CHAPITRE X :
TROIS FONDATIONS DE L'ABBE D'ALZON
(1843 - 1845)
En 1843-1845, l'abbé d'Alzon fut appelé à réaliser à Nîmes trois initiatives : l'établissement d'un Carmel, la rénovation d'une pension scolaire en déclin et la fondation de la Congrégation des Augustins de l'Assomption. La plus originale est assurément la troisième ; mais c'est l'abbé d'Alzon lui-même qui lia ensemble ces trois événements, dans des notes personnelles qu'il rédigea à ce sujet :
1° Mémoires sur l'établissement de l'Assomption, récit non daté, mais guère postérieur à 1845.- Orig.ms. ACR, CO 156 ; V., Lettres, II, Append. p. 487-493.
2° Histoire de l'Assomption depuis sa fondation jusqu'à nos jours, texte publié dans un journal intime du Collège, intitulé l'Assomption (fascicules 2, 3, 4 ; 1866).-Orig.ms. ACR, DQ 357 ; V., Lettres, II p. 494-503.
3° Mémoires d'un ancien de la vieille Assomption, texte publié dans la revue de l'œuvre de Notre-Dame des Vocations, intitulée l'Assomption et ses œuvres (1875, n° 1, 2,4, 5, 7, 9, 14, 15). -Orig.ms. ACR, CO 242-250.
De ces trois récits, le plus important du point de vue de la proximité des événements est le premier ; c'est aussi celui qui se réfère davantage aux origines de la Congrégation de l'Assomption et qui lie les trois initiatives prises par l'abbé d'Alzon en 1843-1845 ; les deux autres récits, plus éloignés dans le temps, sont davantage écrits pour la communauté des maîtres et des élèves du Collège de l'Assomption.
Au début de ses Mémoires sur l'établissement de l'Assomption, l'abbé d'Alzon écrit : "Les commencements de cette œuvre ont quelque chose de si indépendant de la volonté de l'homme, qu'au milieu des vicissitudes qu'elle a subies il est presque impossible de ne pas voir la volonté de Dieu" (v. infra 4 a). De fait, les documents repris dans l'immédiat des faits et que nous utiliserons, montrent plus une recherche de la volonté de Dieu qu'un plan prémédité et conduit à coup sûr. Nous parlerons successivement :
A. de l'établissement d'un Carmel à Nîmes ;
B. de la rénovation de l'établissement scolaire de l'Assomption ;
C. de la fondation de l'Association de l'Assomption.
A
ETABLISSEMENT D'UN CARMEL A NIMES EN 1843
En arrivant à Nîmes avec le projet d'œuvrer pour la conversion des protestants, le P. d'Alzon savait bien que l’une des intentions apostoliques de sainte Thérèse d'Avila, en réformant le Carmel, était aussi de participer à cette œuvre dans l'Eglise par la prière. Il n'est pas étonnant qu'il ait songé à pourvoir la ville de Nîmes d'un Carmel. Pris par d'autres activités, il dut remettre à plus tard son projet. En 1840, profitant du sacre de Mgr Sibour à Aix, il alla trouver, nous dit-il, les Carmélites de cette ville et leur parla de son idée parce que deux bienfaitrices s'offraient à pourvoir aux nécessités de la fondation ; mais elles ne le purent et l'affaire demeura en suspens(1).
A son retour de Paris, en août 1843, il crut avoir le local, pour la fondation, dans la pension Vermot que l’abbé Goubier avait achetée, en son nom et au nom de l’abbé d'Alzon, pendant son absence. Certains des maîtres de l'établissement scolaire s'opposèrent à l'orientation nouvelle, et avec l’abbé Goubier, il put trouver un autre local disponible en face de la pension Vermot (v. infra 4). Dès lors, il reprend les pourparlers avec le Carmel d'Aix et une demande officielle fut adressée à Mgr Cart, le 25 septembre. L'évêque donna son accord et invita les Carmélites à venir (v. infra 2 a et b). Au sein de multiples occupations, le P. d'Alzon prépare leur installation (v. infra 1).
Le 20 décembre, accueillies par l'abbé d'Alzon, vicaire général et supérieur ecclésiastique, les Carmélites arrivent à Nîmes au nombre de sept avec pour prieure Mère M. Elisabeth de la Croix, qui écrivit le soir même à Mgr Cart (v. infra 2 c). L'installation canonique eut lieu le jour de Noël dans une extrême pauvreté que le P. d'Alzon s'efforce de rendre acceptable par son dévouement et les générosités qui l'y aidèrent (v. infra 3).
Le Carmel demeura sur la paroisse de Sainte-Perpétue où il s'était établi, jusqu'en 1848, et de là, fut transféré sur la paroisse de Saint-Baudile, sans que l'action du P. d'Alzon en faveur de cette œuvre de prière en soit interrompue, aux dires de témoins autorisés, qu'il s'agisse de prédications, de direction spirituelle ou de recrutement (v. infra 5 et 6). Lui-même, par exemple, soutint la vocation de sa nièce, Alix de Puységur, qui entra au Carmel d'Aix en 1857.
B
RENOVATION D'UN ETABLISSEMENT SCOLAIRE A NIMES
En accord avec l'abbé Goubier, curé de la paroisse de Sainte-Perpétue, à Nîmes, l'abbé d'Alzon était à la recherche d'un local pour y établir un Carmel. En son absence, l'abbé Goubier se porte acquéreur d'un établissement scolaire mais les locataires enseignants s'opposent à la mutation de son orientation. Le P. d'Alzon s'accommode de ce fait et, après avoir logé les Carmélites ailleurs, affronte une situation qu'il n'avait pas prévue et qui va profondément modifier son insertion apostolique dans le diocèse de Nîmes. Il ne sera pas seulement le répondant d'un établissement scolaire rénové par lui, mais, dans ce cadre, le fondateur d'un nouvel institut qui ne devait pas être uniquement enseignant.
On peut se demander pourquoi cette prise au sérieux d'une situation de fait, et comment il en vient à rénover cet établissement. C'est toute la question de l'enseignement catholique en France au milieu du XIXe siècle qu'il faut évoquer, avant de parler de la rénovation de la pension Vermot qui devient, sous l'impulsion du P. d'Alzon, la "Maison de l'Assomption".
1. La question de l'enseignement catholique en France et à Nîmes au milieu du XIXe siècle.
En France, sur le plan national, les disciples de Lamennais fidèles à l'Eglise, malgré la défection de leur maître, avaient retenu entre autres choses de son programme la nécessité d'opposer au principe du monopole de l'enseignement réservé à l'Université d'Etat, l'affirmation du principe de la liberté de l'enseignement.
Devant les droits qui s'affrontèrent : celui de l'Etat de donner un enseignement conforme à ses besoins, et celui des familles d'assurer une formation conforme à leurs convictions, les partis en cause : l'Etat et l'Eglise, représentés par les ministres et les évêques, étaient à la recherche d'un compromis.
Mais devant la possibilité et le fait même que les professeurs de l'Etat pouvaient profiter de leur poste pour faire passer les doctrines contraires aux convictions les plus légitimes des familles, les partisans du principe de la liberté d'enseignement en vinrent à se grouper derrière Montalembert pour intensifier une "action catholique" (une action des catholiques) qui va regrouper d'abord des laïcs et des prêtres et déployer son action de 1836 à 1850, pour aboutir finalement à la loi Falloux.
On entendait à la fois émouvoir l’épiscopat et provoquer dans le pays une action politique par voie de pétitions et de préparations électorales. Une telle attitude, par un effet de causalité réciproque, durcit l'opposition des universitaires. En 1843-1844, nous sommes au plus fort de la lutte et des maladresses sont commises : écrits excessifs, d'une part, mesures répressives, de l'autre... Mais déjà, quelques évêques en viennent à soutenir l'action conduite en faveur de la liberté de l'enseignement chrétien.
Sur le plan local à Nîmes, comme ailleurs, ce double mouvement d'opinion ne pouvait pas ne pas avoir des répercussions. Ainsi, voyons-nous d'abord la Pension Vermot, de tendance intransigeante, s'affirmer et décliner au début du conflit ; mais dès qu'il s'amorce nous voyons aussi des professeurs chrétiens de l'Université, comme Monnier et Germer-Durand, amis de l'abbé d'Alzon qui les avait ramenés à un christianisme fervent, être en butte à des manœuvres discriminatoires pour avoir dénoncé, au sein de l'enseignement d'Etat, des abus contraires au respect des consciences. Consulté, l'abbé d'Alzon ne pouvait pas ne pas appuyer le juste droit de ses amis menacés de déplacement(2).
Sur le plan personnel, l'abbé d'Alzon reprenait peu à peu conscience de ce à quoi il avait pensé au moment de son sacerdoce : grouper autour de lui des personnes qui ne s'intéresseraient qu'à la foi chrétienne pour la présenter sous toutes les formes possibles dans la société moderne, en commençant par la formation chrétienne de la jeunesse (Ch. VII, 35), ainsi que l'entreprenait à cette époque Mère M. Eugénie à Paris.
On comprend dès lors qu'il suive de près l'évolution du problème scolaire en France, tout comme à Nîmes. Progressivement, la recherche d'un compromis lui paraît fort aléatoire et il offre, en 1842, sa collaboration à Montalembert, mais en refusant l'épiscopat (v. infra 7). C'est alors que se produisit l'achat, en son nom et à son insu de la pension Vermot, dirigée alors par l’abbé Tissot. Ce fait va provoquer son évolution personnelle vers une fondation religieuse (v. infra 13, 15 b, 19) et son insertion nouvelle dans la campagne en cours.
En effet, tout en continuant à soutenir l'opinion favorable à la liberté de l'enseignement, il ose doter l'établissement dont il prend la responsabilité, de maîtres gradués de l'Université d'Etat, et s'autorise, dès lors, à demander le plein exercice, dans le respect des lois en cours. Cette position audacieuse et réaliste ne devait pas être comprise de tout le monde, à commencer par Montalembert (v. infra 12 c, d). Mais dans la pensée de l’abbé d'Alzon, elle fournirait la preuve concrète que l'enseignement chrétien avait droit à la liberté dès lors qu'il était à même de former, non seulement "des chrétiens solides", mais encore, tout autant que l'enseignement d'Etat, "des hommes de leur temps et des citoyens de leur patrie"(3).
2. La rénovation de la pension Vermot qui devint à Nîmes, sous l'impulsion de l'abbé d'Alzon, la "Maison de l'Assomption".
En 1838, l’abbé Vermot, du diocèse de Besançon, était venu à Nîmes sur l'invitation de l’abbé Laresche, vicaire général de Mgr de Chaffoy, avec le projet d'établir un Ordre de missionnaires diocésains. Il acquit un terrain, bâtit un sanctuaire et une résidence, mais sans succès. Il se lance alors dans l'enseignement et fait construire une pension scolaire sur le même terrain, sous le vocable : B. Mariae in coelos assumptae. De suite, la pension atteint le nombre de 150 élèves qui ne fréquentent pas le Collège royal. Fidèle à sa vocation de missionnaire diocésain, il ne peut suivre sa fondation scolaire, établie sans autorisation et dans un esprit contraire à la loi sur l'enseignement.
L'œuvre fut préservée d'un déclin inévitable par son collaborateur, un autre prêtre bisontin, l'abbé Tissot, aidé de l'abbé Reboul. On changea de politique vis-à-vis du Collège royal et un modeste redressement s'opéra au cours des exercices scolaires de l’année 1841-1842 et 1842-1843. De son côté, l'abbé Vermot, qui avait renoncé à son titre de "maître de pension" au profit de l'abbé Tissot, désirait se défaire de la propriété même de son établissement. C'est dans ces conditions qu'en son nom propre et au nom de l'abbé d'Alzon, l'abbé Goubier acheta l'immeuble loué pour six ans par les abbés Tissot et Reboul, qui ne voulurent pas se désister de leur droit en faveur du Carmel (v. infra 8 et supra A). A la rentrée d'octobre, des élèves se présentant encore, l'abbé Tissot, avec l'autorisation des nouveaux propriétaires, affronta un nouvel exercice scolaire, dans l'optique qui était la sienne vis-à-vis du Collège royal et de la loi en vigueur. Il ne faudra pas moins de deux exercices scolaires, à l'abbé d'Alzon pour faire de la "pension Vermot", devenue la "pension Tissot", - la "Maison de l'Assomption".
Pendant l'exercice 1843-1844, après avoir passé l'acte de vente devant notaire, le 15 novembre 1843, les abbés d'Alzon et Goubier prirent possession de la pension comme propriétaires et administrateurs, le 22 janvier 1844, l'abbé Tissot demeurant directeur de l'établissement devant l'Académie. En cette circonstance, l'abbé d'Alzon apprécia les qualités et la droiture de l'abbé Tissot qu'il accueillera bientôt parmi ses premiers disciples. Par une circulaire datée de ce même jour, les nouveaux responsables informent le public de leurs intentions : assurer aux familles qui le désirent pour leurs enfants une formation intellectuelle et religieuse, avec tous les avantages de l'enseignement d'Etat, dans le cadre des lois en vigueur, sous le contrôle d'une commission ecclésiastique (v. infra 10).
Une telle promesse avait pour base évidemment de donner à l'établissement un corps professoral hautement qualifié. Mgr Cart avait autorisé l'abbé d'Alzon à poursuivre le projet, et lui-même avait fait des ouvertures à ses amis Monnier et Germer-Durand, professeurs gradués de l'Université (v. infra 9). C'était déjà penser à l'obtention du plein exercice et réaliser ce que n'avaient pu faire les abbés Vermot et Tissot : une maison où l'on a la maîtrise de l'éducation et de l'enseignement, et ceci de plein droit.
Au cours de l'année 1844, l'abbé d'Alzon dut se rendre à Turin auprès de son beau-frère gravement malade. Un jour de juin, dans le sanctuaire de la Consolata, il émet un vœu d'humilité sacerdotale (v. infra 22 a et 23 a). Le 19 juillet, il est de retour à Nîmes. L'année scolaire s'achève ; il importe de prendre des décisions conformes aux promesses faites au mois de janvier. De nouveau, le clergé du diocèse et les familles sont alertés et l'opinion publique est informée des intentions des abbés d'Alzon et Goubier. Une aide précieuse est acquise : la collaboration de Monnier et de Germer-Durand (v. infra 11), même si l'initiative ne rencontre pas un avis unanime (v. infra 12).
L'exercice scolaire 1844-1845 se déroule comme le précédent: l'abbé Tissot est toujours directeur devant l'Académie, mais l'abbé d'Alzon participe effectivement à la réunion des enseignants qui forment le Conseil de ce que l'on appelle déjà la Maison de l'Assomption : "ni un collège, ni une institution, mais une maison où maîtres et élèves doivent s'efforcer de vivre en une familiarité de bon aloi, en une réciprocité de service et d'affection"(4). Deux Comités, celui des Études et celui de la Discipline formaient le Conseil des Maîtres qui se réunissait en séance plénière chaque semaine. On y élabora un Règlement dont les principes d'éducation s'inspirent du Traité des études du "pieux Rollin"(5).
La reprise demeurait encore modeste : quelque soixante élèves en janvier 1845. Pour ne pas aller à l'échec sur le plan financier, puisque les maîtres étaient payés au prorata de leurs grades, l'abbé d'Alzon prit la décision de se rendre à Paris pour obtenir du ministre de l'Instruction publique la faveur anticipée, par rapport à la loi future, du plein exercice en sa Maison. Ce fut une longue absence, d'avril à septembre, qui fit parler bien des gens à Nîmes, d'autant que l'abbé d'Alzon, en partant avait renoncé à son appartement. Elle n'ébranla pas le dévouement de l'abbé Goubier et des professeurs laïques, auxquels l'abbé d'Alzon révèle la plénitude de ses intentions à son retour : la Maison de l'Assomption sera la base de départ d'une communauté religieuse (v. infra 13 et 14).
Au début de juin, l'abbé d'Alzon est reçu par le ministre qui lui répond de manière évasive : ouvrir un établissement catholique à Nîmes avec le plein exercice pourrait ne plus réserver au Collège royal que les élèves des familles protestantes ; mieux vaudrait s'établir ailleurs. L'abbé d'Alzon pense à Beaucaire et demande à l'abbé Goubier d'en parler à Mgr Cart. L'évêque de Nîmes, soucieux de l'avenir de son Petit Séminaire qui se trouve à Beaucaire, et effrayé par les projets grandissants de l'abbé d'Alzon, lui demande d'agir avec prudence, surtout s'il songeait à une fondation religieuse. L'abbé d'Alzon répond à Mgr Cart qu'il a pris les mesures nécessaires sur le plan financier, en accord avec sa famille, mais qu'il a fait le vœu de rester toujours simple prêtre. Il se réserve de lui parler de ses projets intimes à son retour (v. infra 15). La confiance réciproque n'est pas atteinte, puisque Mgr Cart préside la distribution des prix : "Vous m'avez donné, lui écrit l'abbé d'Alzon, le seul encouragement dont je sois jaloux" (v. infra 17).
L'abbé d'Alzon met à profit le retard qui lui est imposé, pour voir ce qui se passe à Paris sur le plan religieux : succès de l'Archiconfrérie du Saint-Cœur de Marie à Notre-Dame des Victoires, où il émet des vœux privés de religion ; fondation de l'imprimerie Migne et début de l'édition de sa Patrologie ; essor de Solesmes à Paris même, mais dans une situation précaire ; hostilité contre les Jésuites et sympathies qui peuvent les aider ; rénovation du Correspondant par Montalembert et de l'Univers par Veuillot ; et, bien sûr, longs entretiens avec Mère M. Eugénie et sa Communauté, sans parler de prédications et de précieuses rencontres... (v. infra 16).
Le 21 août, il revoit le ministre et obtient le plein exercice en sa Maison pour les classes de grammaire seulement : "Nous sommes moitié battus, moitié victorieux", écrit-il (v. infra 12). Le 15 septembre, après avoir rassuré ses amis sur ses intentions (v. infra 19) et en comptant sur la collaboration de Mère M. Eugénie pour le recrutement de ses professeurs, l'abbé d'Alzon quitte Paris pour Nîmes avec une robe de religieux dans sa valise et bien décidé à exploiter la faveur accordée.
Comme signe de ses options, dès son arrivée à Nîmes et après avoir salué le matin même son évêque qui lui offrait un appartement à l'évêché, l'abbé d'Alzon va loger à la Maison de l'Assomption. Au bout de quelques jours, il peut se rendre compte des désapprobations qui l'entourent ; aussi demande-t-il des prières pour ne pas perdre cœur à l'ouvrage, puisque la rentrée scolaire est prévue pour le 1er octobre. Aux maîtres déjà présents, il offre de commencer par une retraite (v. infra 20), au terme de laquelle "il leur communique les règles d'un Tiers-Ordre qu'il se propose d'établir, leur donnant à entendre la possibilité d'un Ordre futur" (v. infra 25 et 26). Ainsi la Maison de l'Assomption donnait naissance à l'Association de l'Assomption, avec deux rameaux à venir Ordre et Tiers-Ordre.
Mais pour ne parler ici que du renouveau de la pension Vermot devenue la Maison de l'Assomption, il suffit de jeter un regard sur les rapports d'Inspection académique (v. infra 21) : la progression constante a été payée par deux ans de ténacité, mais demeure grevée d'un budget qu'on peut prévoir difficile à tenir. Dès le 10 décembre 1845, l'abbé d'Alzon note un déficit de 40.000 francs, malgré la rigueur des comptes et même la pauvreté de vie (v. infra 27 e).
C
FONDATION DE L'ASSOCIATION DE L'ASSOMPTION
La troisième initiative, réalisée par l'abbé d'Alzon en 1843-1845, est la création de l'Association de l'Assomption, regroupant clercs et laïcs dans un propos de vie religieuse : "De l'Association, écrit l'abbé d'Alzon, sortiront comme deux branches l'Ordre et le Tiers-Ordre." Ces termes sont employés dans un sens générique et non strictement canonique : c'eût été prétentieux de sa part avant la sanction de l'Eglise ; ce n'en est pas moins significatif d'une pensée : on vise à la vie et à l'esprit religieux.
Pour mieux analyser cet événement, il faut en évoquer la préparation éloignée et la préparation prochaine qui conduisent l'abbé d'Alzon à inaugurer, en décembre 1845, dans le cadre de la Maison de l'Assomption, un essai de noviciat pour les maîtres désireux d'entrer avec lui dans un propos de vie religieuse.
1. La préparation éloignée remonte à une dizaine d'années.
Par trois fois, en 1844-1845, l'abbé d'Alzon nous renvoie à une intuition première : "Je suis préoccupé depuis quelque temps, écrit-il à Mère M. Eugénie le 20 décembre 1844, de ce qui m'est personnel dans l'ordre où la Providence peut vouloir me faire marcher. Lorsque je pris les saints Ordres, il y a dix ans, je fus comme aveuglé en ce sens que je ne vis plus clair dans mon avenir. Aujourd'hui, il me paraît que l'étoile reparaît, et je crois découvrir quelque chose vers quoi je dois marcher"(6). Il écrit à peu près la même chose à son ami Germer-Durand, les 31 mai et 31 août 1845 (v. infra 13 et 19).
De fait, l'abbé d'Alzon songeait à un propos religieux lors de sa préparation au sacerdoce. Dans une note intime, jeune séminariste de 23 ans, quelques semaines avant de se rendre à Rome, il écrit : "J'ai pris la résolution de commencer une sorte de vie monastique et austère" (Ch. V, 15 b). Cette résolution prend en relais le motif déterminant de sa vocation sacerdotale : "Le bon Dieu m'a fait la grâce d'aimer le dévouement, et j'ai senti s'accroître en moi le désir de défendre la religion, au moment où on l'attaquait le plus" (Ch. V, 8 b). Pour cela, ne fallait-il pas réaliser "une œuvre de conviction" avec la participation des fidèles et des prêtres sur la base du dévouement religieux et apostolique (Ch. V 17) ?
Ces sentiments intimes vont avec l'intérêt qu'il porte aux projets de Lamennais et de Bautain, dans leur tentative de créer un Ordre nouveau : la Congrégation de Saint-Pierre, d'un côté, et de l'autre, la Société de Saint-Louis : "Je suis tellement certain, écrit-il, que Dieu veut un Ordre nouveau et que cet Ordre apparaîtra avant peu que je ne puis entendre parler d'une Association de ce genre sans en être profondément remué" (Ch. V, 9 e). Mais comme la pensée de Lamennais et celle de Bautain n'étaient pas exemptes d'erreurs dans le difficile rapport de la foi et de la raison, et que leur engagement dans l'Eglise de ce temps était compromis par des ambiguïtés politiques, sociales ou ecclésiales, leur condamnation entraîna la dispersion de leur œuvre. Dès lors "le voile tombe" et l'étoile disparaît aux yeux de l'abbé d'Alzon.
Éclairé par le Pape Grégoire XVI lui-même (Ch. VII, 36 d), il rentre dans son diocèse de Nîmes pour se mettre à la disposition de son évêque, mais non sans s'être précisé son idéal personnel "de prêtre comme il en faut aujourd'hui", capable d' "une abnégation absolue de soi-même, qui fait le fond du caractère sacerdotal" (Ch. VI 2), et ce même idéal, assumé en communautés d'hommes soucieux uniquement d'annoncer Jésus-Christ (Ch. VII 35).
2. La préparation prochaine va avec la rénovation d'un collège.
Plusieurs circonstances apparemment fortuites vont faire ré-affleurer à la conscience de l'abbé d'Alzon son intuition première. On pense à l'exemple de Dom Guéranger et de Lacordaire ; mais l'abbé d'Alzon ne s'y réfère pas explicitement. Par contre, il suit la générosité de quelques laïcs qu'il a ramenés à la foi et qui envisagent "la possibilité de se réunir religieusement en un Ordre laïque sous l'autorité d'un Supérieur" (Ch. VIII 13). Mis en relation par l'abbé Combalot avec Mère M. Eugénie, il devient le directeur spirituel et le conseiller religieux de la jeune fondatrice (Ch. IX). Enfin, soucieux d'établir un Carmel à Nîmes, il est mis devant le fait accompli de l'acquisition d'une pension scolaire en déclin (Ch. X, A et B).
Depuis qu'elle avait fondé son oeuvre, Mère M. Eugénie "désirait avec une ardeur toujours croissante qu'il plût à Dieu de faire fonder dans son Eglise des Ordres d'hommes d'un esprit semblable, d'une forme analogue, pour donner aux jeunes hommes chrétiens et surtout aux jeunes prêtres un caractère plus fort, plus large, plus intelligent, plus chrétien, en un sens, et surtout plus noble et plus libre aussi, en un autre sens(7)." Voilà pourquoi, lors de sa rencontre avec l'abbé d'Alzon, en août 1843, "elle l'avait simplement questionné sur les attraits qu'il pouvait éprouver de former une communauté religieuse." De retour à Nîmes, l'abbé d'Alzon lui écrit seulement : "Mes réflexions se portèrent beaucoup sur ce que Dieu pouvait demander de moi, c'était la continuation de notre entretien, je ne vis rien de nouveau. Il paraît en effet que je dois être là où je suis. Tant que sa volonté m'y placera, j'y resterai." Mais il note que "pour les disciples du Christ s'impose la double obligation d'établir son règne au-dedans d'eux-mêmes et au dehors" (Ch. IX 5).
Or, il vient de devenir malgré lui le propriétaire d'un établissement scolaire et l'on peut dire qu'il adopte "l'œuvre du collège" dès lors qu'il fait, en décembre 1843, des offres à Monnier et Germer-Durand et se pose, en janvier 1844 comme restaurateur de cette œuvre. "Dès que j'eus adopté l'œuvre du collège, écrit-il, mon étoile m'est apparue de nouveau" (v. infra 13). Le premier confident de "son intention de se dévouer à former une Association nouvelle", fut l'abbé Goubier copropriétaire du collège, "qui était venu le voir un jour pendant l'hiver" de 1843-1844. "Il m'engagea à réfléchir", note le P. d'Alzon dans ses Mémoires(8). En juin, il est auprès de son beau-frère malade à Turin, et, "devant l'état déplorable, où l'ambition mettait l'Eglise", il fait au sanctuaire de la Consolata "le vœu de refuser toute charge, dans le même sens que le font les Jésuites", et alors, "une idée qu'il avait eue autrefois lui revient plus forte que jamais", celle de "se consacrer à se former une Communauté religieuse" (v. infra 22 a).
Pour cerner l'impulsion vers laquelle il se sent porté, l'abbé d'Alzon aura entre autres confidents : Mère M. Eugénie de Jésus et la Marquise de Barolo, MM. Monnier et Germer-Durand, les abbés Goubier et de Tessan, et son évêque Mgr Cart.
De juin à septembre 1844, il poursuit un dialogue par lettres avec Mère M. Eugénie sur la spécificité de sa fondation future, dont l'esprit doit être, selon lui, pleinement catholique et ouvert aux valeurs de franchise et de liberté du monde moderne, mais avec, comme mobile, "la manifestation de l'Homme-Dieu et la divinisation de l'humanité par Jésus-Christ" (v. infra 22 b). Spécificité trop large, pense la fondatrice : "Il faut être humblement à sa place ce que l'on doit être en Jésus-Christ" (v. infra 22 c). Mais c'est précisément l'objet de sa recherche.
De son côté, la marquise de Barolo, dont il a admiré le sens chrétien et le dévouement pendant son séjour à Turin, lui a conseillé de ne rien précipiter et même de n'avoir, pour faire oeuvre nouvelle, aucune prévention contre quiconque ; alors seulement il pourra faire une oeuvre bénie de Dieu (v. infra 23 a, b, c).
En vue de donner à son collège des maîtres gradués, il obtient en août 1844 le dévouement de Monnier et de Germer-Durand qui s'étaient entretenus en 1842 de la possibilité "de se réunir religieusement en un Ordre laïque". D'avril à septembre 1845, la rénovation de son pensionnat par l'obtention du plein exercice, l'oblige à un long séjour à Paris. Indice de faire oeuvre religieuse à son retour, il renonce à son appartement en ville. A Paris, il a de nouveau de longs entretiens avec Mère M. Eugénie. Un an après le vœu de Turin, il émet des vœux privés de religion au sanctuaire de Notre-Dame des Victoires (v. infra 24) et informe ses collaborateurs qu'ils auront à son retour une position à prendre vis-à-vis de sa décision de fonder une Communauté religieuse dans le cadre de la Maison de l'Assomption (v. infra 28 et 29).
Mgr Cart, qui avait autorisé l'abbé d'Alzon à prendre en mains la pension de l'Assomption et qui croit savoir qu'un projet de nouvelle communauté pourrait s'y établir, demande à son vicaire général d'allier la sagesse au dévouement, "afin que l'esprit de Dieu plus encore que notre esprit soit le mobile de toutes nos entreprises" (v. infra 15 a). L'abbé d'Alzon rappelle à son évêque qu' "il savait que depuis longtemps la pensée de quitter la vie de prêtre séculier le poursuivait" ; aussi l'informe-t-il de son vœu d'humilité sacerdotale et il ajoute "qu'il a acquis la certitude par des renseignements qu'il a fait prendre, qu'une nouvelle association ne serait pas vue d'un mauvais œil". Il se réserve de l'entretenir plus longuement à son retour (v. infra 15 b). Remerciant Mgr Cart de sa présence à la distribution des prix en son absence, il écrit : "Les réflexions auxquelles je me livre depuis longtemps me poussent de plus en plus au désir d'établir le règne de Jésus-Christ... J'ai pu me mettre en présence de Dieu et de ma conscience pour me disposer à travailler avec plus de générosité à l'accomplissement de mes devoirs de chrétien et de prêtre" (v. infra 17).
Dès son retour à Nîmes, l'abbé d'Alzon veut avoir avec Mgr Cart une conversation pour lui parler "comme à son évêque, presque comme à son confesseur, mais aussi comme à son ami", afin d'agir en toute confiance réciproque sous le regard de Dieu, et d'obtenir seulement dans l'immédiat la permission d'un essai pour un an. "Il fut convenu qu'il essayerait tout doucement et nous nous séparâmes plus amis que jamais", écrit-il le 30 septembre 1845 (Ch. VIII 6).
3. Vers l'inauguration d'un essai de noviciat pour Noël 1845.
Du 26 septembre au 1er octobre, l'abbé d'Alzon donne une retraite aux maîtres du collège, clercs et laïcs, et au cours de deux séances dites préparatoires, qui clôturent la retraite les 29 et 30 septembre, il leur expose ses vues et leur propose de se constituer en "Association de l'Assomption", pour un temps de probation qui irait jusqu'à Noël. "Voilà une première pierre posée, écrit-il ; de l'Association sortiront comme deux branches l'Ordre et le Tiers-Ordre" (v. infra 25).
Le nom ne fit pas de difficulté, c'était celui de la pension Vermot, placée sous le patronage de l'Assomption, et fortuitement il se trouvait être en commun avec celui des Religieuses de l'Assomption de Mère M. Eugénie.
Dès le début, une règle déterminait le but, l'esprit, le statut des personnes et les moyens apostoliques, ainsi que les obligations personnelles et communautaires (v. infra 26). Elle suffisait provisoirement par son contenu pour orienter les uns et les autres dans le même propos de vie commune et apostolique, en attendant que s'élaborent à l'expérience de véritables Constitutions religieuses.
La question de l'habit ne tarda pas à se poser ; même si l'abbé d'Alzon portait le soir une robe monastique, il ne voulait pas qu'un signe extérieur distinguât trop tôt les membres de l'Association (v. infra 27 d).
L'abbé d'Alzon réunissait ses disciples pour les former à la vie religieuse le dimanche, et la séance se terminait par la célébration commune de l'office du jour pour les clercs, et de l'Office des Grandeurs de Jésus pour les laïcs. Devant les uns et les autres, il soulignait la nécessité apostolique de rapprocher le sacerdoce et le laïcat dans un même esprit religieux pour le service de l'Eglise (v. infra 29 b, 2°).
Au début de novembre, il fait le point sur le groupe de ses disciples et la marche de son œuvre, et se demande si pour Noël il dépassera l'étape de la probation (v. infra 27 c). L'exemple du Christ formant ses disciples l'incite cependant à aller de l'avant, mais, écrit-il, "je prévois que nous serons fort longtemps des novices" (v. infra 27 f et g).
Personnellement, il se sent poussé à commencer "une espèce de noviciat du voeu de perfection" pour mieux assurer ses responsabilités (v. infra 27 a), et s'il accepte une chambre individuelle, c'est pour en faire une cellule de religieux (v. infra 27 e). Enfin s'examinant devant Dieu, il s'impose un règlement de vie qui le prenne tout entier "comme chrétien, comme prêtre, comme religieux, comme supérieur de communauté". L'amour du Christ, le zèle à servir l'extension de son règne, voilà "la cause de Dieu" qui n'est autre que "la cause de l'Eglise" (v. infra 28).
Selon ses prévisions, après trois mois de probation, le noviciat fut inauguré pour les futurs Religieux, le jour de Noël 1845, et pour les futurs Tertiaires le 26 décembre (v. infra 29). Ce n'était pas encore le noviciat canonique et régulier donnant droit à une émission de vœux publics, mais un essai de vie religieuse sous la direction du fondateur, essai autorisé pour un an par l'évêque de Nîmes. Du reste, l'abbé d'Alzon prévoyait la longueur de ce "noviciat" que les contrariétés contribueront à allonger ; aussi l'année canonique, approuvée comme telle par l'évêque, ne commencera en fait qu'en 1849.
Pour ce début de Noël 1845, le P. d'Alzon est entouré de six novices pour l'Ordre et de quatre novices pour le Tiers-Ordre, sans parler d'autres postulants : "pauvres frères dont la simplicité est très belle" ... "je leur baisais les pieds pour leur montrer la disposition de service et de dépendance où, comme supérieur, je voulais me placer vis-à-vis d'eux." "Et maintenant, écrit-il encore, me voilà en train"... "pour l'œuvre par laquelle Dieu me permet de lui payer une partie de ma dette, au onzième anniversaire de mon ordination sacerdotale." (v. infra 29 a).
Tels furent les débuts de la "Congrégation des prêtres de l'Assomption", dits "Augustins de l'Assomption", fondée à Nîmes, le 25 décembre 1845, par celui que nous appellerons désormais le P. Emmanuel d'Alzon.
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1. Mémoires d'un ancien de la vieille Assomption, dans l'Assomption, t. 1 (1875), p. 1-2 ; T.D. 7, p. 2-4.
2. Notes et Documents, II, p. 357-358, 387-388, 413-422.
3. Rapport de l'abbé Tissot lu, au nom de l'abbé d'Alzon à la distribution des prix, le 6 août 1845 ; cop.impr. ACR, A.113, p. 29.
4. Un maître spirituel..., p. 31.
5. L'un des meilleurs témoins de l'humanisme classique, fidèle à ses valeurs, ouvert aux nouveautés, soucieux de former tout l'homme en formant l'intelligence (1661-1741).
6. Orig.ms. ACR, AD 352 ; V., Lettres, II p. 210-214
7. Lettre du 5 aout 1844. - Orig.ms. ACRA, lettre n° 1605
1
Extraits de trois lettres de l'abbé d'Alzon à propos de la fondation du Carmel de Nîmes
L'abbé d'Alzon ne fait que de rapides allusions, dans sa correspondance de l'année 1843, à la fondation du Carmel de Nîmes ; mais par les extraits que nous citons, nous voyons dans quel contexte d'œuvres en cours se place le souci de cette fondation qu'il recommande instamment à la prière de Mère M. Eugénie.
a)
De l'abbé d'Alzon à Mère M. Eugénie, Nîmes le 20 septembre 1843.-Orig.ms. ACR, AD 315 ; V., Lettres, II p. 95.
Priez un peu pour moi et beaucoup pour un couvent de Carmélites qui est sur le point de se former ici.
b)
De l'abbé d'Alzon à sa sœur Augustine, Nîmes le 14 décembre 1843. - Orig.ms. ACR, AC 37 ; V., Lettres, II p. 113.
Je suis en ce moment fort occupé par un couvent de Carmélites que nous installons la semaine prochaine. Ces saintes filles me donnent un peu de tracas pour leurs grilles et tours. Figure-toi que, venant d'Aix où elles ont une communauté très nombreuse, elles ont cru devoir apporter vingt livres de sucre !
J'ai à trouver un terrain pour le Refuge, qui ne peut subsister où il est, à organiser un pensionnat que j'ai acheté avec un prêtre, mais cela ne presse pas encore ; enfin, je pousse à la fondation d'une nouvelle Providence : aujourd'hui, on est en train de marchander une maison. Voilà mes grosses affaires. Ajoute à cela quelques malades et les œuvres ordinaires ; tu comprendras que j'en ai suffisamment pour m'occuper .
c)
De l'abbé d'Alzon à Mère M. Eugénie, 26 janvier 1844. - Orig.ms. ACR, AD 324 ; V., Lettres, II p. 120.
J'ai bien d'autres choses à vous dire, mais il me faut aller confesser des religieuses que j'ai abandonnées quinze jours. Je viens aussi de me faire directeur d'un pensionnat, qu'il faut renouveler. Cela, joint aux Carmélites que nous avons depuis un mois, me donne assez de besogne. Depuis quelques jours, mes douleurs de tête ont beaucoup diminué. Si je ne souffre pas trop, ce soir, je vous parlerai de vos Constitutions .
2
Extraits de trois lettres reçues par Mgr Cart à l'occasion de la fondation du Carmel de Nîmes, 1843. - Citées par E. BAILLY, Notes et Documents, II, p. 477-480.
Lorsque Mgr Cart eut agréé la fondation du Carmel de Nîmes, il reçut deux lettres de la prieure du Carmel d'Aix et une lettre de la prieure du nouveau Carmel. Ces trois lettres rendent hommage au dévouement de l'abbé d'Alzon pour la fondation.
a)
De la première lettre de la prieure du Carmel d'Aix, 25 septembre 1843
Oui, Monseigneur, je vous dirai, avec notre sainte Mère Thérèse que je suis fille de l'Eglise, et je me reprocherais devant Dieu de vouloir considérer un seul instant d'autres intérêts que ceux de la gloire de Dieu. J'espère, avec sa grâce, chercher uniquement dans cette fondation à former une colonie qui puisse remplir notre sublime vocation en attirant sur votre ville et sur votre diocèse les bénédictions du ciel. Celle que nos Révérends Pères supérieurs ont désignée comme prieure est une personne d'un rare mérite et qui sent déjà au fond de son cœur un sentiment maternel pour les protestants de Nîmes... Combien je suis touchée des soins que M. l'abbé d'Alzon veut bien prendre de cet établissement.
b)
De la seconde lettre de la même prieure, le 17 décembre 1843
Combien je me réjouis que notre maison fournisse cette troupe d'élite qui, je l'espère, attirera les plus abondantes bénédictions du ciel sur la ville de Nîmes. Combien je me réjouis d'avoir pu, toute indigne que j'en suis, seconder dans cette œuvre importante les efforts de votre zèle et ceux du respectable abbé d'Alzon.
c)
De la lettre de la prieure du nouveau Carmel, le 20 décembre 1843
Nous sommes venues dans l'intention d'offrir à Dieu pour cet objet [la conversion des protestants] nos saintes pratiques et observances, en y joignant mille sacrifices. Mais il ne s'en présente point, au contraire, on va au-devant de ce que nous pourrions désirer. Le zèle de M. d'Alzon et de M. Goubier en particulier nous couvre de confusion.
3
Extrait de la Chronique du Carmel de Nîmes. - Cité par E. BAILLY, Notes et Documents, II, p. 479-481.
La Chronique du Carmel de Nîmes nous donne des détails sur la fondation de ce Carmel et souligne le rôle du P. d'Alzon, avant comme après l'installation canonique.
M. d'Alzon, fondateur de la nouvelle maison, et qui devait en être le supérieur, vint lui-même à Aix, en Provence, s'entendre avec les Révérendes Mères sur tout ce qu'il était à propos de préparer d'avance à Nîmes pour établir la clôture. Il s'informa aussi du nombre et de la qualité des sujets qu'on enverrait. [...]
Le 20 décembre, à 11 heures du matin, les Carmélites arrivèrent à Nîmes où les attendait M. d'Alzon, vicaire général, leur nouveau supérieur, qui les accueillit avec une affection de père.
A 2 heures, la petite communauté se réunit au choeur pour réciter Vêpres, et à 5 heures, au chant du Laudate, la Sainte Réserve prenait possession d'un tabernacle bien pauvre, mais vers lequel montaient des hommages dévoués et reconnaissants. Le lendemain, M. d'Alzon dit la messe dans la chapelle intérieure, et ainsi jusqu'au dimanche, veille de Noël.
Ce jour-là, 24 décembre 1843, tout étant disposé pour la décence de la chapelle extérieure et pour la parfaite clôture, à 1 heure de l'après-midi, M. d'Alzon, accompagné d'un nombreux clergé, vint bénir le nouveau sanctuaire et toute la maison. A minuit, M. d'Alzon célébrait pour la première fois la messe dans la chapelle extérieure(9).
[...] Monseigneur (l'évêque), dans sa visite, fut très édifié de la pauvreté qui régnait partout. [...]
Les Carmélites passèrent plus de cinq ans dans cette position qui leur était bien adoucie par les charités et les bienfaits incessants de leur digne supérieur. Il les assistait en toute rencontre. Plusieurs âmes charitables, dont les noms sont inscrits dans les registres de ce Carmel, l'aidaient dans cette bonne œuvre(10).
4
Extraits des Mémoires sur l'établissement de l'Assomption, écrits par le P. d'Alzon (peu après 1845). - Orig.ms. ACR, CO 156 ; V., Lettres II, p. 487-489.
Dans ces Mémoires sur l'établissement de l'Assomption, le P. d'Alzon rappelle ses projets apostoliques, en arrivant à Nîmes, dont l'établissement d'un Carmel. L'occasion qui hâte cette réalisation, finalement approuvée par Mgr Cart, fut l'achat de la pension Vermot par l'abbé Goubier, en son nom et au nom du P. d'Alzon, sur la paroisse de Sainte-Perpétue dont il était le curé. Mais le Carmel ne put s'y établir, et il fallut le loger dans une maison qui faisait face à la pension Vermot.
Les commencements de cette oeuvre ont quelque chose de si indépendant de la volonté de l'homme, qu'au milieu des vicissitudes qu'elle a subies il est presque impossible de ne pas voir la volonté de Dieu. Depuis longtemps, la pensée de fonder un collège me préoccupait. J'étais frappé de la nécessité d'une éducation chrétienne ; d'autre part, j'avais puisé dans la lecture méditée des oeuvres de saint Jean de la Croix une grande affection pour les filles de sainte Thérèse. J'arrivai à Nîmes avec la pensée de former un pensionnat et un couvent de Carmélites. Mais je fus entraîné loin de mon but par bien d'autres idées. Dieu ne voulait pas encore que je pusse réaliser des desseins pour lesquels je ne comprenais pas assez mon incapacité(11).
Cependant M. Vermot réalisait l'idée d'un collège, et lui se consacrant à cette œuvre, je n'avais plus à m'en occuper. Monseigneur de Nîmes n'avait aucun attrait pour les Carmélites. Y songer eut été, ce semble, imprudent.
1843
Toutefois, l'idée des Carmélites ne m'abandonna pas. Vers le milieu de 1843, j'eus l'occasion d'en parler à M. l'abbé Goubier, curé de Sainte-Perpétue. Celui-ci me dit que mon ouverture lui paraissait une révélation du ciel, parce qu'une jeune personne de sa connaissance était sur le point de partir pour Montpellier et que sûrement sa fortune servirait pour aider aux commencements de l'œuvre. Cette proposition me donna le courage de parler une quatrième ou cinquième fois à Monseigneur de Nîmes. Quel ne fut pas mon étonnement de ne plus lui voir trouver de difficultés à l'entreprise !
Je dus m'occuper de trouver un local. M. l'abbé Goubier, qui fut si admirable dans cette circonstance et de qui je dois dire qu'il fit bien plus que moi, quoique son humilité me mît toujours en avant, M. l'abbé Goubier crut devoir trouver un local convenable dans le pensionnat de l'Assomption, dirigé par MM. Tissot et Reboul, à qui M. Vermot l'avait confié. Nous nous occupâmes de l'acheter, mais, devenu notre propriété, nous fûmes empêchés dans nos projets par M. Reboul, qui nous déclara ne point vouloir se retirer de la maison, malgré l'état de décadence où elle se trouvait. Ce retard nous fit réfléchir et nous décida à chercher un autre local pour les Carmélites.
C'est à Aix que je m'adressai pour obtenir des filles de sainte Thérèse. Elles vinrent dans une maison louée pour six ans et y furent installées au nombre de sept, le 24 novembre 1843(12).
5
Lettre-préface au P. d'Alzon par l'abbé de Cabrières. - Extrait de la Notice sur la vie de la Révérende Mère M.-Elisabeth de la Croix, Paris,1862.
La première supérieure du Carmel de Nîmes mourut le 7 mars 1861. La sainteté de sa vie provoque l'abbé de Cabrières à lui consacrer une notice pour l'édification des fidèles. Cette notice, parue en 1862, comporte une lettre-Préface datée du 24 novembre 1861, adressée "au Révérend Père d'Alzon, vicaire général de Mgr l'évêque de Nîmes, supérieur de l'Assomption". Élève, disciple et ami du P. d'Alzon, l'abbé de Cabrières tient à dire que le diocèse de Nîmes lui est redevable de cette fondation.
Mon Père,
Je vous dois tant que je ne saurais jamais m'acquitter envers vous. [...] Laissez-moi donc placer votre nom en tête des quelques pages que je vais consacrer à l'histoire d'une âme que vous avez connue et dirigée, dont le souvenir vous est doux, et qui ne vous a jamais oublié devant Dieu.
Aussi bien, c'est à vous que le diocèse de Nîmes est redevable de la fondation d'un monastère, pauvre sans doute et peu connu, mais où la source de la prière ne tarit pas. Il est juste que l'hommage, rendu bien imparfaitement par ma bouche, à la fondatrice et à la première prieure de ce couvent, remonte vers vous, le premier Père de cette humble maison.
J’ai mis à parler de vous, dans la vie de la Mère Elisabeth de la Croix, la discrétion et la modestie d'un fils ; mais ceux qui vous connaissent suppléeront facilement aux omissions volontaires que j'ai faites quand il m'aurait fallu parler de votre zèle, de votre dévouement et de votre générosité.
6
Témoignage oral d'une Carmélite de Nîmes, recueilli par le P. E. Bailly, à la mort du P. d'Alzon. - Notes et Documents, II, p. 483-484.
Une des premières Carmélites de Nîmes dit la reconnaissance de son Carmel pour le dévouement du P. d'Alzon, de sa fondation sur la paroisse de Sainte-Perpétue à son transfert sur la paroisse de Saint-Baudile en 1848.
Nous lui avons dû le local pendant plusieurs années, de 1843 à 1848, les réparations, souvent la nourriture, des provisions de toutes sortes, les grilles pour la parfaite clôture qui, chose extraordinaire, put se faire au bout de huit jours, des cloisons en bois pour toutes les cellules ; rien ne coûtait à son dévouement et à sa grande charité. En un mot, pendant les cinq ans que nous passâmes dans la maison de la fondation, notre détresse fut bien soulagée par ses largesses ; il les multipliait sans compter.
Il inspirait à bon nombre d'âmes charitables de nous venir en aide pour les besoins de la chapelle. [...]
Le moment arriva où, grâce à l'appui du P. d'Alzon, nous pûmes acheter, à l'extrémité de la paroisse Saint-Baudile, un vaste local où l'on fit de suite les constructions indispensables. On s'y rendit dans l'été de 1848.
Ici encore, notre bon Père se mêlait activement à tout.
A ces bienfaits temporels, nous devons ajouter ceux d'un ordre supérieur. Ils furent encore plus abondants.
Notre Père comprenait admirablement l'esprit de notre sainte vocation ; l'esprit de notre Mère sainte Thérèse allait à son grand coeur. Il avouait qu'il avait fait en partie son séminaire avec saint Jean de la Croix. Il déclarait vouloir retrouver les traces de sainte Thérèse dans ses filles.
Ses instructions étaient comme un foyer ardent d'où s'échappaient des flammes de charité brûlante et de zèle embrasé pour le règne de Dieu et le salut des âmes.
7
Extrait d'une lettre de Montalembert à l'abbé d'Alzon, le 26 septembre l842. - Orig.ms. ACR, EB 529 ; V., Lettres, II, Appendice p. 434-437.
Sur une feuille détachée, l'abbé d'Alzon résume en quelques mots le motif de sa lettre à Montalembert : "1842. Le 28 août, écrit à Montalembert pour lui proposer de faire quelque chose contre l'Ami, par exemple un Conseil ou une Agence composée d'un certain nombre de personnes zélées, et savoir s'il est opportun de faire des attaques publiques." (V., Lettres, II p. 71).
Ainsi l'abbé d'Alzon entrait aux côtés des laïcs dans leur volonté d'obtenir la liberté de l'enseignement à l'encontre des partisans d'un compromis avec l'Etat. L'organe légitimiste, l' Ami de la religion, politisait le débat, alors qu'il aurait fallu le mener sur le seul terrain du droit des familles à éduquer leurs enfants selon leurs convictions.
Répondant à l'abbé d'Alzon, Montalembert l'invite à ne pas s'engager aux côtés des laïcs, mais au sein de l'épiscopat, pour le rallier à cette cause. Il sait qu'on pense à lui pour être évêque ; il lui conseille d'attendre pour mieux agir, à ce titre, s'il était désigné.
En ce qui touche à la grave et sainte cause dont vous m'entretenez dans votre lettre, et au rôle que vous pouvez et que vous devez jouer dans la question de la liberté d'enseignement, je veux vous dire en toute franchise ce que je pense. Il faut attendre encore quelque temps, non pas, comme vous dites, de peur d'exaspérer l'Université et les gens timides, mais parce que plus tard vous pourrez peut-être agir avec beaucoup plus d'efficacité qu'aujourd'hui.
Il y a deux ans à peu près, M. Guizot, avec qui j'étais alors (ce qui n'est plus) dans d'assez bonnes relations, me parlant, comme il l'a souvent fait, de sa sollicitude pour le développement de la science catholique et de l'influence de la religion en France, je lui dis franchement ma façon de penser sur le choix des évêques et je vous nommai entre autres candidats qui me paraissaient propres à remplir le but que l'on devait se proposer. Ce que j'eus l'occasion de lui dire de vous le frappa, car un an après, la dernière fois que je causais avec lui, il me rappela votre nom et me dit qu'il désirait vivement vous voir arriver à l'épiscopat. [...]
En effet, depuis onze années que je m'occupe avec une constante sollicitude de cette question, dont tout dépend, j'ai eu trop d'occasions de me convaincre qu'elle ne pouvait être résolue que par l'intervention active de l'épiscopat. Quand vous serez évêque, alors il faudra agir, et un seul de vos actes aura plus de puissance et de résultats que vingt années d'efforts où vous vous useriez aujourd'hui, comme moi et tant d'autres nous nous sommes usés. Si j'étais sûr que vous ne dussiez jamais être évêque, je vous dirais au contraire : agissez de suite, car je ne suis pas de ceux qui aiment la temporisation et la tiédeur. Mais tel que vous êtes, je vous trouve trop précieux pour être exposé dès à présent, et j'aime mieux que vous vous gardiez pour une attaque, où vous ne courrez pas moins de dangers, mais où ces dangers seront plus éclatants et plus féconds. [...]
Dans les circonstances actuelles, [la question de la liberté de l'enseignement] se brise chaque jour sur deux écueils :
1° La mollesse et l'incurie de l'épiscopat qui ne veut voir que ses Petits Séminaires et qui, à très peu d'exceptions près, ne comprend rien à l'importance vitale de la liberté d'enseignement pour la société et pour l'avenir de l'Eglise, en France. Or, pour remuer et corriger l'épiscopat, il faut être évêque. Vous savez cela mieux que moi.
2° La déplorable exploitation que le parti légitimiste fait de cette même question. Voilà, au fond, le grand et suprême obstacle. Si ce malheureux parti ne venait pas, comme toujours, se jeter au travers du mouvement de la jeunesse vers le catholicisme, on pourrait espérer beaucoup.
8
Extrait de la lettre de l'abbé Goubier à l'abbé d'Alzon, Nîmes le 9 juillet 1843. - Orig.ms. ACR, OF 1.
A la recherche d'un local pour l'établissement des Carmélites à Nîmes, l'abbé Goubier, curé de la paroisse Sainte-Perpétue, informe l'abbé d'Alzon qu'il a conclu, à son insu, l'achat de la pension Vermot, dans des conditions qui lui ont paru acceptables, quoique le local ne puisse être mis à la disposition du Carmel dans l'immédiat. Mais, de fait, il devenait propriétaire d'un établissement scolaire, placé sous le Patronage de l'Assomption par l'abbé Vermot.
Nous voilà donc propriétaires de l'établissement Vermot, ce qui certainement ne vous surprendra pas. Je l'ai acheté en votre nom et au mien, je l'ai acheté sans avoir une obole pour le payer. Le tour de force est là, ne vous effrayez pas, mon cher, je sais une caisse qui ne fait jamais défaut et où nous puiserons en temps et lieu. J'en ai trouvé la clef, déjà plusieurs fois elle m'a été ouverte et je suis assuré qu'elle ne restera pas close pour l'oeuvre que nous avons entreprise. Cette caisse est celle de la Providence. [•••]'
Nous avons acquis pour 78 000 francs la maison Vermot. Nous avons dix ans pour la payer ; pendant les six premières années, si ces MM. s'obstinent à l'occuper, ils paieront, eux, les intérêts de la somme totale, les indemnités assurées à M. Vermot par leur contrat, les impositions, de quelque nature qu'elles soient ou puissent être, etc., en sorte que de six ans nous n'avons à payer ni capital, ni intérêt. Il est vrai que la maison est à nos périls et risques, mais encore en vertu dudit contrat, MM. Tissot. et Cie sont tenus à toutes les réparations non seulement locatives mais à celles qui seraient jugées utiles et nécessaires. Notre condition ne peut pas être meilleure.
Il est vrai que, dans cette première hypothèse, nous ne jouirons de la maison qu'après six ans, qu'importe, au moins nous sommes assurés que ce temps écoulé, la maison est à nous, et c'est beaucoup, à cause de la difficulté que l'on trouve à se procurer à Nîmes des maisons propres à former des établissements religieux et même des terrains pour y bâtir, car je ne me suis décidé à prendre chez M. Vermot que lorsqu'il a été démontré que nous ne trouverions pas ailleurs sans dépenser le double.
Pendant ces six ans, on pourrait trouver n'importe dans quel quartier de la ville une maison qu'on prendrait en loyer et où les dames Carmélites pourraient commencer.
9
Lettre de Monnier à Germer-Durand, Nîmes le 28 novembre 1843. -Orig.ms. ACR, OC 185.
Monnier expose à son ami Germer-Durand le projet de l'abbé d'Alzon autorisé par l'évêque, non plus de loger les Carmélites dans la pension Vermot, mais de relever cet établissement scolaire par un enseignement hautement qualifié pour le bien de la jeunesse catholique. Une chance, un risque aussi, est offert aux professeurs chrétiens gradués de l'Université ; "M. d'Alzon demande toutes les objections possibles".
Mon cher Eugène,
Une proposition très sérieuse vient de m'être faite par M. d'Alzon; elle te concerne également. Laisse-moi t'en faire part[...] M. d'Alzon, sans renoncer à ses Carmélites, ne songerait plus maintenant à les établir dans le pensionnat de l'Assomption. Il voudrait relever cet établissement. Monseigneur l'a autorisé à poursuivre ce projet. Une commission spéciale, composée de MM. d'Alzon, Goubier, de Tessan, Privât, Robin, a été désignée pour s'occuper activement de sa réalisation. Des souscriptions nombreuses assurent déjà un avenir matériel à la nouvelle maison.
Elle serait mise immédiatement sur un haut pied d'études. En attendant la liberté d'enseignement, les élèves suivraient les cours du collège. Mais cinq professeurs laïques seraient attachés à la maison comme répétiteurs, et feraient des cours particuliers dans l'établissement. On leur donne 4 000 francs; une retraite leur est assurée. Quatre de ces professeurs seraient MM. Loupot, Llabour, Durand, Monnier. Il s'agit de renoncer à l'Université, de courir la chance d'une lutte qui peut être défavorable à l'établissement, d'exposer peut-être l'avenir de sa famille. D'un autre côté, il y a des garanties assez importantes; c'est une bonne œuvre, il y a beaucoup de bien à faire; il y a un premier exemple et une première impulsion à donner à d'autres dans l'intérêt de la lutte engagée aujourd'hui entre le catholicisme et la philosophie.
M. d'Alzon te demande toutes les objections possibles; moi, particulièrement, je viens te consulter [...] Si tu ne veux pas venir, réponds-moi le plus tôt qu'il te sera possible. Nous vieillissons, ami : voilà les trente ans qui nous débordent. C'est un des moments sérieux dans la vie : ou, de trente à quarante ans, on est quelque chose, ou l'on n'est rien. Dieu nous appelle-t-il ailleurs que dans l'Université? [...] Prions-le qu'il nous éclaire; et que sa volonté se fasse, rien que sa volonté.
10
Circulaire de MM. d'Alzon et Goubier, propriétaires de l'établissement de l'Assomption. - V., Lettres, II p. 121-124.
Les abbés d'Alzon et Goubier informent le public qu'ils ont l'intention de reprendre la pension Vermot, pour en faire un établissement scolaire de haute tenue intellectuelle et religieuse, dans le cadre des lois en vigueur et de la future loi de la liberté de l'enseignement dont on parle. Ils veulent par là répondre aux désirs légitimes des familles qui veulent accorder à leurs enfants une éducation conforme à leur foi et prévenir le reproche que l'on pourrait faire à l'Eglise de s'en désintéresser.
[Nîmes le 22 janvier 1844].
Une grave question préoccupe en ce moment tous les esprits et s'agite au sein de la France. Les familles chrétiennes en suivent les débats et en attendent l'issue dans la plus pénible anxiété.
Quelle sera la loi sur la liberté d'enseignement promise par le discours sur la couronne ? Il est difficile de le prévoir. Satisfera-t-elle pleinement les vœux des catholiques ? On l'ignore. Cependant, ils gémissent de ne pouvoir donner à leurs enfants une éducation en harmonie avec leur foi et leurs principes religieux, forcés par le monopole ou à les envoyer dans les établissements qui n'ont pas leur confiance ou à les garder auprès d'eux, les voyant ainsi perdre des années pleines d'espérance et d'avenir.
Ces gémissements des familles ne sont pas un secret renfermé dans l'intérieur du foyer domestique : ils s'exhalent au dehors en plaintes déchirantes, quelquefois même en reproches amers vis-à-vis du clergé, que ces familles accusent de ne point assez comprendre leur douleur ou de ne rien faire pour y apporter un terme. Pour notre part, nous les avons entendues, ces plaintes si légitimes; ces reproches, nous les avons reçus; ils sont descendus profondément dans nos cœurs de prêtres, et nous avons enfin compris qu'il ne fallait plus s'en tenir à de stériles regrets et que, pour répondre à tant de justes réclamations, il était urgent de former à Nîmes un établissement, expression vraie, réalisation complète des désirs des familles.
C'est cet établissement que nous annonçons aujourd'hui au public(13).
[...] Il suffira, nous l'espérons, de faire connaître nos projets pour que l'on comprenne que notre œuvre est essentiellement une œuvre de zèle, de dévouement et de sacrifice, car, d'avance, il faut qu'on le sache, le but de nos efforts est de doter notre pays d'établissements catholiques de tous genres. Nous commençons par celui-ci. Peut-être servira-t-il à en fonder bien d'autres, différents sans doute, mais tous répondant à quelque besoin de la religion. Dans les circonstances présentes, il y a, il nous semble au moins, quelque courage à entreprendre cette œuvre. Les familles chrétiennes nous en sauront gré; assurément, elles apprécieront le bienfait qui leur est offert.
Toutefois, qu'on en soit bien convaincu, nous n'apportons pas ici un esprit hostile envers ce qui est déjà; nous nous attendons à éveiller des susceptibilités, mais nous ne pouvons pas, à cause de cela, renoncer à un droit que nous tenons de la loi en nous renfermant dans ses limites. Nous l'acceptons pour le moment telle qu'elle est, nous la respecterons jusqu'à la fin, faisant des vœux cependant pour qu'elle soit plus favorable aux intérêts des familles chrétiennes, et qu'elle assure à tous les Français la part de la liberté que la Charte leur a promise(14).
11
Extrait de la lettre de Germer-Durand à Monnier, Le Vigan, 30 août 1844. - Orig.ms. ACR, OC 96.
L'année scolaire 1843-1844 arrivant à son terme, il importait de mettre en œuvre les dispositions prises par la circulaire du 22 janvier. Aussi, le 1 août, l'abbé d'Alzon, vicaire général, s'adresse, au nom de l’évêque, aux curés du diocèse pour le recrutement des élèves (ACR, CX 98); le 10 août, l'abbé Tissot, directeur de l'établissement présente au public les nouvelles conditions d'admission, et l'abbé Goubier joint à cette circulaire un prospectus imprimé (ACR, CK 3). Les élèves du régime précédent sont congédiés.
L'événement le plus important, cependant, fut le ralliement à la cause de l'abbé d'Alzon de Monnier et de Germer-Durand, tous deux gradués de l'Université: Monnier abandonnait son professorat de 3ème au collège royal de Nîmes, et Germer-Durand, son professorat de seconde au collège royal de Montpellier. Par respect pour leur situation de famille, l'abbé d'Alzon leur assurait les mêmes avantages financiers que leur procurait l'Université. Avant la nouvelle rentrée scolaire, ils éprouvent le besoin de se rencontrer, et pour cela, le P. d'Alzon a mis à leur disposition sa maison du Vigan.
Nous voilà donc engagés, mon cher Jules; car, bien que l'acte ne soit pas encore signé, nos paroles sont données, et nous ne pouvons plus reculer. J'ai écrit hier à Mgr l'évêque de Montpellier pour l'informer de ma démission [...] Je compte écrire aujourd'hui au Recteur pour le prier d'informer officiellement le Ministre [...]
A Nîmes, le bruit doit commencer à circuler. Quel effet cela fait-il ? Il faut le répandre le plus possible, et se remuer pour avoir des élèves. Ici ma belle-mère va le dire à toutes ses connaissances. Le prospectus et la lettre qui l'accompagne doivent être prêts pour l'émission. Il faut en couvrir tout le Midi. Envoie-m'en quelques-uns.
Ces Messieurs nous ont laissé à nous deux une tâche assez importante : celle de l'organisation des études. Y as-tu pensé ? Nous avons besoin de nous entendre là-dessus entre nous et avec eux; nous surtout entre nous deux afin de dresser un plan que nous soumettrons à leur approbation [...]
Il faudrait que nous soyons réunis. Pourquoi ne viendrais-tu pas passer huit jours au Vigan ? C'est un si beau pays, une nature si pittoresque et si enchanteresse ! Nous causerions de notre nouvel état et de notre organisation, à l'ombre des bois de châtaigniers ou en scandant les montagnes et les lits des torrents. Viens vite ! [...]
Présente mes respects à MM d'Alzon et Goubier.
12
Réactions diverses à l'annonce de l'ouverture à Nîmes d'un établissement scolaire espérant le plein exercice
Différentes personnalités exprimèrent à l'abbé d'Alzon, pour son audace, leur enthousiasme, leur crainte, leur désapprobation. Fallait-il biaiser ainsi avec la lutte à mener contre le monopole universitaire ?
a)
Extrait d'une lettre de Mgr Doney, évêque de Montauban, à l'abbé d'Alzon, 31 août 1844. - Orig.ms. ACR, DZ 153.
Ami de l'abbé d'Alzon, Mgr Doney applaudit à son audace, mais il n’a pas compris s'il se contente de créer un établissement scolaire, s'il ajoute une école normale pour former des professeurs. De fait, l'abbé d'Alzon y avait songé et avait demandé à Jean-Marie de La Mennais quelques-uns de ses Frères dans ce but. Il en avait reçu une lettre d'encouragements, mais sans engagement (ACR, EA 399).
J'applaudis de grand cœur à l'établissement d'une école normale et aux bases que vous m'indiquez : des prêtres, de bons prêtres, pour diriger et donner le ton, et de bons professeurs laïques, achetés même à gros denier [...] Mais je n'ai pas compris si vous vouliez vous borner à une école normale, ou s'il s'agissait pour vous d'établir un pensionnat, une bonne institution secondaire, en y ajoutant l’affaire spéciale des professeurs à former.
b)
Extraits de deux lettres de du Lac, rédacteur à l’"Univers" à l'abbé d'Alzon
Ami de l'abbé d'Alzon, du Lac, retourné de Nîmes à Paris, lui écrit qu'il ne peut espérer, dans le cadre des lois existantes, le plein exercice, mais l'encourage et l'appuiera dans l'Univers.
1° De la lettre du 22 août 1844. - Orig.ms. ACR, EB 159.
J'ai pris des renseignements de tous côtés; enfin, n'en trouvant pas de positifs, je me suis, sur le conseil d'Ozanam, jeté dans la bouche de M. Rendu, membre du Conseil royal de l'Instruction public. Le résultat de tout cela est de vous écrire exactement ce que je vous aurais écrit, il y a un mois, sans avoir consulté personne. Il est possible de ne pas envoyer vos enfants au collège. Le changement de méthode serait aux yeux de l'Université une fort mauvaise raison, et la violation des règlements universitaires par le collège une plus mauvaise encore.
2° De la lettre du 2 septembre l844. - Orig.ms. ACR, EB 160.
Je vous félicité de votre entreprise et des risques que vous courez. Je prierai et ferai prier pour le succès de cette affaire. Je vous promets aussi que l'Univers vous applaudira chaudement, je vous y proposerai en modèle à tous les diocèses : le meilleur moyen d'avoir la liberté d'enseignement, c'est de faire ce que vous faites. Ne manquez pas de m'envoyer prospectus, lettres et tous les détails.
c)
Extrait d'une lettre du P. Deschamps, s.j., au P. d'Alzon, 26 novembre 1844. - Orig.ms. ACR, EB 395.
Pour le P. Deschamps, Jésuite de la communauté de Fourvière à Lyon, plutôt que d'ouvrir un établissement avec l'espoir d'avoir le plein exercice, il vaut mieux poursuivre l'action en faveur de la liberté de l'enseignement par des comités locaux, ainsi que le P. d'Alzon lui-même en sa province.
Je reviens à mon objection contre les institutions qui, en acceptant le projet de loi ou le statu quo actuel, reconnaissent et sont forcées de reconnaître le droit que s'arroge l'Etat de diriger l'instruction morale et de s'en faire, par là-même, le juge souverain. Il me semble qu'il y a là plus qu'un fait à subir, qu'il y a un principe schismatique qu'en aucun cas et en aucun sens, on ne peut accepter. Quelle est la prétention de l'Université en inspectant les institutions, interrogeant, examinant sur l'instruction religieuse et morale ? - de représenter, sans aucun doute, la suprématie de l'Etat en cette matière et de l'exercer en son nom. La chose est évidente et par le texte des décrets constitutifs de l'Université, et par la lettre et l'esprit du nouveau projet de loi, et par les actes mêmes des inspecteurs. S'y soumettre donc, sans explication, sans protestation, c'est évidemment accepter et reconnaître cette suprématie par une suite d'actes volontaires et libres de cette liberté qui suffit pour pécher [...]
Je vous félicite sur la création de vos Comités et sur la sage organisation donnée par vos soins au zèle de votre excellente province; j'en ai écrit un mot à M. de Montalembert pour l'engager à correspondre avec vous. Après l'avoir communiquée au diocèse de Montpellier, ne pouvez-vous pas la faire passer encore à ceux de Marseille et d'Avignon et autres voisins ? Dieu n'a peut-être donné qu'à vous seul, Monsieur le grand vicaire, position, talent et zèle pour le pouvoir. Vous rendriez par là un immense service à l'Eglise et à notre pauvre France.
d)
Extrait d'une lettre de Montalembert à l'abbé d'Alzon, 27 novembre 1844.- Orig.ms. ACR, EB 530; V., Lettres, II, App. p. 447.
Alors que l'unité n'est pas faite entre les catholiques pour obtenir par voie de comités et de pétitions, sur la base du droit commun, la liberté de l'enseignement, Montalembert redoute que l'initiative de l'abbé d'Alzon, de trop louée par l'Univers et le Correspondant, ne donne prétexte à l'Etat de refuser la liberté réclamée.
Oui, vraiment, je viens vous blâmer de ce que l'Univers et le Correspondant vous ont tant loué de la création de ce pensionnat de l'Assomption, qui fait le plus grand honneur à votre zèle et à votre désintéressement, mais qui me semble affaiblir gravement la position des adversaires de la loi Villemain. Je vous avoue que, pour ma part, je ne saurai que répondre à cet hypocrite, lorsqu'il viendra dire à la tribune que cette loi, si violemment attaquée par moi et mes amis, est trouvée si bonne et si favorable par des ecclésiastiques éminents (comme M. l'abbé d'Alzon), qu'ils en attendent la promulgation pour fonder des établissements catholiques déjà annoncés; que, par conséquent, elle offre tous les moyens nécessaires pour subvenir aux vœux des familles religieuses, sans effaroucher le pays; que toute exigence ultérieure ne peut venir que de brouillons ultramontains, etc. Si vous avez, mon cher ami, quelque bon argument à me fournir pour répondre à ces sophismes, je vous supplie de me les communiquer. Je sais bien que ce sont des sophismes, mais ils feront le plus grand effet sur les Chambres et même sur beaucoup d'évêques.
13
Lettre de l'abbé d'Alzon à Germer-Durand, Paris le 31 mai 1845. -Orig.ms. ACR, AC 52; V., Lettres, II p. 253-255.
De Paris où il s'est rendu pour obtenir le plein exercice pour son collège, l'abbé d'Alzon révèle à son ami Germer-Durand quelle était son intention profonde lorsqu'il prit à cœur le relèvement scolaire de la pension Vermot : l'occasion lui était offerte de répondre au désir qu'il sait venir de Dieu, d'établir un institut religieux. Il se sait compris de Germer-Durand, alors qu'autour de lui on accuse son zèle d'inconstance, passant d'une œuvre à l'autre; du moins les laisse-t-il en bonne voie de développement. - Le cachet utilisé pour clore cette lettre porte la Croix et la devise : Christus omnia in omnibus.
Mon cher ami,
Il faut que vous soyez la bonté même pour m'écrire une lettre comme celle que j'ai reçue de vous, il y a deux jours. Mais, vous le dirai-je, si votre lettre augmente mon courage pour poursuivre mon idée, elle ne l'eût pas ébranlé, supposé que vous eussiez été de l'avis de M. de Tessan(15). Il faut bien que l'on soit convaincu que je romprai, mais que je ne plierai pas. Je sais à quoi je m'expose; je sais que je serai seul ou que je pourrai me trouver seul. Les réflexions que je fais ici me font considérer l'avenir que je me prépare à un point de vue fort triste. Je ne reculerai pas. Heureux ceux qui n'ont qu'à obéir. L'œuvre telle que je l'envisage veut plus que de l'obéissance, elle veut la solitude, l'isolement de ma volonté en face de volontés contraires que je dois plier ou briser. Si Dieu le veut, qu'importe ?
Je me sens la même résolution pour me faire traiter d'insensé, de tête légère, d'inconséquent et d'inconstant, que j'en ai eu pour commencer à vous faire mes propositions. J'en ai même beaucoup plus, parce que, dès que j'ai eu adopté l'oeuvre, mon étoile m'est apparue de nouveau. Depuis dix ans, je ne savais plus où j'allais; aujourd'hui, je crois le savoir. Je vais à beaucoup de peines, de chagrins, d'ennuis, et je suis très calme. Dieu me maintiendra-t-il toujours dans ce sentiment ?
D'autre part, si Dieu veut que j'accomplisse ma mission, ce sera à moi, et non pas à un autre, d'en accepter la responsabilité. Je devrai prendre des conseils, mais ce sera à moi à décider. Mais les conseils que je prendrai et que je ne suivrai pas toujours, m'attireront le blâme de ceux que j'aime le plus, et cela encore il faudra que je le veuille. Je laisse donc l'abbé de Tessan dire ce qu'il veut. Je suis triste de n'avoir pas son approbation, parce que je l'aime beaucoup, mais je n'en irai pas moins en avant. Il faut que l'oeuvre se fasse.
Maintenant, mon cher ami, comprenez-vous comment j'ai besoin de votre amitié, dans toute la force du mot ? Il y a dans votre éducation et dans la mienne ce que j'appellerai une couche d'idées instinctives qui font que, simple chrétien, vous comprenez de sentiment ce que je voudrais faire, bien mieux que d'autres avec tous les raisonnements de la terre. Vous comprenez aussi pourquoi une série d'oeuvres bonnes a pu être accomplie par moi avec dégoût, et pourquoi l'entreprise à laquelle je me dévoue peut absorber, pour ma vie, mon être tout entier. Je pourrais, moi aussi, discuter une à une les oeuvres que j'ai entreprises, et peut-être pourrais-je me justifier. Mais j'aime mieux admettre un fait vrai, c'est que toujours je ne m'y suis pas porté avec le sentiment d'intérêt que j'aurais dû. Mais pourquoi ce sentiment m'a-t-il manqué, sinon parce que j'étais angarié et non attiré.
Et après tout, les Dames de la Miséricorde vont-elles plus mal, depuis que je m'en occupe ? Le Refuge a-t-il subi des retards dans son développement par ma faute ou par celle de l'évêque ou d'autres personnes ? L'avenir des Carmélites n'est-il pas assuré ? La Conférence de Saint Vincent de Paul, qui s'est formée malgré l'évêque, a-t-elle encore besoin que je l'aide contre lui, puisqu'il fait tout sans me consulter ? J'en dirai autant de la Caisse diocésaine, où l'on prend des décisions sur mon compte, quoique j'en sois le président, sans que je le sache; autant de la Bibliothèque populaire, où Monseigneur traite tout avec M. Gareiso sans moi. Je ne m'en plains pas. Je dis seulement que je puis sans grand inconvénient me retirer de tant d'oeuvres commencées et que l'on sait fort bien faire, sans que je m'en occupe. J'y ferai peu défaut par mon éloignement, et, pour les autres, je les continuerai jusqu'à ce qu'un autre veuille me remplacer; ce qui sera facile, pour peu qu'on s'y prête.
En résumé, qu'on le veuille ou non, j'essayerai. Je réussirai, si Dieu le veut; j'échouerai, si Dieu le veut. Peu m'importe ! L'idée est dans ma tête et dans mon coeur; il faut que je la produise, malgré tous les obstacles humains qui ne m'inspirent aucune crainte réelle.
J'ai déjà donné une réponse pour le Polonais : j'ai dit qu'il fallait attendre. Ferrand, depuis qu'il voit que je ne suis pas très ou tout Jésuite, n'a plus de sujets à m'offrir. J'ai terminé aujourd'hui une retraite aux Assomptiades, ce qui m'a fort absorbé. Ces femmes font honte à bien des hommes par le développement de leur intelligence et la largeur de leurs idées.
Adieu. Mille choses à M. Goubier, à qui vous pouvez lire ma lettre; lui me comprendra, je l'espère, et m'approuvera. Adieu, adieu.
E. d'Alz.
J'embrasse Monnier.
14
Extrait d'une lettre de l'abbé Goubier à l'abbé d'Alzon. Nîmes, le 5 juin 1845. - Orig.ms. ACR, OF 25.
Répondant à une lettre perdue de l'abbé d'Alzon, l'abbé Goubier lui donne son avis sur l'avenir de leur oeuvre commune et sur sa propre collaboration, dès lors que cette oeuvre deviendrait le support d'une fondation religieuse et que, pour la mieux assurer, il faudrait s'éloigner de Nîmes. En effet, le ministre ne semble vouloir accorder le libre exercice qu'à des établissements situés dans des villes ou il n'y a pas de collège royal : faut-il envisager de quitter Nîmes pour Beaucaire ? Mais aller à Beaucaire où se trouve le petit séminaire ne serait-ce pas lui porter ombrage ? Quelle que soit l'hypothèse envisagée, l'abbé Goubier répond à la question préalable de l'orientation religieuse de l'oeuvre.
Dans cette hypothèse comme dans toutes autres, ma position dépend singulièrement de la vôtre. D'abord je vous avouerai ingénument que je ne me sens pas du tout la vocation à la vie religieuse, au moins jusqu'à présent. Le bon Dieu ne m'a rien fait connaître à ce sujet. [...] Donc, mon cher ami, si, comme vous en avez la pensée, vous voulez fonder une Congrégation régulière enseignante, je dois me retirer, dès que le moment sera venu. Mais en attendant, et aussi longtemps qu'il le faudra, je vous aiderai de tout ce que le bon Dieu a pu me donner d'activité pour fonder ce nouvel établissement à la tête duquel vous devez vous placer et qui peut être le berceau de cette famille que le bon Dieu vous appelle à créer dans l'intérêt de la religion, de la science et des arts. […] La lenteur obligée de vos démarches à Paris vous tiendra encore quelque temps séparé de nous. C'est assez pour que vous rompiez entièrement avec l'exercice d'un ministère qui absorberait le temps que vous serez obligé de consacrer à une autre oeuvre, ce qui sera votre oeuvre spéciale, tandis que ce que vous avez fait jusqu'ici est l'oeuvre de tout prêtre. Je sais que là est le grand sacrifice. On ne renonce pas volontiers à un ministère, par lequel on a fait tant de bien que vous en avez fait à Nîmes; mais si le bon Dieu a des desseins particuliers sur vous, s'il veut se servir de votre zèle et de vos talents pour autre chose, et qu'il vous le fasse connaître d'une manière claire, le bien qu'il fera ailleurs par vous sera plus grand encore et vous dédommagera amplement de ce que vous aurez laissé pour lui.
15
Echange de lettres entre Mgr Cart et l'abbé d'Alzon
De Paris, l'abbé d'Alzon avait demandé à l'abbé Goubier de sonder Mgr Cart pour savoir ses intentions au cas où l’on transférerait l'établissement scolaire de l'Assomption de Nîmes à Beaucaire, afin de bénéficier du plein exercice escompté. Mgr Cart n'avait pas caché à l’abbé Goubier ses hésitations, pas seulement parce que son petit séminaire de Beaucaire aurait pu en souffrir, mais parce que de gros intérêts financiers, imputables à l’abbé d'Alzon, étaient en cause. Mgr Cart, par bienveillance, et pour ne pas couvrir d'imprudences - ne prête-t-on pas à Nîmes à l’abbé d'Alzon un projet de nouvelle communauté ? - croit devoir lui écrire : "Il faut que la sagesse conduise le dévouement".
Nous donnons la seconde partie de la lettre de Mgr Cart et, intégralement, la réponse de l'abbé d'Alzon. - Dans la première partie, Mgr Cart, chiffres en mains, faisait le point sur l'article des dettes, article sur lequel il revient dans la seconde partie.
a)
De Mgr Cart à l'abbé d'Alzon, Nîmes le 13 juin 1845. - Orig.ms. ACR, DZ 47; V., Lettres, II, Append. p. 458-461.
Dites-moi donc enfin, mon bien cher abbé, qu'est-ce que ce projet de nouvelle communauté qu'on vous prête à Nîmes ? Oh ! je vous en conjure, ne méditez donc pas de nouveaux desseins ! Il me semble que vous avez déjà beaucoup à faire pour achever ce que vous avez commencé. Le Refuge n'est pas assis; il y a même de graves difficultés pour la solution desquelles on vous attend à Lyon. Les Carmélites sont à peine installées. L'établissement de l'Assomption offre de grands embarras et des chances fort douteuses. Les Dames de la Mission ou de la Miséricorde sont en souffrance, et vous allez, mon cher abbé, imaginer de nouvelles choses ! Oh ! mon ami, il faut que la sagesse conduise le dévouement. Méditez donc ces paroles : Coepit aedificare et non potuit consummare, et appliquez-vous maintenant et uniquement à terminer vos entreprises.
Je ne pourrai donc pas, même dans votre intérêt, vous laisser commencer de nouveaux projets, surtout en ce qui concerne des religieuses ou des Tiers-Ordres. Croyez bien que cette prodigieuse activité, qui change trop souvent d'objet, ne sert pas à vous donner une réputation de prudence et de constance, qui est toujours utile au prêtre.
Que mes paroles, mon cher abbé, ne vous affligent pas. Il me semble que je les écris avec beaucoup de calme et d'affection. Peut-être avez [-vous] toujours trop redouté que je vous arrêtasse dans l'exercice de votre zèle. Je voudrais le régler mieux. Une seule oeuvre bien assise me paraît préférable à un grand nombre d'autres qui n'offrent pas de stabilité. Il me semble que, malgré mon impuissance, je puis ne pas vous être inutile, et peut-être par cela même que j'opposerai mon inertie à votre mouvement. Voyez, mon ami, il faut que l'esprit de Dieu, plus encore que notre propre esprit, soit le mobile de toutes nos entreprises. Or, je crois que le sentiment d'un supérieur ne doit jamais être mis de côté, si l'on veut marcher selon l'esprit de Dieu; et ma foi me porte à croire que, tout ténébreux que je sois, je puis être de quelque lumière, lorsqu'il s'agit de savoir ce qu'il faut faire dans l'intérêt de mon diocèse et même de l'Eglise de Dieu.
Dans l'article des dettes, je n'ai parlé que de celles relatives à l'établissement de l'Assomption. Dans le compte que vous vous rendrez à vous-même, tenez note des autres. J'ai lieu de soupçonner que votre famille partage mes craintes et qu'elle n'approuve pas vos dépenses(16). Souvent j'ai été tenté de lui écrire, afin de mettre près d'elle ma responsabilité à couvert parce que je crains qu'elle ne s'imagine que c'est moi qui vous pousse à tout cela. Je m'en suis abstenu, mais encore une fois, songez que si vous veniez à mourir, votre honorable famille n'applaudirait sans doute pas à votre déficit. A votre place, je ne m'engagerais pas sans connaître positivement son intention [...]
Pardonnez-moi cette longue lettre et qu'elle vous soit une preuve de mon affection et de mon dévouement.
+ F., év[êque] de N[îmes] .
b)
De l'abbé d'Alzon à Mgr Cart, datée de Paris, le 24 juin 1845 Orig.ms. ACR, AC 54; V., Lettres, II p. 258-260.
Je reçois à l'instant même votre lettre, au retour d'une course que je viens de faire à Bièvres, chez les Bénédictins. Laissez-moi vous dire, tout d'abord, combien la manière dont vous voulez bien me parler me touche, et combien je vous suis reconnaissant des détails dans lesquels vous voulez bien entrer.
Pour la partie matérielle de mon oeuvre, je ne dois pas vous dissimuler que je m'attends à des pertes, environ 200 000 francs. J'ai prévenu mes parents qui ne peuvent m'en empêcher, parce que, sur leur fortune, j'ai par un testament environ 200 000 francs qui m'appartiennent, de manière que, quand je mourrais avant eux, je serais sûr du payement de mes dettes. Il me reviendra après eux, si je leur survis de 300 à 400 000 francs en sus des 200 000 francs qui sont ma propriété d'ores et déjà.
Je ne puis être encore fixé pour Beaucaire. Dans tous les cas, je demanderai de rester trois ans à Nîmes pour avoir le temps de m'arranger ailleurs. J'ai, depuis quelques jours, écrit en ce sens à M. Goubier. M. de Salvandy est invisible : autrefois pour sa goutte, à présent pour son budget; j'espère le dépister pour la fin de la semaine.
Vous êtes surpris, peut-être, Monseigneur, du calme avec lequel je vous parle des dépenses et des pertes présumées de l'établissement dont je m'occupe tant. C'est que j'ai eu peut-être tort de ne pas vous le dire déjà; mais à présent que ma pensée est bien arrêtée, je dois vous dire que j'en fais l'affaire de ma vie. Depuis longtemps, vous le savez, la pensée de quitter la vie de prêtre séculier me poursuit. Je dois vous dire toute ma pensée, aujourd'hui que je reçois une lettre de M. de Montalembert qui m'apprend que le nonce veut me voir demain avant trois heures, pour une affaire importante. Quelle que soit cette affaire dont je ne me doute pas en ce moment, je dois vous dire que, depuis assez longtemps déjà, j'ai fait voeu de rester toujours simple prêtre, à moins d'un ordre formel du Pape et après que j'aurai exposé mes raisons de refuser. Ceci, vous le pensez bien, je vous le dis sous le sceau du secret. Assez de mes amis me font observer que ma conduite est imprudente et que je ne dois pas contrarier les vues de la Providence. Je leur réponds ce que je répondais quand, au moment de me faire prêtre, on me disait qu'il y avait un grand bien à faire comme simple chrétien : "C'est possible, mais Dieu ne m'appelle pas à faire ce bien-là." Une nouvelle association ne serait pas vue de mauvais oeil; j’ai acquis la certitude par des renseignements que j'ai fait prendre. Ceux que j'ai obtenus sont parfaitement sûrs.
Je me permets de ne pas répondre aux autres observations que vous voulez bien me faire. Il faudrait causer très longuement pour se bien entendre à cet égard, et c'est ce que je compte faire à mon retour à Nîmes. La seule chose sur laquelle je sois arrêté, c'est la conviction profonde que Dieu ne me veut pas prêtre séculier. Comment accomplirai-je sa volonté ? C'est la question qui m'absorbe, et sur laquelle j'invoquerai et vos lumières d'évêque et vos conseils d'ami.
Dès que je saurai ce que le nonce me veut, je m'empresserai de vous l'apprendre.
Je suis, avec une vive reconnaissance et une humble affection, Monseigneur,
Votre soumis et dévoué fils. E. d'Alzon
16
Extraits du journal de Thomas-William Allies, professeur d'Oxford, de passage à Paris en 1845
L'abbé d'Alzon, présent à Paris, du 16 avril au 15 septembre, a été reçu par Salvandy, ministre de l'Instruction publique, une première fois au début de juin, sans rien obtenir. Il devait être reçu une seconde fois le 21 août. Pendant son séjour, il loge chez M. Bailly, rue Madame, où il fait la connaissance du jeune Vincent de Paul Bailly. Presque chaque jour, il célébrait la messe chez les Religieuses de l'Assomption, rue des Postes. Du 6 au 21 juillet, il montre à deux professeurs d'Oxford, amis de Newman, les établissements religieux de Paris; l'un d'eux, T.-W. Allies, dans son ouvrage : Journal in France. Letters from Italy, 1845-1849, qui parut en 1849, avait informé l'abbé d'Alzon de la conversion de Newman, dans une lettre datée du 10 octobre 1845.
Nous reprenons de l'ouvrage de T.-W. Allies, dans la traduction qu'en a publiée le P. Vailhé, quelques passages des plus significatifs pour la connaissance de l'abbé d'Alzon et de ses relations à Paris, outre le souci qu'il a de son collège de Nîmes et du plein exercice à obtenir (V., Lettres, II, Append. p. 522-526).
6 juillet 1845. A 5 heures, nous dînions avec M. Bonnetty. Nous trouvâmes là deux prêtres, dont l'un, M. d'Alzon, allait prêcher à Notre-Dame des Victoires, le soir même, pour l'Archiconfrérie du Saint-Cœur de Marie(17). Il paraissait un homme capable, était vicaire général de Nîmes et possesseur de grands biens, quand il se détermina à recevoir les ordres sacrés. Il ne pouvait comprendre comment nous pouvions prêcher avec un livre ouvert devant nous. "En France, personne ne vous écouterait", ajouta-t-il. L'autre prêtre était M. Jacquemet(18).
10 juillet. Chez M. Bonnetty, nous avons trouvé M. l'abbé d'Alzon qui nous a gentiment conduits au couvent des Dames de l'Assomption, rue des Postes. En passant, nous avons jeté un coup d'oeil dans la chapelle des Jésuites, à leur maison de Paris dont on a tant parlé(19).
[...] Très intéressante notre visite aux Dames de l'Assomption. Nous vîmes la supérieure et une Soeur anglaise. Nous avons eu une longue conversation pendant laquelle elle a exposé le but de leur Société, de fondation récente : donner une éducation chrétienne aux enfants de la bonne société, particulièrement de "l'aristocratie de l'argent", qui est, parmi les différentes classes de France, la plus éloignée de la religion.
Vendredi, 11 juillet. Le soir, nous allâmes à Saint-Séverin pour entendre prêcher M. d'Alzon. [...] Son action incessante contraste avec notre calme, et j'imagine très bien que lire son sermon lui eût été insupportable ainsi qu'à ses auditeurs. Des sermons comme ceux de Newman ne seraient pas ici à leur place. Il me semble cependant que nous devrions être formés à parler du haut de la chaire sans livre.
Samedi, 12 juillet. M. d'Alzon nous a conduits à la grande imprimerie de M. l'abbé Migne. Il y a 175 ouvriers, et tout se fait sur place : reliure, clichage, imprimerie et vente. Il imprime un grand volume in-8° à deux colonnes, en latin pour 5 francs, en grec et en latin pour 8 francs : les premiers volumes vont coûter 6 francs. Sa Patrologie comprendra 200 volumes d'auteurs latins et 100 de grecs : 46 ont déjà paru.
Mardi 15 juillet. Nous sommes allés chez M. d'Alzon; il nous a conduits chez Dom Guéranger, qui nous a reçus avec grande bonté(20). [...]
Nous avions exprimé un désir à M. d'Alzon, celui de voir un cilice et des instruments de pénitence. Il nous a conduits dans une maison du Carmel, religieuses de sainte Thérèse, près du Luxembourg.
Mercredi 16 juillet. M. d'Alzon est venu déjeuner avec nous; ensuite il nous a conduits à l'établissement des Frères des Ecoles chrétiennes, rue de Faubourg Saint-Martin, 165, où nous avons été reçus par le Supérieur général, le Fr. Philippe.
17
Lettre de l'abbé d'Alzon à Mgr Cart, évêque de Nîmes, Paris 11 août 1845. - Orig.ms. ACR, AC 61; V., Lettres, Il p. 286-287.
L'abbé d'Alzon vient d'apprendre que Mgr Cart présidera la distribution des prix au terme de la première année d'exercice de la pension Vermot rénovée, appelée désormais Maison de l'Assomption. C'est un encouragement qui ne le laisse pas indifférent; il en remercie son évêque et, comme celui-ci est au courant de ses projets de vie religieuse, il y fait aussi allusion. Il espère toujours obtenir quelque chose du ministre, mais, au fond, peu importe !
Monseigneur,
Je n'ai guère le temps de vous écrire longuement, obligé que je suis de courir au ministère, et je ne veux pourtant pas que le courrier parte sans vous porter l'expression de ma reconnaissance pour tout ce qu'on m'apprend de la manière dont vous avez embelli la distribution de nos prix. En encourageant si paternellement cette œuvre, je puis vous assurer que vous avez arrosé une tige à laquelle, je l'espère, Dieu donnera de l'accroissement, s'il en donne toujours aux œuvres que l'on veut uniquement pénétrer de son esprit(21). Les réflexions auxquelles je me livre depuis longtemps me poussent de plus en plus au désir d'établir le règne de Jésus-Christ, et, en bénissant en son nom une maison dont je veux qu'il soit seul le maître, vous m'avez donné de sa part le seul encouragement dont je sois jaloux.
Adieu, Monseigneur. A bientôt, j'espère. J'ai les plus belles chances, à ce que l'on me dit. Avant la fin de la semaine, je saurai probablement sur quoi compter. Après tout, que j'obtienne ou que je n'obtienne pas ce que je veux, je n'en remercierai pas moins Dieu d'avoir permis que, pendant quelques mois de calme et de repos, j'aie pu me mettre en présence de lui et de ma conscience, pour me disposer à travailler avec plus de générosité à l'accomplissement de mes devoirs de chrétien et de prêtre.
Veuillez recevoir, Monseigneur, l'hommage des sentiments respectueux du plus dévoué de vos enfants.
E. d'Alzon.
18
Extrait d'une lettre de l'abbé d'Alzon à Germer-Durand et Monnier, Paris, 21 août 1845. - Orig.ms. ACR, AC 62; V., Lettres, II p. 288-290.
L'abbé d'Alzon est sur le point d'être reçu une seconde fois par Salvandy, ministre de l'Instruction publique, auquel il a remis un mémoire rédigé par les plus proches collaborateurs attachés à son œuvre. Il les met en garde de céder au découragement devant les dires qui circulent à Nîmes. Il achève sa lettre en faisant mention de la nouvelle escomptée.
Mon cher ami Durand et mon cher ami Monnier,
Je rentre. Il est 10 heures du matin. A 1 heure, je serai au ministère de l'Instruction publique. Salvandy consent enfin à ma recevoir. Je ne fermerai pas ma lettre sans y mettre un post-scriptum, où vous verrez ce qui se sera passé entre lui et moi au sujet de notre affaire.
Après avoir bien examiné, bien consulté, je suis résolu à lui parler ferme et à lui faire peur, tout en mettant le calme le plus grand dans le ton et la mesure la plus parfaite dans l'expression. [...]
Laissez faire et dire les gens de Nîmes. Il est très bon que je sois jugé par eux comme je suis. Si je justifie leur opinion, ils n'en seront pas surpris, et si je ne la justifie pas, ils seront, je l'espère, disposés à me réhabiliter. Du reste, vous me soutiendrez de vos conseils et de vos avis. Je crois vous avoir toujours encouragés à m'en donner par la manière dont je les reçus.
Le séjour que je fais à Paris est utile à bien des choses, me sépare de bien des habitudes qui tomberont d'elles-mêmes. Laissez parler le monde ecclésiastique. Lorsque je suis arrivé à Nîmes, il y a bientôt dix ans, il prophétisait que je ne tiendrais pas à la vie que je menais. Il y a dix ans que j'y tiens, en ajoutant chaque année quelque chose. Si Dieu le veut, je tiendrai bien encore au genre de vie pour lequel je me sens le plus fait. Depuis que je suis dans la résolution de me séparer de mon ancienne vie, je m'exerce assez bien ici et je ne vois pas que je n'y tienne pas. Dussé-je faire rire le bon père de Tessan(22), je suis plus homme d'habitude qu'on ne pense.
Je réserve la quatrième page pour les nouvelles du ministère. Adieu, chers amis. Priez pour moi. Vous dire que je vous aime beaucoup est chose si connue que je n'ose le répéter encore une fois. Tout à vous du fond du cœur.
E. d'Alzon
Je sors de chez Salvandy. Courez chez M. Goubier, à qui je donne les détails. Nous sommes moitié battus, moitié victorieux. Du juste milieu pur(23).
19
Extrait d'une lettre de l'abbé d'Alzon à Germer-Durand, Paris 31 août 1845.~ Orig.ms. ACR, AC 64; V., Lettres, II p. 293-296.
Par son ami Germer-Durand, l'abbé d'Alzon est informé de tout ce qui se dit au sujet de son entreprise scolaire, non seulement dans les milieux catholiques, mais encore dans les milieux protestants et dans les milieux universitaires de Nîmes. On ne doit pas s'en laisser accroire, car on ne travaille pas pour la division des esprits, mais pour la foi de l'Eglise. Lui-même, à Paris, recrute des professeurs, tel Victor Cardenne, et plus encore retrouve devant Dieu l'assurance d'une vocation particulière qui remonte à une dizaine d'années.
J'ai passé une partie de la matinée avec un jeune homme, que j'ai définitivement retenu. Il est tout dévouement. Il voulait se consacrer à l'enseignement du droit; il y renonce, après avoir passé sa thèse d'une manière très satisfaisante. Il s'astreint à une vie régulière, que je lui ai annoncée; M. Goubier vous en a parlé sans doute(24).[...] A prendre l'œuvre comme je l'envisage, je crois qu'il faudra dans le commencement ne pas craindre de faire des sacrifices qui se retrouveront plus tard.
Vous eussiez pu répondre à Del[oche](25), lorsqu'il vous parlait de la haine future que notre pensionnat exciterait entre catholiques et protestants, que l'Université préparait et semait les germes de cette haine par les refus qu'elle nous fait et qui ne nous disposeront guère à lui faire bon marché des différences de croyance et de foi.
Mais tout cela n'est rien, à mon gré, et je ne suis aucunement épouvanté de leurs nuances, encore moins de leurs vœux. Il leur faut, je crois, un autre caractère pour être exaucés. Vous le dirais-je ? Après tout, il m'est impossible de beaucoup m'affliger du refus qui m'est fait. Nous grandirons graduellement, et lorsque la loi, si elle est présentée, nous aura accordé ce que nous demandons, nous nous trouverons ne rien devoir à personne qu'à Dieu. Aussi, tout ce que je conclus et des obstacles que l'on nous suscite, et des prophéties que l'on nous adresse, et de la haine des uns, et des rebuts des autres, c'est que nous avons à faire peu fond sur autre chose que sur Dieu et notre persévérance. Mes idées, sous ce rapport, acquièrent tous les jours un degré de calme intensité, dont je suis étonné moi-même. Je ne suis pas fâché d'avoir pu les durcir dans la réflexion de la solitude, afin de les rendre plus fortes contre le choc qu'elles auront à subir. Il me semble que Dieu soulève pour moi le coin d'un voile longtemps baissé devant mes yeux et que, derrière les nuages dissipés d'un horizon obscur pour moi depuis dix ans, je commence à découvrir et ma lumière et ma route : lucerna pedibus meis eloquium tuum et lumen semitis meis. L'essentiel est de comprendre tout ce que Dieu attend de fidélité à ses impulsions et de générosité à ses ordres.
20
Extraits de lettres de l'abbé d'Alzon à Mère M. Eugénie, Nîmes, septembre 1845.
C'est avec Mère M. Eugénie plus particulièrement que, pendant son séjour à Paris, l'abbé d'Alzon avait mûrit son projet religieux et apostolique. Il est assuré de sa compréhension et de son aide, encore qu'elle désirerait qu'il le réalisât à Paris, et c'est dans la correspondance avec elle que nous trouvons les détails et les difficultés de la mise en œuvre de son initiative.
a)
Nîmes, le 16 septembre 1845. Orig.ms. ACR, AD 364 ; V., Lettres, II, p. 296-298.
L'abbé d'Alzon écrit à Mère M. Eugénie que, de retour à Nîmes, il s'installe à l'Assomption et qu'il tient Mgr Cart au courant de ses projets.
Me voici arrivé depuis hier soir. Je comptais, en entrant dans la maison, aller en saluer le véritable Maître, mais il n'y était pas ; pendant les vacances, on l'avait rapporté chez les Carmélites. J'ai logé à l'infirmerie. J'ai couché dans ma robe blanche(26), j'ai ôté mes matelas et j'ai fait, ce matin, moi-même mon lit. Ne trouvez-vous pas que je m'exécute de bonne grâce ? Vraiment, j'en suis moi-même tout ébahi. Mais que je vous dise donc. Je suis allé ce matin, voir l'évêque. Il m'a reçu très bien ; l'accueil a été des plus tendres, de part et d'autre. Je lui ai demandé un long entretien. Il me l'a offert pour quand je voudrais, et en sortant, il m'a demandé où je logeais. Je lui ai répondu que j'étais descendu à l'Assomption. "Je veux, m'a-t-il dit, que vous vous établissiez à l'évêché jusqu'à nouvel ordre. Tant que durera la retraite et que je serai obligé de rester au Séminaire, vous serez le maître chez moi." Je n'ai rien répondu et, ce soir, j'irai le voir pour le presser un peu à mon égard.
J'ai tâché de sanctifier le plus possible mon voyage et de faire en sorte que toutes mes résolutions ne s'évaporassent pas. Il me semble qu'elles sont encore assez solides. Priez bien Dieu, chère fille, qu'elles se développent toujours et que votre pauvre père ne soit pas un jour puni d'avoir voulu trop faire, vu son incapacité. […]
b)
Nîmes le 21 septembre 1845. - Orig.ms. ACR 367 ; V., Lettres, II p. 302-305.
Après avoir fait le point sur la situation de son établissement scolaire, en vue de la rentrée (professeurs et finances), l'abbé d'Alzon fait allusion aux désapprobations qui l'environnent, et sollicite des prières pour qu'il ne se décourage pas.
Sérieusement, chère Sœur, je suis par moments un peu triste. Je vois autour de moi tant de désapprobations ! Je suis fou aux yeux de tant de gens! On trouve tellement que je suis peu fait pour me livrer à une entreprise pareille que je ne sais vraiment, par moments, ce que je dois faire, ou plutôt je le sais fort bien. Car si l'angoisse est forte, je sens, grâces au ciel, que le courage aussi est grand. Non, je ne me décourage pas. Seulement, j'ai besoin que 1'on prie pour moi, et si, ma bonne fille, vous m'avez remercié du secours que j'ai pu vous donner, c'est à vous à prier avec assez de ferveur, pour que je ne repousse pas le calice que l'on me présente.
c)
Nîmes le 24 septembre 1845. - Orig.ms. ACR 369; V., Lettres, II p. 309-310.
L'abbé d'Alzon annonce l'ouverture des classes pour le 1er octobre et presse Mère M. Eugénie de hâter la venue des jeunes professeurs recrutés par elle à Paris.
Je ne puis vous dissimuler que je suis un peu contrarié du retard de nos jeunes gens, non pour moi, mais pour l'effet que leur lenteur va produire. On nous examine avec des yeux trop peu bienveillants pour que nous ne soyons pas exposés à des critiques, si l'on aperçoit quelque défaut ou quelque manque de parole. [...] Nous ouvrons nos classes le 1er octobre.
On m'attend et, malgré une foule de choses que j'ai à vous dire, il faut que je m'arrête. Adieu, bien bonne et bien chère enfant. Je vous conjure de devenir une sainte, afin que je puisse avoir la pensée que mes rapports avec vous vous ont été utiles devant Dieu.
d)
Nîmes le 26 septembre 1845.- Orig.ms. ACR, AD 370; V., Lettres, II p. 311-314.
L'abbé d'Alzon dit à Mère M. Eugénie qu'il a voulu commencer l'année scolaire par une retraite faite avec le corps professoral, en s'ouvrant devant eux de son projet religieux, et il s'édifie de leur générosité.
Il faut convenir que je suis un peu affairé. Mes professeurs sont en retraite. J'y ai mis ceux que j'avais à ma disposition. Ils sont tous très bien, et j'espère que par ce moyen les choses iront bien. Quand une fois je leur aurai un peu fait connaître ma pensée, j'espère qu'ils l'accepteront un peu plus facilement. Du reste, je ne puis pas me plaindre, car pendant toutes les vacances ceux qui sont restés à Nîmes ont énormément travaillé à préparer une nouvelle édition du règlement. J'ai fait faire une copie pour vous. Il y aura bien des choses à réformer encore, beaucoup qui n'iront point à votre maison, mais qui nous iront à merveille, parce que nous avons affaire à des garçons. Vous verrez vous-même, quand le travail sera terminé(27). [...]
Si je suis le père de votre Assomption, n'êtes-vous pas un peu la mère de la mienne ? Ou plutôt ne sont-elles pas toutes deux nôtres, en ce sens qu'elles sont à Jésus-Christ qui nous les a confiées ? Permettez-moi de vous faire observer, par digression, qu'en parlant aux jeunes gens qui viennent à Nîmes, il ne faut pas trop leur dire que je viendrai un jour à Paris. En arrivant ici, ils le répéteraient, et cela ferait mauvais effet(28). […]
Il faut pourtant vous dire que je suis extrêmement sérieux avec mes jeunes gens, dont je suis enchanté. Il me semble que, de ce côté-là, je n'aurai réellement pas à me plaindre et qu'au contraire je trouverai dans ceux qui m'entourent plus de zèle que je n'avais osé l'espérer d'abord. Il faut pourtant que je m'arrête, car on vient me réclamer pour un exercice. […]
Priez bien le bon Dieu pour moi. Les angoisses que j'éprouvais à Paris avaient bien leur raison. Il y a, certes, beaucoup à souffrir, mais pour[vu] que la santé ne soit, pas ébranlée ! Elle a de fameuses secousses.
Tout à vous et à vos filles en Notre-Seigneur.
21
Rapport d'inspection académique, pension de M. l'abbé Tissot, année scolaire 1847-1848. - Archives départ, du Gard, 2 T 52.
Après quelques années d'exercice et juste avant la Révolution de 1848, le rapport d'inspection académique nous permet de voir que les promesses faites en 1844-1845 ont été tenues. Pour en juger, il faut savoir qu'en 1844-1845, il y avait 8 maîtres et 55 élèves; en 1845-1846, 11 maîtres et 95 élèves; en 1846-1847, 13 maîtres et 140 élèves.
Mais le rapport de 1847-1848, favorable à la "Maison de l'Assomption" qu'il appelle encore "la pension de M. l'abbé Tissot", ne nous dit pas à quel prix fut payée sa progression constante. Dès 1845, le P. d'Alzon commence à subir, selon son expression, "le martyre des écus" pour couvrir les dépenses imposées par l'achat et l'aménagement de l'établissement, les honoraires des maîtres et l'entretien des élèves, malgré le taux élevé de la pension. "Je pars demain pour Lavagnac, où je vais demander des écus, écrit-il le 13 octobre à Mère M. Eugénie; si l'on m'en donne assez nous partagerons." Mais le 15, il précise : "Je suis venu (chez mes parents) faire mon premier acte de dépossession." En effet, si l'on en juge par les actes de succession de 1861, il fut convenu que sa part ne comprendrait ni le château de Lavagnac, ni les dépendances immédiates qui lui revenaient en tant qu'aîné, sans parler d'autres sacrifices. Certes, sa famille était décidée à le secourir, mais elle estimait de son devoir d'agir prudemment.
Nombre des élèves : Pour le secondaire, 117 pensionnaires, 29 demi-pensionnaires , 2 externes. - Pour le primaire, 2 pensionnaires, 13 externes. - Total : 163
Maîtres-adjoints : Maîtres gradués, 13; non gradués, 3; surveillants, 6. [...] (29)
Les bâtiments sont convenablement appropriés à leur destination et en bon état. Le mobilier est bien tenu; il y a de l'ordre et de la propreté ; une infirmerie et une lingerie bien organisées.
D'après une décision ministérielle, le chef de l'établissement est autorisé à avoir dans la maison des classes de langues anciennes jusqu'à la 3ème et les élèves qui les suivent sont dispensés de fréquenter le lycée. Il en est ainsi, en effet, pour ces élèves; et même, pour des élèves plus avancés, comme la plupart se destinent aux Ecoles spéciales, sur la demande des familles, et, il faut le reconnaître, en conformité avec l'esprit de la maison qui repousse maintenant la fréquentation du lycée, après l'avoir acceptée pendant quelque temps, on a constitué un enseignement littéraire spécial correspondant au cours de rhétorique supplémentaire des lycées, mais qui vraisemblablement est complété pour certains élèves qui se proposent un autre but.
L'inspecteur n'a été à même de constater que l'état des cours de littérature appropriés aux élèves qui ont la vocation particulière des mathématiques. Ces cours littéraires, ainsi que les classes établies conformément à l'autorisation qui a été accordée, sont conduits en général dans les voies de progrès, avec des enseignants d'un mérite vraiment distingué, tels MM. Durand, Monnier, Laurent et la plupart des autres maîtres. Les études doivent être aussi fortes que dans les lycées. L'infériorité ne paraît exister, sous certains rapports, que pour l'enseignement de quelques parties de l'histoire, pour la partie plus avancée des cours de mathématiques et surtout pour le cours de sciences physiques qui est à peine institué dans l'établissement.
La direction morale et religieuse est satisfaisante. La surveillance est bien organisée. Les élèves sont fortement excités au travail, non seulement par les professeurs et les surveillants, mais encore par le préfet des études qui les tient sans cesse en éveil. On fait usage en classe des ouvrages approuvés par l'Université(30).
M. Tissot est un homme grave, un digne ecclésiastique, il ne manque ni d'expérience ni de lumières; mais il n'est guère que le chef nominal de l'établissement. Tout se conduit, tout se fait principalement sous l'impulsion d'un conseil, à la tête duquel se trouve M. l'abbé d'Alzon, grand vicaire du diocèse, et qui est propriétaire du local et du matériel du pensionnat.
La concurrence que fait cet établissement au lycée est moins active qu'elle ne paraît. Il ne reçoit, en effet, qu'un petit nombre d'élèves de la ville, et c'est principalement dans les départements des Bouches-du-Rhône et de l'Hérault qu'il se recrute(31).
22
Echange de lettres entre l'abbé d'Alzon et Mère M. Eugénie, juin-septembre 1844
L'abbé d'Alzon va révéler à Mère M. Eugénie son propos de fonder une communauté religieuse afin de provoquer ses réflexions et d'en bénéficier pour préciser sa pensée sur la spécificité de sa fondation qu'il ne voudrait pas trop exclusive.
a)
De l'abbé d'Alzon à Mère M. Eugénie, Turin, le 24 juin 1844. -Orig.ms. ACR, AD 337; V., Lettres, II p. 161-162.
L'abbé d'Alzon avait dû se rendre à Turin auprès de son beau-frère malade. Il y séjourna du 30 mai au 9 juillet 1844, s'intéressant aux nombreuses fondations de Cottolengo, de don Bosco, de la marquise de Barolo, près de laquelle résidait Silvio Pellico. Au cours d'une visite au sanctuaire de la Consolata, sachant que ses amis pensaient à lui pour l'épiscopat, l'abbé d'Alzon se sent inspiré à faire le vœu de renoncer aux dignités ecclésiastiques, vœu, écrit-il à Mère M. Eugénie, qui fait revivre en lui le désir de fonder une communauté religieuse.
Je vais vous parler un peu de moi. Je vous avouerai d'abord avec une espèce de honte que j'ai fait ici un vœu, dont je ne sais que vous dire. Je fus extrêmement frappé, un soir, de l'état déplorable où l'ambition de certains mettait l'Eglise, et aussi d'une autre chose dont j'ai perdu le souvenir. Je sais que le résultat qui me resta fut celui de renoncer à toute idée de dignité ecclésiastique, et le lendemain, à la messe, je fis le vœu, de refuser toute charge dans le même sens que le font les Jésuites. Vous dire les impressions que j'ai eues après cela me paraît difficile. II y en a qui ne sont pas belles, tant s'en faut. Mais ce que je veux vous faire observer, c'est que, depuis lors, une idée que j'avais eue autrefois et qui n'était plus qu'à l'état de souvenir, m'est revenue plus forte que jamais, c'est de me consacrer à me former une communauté religieuse. C'est vous dire assez combien je voudrais pouvoir causer avec vous; et pourtant, qu'est-ce que je suis capable de faire ? Jamais je n'ai vu plus clairement ma lâcheté, ma nullité, mon inconstance, mon amour-propre. Quelquefois je me dis que tant de vilains défauts devraient m'ôter de pareilles idées de la tête, et quelquefois aussi je pense que Dieu, en me les faisant avoir avec une telle évidence, veut seulement me prouver que si quelque chose s'opère, ce sera lui qui aura tout fait.
Vous me demanderez peut-être à quoi doit être bonne cette communauté. Hélas ! ma chère enfant, si vous le demandez à ma raison, j'aurais un plan superbe à vous offrir; mais si vous le demandez à mon sens surnaturel, je vous dirai que je n'aperçois encore rien, et je me repose sur cette idée : Dieu le sait. Aussi (chose fort bizarre en un sens), il me semble que Dieu veut seulement que je me tienne prêt. Pour quoi ? Je n'en sais rien, peut-être à partir pour l'éternité. Et cependant, il y a dans le fond de mon être une impulsion vers quelque chose, que je ne sais pas dans le détail, mais que je découvre cependant confusément. Il y a aussi le reproche de ne pas correspondre à la grâce. Priez pour moi, pour que je débrouille ce mystère. Je crois bien qu'aucun sacrifice ne me coûterait, si je voyais la volonté de Dieu bien manifeste .
b)
De l'abbé d'Alzon à Mère M. Eugénie, Nîmes le 16 août 1844. -Orig.ms. ACR, AD 341; V., Lettres, II p. 183-187.
Par sa lettre du 24 juin, l'abbé d'Alzon savait bien qu'il provoquerait de nombreuses réflexions de la part de Mère M. Eugénie qui avait toujours désiré, lui écrit-elle le 5 août, une fondation masculine comparable à la sienne, et l'avait même sondé l'année précédente sur ses intentions.
Il va donc reprendre point par point les réflexions de la jeune fondatrice : 1° il se tient avant tout entre les mains de Dieu dans la recherche, sachant qu'il n'a pas encore les vertus nécessaires de régularité et de persévérance; 2° des obligations le retiennent à Nîmes, mais il n'est pas nécessaire de commencer à Paris plutôt que dans le Midi; 3° la spécificité d'une fondation nouvelle devrait allier un sens plénier de l'Eglise aux valeurs de franchise et de liberté du monde moderne; 4° sans préjuger de quiconque, cette spécificité écarterait le danger d'être exclusif; 5° le mobile n'en serait autre que "la manifestation de l'Homme-Dieu et la divinisation de l'humanité par Jésus-Christ", pour poser la vérité catholique dans tout son avantage contre les erreurs panthéistes et matérialistes du jour.
Je veux être un peu égoïste aujourd'hui, ma chère enfant, et je commencerai par répondre à votre dernière lettre, celle où vous me parlez de mes projets futurs. Je ne puis vous dissimuler que la pensée d'être religieux m'a longtemps préoccupé, quoique je ne me sois jamais senti d'attrait pour aucun Ordre subsistant, et si, dans ce moment, je savais bien positivement que Dieu me veut quelque part comme j'ai su qu'il m'a voulu prêtre, je n'hésiterais pas un seul moment. Mais je puis vous l'assurer, je ne vois aucune marque bien prononcée en moi, au moins dans l'état actuel de mon âme. Il faut donc attendre que Dieu agisse, en le priant de faire de moi ce qu'il lui plaira et en m'efforçant de correspondre à ses vues, si jamais il en a où je sois pour quelque chose.
Voici ma manière de me juger. Il me semble que j'ai quelques conditions pour faire ce que vous voudriez. Il me manque bien des qualités : je ne suis pas assez persévérant; je me laisse quelquefois trop entraîner par la pensée d'un bien quelconque sans calculer, comme je le devrais, le genre de bien que je dois faire; je n'ai pas assez de régularité. Ceci est singulièrement déterminé par mon tempérament; mais il n'en est pas moins vrai que j'oppose bien des obstacles naturels à l'action surnaturelle. Depuis quelque temps, il me semble bien que je prends et plus de régularité et plus de persévérance; mais cela n'est pas encore, ce me semble, arrivé au point nécessaire pour l'imprimer aux autres.
Il faut ensuite tenir compte de certains faits matériels. Parmi les œuvres dont je m'occupe, il en est trois que je ne puis abandonner avant de les avoir consolidées : le Refuge, les Carmélites et le collège ou pensionnat que j'ai établi. Le Refuge se soutiendra assez bien avant peu. Les Carmélites me paraissent, de leur côté, avoir besoin d'être épaulées pendant au moins deux ou trois ans. Le pensionnat me pèse bien plus. Reculer en ce moment serait terrible, à cause de la position du clergé vis-à-vis de l'Université, et je prévois que je vais me compromettre pour des sommes considérables. Quelquefois j'ai envie d'aller m'y loger, afin précisément d'observer les gens et les caractères que Dieu m'enverrait ou enverrait, car si je trouvais quelqu'un qui pût faire aller la chose, je lui céderais bien volontiers le pas.
Faire un voyage à Paris ne m'inquiéterait pas. Mais remarquez que Paris est, pour moi, bien moins essentiel que pour vous, et, c'est pour cela que je commencerais avec moins de peine dans le Midi, sauf à nous transporter plus tard ailleurs. Le Midi cependant a été assez bon pour les Ordres. Saint François, saint Dominique, saint Benoit, saint Ignace et tant d'autres ont travaillé dans le Midi, et, quoique en ce moment le mouvement soit dans le Nord, peut-être la position de nos contrées aurait-elle un côté favorable. Mais ceci est une question incidente, je reviens à la principale.
Quoique je n'aime pas beaucoup plus les Jésuites que vous, je ne les juge pas tout-à-fait comme vous. Ce qui fait que je ne me sens pas attiré vers eux, c'est ; 1° leur caractère exclusif; "rien n'est beau, bon, parfait que la Compagnie, "non est ex praedestinatis qui non est amicus Societatis"; je dis que c'est affreux; 2° leurs cachotteries, -on dit qu'ils s'en corrigent; 3° leur manque de naturel, résultat de la manière dont on s'y prend pour les briser; 4° leur impossibilité à rien comprendre, au moins jusqu'à présent, à ce que j'appelle la liberté catholique, et qui est, à mon gré, l'arme extérieure la plus puissante dont l'Eglise doive se servir pour triompher(32).
La base morale que je voudrais donner à. une Congrégation nouvelle serait : 1° l'acceptation de tout ce qui est catholique; 2° la franchise; 3° la liberté. Vous comprenez que je n'ai rien à dire de ce qui est nécessaire à un Ordre pour être un Ordre; je n'indique que ce qui devrait distinguer une Congrégation moderne de celles qui subsistent déjà. Je reprends : je ne connais rien pour faire mourir l'esprit propre et l'amour-propre que l'acceptation de tout ce qui est bien hors de soi; je ne connais rien qui gagne les hommes de nos jours, comme la franchise, et je ne sache rien de plus fort pour lutter contre les ennemis actuels de l'Eglise comme la liberté.
Ces pensées peuvent être mieux et plus développées mais sont, je crois, faciles à être saisies. Quant à la pensée dogmatique, si je puis me servir de cette expression, elle se résume en ces quelques mots : aider Jésus à continuer son incarnation mystique dans l'Eglise et dans chacun des membres de l'Eglise. Car c'est en suivant cette donnée, je crois, que l'on peut porter la vérité catholique dans tout son avantage contre les erreurs panthéistes et matérialistes du jour.
Je dois, ce me semble, vous faire remarquer que, dans vos reproches aux Jésuites, vous ne tenez peut-être pas assez compte de la portée des sujets qu'ils acceptent. La valeur des instruments pour appliquer les idées doit être tenue pour quelque chose. Le malheur est qu'ils n'aient pas plus de gens à moyens. D'autre part, lorsqu'on loue les Ordres anciens, on ne fait pas assez attention aux abus qu'ils ont entraînés après eux. Certainement, les Jésuites ne sont jamais tombés aussi bas que les Franciscains, parce qu'aussitôt après la mort de leur patriarche et même du vivant de celui-ci, que de maux internes leur Ordre(33) ne recélait-il pas ?
Vous attaquez M. Bautain, que je n'ai pas la moindre envie de justifier. Mais pensez-vous que M. Bautain n'ait pas la pensée de faire quelque chose du genre que vous rêvez, sauf à lui à se placer à un autre point de vue ? J'ai pour principe d'être très miséricordieux pour ces essais, même s'ils avortent. Dieu, qui permet la naissance de tant d'enfants mort-nés, veut pourtant que le genre humain subsiste.
En résumé, si Dieu veut que je tente quelque chose, il me semble qu'il me demande d'attendre encore un peu. Toutefois je prierai et je tâcherai d'écarter tous les obstacles que personnellement je pourrais apporter à son œuvre. Sous ce rapport, j'accepte vos prières et le jour de la semaine que vous voudrez me donner.
Vous avez parfaitement raison d'avoir trouvé que je ne comprends pas bien les choses. Je le sens comme vous, et voici comment je me suis laissé trop influencer par des opinions contraires, et j'ai consenti à n'être pas toujours moi. Il me semble qu'à cet égard un travail se fait en moi, et que je me dépouille un peu de mon entourage pour devenir ce que Dieu veut que je sois. Remarquez toutefois que, comme l'homme prend toujours les défauts d'une qualité, la raison de ma non compréhension vient de ma peur d'être exclusif.
J'entre tout-à-fait dans votre manière de voir par rapport à ce que vous appelez la passion et la philosophie des Ordres religieux. Ma passion à moi serait la manifestation de l'Homme-Dieu et la divinisation de l'humanité par Jésus-Christ, et ce serait aussi ma philosophie.
Adieu, ma fille.
c)
De Mère M. Eugénie à l'abbé d'Alzon, 23 août 1844. - Orig.ms. ACRA, lettre n° 1650.
Mère M. Eugénie éprouve le besoin de revenir sur la spécificité que l'abbé d'Alzon entend donner à sa fondation nouvelle. Un certain refus de spécificité est concevable, mais il importe de ne pas se perdre et de garder sa voie. Jésus-Christ est le tronc, il faut savoir être branche, sans oublier le tronc, évidemment; être un certain rouage "sans vouloir se donner étourdiment les propriétés des autres rouages".
Dans tout ce que vous me dites, malgré que je l'ai si mal reçu, il y a pourtant bien des idées que j'embrasse de toute ma sympathie. Je crois comprendre tout ce que vous dites de la liberté catholique, de l'absence de l'esprit d'exclusion, et de Jésus-Christ comme objet de votre philosophie, de votre mysticisme, de votre action. J'y entre de toute mon âme, permettez-moi cependant de vous soumettre quelques observations à cet égard-là même. [...] '
Jusqu'à un certain point le caractère exclusif bien compris est un élément de vie, et je crois que pour vous personnellement, votre crainte de l'être ne vous a pas fait de bien, et vous a empêché jusqu'ici de consolider votre caractère et votre personnalité tout entière dans une unité en rapport avec le dessein particulier de Dieu sur vous. Vous paraissez le reconnaître dans ce que vous me dites à la fin; du dégagement qui s'opère en vous, et qui vous arrache enfin à l'influence d'opinions contraires pour vous rendre à vous-même. Je ne dis pas cela par une prétention de connaître, ni même d'entrevoir les desseins divins auxquels vous devez vous rendre; mais a priori, il est certain qu'en imprimant à chacun de nous un caractère si divers, en nous douant (sic) de facultés particulières, en nous entourant de circonstances, d'enseignements, d'émotions dont l'influence jointe à celle de notre organisation propre, nous rend si invinciblement sympathiques à certaines choses, et antipathiques à d'autres, capables des unes et incapables de comprendre les autres, Dieu a voulu créer notre personnalité, notre vocation propre, il nous a faits par tous ces moyens tels qu'il nous a voulus pour tenir une certaine place dans son plan, pour être un certain rouage, et je crois qu'humblement et simplement il faut s'en tenir là, sans vouloir se donner étourdiment les propriétés des autres rouages, s'occupant seulement d'ôter de soi toute la rouille, tout ce qui vient du mal, tout ce qui empêche de donner et de rendre utile à la cause de Dieu toute notre puissance propre. Je ne crois pas que vous ayez toujours compris cela, et je ne sais même pas si vous le comprenez encore assez nettement. [...]
Je voudrais donc qu'au lieu de poser pour principe : l'acceptation de tout ce qui est catholique, vous posassiez le respect de tout ce qui est catholique. Honorer, respecter, estimer, on le doit : accepter, non. Le sage disait : qui ne garde point sa voie sera tué. Il faut, si vous me permettez d'entrer dans votre mysticisme, s'attacher à Jésus-Christ selon les lumières qu'il nous donne, faire librement et hardiment l'Institut religieux auquel il nous appelle selon les sympathies saintes qu'il donne à nous et aux premiers qu'il nous envoie, n'attirer jamais les vocations que par l'expansion de son esprit, puis compter dès lors, que notre ordre est fait pour des organisations conformes à la nôtre, et se garder d'y introduire ce qu'il y a de plus parfait ailleurs pour d'autres organisations dès que cela n'est pas propre à la nôtre; ce qui n'empêche nullement de le respecter, de l'honorer à sa place. Jésus-Christ est le principe, le tronc de tous; plus vous l'aimerez, plus vous aimerez en lui les autres branches : vous verrez et vous adorerez les différents degrés, les différentes expansions de sa grâce et de sa vie dans le prêtre, dans le pauvre, dans les religieux et les religieuses de toute espèce, mais gardez-vous d'y vouloir participer autrement qu'en la communion générale des fidèles, le suc qui nourrit l'un affaiblirait le suc qui doit nourrir l'autre. Le tronc seul peut porter toutes les branches : c'est une prétention trop générale aujourd'hui de vouloir être tronc ou du moins de se rendre universel. Soyez branche si vous voulez être quelque chose, et croyez que vous ne serez jamais mieux disposé à la charité envers tous, qu'en étant humblement à votre place ce que vous devez être en Jésus-Christ. L'ordre qui aurait accepté tout ce qui est catholique croirait en peu de temps le résumer, le contenir, et, s'il était puissant, il croirait par-là suffire à lui tout seul, être tout, à jamais, à la fois.
d)
De l'abbé d'Alzon à Mère M. Eugénie, Nîmes le 4 septembre 1844.-Orig.ms. ACR, AD 344; V., Lettres, II p. 195-198.
L'abbé d'Alzon remercie Mère M. Eugénie de l'attention qu'elle porte à son projet de fondation, non sans lui faire remarquer que dans un premier moment elle s'était opposée à la spécificité trop exclusive (lettre du 5 août), et qu'à présent elle dénonce dans cette "acceptation de tout ce qui est catholique" une spécificité indéterminée, voire prétentieuse. L'abbé d'Alzon ne revient pas sur ce qu'il lui a écrit le 16 août; il n'y a de malentendus que dans les expressions, et, puisqu'elle doit venir à Nîmes, il remet à plus tard de s'en expliquer avec elle de vive voix.
J'arrive à votre lettre du 23. Il faut bien vous remercier du temps de repos que vous voulez bien me donner. Vous me donnez par la même occasion une bonne leçon. Dieu veuille que j'en profite ! Je vous assure que vous pouvez, sans la moindre inquiétude, me manifester toutes vos répulsions pour ma manière de faire ou de penser. Rien de tout ce que vous me dites ne me fait peine sur ce point, et je suis, au contraire, très aise de vous voir me faire opposition. [...]
Mais j'arrive à ce qui me concerne personnellement. Ceci vaut la peine que je vous réponde un peu attentivement, car vous avez quelquefois des idées qu'il est difficile de suivre. Ce que vous dites du caractère exclusif ne peut être jugé, dans une œuvre, que par l'application pratique; car, très évidemment, je suis de votre avis pour tout ce que vous en dites. Je ne sais pourquoi je suis très convaincu que, pour une foule de choses, il n'y a chez nous du malentendu que dans les expressions. Il me paraît que vous avez toute raison dans ce que vous dites des rouages. Nous ne pouvons être qu'un rouage, et non pas deux. Mais vous avez raison, je n'ai pas toujours compris cela, ou plutôt le comprenant, parce que je voyais trop d'obstacles à ce que je considérais comme le but de mes désirs et de ma vocation, je me suis laissé aller au gaspillage...
On m'apporte à l'instant votre lettre. Je suis, je vous l'avoue, abasourdi que vous croyiez devoir me prendre pour conseil dans l'affaire de vos Constitutions, au point de laisser de côté ce que vous pourriez avoir près de vous. Mais, abstraction faite de vous et de moi, est-il vrai que, pour une aussi grosse affaire, une religieuse puisse faire deux cents lieues ? Sans hésiter, je réponds oui.
23
Extraits de trois lettres de Mme Colbert, marquise de Barolo, 1844-1845
Pendant son séjour à Turin, l'abbé d'Alzon fit la connaissance de la marquise de Barolo, et voulut voir par le détail toutes les œuvres que cette personne avait fondées à Turin, notamment le Refuge pour repenties, puisque lui-même avait créé une œuvre semblable à Nîmes. Ils en vinrent à mettre en commun leurs projets, leurs efforts, leurs idées, dans une confiance réciproque. L'abbé d'Alzon disait de la marquise de Barolo : "C'est une femme pleine d'esprit et d'amour de Dieu et qui sait admirablement tourner ses phrases lorsqu'elle veut dire à quelqu'un son fait"... "une femme réellement étonnante autant par sa foi que par la force de sa tête" (cf. V., Lettres, II p. 159 et 167).
a)
Turin, le 6 juillet 1844. - Orig.ms. ACR, EC 132.
Cette lettre, remise à l'abbé d'Alzon avant son départ, se présente plutôt comme une confidence puisqu'elle a pour titre : Pour vous seul. La marquise a livré son âme à l'abbé d'Alzon et lui-même a fait part de ses projets apostoliques, dont la fondation d'un Ordre religieux. Elle croit devoir lui conseiller, à l'exemple de saint Vincent de Paul et de saint Ignace, un long temps de retraite.
Vous ne serez pas étonné, Monsieur, que je sois un peu inquiète de tout ce que je me suis permis de vous conter hier ? Au fait excepté à mon confesseur et à une sainte amie que je n'ai pas vue depuis bien des années, je n'ai jamais autant parlé de moi. [...] Il me paraît maintenant qu'en me montrant ainsi j'ai ôté quelque chose à Dieu, tandis que je voudrais que tout ce qui est à moi fût à lui et seulement à lui et pour lui. Les bonnes prières que vous m'avez promises seront animées j'espère par la connaissance de ma misère. La confiance que vous m'avez témoignée en me parlant de vos projets m'encourage à vous dire un mot de vous. Vous m'avez dit que vous aviez deux plans magnifiques pour ces établissements de missions, etc. Défiez-vous des plans que vous faites, avant que la Providence vous ait, pour ainsi dire, donné l'occasion de les faire. Saint Vincent, ainsi que vous me le rappeliez hier, n'a fait les constitutions de son Ordre qu'après 40 ans d'exercice, et saint Ignace s'est trouvé faire autre chose que ce qu'il croyait d'abord, et cependant par quelle retraite et quelle pénitence avait-il préparé son âme(34) ! J'aurais bien quelque chose à vous dire sur votre promesse faite à la Consolata, dont le sentiment doit plaire à Dieu; mais pardonnez-moi ce peu de mots. La crainte de ne pas vous revoir avant votre départ me les fait hasarder.
b)
Turin, le 23 juillet 1844. - Orig.ms. ACR, EC 133.
Après le départ de l'abbé d'Alzon, la marquise de Barolo lui donne des nouvelles de son beau-frère et de sa sœur, à laquelle elle fait remettre une fondation de messes pour une œuvre non précisée de l'abbé d'Alzon, et s'autorise à lui parler de "sa légère prévention contre les jésuites, complètement exempte de manque de charité", dit-elle. Sans doute que l'abbé d'Alzon, en parlant de sa future fondation, a voulu la définir en fonction de la Compagnie, comme il le fait dans sa correspondance avec Mère M. Eugénie (v. supra 22 b et Ch. XI).
M. votre beau-frère est levé; il est faible, mais aussi bien que nous pouvons le désirer. Mme votre sœur a bien voulu, en l'absence de M. de Roussy, venir dîner avec moi hier, et aujourd'hui, je l'ai laissée causer avec Pellico(35).
Je me rappelle à votre souvenir et vous parle, Monsieur, d'une petite bonne œuvre qui vous intéresse et à laquelle vous me permettez de contribuer. Je mets donc à votre disposition, à commencer du 1er novembre de cette année, trois cents soixante-cinq francs pour une messe quotidienne se disant suivant mon intention, et dans cette intention il entrera souvent la demande des bénédictions divines pour vous, Monsieur, et pour votre œuvre de charité. [...] J'ai bien envie de vous dire tout bas que je demanderai aussi à Dieu de vous ôter un peu des préventions contre les Jésuites, je proteste que je crois votre légère prévention complètement exempte de manque de charité, mais votre esprit droit et élevé doivent avec le temps vous amener à être plus favorable à ce corps qui a donné tant de saints à l'Eglise. Je n'ai jamais de vive voix abordé cette question et je me le suis reproché. Je ne suis pas exclusive, enthousiaste, je crois que les autres ordres religieux et simple prêtre font un grand bien mais assez sur ce chapitre, j'aime mieux vous parler de tout le bien que vous avez fait ici aux Dames du Bon Pasteur. Croyez, Monsieur, votre mission est grande et belle, vous êtes dans la force de l'âge et du travail.
c)
Turin, le 30 août 1845. - Orig.ms. ACR, EC 134.
A la fin de son séjour à Paris, l'abbé d'Alzon a sans doute informé la marquise de Barolo de sa décision de commencer dès son retour à Nîmes les débuts de sa fondation religieuse, comme il ressort de la lettre que lui adresse la marquise, souhaitant à son nouvel institut un rayonnement comparable à celui des Jésuites, perspective assurée "si vos collaborateurs vous ressemblent", lui écrit-elle.
Comme je vous suis reconnaissante, Monsieur le Comte [sic] , du souvenir que vous m'avez conservé devant Dieu. Je dois sûrement à vos bonnes prières quelques-uns des secours qu'il daigne m'accorder si quotidiennement. [...] Vous voilà donc ayant terminé votre temps d'épreuve, d'examen, de retraite, et décidé sur le chemin à suivre. Vous serez le fondateur d'un Ordre religieux enseignant ! C'était déjà à peu près votre projet l'année dernière. Je ne puis rien vous souhaiter de mieux que de demander au ciel qu'au bout de trente ans votre Ordre compte cinq mille sujets, comme celui des pauvres Jésuites tant persécutés. Qu'il compte autant de personnes de mérite et de vertu, je n'en puis douter, si vos collaborateurs vous ressemblent. [...]
Je me souviens que l'année dernière [...] vous me parlâtes aussi d'un Ordre religieux nouvellement fondé à Paris, qui est le même, je crois, pour lequel vous désirez maintenant des secours, j'eus peine alors, et j'en ai encore à bien comprendre cet Ordre où la science chez une femme est absolument nécessaire(36) ; vous voyez que j'ai bonne mémoire ou plutôt que vos paroles ne sont pas de nature à être oubliées. En vous remerciant d'avoir pensé à moi pour une œuvre que vous estimez, j'ai le regret de ne pouvoir aider votre zèle. [...] Je n'ai pas 6 000 francs à la disposition de ces Dames.
J'ai su par M. de Roussy le malheur de Mme votre sœur, j'y ai pris une part bien vive, mais" cette douleur de mère m'a paru être de celles dont on ne peut approcher sans une grande intimité(37),
Veuillez, Monsieur le comte [sic] être bien persuadé de tout l'intérêt bien vrai, bien sincère, que je prends et prendrai toujours à tout ce qui vous intéresse, à vos projets, à vos soucis. Croyez que je suis bien touchée de la continuation de votre confiance et que je serai reconnaissante si vous trouvez quelquefois un moment pour me tenir au courant de votre grande entreprise.
24
Note manuscrite de l'abbé d'Alzon, juin-juillet 1845. -Orig.ms. ACR, CQ 222; T.D. 43, p. 80.
L'abbé d'Alzon consigne par écrit les obligations de ses vœux privés, tels qu'il les a formulés intérieurement un jour de juin ou de juillet 1845, où il se rendit à Notre-Dame des Victoires.
Je prétends en faisant les vœux de pauvreté, chasteté, obéissance et zèle pour le salut des âmes, m'engager ainsi qu'il suit :
1° Pauvreté. Je renonce à la propriété de tout ce qui peut m'appartenir en ce sens que je ne veux plus en faire usage que pour la gloire de Dieu, me réservant d'en laisser ou de n'en rien laisser à ma famille, selon ce qui sera le plus prudent aux yeux de ceux que je consulterai. Je m'engage à vivre pauvrement pour les vêtements, la nourriture et les dépenses de la vie, sans toutefois rien faire encore qui puisse donner lieu à penser que j'ai pris un parti trop définitif. Je m'astreins à ne perdre de mon temps que le moins possible.
2° Pour la chasteté je n'ai qu'à renouveler mon vœu du sous-diaconat, me rappelant seulement que je suis tenu par une obligation plus stricte.
3° L'obéissance résultera pour moi d'une observation la plus exacte possible du règlement, de l'exemple que je serai obligé de donner pour cela, de la manière dont je devrai me porter à ce qu'il y aura de plus humble, toutes les fois que par ce moyen je croirai pouvoir édifier mes frères et leur montrer la ligne de conduite qu'ils ont eux-mêmes à tenir.
4° Par le vœu de me dévouer à l'extension du règne de Jésus-Christ, je me consacrerai spécialement à faire régner notre divin Maître dans les âmes : 1° de mes frères, 2° des enfants qui nous seront confiés.
5° Je fais vœu de me consacrer entièrement à l'œuvre de la Congrégation jusqu'à ce qu'il me soit positivement défendu par mes supérieurs légitimes de m'en occuper désormais.
25
Premières réunions de l'Association de l'Assomption, septembre-octobre l845
Pendant son long séjour à Paris, l'abbé d'Alzon a eu le temps de mûrir son projet de fondation. Il est sûr de certains de ses amis à Nîmes, il garde l'affection de son évêque, avec lequel il aura dès son retour un très long entretien (v. supra Ch. VIII, 6). Arrivé à Nîmes le 16 septembre, c'est par une retraite acceptée de ses collaborateurs qu'il entend préparer l'ouverture de la nouvelle année scolaire, et, au cours de cette retraite, il parle d'un Tiers-Ordre qu'il se propose d'établir dans la perspective d'un Ordre à fonder. Nous connaissons les faits par les comptes-rendus des séances de l' Association de l'Assomption et par deux lettres de l'abbé d'Alzon à Mère M. Eugénie de Jésus.
a)
Compte-rendu des séances préparatoires des 29-30 septembre et de la séance du 1er octobre 1845. - Orig.ms. ACR, DI 208.
Ces comptes-rendus nous donnent la liste des membres présents et la volonté commune, sur la proposition de l'abbé d'Alzon, de suivre les règles de ce que l'on ne peut appeler encore un Tiers-Ordre, puisque l'Ordre n'existe pas, de ce qu'on appellera donc l'Association de l'Assomption. Tout le monde est d'accord pour considérer comme temps de probation la période à courir jusqu'à Noël.
1° Séances préparatoires du 29 et du 30 septembre 1845
Présents : MM. d'Alzon, président, Tissot, Surrel, Henri, Germer-Durand, Monnier, Cardenne, d'Everlange et Cusse.
M. d'Alzon communique les règles d'un tiers-ordre qu'il se propose d'établir. On fait observer que le nom de Tiers-Ordre supposant un Ordre, on ne peut en ce moment donner ce nom à l'Association de l'Assomption et qu'il vaudrait mieux s'en tenir à cette dernière dénomination. Cette proposition est adoptée.
La discussion s'engage ensuite sur la coulpe prescrite par les règles de l'association, au chapitre des réunions. Cette disposition est provisoirement maintenue.
Les anciens élèves de la maison pourront faire partie de l'Association, mais seulement après qu'ils auront terminé leurs études.
R. Cusse [secrétaire] E. d'Alzon [président]
2° Séance du 1er octobre 1845
Présents : MM. d'Alzon, Tissot, Surrel, Henri, Germer-Durand, Monnier, d'Everlange, Cusse.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et approuvé.
Après une courte allocution de M. le Directeur, tous les membres présents déclarent vouloir entrer dans l'Association de l'Assomption. En conséquence, ils sont admis à la probation : à Noël, ceux qui auront persévéré commenceront leur noviciat, et l'Association se constituera définitivement.
R. Cusse E. d'Alzon
b)
Extraits de deux lettres de l'abbé d'Alzon à Mère M. Eugénie. -Orig.ms. ACR, AD 371 et 372; V., Lettres, II p. 315-322.
Dans sa correspondance avec Mère M. Eugénie, l'abbé d'Alzon reprend les faits en appréciant le comportement des personnes qui n'affleure pas dans le compte-rendu.
1° Le 30 septembre 1845
Quoique je n'aie point reçu de lettre hier, ma chère enfant, je veux vous écrire aujourd'hui pour vous dire quelque chose de l'état de notre oeuvre. A l'instant même vient de se terminer une séance, dans laquelle neuf professeurs ou surveillants ont adopté, sauf des modifications de rédaction insignifiantes, les notes que je leur ai lues. Ainsi voilà qui va assez bien. Il ne s'agit plus que de jeter cet esprit dans quelques nouveaux arrivants. Je leur ai donné à entendre, la possibilité d'un Ordre futur et je crois que plusieurs l'ont admis assez volontiers. Je compte beaucoup sur M. Cardenne, dont je suis tous les jours plus content. M. Tissot va très bien; il fera un jour un très bon religieux, j'en suis sûr. Cet homme était né pour être mené et non pour conduire les autres. J'ai encore un jeune diacre qui se développe à merveille, et dont par parenthèse je vous donnerai probablement la sœur(38). J'attends demain un jeune homme qui voulait se faire Barnabite, qui a terminé ses cours de théologie et qui compte également sur une vie religieuse. Voilà donc un petit noyau, sur lequel nous aurons à travailler tant que nous pourrons.
Nous n'avons pas encore un nombre immense d'élèves.- Si nous le portons à 100, cette année, tout compris, ce sera beaucoup.
2° [Nîmes], mercredi [1er octobre 1845] (39)
Chère enfant, je n'ai qu'un moment entre la messe et notre dernière réunion de la retraite de nos jeunes professeurs, et je veux vous le donner pour vous dire que, hier, a été résolue définitivement la formation du Tiers-Ordre, qui prendra le titre d'Association, jusqu'à ce que l'Ordre subsiste. A la messe, ils se sont offerts à Dieu. D'ici à Noël, nous nous mettrons en état de probation ou de postulat; de Noël à un an, nous ferons notre noviciat. Tout a été adopté, et c'est pourquoi il faut avoir la bonté de m'envoyer, le plus tôt possible, copie du petit office qui doit être récité par eux(40). Vous et Soeur Th[érèse]-Em[manuel] m'avez été particulièrement présentes pendant la messe que je disais pour eux. Priez beaucoup pour que la gloire de Dieu résulte de tout ceci. Lorsque j'ai donné la communion à ceux qui ne sont pas prêtres, il m'a paru que Notre-Seigneur ne pouvait pas ne pas bénir une pareille disposition à se mettre à son service.
Ainsi voilà une première pierre posée. De l'Association sortiront, comme deux branches, l'Ordre et le Tiers-Ordre. Il faut seulement compter sur l'action providentielle de la grâce, qui envoie ses rayons et sa pluie partout où il y a à féconder quelques grains jetés par la main du père de famille.
Vous ai-je dit que j'étais content on ne peut plus de M. Cardenne ? Je crois que l'esprit de la maison commence à se former. Il ne s'agit que de le développer avec une direction entièrement chrétienne. J'espère toujours tout de la bénédiction de Notre-Seigneur. Vous êtes nos aînées, vous autres, mais je n'en suis pas fâché, puisque nous eussions été les vôtres, si nous eussions été plus généreux.
26
Extraits de la règle de l'Association de l'Assomption. -Orig.ms. ACR, CO 155; V., Lettres, II, Append. p. 507-512.
Le manuscrit ne porte pas de titre, mais le contenu est celui d'une règle, avec les parties fondamentales de toute règle : le but, l'esprit, les membres, les moyens extérieurs de l'Association, à quoi s'ajoutent les conditions d'admission, les obligations, l'organisation et les réunions. Cette règle ou ces règles furent lues par l'abbé d'Alzon aux séances préparatoires des 29 et 30 septembre 1845. Il faut y voir le fruit d'une longue maturation dans l'esprit de l'abbé d'Alzon : "Les réflexions auxquelles je me livre depuis longtemps, écrivait-il à Mgr Cart, le 11 août 1845, me poussent de plus en plus au désir d'établir le règne de Jésus-Christ."
[BUT DE L'ASSOCIATION]
Les membres de l'Association se proposent un double but, qui se résume en un seul, la gloire de Dieu et le salut des âmes, par l'extension du règne de Jésus-Christ. En ce sens, leur devise peut être celle-ci : Adveniat regnum tuum.
-Les moyens, qu'ils se proposent sont : 1° Le secours qui résulte de l'union fraternelle; 2° La victoire sur eux-mêmes par l'assujettissement à une règle; 3° La protestation contre la vie du monde par une vie plus sévère; 4° La manifestation du règne de Jésus-Christ par l'évangélisation des âmes.
[ESPRIT DE L'ASSOCIATION]
1° Leur esprit est un esprit d'amour envers Notre-Seigneur, modèle et exemplaire perpétuel de tous les associés.
2° Un esprit de charité compatissante et paternelle envers les âmes.
3° Un esprit de franchise, d'ouverture et de liberté dans l'accomplissement des devoirs et dans les rapports avec les frères.
4° Un esprit de pauvreté envers eux-mêmes, en quoi consistera leur principale mortification.
[MEMBRES DE L'ASSOCIATION]
Les associés se partagent en deux classes : ceux qui vivent dans la maison, ceux qui sont au dehors et qui même sont mariés. Les uns et les autres doivent prendre autant que possible l'esprit de la vie religieuse . Ils doivent se considérer comme des religieux au milieu du monde, non par leurs vêtements, mais par leurs mœurs : non par certaines pratiques plus ou moins acceptables de tous, mais par leurs vertus.
Dès lors, ils doivent être profondément convaincus que selon la belle parole de l'abbé de Rancé, des religieux doivent être des anges, des martyrs et des apôtres : anges par la pureté de leur vie, de leurs intentions et la ferveur de leur prière ; martyrs par leur générosité à lutter contre le démon, la vie des sens, l'esprit du monde ; apôtres par leur zèle surnaturel à faire connaître Jésus-Christ, l'éternelle vérité et l'éternelle loi manifestée dans le temps par la miséricorde de Dieu, et par la méditation continuelle qu'ils doivent faire sur le prix des âmes et sur l'honneur auquel ils sont appelés de glorifier Dieu en lui préparant des adorateurs(41).
[MOYENS EXTERIEURS]
Les moyens extérieurs sont : 1° l'éducation; 2° la prédication; 3° la composition d'ouvrages chrétiens; 4° l'application de l'esprit chrétien aux arts. Mais parce que tout doit être considéré dans le point de vue de l'Association, il importe de déclarer tout d'abord que ces quatre principaux moyens ont besoin, pour être compris dans le sens que nous entendons, d'explications qui seront données plus tard(42).
27
Extraits de sept lettres de l'abbé d'Alzon à Mère M. Eugénie
Par quelques extraits de lettres de l'abbé d'Alzon à Mère M. Eugénie, nous pouvons suivre l'abbé d'Alzon à travers le temps de probation dont il a convenu avec ses disciples pour le terminer à Noël, pensait-il.
a)
Lavagnac, 21 octobre 1845. - Orig.ms. ACR, AD 378; V., Lettres, II p. 333-336.
L'abbé d'Alzon révèle à Mère M. Eugénie qu'une inspiration intérieure l'a poussé à commencer une espèce de noviciat du vœu de perfection, tellement lui paraît sérieux son rôle de fondateur.
Eh bien ! voyez mes folies. Croiriez-vous qu'hier, à la messe, il m'a été impossible de refuser à Dieu de commencer une espèce de noviciat du vœu de perfection ? Je suis quelquefois tenté de croire que ce n'est qu'un sot orgueil, qui a pu m'inspirer une pareille idée. Puis, pourquoi cette idée m'est-elle venue à la messe ? En résumé, je trouve que Dieu me tire bien fort à lui, mais que je n'ai que des velléités du bien. Pourtant, ma fille, votre responsabilité et la mienne sont quelque chose de très sérieux et qui nous met dans la nécessité de devenir des saints. Cela fait frémir, mais il ne s'agit pas d'avoir peur, mais de se mettre sérieusement à l'œuvre.
b)
Nîmes les 31 octobre - 1er novembre 1845. - Orig.ms. ACR, AD 382; V., Lettres, II p. 352-356.
Pour encourager Mère M. Eugénie dans un moment de difficultés, l'abbé d'Alzon lui exprime son humble reconnaissance pour tout le bien qu'elle lui a fait, et il ne se propose avec elle d'autre but que l'extension du règne de Jésus-Christ.
Vous parlerai-je de moi ? Comment se fait-il que, tandis que vous devenez si fière, je suis tout enclin à un profond sentiment d'humble reconnaissance pour tout le bien que vous m'avez fait depuis un an ? Que Dieu, chère enfant, vous le rende au centuple et multiplie, en même temps, les effets de ce zèle pour l'extension du règne de Jésus-Christ, qui doit faire le but de toute notre existence ! Vous remarquez, dites-vous, que je suis meilleur que vous. Je crois que, très positivement, vous vous trompez, mais je veux le devenir [...](43).
Adieu, chère fille. Que Dieu vous soit toujours en aide ! Revenez un peu doucement vers votre père, qui a bien envie que vous soyez une grande sainte.
c)
Nîmes, le 8 novembre 1845. - Orig.ms. ACR, AD 383; V., Lettres, II p. 356-361.
L'abbé d'Alzon fait le point sur le groupe de ses disciples et la marche de son œuvre, et demande à Mère M. Eugénie son avis pour savoir s'il doit poursuivre son désir de commencer à Noël.
Vous parlerai-je de notre Congrégation ? Le Tiers-Ordre va assez bien, sauf que, comme les réunions ont lieu le dimanche soir et que la plupart des membres se sont levés de grand matin, ils s'endorment assez généralement pendant que je parle. On a proposé de mettre la réunion au matin; il y a eu très vive opposition, et je n'ai manifesté aucune opinion, parce que je pense pouvoir avant peu réunir, le dimanche matin, nos jeunes gens pour autre chose; je veux parler de ceux qui formeront l'Ordre définitif. Jusqu'à présent, je n'en ai que trois qui viendront définitivement : M. Henri(44), jeune prêtre, qui fait les fonctions d'économe et de préfet de discipline; M. Laurent(45), qui va être ordonné prêtre à Noël, actuellement professeur de quatrième, et M. Cusse(46), professeur de français. Ce jeune homme ne sait pas le latin, mais il a un zèle tel pour la classe qu'il fait à l'Ecole de commerce que je suis convaincu qu'il fera un excellent religieux. Cardenne nous viendra, mais je ne sais s'il prendra sa décision sur-le-champ. M. Tissot fera aussi un excellent moine, mais il faut lui passer bien des choses du désordre, et je doute qu'à son âge on puisse s'en corriger. Notre aumônier est aussi bien bon; il le serait davantage, s'il ne fallait pas toujours lui être sur les épaules pour le faire agir.
Ici, je n'ai qu'un homme sur qui je puisse compter, et encore ! Les autres sont bons, pieux, dévoués, mais n'ont pas encore l'intelligence du dévouement. Je demande toujours à Dieu quelqu'un sur qui je puisse me reposer. L'abbé de Tessan reste chez lui, et puis nous sommes, non pas trop opposés, mais trop divers. M. Goubier s'occupe très bien des détails, mais ne m'est d'aucune utilité pour l'action. Et puis, ce sont des idées de dévouement, sans doute, mais qui ne vont en aucune façon avec les miennes pour certaines choses. Il faut donc que je sache me servir de ces hommes, sans cependant m'appuyer sur aucun d'eux. Situation pénible, et pourtant, après tout, peut-être fort utile, puisque, par ce moyen, on est sûr de ne compter que sur Dieu. Enfin, vous voyez où j'en suis.
Reste à poser cette question : "Que dois-je faire ? Faut-il former à Noël un noyau de Congrégation, ou bien commencer sur-le-champ avec des éléments tels que ceux que je viens de vous indiquer ?" Donnez-moi votre avis là-dessus. J'ai grand besoin que l'on éclaircisse ma position, à laquelle par moments je ne comprends pas trop grand-chose moi-même .
d)
Nîmes, le 22 novembre 1845. - Orig.ms. ACR, AD 387; V., Lettres, II p. 372-374.
L'abbé d'Alzon fait part à Mère M. Eugénie de l'ardeur de ses disciples à revêtir l'habit religieux, mais il craint un feu de paille.
Ma chère enfant, je laisse une longue lettre que les inspecteurs de l'Université m'ont fait interrompre, et je les laisse eux-mêmes faire ce qui leur plaît dans mes classes. [...]
J'attends avec je ne sais quel empressement mon costume revu et corrigé, mais je crois que quelques-uns de nos jeunes gens l'attendent avec plus d'empressement encore. Je suis obligé de modérer leur ardeur. Ils voudraient prendre l'habit au plus tôt; je veux m'y opposer : 1° afin de ne pas trop nous faire remarquer; 2° parce que je veux savoir si, pour quelques-uns, ce ne sera pas feu de paille(47). [...]
Il faut que je vous quitte, mais non sans vous dire, ma chère enfant, combien je voudrais vous être un meilleur père. Voyez, après toutes mes offres d'argent, je ne puis rien, quand le moment arrive. Je ne suis pas très bon ces jours-ci; cependant je prends de bonnes résolutions.
e)
Nîmes, le 25 novembre 1845. - Orig.ms. ACR, AD 388; V., Lettres, II p. 375-377.
L'abbé d'Alzon a accepté de quitter l'infirmerie pour une chambre, mais il veut en faire une cellule religieuse. Il fait une allusion à ses difficultés d'argent et même de pauvreté dans la conduite de son œuvre.
On a voulu absolument me donner enfin une chambre. C'est une chambrette grande comme la vôtre, à l'impasse des Vignes, sauf qu'elle n'a pas de fenêtre; mais c'est le cadet de mes soucis, puisque je ne m'y tiens pas le jour. Je vais tâcher de m'y organiser en religieux. Aussi, après avoir bien résisté pour quitter l'infirmerie, où nous avons quatre ou cinq malades, j'ai cru que je n'avais rien de mieux à faire que de saisir cette occasion de régulariser cette partie de ma vie monastique. [...]
Il est cruel de voir que, cette année, mon budget aura un déficit de près de 20 000 francs [...](48).
Un peu de sommeil me calme les nerfs et me rend toute mon énergie physique. Mais je bavarde, quand il faut que j'aille donner des ordres pour que notre fourneau ne consume pas cinquante sous de charbon par jour.
f)
Nîmes, les 30 novembre - 1er décembre 1845. - Orig.ms. ACR, AD 390; V., Lettres, II p. 382-387.
Après avoir annoncé à Mère M. Eugénie la venue de postulantes pour Noël, l'abbé d'Alzon parle de son œuvre et prévoit un long noviciat, avant d'apparaître comme Congrégation devant l'Eglise et devant le gouvernement.
Quant à vos futures filles, vous n'en aurez pas trois, mais bien quatre, [...] Attendez-vous, à moins d'un obstacle imprévu, à avoir ce petit bataillon carré pour Noël, parce que l'on parle à Nîmes de cette expédition, comme on parle de tout, et que je veux que cela cesse.
J'en ai encore trois ou quatre, mais dans un autre genre, et je veux les examiner un peu sérieusement, parce que je crains que tout ne soit pas surnaturel. [...]
Quant à nous, nous commençons notre noviciat à Noël. Il se composera de cinq prêtres et d'un laïque au moins. [...]
Il est très vrai que jamais des vœux publics, je ne dis pas solennels, ne seront prononcés par nous, que nous ne demanderons pas même l'approbation des Ordinaires, avant d'avoir su quelle ligne nous avons à garder avec le gouvernement. Sous ce rapport on peut être parfaitement tranquille. Nous ne serons aux yeux du public que des individus, et, entre nous, je prévois que nous serons fort longtemps des novices.
g)
Nîmes, le 5 décembre 1845. - Orig.ms. ACR, AD 392; V., Lettres, II p. 389-392.
Pour encourager Mère M. Eugénie et s'encourager lui-même, l'abbé d'Alzon se met en face du Christ organisant son Eglise, à partir du groupe de ses apôtres. "Malgré tout, nous nous constituons en novices, la nuit de Noël."
N'est-ce pas que c'est bien ennuyeux que d'avoir à arranger et organiser une maison ? Hélas ! qu'allions-nous faire dans cette galère ? Il n'y a à cette question qu'une réponse : Dieu le veut. Il y en a une autre pourtant, Dieu le voulant, nous devons le vouloir comme il le veut et autant qu'il le veut, et il faut le vouloir sans aucun mouvement de fatalité, mais d'une volonté amoureuse, souple, comme Jésus acceptant l'ennui des caractères si grossiers des apôtres, les perfidies des uns, la trahison des autres, pour arriver à l'oeuvre de l'organisation de son Eglise. Et ne pensez-vous pas qu'il ait voulu passer les trois années de sa vie apostolique, sans avoir l'air de rien faire de bien stable, précisément pour donner aux supérieurs la force de se soumettre à la pensée qu'ils perdent leur temps pour rien ? Qu'y a-t-il de perdu de ce qui est fait pour Dieu ? Qu'y a-t-il de gagné dans ce qui est fait en apparence pour Dieu, mais avec un esprit propre ? Allons, Révérende Mère, faisons-nous à cette souple résignation que Notre-Seigneur veut de nous. [...]
Décidément, nous nous constituons en novices la nuit de Noël, afin qu'à la messe nous puissions avoir notre première réunion, ou qu'au moins ceux qui diront la messe puissent en célébrer une à cette intention. [...]
Il faut absolument que je vous quitte. Ma tête n'en peut plus, et demain je n'aurai pas le temps de vous écrire.
28
Règlement de vie du P. d'Alzon, décembre 1845. - Orig.ms. ACR, C0 157; T.D. 43, p. 260-268.
L'importance de ce texte de plus de dix pages dactylographiées, et dont la longueur même nous dispense de le reproduire en entier, n'a échappé à aucun des historiens de la vie et de la pensée du P. d'Alzon (Cf. Notes et Documents, III, p. 160-169; VAILHE, Lettres, II, Append. p. 513-521; A. SAGE, Ecrits spirituels, p. 777-787). Tous l'ont reproduit in extenso et y ont vu l'idéal de vie religieuse que le P. d'Alzon proposait à ses disciples. Certes; mais c'est avant tout le programme de vie que l'abbé d'Alzon se proposait lorsqu'il parlait de commencer une espèce de noviciat du vœu de perfection "comme chrétien, comme prêtre, comme religieux, comme supérieur de communauté". "Comme religieux, écrit-il, je me rappellerai qu'un religieux doit être ange, martyr, apôtre. "
Sachant qu'il donnera un jour à sa Congrégation pour devise : Adveniat regnum tuum, propter amorem Domini Nostri Jesu Christi, nous prendrons de ce texte ce qui concerne l'amour de Jésus-Christ et le zèle apostolique.
Comme fils de Jésus-Christ(49), j'ai à acquérir son amour et à me pénétrer de son esprit. Je me souviendrai que je dois le porter partout, selon ce que cet esprit doit être pour moi.
L'esprit de Jésus-Christ doit être pour moi un esprit de dévouement absolu, d'égalité d'âme immuable, d'amour envers m[es] f[rères] comme lui-même les a aimés.
L'amour de Jésus-Christ doit être l'âme de toutes mes actions, car si son esprit doit me porter à faire tout ce qu'il eût fait, s'il eût été à ma place, son amour me portera à faire toutes mes actions avec le plus de perfection possible et sera pour moi un perpétuel aiguillon qui me pousse vers la sainteté de l'état auquel je suis appelé.
Je ne dois pas me dissimuler que l'esprit de Jésus-Christ est très jaloux dans ses demandes et qu'en l'écoutant je m'expose à avancer dans une voie effrayante pour la nature. L'amour de Jésus-Christ m'adoucira la rigueur des épreuves, et c'est pour cela que je m'appliquerai à le développer en moi par la dévotion au Saint Sacrement, puisque j'ai observé l'influence sensible qu'exerce sur moi Notre-Seigneur dans l'Eucharistie, par la différence de dispositions où je me trouve selon que je prie à la chapelle ou ailleurs.
L'esprit de Jésus-Christ m'aidera à sanctifier mon travail et l'élèvera jusqu'à la dignité du devoir. Je travaillerai non comme l'esclave, non comme le mercenaire qui sont ad oculum servientes, mais comme le fils de la grande famille dans laquelle Jésus-Christ, mon modèle, a voulu fournir sa part de travail(50). [...]
Apôtre, j'aimerai la vérité, dont le principe est Jésus-Christ, parole éternelle de Dieu, Dieu lui-même. Mes études, quelque partagées qu'elles doivent être, seront pourtant pour moi un sujet d'attention capitale, et si j'ai peu de temps pour étudier, je me souviendrai que je dois travailler autant et aussi bien qu'il me sera possible.
Apôtre, je me souviendrai du respect que je dois toujours avoir pour la parole de Dieu, et je m'imposerai une pénitence toutes les fois qu'il pourrait m'arriver d'y manquer. L'apôtre étant chargé de porter aux hommes les ordres de Dieu, ce lui est une obligation de les porter de manière à les faire accepter, et cette vérité devra toujours me guider dans mes rapports avec les âmes, soit en public, soit en particulier. Je prêcherai Jésus-Christ. Mais comme Jésus-Christ a été enfant, homme fait, pauvre, roi, pontife, docteur, en un mot qu'il a passé par tous les états de la vie, en le faisant connaître, je le présenterai par le côté qui le fera plus facilement accepter. Ceci implique, de ma part, l'obligation la plus absolue de l'étudier, autant que j'en suis capable, selon tout ce qu'il est.
L'apôtre n'est rien que par celui qui l'envoie, et il est d'autant plus apôtre qu'il accomplit mieux ce qui lui est prescrit. C'est pourquoi je ferai tous mes efforts pour être un apôtre obéissant. L'obéissance, dans ce qu'elle a de plus vrai, établit l'âme immédiatement sous l'action de Dieu, et je ne serai vraiment apôtre qu'autant que cette action pénétrera tout mon être. L'apôtre aime celui qui l'envoie, mais il doit aimer celui vers qui il est envoyé, puisqu'il a une mission d'amour, de miséricorde. Je me pénétrerai de ces sentiments envers les âmes surtout des enfants qui nous seront confiés, et des diverses personnes envers qui j'aurai à exercer une mission apostolique.
29
Inauguration du noviciat des membres de l'Association de l'Assomption constituée en Ordre et en Tiers-Ordre, Noël 1845
Nous connaissons les faits grâce à une lettre de celui qui devient, étant fondateur, le P. d'Alzon, adressée à Mère M. Eugénie, datée de Nîmes le 26 décembre 1845, et grâce au compte-rendu des réunions de l'Association de l'Assomption, des 26 et 27 décembre.
a)
De la lettre du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, datée de Nîmes le 26 décembre 1845. - Orig.ms. ACR, AD 399; V., Lettres, II p. 416-420.
Le P. d'Alzon raconte à Mère M. Eugénie comment, dans le cadre de la célébration de Noël, il a inauguré le noviciat des Religieux de l'Assomption, compte tenu de ses obligations de grand vicaire et de directeur de l'Assomption. En toute simplicité, il livre ses états d'âme superficiels et profonds.
Ai-je tort, chère enfant, de vous consacrer l'heure qui s'écoule entre ma méditation et la messe du onzième anniversaire de mon ordination ? Il me semble que non, puisque je ne veux vous parler que de l'œuvre, par laquelle Dieu me permet de lui payer une partie de ma dette.
Nous avons donc commencé à six(51); vous commençâtes à cinq. Il faut bien que notre nombre compense le temps que vous avez de plus que nous. Avant-hier soir, nous nous réunîmes, comme nous en étions convenus. Mais cette première causerie fut bien froide. J'étais épuisé de fatigue, je n'avais presque pas dormi la veille et j'avais passé ma journée au confessionnal; nos Frères avaient aussi sommeil. Je parlai, mais ce fut peu de chose; il n'y avait pas d'entrain. A 10 heures, quand il me fallut partir pour la cathédrale, où je devais chanter l'office et dire la messe de minuit, j'étais peu content et de moi et des autres. Je me permis de dire à mon voisin, en lui parlant d'un prêtre connu par son peu d'esprit et qui chantait une leçon : "Avez-vous jamais entendu voix cracher la bêtise à bouche plus pleine que celle de M. X... ?" Convenez que c'est horrible de ma part. Pendant la messe, je fus assez bien, sauf une impatience, parce qu'on n'avait pas songé à l'encensement de l'autel pour le Benedictus. Et où en étaient mes sentiments ? Vraiment, je ne le savais pas. Quand je cherchais à me donner à Dieu, il me paraissait que c'était déjà fait et qu'il n'y avait pas à y revenir.
Je m'en retournai chez moi calme, tranquille, sans joie, sans tristesse, merveilleusement bûche. Il était 2 heures du matin. Je pris ma robe de nuit(52) et j'allai m'étendre sur le marchepied de l'autel. Je voulais passer la nuit auprès de la crèche, j'allais m'y endormir, quand, au bout d'une demi-heure, un de nos Pères qui avait, lui aussi, dit la messe dehors, rentra, et je crus qu'il valait mieux me coucher. On devait me réveiller à 6 heures; je devais dire la messe à 6 heures et demi : pour la communauté. On oublia et l'on n'entra chez moi qu'à 7 heures moins 1/4. Il fallait que la messe des élèves se dît à 7 heures. Nous renvoyâmes la nôtre à 7 h. 1/2; d'où il advint que la messe de minuit fut pour vous, la seconde pour les élèves, que j'eus le bonheur de voir communier en grand nombre, la troisième pour les nôtres. A la fin de la messe, je voulais leur dire quelques mots, ainsi qu'aux membres du Tiers-Ordre qui étaient venus m'aider de leurs prières. Par un malentendu, il se trouva qu'en me retournant du haut de l'autel, je n'aperçus que deux ou trois personnes dans la chapelle. Convenez que c'était peu encourageant. Heureusement, ce fut-là la fin de mes tribulations.
En sortant de mon action de grâces, plusieurs de nos novices vinrent me demander de faire leurs chambres. Je leur répondis que les balais étaient prêts et que j'attendais qu'ils me les demandassent. Je les ai prévenus que je ferais mon possible pour leur donner l'exemple et leur inspirer l'esprit religieux; que je leur suggérerais les pratiques, mais que je ne les imposerais que lorsqu'on me les demanderait. Je me trouve très bien de cette méthode, au moins pour commencer; car pour les futurs novices, à mesure qu'ils arriveront, ils devront bien se mettre au pli. Ainsi, ils m'ont demandé des paillasses piquées. Un de nos professeurs, qui, il y a deux mois, avait voulu faire tapisser sa chambre, est venu ce matin m'en demander une qui ne le fût pas. Vous comprenez que cela vaut beaucoup mieux.
Pendant la grand'messe de la cathédrale, à laquelle il m'a fallu assister en assistant Monseigneur, j'étais un peu harassé par la chape horriblement lourde qu'on m'impose en pareille circonstance. Je dormis un peu au Credo, mais à part cela tout se passa bien. Au fond de moi, je fus même un peu ému; je le dis avec embarras, car je ne pleurai pas mal, mais je crois que cela me venait du chant. Je ne puis pas entendre l'Adeste fideles, sans pleurer.
Au retour, chez moi, je préparai quelques pratiques de pauvreté et d'obéissance. Je dînai et, en sortant de table, je trouve un jeune diacre, frère de l'abbé Goubier, qui, l'année passée, avait été surveillant dans la maison et qui venait demander un rendez-vous pour aujourd'hui. Il paraît que la vocation lui vient. Il me fallait aller aux Vêpres de la cathédrale et faire la quête, et je me sentais sur le point de me trouver mal. Je fis la quête, et, voyez mon courage, je me décidai à assister au sermon. Je n'en avais pas entendu un seul de tout l'Avent, et le chanoine qui l'a prêché aurait pu se formaliser. Mais pour contrepoids de mon dévouement, en prenant place à côté du curé de la cathédrale, je lui recommandai bien, si je m'endormais, de ne pas me réveiller; ce qui le fit tellement rire que, malgré la houppe de son bonnet carré qu'il dévorait, je crus qu'il y aurait scandale. Pendant le sermon, je ne dormis pas et je pus très bien faire ma méditation. Le sermon était très bien écrit, froid, prêché tièdement; je pouvais être recueilli et n'y pas faire attention, et c'est le parti que je pris.
Au retour, à la maison, je proposai à nos Frères de se réunir encore, et là je leur vantai beaucoup un des leurs qui avait déjà commencé la pratique de l'obéissance envers moi. Je leur lus les pratiques que je leur avais préparées, je leur baisai les pieds pour leur montrer la disposition de service et de dépendance où, comme supérieur, je voulais me placer vis-à-vis d'eux, et maintenant nous voilà en train.
J'ai voulu vous donner ces détails, chère fille. Ils vous feront voir et le peu que je suis et le bien qui peut être obtenu de ces pauvres Frères, dont la simplicité est très belle et qui ne sont encore qu'un peu embarrassés.
b)
Compte-rendu des réunions de l'Association de l'Assomption, constituée en Ordre et en Tiers-Ordre, Noël 1845
A la réunion du 26 décembre, le P. d'Alzon inaugure le noviciat du Tiers-Ordre et, à la réunion du 27, il rappelle l'orientation apostolique de l'Association de l'Assomption, Ordre et Tiers-Ordre : dans l'esprit des vertus religieuses qui rapproche clercs et laïques sur la base de leur vocation chrétienne, on se propose de "concourir, par l'éducation chrétienne de la jeunesse, à l'avancement du règne de Jésus-Christ."
1° Séance du 26 décembre 1845. - Orig.ms. ACR, DI 208, p. 4.
Présents : MM. d'Alzon, président, Tissot, Surrel, Henri, Monnier, Germer-Durand, Sauvage, Cardenne, d'Everlange, Blanchet et Cusse.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et approuvé.
Après la lecture des règles du Tiers-Ordre, M. le Directeur dresse la liste de ceux qui désirent entrer au noviciat. Ce sont MM. Blanchet, Cardenne, d'Everlange et Monnier. Une messe sera dite pour eux, dans la chapelle de l'Assomption, demain, 27, fête de saint Jean l'Evangéliste, l'un des patrons de l'œuvre.
Les religieux continueront d'assister aux séances du Tiers-Ordre.
Les postulants se retireront pendant qu'on fera les coulpes.
R. Cusse E. d'Alzon
2° Séance du 27 décembre 1845. - Orig.ms. ACR, DI 208, p. 5-6.
Présents : MM. d'Alzon, président, Tissot, Surrel, Henri, Laurent, Cusse, - d'Everlange, Blanchet, Cardenne, Monnier, - Germer-Durand, Sauvage, Decker, Jovenich, Beiling(53).
Le p[rocès]-v[erbal] de la dernière séance est lu et approuvé.
M. Monnier est nommé secrétaire en remplacement de M. Cusse.
M. d'Alzon appelle notre attention sur les engagements que nous voulons prendre, chacun selon notre position et nos dispositions particulières, en nous consacrant à l'œuvre de l'Assomption.
I. - Le but que nous nous proposons d'atteindre est déjà connu. L'Eglise, privée aujourd'hui de l'influence que les Ordres religieux exerçaient sur l'éducation publique, ne saurait cependant renoncer, dans une question aussi grave, à ses droits les plus légitimes. Elle peut faire aux préjugés actuels le sacrifice de quelques Ordres contre lesquels se sont soulevées d'injustes mais d'invincibles antipathies, mais elle ne doit pas abandonner le dépôt de la foi qui périt entre les mains étrangères qui prétendent le lui ravir. Il faut qu'elle sauve cette foi, et que, bon gré mal gré, elle la conserve dans les générations qui s'élèvent sous nos yeux.
On ne veut pas des Ordres religieux : des prêtres et des laïques s'unissent, dans un esprit commun de dévouement, pour réaliser, si Dieu le veut, ce qu'avaient entrepris ces mêmes Ordres religieux, c'est-à-dire concourir, par l'éducation chrétienne de la jeunesse, à l'avancement du règne de Jésus-Christ. Cette union, nous l'essayons.
Réussirons-nous ? Ne nous inquiétons pas de l'avenir. Allons en esprit de foi, de dévouement, de sainteté et de prière. Soyons patients et prudents; et notre œuvre se développera d'elle-même, avec l'aide de Dieu.
Pour le moment, nous allons commencer, en nous constituant dans une communauté, une première ébauche de cette association du prêtre et du laïque, les uns s'imposant les règles de la vie religieuse, les autres s'essayant au noviciat d'un Tiers-Ordre, tous nous réunissant dans une même communication d'influence charitable, dans une commune édification.
Cette séparation devient nécessaire dans notre Association, puisque nous voulons lui imprimer le caractère religieux.
Mais si elle nous distingue, elle ne nous désunit pas. Ce n'est qu'un échange plus abondant de prières et de bons exemples qui va s'établir entre nous. Il n'y aura ni censeurs ni surveillants, seulement des amis plus fidèles et plus dévoués, s'aidant les uns les autres dans la charité, à la pratique de toutes les vertus chrétiennes. Cette charité, qui sera notre règle, et notre devoir, resserrera les liens qui nous unissent, loin de les affaiblir. Elle aplanira surtout les difficultés de cette nouvelle vie commune et cependant distincte; au milieu des éléments divers qui pourront la composer, elle saura former une secrète unité qui les rapprochera tous.
II. - L'union ainsi maintenue et fortifiée entre nous, dans quel esprit se développera l'Association ? Il est tout entier dans le but qu'elle se propose, l'extension du règne de Jésus-Christ.
L'ouverture du coeur et la franchise, ces aimables vertus qui gagnent les âmes et qu'inspire la charité; la science qui instruit, la vérité qui éclaire; surtout le zèle, la foi, le dévouement qui rendent faciles les sacrifices et triomphent des obstacles, tels devront être nos moyens d'action et d'influence.
La pauvreté et l'obéissance, entre autres vertus, aideront l'Association dans ce difficile et laborieux apostolat.
La pauvreté, qui saura limiter sagement son action, et, en la restreignant, lui donne plus d'étendue, la préservera de l'ambition. En esprit de pauvreté, elle s'appliquera à faire le mieux possible, avant de multiplier le plus possible les éléments de son action.
L'obéissance, non pas l'obéissance à tel ou tel, mais à Jésus-Christ; l'obéissance, dans une vue simple de Notre-Seigneur, en toute chose, partout, dans les enfants à former comme dans la règle à suivre : l'obéissance éclairée par la foi, disciplinant la volonté et l'intelligence, sans affaiblir l'une et sans éteindre l'autre; l'obéissance libre et spontanée, soumise à Dieu seul, surnaturalisant toutes les actions par un sentiment élevé de foi, doublera l'énergie de la volonté, dépossédée de l'orgueil par l'humilité, et fécondera la piété, dans un développement libre, persévérant et consciencieux, l'intelligence volontairement réglée et soumise.
_________________
8. Mémoires sur l’établissement de l’Assomption, année 1844 (V., Lettres II, appendice, p. 482).
9. Monnier, présent à cette messe de minuit, écrivit à Germer-Durand, le 26 décembre, pour lui dire les sentiments chrétiens qui lui avait inspirés la pauvreté des lieux (orig.ms. ACR, OC 186), et publia, en février 1844, une brochure intitulée Les Carmélites à Nîmes (orig.imp. ACR, DL 83) et vendue au profit du Carmel de Nîmes.
10. La même chronique est utilisée par l’abbé de Cabrières dans sa Notice sur la vie de la M. Élisabeth de la croix, première prieure du Carmel de Nîmes, morte en 1861 (p. 84-91)
11. "La Providence, qui m’a jeté à Nîmes, m’y fixera peut-être longtemps encore", écrivait, le 10 août 1836, l’abbé d’Alzon à son ami d’Esgrigny, et il ajoutait sans préciser : "il est des projets auxquels il faut renoncer, après les avoir doucement bercés dans son imagination. J’en ai eu tant de cette espèce que ma résolution est de n’en plus former, afin de n’avoir plus l’ennui de les démolir" (V., Lettres, II p. 5)
12. C'est le 20 décembre que les Carmélites arrivèrent à Nîmes, et le 24 leur couvent fut béni par l'abbé d'Alzon, vicaire général ( v. supra 3 ).
13. La circulaire présente ici les conditions nouvelles de l'établissement. Une commission ecclésiastique veillera sur l'instruction et l'éducation des enfants; les éducateurs seront des prêtres, les enseignants, des laïcs rétribués au prorata de leurs grades, etc.
14. Le 12 février, Monnier écrit à Germer-Durand : "Ces Messieurs promettent beaucoup. S'ils sont à même de tenir ces promesses et de réaliser les engagements qu'ils annoncent, on peut espérer pour leurs œuvres un succès désirable à tous égards et bien mérité assurément. Peuvent-ils tenir ces promesses ? [...] Tu sais leurs offres [...] M. d'Alzon comptait presque sur nous deux. Il m'a fait encore dernièrement de nouvelles ouvertures qui ne laissaient aucun doute à cet égard; et j'ai pu voir que notre refus déconcerterait ses projets et ses espérances. Il n'en faisait rien entrevoir, mais il n'était pas difficile de le comprendre. De nouvelles instances nous sont faites [...] Plus j'y réfléchis, surtout au pied de la croix, plus je me reproche d'hésiter [...]"
Le 23 février, il lui transmet les réactions du recteur de l'Académie, M. Nicot : "Pour le moment ces MM (d'Alzon et Goubier) sont en perte et font de grands sacrifices; souhaitons que leur œuvre réussisse et que leur dévouement ne soit pas entièrement perdu. M. Nicot est dans un calme majestueux à leur égard : Impavidum ferient ruinae. Il disait dernièrement : "Ces Messieurs, seraient-ils les plus pieux, les plus instruits, seraient-ils des Rollin, ne pourront jamais tenir contre l'Université. Elle a les reins forts et sa caisse est riche." On s'est si bien habitué de nos jours à se rire du dévouement que la prophétie rectorale pourrait bien encore ici avoir raison. Pourquoi ne dépend-il pas de nous de la faire mentir !" (Orig.ms. ACR, OC 187, 188).
15. Germer-Durand avait cru devoir rendre compte à l'abbé d'Alzon d'une longue discussion qu'il avait eue à Nîmes avec l'abbé de Tessan, prêtre très estimé par l'abbé d'Alzon : "Tant il y a que si j'étais moins solide dans mes espérances, écrit Germer-Durand, moins prêt à tout événement, il m'aurait vivement préoccupé; il avait l'air de vouloir me convaincre qu'il était de la plus grande importance pour l'établissement que vous n'en prissiez pas la direction; moi, je résistai. Je lui répondis que je ne partageais pas du tout son opinion, comme, en effet, je ne la partage pas" (Orig.ms. ACR, OC 97).
16. L'abbé d'Alzon savait par Germer-Durand que sa mère s'était entretenue avec l'abbé de Tessan et, par une lettre de l'abbé Goubier, il savait que celui-ci l'avait dissuadée de faire une visite à l'évêque. Ce n'est pas tellement une question d'argent qui préoccupait Mme d'Alzon que de voir son fils devenir maître de pension, et "s'il fallait croire à certains bruits de Congrégation religieuse".
17. Depuis le 10 août 1841, l'abbé d'Alzon était, pour le diocèse de Nîmes zélateur et protecteur de cette Association. En juin ou juillet. 1845, nous savons qu'il avait fait des vœux privés de religion à Notre-Dame des Victoires.
18. Vicaire général de Paris, devint évêque de Nantes en 1849.
19. L'abbé d'Alzon suivait de très près l'animosité qui sévissait en France contre les Jésuites depuis le début de l'année. Tandis que le gouvernement négociait leur suppression, les religieux inclinaient vers la résistance, et l'abbé d'Alzon se faisait leur défenseur. Se rendant au mariage de Veuillot à Versailles, le 31 juillet, il en cause avec le P. de Ravignan (Cf. V., Lettres, II p. 282 ; voir aussi plus loin le Ch. XI).
20. Les Bénédictins de Solesmes, quoique possédant trois maisons en France, se trouvaient dépourvus de toute disponibilité trésorière. Ils firent appel à la générosité de M. Bailly, qui demanda à l'abbé d'Alzon de le couvrir de sa signature.
21. La distribution des prix de la maison de l'Assomption eut lieu le 6 août 1845, sous la présidence de Mgr Cart, qui voulut bien, après avoir écouté la lecture du rapport de l'abbé Tissot, directeur, prononcer une allocution et encourager l'œuvre naissante.
22. Le 16 août, l'abbé de Tessan avait écrit à l'abbé d'Alzon, parmi les conseils de prudence, ces quelques lignes : "Pour moi, une seule chose me console et me rassure à votre égard, c'est la bonne foi avec laquelle vous cherchez la volonté de Dieu. J'espère contre toute espérance et ne néglige pas de prier pour vous." (Orig.ms. ACR, EA 234).
23. Informé par l'abbé d'Alzon d'une façon plus précise, par une lettre perdue, l'abbé Goubier s'empressa d'avertir les familles en faisant ajouter à la dernière page du rapport scolaire de fin d'année, alors sous presse, la note suivante : "M. l'abbé d'Alzon, absent depuis cinq mois pour solliciter le plein exercice en faveur de l'établissement de l'Assomption, vient d'écrire pour faire part du résultat de ses démarches; ce résultat a été aussi heureux qu'il pouvait l'être dans les circonstances présentes. M. l'abbé d'Alzon a obtenu de M. le ministre de l'Instruction publique l'autorisation de faire les classes dans l'intérieur de la maison jusqu'aux humanités. Il a reçu, de plus, l'assurance qu'avant six mois la question de la liberté d'enseignement serait définitivement résolue." -Dans une lettre à l'abbé d'Alzon, datée du 24 août 1845, l'abbé Goubier précise la portée de cette note, compte tenu de ce qui a été accordé : "Le ministre accorde jusqu'à la quatrième, nous volerons la troisième et la seconde. Si on avait "l'air de vouloir nous inquiéter à ce sujet, nous invoquerions auprès de M. le recteur, dont vous faites si complaisamment l'éloge au ministre, ses antécédents vis-à-vis du collège d'Uzès, qui, n'ayant droit que jusqu'à la troisième, a cependant, au su et au vu de M. Nicot, des élèves de 2e, de rhétorique et de philosophie." - Donc, l'abbé d'Alzon avait obtenu de Salvandy pour son pensionnat le plein exercice pour les classes de grammaire, mais, compte tenu de précédents, comme à Uzès, il estimait devoir exploiter une faveur en fonction de la loi promise.
24. Ce jeune homme paraît être Victor Cardenne, qui ne tarda pas à rejoindre l'abbé d'Alzon au collège de Nîmes et à devenir religieux.
25. Il s'agit du proviseur du collège royal, à Nîmes, auprès duquel Germer-Durand avait eu à se plaindre de tracasseries faites par quelques professeurs du collège à des élèves de l'Assomption obligés de s'y rendre pour les cours.
26. Habit religieux confectionné par Mère M. Eugénie de Jésus.
27. Au terme de l'exercice scolaire de 1844-1845, tandis que l'abbé d'Alzon était, à Paris, Germer-Durand, Monnier et l'abbé Tissot avaient mis au point un document que l'abbé d'Alzon appelle ici un règlement (ACR, CX 3-6). De fait, le document est divisé en trois livres : Organisation de l'établissement; discipline; éducation, avec titres, chapitres et articles pour ces trois ensembles. Ce n'est pas à proprement parler un traité de pédagogie; à le parcourir, on pourrait avoir l'impression d'une sévérité tatillonne. Il s'agit plutôt d'une méthode comparable à celle de saint Jean Bosco qui, à la même époque, préconisait, en matière d'éducation, une présence attentive de l'éducateur qui prévienne le mal pour n'avoir pas à le punir. - La marche de la maison est contrôlée par trois organismes : le Comité d'ordre ou de discipline, le Comité des études, et le Conseil, réunissant l'un et l'autre. - La discipline veille à développer dans l'élève les vertus naturelles d'ordre, de distinction, de loyauté, de générosité. - L'éducation vise essentiellement à former "des chrétiens solides, des hommes de leur temps, des citoyens de leur patrie".
Pour le P. d'Alzon, un établissement scolaire est d'abord une famille où se rencontrent les maîtres et les élèves, et les maîtres forment une communauté où chacun se sait engagé. Lorsqu'il s'est agi de confectionner le timbre ou le cachet, pour authentifier les actes, il aurait voulu que soit inscrit : Maison de l'Assomption, avec, pour devise : Regina apostolorum. "Ce mot de Maison dit tout ce que l'on veut et je n'aime pas le mot Institution". (Lettres des 13 et 17 janvier 1846. - T.D. 19, p. 46-59).
28. Dès cette époque, l'abbé Gratry faisait de pressantes démarches auprès de Mère M. Eugénie pour qu'elle décide le P. d'Alzon à prendre la responsabilité du collège Stanislas, à Paris, plutôt que de reprendre un établissement de province.
29. Suit la liste du personnel avec mention de sa qualification.
30. Suit la mention de quelques-uns de ces ouvrages.
31. Pour les rapports ultérieurs, cf. Ch. XIV A.
32. Nous reviendrons dans le Ch. XI sur ce qui est dit dans cette lettre vis-à-vis des Jésuites.
33. L'Ordre des Franciscains.
34. De fait, le P. d'Alzon attendra de 1845 à 1850 pour l'émission des premiers vœux, et de 1845 à 1855 pour la rédaction de la Règle de l'Assomption.
35. Sur un livre offert par la marquise de Barolo à Augustine, sœur de l'abbé d'Alzon, demeurée à Lavagnac, Silvio Pellico écrivit un petit poème, et ajouta sur un billet ces lignes pour l'abbé d'Alzon : "Mon Dieu, accordez à votre prêtre les consolations de l'apostolat, épargnez-lui le martyre."
36. Il s'agit des Religieuses de l'Assomption pour lesquelles l'abbé d'Alzon a demandé un prêt urgent à la marquise de Barolo, pour les aider à s'établir rue de Chaillot.
37. Mme de Puységur, rentrée à Lavagnac, aura la douleur de perdre sa petite fille Marthe, morte accidentellement en tombant sur les marches de l'escalier de la chapelle du château. A propos de cette mort, l'abbé d'Alzon écrit de Lavagnac le 21 octobre 1845 à Mère M. Eugénie : "Le souvenir de ma pauvre Marthe est toujours là; elle me manque partout, je me reproche de n'être pas allé visiter sa petite tombe. Pauvre petit ange ! Il m'était bon qu'elle partît, et Dieu qui dispose tout avec amour l'a chargée de dénouer bien des liens qui, sans elle au ciel, m'eussent été bien durs à briser. Amen." Mme de Puységur perdra son mari le 19 juillet 1851.
38. L'abbé d'Everlange.
39. Cette lettre avait été commencée la veille 30 septembre et c'est dans cette première partie que l'abbé d'Alzon rendait compte de son entrevue avec Mgr Cart (Cf. Ch. VIII, A 6).
40. Il s'agit de l'Office des Grandeurs de Jésus.
41. Le texte revient ici sur la distinction entre les associés qui vivent dans le monde et ceux qui vivent dans la maison.
42. La règle se poursuit par d'autres paragraphes intitulés: Admission, Obligations, [Organisation], [Réunions].
43. La suite de la lettre comporte une liste de commissions.
44. Il entra comme novice dans la Congrégation, ne tarda pas à en sortir et mourut curé doyen de Remoulins, dans le Gard.
45. Né à Uzès, le 5 décembre 1821, entra comme novice dans la Congrégation, prononça ses premiers vœux le 25 mars 1851 et ses vœux perpétuels en 1852, mourut à Paris en 1895, assistant général de la Congrégation.
46. Né dans le Gard en 1821, entra comme novice dans la Congrégation, se retira, revint et prononça ses vœux perpétuels en 1857, alla fonder la mission d'Australie en 1860, fut relevé de ses vœux en 1862 et mourut prêtre séculier, en Australie, le 6 septembre 1866.
47. L'abbé d'Alzon annonce à Mère M. Eugénie la venue de trois postulantes de Nîmes, tandis qu'il en prépare deux ou trois autres pour plus tard.
48. A M. Bailly qui lui demande une aide pour couvrir des frais engagés par lui sous la signature de l'abbé d'Alzon en faveur des Bénédictins de Paris, l'abbé d'Alzon, dans une lettre du 10 décembre 1845, précise, pour s'excuser de ne pouvoir l'aider : "Je serai pour le moins cette année en dessous de 20 000 francs, ce qui, ajouté à presque autant de l'année dernière, donne bien un déficit de 40 000 francs, sans parler du reste." (V., Lettres, II p. 393-394).
49. Jésus-Christ, nouvel Adam.
50. C'est-à-dire l'Eglise. Au paragraphe suivant, que nous ne transcrivons pas et où il examine ses devoirs de prêtre, l'abbé d'Alzon écrit : "La cause de l'Eglise sera l'objet de tout mon zèle, et c'est à procurer son triomphe que je consacrerai toute mon existence. Je me représenterai l'honneur que je reçois d'être admis à combattre pour la cause de Dieu et de ce qu'il a de plus cher, car Dieu n'aime et ne peut rien aimer plus que son Eglise-"
51. Il s'agit de la Congrégation de l'Assomption. Les six premiers novices de l'Ordre furent les PP. d'Alzon, Surrel, Henri, Tissot, Laurent, prêtres, et le Fr. Cusse.
52. Il s'agit de son habit religieux qu'il ne mettait que la nuit.
53. Cette liste groupe les personnes selon leurs options; les 6 premiers sont les novices de l'Ordre; les 4 suivants sont les novices du Tiers-Ordre; les 5 derniers sont des postulants pour le Tiers-Ordre. Quinze personnes s'étaient donc attachées dès ce moment, et d'une manière plus étroite, autour du P. d'Alzon, à l'œuvre de l'Assomption.