CHAPITRE XXVI
LE P. D'ALZON ET LA CONGREGATION DES ASSOMPTIONNISTES
(1868 - 1880)
Le 9 février 1870, le P. d'Alzon écrivait de Rome à Mère Correnson : "Je me figure parfois que Dieu va me donner mes dix dernières années de vie, de soixante à soixante-dix ans, et que, de même que Notre-Seigneur a fait son œuvre extérieure pendant trois ans et trois mois, il m'accordera trois fois plus de temps pour faire notre œuvre. Mais comme je puis n'avoir pas même dix ans, il faut nous dépêcher afin de ne pas arriver les mains vides devant son tribunal(1)."
Sans ralentir son activité apostolique, le P. d'Alzon va consacrer les dix années qui, comme il l'a pressenti, lui restent à vivre, à la consolidation de ses congrégations et spécialement à la formation intérieure de ses religieux et de ses religieuses. Nous ne nous occuperons ici que des premiers(2).
1. L'évolution de la Congrégation. -
Lors du Chapitre de 1868, la Congrégation des Assomptionnistes comptait 33 profès de chœur, 6 profès convers et 2 défunts. A la mort du P. d'Alzon, en novembre 1880, elle avait 46 profès de chœur et 5 convers et comptait 9 défunts. La progression numérique n'avait pas été spectaculaire et pourtant les œuvres s'étaient multipliées : au Collège de Nîmes, berceau de la congrégation, il fallait ajouter l'orphelinat du P. Halluin à Arras, les pèlerinages, œuvres de prières et œuvres populaires gravitant autour de Notre-Dame-de-Salut depuis 1871 (Ch. XXIX B), les œuvres de presse (Ch. XXIX D), les alumnats, créés eux aussi en 1871 et dont chacun impliquait l'existence d'une petite communauté religieuse : au moment de la mort du P. d'Alzon, ils étaient au nombre de sept (Ch. XXVII). Si la mission d'Australie a pris fin en 1875 (Ch. XIX 2), celle d'Orient, malgré les difficultés, à consolidé ses bases. Elle a vu notamment arriver en 1876-1877, les trois premiers prêtres assomptionnistes bulgares formés en France et les œuvres des Oblates de l'Assomption ont connu un beau développement (Ch. XXVIII).
2. Les Chapitres généraux. -
Toutes ces œuvres, le P. d'Alzon les prend à cœur personnellement. Avec les Chapitres qu'il préside, il en vérifie les bases surnaturelles et la portée apostolique, en examine les besoins et veille à en préciser l'esprit en conformité avec les Constitutions - provisoires encore et toujours susceptibles de perfectionnement - qu'il a données à sa congrégation en 1865 (Ch. XIX). Les Chapitres généraux sont des temps forts dans la vie d'une congrégation. Le P. d'Alzon y attachait une grande importance, veillant à les préparer soigneusement et à en prolonger les effets. C'est ainsi qu'après le Chapitre de 1868 et à la demande de ce dernier, il avait rédigé 4 Lettres au Maître des novices où il présentait l'esprit de l'Assomption à la lumière de sa devise Adveniat regnum tuum (Ch. XIX, 5b). Après le Chapitre de 1868, le P. d'Alzon en présidera encore trois autres : en 1873, 1876 et 1879.
Le Chapitre de 1873 se tint à Nîmes du 10 au 18 septembre. Tous les sujets intéressant la vie de l'Institut y furent abordés. En dehors du programme d'activité apostolique, deux thèmes retinrent particulièrement l'attention : l'organisation de l'Institut et la formation des religieux, de l'alumnat à la maison d'études. Sur le premier point, le P. d'Alzon avait, lors de la séance inaugurale, exposé les raisons pour lesquelles, selon lui, le gouvernement de la congrégation devait être réservé à une aristocratie (v.infra 1). Lors de la 3e séance, il eut l'occasion de soumettre à la commission chargée d'élaborer le rapport sur le noviciat quelques idées sur la formation des religieux : on en retiendra surtout son insistance sur la nécessaire adaptation de cette formation aux circonstances de personnes(3). A la clôture du Chapitre, le fondateur prononça une belle instruction émaillée de formules faisant choc (v. infra 2).
Le Chapitre lui avait demandé d'écrire "au maître des novices une lettre dans laquelle il exposera les principes de la congrégation sur ce point (l'oraison) et la méthode à suivre pour enseigner aux novices la pratique de l'oraison mentale"(4). C'est pour répondre à ce vœu que le P. d'Alzon se mit à la rédaction de méditations de retraite et de méditations quotidiennes. Elles sont de valeur inégale mais beaucoup se distinguent par leur originalité et surtout par le souffle de foi, de sainteté et d'énergie qui les anime(5).
Le Chapitre de 1873 à peine terminé, le P. d'Alzon songe à préparer le suivant. Du 24 mai 1874 au 15 septembre 1875, il va adresser aux membres du Chapitre une série de 11 circulaires(6 ). Il attire leur attention sur des points qu'il estime de première importance pour l'avenir de la congrégation et sollicite leurs lumières et leurs avis ( V. infra 3).
Le Chapitre de 1876 s'ouvrit à Nîmes le 11 septembre et dura jusqu'au 16(7). Deux questions dominent les débats : la création de provinces et les rapports avec les congrégations de femmes (Religieuses, Oblates et Petites Sœurs de l'Assomption). Proposée par le P. d'Alzon qui voulait se décharger en partie du poids de l'Institut et surtout lui laisser des cadres plus définitifs, la création de provinces fut acceptée par le Chapitre malgré l'opposition du P. Picard qui en contestait l'opportunité. Sur le second point, le Chapitre accepta à l'essai pour six ans, bien que le P. d'Alzon se fût contenté de relations de confiance, un Directoire canonique réglant les rapports de la congrégation des hommes avec celles des religieuses (Ch. XXX B). Enfin, en réponse à certaines avances, le Chapitre autorisa le fondateur à ouvrir des négociations avec le Supérieur général des Augustins en vue d'une union qui respecterait le nom, les Constitutions, le but et les œuvres de la congrégation. Au cours même du Chapitre, le P. d'Alzon avait prononcé chaque jour, devant toute la communauté, une instruction où il avait traité successivement de l'oraison, des vœux, de l'apostolat, de l'esprit de l'Assomption et des études(8).
Le 9e Chapitre général, le dernier que présida le P. d'Alzon, eut lieu à Paris du 1er au 4 septembre 1879(9). Il avait essentiellement à son programme l'examen du projet d'union avec les Ermites de saint Augustin. Cette union était envisagée par le P. d'Alzon et ses religieux comme un moyen d'obtenir la solennité des vœux dont ils faisaient une condition sine qua non de leur acceptation. Les capitulants donnèrent tout pouvoir au fondateur pour traiter avec les Augustins et la S. Congrégation Romaine. Avant de se séparer, ils avaient apporté aux Constitutions les modifications exigées par cette perspective, et l'on fit des Constitutions ainsi transformées, une traduction latine. Mais, le 9 juillet 1880, la Congrégation des Evêques et Réguliers se prononça contre le projet et l'on en revint aux Constitutions de 1865(10).
3. L'animation spirituelle de la Congrégation. -
Ce qui vient d'être dit à propos des Chapitres montre déjà à suffisance combien le P. d'Alzon se dépensait pour l'animation spirituelle de sa congrégation. Lettres au Maître des novices, composées à la demande du Chapitre de 1868, allocution de clôture de celui de 1873, composition de méditations pour répondre à un vœu du même Chapitre, circulaires écrites pour préparer celui de 1876, allocutions prononcées au cours de ce dernier, autant de preuves de l'importance attachée par le P. d'Alzon à la vie spirituelle de ses religieux et particulièrement à la formation des jeunes.
Aussi impressionnante que soit la série de ces travaux, elle est loin de rendre compte de toute son activité en ce domaine. C'est qu'en effet la sanctification de sa famille religieuse le hante. Le premier article des Constitutions en vigueur ne dit-il pas que "le but de notre petite Association est de travailler à notre perfection en étendant le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans les âmes" ? Aussi estime-t-il que son premier devoir est de veiller à faire des saints de tous les membres de la famille de l'Assomption (v.infra 4). Retraites à ses religieux, surtout aux novices et aux étudiants, cours et conférences vont se succéder au cours des dix dernières années de sa vie.
Du 9 novembre au 7 décembre 1871, il donne 40 conférences aux novices du Vigan. D'une manière générale, il suit le plan des conférences données l'hiver précédent aux Religieuses de l'Assomption, mais il les adapte à son auditoire de jeunes religieux aspirants au sacerdoce. Malgré sa fatigue, il lui arrive à certains jours de parler quatre fois.
En septembre 1872, il prêche la retraite à ses religieux à Nîmes, et en août de l'année suivante aux novices du Vigan. De septembre 1872 à février 1873, il donne un cours de théologie mystique aux étudiants de Nîmes, adaptant pour eux les leçons faites au printemps précédent devant les Oblates de l'Assomption. Ce cours sera repris l'année suivante au bénéfice des novices qui ont quitté Le Vigan pour Nîmes : manière de faire caractéristique du P. d'Alzon qui veille à donner la même formation spirituelle de base à toute la famille de l'Assomption, tout en s'adaptant aux particularités de ses diverses composantes.
Pendant le carême de 1874, il donne à Nîmes à ses religieux six conférences sur la vie religieuse et, en septembre suivant, y prêche à nouveau la retraite aux étudiants et aux novices. Au printemps de 1875, le noviciat s'est transporté de Nîmes à Paris. A chacun de ses voyages dans la capitale, le P. d'Alzon présidera les retraites mensuelles et assurera le cours du "grand noviciat". Du 8 octobre au 11 novembre 1875, il donne 28 conférences et 3 autres en août 1876; du 7 au 28 avril 1879, il parle aux novices tous les matins.
En septembre 1877, il prêche la retraite annuelle à ses religieux de Nîmes. Durant l'hiver 1878-1879, il donne tous les lundis à ses étudiants un cours d' "introduction à l'histoire de l'Eglise" où son propos est de les imprégner du mystère de l'Eglise.
Du 20 au 29 septembre 1879, pour inaugurer le noviciat de la province du Midi à Nîmes, il donne une retraite qui comporte quatre instructions par jour. Puis il se charge du cours de grand noviciat - une leçon par jour inspirée de saint Thomas - et d'un cours par semaine sur saint Augustin. Il avait établi un plan de 250 leçons sur saint Thomas ! Il donna sa dernière leçon au noviciat le 13 juillet 1880.
En 1878, alors que, fortement ébranlé dans sa santé, il se préoccupe de plus en plus de sa fin prochaine, le P. d'Alzon entreprend la rédaction de méditations destinées à ses religieux (v. infra 5). "Ces méditations, écrit le P. Sage, forment comme le Testament spirituel du Fondateur. Il écrit avec la pleine autorité d'une longue expérience; il insiste sur une sincère conversion du cœur et une solide formation à toutes les vertus religieuses; il réagit contre les vocations de pacotille; il stimule à un apostolat aussi parfaitement adapté que possible aux nécessités actuelles de l'Eglise. Tendre généreusement et d'une manière tout surnaturelle à l'avènement du Royaume de Dieu, telle apparaît la dernière consigne de notre Fondateur(11)."
A l'activité que nous venons de décrire et qui est dirigée vers l'ensemble de ses religieux, il faudrait ajouter une action personnelle incessante dont témoigne sa correspondance. Combien de fois ne trouve-t-on pas dans ses lettres cette adjuration : "Soyez un saint !" ou "Formez des saints !" (v. infra XXVIII, 1 c).
1
Intervention du P. d'Alzon au Chapitre général des Assomptionnistes en 1873, Nîmes, le 10 septembre 1873. - Procès-verbaux originaux des Chapitres généraux ACR, B 31, p. 106-107.
A la séance inaugurale du Chapitre de 1873, le P. d'Alzon proposa de nommer membres capitulaires dix religieux supplémentaires. Cette proposition fut unanimement acceptée au scrutin secret.
Le procès-verbal du Chapitre donne le résumé de l'intervention du P. d'Alzon exposant les motifs qui l'ont poussé à proposer cette adjonction : il souhaite que le gouvernement de la congrégation soit confié à une aristocratie de sainteté et de science. Il reviendra sur ce thème dans sa deuxième circulaire aux membres du Chapitre (1er juin 1874).
Les congrégations les plus puissantes sont celles dont le gouvernement est le plus fort. Le gouvernement n'est fort que s'il est entre les mains de l'aristocratie. L'aristocratie, dans les religions, consiste en une vertu plus haute et une science plus profonde. Ces deux éléments, non isolés mais réunis, autant que possible, sont les seuls qui doivent gouverner une congrégation religieuse, parce qu'ils sont seuls capables de la rendre puissante pour le bien, en sauvegardant chez elle l'unité des cœurs et des esprits.
Or il est arrivé par la grâce de Dieu que cette unité, qui a d'abord régné parmi les anciens membres capitulaires, ne s'est jamais démentie. Il importe donc que le Chapitre, tel qu'il a été organisé jusqu'ici, conserve avec soin un si précieux avantage, et n'admette dans son sein, pour remplir les vides que la mort pourra faire en lui, que des profès éprouvés au point de vue de la constance morale et de la capacité intellectuelle. Les Pères susnommés, réunissant ces conditions, paraissent donc dignes de participer dorénavant aux délibérations capitulaires, et par suite au gouvernement de l'Institut. Mais il est bien entendu que, vu le développement que l'Institut semble prendre depuis quelque temps, ce devrait être pour la dernière fois que des profès seront ainsi nommés membres du Chapitre. Il y a lieu de discuter s'il ne serait pas excellent que, à l'avenir, outre les vœux simples, il y ait soit des vœux solennels, soit un 4e vœu quelconque à émettre au bout de dix ans de vœux simples. Pour émettre alors ces vœux solennels ou ce 4e vœu, ne faudrait-il pas que 1° le profès en fît la demande, et que 2° le Chapitre fût juge de cette demande pour l'accepter ou la repousser ? Il y aurait ainsi dans la Congrégation une aristocratie qui se formerait insensiblement et qui serait composée de tous les profès ayant émis les vœux solennels ou le 4e vœu. C'est parmi ces profès seuls que l'on choisirait les membres du Chapitre. Quant aux autres, ils ne pourraient jamais en faire partie, tant qu'ils en resteraient aux simples vœux, et, dans ce cas, ne participeraient d'aucune manière au gouvernement général de la congrégation.
2
Conclusion de l'instruction prononcée par le P. d'Alzon à la clôture du Chapitre général de 1873, Nîmes, le 18 septembre 1873. -Orig.impr. ACR, ID 24; Circulaires aux religieux de l'Assomption, p. 68-70, Paris, 1912 (= T.D. 14).
Le P. d'Alzon clôtura le Chapitre de 1873 par une importante allocution. "Après avoir brossé un tableau de l'Eglise et de la France, il faisait le point des travaux entrepris par l'Assomption depuis le dernier Chapitre et traçait d'un accent vigoureux un plan d'action extérieure et un programme plus définitif d'organisation intérieure de l'Institut. Il terminait en mettant en garde ses religieux contre l'étroitesse d'esprit, un faux optimisme et une fausse prudence(12)." C'est cette mise en garde que nous citons ici.
Je vous ai dit à peu près ce que nous avons fait depuis le dernier Chapitre; je vous ai indiqué aussi ce que nous voudrions faire, et c'est comme infini. Laissez-moi vous donner, avant de terminer, trois principaux conseils.
Le premier jaillit en quelque sorte de la situation présente; nous sommes en pleine crise chrétienne, nous avons déjà beaucoup souffert, et nous sentons la victoire venir à nous. Profitons-en pour ne pas repousser ceux qui veulent se rapprocher de nos rangs. Je vois certains hommes tellement convaincus de la perfection de leur ligne de conduite, que tout ce qui ne s'y adapte pas est réprouvé; c'est une sorte de puritanisme moderne qui, à force d'éliminations, tournera à l'égoïsme des coteries. Pour nous, cherchons à attirer, laissons la défiance qui rapetisse; que la confiance soit un de nos grands moyens de faire triompher la cause de la vérité. Nous n'en sommes pas les propriétaires, nous n'en sommes que les serviteurs; la cause de la vérité n'est-ce pas la cause de Dieu; et la cause de Dieu à qui appartient-elle, qu'à lui seul ?
Mon second conseil est de ne pas trop compter sur le triomphe. Ouvrez l'histoire. Que voyez-vous, sinon les peuples victorieux promptement devenir des peuples en décadence ? Sans doute nous pouvons, du train dont vont les choses, compter sur des succès prochains. Vous dirai-je qu'ils me font trembler ? Oh ! veillons, restons toujours dans la vraie lumière : "Dum lucem habetis, credite in lucem, ut filii lucis sitis. Profitons de la lumière, croyons à la lumière, soyons des enfants de lumière." Le grand mal du temps présent, ce sont les ténèbres, c'est le mensonge; restons dans la vérité, servons la vérité, rendons-lui témoignage, propageons-la, et notre tâche sera remplie, et nous n'aurons pas cédé aux illusions.
Mon troisième conseil vous invite à secouer une certaine prudence, refuge trop souvent d'une paresse honteuse d'elle-même. On se dit prudent, parce qu'on n'ose pas; mais c'est plus que jamais l'heure de répéter le mot de Bossuet : "La foi est hardie. " Ayons donc les hardiesses de la foi; peu importe qu'on l'appelle témérité. Pardonnez-moi la familiarité de la comparaison. La vraie prudence est la reine des vertus morales : mais une reine commande, agit, et, au besoin, combat. Certains en ont fait une femme vieillie par la peur; cette prudence, elle a des pantoufles et une robe de chambre, elle est enrhumée et elle tousse beaucoup. Prudence de convention, je n'en veux pas; ce n'est pas là cette prudence que vous devez écouter. Pour moi, j'aimerai toujours à me confier éperdument en la providence de Dieu, dussè-je, délaissé de tous, aller mourir à l'hôpital !
3
Extraits de lettres du P. d'Alzon et de ses religieux concernant les "Circulaires aux Membres du Chapitre" (1874-1875)
Dans les pages pleines d'intérêt qu'il consacre aux 11 circulaires composées par le P. d'Alzon en préparation du Chapitre de 1876, le P. A. Sage donne, outre une analyse de chacune de ces circulaires, des indications précieuses sur les circonstances de leur composition et notamment sur la méthode adoptée par le P. d'Alzon(12). Il ne s'agit pas pour ce dernier d'imposer sa solution des problèmes qui se poseront au Chapitre. Son seul but est ici d'indiquer les matières à traiter et de fournir aux capitulants une base de discussion. Ces derniers sont invités à lui transmettre dès à présent leurs avis et observations. Dans certains cas même, il leur envoie d'abord un simple projet de circulaire, attendant leurs lumières avant de passer à la rédaction définitive.
a)
Du P. d'Alzon à Mère Marie-Eugénie de Jésus, Nîmes, le 9 juin 1874. - Orig.ms. ACR, AD 1665; T.D. 24, p. 212.
Le P. d'Alzon soumet ses vues à Mère Marie-Eugénie de Jésus.Il tient peu à son propre avis en face de celui des anciens.
Je vous ai fait adresser quelques circulaires que j'envoie à nos capitulants pour préparer le futur Chapitre. Peut-être feriez-vous bien d'en faire d'analogues. Au fond c'est votre avis qui prévaudra. Chez moi, ce ne sera pas tout à fait la même chose; mais j'y tiens peu en face de l'avis de quelques-uns des anciens.
b)
Échange de lettres entre le P. Picard et le P. d'Alzon (1874)
1° Du P. Picard au P. d'Alzon, le 14 juin 1874. - Orig.ms. ACR, EN 318.
Le P. Picard accuse réception des trois premières circulaires et bénit Dieu de pousser ainsi le fondateur de l'Assomption à en préciser toujours davantage le but et l'organisation.
J'ai lu avec attention et avec joie vos trois circulaires. La première sur l'esprit de l'Assomption est parfaite : elle me paraît devoir entrer dans la Règle. La seconde indique nettement les trois qualités requises pour entrer dans l'aristocratie de l'Ordre; mais j'aurais aimé que vous eussiez formulé quelques règles au sujet des connaissances indispensables pour être ordonné. Nous savons par expérience que s'ils n'ont pas étudié et surtout s'ils n'ont pas pris l'amour de l'étude avant leur ordination, les religieux restent ensuite dans une ignorance fâcheuse. Quant à la troisième circulaire, elle indique un but à atteindre et nous avons tous le devoir de faire les essais qui amèneront un règlement définitif.
C'est une vraie consolation de voir se dessiner tous les jours plus complètement le but et l'organisation de notre famille. Je bénis le bon Dieu de vous pousser à mettre le couronnement à votre œuvre. Les occupations extérieures nous débordent; il est d'autant plus nécessaire pour nous d'avoir une formation religieuse et intellectuelle plus énergique et plus nette. Puisque vous avez fait une congrégation sui generis, formez, façonnez le moule et que personne dans la suite ne puisse le détruire sous prétexte d'arrondir ou de perfectionner. Conserver à chacun son initiative et sa vie et ne compromettre en rien la régularité, la ferveur et l'esprit religieux, c'est un travail long et délicat que vous opérez avec les premiers membres de la famille; mais que les Constitutions, le Directoire et le Coutumier doivent conserver ensuite. Comme nous avons besoin de prier pour que ce but soit atteint!
2° Du P. d'Alzon au P. Picard, Nîmes, le 15 juin 1874. - Orig.ms. ACR, AF 73; T.D. 26, p. 53.
Dans la lettre qui précède, le P. Picard a regretté que le P. d'Alzon n'ait pas émis quelques règles au sujet des connaissances indispensables pour être ordonné. C'est pour le P. d'Alzon l'occasion de préciser la nature même de ses circulaires : elles ne prétendent pas apporter des solutions mais seulement fournir une base de discussion. C'est pourquoi il est ouvert à toutes les suggestions du P. Picard dont il attend même qu'il lui propose de nouveaux sujets de circulaires.
Je vous remercie de vos observations, mais je ne me suis pas bien fait comprendre. Je tiens à indiquer des points à traiter plutôt qu'à les moudre moi-même. Je laisse voir ma pensée, sans trop l'imposer. Si l'on tient à ce que je parle plus carrément, ce sera facile. [...]
Le P. Emmanuel m'a indiqué certains points comme matière de circulaires, indiquez-m'en de votre côté. Je voudrais en faire une sur l'oraison; mais ce sont des choses qui, après avoir été ruminées, doivent sortir tout d'une pièce de mon cerveau.
c)
Du P. Picard au P. Emmanuel Bailly, Les Eaux-Bonnes, le 12 juillet 1874. - Orig.ms. ACR, EN 426.
Avec les circulaire;, du P. d'Alzon, le prochain Chapitre ne pourra manquer de porter des fruits abondants.
Les deux circulaires du Père arrivent; quelle heureuse idée il a de nous tracer ainsi des règles et une direction. Le Chapitre prochain sera bien plus pratique et portera de plus grands fruits.
d)
Du P. Picard au P. d'Alzon, Les Eaux-Bonnes, le 14 juillet 1874.-Orig.ms. ACR, EN 322.
Le P. Picard a reçu la 5e circulaire du P. d'Alzon consacrée à l'oraison. Il se félicite de la netteté des principes posés mais estime qu'il faudrait aussi tracer quelques règles pratiques.
Vos circulaires nous font grand bien. Quelle heureuse idée vous avez eue ! Si cela ne vous fatigue pas trop, continuez à fixer ainsi par écrit l'esprit et les principes de l'Assomption. Dans la dernière circulaire, après avoir conclu à la nécessité pour les religieux de devenir des hommes d'oraison, vous nous posez la question : Êtes-vous des hommes d'oraison ? Il est incontestable qu'il y a là une lacune énorme chez nous. Les principes sont nets, bien arrêtés; vous pouvez compter, je crois, sur un dévouement absolu; mais peu de religieux savent prier. Peut-être serait-il bon de tracer une méthode et d'y former au noviciat sans pourtant l'imposer ensuite. Pour la plupart des esprits, la paresse spirituelle trouve plus de place au temps de l'oraison que Notre-Seigneur et les grandes vérités. Sainte Thérèse avait besoin d'un livre souvent et nous croyons pouvoir nous en passer toujours, même au noviciat. Les novices ne devraient-ils pas tous les jours faire le compte-rendu écrit de leur méditation ? C'est une idée que je me permets de suggérer. Le Directoire, les Règles établissent les points de vue généraux ; il serait bon peut-être de tracer quelques règles pratiques (quelques détails) en tête des méditations que vous avez la bonté de préparer. Peut-être même pourriez-vous en faire l'objet d'une circulaire ?
e)
Du P. Hippolyte Saugrain au P. d'Alzon, Paris, le 11 juillet 1875. -Orig.ms. ACR, 0V 56.
Après la découverte en juin 1875 de faits regrettables dont le noviciat du Vigan avait été le théâtre à l'insu des supérieurs, le P. d'Alzon rédige un projet de circulaire sur les devoirs des supérieurs, qui n'est communiqué qu'à quelques religieux. Le P. Saugrain, l'ancien maître des novices du Vigan, l'accepte en toute humilité.
La circulaire n° 9 m'a été remise. [...] Je me suis fait un devoir de la lire attentivement. Elle est claire, nette et si elle avait besoin de mon approbation, elle lui serait acquise d'autant plus qu'elle redresse certains écarts ou mieux certaines illusions sur la manière d'exercer le gouvernement de la Congrégation. Petit à petit, la législation se fait plus pratiquement. [...] Que le Supérieur ait la possibilité de gouverner sa maison en ne faisant pas le travail de plusieurs, c'est, je crois, une première condition pratique. [...] La circulaire n° 9 est parfaitement mon procès; c'est en cela que je la reconnais bonne et comme devant faire partie des lois de la Congrégation.
f)
Du P. Picard au P. d'Alzon, Allevard, le 15 juillet 1875. - Orig.ms. ACR, EN 478.
La rédaction de la circulaire du P. d'Alzon sur les devoirs des supérieurs n'était pas définitive. Il avait laissé une grande marge et invitait ses correspondants à lui faire part de leurs observations. Le P. Picard trouve les idées du P. d'Alzon excellentes mais lui demande en toute simplicité d'en changer le ton. Le P. d'Alzon refera la circulaire qui, ainsi retouchée, sera adressée à tous les supérieurs particuliers.
J'aborde maintenant la circulaire. Les idées en sont excellentes mais le ton est fâcheux. On sent trop l'émotion si légitime qui a tout dicté. Sans doute il importe de couper court à tout mal; mais il ne faudrait pas généraliser des faits isolés et croire qu'un système est mauvais parce qu'il ne prémunit pas contre tous les abus. Votre circulaire ne serait pas exécutée et dans la suite elle pourrait fausser l'esprit de l'Assomption ou plutôt servir de prétexte à des mesures absolument contraires à l'esprit que vous avez tenu avec raison à nous donner. Si la méthode que vous développez devait être la nôtre, il faudrait se faire Jésuites. Encore les Jésuites parviennent-ils à éviter tous les abus ? N'y a-t-il jamais de désordres ? Quand l'inquisition veut trop empiéter sur la responsabilité ou la conscience, le vice se cache mieux, il ne disparaît pas pour cela. Je vous demanderai donc en toute simplicité de changer tout à fait le ton de la circulaire, de ne pas parler de changement du système général ; mais de rappeler l'importance pour chacun de nous, la nécessité même de changer de système particulier; de ne pas confondre la vigilance avec l'inquisition, la charité avec la faiblesse, la franchise avec le droit de tout dire et de tout faire et le devoir de tout cacher lorsqu'on n'a pas la charge de le révéler.
4
Extraits de lettres du P. d'Alzon montrant son souci de la sanctification de sa congrégation (1874-1878)
a)
A Mère Correnson, Nîmes, le 27 novembre 1874. - Orig.ms. ACOA; T.D. 30, p. 245-246.
Le P. d'Alzon propose à Mère Correnson et aux Oblates la mission spéciale d'obtenir de Dieu, par leurs prières, leurs pénitences, leurs communions et leurs bonnes œuvres, de saints missionnaires pour l'Assomption.
Depuis quelque temps, je suis préoccupé de donner aux Oblates une mission plus spéciale par rapport aux religieux et aux œuvres de l'Assomption. Or, en lisant dans les Études du P. Danzas sur les temps primitifs des Dominicains, ce qu'il dit sur le bienheureux Jourdain de Saxe, je trouve qu'il avait fondé à Bologne le couvent de Sainte-Agnès destiné surtout à obtenir des vocations à l'ordre de Saint-Dominique. Il écrit sans cesse à la bienheureuse Diane, supérieure de ce couvent, pour lui apprendre les recrues qu'il a faites, grâce, dit-il, aux prières de ses filles. Il la conjure de continuer en même temps de remercier Dieu de tous les novices qui prennent l'habit. Pourquoi ne vous proposeriez-vous pas un but semblable ? Car si vous avez été fondées pour être nos auxiliaires dans les missions, vous devez demander pour nous de saints missionnaires, et si par vos prières, vos pénitences, vos communions, vos bonnes œuvres, vous toutes, mes filles les Oblates, vous établissez avec nous de plus intimes liens de famille, ne peut-on pas espérer que Dieu en sera glorifié ? Ceci me préoccupe depuis quelque temps. Ce que je vous dis est un germe. S'il vient de Dieu, il se développera peu à peu et donnera de grands fruits, grâce à la bénédiction d'en-haut.
b)
Au P. Remy Commun, Nîmes, le 5 septembre 1878. - Orig.ms. ACR, AK 358; T.D. 33, p. 263.
Priez beaucoup pour la sanctification de tous les membres de notre petite famille religieuse. Quelques saints feraient beaucoup plus que des milliers de religieux médiocres.
c)
Au P. Picard, Lavagnac, le 3 octobre 1878. - Orig.ms. ACR, AF 296; T.D. 26, p. 252.
Depuis plusieurs années le P. d'Alzon désire pouvoir se consacrer exclusivement à l'Assomption. Au moment où il écrit la lettre dont nous citons un extrait, il a donné sa démission de vicaire général et sa décision est irrévocable. Il va pouvoir employer toutes ses forces à l'animation de sa congrégation et d'abord à la sanctification de ses membres.
Je crois que pour nous, le grand travail de l'année prochaine doit consister surtout dans la sanctification des âmes qui nous sont confiées, de nos religieux d'abord, des alumnistes ensuite, enfin de tout ce qui ressort de la famille de l'Assomption. Si nous faisons beaucoup de bien à beaucoup d'âmes, il est impossible que Dieu ne nous bénisse pas. Il faut agir, mais pour faire des saints et en poussant des âmes saintes à nous servir d'instruments. Je suis frappé ces jours-ci de ces deux mots : l'Eglise et l'Assomption : tout est là pour nous.
5
Avant-propos des "Sujets de méditation sur la vie religieuse à l'Assomption", rédigé par le P. d'Alzon en 1878-1879. - Orig.ms. ACR, BH 1; Méditations destinées aux Augustins de l'Assomption, p. 7, Paris, 1903 (= T.D. 10).
Désireux d'aider ses religieux et spécialement les plus jeunes "à devenir de vrais Augustins de l'Assomption", le P. d'Alzon reprend et développe à leur intention des notes accumulées au cours des ans dans ses dossiers et ses cahiers. Il met ainsi à leur disposition les richesses spirituelles acquises, sous la lumière divine, dans la prière, la réflexion et l'action apostolique.
Je voudrais, si Dieu m'en laisse le temps, déposer dans ces cahiers mes pensées principales sur l'Assomption et son œuvre.
J'ai déjà écrit des notes, des circulaires, des sujets de retraite: il me paraît n'avoir pas tout dit, ni bien dit. Dirai-je mieux ? Je le demande bien instamment à Notre-Seigneur et à la Sainte Vierge.
On trouvera, dans les deux cahiers que j'inaugure, et dans le portefeuille noir, tout ce qui me semble le plus important. Je n'y mettrai pas l'ordre nécessaire, au moins l'ordre des sujets. J'ai prêché plusieurs retraites uniquement sur des notes très courtes. Sans donner à ces plans la proportion d'un sermon, il me semble utile de prendre les plus importants et de les développer, de façon à rendre leur méditation plus facile à des commençants. Puis ces développements auront" l'avantage de dire ce qui n'est pas propre à tous les religieux, mais ce qui convient mieux à notre famille. Si, en se servant de ces indications, les maîtres des novices peuvent communiquer aux jeunes gens qui leur sont confiés ce qui les rendra aptes à devenir de vrais Augustins de l'Assomption, mon but sera atteint.
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1. Orig.ms. ACOA; T.D. 30, p. 49-50. I
2. Sur l'activité du P. d'Alzon en tant qu'animateur spirituel de la congrégation des Assomptionnistes pendant les dix dernières années de sa vie, voir VAILHE, Vie, II, p. 674-697 et A. SAGE, Un maître spirituel, p. 140-198.
3. Procès-verbaux originaux des Chapitres ACR, C 31, p. 113-114.
4. Ibid., p. 125.
5. Sur ces méditations voir notamment Un maître spirituel, p. 156-160. Elles ont été éditées par le P. E. BAUDOUY sous le titre E. D'ALZON, Méditations sur la perfection religieuse, 2 vol., Paris 1925 et 1927 (= T.D. 11).
6. Ces 11 circulaires dont les manuscrits originaux sont conservés (ACR, CP 38-48), furent immédiatement lithographiées. Elles ont été publiées dans E. D'ALZON, Circulaires aux religieux de l'Assomption, Paris, 1912, p. 73-201 (= T.D. 14).
7. Procès-verbaux originaux des Chapitres ACR, C 31, p. 157-187.
8. Voir Premières Constitutions, p. 219 et Un maître spirituel, p. 176.
9. Procès-verbaux des Chapitres ACR, C 31, p. 188 bis.
10. Sur la question de l'union avec les Ermites de saint Augustin, voir VAILHE, Vie, II, p. 267-273 et 701-708 ainsi que supra, XII B.
11. Présentation de ces méditations dans les Ecrits spirituels, p. 306.
12. Un maître spirituel, p. 154.