CHAPITRE XXIV
LE P. D’ALZON ET LES RAPPORTS DES CONGREGATIONS FEMININES
AVEC LES EVEQUES ET LE SAINT-SIEGE AVANT LE CONCILE
En 1866 la Congrégation des Religieuses de l’Assomption traversa une crise qui menaça son existence même. La Fondatrice juge le moment venu de solliciter l’approbation romaine de son institut, afin de le mieux défendre. L’archevêché tentera de faire échouer cette démarche. Le supérieur ecclésiastique de Paris, l’abbé Véron exerce un contrôle et impose une direction qui dépassent ses droits, empiètent sur l’autorité des autres diocèses où les Religieuses ont des maisons et paralyse l’action de la Fondatrice. Le mauvais esprit de l’une ou l’autre Religieuse lui fournit prétexte à enquêter dans la communauté. Il entend décider lui-même des mutations des Sœurs même entre les maisons qui se trouvent dans d’autres diocèses(1).
Durant cette crise, la correspondance entre la Bse Marie-Eugénie de Jésus et le P. d’Alzon est particulièrement abondante. La Mère l’informe et sollicite ses conseils. Le Père recommande surtout de patienter et de temporiser le plus possible ; il indique comment faire face aux attaques de l’archevêché (v. infra 2). Pour la demande d’approbation, il suggère la manière de procéder à Rome et fait preuve d’une prudence diplomatique consommée (v. infra 3). En toute chose, il accompagne la Mère de sa compassion et de sa prière. Lorsqu’elle pensera que le bien de l’œuvre lui commande de démissionner, il l’en dissuadera fermement. La Fondatrice et ses Religieuses, sentant le besoin d’être représentées par quelqu’un qui ne soit mandaté par aucun diocèse, penseront au P. d’Alzon, dussent-elles le présenter comme leur fondateur. Ceci malgré que l’année d’avant Mère M. Eugénie et le P. d’Alzon s’étaient redit mutuellement ne pas vouloir s’ingérer dans la conduite de l’institut de l’autre, tout en gardant toujours le même désir de s’aider mutuellement, pour le progrès de ce qu’ils appellent souvent "notre œuvre" (v. infra 1). Le P. d’Alzon se déclara disposé à porter le titre de fondateur si les Religieuses lui donnaient l’autorité correspondante (v. infra 4).
L’expérience des difficultés rencontrées par les Religieuses de l’Assomption de la part des autorités épiscopales, expérience confirmée par divers cas semblables observés à travers la France, amène le P. d’Alzon à penser que les congrégations féminines "à supérieure générale", établies chacune dans plusieurs diocèses ont besoin d’être davantage reconnues par le Saint-Siège et davantage soumises à son autorité immédiate. "Je vais me faire ermite pour étudier la matière du futur Concile surtout au point de vue des Ordres religieux et les modifications à leur faire subir…, question qui sera une des plus importantes, après celle de l’infaillibilité du pape…(2)." Deux mesures, qui pourraient être proposées au Concile, sont envisagées pour faire que les congrégations féminines à vœux simples et "à supérieure générale" dépendent moins des évêques particuliers et davantage du Saint-Siège : 1° que ces congrégations soient admises à prononcer des vœux solennels ; 2° qu’elles puissent se mettre sous la direction de supérieurs religieux ou d’instituts religieux masculins.
1. Les vœux solennels (1868-1870). – Longtemps le P. d’Alzon crut que le régime des vœux solennels était préférable pour tous les religieux. "Les vœux solennels impliqueraient une séparation plus complète de l’esprit du monde, une vie plus parfaite selon l’esprit de foi, un attachement plus direct au centre de la catholicité : avantages précieux qui se répercuteraient d’une manière originale sur le zèle apostolique qui doit caractériser l’Assomption(3)." Au Chapitre général de 1868 la question préoccupe particulièrement le P. d’Alzon (Ch. XIX, 7 a). Si les vœux solennels lui paraissent désirables pour les religieux, ils lui paraissent nécessaires pour les religieuses(4). À la veille de ce Chapitre, il écrit à Mère M. Eugénie : "J’étudie beaucoup la question des vœux solennels. Il me semble que c’est l’occasion de faire une croisade féminine en ce sens. Je ne puis admettre que la vie apostolique soit aux yeux des théologiens, la plus parfaite, que jamais les femmes ne l’aient menée autant qu’aujourd’hui, et que les privilèges de l’Église leur soient refusés à cause de cela même(5)."
Avec la Mère M. Eugénie et le Père Picard, le P. d’Alzon examine comment on pourrait présenter la question à Rome à l’approche du Concile (v. infra 5).
Mais dès 1870 il constate que, à Rome, "on ne veut plus des vœux solennels pour les nouveaux instituts". Il en écrit à Mère M. Eugénie : "On ne veut plus des vœux solennels, on les laissera à ceux qui les ont ; mais pour les nouveaux Instituts, ils seront biffés, et plus j’y réfléchis, plus je trouve cette mesure pleine de sagesse. Il importe donc de considérer la révolution qui s’opère et s’opérera toujours plus catégoriquement, à mesure que nous avancerons(6)." Le P. d’Alzon verra donc plus dans les vœux solennels un moyen de rattacher davantage les congrégations féminines au Saint-Siège.
2. Se mettre sous la direction d’instituts religieux masculins ? Par contre, le P. d’Alzon chercha plus longtemps quels rapports avec les instituts masculins pourraient préserver les congrégations féminines des excès d’autorité de certains évêques et les rattacher plus directement au Saint-Siège. Le P. d’Alzon aborda cette question dans l’esprit qui avait animé ses propres rapports avec la Mère M. Eugénie de Jésus : esprit de confiance, de fraternité et d’unité. Au moment où débute la recherche d’un statut d’union, les liens les plus forts entre les familles religieuses de l’Assomption leur viennent de la commune inspiration qui avait présidé à leur fondation et de la commune spiritualité apostolique dont le P. d’Alzon et la Mère M. Eugénie avaient posé les bases(7). Les deux fondateurs se montrent préoccupés d’agir en fidélité à cette inspiration commune et de faire que les rapports entre les familles de l’Assomption en favorisent le souvenir et le bénéfice pour tous.
Dans ce contexte, Mère M. Eugénie pensa que, pour assurer la promotion de la religieuse dans l’Église, il serait bon de s’appuyer sur une congrégation masculine. Le P. d’Alzon, tout en étant favorable à cette idée, estimait depuis toujours que le bon moyen de s’entraider était de maintenir des rapports d’amitié et non d’établir des liens d’autorité(8). Pendant les trois années qui précèdent le Concile, le P. d’Alzon ne cesse d’étudier cette question(9) et d’en parler surtout à la Mère M. Eugénie, tant pour connaître les intentions de la fondatrice que pour lui exposer ses propres pensées et prévisions (v. infra 4). La question est traitée par le Chapitre général des Assomptionnistes en septembre 1868(10).
Le Chapitre général décida que les Assomptionnistes devaient accepter « de diriger et même de gouverner des communautés de femmes » dans la mesure où celles-ci le désireraient et le solliciteraient. Il élabora un statut qui précise ces relations et en prévoit l’application variable aux congrégations de la famille de l’Assomption (v. infra 6).
Pendant l’année 1869, il fut question à Rome de modifier la juridiction sur les congrégations de femmes quant au sacrement de pénitence. Le P. d’Alzon en parla à Mère M. Eugénie à diverses reprises (v. infra 7).
Les lettres du P. d’Alzon adressées à Mère M. Eugénie de Rome pendant le Concile révèlent ce qu’il constate touchant la question de l’autorité et de la juridiction sur les congrégations de femmes. D’abord il est fortifié dans la conviction que les congrégations de femmes "à supérieures générales" devraient relever du Pape. Il annonce que le Pape agit en ce sens. Il apprend que le Saint-Siège serait disposé à mettre les Religieuses de l’Assomption – si elles le désirent – sous sa juridiction "comme fondateur". Mais dès les semaines suivantes, il constate les obstacles qui restent à surmonter avant que ne soit reconnue ce que doit être la juridiction ordinaire du Pape sur les congrégations religieuses. En conséquence, il conseille la Mère M. Eugénie sur les moyens d’éviter de nouveaux ennuis avec l’autorité épiscopale (v. infra 8).
Au demeurant, si les congrégations féminines "à supérieure générale" vont être préservées des excès de l’autorité épiscopale, ce sera grâce à l’autorité du Pape davantage reconnue ; parfois grâce au fait que certaines congrégations pourront demander d’être sous l’autorité d’un supérieur ecclésiastique de leur choix, celui-ci pouvant être le supérieur d’un ordre masculin. Mais le P. d’Alzon ne dit pas que ce sera à l’ordre masculin lui-même d’accepter cette responsabilité et de statuer à ce sujet comme l’avait fait le Chapitre général assomptionniste de 1868. Au contraire, il avait déclaré dix ans plus tôt qu’il ne désirait "aucunement qu’un jour sa congrégation exerce ce pouvoir sur la congrégation des femmes" (cité dans Vailhé, Vie, II, p. 423). Ses fils pourtant demeureront convaincus qu’une congrégation féminine sollicitant l’assistance d’un supérieur d’institut masculin engageait la responsabilité de cet institut. Cela conduira à de pénibles malentendus, alors que le P. d’Alzon sera revenu sans cesse à la formule : "Tenons-nous-en aux rapports d’amitié"(11).
1
Échange de lettres entre le P. d’Alzon et Mère M. Eugénie de Jésus (mai 1865)
Conseiller religieux de Mère M. Eugénie, le P. d’Alzon, du fait de la fondation de Nîmes (1855), dont il était le supérieur ecclésiastique (Ch. XVIII B, 3), en venait à connaître de plus près les Religieuses de l’Assomption. Par ailleurs, Mère M. Eugénie, depuis la fondation des religieux à Paris (Ch. XII B), connaissait aussi de plus près les religieux du P. d’Alzon. Un danger d’immixtion réciproque pouvait faire surgir des difficultés d’un nouvel ordre, que le P. d’Alzon tenait à prévenir avec sa franchise habituelle.
a)
De Mère M. Eugénie, Auteuil, le 25 mai 1865. – Orig.ms. ACRA, lettre n° 3080.
Il y a un autre point de vue qui a un très grand prix pour moi, sans présenter les mêmes difficultés(12), parce qu’il s’agit de choses toujours faciles à expliquer et à dire : c’est la direction de la Congrégation et de ses œuvres. […] Je vois bien que quelquefois vous vous figurez que j’ai des idées, des vues, des systèmes, des je ne sais quoi, en opposition avec les vôtres, et je voudrais au moins que vous me les disiez pour que je les fisse tomber. Je ne suis sur ce terrain ni susceptible ni anxieuse, comme sur le premier ; je suis sûre de vouloir et de pouvoir m’entendre avec vous et je ne vois absolument rien de changé à ce que nous avons été sur ce point pendant vingt ans, vous me laissant ma légitime liberté de supérieure générale, et moi tenant le plus grand compte de vos avis et de vos opinions. Quant à votre Congrégation, j’ai pris, il y a quelques années, la sage résolution de ne point m’en mêler du tout ; ce n’est pas vous, mon cher Père, qui avez été l’occasion de cette résolution; vous l’avez approuvée à mon dernier voyage(13). Permettez que je m’y tienne, rendant service à l’occasion, en recevant avec beaucoup d’affection et de reconnaissance, offrant ce que je croirai de bon, et du reste, vous laissant avec les vôtres arranger et décider ce qui vous ira le mieux.
b)
Du P. d’Alzon, Le Vigan, le 31 mai 1865. – Orig.ms. ACR, AD 1380 ; T.D. 23, p. 168-169.
Je me figure qu’il en sera de moi pour vous, comme il en a été du P. Varin pour Mme Barat. Après qu’il l’eût aidée à fonder le Sacré-Coeur, ils se séparèrent pour une raison que je m’explique très bien : c’est qu’arrivée à un certain développement, une Congrégation a besoin d’une supérieure qui se suffise à elle-même ou trouve dans sa Congrégation même l’appui et les conseils dont elle peut avoir besoin. Cela est, en soi, une très bonne chose. Mais qui veut la fin doit vouloir les moyens et même doit, je le comprends, être entraîné à accepter tel moyen qui dans le principe n’avait pas été prévu. Que cela m’attriste, vous ne pouvez m’en vouloir. Que cela me blesse, ce serait absurde, parce qu’il est absurde de se blesser de ce qui est dans la nature des choses.
2
Extraits de lettres du P. d’Alzon à Mère M. Eugénie (juillet-août 1866)
À l’occasion d’un malentendu prolongé et de relations difficiles avec M. l’abbé Véron, supérieur ecclésiastique de Paris, le P. d’Alzon recommande à diverses reprises à la Mère M. Eugénie de demeurer passive et de temporiser, car la tempête passera.
a)
Le Vigan, l4 juillet 1866. - Orig.ms. ACR, AD 1410 ; T.D. 23, p. 209.
Quant au compte rendu de l’état financier, vous pouvez dire à M. Véron que l’évêque de Nîmes ayant écrit à Rome sur la demande de la [S.] Congrégation, je croirai lui faire injure que de permettre pour la maison de Nîmes un autre compte rendu financier passant par [l’archevêché de] Paris : [l’archevêché de] Lyon, vous le savez, répondra de la même sorte. Je pense que l’avis de Mgr Pie est le plus sage, que gagner du temps est le plus important, et si j’étais sûr qu’en écrivant à Svegliati de ne pas se hâter, il suspendrait tout provisoirement, je préférerais de beaucoup ce système.
b)
Le Vigan, 19 juillet 1866.- Orig.ms. ACR, AD 1411 ; T.D. 23, p. 210-211.
Il faut se jeter entre les bras de Dieu, mais ne pas désespérer. Les fous se cassent la tête au moment où on y pense le moins(14). Quant à moi, ce qui se passe m’émeut très peu, non par le défaut d’intérêt que je porte à cette bourrasque, mais parce que j’en prévois la fin. […] Laissez passer l’humiliation, tout s’arrangera. De plus, évidemment, les espions sont partout, tenez cela pour sûr, mais ce n’est pas une raison pour n’avoir pas son franc-parler. Seulement, je crois que le P. Picard, dont je n’aurais peut-être pas eu la patience, doit être toujours ferme avec M. Véron, mais ne pas se retirer(15).
c)
Nîmes, 28 juillet 1866. – Orig.ms. ACR, AD 1412; T.D. 23, p. 211.
Je fais prier pour vous tant que je puis, car la situation qu’on vous fait est bien pénible. Je crois qu’il faut gagner du temps. Puisque vous êtes en France, repartir aurait de graves inconvénients. Traînez en longueur. Quand l’archevêque verra la possibilité d’avoir à lutter avec tant d’évêques, il lâchera M. Véron qui n’ira certainement pas plus loin que votre lettre sans prendre des ordres.
d)
Nîmes, 30 juillet 1866. – Orig.ms. ACR, AD 1413; T.D. 23, p. 212.
Ai-je besoin de vous dire que je ne me sens jamais plus vôtre que lorsque je vous vois sur la croix et que je demande à Notre-Seigneur de me donner la moitié de vos peines. Je prie pour vous avec un cœur de père et de vieil ami. Je n’ai qu’une peur, c’est, dans ma préoccupation, de laisser apercevoir quelque chose. Ne pourriez-vous pas dire à M. Véron que la preuve que le Saint-Siège ne lui donne pas ce qu’il prétend, c’est que les autres évêques ont reçu des lettres analogues et que depuis très longtemps l’évêque de Nîmes a lui-même répondu ? Quant à demander la visite canonique par un autre que M. Véron, ne pensez-vous pas qu’il vaut mieux le voir venir, laisser passer son feu, puis reprendre bonnement et lui dire la nette vérité(16) ? […] Quand l’archevêque sera loin, si M. Véron n’est pas calmé, vous pourrez lui écrire, si cela est nécessaire ; quelque chose me dit que, si vous faites un peu la bonne avec M. Véron, après qu’il aura exhalé sa bile, les choses se raccommoderont.
e)
Le Vigan, 1er août 66. – Orig.ms. ACR, AD 1414; T.D. 23, p. 213.
Vous feriez peut-être bien de choisir votre moment pour dire ou écrire à M. Véron qu’il vous est impossible d’accepter sa défense relativement aux mutations à faire dans les couvents ; que si tous les évêques faisaient la même défense pour leurs maisons, le gouvernement serait impossible ; que vous consentez à en référer à lui provisoirement, quand une religieuse envoyée par vous croira qu’on la change par mauvaise volonté, mais qu’une fois les choses rentrées dans l’état normal, s’il persévère dans son idée, vous êtes résolue : 1° de consulter Rome ; 2° de porter le noviciat dans un autre diocèse.
Dans la mesure que je vous propose et les termes que j’indique, il est impossible qu’il ne soit pas obligé de réfléchir. Enfin, voyez ce qu’il y a de pratique dans mon conseil.
f)
Le Vigan, 9 août 1866.- Orig.ms. ACR, AD 1415 ; T.D. 23, p. 214-217.
Toute ma méditation d’hier matin fut absorbée par la pensée de vos affaires. J’allais en écrire, quand, pendant le Mémento, en vous recommandant de mon mieux à Notre-Seigneur, je crus entendre quelque chose qui me disait si nettement : Tais-toi, que j’ai cru bien faire de me taire(17). […] Quant à ce qui vous est personnel, il faut vous souvenir que ces scènes sont tellement absurdes, qu’il n’y a qu’à vous garer et faire la morte. Cela peut être très dur, et si l’on me disait ce que l’on vous a dit, je ne sais si je me tiendrais sur le moment ; mais une fois l’accès passé, je crois que j’y trouverais trop d’avantages, même humainement parlant, pour n’en être pas fort aise. […] Je suis prêt à partir, mais on vous fera grief de mon voyage ; puisqu’on sait tout, on ne peut le tenir secret. […] Faites les mortes, laissez couler l’eau, et quand le calme sera fait, un Chapitre tenu hors de Paris arrangera bien des choses. […] Je vous prêche pour le calme et, pour le quart d’heure, je n’y suis guère(18).
3
Extraits de lettres du P. d’Alzon à Mère M. Eugénie sur le procédé à suivre pour obtenir à Rome l’approbation de son institut
a)
Nîmes, le 21 mai 1866. – Orig.ms. ACR, AD 219; T.D. 23, p. 202.
Je reçois à l’instant votre petit mot, ma bien chère fille, et je vous en remercie du fond de l’âme. Je demande à Dieu de vous faire tout le bien que je suis capable de procurer à quelqu’un. Si vous voulez faire vos affaires à Rome, ne soyez pas pressée et ne faites pas la pressée. Ce qu’on veut, c’est vous voir, vous juger. Les Romains sont ainsi. Il faut les prendre tels qu’ils sont. Quant à moi, je ne serais pas surpris que vous revinssiez sans rien, mais il ne faudrait pas vous décourager. Ce qui était l’important sera fait, on vous aura vue. Puis vous aurez formé des relations, et ce sera très précieux.
b)
Le Vigan, le 4 juin 1866. – Orig.ms. ACR, AD 1407; T.D. 23, p. 203-205.
Il [est] sûr que j’aurais voulu que vous attendissiez l’an prochain. Mais très sérieusement je vous dirai : Vous êtes à Rome, restez-y, jusqu’à ce que vous ayez obtenu ce que vous désirez. Le cardinal Quaglia vous a dit que vous n’auriez pas de conversations avec votre consulteur. Eh bien, si vous en voulez, vous en aurez. Vous expliquerez tout ce que vous voudrez, pourvu que vous y mettiez de l’obstination, sans empressement.
Quand vous aurez vu tous les cardinaux, prélats, consulteurs, secrétaires, préfets, etc., voici ce qui vous restera à faire. Vous irez trouver un agent d’affaires de diocèse. Je puis vous en indiquer un, dont voici l’adresse : Ferucci, via di monte Brianzo, n° 20, au 3e étage. Vous lui direz que le P. d’Alzon, au désespoir de ce qu’il n’est plus l’agent du diocèse de Nîmes, pour lui prouver qu’il n’est pour rien dans cette affaire, vous envoie vers lui ; qu’il faut qu’il vous facilite les moyens de finir votre affaire le plus tôt possible ; que vous êtes décidée à ne quitter Rome que quand vous aurez ce que vous voulez ; que les expéditeurs par leurs lenteurs entravent souvent la marche des affaires, mais que s’il faut donner un pourboire à ces employés, subalternes, vous le donnerez. Cela dit avec prudence, vous verrez si l’affaire n’ira pas meilleur train.
Maintenant devez-vous remporter l’approbation des règles ou Constitutions ? Très franchement je ne le pense pas. On peut vous l’accorder, mais je n’ose vous dire de la solliciter. L’approbation de l’Institut suffit. Vous pouvez affirmer que le mardi de la Pentecôte 1855, Pie IX me dit qu’il m’accordait cette approbation ; que le lundi suivant je me rendis dans les bureaux de la Congrégation, je trouvai deux prêtres qui me dirent avoir en effet reçu l’ordre du Pape de vous expédier l’approbation, mais ils m’engagèrent à attendre quatre ou cinq ans et qu’alors vous obtiendriez ce que vous vouliez. Je vous le répète, vous aurez évidemment l’approbation de l’Institut, et je vous engage à ne pas demander encore l’approbation des règles ou constitutions.
Seulement si vos règles sont déposées, demandez que les Animadversiones, dont elles seront l’objet, soient adressées soit à l’évêque de Nîmes, soit à celui de Poitiers. Je préfère Nîmes, parce qu’alors ce serait moi et que je vous ferai moins de difficultés que qui que ce soit. Dans tous les cas voyez, écoutez, mais souvenez-vous qu’aussi l’on vous voit et l’on vous écoute. […] Laissez-moi vous répéter qu’à Rome on ne fait jamais mieux ses affaires que lorsqu’on a l’air de ne les faire pas ; que les Italiens, épouvantés de la furia francese, veulent que les Français viennent les voir et sont plus aises encore de les voir partir. J’ai dépité ces braves gens en ne me montrant pas pressé, et je veux que le loup me croque si je présente mes constitutions avant un long temps. Vous avez, m’avez-vous dit, de l’argent de reste; employez-le à prolonger votre séjour, si c’est nécessaire. Vous verrez un peu plus le genre romain, et ce vous sera très utile. Où donc est le Saint-Esprit ? Il est dans le cœur du Pape et dans le tombeau de saint Pierre, d’où il se manifeste quand et comme il lui plaît, avec, sans et contre l’avis des gens qui sont tout autour, et qui souvent sont tout attrapés de n’avoir pas été consultés.
c)
Le Vigan, 21 août 1866.- Orig.ms. ACR, AD 1416; T, D. 23, p. 218-219.
Le P. d’Alzon, empêché lui-même, propose le P. Picard ou le P. V. de Paul pour aller à Rome.
Je pense à l’affaire de votre approbation, et, bien qu’il eût été peut-être meilleur de ne pas commencer à lever le lièvre, aujourd’hui je pense nécessaire de pousser en avant. Il me serait difficile d’aller à Rome avant le mois de novembre. Si vous voyez trop de difficultés à envoyer le P. Picard, le 1er août [sic], si le P. Vincent de Paul est un peu tiré de ses embarras d’argent, nous pourrons bien le mettre à vos ordres.
Ma pensée serait que le P. Picard ou vous demandiez une conversation à l’abbé Bouix. Du Lac vous donnera son adresse. C’est l’antagoniste de Chaillot et le théologien de la nonciature. Son opinion sera énorme et si vous le mettez de votre sentiment, tous les Véron de la terre échoueront, soyez-en convaincue.
Adieu, ma chère fille. Courage ! L’œuvre se noue. Dieu lui donne ce léger cachet de contradiction, et c’est un grand bien, pour la laisser avec plus de foi tout entière entre ses mains.
E. d’Alzon.
d)
Nîmes, 1er septembre [1866].- Orig.ms. ACR, AD 1417 ; T.D. 23, p. 219.
Une parole de réconfort. Le P. d’Alzon annonce qu’il ira à Rome au printemps.
Ce qu’a été ma journée, Dieu le sait; cependant je veux vous dire : Beati eritis, cum in tentationes varias incideritis. Vous êtes à un moment solennel où vous pouvez acquérir ce degré de sainteté que je me plaignais de ne pas assez trouver en vous. C’est le moment de dire contra spem in spem. Toutes mes prières seront ces jours-ci pour vous. J’ai écrit au cardinal Pitra. L’évêque est toujours admirablement disposé.
Moi, je pense partir pour Rome de suite après Pâques ; avant, s’il le faut ; mais je ne sais pourquoi je me figure que ce sera le bon moment.
e)
[Nîmes] le 25 septembre [1866]. – Orig.ms. ACR, AD 1421 ; T.D. 23, p. 225.
Avant tout ne donnez pas votre démission. Ce serait folie. Une Congrégation n’est pas un gouvernement constitutionnel. De grâce, restez. L’évêque a appelé tous les procédés dont on use une infamie, mais il faut savoir résister par la patience. L’archevêque doit voir qu’à la fin il y a un abus de pouvoir par trop exorbitant. Donc il donnera raison tôt ou tard à qui de droit.
4
Échange de lettres entre le P. d’Alzon et Mère M. Eugénie (1867-1868)
Conscient des difficultés rencontrées par Mère M. Eugénie auprès des autorités ecclésiastiques de Paris, et sachant son désir de s’appuyer sur lui-même et sa propre Congrégation, le P. d’Alzon demande à la Mère de préciser ses intentions, en vue du Chapitre général qui doit se tenir en septembre 1868, et dans la perspective d’une réforme prévisible du droit des religieux par le futur Concile.
a)
Du P. d’Alzon à Mère M. Eugénie, Nîmes, 2 août 1867. – Orig.ms. ACR, AD 1445; T.D. 23, p. 266.
Étant donné que les deux Assomptions doivent se soutenir réciproquement, quelle doit être selon vous la nature précise de ces relations ? […] Devons-nous être plus vos pères que vos frères ou plus vos frères que vos pères ? Quels moyens d’éviter les inconvénients ?
b)
De Mère M. Eugénie au P. d’Alzon, Ems, le 9 août 1867. - Orig.ms. ACRA, lettre n° 3143.
Depuis assez longtemps, la question que vous me faites se résout pour moi de la manière que je l’ai traitée dans le mémoire dont le P. Picard doit avoir plusieurs exemplaires : pour la sécurité de l’avenir et pour la force de la Congrégation, je voudrais que vous fussiez plutôt nos pères que nos frères; vous avez toujours été d’un autre avis, je vois des savants et des hommes graves tels que le P. Vitte très opposés à cette organisation en général et pour toutes les congrégations ; je voudrais bien entendre vos raisons et vous donner les miennes(19).
c)
Du P. d’Alzon à Mère M. Eugénie, Bagnères de Bigorre, le 20 août 1868. - Orig.ms. ACR, AD 1492; T.D. 24, p. 29-31.
L’exemption dont historiquement ont joui certaines religieuses convainc le P. d’Alzon que les Congrégations modernes peuvent chercher à l’obtenir. Il engage Mère M. Eugénie à tenter par divers moyens d’atteindre le Saint-Siège. Lui-même veut préparer pour le Concile une présentation en faveur de sa Congrégation ainsi que de celles des femmes.
Je viens de lire dans M. Bouix un appendice sur les Congrégations de femmes à supérieure générale, dont je voudrais bien que vous puissiez prendre connaissance, si le latin ne vous en est pas trop difficile. […] Il est évident que si on ne donne pas aux Supérieures générales une sorte d’exemption, on se trouvera avant peu dans des embarras inextricables. C’est sur cette exemption à obtenir que je voudrais appeler votre attention […] ce serait à vous de chercher si vous ne pourriez avoir quelque protecteur.
Quand avez-vous votre Chapitre ? Est-il de rigueur que l’archevêque le préside ou le fasse présider ? Ne pourriez-vous pas en avoir un avant le Concile, ou du moins prendre l’avis des plus anciennes et […] réclamer un cardinal protecteur ou d’être mises sous la protection immédiate du Saint-Siège par tel moyen qu’il plairait au Saint-Siège de fixer ? […]
Le cardinal Pitra voulait que je provoque un Chapitre des généraux des Congrégations. Je m’en garderai bien, mais une réunion de quelques supérieures générales, me semblerait une chose très précieuse. […]
En ce moment je voudrais que, d’ici au Concile, mon travail consistât surtout à préparer tout ce qui sera utile à l’œuvre de la Congrégation des hommes et à celle des femmes, dans la mesure où vous voudrez le permettre. Ceci est une très grosse méchanceté, mais dite extrêmement à dessein et dont j’espère que vous me remercierez.
d)
Du P. d’Alzon à Mère M. Eugénie, Nîmes, 4 janvier 1868. – Orig.ms. ACR, AD 1465; T.D. 24, p. 3.
L’archevêque de Paris s’opposait à une fondation des Religieuses de l’Assomption à Reims parce qu’une autre congrégation également centrée à Paris y avait déjà une communauté. Le P. d’Alzon regrette cet exercice d’autorité, et en indique les inconvénients.
On vous fait la partie belle. Comment ! L’usage de l’archevêché est de ne pas permettre à deux maisons-mères de Paris d’essaimer en province dans les mêmes villes ? Mais Bordeaux n’avait-il pas le Sacré-Coeur, Saint-Maur et d’autres que j’ignore, quand vous y êtes allée ? Et Lyon donc ? Or ici se présente une question. Est-ce l’archevêque de Paris qui jugera, selon les populations, des pensionnats qu’il peut autoriser dans les villes de province ? Quelle guerre dans ce cas-là à lui faire par les évêques ! Cette question bien posée, bien présentée à l’épiscopat, est grosse de tempête.
e)
De Mère M. Eugénie au P. d’Alzon, Auteuil, le 24 août 1868.- Orig. ms. ACRA, lettre n° 3195.
Je vous dirai seulement, avant de finir cette lettre, que je vous remercie de préparer tout ce qui est utile à notre Congrégation et qu’il n’y aura point de mesure à y mettre ; ainsi, ne me demandez pas de permission, c’est l’œuvre de Dieu dans ma pensée, ce n’est ni la vôtre ni la mienne, mais Dieu veut que nous travaillions d’accord. Acceptez-vous cette donnée ?
f)
Du P. d’Alzon à Mère M. Eugénie, Bagnères de Bigorre, le 26 août 1868. – Orig.ms. ACR, AD 1494; T.D. 24, p. 33-35.
Le P. d’Alzon demande ce que la Mère M. Eugénie et sa Congrégation, dont il n’est pas le fondateur, attendent de lui et de ses religieux. Il dit pourquoi il convenait que les fondateurs d’instituts d’hommes aient aussi établi des instituts de femmes.
Vous me parlez de vos décisions à prendre et vous me demandez si j’accepte la donnée de travailler à notre œuvre. J’accepte, remarquez-le bien, toutes les données que vous voudrez ; c’est une affaire de pure explication. Quand j’établis, il y a vingt-trois ou vingt-quatre ans, ce que je vous serais, il n’était pas question de me donner le titre de fondateur, auquel vous êtes revenue depuis. Ce titre emporte quelque chose avec lui. Que voulez-vous me donner de ce quelque chose ? Voilà quel a été mon embarras, en présence de diverses paroles de vous. Je ne veux pas plus que vous ne voulez donner, seulement ce que vous voulez donner va-t-il au titre de fondateur ? La question est là pour moi, et puisque vous trouvez que, dans la liberté plus grande que j’ai ici, je vous reviens, (ce qui n’est pas exact, je n’avais pas à vous revenir) vous pouvez voir au moins que je suis tout disposé à entrer dans vos vues, pourvu que je sache quelles elles sont. […]
Pour revenir à notre œuvre, je vous dirai : 1° qu’en lisant toutes les décisions de l’Église dans ses conciles, j’ai été épouvanté en voyant les barrières sans cesse élevées entre les hommes et les femmes; 2° qu’à côté de cela, pas un fondateur d’Ordre depuis saint Basile, saint Benoît, saint Augustin jusqu’à saint Liguori et saint Paul de la Croix, qui, à côté des hommes, n’ait établi des femmes. Je m’arrête surtout aux derniers. Pourquoi cette obstination ? D’abord, parce que c’est dans la nature des choses ; ensuite parce que, pour ne parler que de nos jours, les têtes à gouvernement sont plus rares chez les femmes que chez les hommes. Mais ce qui me frappe surtout, c’est que si, de nos jours, les femmes doivent par l’éducation venir en aide à la défense de l’Église contre certaines tendances épiscopales, il importe qu’elles soient soutenues par des hommes dont les tendances seront avant tout catholiques. Cet argument ne serait pas à faire aux évêques, mais je suis sûr qu’à Rome il aurait un très grand poids. […]
Voici donc le résumé des questions à poser sur cette matière :
1° L’expérience faite par les 15 000 Filles de la Charité, depuis plus de deux siècles, n’autorise-t-elle pas la conviction que, avec des précautions inspirées par la prudence chrétienne et sous la vigilance des évêques, on peut laisser les congrégations de filles vouées à l’enseignement et aux autres œuvres de zèle s’appuyer un peu plus sur des congrégations d’hommes, fondées dans un but analogue ?
2° Quelles seraient ces mesures de précautions ?
3° Dès lors, quels rapports à établir entre les religieux et les religieuses, d’une part, entre les religieux et les évêques, de l’autre ?
g)
De Mère M. Eugénie au P. d’Alzon, Auteuil, le 28 août 1868.- Orig. ms. ACRA, lettre n° 3196.
Je fais copier tout ce que vous me dites dans votre dernière lettre des rapports des congrégations de femmes et des congrégations d’hommes. Je vous la renverrai par le P. Picard. J’abonde tout à fait dans votre sens et il me semble que je pourrais y ajouter encore.
5
Extraits de la lettre du P. d’Alzon à Mère M. Eugénie, Bagnères de Bigorre, le 18 août 1868. - Orig.ms. ACR, AD 1490; T.D. 24, p. 26-27.
Le P. d’Alzon signale l’ouvrage de Bouix De jure regularium qui indique que les congrégations "comme la vôtre", au lieu de n’être que "tolérées", peuvent arriver à obtenir les vœux solennels. Il suggère des démarches dans ce sens.
Aux yeux de l’Église, toutes les Congrégations comme la vôtre ne sont canoniquement que tolérées même avec l’approbation des règles, et cela en vertu d’une bulle de saint Pie V. L’abbé Bouix pense que l’on peut arriver, au contraire, à obtenir pour des Congrégations comme la vôtre les vœux solennels. Or voilà une occasion merveilleuse, le Concile. Mais voulez-vous des vœux solennels ? Bien entendu, sans la clôture papale. Dans tous les cas des Congrégations de femmes comme le Sacré-Coeur, les Oiseaux, l’Assomption, ne doivent-elles pas au moins obtenir autre chose que d’être tolérées ? Les jésuites pousseront à la roue à cause du Sacré-Coeur.
Je vous engage à en parler au P. Picard d’abord, à M. Gay ensuite. Le P. Picard en causera avec moi… Voici comment je poserais la question : 1° […] 2° […]
7° N’est-il pas évident que tant que durera le régime des concordats qui peuvent amener des choix pour les évêques moins conformes aux vues romaines, il importe que Rome ait à sa disposition les Congrégations de femmes et que les vœux solennels peuvent les placer davantage sous l’action de Rome ?
8° N’est-il pas vrai alors qu’il serait bon de donner aux Congrégations de femmes un moyen de correspondre plus directement avec le Saint-Siège ? Les vœux solennels seraient peut-être un de ces moyens.
6
Extrait des Actes du Chapitre général des Augustins de l’Assomption tenu à Nîmes en septembre 1868. – Procès-verbaux originaux ACR, C 31, p. 98-101.
Le Chapitre général de 1868 voulut préciser les rapports de la Congrégation des religieux de l’Assomption avec les Congrégations (ou Communautés) féminines de l’Assomption, soit : les Religieuses de l’Assomption fondées par Mère M. Eugénie (1839), les Oblates de l’Assomption fondées par le P. d’Alzon (1865) et les Petites Sœurs de l’Assomption fondées par le P. Pernet (1865). Nous reproduisons ici le texte qui fixe les motivations, les principes et les applications pour chacune des trois Congrégations intéressées.
Relations avec les Communautés de femmes. Ce sujet embrasse plusieurs questions.
1° Les rapports avec les Communautés de femmes sont-ils désirables ? 2° L’Institut peut-il accepter le gouvernement d’une communauté de femmes ?
3° Si on penche pour l’affirmative, à qui appartient-il d’exercer cette autorité ?
4° Enfin, jusqu’où cette autorité peut-elle s’étendre ?
Sur les deux premières questions, le Supérieur général fait ressortir deux faits incontestables, qui doivent servir de guide en cette matière.
D’un côté, Rome et les Conciles, se faisant l’écho des Évêques, ont toujours tendu à supprimer, du moins à restreindre les relations entre religieux et religieuses, à cause des abus qui peuvent naître de ces rapports.
D’un autre côté, les Communautés de femmes ont été généralement fondées par les fondateurs de Congrégations d’hommes, ou du moins par des religieux, et l’Église a confirmé les rapports établis au moment de la fondation.
D’où résultent pour nous les conclusions suivantes : Tout en préférant les œuvres d’hommes, les Augustins de l’Assomption ne doivent pas se dissimuler que la plupart des communautés de femmes ont été fondées par des religieux et que l’esprit de la fondation a été maintenu par eux; – de plus, que de nos jours l’influence prise par les femmes sur les œuvres et sur la société peut devenir entre leurs mains un puissant élément de bien qu’ils auraient tort de négliger.
Ils accepteront donc de diriger et même de gouverner des communautés de femmes. Mais ils se rappelleront avant tout que le meilleur moyen d’atteindre ce but, c’est de ne point provoquer ces communautés à se ranger sous leur dépendance, et d’attendre qu’elles le désirent spontanément et qu’elles le sollicitent.
Ils maintiendront la liberté réciproque et seront toujours prêts à se démettre de l’autorité qu’ils auront, si cette autorité devient un joug odieux ou simplement pénible. Par exemple, s’il arrivait que, à un Chapitre général des communautés gouvernées par eux, un tiers des membres répugnât à vivre sous leur dépendance, ils se retireront ipso facto.
Appliquant ensuite ces principes à ce qui existe déjà, le Chapitre décide :
1° Les Sœurs destinées aux Missions, comme les Oblates, seront sous la dépendance des religieux, et on en demandera l’approbation à la Propagande en temps opportun.
2° Les Sœurs destinées aux œuvres extérieures de charité, comme les Sœurs gardes-malades des pauvres, pourront aussi dépendre de l’Institut, comme les Filles de la Charité dépendent des Lazaristes, et, ainsi que ces dernières, elles profiteront au besoin du bénéfice de n’être pas reconnues comme religieuses.
3° Quant aux Sœurs qui, par la place plus influente qu’elles occupent, par leur vie plus en rapport avec celle des religieuses des anciens temps, comme les Religieuses de l’Assomption, rencontreraient plus de difficulté à s’unir aux religieux de l’Assomption, il y aurait lieu d’examiner comment cette union pourrait être opérée, et dès aujourd’hui, on déclare ces liens et ces rapports désirables, s’ils sont sollicités par les religieuses.
Les deux questions générales tranchées, reste à savoir par qui et comment s’exercera l’autorité des religieux sur les religieuses.
L’autorité tout entière réside entre les mains du supérieur général. Mais, afin de ne point se laisser absorber par le gouvernement des femmes, le Supérieur général n’exercera point l’autorité par lui-même : il la déléguera à un de ses religieux. Ce délégué prendra le nom de Vicaire(20), chargé de la Communauté de N…
Il sera présenté par les religieuses en Chapitre général et accepté par le Supérieur général.
Avant la réunion du Chapitre, la Supérieure générale s’entendra avec le Supérieur général pour connaître les religieux que l’on pourrait choisir. Parmi ces religieux ainsi désignés, le Chapitre général présentera trois membres ou trois listes de membres, parmi lesquels le Supérieur général nommera.
Si le Chapitre général s’obstinait à vouloir présenter des religieux que ne veut pas accepter le Supérieur général, l’union serait dissoute, et la Communauté de femmes cesserait d’être gouvernée par l’Institut.
Les pouvoirs du Vicaire ne dureraient que d’un Chapitre à l’autre de ces Communautés. – Si dans l’intervalle, le Supérieur général avait besoin de disposer de ce sujet, il s’entendrait avec la Supérieure générale.
On demanderait pour ce Vicaire les pouvoirs de délégué apostolique.
Son autorité ne s’exercerait habituellement sur les membres de la Communauté que par la Supérieure générale.
Il laisserait aux Sœurs la liberté du confessionnal; mais il réserverait la direction aux religieux, afin de pouvoir maintenir l’esprit particulier de l’Institut.
Aucune fondation nouvelle, aucune fermeture de maison ne se ferait sans son agrément.
Il devrait se tenir au courant de l’état financier de ces Congrégations.
Il ferait encore à époques fixes des visites régulières.
Dans la règle de chacune de ces Congrégations il y aurait un Chapitre sur l’application des principes ci-dessus.
Des règlements spéciaux fixeront les rapports des religieux avec les religieuses dans les diverses fonctions où ils peuvent se rencontrer (21).
7
Extraits de lettres du P. d’Alzon à Mère M. Eugénie touchant les pouvoirs de confesser les religieuses
À l’approche du Concile, il fut question à Rome de mesures qui auraient ôté aux religieux le pouvoir de confesser les religieuses. Le P. d’Alzon étudia cette question dans le contexte de celle de l’autonomie désirable pour les Congrégations féminines avec dépendance plus directe du Saint-Siège. On peut voir à ce sujet les lettres de Mère M. Eugénie au P. d’Alzon, des 5 et 13 août 1869 (ACRA, lettres n° 3221 et 3222) et les lettres du P. d’Alzon à la Mère, des 31 juillet, 7, 16 et 22 août 1869 (T.D. 24, p. 54-65).
a)
Le Vigan, 3 septembre 1869.- Orig.ms. ACR, AD 1522; T.D. 24, p. 64.
Rome va prendre de grandes mesures, il n’en faut pas douter; mais avec ce que j’étudie, elle voudra, je crois, rester dans plusieurs de ses anciens errements, et alors la séparation entre vous et nous s’opérera pour les confessions, sauf à s’établir par d’autres points. Il faut aller doucement, mais très certainement il y aura moyen de reprendre une certaine influence plus grande peut-être, pour les retraites, les confessions extraordinaires, les prédications, enfin tout autre moyen que le confessionnal habituel.
b)
Nîmes, 9 octobre 1869. - Orig.ms. ACR, AD 1528; T.D. 24, p. 70.
Pour pouvoir exercer sur les religieuses de l’Assomption une certaine juridiction, il faudrait peut-être que nous eussions les vœux solennels. Enfin, j’étudierai la chose à Rome.
c)
Nîmes, le 24 octobre 1869. - Orig.ms. ACR, AD 1529; T.D. 24, p. 73.
Il n’y aurait qu’un moyen, ce serait de me faire nommer vicaire du général des Augustins pour ma Congrégation, avec le droit de gouverner les filles comme les gouvernent certains chefs d’Ordre. Ceci est une grosse question, mais il me semble qu’il n’y a pas d’autre moyen de trancher les difficultés.
8
Extraits de lettres du P. d’Alzon à Mère M. Eugénie touchant la juridiction sur les Congrégations féminines (Rome 1869-1870)
a)
Lettre du 18 novembre 1869. - Orig.ms. ACR, AD 1531; T.D. 24, p. 75-76.
A propos de ce qu’on peut prévoir et espérer que le Concile fera pour les instituts religieux, le P. d’Alzon précise quelles communautés devraient "être la chose du Pape"; il en donne la raison. Il a confiance que le Pape "arrangera tout".
Il faut établir que les évêques peuvent avoir une action à peu près absolue sur les couvents cloîtrés sans lien avec d’autres couvents; mais les familles à supérieures générales et destinées à un certain apostolat doivent être la chose du Pape, soit pour éviter l’immixtion de juridiction d’un évêque, soit pour donner aux travaux de ces familles religieuses une action plus utile, plus féconde et plus une.
[…] Le cardinal Pitra […] est très effrayé des invasions du pouvoir épiscopal; j’en suis moins effrayé que lui. […] Pour mon compte, je laisse faire et je crois que tôt ou tard le Pape arrangera tout. […]
Adieu, ma fille. Faites bien prier pour moi.
b)
Lettre du 20 avril 1870. - Orig.ms. ACR, AD 1555; T.D. 24, p. 110.
À l’occasion de difficultés subies par Mère M. Eugénie de la part de l’autorité épiscopale, le P. d’Alzon informe la Mère que Rome accepterait de mettre les Religieuses de l’Assomption "sous ma juridiction comme fondateur". Il explique comment procéder pour obtenir ce statut.
De Lucca me prend en estime, et quand vous voudrez être mises sous ma juridiction comme votre fondateur, vous le serez. Vous pourriez écrire par le P. Vincent de Paul, s’il vient, qu’ayant des preuves positives que l’on se dispose à vous persécuter, vous demandez si, supposé que cela eût lieu, on pût faire pour vous ce que l’on a fait pour les Carmélites de Vinça, diocèse de Perpignan, et nommer votre fondateur supérieur de la Congrégation pro tempore; que vous savez que la persécution allumée il y a quelque temps, va se rallumer, et que votre prudence de supérieure exige que vous prévoyiez à quoi vous devez avoir recours.
c)
Lettre du 29 avril 1870. - Orig.ms. ACR, AD 1557; T.D. 24, p. 113.
Plus je vais, plus je vois la nécessité de donner une exemption protectrice aux établissements qui se dévouent en France aux doctrines romaines. […] Je vous enverrai le mémoire des Carmélites de Vinça, que le Pape a soustraites à la juridiction de l’évêque de Perpignan. Pour peu qu’on vous vexe, vous serez mises sous ma juridiction, si vous le désirez.
d)
Lettre du 4 mai 1870.- Orig.ms. ACR, AD 1558; T.D. 24, p. 113-114.
Le P. d’Alzon constate qu’il faut aller lentement dans la question de juridiction.
L’affaire de la juridiction sur vous n’est pas si simple que vous le pensez. Il serait, je crois, dangereux de provoquer la question en ce moment : 1° parce qu’il n’y a pas de motif ; 2° parce que ce ne sera peut-être pas nécessaire. Dans la constitution qui sera distribuée aujourd’hui ou demain, on parle de la juridiction ordinaire du Pape sur chaque diocèse, doctrine niée par l’archevêque. Vous comprenez, d’une part, que si le Pape s’en servait sans motif avant le vote, on en ferait un argument contre. Au contraire, quand le canon sera porté, (l’archevêque de Paris) comprendra ce que cela veut dire et vous laissera tranquille pour longtemps. Je vous ai indiqué le moyen de vous mettre à l’abri de ses coups. C’est énorme, mais n’allons pas trop vite.
e)
Lettre du 11 juin 1870. - Orig.ms. ACR, AD 1561; T.D. 24, p. 117-118.
Le P. d’Alzon est persuadé que l’exemption de la juridiction épiscopale sera accordée à qui en aura besoin, et que les Congrégations à supérieure générale passeront sous la juridiction immédiate de la S. Congrégation des Réguliers.
Je vous promets de bien prier pour votre Chapitre général. Soutenez le P. Picard. Virginie (l’archevêque de Paris) fera peu, je crois, n’autorisera rien, mais laissera faire. Le Pape a ordonné qu’on mît que les Carmélites (de Vinça) étaient exemptes omnimoda episcopi jurisdictione. Tenez pour sûr que si vous avez à vous plaindre et si vous réclamez, on vous accordera la même chose. Allez doucement, mais il est bon d’avoir cette assurance. À Rome, une révolution pour les Congrégations commence. On ne doit pas trop s’en mêler, mais la force des choses y pousse. Je suis convaincu que l’on viendra à placer les Congrégations à supérieure générale sous la juridiction immédiate de la Congrégation des Réguliers, avec un prêtre révocable ad nutum pour représenter la Sacrée Congrégation auprès des évêques.
f)
Lettre du 30 juin 1870. - Orig.ms. ACR, AD 1564; T.D. 24, p. 119-120.
Cette évolution se fera doucement, à mesure que le primat du Pape sera bien établi. Que vous avez bien fait d’attendre pour les modifications de vos règles ! Savez-vous ce qui va avoir lieu ? Une modification complète des dispositions de la cour romaine, mais sans bruit. Je ne pense pas que de longtemps on fasse de ces bouleversements officiels, mais le primat du Pape bien établi, il mettra peu à peu les évêques à la raison, à propos de certains faits qui créeront des précédents et une jurisprudence. Vous avez vu l’affaire de Vinça, où l’on est arrivé à supprimer toute espèce de juridiction épiscopale. Vous avez l’affaire des chapitres généraux, où vous choisissez le lieu qui vous convient. Je suis persuadé que, d’ici à quelque temps, on vous donnera à titre de visiteurs apostoliques, les supérieurs que vous voudrez.
Le tout est une affaire de patience. Mais tenez pour assuré qu’ici on accordera beaucoup, pourvu que l’on puisse rattacher les concessions nouvelles à la tradition d’une façon quelconque. […] Ainsi en faisant tout spécialement profession de dévouement au Saint-Siège, en déclarant que c’est autour de lui que vous voulez vous grouper pour vivre de sa vie, recevoir sa direction, vous arriverez à la liberté, en face des oppressions et persécutions qui peuvent vous menacer.
______________________________________
1. Sur un tel abus de pouvoir, voir lettres : du P. d’Alzon du 1er septembre 1866. Orig.ms. ACR, AD 1418; T.D. 23, p. 220-221; de Mère M. Eugénie à l’Archevêque de Paris, 6 novembre 1866, ACRA, n° 3798; du P. d’Alzon à Mère M. Eugénie le 9 novembre (deux lettres). Orig. ms. ACR, AD 1424 et 1425; T.D. 23, p. 229-232.
2. Lettre à la Mère M. Eugénie, Le Vigan, 10 juillet 1867. – Orig.ms. ACR, AD 1440; T.D. 23, p. 257.
3. Un maître spirituel, p. 117.
4. Dès 1849, au départ des Religieuses de l’Assomption pour l’Afrique du Sud, le P. d’Alzon écrivait à la Mère Marie-Eugénie de Jésus : "… À Paris, une des plus graves questions dont je m’occuperai sera d’examiner avec le nonce si l’on ne peut pas rétablir les vœux solennels ; car je ne vois pas d’autre moyen d’obtenir que les religieuses envoyées à l’étranger relèvent de la maison-mère…" (Lettre du 9 août 1849. – Orig.ms. ACR, AD 664; V., Lettres, III, p. 468).
5. Lettre du 19 août 1868. – Orig.ms. ACR, AD 1491; T.D. 24, p. 28-29.
6. Rome, 1er janvier 1870. – Orig.ms. ACR, AD 1535; T.D. 24, p. 82.
7. P. Touveneraud, dans Origines des Familles religieuses de l’Assomption, Rome 1972, p. 13-19, résume cette communauté d’inspiration ; il signale "le mode commun d’aborder les problèmes d’apostolat et de construire le cadre de la vie religieuse communautaire" dans les divers instituts. "Tout cet échange se place dans un climat de confiance et de liberté réciproque."
8. Voir Ch. XVIII, 9 b.
9. Quant aux inconvénients pouvant résulter du rapprochement entre religieuses et religieux, le P. d’Alzon écrivait au cardinal Pitra le 15 mai 1867 : "Si l’on aborde la question des Congrégations religieuses de femmes et de leurs relations avec les supérieurs, quels que soient les inconvénients des rapports entre religieux et religieuses, ne sont-ils pas moindres, au moins pour la France, que les rapports entre les religieuses et les évêques, tels que nous en avons un certain nombre et tels que nous sommes menacés d’en avoir ? J’aurais des faits inouïs à raconter à ce sujet" (Copie ms. ACR, AO 213; T.D. 40, p. 90).
10. Lettres de Mère M. Eugénie au P. d’Alzon du 16 septembre 1868 (ACRA, lettre n° 3197) et du P. d’Alzon à Mère M. Eugénie du 20 septembre 1868 (T.D. 24, p. 26).
11. Voir Ch. XXX B.
12. Mère M. Eugénie vient d’évoquer le plan personnel de sa direction spirituelle.
13. Déjà en 1856 Mère M. Eugénie écrivait au P. Picard : "Rome sera contente de nos rapports avec vous, puisque depuis longtemps nous sommes décidées à n’avoir avec les Religieux qu’une fraternité spirituelle sans autres liens que ceux de la charité. Je pense que ce sont les plus solides et en même temps, ils ne causent d’embarras à personne..." (Orig.ms. ACRA, lettre n° 3637).
14. L’allusion, ici, concerne non pas l’abbé Véron, mais Sœur M.-Augustine Bévier (Cf. Lettre de Mère M. Eugénie du 12 juillet 1866).
15. M. Véron, indépendamment des aumôniers de la communauté, dont le P. Picard, avait demandé au confesseur des Religieuses de célébrer la messe de communauté à leur place. Le P. d’Alzon, qui connaît bien le P. Picard, lui écrit ce même jour : "Un peu de patience, Dieu reste, et quand on le cherche on le trouve. Ne donnez aucune démission, on voudrait vous la faire donner pour n’en avoir pas l’odieux. Si l’on vous fait partir de force, eh bien ! vous seriez une victime surnaturellement plus semblable à Notre-Seigneur, et même, humainement parlant, vous aurez le beau rôle. Mais laissons ce point de vue intérieur. Pas de découragement. Un peu de tempête purifie l’air. Allons, du courage ! Pour porter la fureur des gens, soyons roseaux et pas trop chênes" (ACR, AE 219; T.D. 25, p. 170).
16. i.e. concernant Sœur M.-Augustine dont l’abbé Véron eut tort d’écouter les plaintes.
17. Le P. d’Alzon déconseille à Mère M. Eugénie de convoquer un Chapitre général, qui troublerait inutilement la Congrégation, mais les Sœurs du Conseil ont bien fait d’en évoquer la menace.
18. Dans cette longue lettre, le P. d’Alzon dit encore qu’un Chapitre général, auquel pense Mère M. Eugénie pour sortir de la crise, lui paraît peu indiqué; il ajoute qu’il peut lui-même lui être utile à Rome; il songe que la Sœur M.-Augustine est une des causes du malentendu entre elle et l’abbé Véron ainsi que l’archevêque.
19. Aux prises avec les difficultés que lui suscitaient les autorités diocésaines de Paris, Mère M. Eugénie rédigea un mémoire dans lequel elle demande pourquoi "les Congrégations de femmes appelées à l’action (et donc) ayant besoin d’un gouvernement central" ne pourraient "s’appuyer sur des congrégations d’hommes et leur accorder une part d’influence ou même d’autorité réglée de manière à laisser aux évêques la pleine et entière supériorité de chaque maison". Ce mémoire fut communiqué au P. Vitte, Mariste supérieur ecclésiastique des Religieuses à Lyon. Dans sa réponse, datée de Lyon le 28 juin 1867, il reprend le détail du mémoire; il demande des clarifications sur la nature de la direction désirée : ecclésiastique, administrative ou de conscience ? Il conclut qu’il peut être utile aux congrégations (apostoliques) de femmes à supérieures générales d’avoir de bons rapports officieux avec un Ordre d’hommes; mais il doute qu’une union officielle doive leur être profitable, sans donner lieu à des embarras et à des conflits.
20. Pour les Religieuses de l’Assomption, la fonction de Vicaire ne fut envisagée qu’à leur Chapitre général de 1876.
21. Certaines exigences envisagées aux Chapitres de 1868 et 1873 ne seront étudiées par les Religieuses de l’Assomption qu’à leur Chapitre de 1876.