la Providence vous condamne à vous contenter du bien que vous avez fait jusqu'à ce jour par cette fondation et par tous les sacrifices qui l'ont accompagné, vous pouvez vous résigner, mon cher abbé, par les sentiments d'une grande tâche noblement accomplie. Vous avez consumé au service de la jeunesse et pour le bien de l'Eglise une santé magnifique et une belle fortune, c'est une admirable gloire, et si les hommes de la prudence sont tentés de vous jeter la pierre, les hommes de la générosité vous décerneront autant d'estime que de gratitude. C'est parmi ces derniers que je me range. Ma reconnaissance ne durera pas moins que celle de mon diocèse qui doit être impérissable.
Tant que vous ne serez pas obligé par les nécessités de votre Congrégation de renoncer à Nîmes, vous resterez mon Vicaire Général; je tiens à rompre le plus tard possible des liens qui m'ont été si doux.
26
Extraits de deux lettres du P. d'Alzon, relatives à la mort de sa soeur et de sa mère (1860)
a)
De la lettre à Mlle Eulalie de Régis, Lavagnac, le 27 juillet 1860. -Orig.ms. ACR, AM 271; T.D. 37, p. 252.
A Mlle Eulalie de Régis, sa dirigée, éprouvée dans sa propre famille, le P. d'Alzon parle du souvenir qu'il garde de sa soeur aînée, Augustine, décédée le 16 juillet 1860.
Je suis venu me reposer une dizaine de jours ici, tout seul. Ma mère ne peut se résoudre à revenir à la campagne. J'avais besoin de silence et je suis venu en demander à ces lieux que remplit le souvenir de ma soeur. Je vais sans cesse la demander à sa chambre qui ne me la rendra pas; à la chapelle, je vais m'asseoir aux places qu'elle occupait d'ordinaire. Tout cela montre la puissance de la mort et la vanité de toute joie humaine. Il faut regarder plus haut. Ma douleur n'est pas sans charme, convaincu que Dieu a fait miséricorde à cette chère enfant. La souffrance n'est que pour moi, et cela console. Pourquoi pleurer sur le bonheur de ceux que l'on aime ? Adieu, ma fille.
b)
De la lettre à Mère M. Eugénie, Nîmes, le 18 octobre 1860. - Orig. ms. ACR, AD 1260; T.D. 22, p. 287.
Le P. d'Alzon révèle à Mère M. Eugénie les derniers moments qu'il a passés avec sa mère, décédée le 12 octobre 1860, et son ultime parole, plus précieuse à son coeur que tout autre testament.
La personne avec qui je me console le mieux de la mort de ma mère, c'est avec elle. Si vous saviez ce que j'ai éprouvé quand, après vous avoir écrit et à quelques autres personnes, je rentrai dans sa chambre pour lui demander pardon de toutes les douleurs que je lui avais causées et que j'allai baiser cette main qui m'avait tant soigné ! Il y avait de l'amertume, sans doute, mais enfin nous ne sommes pas comme ceux qui manquent d'espérance. Sa dernière parole pour moi a été : "Il faut savoir faire des sacrifices". Pourquoi voulez-vous que ce testament ne me soit pas aussi précieux que tous les autres ? Personne, après elle, ne me consolera mieux que vous, ma fille; mais dans ces dispositions que je vous montre, ai-je besoin d'être consolé ?
27
Déclaration du P. Siméon VAILHE, A.A., sur l'administration financière du P. d'Alzon, Lormoy le 26 septembre 1954. - Orig.ms. ACR, DO 113.
Historien informé de la vie du P. d'Alzon, le P. S. VAILHE, A.A., a déclaré devant le Postulateur général et en vue du Procès apostolique, ce qui suit sur l'attitude du P. d'Alzon en face de son héritage maternel, avant et après qu'il lui fût échu :
Ayant écrit la vie du P. E. d'Alzon, je puis déclarer ce qui suit, sur la foi des documents :
Il faut distinguer deux parties dans la vie du P. E. d'Alzon : Pendant la première partie, il n'était pas maître de sa fortune qui appartenait à sa mère. - Pendant la deuxième partie, après la mort de sa mère(80), il a dépensé ce qui lui revenait en héritage.
Pendant la première partie, il disposait de son traitement de Vicaire général (3 000 fr.); de sa pension alimentaire, fournie annuellement par sa mère (6 000 fr.); de dons que des personnes pouvaient lui faire et des emprunts qu'il faisait régulièrement (par notaire) à sa mère. Il a pu faire ainsi ses oeuvres qui ont entraîné de grandes dépenses d'argent : achat et entretien du Collège de Cliçhy. Il y eut à un moment donné un déficit. Mais une Commission chargée d'examiner la situation, nommée par lui-même et par ses parents, légalement (composée d'un membre pour chaque partie et d'une tierce personne comme arbitre), après avoir examiné toutes les recettes et toutes les dépenses, a conclu qu'il n'y avait pas eu d'irrégularités et que le déficit présent était largement couvert par les propriétés immobilières.
Pendant la deuxième partie de sa vie, il a joui de sa part de fortune représentée par des propriétés (Le Vigan, sa maison natale, etc.), et par de l'argent liquide qu'il estimait à 400 000 francs disponibles.
Il a offert tout de suite cette somme au Saint-Siège, lequel s'en est servi pour payer les dettes de la Délégation apostolique de Constantinople. Elle a aussi aidé le P. d'Alzon à fonder sa Mission d'Orient.
Toute sa vie, le P. d'Alzon a été excessivement discret sur ses générosités et ses oeuvres de bienfaisance, et ce n'est guère que par l'indiscrétion de certaines personnes qu'on a eu connaissance de plusieurs .
L'étude des documents me permet aussi de faire remarquer ce qui suit :
Par sa mère, héritière de deux fermiers généraux (son père et son oncle), le P. d'Alzon pouvait disposer d'une très grande fortune, en propriété et en argent. Mais de bonne heure, il eut des inquiétudes sur la complète légitimité de tout cet avoir. Il a fait faire des recherches juridiques à ce sujet. A cet effet, toute la documentation a été remise entre les mains du cardinal Gousset, le grand moraliste de l'époque. Ces recherches ont conclu dans le sens de la légitimité. Ce nonobstant, le P. d'Alzon s'est promis à lui-même de renoncer à tout, et c'est là, semble-t-il, une des raisons principales de sa vocation sacerdotale et religieuse. Cela explique aussi la rapidité avec laquelle le P. d'Alzon a renoncé effectivement à sa fortune, en la distribuant au Saint-Siège et à diverses oeuvres. C'est une preuve de désintéressement absolu et d'une grande délicatesse de conscience.
Cet exposé établit que, dans l'administration financière du P. d'Alzon, on ne trouve (et c'est ma conviction), aucune décision qui n'ait été inspirée par des dispositions héroïques des vertus de justice et de prudence surnaturelles.
1. Voir l'étude de P. PIERRARD, Le P. d'Alzon et la liberté de l'enseignement en France, dans Colloque, p. 109-118
2. Cf. E. BAILLY, Notes et documents, III, ch. 3. - VAILHE,Vie, I, ch. XXII
3. L'abbé Gratry avait connu à Strasbourg la société naissante de Saint-Louis, œuvre de Bautain, dispersée par Mgr de Trévern.
4. Lettre du 20 juin 1845; orig.ms. ACRA, lettre n° 1652.
5. Orig.ms. ACR, AD 742; V., Lettres, III p. 638-639.
6. LIMOUZIN-LAMOTHE, LEFLON, Mgr Affre... , Paris, 1971, p. 172-179.
7. Lettre du 27 avril 1846; orig.ms. ACRA, lettre n° 1716.
8. Lettre du 17 août 1846; orig.ms. ACR, AD 446; V., Lettres, III p. 109.
9. Lettre du 18 janvier 1847; ibid. AD 481, p. 183.
10. Les actes de ces acquisitions, conservés aux archives, sont résumés dans une lettre du P. E. BAILLY à l'Enregistrement (ACR, EE 120).
11. Lettre du 22 septembre 1848; orig.ms. ACR, AD 599; V. , Lettres, III p. 375.
12. Chanoine FERRY, Maison de l'Assomption, son histoire, 1843-1893; ACR, DN 21. - Victor CARDENNE, Notes intimes, ACR, CA 6-17, p. 91.
13. Lettre du 19 octobre 1849; orig.ms. ACR, AD 677; V. , Lettres, III p. 503.
14. Les archives du collège de l'Assomption ont été transférées aux archives de la Congrégation en 1967; malgré des pertes ou des dispersions, l'ensemble représente encore 5 mètres linéaires d'archives .
15. Les cahiers qui nous restent encore de ces différentes réunions permettent de dire que le P. d'Alzon insistait particulièrement sur l'esprit d'union et de dévouement et sur la valeur d'exemplarité dont doit faire preuve un corps enseignant. A cette documentation il faut joindre les rapports détaillés des divers préfets de discipline, de lettres, de sciences et d'enseignement religieux.
16. Dans ses Croquis du P. d'Alzon, le chanoine Galeran parle de ce cours d'histoire de l’Église donné par le P. d'Alzon (p. 112-113), mais il nous reste des notes sur les Instructions du samedi, dont trois séries ont été imprimées: sur la Sainte Vierge, l'éducation chrétienne, les Actes des Apôtres. Paris B.P. 1932.
17. A titre d'indice, sur un chiffre de 533 anciens élèves établi en 1880, nous comptons 19 religieux dont 16 assomptionistes, 21 prêtres séculiers, dont un évêque.
18. Orig.imp. ACR, A 113; T.D. 1-5, p. 131-146.
19. Abbé GAUME, Le Ver rongeur des sociétés modernes, ou le paganisme dans l'éducation, Paris, 1851.
20. ACR, DY 39, Cahier des abonnements.
21. Deux exemples suffiront pour montrer qu'un climat de collaboration était difficile à créer; lorsque, en 1852, le P. d'Alzon émit l'idée d'un Congrès d'instituteurs libres, ce fut un beau tapage au Comité de l'enseignement libre à Paris (Lettre de Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, 19 juin 1852). D'autre part, lorsque le P. d'Alzon, avec ses collaborateurs, commença la publication de textes scolaires d'auteurs chrétiens, il ne put travailler avec l'abbé Gaume dont la maison, à Paris, réalisait une publication semblable (ACR, OG 236, EA 47- : échange de lettres entre M. Monnier, professeur à l'Assomption et M. l'abbé Gaume).
22. Guy DUPRE, Formation et rayonnement d'une personnalité catholique au XIXème siècle : le P. Emmanuel d'Alzon (1810-1880), Aix-en-Provence, 1971, p. 158.
23. Un maître spirituel., p. 52.
24. Lettre à Mère Correnson. - AC OA; D'A., T.D. 30, p. 183.
25. Le futur cardinal de Cabrières. - Ancien élève du collège et jeune prêtre du diocèse de Nîmes, l'abbé de Cabrières hésitait alors à entrer à l'Assomption, malgré la confiance que lui témoignait le P. d'Alzon (cf. ses lettres au P. d'Alzon; DZ 335-337).
26. Un exposé objectif et détaillé de la situation a été fait par le P. S. Vailhé dans sa Vie du P. d'Alzon (II, pp. 236-239). Les archives de Rome possèdent encore les livres de comptes du collège et les correspondances annexes à la crise financière dont nous parlons ici. Nous verrons que ces livres ont été contrôlés par des experts et que la comptabilité a été trouvée sans défauts.
27. Le détail de la dette est ainsi présenté par le procès-verbal (ACR, DK 205) :
28. Après l'exposé de la situation, le procès-verbal (ACR, PX 561) conclut : "1° Sous tous les rapports, l'acquisition de Clichy-la-Garenne est une acquisition excellente; 2° le nombre toujours croissant des élèves nous dispense de parler de la bonne réputation que se fait l'institution, aussi bien que de son heureux avenir."
29. Cf. Lettre de Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, datée de Paris, le 15 mars 1856 : "Vous pourriez dire à vos parents que la maison de Paris ne vous appartient pas et que le P. Laurent ne veut pas, non plus que les autres Pères, la vendre pour payer les dettes que vous avez faites à Nîmes."
30. Cf. Procès-verbal (ACR, DK 206).
31. Cf. Procès-verbal du 11 septembre 1856 (ACR, DK 207).
32. Orig.ms. ACR, DZ 539.
33. Cf. ACR, DK 227.
34. Cf. la minute de l'acte de vente, ACR, DK 232.
35. Cf. Lettre du P. d'Alzon à Mme Varin d'Ainvelle, Lamalou, 17 septembre 1860 : "L'évêque de Montpellier vient de me défendre de confesser dans son diocèse, à cause des excès de zèle que, selon lui, je me suis permis. Or, je ne me suis occupé que du Denier de Saint-Pierre et de l'adresse au Souverain Pontife". - Orig.ms. ACR, AB 75; - T.D. 40, p. 201.
36. C'est ici qu'apparaissent des motifs personnels : l'abbé Gratry n'a pas en main le collège de Stanislas : il le passerait à un autre afin de poursuivre son oeuvre personnelle d'apologiste.
37. En 1846, le P. d'Alzon devait prêcher le carême à Notre-Dame des Victoires.
38. Il s'agit de l'abbé Henri, prêtre du diocèse de Nîmes.
39. Pour le contexte historique, voir LIMOUZIN—LAM0THE, LEFLON, Mgr Affre..., Paris, 1971, p. 172-179.
40. Cf. Lettre du 12 mai 1846, antérieure à celle de Mgr Affre : "Je vois de grandes impossibilités à faire ce que (vous trouvez) d'une exécution possible, pour ce qui concerne la maison de l'archevêque de Paris" (V., Lettres, III p. 63). - Mère M. Eugénie est donc au courant.
41. Lettre perdue.
42. Du 16 avril au 15 septembre 1845, séjour à Paris pour l'obtention du plein exercice.
43. Du 23 février au 24 avril, carême prêché à Notre-Dame des Victoires.
44. Le P. d'Alzon ne fit aucun séjour à Paris en 1847.
45. Voir le rapport d'inspection académique : Ch. X 21.
46. La liberté pour tous, cf. Ch. XV.
47. Ce que le P. d'Alzon dit ici de son collège est conforme au rapport d'inspection académique pour 1847-1848 (cf. Ch. X 21).
48. L'original porte une correction de nom : à la place de celui de TISSOT, d'abord inscrit puis barré, se superpose celui de D'ALZON. Buchez, auteur de la correction s'en explique à Mère M. Eugénie : "Il y avait une erreur de nom, mais cela n'en regarde pas moins M. d'Alzon. Je ne sais ce qu'a fait au ministère de l'Instruction publique M. Tissot ; c'est un nom qu'il met partout où il ne doit pas être, comme ici par exemple." (Orig.ms. ACR, OF 203). - Buchez ignore que l'abbé Tissot est encore officiellement le directeur académique de la Maison de l'Assomption.
49. Cf. Ch. XVI.
50. Il s'agit de la Revue de l'Enseignement chrétien (v. supra B). - En 1852, l'Académie du Gard dresse un tableau statistique des établissements libres de la ville de Nîmes, daté du 3 juillet. La Maison de l'Assomption arrive en tête et de loin, avec 35 professeurs, et 196 élèves. "Grâce à la haute position de son fondateur et à l'appui du clergé de nos contrées, y est-il dit, cette institution est en pleine prospérité et fait une rude concurrence aux établissements publics du Midi." (Archiv. départ, du Gard 2T 52).
51. La Chartreuse de Valbonne, à Saint-Paulet-de-Caisson, près de Pont-Saint-Esprit (Gard), était un lieu de prière qu'affectionnait le P. d'Alzon pour lui-même, ses maîtres et ses élèves.
52. A cette époque, les Universités d'Etat comportaient des facultés de théologie, et il eût été déplacé d'utiliser l'expression: Université catholique.
53. Cet abbé, Supérieur du Séminaire de Soissons, venait d'être appelé à Paris et avait publié un compendium juris canonici condamné par la S.C. de l'Index, parce que trop favorable à l'autonomie épiscopale et au droit coutumier.
54. Dans le corps de l'article, le P. d'Alzon développe son intention de contrebalancer par l'étude de "classiques chrétiens" l'influence des "classiques païens" (sans les exclure évidemment) et, par là, renouveler la formation chrétienne de la jeunesse. Au moment où paraît cet article, il se distance des outrances de l'abbé Gaume à servir la même cause : "Je dois vous dire, écrit-il à Dom Pitra, le 1er décembre 1851, que le Ver rongeur de M. Gaume me semble très compromettant pour la cause qu'il soutient" (Cop.ms. ACR, AO 198; T., Lettres, I p. 114).
55. Lettre de Mgr Doney, évêque de Montauban au rédacteur de L'Univers, 22 mai 1852; - lettre de Mgr Parisis, évêque d'Arras à l'abbé Gaume, 5 juillet 1851; - lettre du cardinal Gousset, archevêque de Reims à l'abbé Gaume, 2 juin 1852; - extrait du Mandement de Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, 30 mai 1852; - lettre de Louis Veuillot, rédacteur en chef de L'Univers, à Mgr l'évêque d'Orléans, 19 juin 1852. - Ces pièces, citées par la Revue, montrent que la "querelle des classiques" est passée du cercle d'initiés à celui du grand public, et d'une question d'école à un problème d'Eglise, lorsque Mgr Dupanloup intervint par sa lettre pastorale du 19 avril, distribuée dans tous les diocèses, et par son mandement du 30 mai contre L'Univers et Louis Veuillot.
56. Il s'agit d'un article de Roux-Lavergne au rédacteur de L'Univers, du 10 mai 1852, publié dans la Revue (p. 327-335) et cité par Mgr Dupanloup dans son mandement du 30 mai 1852, comme une attaque à ses instructions. Cet article, cependant, se terminait ainsi : "Notre principe de conduite, c'est qu'il faut former le goût chrétien avant de mettre entre les mains des enfants la littérature païenne; quand le goût chrétien est formé, nous pensons qu'on peut sans danger leur faire expliquer certains auteurs classiques. C'est là le plan d'études de la maison de l'Assomption."
57. Citation du texte de l'Encyclique, qui comporte un désaveu de toute forme de gallicanisme, au profit du courant ultramontain (Cf. AUBERT, Le Pontificat de Pie IX, p. 273-276).
58. Monnier évoque les oeuvres de charité assumées par les professeurs et les élèves de l'Assomption.
59. Monnier évoque à présent l'option des maîtres de l'Assomption en faveur des classiques chrétiens à introduire dans l'enseignement, -jusqu'à la prononciation du latin.
60. Très exigeant pour lui-même, Monnier désirerait de ses collègues, et même des plus jeunes, la même rigueur dans le dévouement.
61. Parmi les noms cités, certains sont, à l'exception du Fr. Marie-Joseph Lévy, des anciens élèves de l'école du patronage ou du collège, dont le futur cardinal de Cabrières.
62. Collège du Faubourg Saint-Honoré, transféré à Clichy en 1853.
63. On sait que M. E. Bailly est avec Ozanam à l'origine des Conférences de Saint Vincent de Paul.
64. Il y avait là un jardin potager, une piscine et un terrain de jeux.
65. Jeune professeur recruté par M. E. Bailly, à Paris, pour l'Assomption de Nîmes.
66. La pension de ce petit noir était payée par les élèves.
67. Cet élève devint par la suite religieux jésuite et se dévoua au service de l'Eglise, à Beyrouth.
68. Septembre ou octobre 1852 (Cf. M. DE HEDOUVILLE, Monseigneur de Ségur, sa vie, son action, 1820-1881, Paris, 1957, p. 210).
69. Supérieur du séminaire français, de 1854 à 1859 et de 1863 à 1875.
70. Fr. Marie-Joseph Lévy, qui lui sert de secrétaire.
71. Le P. d'Alzon, menacé de paralysie, s'est retiré à Lavagnac et ne peut rejoindre Mère M. Eugénie venue à Nîmes pour assurer la fondation de son prieuré voué à l'adoration perpétuelle.
72. Le P. d'Alzon avait projeté de se rendre à Paris pour la prise d'habit de l'une de ses dirigées, Mlle Louise Combié, devenue Soeur Marie-Catherine.
73. Station thermale près de Bédarieux, dans l'Hérault, où le médecin impose au P. d'Alzon, de 1856 à 1860, deux saisons par an. Une amélioration constatée en 1857 lui permit de reprendre une activité à peu près normale.
74. Rappelons que la Congrégation vient d'obtenir, le 1er mai, le décret de louange.
75. Comme oeuvre diocésaine assumée sous sa responsabilité directe, Mgr Plantier tient à sauvegarder jusqu'au bout les droits du P. d'Alzon sur son oeuvre (v. infra 25; Ch. XVII, 27 c)
76. La "prétendue approbation" donnée à la Congrégation du P. d'Alzon n'est autre que le décret de louange.
77. Mgr Gousset et Mgr Doney.
78. v. supra a) .
79. M. le vicomte d'Alzon avait demandé à sa fille, Mme de Puységur, séjournant à Paris, de faire une démarche auprès du nonce. Le 27 mai 1857, Mme de Puységur écrit au P. d'Alzon : "Je refuse à mon père, en ce moment, de faire une démarche qu'il voulait que je fisse" (ACR, EA 599). C'est de cette démarche qu'il s'agit.
80. Survenue le 12 octobre 1860.