CHAPITRE XXI
LE P. D'ALZON DEFENSEUR DES DROITS DU SAINT-SIEGE
(1859 - 1870)
L'alliance de l'Empire avec le Piémont annonçait pour la papauté et pour l'Eglise des temps difficiles. L' "affaire d'Italie", comme on disait alors, peut, avec le recul du temps, paraître relativement simple dans sa formulation. Il s'agit d'un conflit de deux droits : celui de la papauté à garder ses Etats, au nom d'une possession légitime; celui de l'Italie à réaliser son unité, au nom d'un droit naturel difficilement contestable. Mais, par-delà le conflit de droits, il y avait un conflit plus grave portant sur une conception radicalement différente de la société, l'une chrétienne et surnaturelle, l'autre laïque et anticléricale.
En effet, en face de la menace qui pèse sur ses Etats, et donc sur son indépendance, - d'autant que le Piémont, qui veut faire l'unité de l'Italie à son profit, a un gouvernement anticlérical, - Pie IX est décidé à ne rien céder de ses droits et à maintenir la permanence d'un Etat chrétien comme idéal pour une société politique en voie de laïcisation. Aussi bien, va-t-il prendre position, et sur le plan des faits, par la défense de ses Etats, et sur le plan doctrinal, par l'Encyclique Quanta cura et le Syllabus. Il peut compter sur l'opinion catholique en France, mais, à le suivre, la position est difficile à tenir pour n'être que religieuse, dans un conflit qui demeure politique.
Dans ce contexte, le P. d'Alzon opte pour le service du Pape, sans peur de se compromettre ou d'être compromis, évitant les querelles de personnes, préférant la pétition à l'émeute, mais peut s'exposer aux rapports de police et aux poursuites administratives et judiciaires. Et nous pouvons dire que le Syllabus demeure pour lui un point de référence dans une recherche à poursuivre.
La documentation des Archives de l'Assomption se double d'une autre qui provient soit des Archives départementales du Gard (Séries 6 M 735, 948, 1142 et 1 V 14), soit des Archives nationales (Série F 19 5835, Police des Cultes, Gard). Il importe d'éclairer l'une par l'autre ces deux sources d'information qui se recoupent à propos des mêmes faits dont nous allons présenter le déroulement historique, en référence aux événements qui se passent en Italie.
1. Prise de position dès le début de l'affaire d'Italie, 1859-1860. -
Il importe dès le départ de rappeler que l'attitude du P. d'Alzon vis-à-vis du gouvernement de Napoléon III n'était pas une attitude d'hostilité déclarée; seulement, il ne voulait pas d'entraves dans les œuvres auxquelles il se dévouait. Le gouvernement redoutait son influence dans un département où survivaient les attaches à la royauté légitime et l'opposition religieuse entre catholiques et protestants (v. infra 1). C'est pour cela que le préfet du Gard s'était opposé à sa nomination de vicaire général auprès du nouvel évêque, Mgr Plantier (v. infra 7 b). Dès que la France intervient aux côtés du Piémont, il voit le danger qui pèse sur le Pape et la liberté de l'Eglise, et en appelle au pouvoir de la prière (v. infra 2). Lorsque les Romagnes, débordant les accords politiques, se rattachent au Piémont, le Pape Pie IX élève une protestation, le 26 septembre 1859, que publie Mgr Plantier pour son diocèse : le P. d'Alzon le remercie de son courage (v. infra 3) et, le 7 novembre, Pie IX adresse à Mgr Plantier un bref élogieux pour lui et ses diocésains. A cette occasion, Louis Veuillot fait savoir au P. d'Alzon que rien ne peut être plus utile qu'une adresse de protestation et de fidélité au Saint-Siège : "On le désire à Rome et on en sera consolé" (EC 45). Le préfet du Gard, dès que le texte circule et recueille des signatures, écrit que "M. d'Alzon est désigné comme le rédacteur de l'adresse" et que "Monseigneur a paru satisfait qu'une manifestation eût eu lieu en faveur du Pape" (6 M 948). Mais l'évêque écrit à ses prêtres : "Nous avons été d'autant plus heureux de cette démonstration, qu'étrangère à toute inspiration politique, elle est partie tout entière des saintes tristesses de la piété filiale." Mais, "pour rester dans les bornes d'une stricte légalité, je vous prie d'en suspendre le mouvement."
Cela n'empêcha pas Mgr Plantier, par une lettre pastorale du 5 janvier 1860, de prendre nettement position contre la thèse de La Guéronnière dans sa brochure anonyme : Le Pape et le Congrès, disant, en accord avec Napoléon III, que "plus l'Etat sera petit, plus le Pape sera grand"; - "monument insigne d'hypocrisie et tissu ignoble de contradictions", déclare le Pape Pie IX, qui élève une protestation par son Encyclique Nullis certe verbis, du 19 janvier 1860. L'Univers de Louis Veuillot est supprimé pour l'avoir publiée, mais, à Nîmes, les maîtres et les élèves du collège de l'Assomption, le clergé et les fidèles du diocèse et, de nouveau, Mgr Plantier, reçoivent du Pape Pie IX des lettres de remerciements, les 4 février, 16 et 24 juin 1860 (v. infra 5), pour toutes leurs marques de sympathie, de protestation et de fidélité, devant "les malheurs et les afflictions qui Nous frappent par l'effet de l'hypocrisie et de l'impudence de plus en plus manifeste de ces hommes qui ne suivent d'autres règles que leurs propres intérêts [... et] préparent la destruction de tout pouvoir légitime."
2. Tracasseries administratives et judiciaires pendant la constitution du royaume d'Italie, excepté Rome et le Latium (1860-1864). -
Menacé en France devant l'opinion publique par une opposition libérale et démocratique, le gouvernement impérial ne pouvait rester indifférent devant l'hostilité des catholiques pour sa politique en Italie. Une manœuvre de diversion consistait à inculper les milieux les plus actifs d'attitude réactionnaire, en liant ultramontanisme et légitimisme; c'est du moins ce qui ressort des dossiers de police des Archives du Gard et des Archives nationales.
Serviteur du pouvoir qui l'a mis en place, le préfet du Gard, en accord avec le ministre de la Justice, fait surveiller les prédications, en se référant à la loi de 1810, d'après laquelle tout prêtre qui, dans l'exercice de ses fonctions, attaque le gouvernement, est passible de la prison ou de l'exil. Au courant de la circulaire ministérielle, Mgr Plantier et 55 de ses prêtres adressent au ministre une réplique énergique rédigée par le P. d'Alzon (AU 120). Accusé de faire pression sur l'évêque, par un prédicateur plus timide, le P. d'Alzon s'estime seulement "le plus heureux des grands vicaires de France, d'avoir un évêque qui a le courage de son opinion", mais lui-même "n'a pas l'habitude de reculer devant ses actes" (v. infra 6).
De fait, la police est présente, pendant la station de carême de 1861, soit à la cathédrale, soit à l'église Saint-Charles où parle le P. d'Alzon. Prêchant la parole de Dieu, on l'accuse de s'attacher à la politique en des termes qui peuvent irriter les protestants; il ose parler du martyre qu'ont subi plusieurs Papes, sous divers souverains : "M. d'Alzon a même ajouté que, du train où allaient les choses, Pie IX pourrait bien mourir martyr... On nous accuse, l'épiscopat et le cléricat, de faire de l'intrigue et de l'esprit de parti; nous défendons l'Eglise menacée." (6 M 735).
Les notes manuscrites (CR 163-178; T.D. 45, p. 258-307) et les notes d'audition (GO 1 et 2) de ce carême en l'église Saint-Charles témoignent que si le P. d'Alzon n'avait pas peur d'émailler sa prédication d'allusions aux faits contemporains, - ce que relève de préférence la police, elle était avant tout la présentation du mystère de l'Eglise : dans la Parole de Dieu, dans la Tradition, dans le Magistère, dans la foi du Peuple chrétien, dans la mort et la résurrection du Christ. A l'exemple de Marie, qui malgré l'immensité de ses douleurs répétait au pied de la croix son Magnificat, l'Eglise, jaillie toute pure de la plaie du cœur de Jésus, ne cesse, au milieu de ses épreuves et sûre de son triomphe, de dire : "Mon âme glorifie le Seigneur" (T.D. 45, p. 306-307).
Mais à Nîmes, il avait osé dire : "Il faut dédommager Dieu des grands brigandages par de grands dévouements." Et au Vigan, le 2 août : "Vous catholiques, vous êtes les citoyens d'un empire universel, et non pas seulement les citoyens de cet empire que vous avez vu naître et que vous verrez peut-être bientôt crouler comme tant d'autres." Au préfet du Gard qui lui transmet de tels propos, le ministre des Cultes répond: "Les relations du gouvernement avec l'autorité épiscopale ne nous permettent pas d'agir auprès de Mgr Plantier pour obtenir la répression de ces écarts de langage" (F 19, 5835).
En juin 1861, le P. d'Alzon ose tenter une candidature au Conseil général de l'Hérault, parce qu'on "aimerait voir les principes religieux toujours debout". C'est un échec; mais là encore, les préfets du Gard et de l'Hérault transmettent l'initiative comme un signe évident de collusion de l'ultramontanisme et du légitimisme, dont le P. d'Alzon serait l'artisan (v. infra 7).
Vers la fin de l'année, les manœuvres gouvernementales déplacent leur action en suspectant les Conférences de Saint-Vincent de Paul, l'Association de Saint-François de Sales et même tous les établissements religieux de Nîmes "d'esprit clérical et ultramontain, et de légitimisme politique" (6 M 735).
Mgr Plantier, en tournée pastorale, par lettre au ministre des Cultes, protesta contre de telles allégations. A son retour à Nîmes, il fut accueilli par les fidèles et le clergé à la cathédrale; mais c'est dans les salons de l'évêché que le P. d'Alzon, au nom de toute l'église de Nîmes, le remercie de ce nouvel acte de courage (v. infra 8 a). Ces faits, présentés de façon tendancieuse, peut-être par un attaché de la préfecture, dans le journal Le Monde, provoquèrent une tempête dans la presse gouvernementale et des poursuites judiciaires contre l'évêque et son vicaire général, qui finit par une ordonnance de non-lieu (v. infra 8 c). Il en fut de même à propos de la protestation que le P. d'Alzon éleva contre l'acte du préfet supprimant à Nîmes l'Association de Saint-François de Sales (v. infra 9). "Nous respectons les ordres de la police, déclare le P. d'Alzon en l'église Saint-Charles, le 16 février, et, tant que nos églises ne subiront pas le sort des églises catholiques de Varsovie et ne seront point fermées, nous continuerons de nous y réunir. Le mois de mai prochain, 24 saints vont être canonisés, quoiqu'ayant été légalement condamnés par les lois du pays où ils ont enduré le martyre, et pourtant nous les placerons sur nos autels" (F 19 5835).
En effet, le Pape Pie IX, à l'occasion de la canonisation des martyrs japonais, provoque un grand rassemblement des catholiques du monde entier à Rome même. Le lendemain de la cérémonie, il prononce en Consistoire l'allocution Maxima quidem, annonce de la prochaine Encyclique Quanta cura, suivie du Syllabus. Le diocèse de Nîmes voulut être présent à cette manifestation : le 19 mai 1862, Mgr Plantier, le P. d'Alzon et 67 prêtres nîmois partent pour Rome. La police est présente pour constater qu' "une foule considérable d'hommes et de femmes se sont échelonnés le long du viaduc, jusqu'au chemin d'Avignon, sur les terrasses, aux croisées, sur les murs, et agitaient, les femmes leur mouchoir, les hommes leur chapeau. L'évêque y répondait en donnant sa bénédiction" (1 V 14).
Vers la fin de l'année, l'administration préfectorale autorise la représentation du drame d'Emile Augier : le Fils de Giboyer, qui jetait l'outrage et la dérision sur les catholiques et Louis Veuillot. Le P. d'Alzon prévoit l'émeute et recommande le calme. "Il y a, écrit-il dans l'Opinion du Midi, un moyen meilleur que le sifflet pour protester contre l'insulte, c'est de couper les vivres aux insulteurs", et il suggère l'idée d'une pétition pour demander la suppression de la subvention accordée par le Conseil municipal au théâtre où serait donné le drame. Cet article vaut au journal un avertissement, daté du 5 janvier 1863; le P. d'Alzon assume sa responsabilité en écrivant immédiatement au ministre de l'Intérieur, le 9 janvier : "L'opinion universelle est que l'avertissement avait pour but d'atteindre moins une lettre parfaitement inoffensive que mon nom et, derrière mon nom, l'évêque dont j'ai l'honneur d'être le grand vicaire. Personne ici ne s'y est mépris." - Le ministre de l'Intérieur, qui reçoit le dossier de l'affaire, ne peut que couvrir l'autorité du préfet du Gard, mais n'ose sévir contre le P. d'Alzon et encore moins contre l'évêque de Nîmes (F 19 5835).
3. De la publication du "Syllabus" à la prise de Rome (1864-1870). -
Dans la période précédente, le gouvernement impérial avait laissé faire Garibaldi et les siens en Italie. Par la convention du 15 septembre 1864, sans que le Saint-Siège fût consulté, le Piémont s'engageait à respecter le dernier lambeau du territoire pontifical, et la France à retirer, dans les trois ans, la présence de ses armées à Rome. C'est alors qu'en 1867, après la défaite de l'Autriche l'année précédente, Garibaldi pénètre dans l'Etat pontifical mais il est arrêté à Mentana, et les troupes françaises sont maintenues à Rome sine die.
A Nîmes, ces événements ont pour répercussion d'intensifier l'aide entreprise précédemment pour fournir au Saint-Siège des fonds et des défenseurs. En effet, dès juin 1860, le P. d'Alzon ne s'oppose pas au départ de son neveu dans l'armée de Lamoricière, défait à Castelfidardo (v. infra 4 a). En juillet 1866, il conseille à son petit-cousin, qui lui a demandé son avis, de partir, s'il a l'accord de ses parents et la vocation du martyre. Il devait mourir le 20 septembre 1870, enseveli sous les ruines du rempart de la Porta Pia (v. infra 4 b). Après la défaite de Mentana, en novembre 1867, par mandat de Mgr Plantier, il adresse une circulaire au clergé du diocèse pour l'informer qu'un Comité diocésain du Denier de Saint-Pierre, œuvre fondée à Lyon, s'est mis en place "sous sa présidence" : "Le Pape a besoin d'hommes, d'argent, de tout" (AO 123; T.D. 40, p. 21-23). - Afin d'assurer aux volontaires du Gard pour les Zouaves pontificaux les services religieux, il demande au P. V. de P. Bailly, avec l'accord de l'évêque de Nîmes, de les accompagner comme aumônier, sacrifiant de son avoir pour maintenir la présence de ce religieux au service de l'armée pontificale, de novembre 1867 à avril 1869 (v. infra 11).
Mais l'acte le plus important de la part du Pape Pie IX, en toute cette affaire, demeure la publication de l'Encyclique Quanta cura, suivie du Syllabus. C'est une prise de position sur le fond du problème, au-delà des faits historiques et des données juridiques. Le moment lui semble venu de dire ce que l'Eglise pense des fameuses "libertés modernes", que le public reconnaîtra être les principes mêmes de la Révolution française. L'acte doctrinal risque de diviser l'opinion catholique et de rejeter dans le conservatisme réactionnaire les partisans d'un tel document. Le P. d'Alzon accueille le Syllabus et s'efforce à le comprendre et à le présenter comme un point ferme de référence dans une recherche à poursuivre, étant donnée l'évolution irréversible du monde politique vers la démocratie, et l'intervention des masses laborieuses, dans le contexte social. Le droit de grève et la première Internationale datent aussi de 1864, sans parler de la franc-maçonnerie, de plus en plus agissante et aux positions nettement anticléricales.
Devant ses religieux réunis en Chapitre général, le P. d'Alzon pense qu'une Congrégation apostolique, qui doit servir la mission de l'Eglise, ne peut être indifférente au mouvement social et politique (Ch. XIX, 7 b). "Une fois les réserves faites par le Syllabus, écrit-il à ses religieux, il importe de voir quelle doit être "la position à prendre par l'Eglise, vis-à-vis des sociétés qui s'en vont" et "l'initiative de l'Eglise envers la démocratie qui s'avance" (v. infra 10). C'est donc l'amour de l'Eglise, à la mesure même des contradictions et des épreuves qu'elle traverse, qui préoccupe le P. d'Alzon, sous les termes ambigus de révolution et de contre-révolution, qui apparaissent dans ses écrits.
Prêchant à la cathédrale de Nîmes, le 28 janvier 1867, il déclare : "La société divine est attaquée par la plus complète révolte qui se soit manifestée depuis mille huit cents ans; je dis qu'il n'y a plus que deux positions, ou catholique, ou révolutionnaire..." (T.D. 47, p. 12-15).
Lors d'élections au Conseil général du Gard, en août 1867, il reproche aux électeurs catholiques, non pas tant d'avoir voté pour un candidat gouvernemental, mais d'avoir cédé à l'effacement des principes pour la promotion d'intérêts. "Les catholiques peuvent se relever de l'échec qu'ils se sont, quoi qu'on en dise, infligé à eux-mêmes, écrit-il, à trois conditions : la première est le retour aux vrais principes catholiques; la seconde, la résolution de profiter hardiment et sans arrière-pensée de toutes les armes que la société moderne leur met en mains; la troisième, une organisation forte et toutefois légale" (lettre saisie par la police avant sa publication. - F 19 5835).
En décembre 1868, il prêche l'Avent en l'église Saint-Charles. Il traite successivement de la démocratie dont on doit se demander si elle sera athée ou chrétienne, et de la révolution qui balaye tous les trônes : "En face de tout ce qui a été fait au nom des droits de l'homme, dit-il, je voudrais une association qui s'occupât de combattre pour les droits de Dieu." Là encore, la police est présente, comme en témoignent les lettres échangées entre la préfecture et les divers ministères (F 19 5835). "M. d'Alzon abuse de la patience publique, écrit le procureur général au ministre de la Justice; il n'est déjà guère pris au sérieux par les hommes sages de tous les partis. Malheureusement, les masses l'écoutent et l'écouteront encore longtemps. [...] Le remède à ces abus n'est pas facile à indiquer. [...] Je veux espérer qu'avec le temps, le public fera mieux et plus utilement justice d'aussi déplorables excès" (ibid.).
L'attitude du P. d'Alzon, toute d'indépendance apostolique, s'éclaire à la lumière de ces paroles prises dans sa prédication de carême aux collégiens de Nîmes sur les Actes des Apôtres, en 1868 : "Une des grandes fautes du catholicisme, c'est de rester dans la béatitude du silence, de ne pas assez savoir se faire rendre justice. Quand on a, comme saint Paul, le courage d'affronter les verges, on a également le courage de se poser comme catholique, on a le courage de faire valoir ses droits de citoyen. [...] Ce qui manque à l'Eglise pour la défendre, ce sont surtout de grands et magnifiques caractères" (T.D. 50, p. 341-361) (1).
1.
Extraits de la lettre de Mère M. Eugénie au P. d'Alzon, Paris, le 23 janvier 1856. - Orig.ms. ACRA, lettre n° 2523.
Le P. d'Alzon n'était pas sans savoir que le gouvernement impérial pouvait avoir quelques griefs contre lui. Il eut l'occasion de faire savoir au gouvernement quelle était son attitude, par l'intermédiaire de Mère M. Eugénie s'adressant à M. de Morny, demi-frère de l'Empereur et président du Corps législatif. - Après son entrevue, Mère M. Eugénie écrit au P. d'Alzon :
Je suis allée hier chez M. de Morny. [...] Il m'a très bien reçue. [...] J'ai pu, à propos de notre autorisation, lui parler du cas où vous demanderiez la vôtre et lui tenir le discours que vous désiriez que je fisse. Il l'a très bien accueilli, m'a dit qu'il parlerait de cela à M. Baragnon, et a été tel que vous pouvez ensuite de cette conversation entrer plus tard en rapport avec lui et donner toutes les explications que vous voudrez. J'ai dit les deux choses que vous m'aviez indiquées, votre influence pour chercher à rendre populaire la guerre de Crimée et pour faire nommer le candidat du gouvernement aux dernières élections, et le reproche que vous avaient fait vos amis, de briser l'action légitimiste dans le département du Gard. J'ai dit que, cependant, vous aviez lieu de penser que dans les employés du pouvoir il y avait des préventions contre vous, que je ne pouvais me les expliquer que parce qu'on vous reprocherait d'avoir trop de zèle vis-à-vis des protestants, mais que vous étiez prêtre et que c'était ce zèle de prédication et de bonnes œuvres qui vous rendaient si puissant sur les catholiques; que, ne voulant pas être évêque, vous ne voudriez pas qu'on vous mît des entraves dans les œuvres auxquelles vous vous dévouez. Je vais charger M. de Balincourt de dire dans le monde à M. de Morny qui vous êtes et quelle est votre influence. Il paraît bien aise qu'on lui parle de choses qui se rattachent ainsi à son influence politique plus qu'à son côté d'homme d'affaires. Il a très bien écouté tout cela. Je suis très contente, mon cher Père, d'avoir pu le lui dire comme je le désirais.
2
Extraits d'une lettre du P. d'Alzon aux Adoratrices du Saint-Sacrement, datée de Lamalou, le 3 mai 1859. - Orig.ms. ACR, AN 134; T.D. 39, p. 25-28.
L'intervention de la France aux côtés du Piémont contre l'Autriche est imminente. Le P. d'Alzon écrit aux Adoratrices du Saint-Sacrement pour les alerter des conséquences qui pourraient s'ensuivre pour l'Eglise, et les inviter à la prière.
Dans ces moments, mes chères filles, le rôle des âmes qui sentent le bonheur d'être victimes est bien beau : elles continuent l'oeuvre de Notre-Seigneur sur la croix. Eh bien ! laissez-moi vous le dire, voilà le moment de redoubler de ferveur et de vous offrir plus entièrement à Dieu.
Que deviendra le pape, que deviendra la liberté de l'Eglise, au milieu des agitations qui commencent, mais dont nul ne peut prévoir la fin ? Evidemment, il y a d'affreux projets, et ceux qui croient mener le train des affaires ne sont que les instruments aveugles d'un pouvoir supérieur; mais au-dessus de tout il y a Dieu qui s'est laissé fléchir, il y a dix-huit cents ans, par le sang de son Fils répandu sur la croix : et Dieu, avant de donner aux armées le pouvoir de vaincre et aux diplomates la science des protocoles, a enseigné aux chrétiens la science et le pouvoir de la prière. Je vous conjure, mes chères filles, de prier en union avec Notre-Seigneur attaché à la croix, de prier en acceptant et en appliquant tous les enseignements de la croix, de vous faire plus que jamais victimes, de telle sorte [que], pour votre part, vous puissiez dire que vous aimez l'Eglise et que vous faites tout ce qui dépend de vous pour la traiter comme une bonne mère.
3
Extraits de l'adresse du P. d'Alzon à Mgr Plantier, 6 novembre 1859. - Cop.ms. ACR, CQ 239; T.D. 43, p. 104-105.
Devant le fait que les Romagnes sont passées au Piémont, Pie IX, dans l'allocution consistoriale du 26 septembre 1859, fit entendre une protestation. Le 4 novembre, Mgr Plantier publia pour son diocèse le discours du Pape, dans une lettre pastorale. Le clergé de la ville se rendit à l'évêché et, au nom de tous, le P. d'Alzon le remercie de son courage.
L'unanimité des cœurs catholiques s'est unie à la voix de leur Père commun. Les évêques se font entendre à leur tour. [...] Vous aussi, Monseigneur, vous avez voulu faire retentir votre appel. [...] Nous venons donc vous dire, non pas seulement en notre nom, mais au nom de tous les prêtres de votre diocèse, dont nous ne craignons pas d'interpréter les voeux, qu'insulter notre Mère c'est nous la rendre mille fois plus chère, s'il est possible, c'est du moins nous faire sentir combien notre amour pour elle est profondément enraciné dans nos coeurs. [...] Nous prierons, Monseigneur, avec toute l'ardeur que vos paroles ont allumée dans nos âmes, nous prierons avec compassion et terreur pour les ennemis qui meurtrissent et déchirent le sein maternel, mais nous prierons avec une inébranlable espérance parce que les cris de l'Eglise opprimée ou trahie ont toujours été, depuis dix-huit siècles, le prélude assuré d'un chant de victoire sur ses plus incapables ennemis. Que nous serions heureux, Monseigneur, si vous vouliez bien faire parvenir jusqu'aux marches de la chaire éternelle cette humble et filiale expression de notre foi et de notre amour envers celui qui l'occupe avec une si héroïque, si patiente et si sereine majesté.
4
Extraits de deux lettres du P. d'Alzon à deux jeunes gens de sa parenté, engagés dans la défense des Etats pontificaux, 1860-1866
Dès que les Etats pontificaux furent menacés, des jeunes gens s'offrirent à servir la cause du Pape. Un Comité diocésain fut mis en place pour fournir au Saint-Siège des fonds et des défenseurs. Sollicité par deux jeunes gens de sa parenté, le P. d'Alzon les invite à suivre librement leur générosité, et en accord avec la famille.
a)
De la lettre à Jean de Puységur. Nîmes, le 13 juin 1860. - Cop.ms. ACR, AN 140; T.D. 39, p. 46.
Devant la menace qui pesait sur les Etats pontificaux, le P. d'Alzon, consulté par son neveu Jean de Puységur, unique rejeton de sa race, l'invite à servir plutôt le Pape que l'Empereur, lui laissant la liberté de choix, comme sa mère. - Jean de Puységur rejoignit l'armée de Lamoricière et suivit son sort à Castelfidardo.
1 ° Du P. d'Alzon à son neveu
Je reçois la visite de ta mère qui m'apporte ta lettre. [...] Tu raisonnes de sang-froid, et après tout, cela vaut mieux que de l'enthousiasme. Tu sauras bien ce que tu fais. Voici ma pensée. Si les choses doivent durer et si tu ne veux rester que quelques années en service, avec tes principes et ceux de ta famille, il vaut mieux pour toi servir le Pape que l'empereur. Si les choses ne durent pas à Rome, elles ne dureront pas non plus en France. Ce sera comme en 1848 : quand les Suisses catholiques eurent été battus, la révolution fut bien vite à Paris. [...] Voilà ma conviction; je souhaite qu'elle te soit bonne à prendre un parti, mais, quel que soit celui que tu prennes, je veux te dire que je suis très content d'avoir un neveu qui raisonne si bien.
2° De Mme de Puységur à son fils, sur la même lettre
Je vais repartir pour Montpellier, d'où je t'écrirai demain. Réfléchis surtout à ce que te dit ton oncle. Tiens-toi prêt à partir, si tu veux. Je te donnerai demain des explications. Ta pauvre tante est toujours très malade. Je t'embrasse. Marie.
b)
De la lettre à Maurice de Giry, Le Vigan, le 19 juillet 1866. -Orig.ms. ACR, AM 203; T.D. 37, p. 182-183.
En 1866, la menace qui pèse sur les Etats pontificaux est autrement sérieuse; aussi, le P. d'Alzon n'hésite pas à conseiller à son petit-cousin de rejoindre les soldats du pape, s'il a la vocation du martyre et l'accord de ses parents. - Maurice de Giry devait mourir le 20 septembre 1870, enseveli sous les ruines du rempart de la Porta Pia.
Cher ami, mon conseil sera vite donné. Dieu ne peut que bénir ton départ pour Rome. Par conséquent, si tu me consultes, je te dirai : pars. Le Pape, je le sais, voudrait voir des Français autour de lui. Castelfidardo a eu un immense effet moral. Après cela, c'est à toi de voir si tu te sens la vocation de martyr. Il est impossible que Dieu ne bénisse pas pour toute sa vie un jeune homme qui s'offre dans les conditions où tu le fais et avec les sentiments qui te poussent. Que pensent tes parents ?
Adieu, mon garçon. Tu es heureux de te sentir un peu de dévouement au coeur. Hélas ! que d'autres n'y ont qu'un peu de boue, dont on ne peut faire qu'une marmite ! Je t'embrasse bien fort. Si tu savais comme je t'aime !
5
Bref du Pape Pie IX, 16 juin 1860. - ACR, DK 267, pour copie conforme Emmanuel d'Alzon.
Emu de toutes les marques de sympathie, de protestations de fidélité qui lui venaient du diocèse de Nîmes, Pie IX, après avoir remercié par lettre du 4 février 1860 les maîtres et les élèves du collège de l'Assomption, envoie le 16 juin un Bref de remerciements aux vicaires généraux, au clergé et aux fidèles du diocèse, et, le 24 juin, un Bref spécial à Mgr Plantier. De ces trois documents, nous citons intégralement le second, où le P. d'Alzon est mentionné nommément.
A mes bien-aimés fils Emmanuel d'Alzon, Boucarut, vicaires généraux, à MM. les chanoines et curés, au clergé et aux fidèles du diocèse de Nîmes.
PIE IX, PAPE . MES BIEN-AIMES FILS, SALUT ET BENEDICTION APOSTOLIQUE.
C'est avec une joie bien sentie que Nous avons reçu la lettre que vous Nous avez écrite, dans laquelle chaque expression proteste de votre respect et de votre soumission envers Nous et envers le siège auguste de Pierre sur lequel Nous sommes assis. Vous êtes vivement affectés, mes fils bien-aimés, des malheurs et des afflictions qui Nous frappent par l'effet de l'hypocrisie et de l'impudence de plus en plus manifestes de ces hommes qui ne suivent d'autre règle que leurs propres intérêts. Ils ont, en effet, contracté alliance avec des brigands et des criminels, et ne se proposent rien moins que de pousser à la révolte toute l'Italie et de détruire à tout jamais le pouvoir temporel du Saint-Siège.
De pareils attentats qui sont commis publiquement tous les jours, sans aucune protestation, même avec l'appui puissamment menteur du suffrage universel, et sous prétexte de réaliser l'unité du peuple italien, sont soutenus et favorisés par des hommes qui, en simulant la piété et en prêchant la paix au monde, préparent la destruction de tout pouvoir légitime. Mais le Seigneur tout-puissant et tout miséricordieux assiste chaque jour son Eglise qui a déjà vu d'autres orages et surmonté des tempêtes autrement graves. Ne vous laissez donc pas abattre, fils bien-aimés; ayez confiance en Celui qui exauce continuellement les prières et les voeux de l'Eglise, et qui regardera avec miséricorde Notre affliction et la vôtre. Ne cessez de lui adresser à cette fin vos supplications et vos hommages; implorez surtout le secours de sa Très Sainte Mère Marie, la Vierge immaculée, qui a terrassé les monstres de toutes les erreurs et de toutes les hérésies.
Que la bénédiction apostolique soit le gage de notre paternelle affection pour vous; qu'elle attire sur chacun de vous, fils bien-aimés, l'abondance des grâces célestes; Nous vous l'accordons avec toute l'affection et toute l'effusion de Notre coeur.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 16 juin de l'année 1860, de Notre pontificat la quatorzième.
6
Extraits de la lettre du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, datée de Nîmes, le 26 avril 1861. - Orig.ms. ACR, AD 133; T.D. 23, p. 22-24.
Le P. d'Alzon parle à Mère M. Eugénie du prédicateur de carême à la cathédrale de Nîmes, qui l'inculpait de faire pression sur l'évêque dans ses prises de position vis-à-vis de la politique du gouvernement en Italie. Mgr Plantier a seulement le courage de ses opinions et se sent fortement appuyé par son diocèse.
Rien de ce qui viendra du P. Deplace(2) ne saurait m'étonner. La première fois du dernier carême que je le vis avec l'évêque, il conjura celui-ci de ne pas écrire de nouveau. Monseigneur manifestait devant nous le désir de répondre à La Guéronnière; moi, au contraire, je demandais que Monseigneur suivît sa veine. Ce furent mes propres expressions. A la suite d'une conversation fort vive, il finit par me dire qu'il voyait bien que j'exerçais une sorte de pression sur Monseigneur. Je vis la perfidie du trait et je lui dis : "Halte-là, Monsieur l'abbé! Monseigneur est là, et je vous prie de lui demander si jamais j'ai pesé sur lui pour aucune détermination grave. Je me suis réservé de l' applaudir, quand il ferait des actes de courage, et, quoiqu'il y ait des nuances entre lui et moi, je m'estime le plus heureux des grands vicaires de France d'avoir un évêque qui a le courage de son opinion." [...] Il fut malade. Monseigneur le remplaça trois fois. Dans les deux derniers discours, il fut aussi loin que possible, et plusieurs personnes m'assurèrent que je n'en avais jamais dit la dixième partie. La quatrième fois où M. Deplace avait besoin d'être remplacé à la cathédrale, Monseigneur était exténué. A 4 heures et demie, il me fit dire de monter en chaire à 8 heures. Le lendemain, il voulut m'entendre à Saint-Charles, et, quand je descendis de chaire, il me dit : "Vous avez été à la fois courageux et prudent". Je ménageai une petite ovation à l'évêque.
Le pauvre évêque avait un peu peur de l'abbé Deplace. Il fit sa brochure contre M. de la Guéronnière, sans en rien dire à personne, pas même à moi; mais je le sus l'avant-veille de son apparition et je me donnai le malin plaisir d'aller dîner à l'évêché et de reprocher aimablement à Monseigneur de ne m'avoir pas dit un mot de sa future circulaire. L'abbé Deplace, qui déjà ne me saluait plus et ne me parlait plus, même quand nous dînions ensemble, ouvrit de grands yeux et fut tout étonné du peu de profit que ses conseils de prudence avaient pu produire. Tous les convives eurent un curieux spectacle, l'embarras de Monseigneur et la stupeur de l'abbé. [...]
En voilà bien long et je devrais me borner à vous dire que ce n'est pas moi, mais tout le clergé et tous les catholiques qui exercent ici une pression sur l'évêque, en ce sens que Monseigneur serait peut-être moins courageux, s'il ne se sentait aussi fortement appuyé par tout son diocèse. [...] Quant au mot pression qui étonne, j'en connaissais un plus fort, M. Deplace m'a reproché en face ma domination. Est-ce ma faute, si l'évêché et tout le clergé sont ainsi à Nîmes ?
Vous pouvez dire à M. Véron que cinquante prêtres de Nîmes ont écrit à Monseigneur de Poitiers pour le féliciter, qu'environ le même nombre a écrit à M. Delangle une lettre des plus énergiques pour protester contre sa circulaire. On peut croire que je suis le provocateur de tout cela et l'on n'aurait peut-être pas tout à fait tort, mais je n'ai pas l'habitude de reculer devant mes actes.
7
Documentation relative à la candidature du P. d'Alzon aux élections du Conseil général de l'Hérault, 1861.
A la demande de quelques propriétaires, pour la première fois de sa vie, le P. d'Alzon se présente aux élections. Lui-même n'avance que des motifs religieux dans sa campagne électorale, mais les sphères gouvernementales de Nîmes, de Montpellier et de Paris s'émeuvent en voyant dans ce geste une collusion possible entre le légitimisme et l'ultra-montanisme.
a)
Proclamation du P. d'Alzon adressée aux électeurs, Montpellier, le 9 juin 1861. - Orig.impr. ACR, AP 157; T.D. 40, p. 290.
Le P. d'Alzon accepte le mandat qui lui est confié, comme une manifestation de la foi des électeurs, que semblent nécessiter les circonstances présentes.
Je viens réclamer vos suffrages pour les élections prochaines, où vous aurez à choisir un nouveau membre du Conseil général de l'Hérault. Ma démarche est une réponse à l'appel qui m'a été fait par un certain nombre de vos plus honorables concitoyens. S'il se fût agi de combinaisons politiques, j'eusse demandé à rester dans la sphère de mon ministère sacré, où assez de devoirs réclament tout le temps et toute l'indépendance du prêtre; mais on veut bien me dire que je puis, par ma candidature, vous fournir l'occasion de montrer qu'au-dessus des rouages de l'administration, dont le Conseil général a le contrôle, vous aimez à voir les principes religieux toujours debout. Le choix que vous feriez de moi serait une manifestation de votre foi, que semblent nécessiter les circonstances présentes.
Tel est, Messieurs, le motif qui me rendrait heureux de voir mon nom favorablement accueilli par les électeurs du 2e canton de Montpellier.
b)
De la lettre du préfet du Gard au préfet de l'Hérault, 9 juin 1861
Sur la demande du préfet de l'Hérault, le préfet du Gard présente l'abbé d'Alzon en ces termes :
M. d'Alzon, vicaire général de Nîmes, qui se porte comme candidat au Conseil général de l'Hérault pour le 2e canton, est très intelligent et très instruit. Il est un homme du monde et de relations fort agréables. Mais ses opinions sont au plus haut degré légitimistes et ultramontaines. M. d'Alzon est très dangereux; il l'est d'autant plus qu'il est très entraînant, inflexible dans ses principes qu'il cherche à faire triompher par tous les moyens possibles. J'avais transcrit ces renseignements au gouvernement à l'occasion de la nomination de M. d'Alzon aux fonctions de vicaire général. Le gouvernement ne crut pas devoir en tenir compte. Il est à désirer qu'on n'ait pas à regretter cette nomination.
8
Documents relatifs à la suppression du Conseil central des Conférences de Saint-Vincent de Paul (novembre-décembre 1861 )
Le ministre de l'Intérieur, Persigny, suspectant les Conférences de Saint-Vincent de Paul de tendances hostiles au gouvernement, en dissout le Conseil central, à Paris. Mgr Plantier, en tournée pastorale, proteste immédiatement contre cette mesure. Le clergé de Nîmes lui dit à son retour sa solidarité. Ces faits déchaînent à Paris la presse gouvernementale et risquent d'entraîner des mesures judiciaires contre Mgr Plantier et M. l'abbé d'Alzon.
a)
Extraits de l'adresse du P. d'Alzon à Mgr Plantier, Nîmes, le 21 novembre 1861. - Copie ms. ACR, CQ 242; T.D. 43, p. 106-107.
Le clergé et les fidèles de Nîmes ont accueilli Mgr Plantier à la cathédrale, mais c'est au salon de l'évêché que le P. d'Alzon tient à lui dire que l'Eglise de Nîmes est fi ère de compter sur son évêque, comme lui-même sait pouvoir compter sur elle.
La foi et la charité sont deux soeurs dont les destinées ne se séparent pas. Jamais on n'attaque la foi, que la charité ne soit bientôt poursuivie à son tour. Aussi est-il naturel qu'en ayant de communs adversaires, elles aient de communs défenseurs. [...] Pour vous, Monseigneur, que votre clergé réuni félicitait naguère d'être un des plus vaillants champions de la vérité attaquée dans la personne de son infaillible docteur, vous avez eu entre tous la gloire d'être le premier à venger en public les droits inconnus de la charité catholique et de la liberté de l'aumône. Ce courage épiscopal a déplu, sans doute parce qu'un beau talent était ici au service d'un grand caractère. On vous a fait connaître de hauts mécontentements, on les a fait connaître officiellement à la France.
Vos prêtres viennent vous demander la permission de prendre part à ces étranges mercuriales; car enfin, si vous vous êtes permis, comme on le prétend, des paroles insolites et profondément regrettables, ne vous y ont-ils pas poussé par les applaudissements dont il me semble encore entendre le bruit ? Si votre sagesse est petite, ne l'entretiennent-ils pas dans son infirmité, en bénissant comme ils le font votre direction qu'ils proclament si intelligente et si éclairée ? Et si votre charité est absente, leur filial amour ne tend-il pas à vous tromper sur les vrais sentiments de votre cœur ? Quel père est entouré de plus de tendresse ! Il est par trop difficile à un évêque de croire que la charité n'est pas dans son âme, quand il se voit tant aimé.
Aussi bien, Monseigneur, cette solidarité que nous réclamons aujourd'hui est une force et une puissance morale que personne ne nous enlèvera, car derrière votre clergé, l'Eglise de Nîmes se lève tout entière et bat des mains, fière d'un pontife qui peut compter sur elle, comme elle sait pouvoir compter sur lui.
Puisse, Monseigneur, cet hommage de respectueuse sympathie que nous déposons à vos pieds être pour vous, non pas un dédommagement bien inutile de censures qui ne sauraient vous atteindre, encore moins vous émouvoir, mais une preuve que, cette fois au moins, les brebis ne se sont pas dispersées, malgré ce que l'on a fait pour frapper le pasteur!
b)
Extraits de la lettre du P. Galabert au Fr. V. de P. Bailly, Nîmes le 9 décembre 1861. - Orig.ms. ACR, OI 257.
Le P. Galabert rapporte au Fr. V. de P. Bailly, étudiant à Rome, la réaction de la presse gouvernementale. Elle s'origine, il est vrai, dans un compte-rendu du journal Le Monde, mal informé et présentant les faits d'une façon inexacte et tendancieuse : le P. d'Alzon aurait parlé contre le gouvernement et à la cathédrale, alors qu'il s'est adressé à l'évêque, dans le salon de l’évêché.
Le Constitutionnel a fait un article furibond contre le "scandale inouï" dont la ville de Nîmes a été le témoin; et l' "insolente équipée" d'un "Vicaire général" qui a cru devoir féliciter Mgr Plantier en des termes pleins du plus profond "mépris pour le gouvernement". Ainsi, un "simple" vicaire (il n'est plus vicaire général) s'est permis à l'égard de l'autorité un langage que les ministres, les maréchaux de France, "les plus hauts dignitaires de l'Empire ne se permettraient pas impunément". Quelques jours auparavant, le Siècle nous avait consacré un article "spécial" pour signaler la Maison de l'Assomption si connue par le zèle fanatique de ses directeurs ultramontains ultras et le Collège Saint-Stanislas à la dévotion de l'évêque, comme les seuls auteurs de cette ovation populaire. Gare à la caisse du P. Hippolyte [économe du collège], c'est un premier avertissement. L'article du Constitutionnel respire la colère la plus profonde du préfet. M. Dulimbert [préfet du Gard] appelé à Paris, doit l'avoir inspirée.
c)
Lettre du ministre des Cultes au ministre de la Justice, le 24 décembre 1861. - Arch. nat. F 19, 5835; cop. ACR, DL 94.
La réaction de la presse gouvernementale provoqua des poursuites judiciaires contre l'évêque et son vicaire général, lesquelles s'avérèrent sans fondement. Le P. d'Alzon avait protesté contre les dires du Monde et obligé le journal à insérer sa rectification.
J'ai l'honneur de renvoyer à Votre Excellence les deux rapports de M. le Procureur général de Nîmes, au sujet des allocutions prononcées par Mgr Plantier et M. l'abbé d'Alzon. Ce magistrat estime que les faits qui avaient au premier abord paru condamnables n'ont pas le caractère de délit et qu'ils ne comportent pas une suite judiciaire. Je ne puis, M. le Garde des sceaux, que me ranger à l'opinion de M. le Procureur général. Votre Excellence appréciera s'il y a lieu de poursuivre le journal Le Monde pour publication de fausse nouvelle après la rectification qui a été insérée dans cette feuille.
9
Ordonnance de non-lieu du juge d'instruction de Nîmes, 15 avril 1862. - Arch. nat. F 19, 5835; cop. ACR, DL 94.
La Société de Saint-François de Sales, suspectée de légitimisme et d'ultramontanisme, est dissoute par le gouvernement. Le P. d'Alzon élève une protestation dans l'église Saint-Charles, ce qui lui vaut d'être poursuivi en justice; mais l'affaire est close par une ordonnance de non-lieu.
Nous, Henri de Gonet, juge d'instruction de l'arrondissement de Nîmes, vu la procédure instruite devant nous contre Maurice Daudé d'Alzon âgé de 52 ans, grand vicaire de Mgr l'évêque de Nîmes, non détenu, prévenu d'avoir, dans l'exercice de son ministère et dans un lieu consacré au culte, censuré les actes du gouvernement et d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement de l'Empereur; vu les articles 127 et 128 du Code d'instruction criminelle, vu le réquisitoire de M. le procureur impérial près le tribunal de céans, attendu qu'il résulte de l'information les faits suivants : Une société, dite de Saint-François de Sales, existait à Nîmes et se réunissait dans un local dépendant de l'Institution de l'Assomption. Cette société avait été convoquée en assemblée générale pour le dimanche [16] (3) février, mais elle fut dissoute par un arrêté en date du 14. Les membres de cette société se réunirent alors dans l'église Saint-Charles, à Nîmes, pour y entendre la messe et assister à une instruction faite par l'abbé d'Alzon.
Dans cette instruction, l'abbé d'Alzon exprima les pensées suivantes :
Il est bon de nous rappeler que dans tous les siècles passés 18 millions d'individus ont été légalement condamnés par leurs juges et sont morts martyrs de leur dévouement à leur religion.
Nous respecterons donc les ordres de la police, tant que nos églises ne subiront pas le sort des églises de Varsovie et ne seront pas fermées, nous continuerons à nous y réunir.
Dans le courant du mois de mai prochain, 27 saints vont être canonisés, quoiqu'ayant été légalement condamnés par les lois du pays où ils ont enduré le martyre, et pourtant nous les placerons sur nos autels.
Attendu que les termes de ce discours sont inspirés par une pensée manifeste de désapprobation de certains actes du gouvernement ou de l'autorité publique, qu'ils s'expliquent par l'attitude politique du prévenu et par ses habitudes d'opposition, que, si l'on doit regretter assurément que des paroles empreintes d'une si vive opposition aient été prononcées par un ecclésiastique dans un lieu consacré au culte, on ne peut néanmoins les considérer comme étant suffisamment caractéristiques du délit d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement et de censure ou critique de ses actes, par ces motifs, déclarons n'y avoir lieu à suivre en l'état.
10
Documents relatifs à la publication de l'Encyclique "Quanta cura" et du "Syllabus", 1864-1868
Devant la progression du libéralisme politique, économique, doctrinal et social, en Italie même et dans le monde, Pie IX juge le moment venu de dire ce que l'Eglise pense des fameuses "libertés modernes" et publie, le 8 décembre 1864, l'Encyclique Quanta cura, suivie du Syllabus. - Le P. d'Alzon accueille ces directives pour lui-même et sa Congrégation.
a)
De la lettre du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, Nîmes, le 26 décembre 1864. - Orig.ms. ACR, AD 1360; T.D. 23, p. 148.
Les 80 propositions que le Pape vient de condamner semblent un ouvrage avancé pour repousser des attaques prévues. La séparation de l'Eglise et de l'Etat, la prétendue liberté de conscience, l’ingérence des gouvernements dans les actes pontificaux, les usurpations du temporel sur le spirituel, les accusations contre les droits du Pape, tout cela est condamné avec une précision qui ne laisse plus aucun refuge à la chicane. Quant à moi, j'arrive à cette conclusion que je vais me faire ermite le plus possible, et, si, après avoir passé dix jours à la campagne, je sens ma santé un peu fortifiée, je me renfermerai pour aviser à donner à notre petite Congrégation tout le développement possible .
b)
De la 3ème lettre au maître des novices, fin 1868. - Cop.ms. ACR, CM 398; T.D. 41, p. 76.
Après le Chapitre général de 1868, dans la 3ème lettre au maître des novices, le P. d'Alzon examine quelle doit être "la position à prendre par l'Eglise vis-à-vis, des sociétés qui s'en vont, et l'initiative de l'Eglise envers la démocratie qui s'avance". Il précise alors, en référence au Syllabus, le but plus particulier de sa Congrégation.
Les Ordres religieux dans l'Eglise ont eu chacun un but, et, quand ce but a été rempli, leur mission a paru cesser. Eh bien ! notre but à nous c'est :
1° D'aider l'Eglise autant que nous en sommes capables, dans sa lutte contre le principe satanique de la Révolution(4);
2° De laisser tomber les vieilles sociétés condamnées, et, une fois les réserves faites par le Syllabus, sur les grands et immuables principes d'autorité, d'accepter la liberté franchement, loyalement, pour une période dont nul ne peut prévoir le terme, et de montrer à la démocratie tout ce que le christianisme a apporté au monde de fraternelle et catholique égalité. [.. .]
Ces pensées doivent vous encourager à porter vos regards au plus haut. Vous avez de magnifiques choses à accomplir, pour faire arriver le royaume de Dieu selon votre devise.
11
Extraits de la lettre du P. d'Alzon au P. V. de P. Bailly, Lavagnac, 21 février 1868. - Orig.ms. ACR, AG 218; T.D. 27, p. 163-164.
Le P. d'Alzon, en accord avec l'évêque de Nîmes, avait demandé au P. V. de P. Bailly d'accompagner les Volontaires du Gard pour les Zouaves pontificaux. Cette mission devait se prolonger de novembre 1867 à avril 1869, le P. d'Alzon sacrifiant de son avoir pour maintenir la présence du P. V. de P. Bailly dans son rôle d'aumônier.
Je ne veux pas que vous me reveniez. Il est bien plus important que vous restiez où vous êtes. Tous les jours, les parents viennent nous remercier d'avoir mis quelqu'un pour veiller sur leurs fils, sinon pour les surveiller. Restez donc à Rome tant que ce sera nécessaire. Nous vous trouverons le moyen d'y vivre et même de procurer quelques soulagements à nos zouaves, sans qu'il en coûte rien à qui que ce soit qu'à nous. Je vous ai bien dit que, quand vos ressources seraient épuisées, quelqu'un m'avait demandé d'avoir recours à sa bourse. Vous comprenez que cela ne se refuse pas. [...]
Vous ne me dites rien de ceux des Nîmois que j'ai connus. J'ai su par quelques zouaves, qui ne sont pas nîmois, que l'union des nôtres excitait quelques jalousies. Ce n'est pas étonnant, il faut savoir s'attendre à ces petites misères. Appuyez-vous sur M. d'Albiousse et allez en avant. Quand il croira que vous n'êtes plus utile, il vous le dira avec sa loyauté militaire. En attendant restez, et si ceux qui trouvent votre présence extraordinaire ne sont pas satisfaits, priez-les de vous dire quel traitement ils vous font.
______________________
1. Pour une présentation plus détaillée, voir : VAILHE, Vie, II ch. XII, Luttes pour l'indépendance de l'Eglise (p. 295-324), et ch. XIX, amour de Rome et des amis de Rome (p. 466-491). - P. TOUVENERAUD, La participation du P. d'Alzon à la défense des Etats pontificaux 1859-1863 (présentation du dossier d'archives du Gard) dans Pages d'Archives, octobre 1960.
2. Prêtre du diocèse de Paris
3. La copie des ACR porte te dimanche 7 février. Il s'agit vraisemblablement d'une erreur de transcription. Rien en effet n'empêchait la Société de tenir son assemblée le 7, puisque la dissolution n'intervint que le 14. De plus, le 7 n'était pas un dimanche. Enfin, nous savons que la réunion à Saint-Charles se tint le 16 février.
4. Par cette expression, le P. d'Alzon vise le principe de la subversion prôné pour lui-même. "Ainsi comprise, la Révolution se résume, écrit-il, en un seul mot : Non serviam". [...] Elle monte aujourd'hui comme un flot envahissant, commence par nier toute vérité, [...] est contraire à la loi de Dieu, [. . .] et ne respire que la haine. [...] Par ces trois caractères infernaux, la Révolution est la grande ennemie de l'Eglise. Elle se traduit, dans l'ordre des idées, par la libre pensée; dans l'ordre social, par l'anarchie; dans l'ordre de la vie pratique, par l'immoralité, le culte du plaisir et du bien-être matérialisé; dans les relations humaines, par l'égoïsme personnel poussé jusqu'à l'apothéose de l'humanité" (26ème conférence de Nîmes aux religieux de l'Assomption, 11 décembre 1870. Publiée d'après des notes d'audition dans la revue Prêtre et Apôtre, 1929, p. 360-363).
Le principe révolutionnaire étant condamné pour lui-même, le P. d'Alzon sait faire la part des révolutions politiques et sociales qui scandent l'histoire humaine : "Les révolutions ont du mauvais, elles ont du bon, écrit-il encore. Que devons-nous accepter dans la société moderne ? Certaines conclusions honnêtes : l'égalité, par exemple, dans ce qu'elle a de chrétien, l'égalité par la charité et non par l'orgueil, la liberté dans une certaine mesure." "Il faut se faire tout à tous" et "ne point désespérer de l'avenir".