CHAPITRE XXX
LE PERE D'ALZON AU SERVICE DES RELIGIEUSES ET DES OBLATES DE L'ASSOMPTION
(1873 – 1880)
(Suite)
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Échange de lettres entre Mère M. Eugénie et le P. d'Alzon (du 4 au 15 août 1873)
a) De Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, les 4-5 août 1873. - Orig.ms. ACRA, lettre n° 3367.
La Mère signale au P. d'Alzon que le projet des Oblates "a plus d'étendue que vous ne pensiez". Elle plaide pour que les Oblates évitent d'y mettre le nom de l'Assomption.
Les lettres de Nîmes me disent ce que vous devez savoir, que le projet des Oblates a plus d'étendue que vous ne pensiez pour l'éducation des petites filles. Il est un point que vous trouverez bien juste que je vous demande, c'est que dans tous les papiers relatifs à leurs petites élèves, elles ne mettent pas le nom de l'Assomption qui est le nôtre. Il ne faut pas que rien prête à la confusion ni qu'il y ait deux pensionnats de l'Assomption à Nîmes. Je demande donc qu'il n'y ait jamais que le nom des Oblates de Notre-Dame de Bulgarie ou plus courtement : Oblates Notre-Dame. On dit la supérieure bien mieux; peut-être pourrez-vous lui faire comprendre maintenant que faire de l’éducation des filles à côté de nous n'est vraiment pas délicat. Il y a tant d'autres villes en France et dans le midi !
b) Du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, Nîmes, le 6 août 1873. - Orig.ms. ACR, AD 1638; T.D. 24, p. 188.
Suite à la plainte de Mère Marie-Gabrielle, le P. d'Alzon avait écrit du Vigan "une lettre très vive à la supérieure des Oblates". Rentré à Nîmes il a constaté que Mère Marie-Gabrielle avait été mal informée. Mère Correnson alla chez l'évêque, celui-ci ayant été assuré qu'elle ne voulait qu'un externat affirma qu'effectivement Nîmes en avait besoin. Le P. d'Alzon pensa de même.
L'affaire des Oblates avait été un peu dénaturée auprès de la Mère Marie-Gabrielle : 1° Jamais il n'a été question de cours [...]. 2° Jamais question de pensionnat, ni de demi-pensionnat : 10 francs par mois avant la première communion, 15 francs après. Vous voyez que ce n'est pas du tout votre public. Du reste Mère Marie-Gabrielle y gagne des demi-pensionnaires accordées par Monseigneur.
Quand la Mère Marie-Gabrielle m'eut spécifié des faits heureusement faux, j'écrivis une lettre très vive, du Vigan où je me trouvais encore, à la supérieure des Oblates. A mon retour, j'eus une explication avec la Mère Marie-Gabrielle, où je vis avec peine qu'elle s'était monté la tête, comme pour les cours Martin. J'eus aussi une conversation avec la supérieure des Oblates, où je parlai un peu sec. Que fit-elle ? A peine fus-je parti qu'elle prit une voiture et alla chez Monseigneur. Celui-ci lui fit bien expliquer qu'elle ne voulait qu'un externat et lui répondit : "Il y a à Nîmes 5.000 filles de plus que de garçons, comme le constate la statistique de l'année. Il n'y a pas d'externat dans le quartier où vous vous établissez; dans le prix fixé par vous, vous ne ferez pas concurrence aux Dames de l'Assomption. C'est un tout autre public. Il y a quatre ans, j'ai écarté le pensionnat des Visitandines, mais je ne puis écarter un externat qui ferait tort soit aux Dames de Besançon, soit à celles de Saint-Maur, et elles regorgent de sujets".
Voilà toute l'histoire. J'avais dit à la Mère Marie-Gabrielle de prendre des demi-pensionnaires, mais elle les a voulues de la main de Monseigneur par M. de Cabrières. Et ce qu'il y a de curieux, c'est que Monseigneur a pris sa décision sans m'en dire un mot.
c) De Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, Auteuil, le 11 août 1873.- Orig. ms. ACRA, lettre n° 3368.
Mère M. Eugénie remercie le P. d'Alzon des explications qu'il lui a fournies dans sa lettre du 6 août, mais il lui reste sur le cœur que le Père n'ait pas répondu à la demande "que le nom de l'Assomption ne paraisse pas à leur externat"... (des Oblates).
Merci, mon cher Père, de votre bonne et longue lettre et de toutes les explications qu'elle renferme. [...]
Pour les Oblates, avec tout ce que vous avez la bonté de me dire, il ne me reste qu'une chose sur le cœur : c'est que vous ne répondiez pas à la demande que je vous fais que le nom de l'Assomption ne paraisse pas à leur externat, ni dans tous les papiers qui y auront rapport... prospectus, notes, etc. [...] Je vous assure, mon Père, que c'est le seul moyen d'éviter des complications futures et cela me semble si juste. Quel désagrément s'il y a à établir un jour que cette œuvre nous est étrangère ! Quels ennuis entre élèves se disant les unes et les autres élevées à l'Assomption. Le fait qu'elles soient de position différente n'arrange pas la chose. Voudriez-vous que dans la rue voisine de votre collège des Oblats de l'Assomption, sur qui vous n'auriez nulle action, ouvrissent un externat de sorte qu'on ne sût plus où est votre Assomption ? La charité même qui doit régner entre elles et nous demande qu'on ôte la source des difficultés que je prévois. S'il vous est désagréable de le dire à la supérieure, quoique ce soit si juste, autorisez-moi de suite à le demander à Monseigneur de qui tient l'autorisation de l'externat. Il est impossible qu'il ne trouve pas ma demande juste, et c'est avant l'ouverture qu'il faut que ce point soit réglé. Dans votre Palmarès on les appelle religieuses Oblates seulement; qu'elles n'ajoutent rien si elles veulent, mais qu'elles n'ajoutent pas l'Assomption, puisque c'est le nom dont nous avons la possession.
d) Du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, Nîmes, le 12 août 1873. - Orig. ms. ACR, AD 1639; T.D. 24, p. 189-190.
Le Père affirme que "le nom de l'Assomption vient aux Oblates non de vous, mais de nous". Il pense qu'il ne faut pas réclamer une exclusivité; d'ailleurs les Oblates tiendront à lui adjoindre le nom de religieuses missionnaires.
Le Père déconseille à Mère M. Eugénie de recourir à l'évêque, mais il la laisse libre.
Le nom de l'Assomption vient aux Oblates, non de vous, mais de nous. Si nous changeons, elles ne demanderont pas mieux que de changer. Je le leur ai proposé, elles résistent. Et vraiment, si nos religieux vont à Nice jamais, faudra-t-il qu'ils changent de nom, parce qu'il y aura des Assomptionnistes ? La grande différence c'est, outre le nom d'Oblates, celui de religieuses (missionnaires), et à cette différence elles y tiennent, je puis vous l'assurer. Du reste, elles n'auront pas de quelque temps de prospectus, et je vois tant de gens prédire un échec complet (entre nous, j'y crois bien un peu), que je ne vois pas sujet de s'inquiéter.
Vous voyez que la Mère Marie-Gabrielle, en exagérant les choses, a fait donner, entièrement à mon insu, une décision par Monseigneur. Il y aurait encore des ennuis plus désagréables que vous ne le pensez. Vous pouvez demander à Monseigneur ce que vous voudrez, je doute fort qu'il fasse plus que ne l'a fait l'évêque de Nancy. L'autorité ecclésiastique ne se mêle pas de ces choses. Vous le voyez par la quantité de Sœurs de Saint-Joseph, de l'Immaculée Conception, approuvées avec des règles différentes. Mais, je vous le répète, de même que vous avez échoué pour Nancy, je crains que vous n'échouiez pour Nîmes. Il y a bien des choses que je ne veux pas vous écrire et qui me prouvent que j'ai raison. Le nom des Oblates tout court prendra le dessus, et l'on sera bien aise de n'être pas Oblates de l'Assomption. Mais je vous laisse toute liberté de vous adresser à Monseigneur.
e) De Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, Auteuil, le 15 août 1873. - Orig. ms. ACRA, lettre n° 3369.
Elle rassure le Père que, même contrariée, elle ne lui causera jamais d'ennui. Elle supplie le Père de reconsidérer la question. Elle ne veut pas contester absolument aux Oblates le nom de l'Assomption si celles-ci se distinguent par leur vocation missionnaire, mais elle est persuadée que les Oblates entendent développer pleinement leur œuvre d'éducation, et cela à Nîmes près du Prieuré.
Mon cher Père, à travers les Offices de notre grande fête, je trouve un moment libre pour venir m'entretenir avec vous. Je suis bien occupée de votre santé et sur les questions dont je vous ai dernièrement entretenu et dont j'aurai encore à vous parler, je tiens à vous dire avant tout que même si je suis peinée et si certains points de vue me font craindre pour l'avenir de grands embarras, vous n'aurez jamais de moi un ennui. Je désire que tout dans ces dernières années de vie vous porte de ma part la paix et s'il se peut le contentement. Vous me permettrez bien dans cette mesure de vous représenter mon sentiment sur les choses.
Eh bien ! je trouve qu'il y a des choses que vous devriez encore peser avant de rejeter la demande que je vous ai faite.
D'abord je ne demande pas du tout que les Oblates renoncent pour toutes choses au nom de l'Assomption. Fondées pour les Missions, tant qu'elles restent dans ce but, elles se différencient de nous. En ce moment elles veulent entrer dans la voie de l'éducation des filles. Le commencement est modeste. Soyons de bonne foi, nous savons tous que si elles peuvent elles veulent le développer. Dans cette vue elles choisissent Nîmes où nous sommes, et la rue voisine de notre maison. Tôt ou tard elles espèrent que votre maison où elles sont, sera le point d'appui de cette entreprise. Tout cela n'est-il pas un antagonisme de position et pour le diminuer, ne voyez-vous pas que la suppression du nom de l'Assomption dans les papiers et imprimés relatifs à cette nouvelle œuvre seulement est une convenance ? Que ce soit l'externat des Oblates sans rien de plus et voilà tout. Croyez que si ce point n'est décidé ce sera le nom d'Oblates qu'on mettra en oubli dans les paroles, et on dira : c'est l'Assomption.
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Échange de lettres entre le P. d'Alzon et Mère M. Eugénie (fin août 1873)
a) Du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, Le Vigan, 20 août 1873.-0rig.ms. ACR, AD 1640; T.D. 24, p. 190.
Le P. d'Alzon estime que le pensionnat des Assomptiades, ancien et réputé, n'a pas à craindre la rivalité de l'école des Oblates. Il désire n'en plus parler.
Ma chère fille,
Réduite aux proportions que vous donnez à l’affaire des Oblates, ce n'en est plus une, et je vous demande pardon si j'ajoute que, sans quelques cancans, tout eût été bien aisément arrangé. Souvenez-vous de l'épouvante qui vous prit quand M. Combalot vint prêcher l'Avent à Nîmes. Qu'en sortit-il ? Rien. Ce sera la même chose cette fois. Aussi je vous demande la permission de n'en plus parler. S'il y avait lutte, ce serait l'histoire du pot de terre et du pot de fer. Alors pourquoi vous effrayer ?
b) De Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, Auteuil, le 28 août 1873.- Orig. ms. ACRA, lettre n° 3372.
La Mère se rend au désir du P. d'Alzon et s'en rapporte à lui.
Je ne vous dis plus rien de l'affaire des Oblates. Je ne souhaite, vous le pensez bien, que de ce qu'il n'y ait point d'inconvénients; je ferme les yeux et m'en rapporte à vous, vous remerciant d'accepter mon désir pour le nom du pensionnat ou externat.
c) Du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, Le Vigan, le 31 août 1873. -Orig.ms. ACR, AD 1642; T.D. 24, p. 192.
Le P. d'Alzon se réjouit du fait que la Mère soit moins effrayée par l'entreprise des Oblates. Il pense que celle-ci a peu de chance de succès.
Je vois avec plaisir que l’entreprise des Oblates vous effraie moins. Si vous aviez voulu vous en rapporter à moi, je vous aurais dit que c'était un essai malheureux, et vous vous seriez peu tourmentée. Au fait, qui ont-elles pour leurs classes ? Le fond est qu'elles veulent trouver de l'argent. Or je crois avoir découvert pour elles une veine plus riche que tous les pensionnats. Mais moi aussi, j'ai besoin de ressources.
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Échange de lettres entre le P. Emmanuel Bailly et Mère Correnson (automne 1882)
a) Du P. Emmanuel Bailly à Mère Correnson, [Osma, Espagne, automne 1882] • - Orig.ms. ACOA.
La Mère Correnson ayant exprimé au P. Emmanuel Bailly (lettre de Nîmes, le 7 septembre 1882. - ACOA) des regrets de devoir se séparer du gouvernement des Pères, le P. Emmanuel Bailly lui détaille longuement les torts que les Pères attribuent à la Mère Correnson, parmi lesquels celui d'avoir fondé le pensionnat malgré le P. d'Alzon.
Le Père m'a formellement déclaré à plusieurs reprises qu'il ne voulait pas le pensionnat; que pour éviter avec vous des difficultés, pour ne pas vous causer une contrariété trop vive il subissait la chose à contrecœur, mais qu'il eût voulu une œuvre plus simple, plus en harmonie avec le vrai but des Oblates et qu'il avait vivement souffert de la ténacité avec laquelle il vous voyait poursuivre, exécuter et développer cette œuvre. Quand se sont produits les tiraillements suscités à ce propos avec le Prieuré, il me répéta la même pensée.[...] Il me fit même entendre que pendant une de ses absences la question du pensionnat avait été interprétée dans un sens qui n'était pas vraiment conforme à ses intentions. Je n'examine pas ici, ma révérende Mère, vos intentions et la question de bonne foi; je vous rapporte les vraies intentions du Père et son sentiment clairement manifesté sur ce point.
b) De Mère Correnson au P. Emmanuel Bailly, Nîmes, le 21 novembre 1882. - Orig.ms. ACR, 2 ST 76.
Mère Correnson rappelle l'histoire de l'école fondée par elle à Nîmes et devenue pensionnat. Elle affirme que le P. d'Alzon l'a approuvée dans cette entreprise.
Il me semble que votre mémoire vous fait défaut au sujet du pensionnat; permettez-moi de vous en donner l'historique : Lorsqu'en 1873, j'ai dû quitter le collège afin de poser l'œuvre, rue Séguier 26, deux de nos Sœurs ayant obtenu leur brevet, j'en mis une à la tête du pensionnat de Turquie, tandis que je réservais à l'autre la direction de notre futur externat (nous devions l'ouvrir en octobre de la même année). J'allai voir Monseigneur pour l'instruire de notre projet et vous racontai ma visite. Vous me répondîtes avec un air que je ne m'expliquais pas : "Je n'ai pas pensé à demander mes externes à Monseigneur". Je vous dis bien vite, mon Père : "Mon cas n'est pas le même, ayant le droit d'avoir un collège, vous êtes bien sûr que l'Evêque ne vous les aurait pas refusés, tandis que nous, n'ayant jamais eu d'œuvre à Nîmes, je ne puis en établir une sans son consentement."
Je parlais de notre projet aux personnes portées pour l'œuvre, j'en glissais un mot chaque fois que l'occasion s'en présentait, puisque, afin d'éviter les froissements des diverses communautés enseignantes, le Père m'avait dit que de Nîmes, nous ne lancerions aucun prospectus. Son intention était si délicate que je la respectais. Malheureusement, le Père d'Alzon partit pour le Vigan et alors commencèrent les ennuis. On écrivit au Père, de Nîmes et de Paris, pour lui faire entrevoir l'impossibilité de la chose. Père d'Alzon se voyant en face d'oppositions pareilles, n'eut plus qu'un parti à prendre, celui de me dire qu'il n'avait pas saisi ma pensée et, pour mieux me le prouver, il me dit que l’Évêque lui-même était opposé à ce que nous ayons des élèves.
Après cette conversation, 2 août 1873, j'allais à l'Évêché, très émue et je racontais à Sa Grandeur ce qui se passait, ajoutant ceci : "Je ne tiens pas plus à l'œuvre que ce que son fondateur y tient, mais voilà 7 ans que l'œuvre est créée, il faut que cela marche ou qu'elle croule". L'Évêque me répondit : "Cela marchera, mon enfant. Que voulez-vous : un pensionnat ou un externat ?" Des élèves, lui répondis-je. "Eh bien, je vous accorde votre externat".
Le soir, à 6 heures, racontant ma journée au Père d'Alzon, je lui parlais nécessairement de ma visite à l'Évêque. Il en fut heureux et me dit : "Demain, j'irai remercier Monseigneur de ce qu'il a tranché la difficulté." A partir de ce moment, je n'eus plus l'estime d'aucun religieux. Le Père lui-même m'avertit que les religieux me pardonneraient difficilement ma visite à l'Évêque. Vous, plus habile, mon Père, avez selon votre habitude conservé les formes, mais je compris bien que je n'avais plus à compter sur votre dévouement pour l'œuvre. Les Dames de l'Assomption et le Père Picard ne mirent plus les pieds dans la maison.
En août 1874, Mlle Bourdet voulant entrer au couvent et désirant remettre son pensionnat en des mains sûres et chrétiennes, fut trouver M. Imberten qui se chargea de m'en parler. M. Imberten que je ne crains pas de nommer, car son témoignage peut être évoqué, vint en effet me proposer l'affaire. Père d'Alzon était à Paris. Je lui écrivis qu'il y avait 50 enfants externes, demi-pensionnaires et pensionnaires, il me répondit : "Allez voir l'évêque, s'il le veut, je le veux bien".
Monseigneur ne me fit aucune difficulté. Vous partiez à ce moment pour Paris, je vous dis encore un mot de cette affaire et une nouvelle lettre m'arriva défendant ce qu'avait autorisé la précédente. Je refusais immédiatement l'affaire de M. Imberten. Le 15 mai 1875, la mère d'une enfant que nous avions depuis deux ans me demanda à prendre sa fille pensionnaire, je le lui refusais, n'étant pas autorisée. Cette dame étant allée au Prieuré, le Père d'Alzon l'apprit par la supérieure, il l'engagea à ne pas l'accepter et m'obligea cette fois à aller trouver l'évêque pour lui demander des pensionnaires. Cette visite à Sa Grandeur fut faite le lundi de la Pentecôte, 17 mai, huit jours avant la mort de Monseigneur Plantier. A partir de ce moment, le Révérend Père d'Alzon n'a cessé de témoigner sa joie, son bonheur, non seulement à moi, mais aux enfants, se réservant le droit de les confesser, leur prêchant tous les dimanches, organisant une association d'Enfants de Marie qu'il fit affilier à celle de Rame. La manière dont il s'en occupait prouvait bien que ce n'était pas à contrecœur qu'il les subissait(68).
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Lettre du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, 11 juillet 1876. - Orig.ms. ACR, AD 1709; T.D. 24, p. 260.
Dans une amitié reconnaissante envers Mère M. Eugénie pour le soutien qu'elle lui a procuré dans le passé, le Père compatit à ses épreuves présentes. Il offre de porter un message pénible aux parents d'une Sœur malade; il propose de voir la Mère à Paris pour préparer le chapitre; est-elle en état de le tenir ? Il voudrait la repayer d'affection pour le bien qu'elle lui a fait.
Ma bien chère fille,
Je crois qu'il faut tout dire aux parents de Sœur Françoise-Eugénie. Voulez-vous que je m'en charge ? Que je voudrais, mais du fond du cœur, vous soulager dans votre état ! N'est-ce pas celui où j'étais, quand la pensée d'une nouvelle me donnait des tremblements nerveux atroces, où à midi, en compagnie de plusieurs personnes, j'avais peur, où je disais aux maîtres : "Ayez la bonté de vouloir pour moi".
Je comptais aller à Paris, le 1er ou le 2 août, pour préparer avec vous votre Chapitre. Cela vous fatiguera-t-il ? Voulez-vous un endroit plus frais ? Souvenez-vous que je suis à vos ordres. A cette époque si pénible de ma vie vous me fîtes un bien immense. Que je serais heureux de vous le rendre par l'immensité de mon affection. Ce matin, je lisais dans le traité de la perfection de sainte Thérèse son opinion sur les amitiés chrétiennes. Il me semble que je puis aimer votre âme sans mesure et sans scrupule. Je suis assez prêt de mon éternité pour voir clair, et la lumière qui vient du côté de la tombe me laisse une grande sécurité sur tout ce que mon cœur voudrait faire pour vous.
Adieu, ma fille. Bien vôtre de la façon que je viens de vous dire.
E. d'Alzon.
Encore une fois, renoncez-vous à votre Chapitre, à cause de votre santé ? Et si vous le tenez, que voulez-vous que j'en prenne pour vous soulager ?
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Lettres échangées entre le P. d'Alzon et Mère M. Eugénie à propos du statut d'union, en septembre 1876
a) Lettre du P. d'Alzon, Nîmes, 14 septembre 1876. - Orig.ms. ACR, AD 1715; T.D. 24, p. 265.
A la mi-septembre le P. d'Alzon informe la Mère Fondatrice sur "l'affaire de l'union" qu'on examine alors dans le chapitre général des Pères. On proposera au Conseil des Religieuses quelques modifications pour en faire l'expérience jusqu'au prochain chapitre des Religieuses. Le Père est convaincu, comme le P. Picard, que "les tiraillements manifestés (au chapitre des Religieuses) sont entièrement en dehors de vous".
L'affaire de l'union a été traitée hier. Le vote n'est pas fait; on attend, après le rapport du P. Picard, les conclusions rédigées par le P. Laurent d'après ce qui a été dit. On soumettra à votre Conseil quelques modifications rédigées par le P. Picard et on demandera que, d'ici à votre prochain Chapitre, on fasse l'expérience ou l'étude. Le P. Picard et moi sommes convaincus que les tiraillements manifestés sont entièrement en dehors de vous. D'ici là, vous calmerez les esprits et, pourvu que l'autorité suprême soit maintenue au supérieur général, tout en vous laissant les vœux et le gouvernement ordinaire, plus toute initiative, je crois que notre action sera entièrement dans votre sens et ce que vous pouvez désirer. Le P. Picard me conjure de le dispenser d'être délégué auprès de votre Congrégation, au moins pour trois ans. Sur ce point vous vous entendrez avec lui. Il voulait ne plus être assistant de notre Congrégation; il m'a offert sa démission de maître des novices. Je ne sais plus où il s'arrêtera. Toutefois il est le plus tendre des fils et des amis.
b) Lettre du P. d'Alzon, Nîmes, 18 septembre 1876. - Orig.ms. ACR, AD 1716; T.D. 40, p. 401-402.
Le P. d'Alzon avait dû quitter Paris avant de voir les Procès verbaux du chapitre des Religieuses. Mère Marie-Eugénie les lui envoie le 10 septembre(69). Le P. d'Alzon y trouve non pas ce que le chapitre avait paru voter et qui lui plaisait, mais une formule diminuée qui ne change rien à la situation antérieure. Il propose d'en rester aux rapports d'amitié, d'attendre le chapitre général suivant, le temps d'arriver si possible à une formule où les opposantes et les fils du P. d'Alzon tomberaient d'accord. D'ailleurs il n'est pas fâché de cet échec, ayant été longtemps peu favorable à l'union.
Je viens enfin de lire les Procès-verbaux du Chapitre, et, si je les avais ouverts plus tôt, la discussion qui a eu lieu sur le Procès-verbal préparé par le P. Picard et copié par vos ordres, eût été inutile; avec ce que ce procès-verbal contient sur vos Règles, il est impossible de vous proposer le travail que le bon Père (Picard) avait apporté de Paris. Restons-en donc aux rapports de bonne amitié, dans trois ans nous aurons un Chapitre. D'ici là, le P. Picard aura eu le temps de s'entendre avec vous, de préparer quelque chose de plus sérieux que la rédaction signée par moi et qui ne dit absolument rien.
Remarquez que je n'en suis pas du tout fâché, vous savez que pendant 25 ans et plus, j'ai été peu favorable à l'union, c'est vous qui l'avez désirée, mais dans les termes où le procès-verbal la fixe, il est bien évident que le Chapitre n'a rien fait. S'il ne demande pas davantage, il n'y a pas de délibération à prendre et je n'ai signé que par égard pour ce que vous avez annoncé à M. d'Hulst, car vous savez bien que ce qui avait été voté est tout autre.
Je vous conjure de ne voir en mes paroles aucune impression pénible, puisque les expressions du Chapitre, sauf ce que le délégué devrait faire à Rome et avec les Évêques, est ce que je désirais. Accepterons-nous cette position d'ambassadeur ? Je ne le pense pas, si les choses devaient rester dans ces termes. Être vos agents d'affaires spirituelles peut être un service à rendre et nous le rendrons avec bonheur, pourvu qu'il n'y ait pas d'acceptation officielle d'une position par trop inférieure, du moment qu'elle est matière à délibération, par une Congrégation de femmes.
A ce point de vue, je suis très content de n'avoir pas ouvert votre registre pendant votre Chapitre. Le P. Picard m'avait assuré que ce registre contenait la transcription de son travail. Les corrections qu'il nous a proposées s'accentuant dans un sens contraire à votre délibération, peut-être eût-il protesté un peu trop vivement. Du reste, il m'a conjuré de ne pas le contraindre à accepter le titre de délégué; après la lecture que je viens de faire, je ne puis absolument pas insister .
Evidemment, il y a malentendu, autrement à traiter l'affaire de l'union comme affaire, je me demanderais à quoi bon m'inviter à présider le Chapitre ?
Adieu, ma chère Fille, je tremble de vous affliger quand je désire seulement établir votre situation et la nôtre nettement. Restons-en sur le pied de la bonne amitié : sur ce terrain, et sans délibération aucune, nous serons toujours d'accord.
Bien vôtre, ma chère Fille, en N.S.
E. d'Alzon.
c) Lettre de Mère M. Eugénie, 20 septembre 1876. - Orig.mS; ACRA, lettre n° 3476.
La Mère s'empresse de protester : le Chapitre a accepté le travail du P. Picard et l'a autorisée elle-même à le signer. Elle propose une formule qui répond à la situation : "que le Supérieur général ne prend pas la juridiction ordinaire, ni le délégué non plus, ...mais une sorte de juridiction supérieure." C'est le P. Picard qui a préféré ne pas inclure le texte complet de son travail dans les Procès verbaux; il veut plutôt demander aux Sœurs d'accepter ce que fera le Chapitre des Pères. Mère M. Eugénie a la même intention.
Je reçois votre lettre du 18; ce qui me ferait de la peine serait de vous voir penser que nous avons mis quelque volonté à ne pas reproduire en entier le travail du P. Picard.
Il était et il est accepté, vous-même en aviez changé la dernière phrase qui nous semblait se rapporter aux vœux et tel que vous me l'avez donné à ce moment, je suis prête à le signer en vertu des pleins pouvoirs que le Chapitre m'a donnés pour cela. Il n'y a pas pour nous de moindre difficulté à l'autorité première qui, dans un alinéa de ce travail, se trouve indiquée pour le Supérieur Général.
Je crois avoir trouvé depuis la formule qui répond à la situation, c'est que le Supérieur Général ne prend pas la juridiction ordinaire, ni le délégué non plus, et la laissent aux Supérieures femmes, mais qu'ils ont autorité pour les choses d'importance, une sorte de juridiction supérieure. Nous avons cru exprimer cela en disant qu'il était toujours consulté pour les fondations et affaires graves. Il faut remarquer que les Évêques et plus encore la S.C. croient avoir cette autorité première et qu'il faut aller pas à pas pour faire accepter qu'elle soit remplacée.
Du reste, c'est le P. Picard lui-même qui m'a empêchée de mettre son travail in extenso dans le Procès-verbal, me disant qu'il fallait le refaire et qu'il valait mieux que nous acceptassions ce qui serait fait par votre Chapitre. Il a vu l'extrait, c'est sous ses yeux même qu'il a été fait et il a emporté tout son travail et toutes les notes qui y avaient rapport, de sorte que je ne pourrais même plus comparer.
Je me hâte de vous envoyer cette lettre pour que vous la lui lisiez et qu'il reconnaisse les faits, car amoindrir la valeur du vote est ce que je ne saurais accepter.
A l'heure même où nous faisions ce travail dans mon cabinet où était le P. Picard, Mgr Capel était en bas. Obligée d'aller le voir, je lui dis que dans notre Chapitre, nous avions demandé un Père de l'Assomption comme Directeur de la Congrégation. "On refusera à Rome", me répondit-il. Je lui dis : "Mais si on sauvegarde l'autorité de Rome et des Évêques et que ce soit pour achever les Règles, et d'un Chapitre à l'autre !" "Peut-être alors, m'a-t-il dit, mais j'ai vu bien des non opposés à ces demandes."
Peut-être cette conversation que j'ai rapportée en haut nous a-t-elle rendus encore plus réservés dans nos expressions.
Il reste que dès sa première séance le Chapitre m'a donné pleins pouvoirs pour régler avec vous les conditions de cette union et que nous les attendons du Chapitre Général que vous venez de tenir.
Nous trouvons désirable que le nôtre qui doit aller à Rome ne soit pas l'objet d'un veto dont nous serions ensuite fort embarrassées.
Si j'avais pu vous écrire hier, je vous aurais dit ce que j'ai dit au Père Pernet que si nous avons ad experimentum le Père Picard, mon avis serait de lui donner carte blanche dans notre Congrégation et de noter avec lui les avantages et les inconvénients qui se présenteront.
d) Extraits de la lettre du P. d'Alzon, Nîmes, 22 septembre 1876.-Orig. ms. ACR, AD 1717; T.D. 40, p. 403.
Si le P. d'Alzon s'est étonné que le procès-verbal ne parlait plus de la vraie autorité qu'on avait votée en chapitre, c'est parce qu'il ne savait pas que le P. Picard avait lui-même laissé tomber une partie de son travail dans le procès-verbal. Par ailleurs il répète combien peu il tient lui-même à l'autorité, que le P. Picard juge nécessaire. En même temps, il demeure convaincu que l'opposition à cette autorité vient de religieuses autres que la Fondatrice.
Dès votre lettre reçue, je vous ai envoyé hier un télégramme pour vous expliquer mon étonnement. Le Père Picard ne m'avait rien dit ou plutôt m'avait dit que le procès-verbal contenait ce qu'il avait rédigé. Il prétend qu'il en contenait la substance, ce que je ne trouve pas du tout.
Expliquons-nous bien. Pour l'autorité, vous savez si j'y tiens pour moi ! Il s'agit uniquement du principe. Vous avez vu que sur ce point Père Picard est plus exigeant que je ne le suis. [...]
Encore une fois, l'affaire du Chapitre n'est pas entre vous et moi, mais j'ai vu trop bien les opposantes pour ne pas désirer [agir] en toute prudence.
7
Extraits de lettres du P. d'Alzon au P. Picard en février 1877
De Rome et ensuite de Nîmes, le P. d'Alzon informe le P. Picard de l'attitude du Saint-Siège vis-à-vis le gouvernement des religieuses par les religieux.
a) De Rome, le 2 février 1877. - Orig.ms. ACR, AF 183; T.D. 26, p. 349.
Je sors de chez de Lucca, je lui ai parlé des Petites-Sœurs de l'Assomption. Il croit que l'Archevêque suit les principes de la cour romaine, qu'on peut laisser le fondateur achever sa fondation, mais qu'après lui il faudra revenir au principe. [...]
Quant aux religieuses de l'Assomption, j'estime que nous devons rester bons amis, et pas plus. Il m'a trop exposé sa théorie sur la discipline actuelle de l'Eglise, à propos des rapports des religieux et des religieuses, pour que nous ayons à y revenir, moi du moins. Que faire ? Rester bons amis avec les religieuses de l'Assomption, et quant aux Petites Sœurs, gagner du temps.
b) De Rome, 3 février 1877. - Orig.ms. ACR, AF 184; T.D. 26, p. 154.
Je vous ai écrit hier ma conversation avec de Lucca, aujourd'hui j'en ai une meilleure avec Bianchi. J'en envoie le résumé à la supérieure (Mère M. Eugénie). Voyez-la et envoyez chez elle le P. Pernet. Il peut être chargé du gouvernement des sœurs comme fondateur, pourvu que les religieuses le demandent.
c) De Nîmes,13 février 1877. - Orig.ms. ACR, AF 186; T.D. 26, p. 157.
Le P. Laurent me recopie les décisions du Chapitre (des Assomptionnistes), en supprimant par mon ordre ce qui est dit des relations avec les religieuses. Rome le bifferait avec horreur, tant vaut le biffer nous-mêmes.
d) De Nîmes,18 février 1877. -Orig.ms. ACR, AF 187; T.D. 26, p. 158.
Souvenez-vous qu'à Rome on considère toutes les religieuses comme moniales, au point de vue des évêques. Toutes vos distinctions ne feront que vous mettre dans une position fausse. Je m'en suis assuré avec de Lucca et Bianchi. Il vaut mieux demander à Mgr de Larisse de laisser aux Petites-Sœurs leur fondateur, jusqu'à ce que les Constitutions soient rédigées, mais cela encore par pure concession. Gagner du temps en douceur, puis on verra. L'exemple de saint Vincent de Paul (et les Filles de la Charité), bon pour son temps, ne servira de rien à Rome, croyez-le. L'évêque a le droit de dissoudre toute Congrégation et même toute association. Voyez après cela.
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Extraits de lettres de Mère Marie-Eugénie et du P. d'Alzon au sujet du statut d'union, en mai 1879
A la fin d'avril 1879, le P. Pernet avait eu avec Mère Thérèse-Emmanuel une longue conversation qui révélait toute la distance existant entre la "direction" demandée aux Assomptionnistes par les Religieuses de l'Assomption et la "direction" que les Pères de Paris croyaient devoir exercer en vertu de l'adoption du statut d'union et qui, elle, incluait aussi le gouvernement.
Mère M. Eugénie s'applique à atténuer le malentendu. Elle rappelle que le P. d'Alzon depuis le début "a repoussé tous nos désirs de lui donner de l'autorité, il a décidé que nos rapports devaient être des rapports d'amitié et de dévouement" (3 mai). Répondant à une nette mise au point (11 mai) du P. d'Alzon, elle lui rappelle que lui-même a recommandé aux Religieuses 1° de rester sous le gouvernement des évêques, afin de garder leur bienveillance, et 2° de maintenir avec les Pères les rapports de dévouement et de bonne amitié. Cela dit, elle répète au P. d'Alzon (13 mai) : "Mon sentiment est que je tiens à l'union". Enfin elle s'en remet au P. d'Alzon et au P. Picard (29 mai).
a) Lettre de Mère M. Eugénie à Mère Thérèse-Emmanuel, 3 mai 1879. -Orig.ms. ACRA, n° 961.
Ma chère Mère, j'ai reçu hier soir votre lettre et celle de Mère M. Séraphine. Je pense qu'il est bon que vous causiez avec le Père Pernet toutes les fois que vous pourrez. Il vaut mieux tout savoir.
Je vous engage à traiter la question affectueusement, paisiblement, sans montrer de blessure, mais seulement de la peine.
On a dit au Père d'Alzon qu'il y a chez nous deux courants, et que je ne le vois pas, l'un tend à se séparer des Pères, et que quand je serai morte, on le fera. Ne dites pas cela, ne parlez pas de cette difficulté à des sœurs, le silence et la patience sont de grandes armes fort surnaturelles. J'attendrai le Père P. pour m'expliquer affectueusement avec lui. Dans la conversation, dites au Père Pernet que jamais les lois de l'Eglise relatives aux Congrégations comme la nôtre ne permettraient ce qui pourra se faire pour les petites Sœurs (peut-être) à l'instar des Sœurs de Charité. Nous sommes plus moniales et les Évêques ont des droits sur les maisons de cette espèce. Quand nous nous sommes fondées, le P. d'Alzon a repoussé tous nos désirs de lui donner de l'autorité, il a décidé que nos rapports devaient être des rapports d'amitié et de dévouement. Tout s'est fondé comme cela avec les Évêques et à Rome. Nous n'avons jamais manqué à l'amitié et au dévouement.
Si la maison des Pères de Paris s'est fondée et soutenue, n'est-ce pas par dévouement ?
b) Lettre de Mère M. Eugénie à Mère Thérèse-Emmanuel, Nîmes, 11 mai 1879. - Orig.ms. ACRA, n° 963.
Ma chère Mère, j'ai hâte de vous dire que mon séjour cette fois est bien meilleur parce que le Père d'Alzon est très bien pour moi. Il m'a parlé de tout ce que le Père Pernet vous a dit, il n'y entre pas et maintient que les rapports d'amitié sont les meilleurs et que s'il y a un lien, il doit être très souple. N'en dites rien aux Pères; à mon retour, je traiterai la question avec eux.
c) Lettre du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, Nîmes, 11 mai 1879. - Orig. ms. ACR, AD 1797; T.D. 24, p. 356.
Ma chère Mère,
Je vous envoie la lettre que vous m'avez demandée, et j'en profite pour vous répéter ce que je vous ai dit souvent, qu'il valait mieux en rester aux relations de bons amis. Quand vous me proposâtes d'avoir pour vous un supérieur de notre Congrégation, vous savez que je résistai bien longtemps à votre proposition, et pourtant je croyais qu'un supérieur gouvernerait. Quand vous parûtes adopter la formule moderne que le roi règne, mais ne gouverne pas, je me permis de dire qu'autant valait en rester aux termes d'une bonne amitié. Aujourd'hui j'en suis plus convaincu que jamais, et je ne propose pas même la supériorité des Oblats sur les Sœurs de l'Espérance.
Vous nous consulterez quand vous voudrez. Vous ferez après ce que vous voudrez, et nous garderons les uns et les autres notre entière liberté. Voilà ma conclusion très pratique, et la meilleure que nous puissions tirer d'une foule de tiraillements, où je ne désire pas tomber de nouveau. J'espère que ma pensée vous est très nettement exprimée, et vous voyez que je suis loin d'aller dans le sens de quelques-uns des miens. L'expérience doit servir à quelque chose.
Vous savez que ceci n'a absolument rien de personnel pour vous.
Veuillez croire, ma chère Mère, à tout mon ancien dévouement en Notre-Seigneur.
E. d'Alzon.
d) Lettre de Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, Nîmes, 12 mai 1879. -Orig.ms. ACRA, n° 3581.
Mon cher Père,
J'aimais mieux votre conversation que votre lettre. Permettez-moi donc d'y ajouter quelques points qu'il me suffit que vous reconnaissiez en me rendant ma lettre comme choses que vous m'avez autorisée à dire.
Je vous ai dit que si l'opinion que j'apprenais si inopinément être celle de plusieurs Pères de Paris sur la nécessité du gouvernement par les vôtres de notre Congrégation était la vôtre et celle de tous les Pères, j'étais prête à chercher ce qui en cela serait possible et pourrait s'accorder avec la nature et le lien de notre Institut comme avec l'esprit de l'Eglise et la forme de gouvernement approuvée pour des maisons comme les nôtres et y portant de bons fruits.
Vous avez établi que nous sommes une Congrégation épiscopale, qu'il ne faut pas se retirer du gouvernement des Évêques et que si même plusieurs autorisaient les vôtres à prendre leur place, eux et leurs successeurs perdraient pour nous et souvent par suite pour les vôtres une bienveillance dont nous avons besoin. En second lieu que vous avez toujours poussé à des rapports de dévouement réciproque et de bonne amitié comme étant les plus solides, les seuls que les Jésuites établissent avec les Congrégations dont ils sont fondateurs et qu'en cela vous les jugiez sages. Que si enfin nous venons à vouloir un lien, vous avez insisté pour qu'il soit le plus souple et le plus léger possible pour que loin de le trouver lourd, on soit toujours dans l'avenir porté plutôt à désirer donner plus que le lien ne demande.
Vous m'avez dit encore que toute autre chose amènerait des chocs et ne serait ni dans l'esprit de Rome ni de nature à être approuvé des Évêques.
Je vous ai demandé si pour assurer l'esprit, vous approuviez que le P. Picard fît des instructions à nos Novices, vous m'avez dit que ce serait un moyen excellent, que vous seriez enchanté qu'il donnât à nos Novices l'esprit qu'il a donné aux vôtres et comme c'est l'avenir, l'union d'esprit serait ainsi assurée.
e) Lettre de Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, 13 mai 1879. - Orig.ms. ACRA, n° 3582.
Mon cher Père,
Hier soir j'ai pensé qu'il valait mieux en résumé que j'aille à Montpellier que d'en faire venir des sœurs dans ce moment. J'y vais donc ce soir, je compte revenir demain soir. Je tiens bien à avoir encore une bonne conversation avec vous avant de partir. Pourrez-vous venir Jeudi ? Faites-moi dire l'heure aujourd'hui.
Les nuances que vous réservez dans le mot que vous m'envoyez, je désire bien les savoir. Vous auriez tort de penser que j'ai une opinion, je cherche à la former et j'ai cru rendre les pensées que vous aviez exprimées. Le mot lien très souple s'il y en a un est de vous. Je ne redirai qu'à vous la pensée même que vous m'avez confiée que vous ne pensiez pas que sur le pied où on s'était mis avec les petites Sœurs les choses pourraient durer.
Mon sentiment personnel est que je tiens à l'union, que si les Pères de Paris n'en veulent qu'à certaines conditions, il faut tâcher de les contenter à moins que votre opinion ne les y fasse renoncer.
Je ne voudrais pas que ce que vous avez pu trouver dans le Chapitre d'il y a trois ans fût le vrai motif des décisions à prendre, parce que c'est bien plus l'étonnement d'une rédaction qui semblait tout englober comme autorité que le fond de la chose qui a produit le recul. Toute autorité dans l'Eglise a ses limites et ses règles et quand on les fixe et qu'on les connaît, chacun se sent à l'aise quelle que soit la largeur et la primauté de ce que l'on accepte.
D'ailleurs si nous avions eu tort ce jour-là, ce ne serait pas une raison pour y tenir.
Bien respectueusement toute à vous en N.S.
Sr M. E. de Jésus Pardonnez le fond et la forme, je suis sans cesse dérangée.
f) Lettre de Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, le 29 mai 1879. - Orig.ms. ACRA, n° 3587.
Je ne vous dis plus rien des liens à maintenir entre vos Pères et nous, vous aurez vu le P. Picard; pour moi je compte sur vous et sur lui avec respect, confiance et affection.
9
Extrait de la lettre de Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, Auteuil, 9 juin 1876. - Orig.ms. ACRA, n° 3462.
La Fondatrice remercie le P. d'Alzon de s'occuper des Sœurs en difficulté. Elle explique ce qu'elle reproche à Mère M.-Gabrielle, la supérieure. Elle consulte le Père et sollicite son concours.
Je suis bien reconnaissante de votre bonté [...] à vous occuper de cette pauvre Marie-Louise si mal disposée et, encore plus, de la pauvre sœur Marie-Paul...
Pour moi, mon Père, je ne puis m'empêcher de trouver que les grands torts en toute cette situation sont aux défauts de gouvernement de la Supérieure. Disant aux sœurs tout ce que je lui dis de plus intime et de plus confidentiel, elle me laisse des années dans l'ignorance des dispositions des sœurs, elle m'empêche de leur parler [...], elle m'en fait des plaintes comme à tous mes autres voyages, puis elle me laisse le poids des observations, qu'elle me prie de faire.
Je me renouvellerai en prudence et en patience. Il est dur de ne pas pouvoir agir avec confiance avec les Supérieures particulières; dans les autres maisons cela n'a jamais mal tourné.
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Échange de lettres entre le P. d 'Alzon et Mère M. Eugénie
a) Lettre du P. d'Alzon du 25 octobre 1877. - Orig.ms. ACR, AD 1749; T.D. 24, p. 303.
A l'automne de 1877, pendant que le P. d'Alzon et Mère M. Eugénie avaient peine à s'entendre au sujet du Prieuré, il surgit une autre cause de malentendu lorsque le Père crut devoir informer Mère M. Eugénie des reproches faits à sa nièce Marguerite qui avait séjourné à Nîmes l'année d'avant. Mère M. Eugénie la juge accusée faussement; le P. d'Alzon estime ne pas pouvoir révéler ses preuves(70). Cela ajoute aux souffrances de l'un et de l'autre. Il faut en tenir compte pour saisir le sérieux du malaise. Dans sa lettre du 25 octobre, le Père propose à Mère M. Eugénie de ne plus revenir sur la question (de la nièce); il a eu tort de la soulever.
Permettez-moi de ne pas revenir sur (cette) question. J'ai eu tort de vous en parler et il est impossible que je me trompe, ce dont je serais bien heureux. Ma conviction étant loin d'être changée, voulez-vous admettre que je ne vous ai jamais parlé de rien ? J'avais cru devoir vous prévenir pour que vous missiez ordre à certains faits, mais je n'aurais jamais cru que vous eussiez pensé à ouvrir une enquête, qui ne pourra jamais atteindre certaines circonstances. On dira la vérité, mais on ne dira pas toute la vérité, et ce que vous m'avez envoyé le prouve surabondamment. Ainsi n'en parlons plus si vous le voulez bien.
[...] Je prie bien pour vous à qui je suis désolé d'avoir fait de la peine. Il y a eu, en effet, malentendu. Je voulais vous parler en ami, et vous n'avez vu en moi qu'un accusateur sans preuves. Les preuves, je les ai. Malheureusement la manière dont vous avez pris mes paroles me les font regretter, et me font prendre l'irrévocable décision de ne plus rien dire à ce sujet.
b) Lettre du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie du 17 novembre 1877.-Orig. ms. ACR, AD 1750; T.D. 24, p. 304-305.
Le P. d'Alzon pense qu'il lui faut laisser ses "raideurs" et la Mère ses "vicacités". Il propose que, "croyant à notre bonne foi réciproque" on s'élève au-dessus des différends particuliers pour songer plutôt à la crise que traverse l'Eglise.
Ma bien chère fille,
Votre lettre m'est renvoyée de Lavagnac, et je me hâte de vous dire qu'il serait temps que nous laissions, vous vos vivacités, moi mes raideurs. Permettez-moi aussi de ne pas revenir sur le compte de Mère Marie-Gabrielle. Vous lui avez dit que vous vouliez en revenir à la règle de ne changer les supérieures que tous les trois ans. Nous avons deux ans devant nous, cela suffit.
Maintenant que j'ai écarté quelques ennuis personnels, causés par quelqu'un qui me créait des embarras, n'en parlons plus, si vous le voulez bien, en respectant chacun notre manière de voir. N'étant pas infaillibles, l'un et l'autre, nous pouvons nous tromper. Croyons à notre bonne foi réciproque et revenons à nos vieux sentiments. [...]
Les nouvelles que vous me donnez sur le Saint Père me sont confirmées de plusieurs côtés; elles me préoccupent profondément autant que la situation de la France. Peut-être même est-ce cette préoccupation qui me fait donner moins d'importance à des affaires spéciales, et, comme dans ma dernière lettre, me fait vous dire : "nous ne nous entendons pas, je ne m'en mêle plus". Cela peut ne pas être aimable, mais c'est le résultat d'une impression qui me force à fixer mes regards sur les progrès de la révolution, et sur la crise à laquelle Dieu soumet son Église. Offrons pour son triomphe tout ce que nous avons pu nous faire souffrir. Élargissons nos âmes dans le zèle de la cause de Notre-Seigneur, et redevenons ce que nous étions, il n'y a pas si longtemps .
c) Extrait de la lettre de Mère M. Eugénie au P. d'Alzon du 22 décembre 1877. - Orig.ms. ACRA, n° 3521.
Dans ses lettres suivantes la Mère avoue la peine que lui ont causée les reproches du P. d'Alzon; elle est d'accord pour qu'on laisse tomber "cette question"(71). Nous citons la lettre qu'elle écrit à l'approche de Noël car elle témoigne de l'harmonie profonde qui demeure au-delà des malentendus passagers, dans le sentiment qui leur était commun de devoir travailler tous deux pour une même cause, "notre double Congrégation" .
Mon cher père, voici Noël qui vient et en pensant à me préparer et à préparer les autres, je pense aussi à vous souhaiter votre fête. Il n'est pas probable que nous célébrions maintenant beaucoup de Noëls sur la terre, et c'est la pensée du Ciel qui me vient surtout dans les fêtes. Puis celle de notre double Congrégation, vous savez combien la vôtre m'est chère, je ne trouve pas les Novices assez nombreux pour mes désirs, mais ils semblent bien Assomptionistes et pleins d'avenir. Vous et nous, nous avons besoin que Notre-Seigneur augmente notre nombre pour tout ce qu'il nous donne à faire.
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Échange de lettres entre Mère M. Eugénie et le P. d'Alzon fin-janvier 1879 à propos de la situation au Prieuré
a) Lettre de Mère M. Eugénie du 27 janvier 1879. - Orig.ms. ACRA, 3563.
Mère M. Eugénie exprime à nouveau au P. d'Alzon ses soucis pour la maison de Nîmes où "tout va de travers". Il faudrait que les Sœurs soient gouvernées, qu'on ne tolère pas tant d'abus. Notez, ajoute-t-elle, que les Sœurs enlevées de Nîmes vont bien dans les autres communautés.
De plus en plus je voudrais vous parler de vive voix de bien des choses. Ce que vous me racontez de la conversation du P. Laurent me prouve que les sœurs vont de travers. Je ne dis pas cela pour Sr M.E., je crois que pour elle il n'y a qu'une maison de santé au premier accès, mais pour les autres je crois qu'il faudrait les gouverner. Songez donc combien de sœurs j'ai retirées déjà. Impossibles là, elles marchent ailleurs. Je ne puis pas faire cela toujours, retirer des sœurs à qui on a laissé prendre un mauvais pli pour les donner à des Supérieures qui aient l'embarras de les remettre. Il faudrait que certaines choses ne fussent pas plus possibles à Nîmes qu'elles ne le sont dans les autres maisons, par exemple, les scènes de jalousie et autres. Je n'estime pas que la charité voulut qu'on conservât à C. un patronage et des leçons quand on a vu qu'elle mentait et qu'elle était voleuse. Ce sont des choses où j'estime que la faiblesse ne fait que du mal en laissant une créature s'enfoncer de plus en plus dans le mal.
Ces vues me tourmentent puisque j'ai une responsabilité, quand donc pourrai-je dans une conversation sérieuse me décharger près de vous et recevoir aussi vos lumières sur les choses ?
Je ne parle pas de pressentiments, mon cher père, ce n'est pas que je croie vivre longtemps. Mon cœur s'est relevé de la tristesse naturelle qui a été si grande, que si je n'avais pas eu la charge de tant de choses, j'aurais désiré mourir. Ma grande préparation maintenant c'est de désirer avec amour faire toute la volonté de Dieu en toutes choses, de rendre cette pensée fréquente, habituelle.
J'espère que votre faiblesse sera comme celle de Mr votre père qui l'a mené à un âge si avancé. Vous avez un peu abusé de vos forces, mon cher père, mais c'était pour le service de Dieu et voilà ce qui vous permet de ne pas trop regretter vos imprudences. Peut-être les rouges nous feront-ils aller au Ciel plus vite... ce qu'ils semblent plutôt promettre en ce moment, c'est une guerre de tracasseries ruineuses, la destruction par la chicane et les injustices.
Adieu, mon cher père, toute à vous en N.S.
Sr M. E. de Jésus
b) Lettres du P. d'Alzon, Nîmes les 31 janvier et 6 février 1879. -Orig.ms. ACR, AD 1779 et 1780; T.D. 24, p. 339 et 340.
Le P. d'Alzon pense que la Mère M. Eugénie le juge un peu responsable de la situation au Prieuré du fait qu'il a proposé certains changements de personnel (au lieu, sans doute, de faire remplacer la supérieure). Il s'en défend en rappelant à la Mère les changements qu'elle a voulus elle-même. Que, si l'on veut, on fasse partir Sœur M.-Gabrielle et Sœur M.-Paul : toutes deux y sont disposées. Mais apparemment lui y verrait quelque injustice, dans laquelle il ne veut pas tremper. Il préférera se retirer. Le 6 février le Père, maintenant son jugement, estime que la Mère M. Eugénie juge trop sévèrement le Prieuré : "si je ne suis pas capable de réformer certains abus, je suis prêt à me retirer".
1°. Le 31 janvier 1879
Ma chère fille,
La lettre que vous m'écrivez est très grave. La manière dont vous vous plaignez du prieuré de Nîmes passe à présent par-dessus la tête de M. Marie-Gabrielle et vient droit à moi. Trouvez un autre supérieur.
Le P. Laurent pense absolument comme moi et je réserve le P. Emmanuel pour autre chose.
Qui a envoyé Sœur M.-Paul, malgré les oppositions de M. Marie-Gabrielle ? N'est-ce pas vous ? Quant aux 5 religieuses dont je vous ai parlé, elles n'ont pas empiré, elles sont restées ce qu'elles étaient le premier jour, comme elles sont arrivées d'Auteuil. Qui a envoyé Mlle Cordelia ? N'est-ce pas à cause de sa sœur qu'elle est venue ? Elle est buveuse, voleuse, etc., mais on l'a fait décamper dès qu'on en a eu la preuve. Que voulez-vous ? Que je laisse vos filles ? J'y suis prêt. Que Sœur M.-Paul quitte Nîmes ? Elle me l'a proposé il y a quinze jours. Que M. Marie-Gabrielle quitte Nîmes ? Elle me le propose depuis longtemps, et même de quitter la Congrégation, si vous le voulez; elle me l'a proposé plusieurs fois. Vous me dites que vous avez beaucoup souffert. Croyez que vous faites aussi assez rudement souffrir. Quant à moi, je me suis porté loyalement à toutes les réformes que vous m'avez signalées. Mais que j'aie l'air de participer à ce que je considère comme de vraies injustices, je n'y consentirai jamais; je me retirerai et je ne conniverai pas à des vexations, à mes yeux parfaitement mal fondées.
Je présume aller à Paris dans la Semaine Sainte pour très peu de jours; j'irai à Rome, et, vers la fin de mai, je retournerai à Paris.
Adieu, ma chère fille. Veuillez croire qu'il m'en coûte de vous écrire ces choses, mais l'amitié doit être franche dans certaines occasions .
E. d'Alzon.
2° Nîmes, 6 février 79
Ma chère fille,
J'ai trouvé votre lettre, à mon retour de Montpellier. Ce qui m'a profondément peiné, ce n'est pas votre lettre seulement, mais la manière dont vous trouvez depuis longtemps que tout se fait mal au prieuré de Nîmes. J'en suis le supérieur, j'en suis donc responsable. Si je ne suis pas capable de réformer certains abus, je suis prêt à me retirer.
Que cette maison ait ses défauts, je ne le nie pas. Il faut travailler sans cesse à les réformer, c'est évident; mais votre mécontentement continuel décourage, au lieu de remonter les cœurs, et je suis prêt à céder la place pour un très grand bien, l'espoir qu'avec un autre supérieur les choses iront mieux et la tranquillité d'esprit, quand je n'aurai pas à vous reprocher une certaine partialité. Après cela, je serai très heureux de causer avec vous avec toute ma vieille confiance, mais il ne faut pas que vos défiances persistantes se mettent en travers.
J'arrive de Montpellier, où j'ai présidé une magnifique réunion de Notre-Dame de Salut. Sœur M.-Clémentine va étonnamment mieux. Adieu, ma chère fille. A la Semaine Sainte !
E. d'Alzon.
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Extraits de lettres du P. d'Alzon où il est question du Prieuré de Nîmes, en juillet 1879
a) Lettre au P. Picard, Nîmes, 18 juillet 1879. - Orig.ms. ACR, AF 356; T.D. 26, p. 301.
Le Père exhorte le P. Picard à venir à Nîmes en même temps que Mère Thérèse-Emmanuel. Il dit le bien que peut faire celle-ci.
Si vous pouvez venir avant le 25 avec Mère Térèse-Emmanuel, elle peut faire un bien que la supérieure générale ne fera certainement pas en ce moment. Il s'agit de la réforme personnelle d'une foule de filles que, dans l'état actuel des esprits, leur ancienne maîtresse des novices peut seule opérer. La supérieure peut parler des faits, et on se taira; l'ancienne maîtresse (des novices) parlera des vertus et laissera les tripotages extérieurs. Si la Mère Térèse-Emmanuel prend la question unique des dispositions des âmes, on arrivera à faire un grand bien, du moins je le crois. Je crois découvrir des misères à Montpellier, on pourra venir voir la Mère Térèse-Emmanuel. Celle-ci prendra des notes, les communiquera à la supérieure. Croyez que si elle arrive quelques jours avant la distribution des prix, la Mère Marie-Gabrielle pourra partir peu après pour Paris, et bien des choses se pacifieront par le cœur. A ce point de vue, votre présence pourrait être utile. A vous de voir.
b) Lettres à Mère M. Eugénie de Jésus, les 18 et 19 juillet 1879. -Orig.ms. ACR, AD 1802-1803; T.D. 24, p. 363, 364.
Le P. d'Alzon serait heureux que le P. Picard vienne à Nîmes surtout pour le Prieuré. Il pense que le Prieuré peut bénéficier grandement d'une visite de Mère Thérèse-Emmanuel; il explique pourquoi et suggère comment elle devrait procéder.
1° De la lettre du 18 juillet
Je n'engage pas le P. Picard à venir pour nous, mais peut-être pour vous, avec Mère Thérèse-Emmanuel. Il me paraît indispensable de laisser les tripotages tomber et (de) reprendre la question par le côté surnaturel des âmes. Mère Thérèse-Emmanuel peut faire à ce point de vue un très grand bien à ses anciennes novices. L'idée que vous m'avez donnée me semble parfaite. Dans ce cas, si le P. Picard peut y aider, à lui de voir s'il peut venir. Moi, je pars le 29, à 2 h. après-midi, supposé que je parte. Ici le temps s'arrange depuis deux ou trois jours.
Mère Thérèse-Emmanuel aura à insister sur l'observation : 1° de l'oraison; 2° du silence; 3° de la régularité; 4° des parloirs; 5° sur l'obéissance en esprit de foi; 6° sur la mortification. Que celles qui ne peuvent faire certaines austérités les laissent, mais du matin au soir elles peuvent se mortifier sur autre chose, ce qui est en ce moment, je crois, très rare au prieuré. Vous ai-je dit qu'aux bains de mer personne n'était mieux ganté que Sœur M.-Paul ? J'ai tort de vous donner ce détail, j'en ai mille autres, mais à quoi bon y revenir ? L'essentiel est qu'elle ne soit plus ici. Le P. Laurent me fait une vive peine avec sa manière d'agir et ne voit pas qu'il se donne et me donne tort, en donnant raison à Sœur M.-Paul. Voilà mon opinion. Après cela, je remets tout au P. Picard, s'il vient.
Tout vôtre, ma chère fille. Que les derniers jours de la vie sont durs à écorcher !
E. d'Alzon.
2° De la lettre du 19 juillet
Mon opinion très réfléchie est que Mère Térèse-Emmanuel peut faire un bien immense, si elle refuse de se mêler des tripotages et des misères [...] et qu'elle se contente de demander où en sont les résolutions du noviciat et de la profession, et qu'elle observe si on lui répond sincèrement, car je crois que plus d'une n'est pas très franche croyant l'être.
Adieu, ma chère fille. Bien tendrement vôtre en Notre-Seigneur.
13
Lettre de Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, Auteuil, 9 décembre 1879. - Orig.ms. ACRA.
La Mère cite des opinions contradictoires venant de personnes identiques et touchant le comportement du P. d'Alzon dans la situation difficile du Prieuré. "Laissons cela", dit-elle; elle proclame que le P. d'Alzon a toujours voulu élever les âmes au-dessus de toute "conduite basse et terrestre". Elle conclut : "Mettons nos efforts à relever et à sanctifier...".
Mon cher Père,
Merci, mille fois merci de votre dernière lettre. Si vous saviez comme depuis longtemps je pressentais cet abîme et comme je suis heureuse que, par le fait que vous le voyez, et moi aussi, il soit fermé. Je puis dire que je n'ai jamais cru que vous autoriseriez bien des choses, mais qu'on vous mît en avant, c'est incontestable.
Ces jours-ci encore une des Sœurs sorties de Nîmes disait à sa Supérieure : la Mère n'a jamais fait que ce que voulait le P. d'Alzon, comment peut-on y trouver à redire. Il était sur les lieux, il était le Supérieur, etc.. notez bien que les mêmes personnes trouvent que depuis le mois de Mars vous avez eu tort, sur tous les points et prétendent que vous étiez engagé par parole donnée à ne souffrir aucun changement de Supérieure ni de maîtresse de pensionnat.
Laissons cela; je connais en vous le religieux, le prêtre et l'homme qui, je le sais par tout mon passé, ne veut pas laisser les âmes dans les voies de nature et de conduite basse et terrestre au service de Dieu. Je ne crois pas que votre protection ait jamais été acquise à tout ce qui à Nîmes était en dehors de l'esprit religieux, on se cachait de vous, on vous trompait, et quand vous souteniez quelque chose, vous croyiez soutenir le bien.
Le P. Picard a en effet rempli là-bas une double et grande mission, il a vu le fond des choses, il a pu découvrir des faits que vous ignoriez comme moi, il m'en a dit plus d'un. Que cette situation soit donc une chose finie et mettons tous nos efforts à relever et à sanctifier, premièrement le Prieuré, secondement les pauvres filles qui ont eu le malheur d'y vivre sous des influences si peu dans l'esprit droit et franc de l'Assomption.
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que nous avons un froid plus rigoureux que je n'en ai jamais vu. La Mère M. Térèse en est très éprouvée, j'ai peur que cet hiver ne lui soit fatal s'il continue longtemps à être si dur. Vous devez avoir eu du soleil ces jours-ci dans le midi, car ici-même il brillait hier et avant-hier mais sans avoir la force de fondre la neige et la gelée. Les Pères sont venus faire ici la fête de l'Immaculée Conception, le P. Picard était tombé la veille, il avait des écorchures mais sans gravité.
Adieu, mon cher Père, toute à vous en N.S.
Sr M. E. de Jésus
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Début de la 21ème conférence au Prieuré de Nîmes le 30 novembre 1870. -
Orig.ms. (de la rédaction par une religieuse) ACRA.
Le P. d'Alzon déclare qu'il est temps de fixer par la parole et par la plume l'esprit de l'Assomption. Les jeunes et les générations futures devront voir dans l"union de deux âmes" (la sienne et celle de la Bse Mère M. Eugénie) "un certain esprit de Dieu", au bénéfice tant des religieux que des religieuses de l'Assomption.
Si peu que vous soyez à m'écouter, il y aura quelque chose qui restera de ma parole... Celles qui sont ici présentes pourront dire plus tard : j'étais là quand l'esprit de l'Assomption a été développé, non plus comme à des novices, mais à des religieuses professes, avec la sanction de la Supérieure Générale qui pouvait commenter et contrôler cet enseignement... Si cet esprit de l'Assomption n'existait pas, nous ne pourrions pas en parler. Mais le moment est venu où il était nécessaire de le fixer par la parole et par la plume, afin de le transmettre aux générations futures... Il y a sous mes yeux un petit groupe de filles qui, en présence et sous la bénédiction de votre Mère Générale, auront entendu parler de l'esprit de leur Congrégation et pourront faire commenter, expliquer, redresser même mes paroles par votre Mère, s'il en était besoin... Elles doivent voir au travers de ces deux personnes qui, rapprochées par la permission de Dieu, ont tellement mis leurs idées en commun, qu'il y a là une contre-épreuve et une corroboration leur assurant qu'elles agissent selon Dieu; elles doivent voir, dis-je, dans cette union de deux âmes, un certain esprit de Dieu. Lorsque je dis un certain esprit de Dieu, c'est avec intention. Car ni votre Mère, ni moi, n'avons la prétention de soutenir que là seulement se trouve l'esprit de Notre-Seigneur. Il y a des nuances diverses, des applications variées et je ne fais que poser les principes à l'aide desquels vous pourrez arriver à la perfection de votre vocation... Ce que je vous dis, je pourrais le prêcher à mes religieux. Remarquez ce fait. Tout en établissant la distinction voulue entre les religieux et les religieuses, il y a entre vous et les religieux de l'Assomption une association d'idées communes et quoique la séparation des Congrégations d'hommes et de femmes soit désirée par l'Eglise, il y a cependant, dans cette certitude de trouver chez des religieux les mêmes idées que les vôtres, un véritable avantage. Dans les moments où le besoin s'en fera sentir, vous saurez qu'il y a une famille religieuse d'hommes sur laquelle vous pourrez toujours vous appuyer. Je ne dis pas qu'il soit toujours bon de le faire; cela dépend des circonstances, des époques.
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Extrait de la lettre du P. d'Alzon à Mère M. Gabrielle, Le Vigan, 11 juillet 1871. - Orig.ms. ACRA; T.D. 35, p. 102.
Répondant à Mère M. Gabrielle qui le remerciait des conférences données au prieuré, le P. d'Alzon souligne que Mère M. Eugénie est, autant que lui, la source de cette doctrine.
Je vous remercie de ce que vous voulez me dire de bon sur mes instructions à vos Sœurs pendant l'hiver dernier. Veuillez remarquer que tout n'est pas de moi. Il y a le mérite de la rédaction où je ne suis pour rien(72). Il y a ensuite surtout ce fond de nos longues conversations avec votre Mère Générale. Elle y est, je vous assure, pour beaucoup; car si j'ai donné quelque chose, j'ai aussi énormément reçu. C'est cette communication réciproque qui est la vraie source de ce que j'ai pu dire. Nous avons acheté sur un des plus hauts sommets des Cévennes une petite propriété où se trouvent deux ravins. Chacun a une petite source qui aboutit à un ruisseau commun. Quand les eaux sont mêlées, qui peut dire où est la véritable origine du ruisseau ?
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Lettre de Mère Marie-Véronique du Sacré-Cœur à M. Victor Roux, curé des Avenières, [Villeneuve-en-Avignon, fin-juin 1878].- Citée par A. PREVOT, Vie de la Servante de Dieu Mère M.-Véronique du Cœur de Jésus, p. 415, Paris-Namur, 1913.
Dès l'arrivée de Mère M.-Véronique à Villeneuve, le P. d'Alzon lui rendit visite. C'est ce qui nous permet de dater cette lettre citée par son biographe, de la fin-juin 1878. La fondatrice des Victimes du Sacré-Cœur dit ici au curé des Avenières le dévouement du P. d'Alzon pour son œuvre.
Nous avons eu hier la visite du R.P. d'Alzon, qui a été bonne au possible. Il est tout pour nous et ne craint pas de le montrer, même à nos opposants, en les réfutant au besoin. Il nous a placées sous la protection et direction spéciale des Pères Jésuites. Il ne s'est pas contenté d'avoir écrit d'ici au supérieur des Jésuites, il est allé le voir pour nous recommander encore plus fortement; ne l'ayant pas rencontré, il a demandé celui des Pères qui s'occupait déjà de nous et il nous a chaleureusement recommandées, en faisant si bien valoir le dévouement et la protection que nous accorde le P. Laurençot, second assistant à Rome, et la protection même du Père général, qu'on lui a répondu qu'une Œuvre qui a un tel but et qui est ainsi protégée ne peut pas manquer d'être bénie et de réussir. Et le soir, le Père venait avec empressement nous renouveler toutes ses offres de services les plus dévoués. Vous connaissez les Pères Jésuites, vous savez ce dont ils sont capables. Vous voyez, bon Père, que nous sommes entre bonnes mains.
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68. La conviction exprimée par le P. Emmanuel Bailly, ci-dessus, est reflétée dans le témoignage porté par Père Ernest Baudouy au Procès-verbal de Nîmes pour la Cause du Père d'Alzon (in Positio super Introductione Causae, Summarium, N. III de fundatione operum, p. 49, Testis XXXV) : Mère Correnson "ne donna pas entière satisfaction au Père d'Alzon, ayant ouvert un pensionnat dans la rue Séguier un peu rival de celui des Dames de l'Assomption".
Par contre, le P. d'Alzon manifestait son affliction paternelle aux élèves de ce pensionnat comme cela ressort des lettres qu'il leur écrivit de Nice en 1874 et de Rome en 1877; en 1878 encore il annonçait de Rome l'envoi des reliques demandées par les Enfants de Marie de l'école (ACOA; T.D. 30, p. 259-260, 293 et 306).
69. Lettre de Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, 10 septembre 1876. - ACRA n° 3475.
70. Lettres du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie des 19 septembre et 14 octobre 1877. - ACR, AD 1745 et 1748; T.D. 24, p. 296 et 301. Voir aussi lettres du P. d'Alzon au P. Picard des 9 et 24 septembre 1877. - ACR, AF 207 et 210; T.D. 26, p. 171 et 174.
Lettres de Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, des 22 septembre, 13 et 14 octobre 1877. - ACRA, n° 3508, 3512, 3513.
71. Lettres des 26 et 30 novembre et du 6 décembre 1877. - Orig.ms. ACRA, n° 3517, 3518 et 3519.
72. Le P. d'Alzon parlait à partir de notes succinctes (ACR, CP 70-118) et la rédaction était faite par une religieuse d'après les notes de quatre auditrices.