CHAPITRE V.2
VOCATION SACERDOTALE ET ETUDES CLERICALES
D'EMMANUEL D'ALZON
(1830-1835)
[Suite de la correspondance]
9. b)
De la lettre de l'abbé d'Alzon à Gouraud, Lavagnac, 18 juillet 1832.- Orig.ms. ACR, AA 103; V., Lettres, I, p. 315-318.
L'abbé d'Alzon, par égard à ses parents, passera avec eux ses premières vacances de séminariste. Il fait le point sur la faiblesse de la science théologique enseignée au séminaire et, informant son ami qu'il a été tonsuré, lui demande de l'accompagner par sa prière dans sa marche vers le sacerdoce.
J'aurais vivement désiré aller passer mes vacances avec vous et avec de Jouenne, mais il est bien difficile de refuser à ses parents ses premières vacances de Séminaire. Certaines personnes, il est vrai, m'exhortent à aller continuer mon séminaire à Saint-Sulpice, mais les raisons qu'elles me donnent sont précisément celles qui me détourneraient de ce dessein. Je sais bien que Montpellier, quoique très bon sous certains rapports, a de très grands désavantages, et qu'à ne voir les choses que sous un point de vue, le temps que j'y passerai sera presque perdu sous le rapport scientifique; mais vous ne vous faites pas une idée de l'utilité qu'on en peut retirer. Comme on est frappé de la décrépitude de la science théologique, telle qu'on s'obstine à vouloir l'enseigner ! C'est au point que je me faisais un scrupule de conscience d'ouvrir la bouche dans certaines discussions sophistiques, qui, trop souvent, emportaient tout le temps des conférences. C'est, à mon gré, une contre-épreuve bien utile, quand on veut s'assurer si les nouveaux développements qui se préparent sont aussi vrais que le disent ceux qui sont avancés dans la voie. Lorsque, après quelques mois passés à étudier cette science toute verbale, on revient à étudier une science de choses et de faits, on est, je vous assure, bien facilement à même de juger la différence. [...]
Songez-vous quelquefois que je n'appartiens plus au monde, que mes cheveux ont été coupés(35), et que j'ai dit aux pieds de l'évêque : Dominus pars haereditatis meae et calicis mei ; tu es qui restitues haereditatem meam mihi ? Voilà que j'ai un autre héritage que le monde, d'autres espérances que le monde, que je ne suis plus du monde. Priez Dieu, mon ami, pour qu'à mesure que je m'avancerai dans la hiérarchie ecclésiastique, j'en prenne tout l'esprit, esprit sublime et qui renouvellera le monde, quand il pénétrera les âmes assez pures pour le faire briller aux yeux des hommes.
c)
De la lettre de l'abbé d'Alzon à d'Esgrigny, [Lavagnac, le 11 août 1832]. - Orig.ms. ACR, AA 105; V., Lettres, I, p. 323-325.
L'abbé d'Alzon, en vacances à Lavagnac, fait part à d'Esgrigny de ses réflexions apostoliques. Il voudrait pouvoir, à l'aide des Pères et de la Bible, cerner les idées-mères aptes à féconder l'esprit sacerdotal, pour raviver les forces du catholicisme, afin que seule la voix de Dieu puisse se faire entendre.
Depuis que je suis en vacances, je cherche souvent à deviner deux choses, à quoi je suis bon et, ce que vous deviendrez. Pour moi, en y réfléchissant mûrement, je me trouve propre à si peu de choses que j'en ai pris mon parti. Je m'en vais, comme dit Gouraud, étudier mon état, lire les Pères, la théologie, la Bible, ne pas abandonner surtout l'étude de ce que nous sommes convenus, avec un ecclésiastique de ma connaissance, d'appeler idées-mères, c'est-à-dire des principes qui sont propres à féconder l'esprit de quiconque est appelé, par sa vocation, à prendre quelque ascendant sur les hommes, idées qui, pour n'être pas admises dans la tête de certains prêtres, les laissent sans influence aucune sur la société(36). Après cela, j'attendrai patiemment que Dieu parle. Vous ne sauriez comprendre, mon ami, combien quelquefois Dieu parle haut, quand on lui déclare qu'on veut le prendre pour guide. [...]
Laissez-moi vous dire combien je gémis, depuis que j'ai promis à Dieu de n'avoir plus d'autre héritage que le sien, ravagé par ses ennemis, négligé par ceux qui devraient le cultiver; et d'un autre côté, au milieu des clameurs qui retentissent autour de nous, au milieu de ces cent mille voix, dont chacune exprime une opinion différente, combien il est triste de ne pas entendre une seule voix, dont on puisse dire : "C'est la voix de Dieu." Personne ne se charge d'aller porter aux hommes les paroles du Seigneur. Et voilà ce qui me désole. Car, si le Seigneur se tait, qui peut instruire ? Je vous dis ceci avec une grande amertume de cœur et vous conjure de considérer combien il serait grand de faire auprès de la société la fonction de héraut divin.
Emmanuel.
d)
De la lettre de l'abbé d'Alzon à de La Gournerie, [Lavagnac, 4 septembre 1832].- Orig.ms. ACR, AA 107; V., Lettres, I, p. 330-334.
L'abbé d'Alzon, voyant tant de catholiques gémir et désespérer de tout, trouve dans les ouvrages des Pères de quoi renouveler la présentation de la foi chrétienne dans sa fermeté et dans son assurance.
Oh ! nous comprenons bien mal notre mission, si nous ne profitons pas de tous les moyens que Dieu nous offre de faire triompher sa cause. Je vois grand nombre de catholiques gémir et désespérer de tout, parce que, disent-ils, le monde est gâté; il l'était bien davantage quand les Apôtres entreprirent sa conquête, et pourtant ils en vinrent à bout. [...]
Je me suis mis à vivre dans le commerce le plus familier avec saint Augustin, saint Chrysostome, Tertullien et quelques autres Pères de l'Eglise. Il faut convenir que ces hommes étaient prodigieux. Souvent on voit percer chez eux les défauts de l'époque. Les antithèses chez saint Augustin, un néologisme de mauvais goût chez le dur Africain déparent leurs chefs-d'œuvre; mais n'importe, ils méritent leur réputation, ils en méritent même une plus grande que celle dont ils jouissent aujourd'hui. Je trouve qu'on puiserait chez eux la réponse à bien des objections faites contre le christianisme et qui sont à la lettre renouvelées des Grecs. Sous ce rapport, l'enseignement ecclésiastique est susceptible de prendre et prendra, je l'espère, avant peu un grand développement. J'espère que, lorsque tous les souvenirs de Sorbonne seront éteints, l'on sacrifiera au bien de la vérité quelques arguments, quelques preuves scolastiques désormais hors de saison, pour présenter aux jeunes gens le parallèle merveilleux des dogmes catholiques, immuables comme la vérité dont ils sont l'expression, et des mille erreurs qui naissent et meurent chaque jour, insaisissables comme le principe sur lequel elles reposent. Considérée de ce point de vue, l'étude de la théologie est on ne peut plus attachante. Il faut sentir les avantages de la foi, comme on comprend les avantages d'un port sûr, quand de la plage on aperçoit un bâtiment luttant avec la tempête.
e)
De la lettre de l'abbé d'Alzon à Gouraud, [Montpellier] le 15 avril 1833. - Orig.ms. ACR, AB 6; V., Lettres, I, p. 403-406.
L'abbé d'Alzon vient de lire dans la Revue européenne, qui a pris le relais du Correspondant, en septembre 1831, un article concernant l'œuvre de l'abbé Bautain à Strasbourg. Il désire vivement en savoir plus long, car il est persuadé que Dieu veut aujourd'hui "un Ordre nouveau" pour travailler à régénérer la société moderne. Bautain, professeur de philosophie au collège royal de Strasbourg, devenu prêtre, avait fondé, le 16 mai 1832, une sorte de famille spirituelle sans vœux et sans obligations formelles, dite la Société Saint-Louis, et placée sous le patronage de l'évêque de Strasbourg. Cette société devait se disperser après la condamnation de Bautain.
Je viens vous prier, mon cher Gouraud, de me rendre un service dont je vous crois plus capable que tout autre. Je vous ai toujours entendu parler avec enthousiasme de l'abbé Bautain. Je viens de lire dans la Revue européenne quelques mots sur lui, qui ont vivement excité ma curiosité. On dit qu'il s'est mis à la tête de quelques jeunes prêtres, dont il dirige les études. Quel est leur but ? Je suis tellement certain que Dieu veut aujourd'hui un Ordre nouveau, et que cet Ordre paraîtra avant peu, que je ne puis entendre parler d'une association de ce genre sans être fortement remué. Je voudrais avoir des détails positifs sur ce M. Bautain. J'ai été frappé des articles qu'il a insérés dans la Revue européenne. Donnez-moi ces détails, si vous le pouvez; donnez-les-moi longs. J'ai besoin d'être au courant de tout ce qui se prépare pour la gloire de Dieu et le triomphe de la foi. [...]
Plus je vais, plus il m'est évident que Dieu, qui nous aimera toujours encore plus que nous le haïssons, est résolu de sauver le monde. Si nous voulons nous mettre sous sa main, il se servira de nous comme d'instruments de salut, car il emploie toujours de préférence ce qui est faible et misérable. Mais si nous refusons de nous laisser conduire par lui, il saura bien faire ses affaires sans nous et malgré nous. Pour moi, j'entre dans un étonnement bien grand quand je me permets de suivre la marche de la Providence, quand je la vois former ses ouvriers dans le silence, loin du monde et des contentions. Le moment n'est pas éloigné où elle les fera paraître, et nous verrons alors [ce] que deviendront les misérables et frêles cabanes, bâties par l'orgueil en révolte, en présence du magnifique édifice qui s'élèvera par les mains de l'Eglise au Dieu de l'éternité.
Adieu, mon ami. Comme vous voyez, je vis d'espérance. Mais de quoi peut-on vivre aujourd'hui, et l'espérance n'est-elle pas la sœur de l'amour ? Adieu. Répondez-moi. Je vous aime.
Emmanuel.
f)
De la lettre de l'abbé d'Alzon à de La Gournerie, [Montpellier le 8 juin 1833]. – Orig.ms. ACR, AB 9; V., Lettres, I, p. 413-415.
L'abbé d'Alzon informe de La Gournerie qu'il a reçu les ordres mineurs, ce qui le rapproche de l'ordination sacerdotale, dont il mesure les responsabilités pastorales : rappeler au genre humain qu'il n'est qu'une grande famille dont Dieu est le Père; et à ce propos il glisse un jugement sur la partialité des rédacteurs de L’Avenir.
J'ai trop de plaisir à recevoir vos aimables lettres, mon cher Eugène, pour ne pas me hâter de répondre à la dernière que je reçus de vous, voilà bientôt huit jours. Elle m'arriva quelques heures après une cérémonie, à laquelle j'avais eu une part bien active : je veux parler de l'ordination de la Trinité, où j'ai reçu les quatre ordres mineurs. Encore un nouvel engagement, engagement fort léger, il est vrai, sous le rapport des obligations qu'il impose, mais qui me présente sans aucun intermédiaire le terrible pas du sous-diaconat.
Priez pour moi, mon cher ami, je vous en conjure, parce que j'en ai le plus grand besoin. Bientôt je serai appelé à faire un pacte solennel avec Dieu. Je dis bientôt, car qu'est-ce qu'un ou deux ans, pour se préparer à un fardeau qu'il faudra porter toujours ?
Je vois tous les jours de nouvelles charges, de nouveaux travaux, de nouvelles fatigues, et je sens qu'un grand courage m'est nécessaire. Il faut même plus que du courage, aujourd'hui que tout ce qui nous entoure est si tiède, si froid, si glacé; il faut dans le cœur un feu immense pour soi et pour les autres; il faut des flammes pour réchauffer ces pauvres âmes, toutes transies depuis qu'elles se sont dérobées aux rayons du soleil de justice et de vérité; il faut une patience immense pour panser toutes les plaies, soigner toutes les maladies qui pullulent dans ce champ de toutes les misères qu'on appelle le monde; il faut la foi, il faut l'amour, il faut l'esprit de sacrifice; et où le trouverez-vous ?[...]
Et cependant c'est une belle chose qu'une vie sacerdotale ! Oh ! oui, belle, bien belle et sublime. S'anéantir, se dépouiller de tout ce qui dans l'homme est souillé, corrompu; se revêtir de Jésus-Christ comme d'une armure de lumière et marcher au combat avec la certitude que la victoire restera à la cause que l'on défend, parce que c'est la cause de Dieu; se sentir appelé à rendre aux hommes le repos et le bien de l'intelligence qu'ils ont perdus, aux peuples le bien qui, leur manquant depuis de longues années, ne faisait plus d'eux que des agrégations, mais non pas des sociétés; rappeler au genre humain qu'il n'est qu'une grande famille, dont Dieu est le Père : voilà certes une belle mission, et c'est celle qui est destinée à celui qui aura foi en son ministère, foi à l'imposition des mains et à l'esprit de Dieu qui lui est communiqué par cette imposition.
Je partage assez votre sentiment sur l'Avenir. A force de vouloir être catholiques, les rédacteurs de ce journal ont fini par ne plus l'être dans toute la rigueur du mot.
10
Extraits de deux lettres de l'abbé Daubrée à l'abbé d'Alzon
L'abbé Daubrée était pour l'abbé d'Alzon un ami de la première heure (v. Ch. IV, 2 a). En 1832, l'abbé Daubrée est encore au service de l'abbé de Salinis, au collège de Juilly; mais en 1833, il rejoint Dom Guéranger à Solesmes. Lorsque l'abbé d'Alzon lui eut fait part de la faiblesse des études à Montpellier, il l'invite à le rejoindre d'abord à Juilly(37), puis à Solesmes(38 ). C'est alors que l'abbé d'Alzon lui révéla son intention d'être prêtre religieux, mais religieux apostolique. A cette lettre perdue, l'abbé répond avoir eu le même projet et ne l'avoir pas suivi, faute d'un Ordre répondant à son attente : ni les Jésuites, ni la Congrégation de Saint-Pierre de Lamennais ne l'ont retenu. Il ne pouvait quant à lui, écrit-il à l'abbé d'Alzon, attendre "l'Ordre probable dont vous me parlez, qui régénérera la société".
a)
[Juilly, 22 juin 1833]. - Orig.ms. ACR, EA 6.
Si ma lettre vous a été agréable, mon cher Emmanuel, votre réponse me l'a été plus encore. Ce que vous me dites de vos dispositions me surprend. J'avais cru que vous désiriez le ministère extérieur et que la vie religieuse ne serait pas de votre goût. Si vous y êtes appelé, mon cher ami, je vous en félicite, car cette vie s'appelle le paradis terrestre et la porte de l'autre paradis est dans celui-là. Il m'en coûte dans le parti que je prends; mais j'en bénis Dieu qui m'appelle, sinon de toutes les forces de mon cœur encore attaché à ce que je quitte, du moins de toutes les forces de ma raison. Je connais votre attrait pour les Jésuites si... Ce si là m'a arrêté comme vous. J'aimerais une société dans ce genre si cette société existait, mais elle n'existe pas et ce si là me refoule chez les Bénédictins où Dieu me prépare peut-être un mieux que je ne comprends pas encore et ne puis comprendre dans la nuit où ma pauvre âme se trouve en ce moment. Ce que fait l'abbé de Lamennais n'a pas les moindres chances de durée : je connais l'œuvre pour y avoir été et pour l'avoir suivie des yeux depuis que je n'y suis plus(39). Franchement je n'y vois pas le doigt de Dieu et pour qui connaît le caractère de M. Féli il est à peu près constant qu'il n'a pas d'autre mission que la composition des livres. Je ne serai pas le seul à vous parler ainsi. Mr de Cazalès, Jourdain et Bore qui écrivent dans la revue vous tiendraient le même langage. Au surplus, mon cher ami, vous avez le temps d'examiner. Tout ce que je vous demande, c'est de n'y pas manquer.
L'idée de venir nous voir pendant ces vacances est excellente. C'est après avoir vu seulement que vous pourrez prendre un parti. Vous ferez connaissance avec l'abbé Guéranger et vous serez ravi de sa science et de son esprit, j'en suis certain.
Je quitte Juilly le 1er juillet et Paris le 4. Je serai rendu le 7 ou le 8 à Solesmes,
b)
[Solesmes], 19 juillet 1833. - Orig.ms. ACR, EA 7.
Je n'avais pas le temps d'attendre l'Ordre probable dont vous me parlez qui régénérera la société. Avant tout il fallait me sanctifier et j'ai embrassé, non la vie qui est le plus en rapport avec mes théories, mais celle que Dieu paraît me destiner et qui était réalisable aussitôt. Vous, mon cher ami, attendez l'heure que sonnera la Providence. Quand vous serez prêtre, quand vous aurez exercé un peu de ministère il vous sera plus facile de connaître dans quelle voie vous devez marcher.
11
Extrait d'un acte de consécration à Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié, Séminaire de Montpellier, 3 mai 1833. - Orig.ms. ACR, CR 6; T.D. 43, p. 246-249.
En la fête de l'Invention de la Sainte Croix, le 3 mai 1833, avec quelques séminaristes de Montpellier, l'abbé d'Alzon se consacre à Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié, en un pacte d'entraide spirituelle, pour être dignes de la sainteté du sacerdoce. Le texte comporte deux parties : un préambule, de la main de l'abbé d'Alzon, que nous allons citer, et la formule de consécration, d'une autre main, mais ratifiée par lui.
Il est écrit dans l'Apocalypse que saint Jean vit, au milieu du trône de Dieu, un agneau comme immolé, et que les vieillards qui entouraient le trône et les anges qui le servaient se prosternèrent en disant à haute voix : Dignus est agnus, qui occisus est, accipere virtutem, et divinitatem, et sapientiam, et fortitudinem, et honorem, et gloriam, et benedictionem.
C'est à cet agneau, immolé dès l'origine du monde, que nous sommes résolus de nous consacrer, afin de rendre à celui qui est assis sur le trône, et à l'agneau, et la bénédiction, et l'honneur, et la gloire, et la puissance dans les siècles des siècles. Amen. Persuadés que plus l'impiété moderne a voulu renverser sa puissance et anéantir sa gloire, plus celui qui est assis sur le trône fera briller sa gloire et fortifiera sa puissance, nous venons nous prosterner devant lui, et, après les cantiques des vieillards et des anges, comme les quatre animaux mystérieux, répéter : Amen, Amen. Oui, nous voulons que la puissance et l'honneur soient rendus à l'Agneau, et c'est pour cela que nous [nous] unissons à ses pieds, afin que le concert de nos efforts attire à nos travaux les bénédictions d'en-haut. Nous nous proposons d'augmenter, autant qu'il dépendra de nous, cette gloire et cette puissance.
Les moyens par lesquels nous y parviendrons, nous les trouverons dans une imitation, la plus parfaite possible qu'il dépendra de nous, de son état de victime. Comme saint Paul, nous ne voudrons savoir qu'une chose, Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié, Jesum Christum, et hunc crucifixum. Telle sera notre devise : Jésus-Christ, dont le sacrifice sur la Croix sera le modèle sur lequel nous aurons toujours les yeux fixés. Aspice, et fac secundum exemplar quod tibi in monte monstratum est. Nous viendrons souvent contempler ce modèle qui, de l'autel comme du haut de la montagne, se présente à nous et nous apprend ce que nous devons être, pour lui rendre l'honneur qui lui est dû. Et comme Jésus-Christ s'est offert volontairement à son Père, sans cesse aussi nous nous offrirons à Dieu. Comme Jésus-Christ sur la croix n'a voulu que le salut des hommes, nous aussi, en aimant la croix, nous ne chercherons que notre salut et celui de nos frères. Comme Jésus-Christ élevé sur la croix a tout attiré à lui, cum exaltatus fuero, omnia traham ad meipsum, nous aussi nous nous efforcerons, par l'esprit de pénitence, de nous élever sur la croix, afin d'attirer le plus possible vers le ciel tant d'âmes qui regardent encore vers la terre.
L'amour au Saint-Sacrement de l'autel sera celui que nous nous efforcerons d'allumer dans nos cœurs. Nous demanderons à la divine victime qu'elle daigne y graver son image. Nous lui demanderons de transformer nos poitrines en une fournaise ardente, d'où jaillissent incessamment, avec nos paroles, les flammes qui aillent réchauffer tant de cœurs tièdes et froids, qui n'attendent qu'une étincelle du ciel pour s'enflammer(40).
12
Lettres testimoniales de la réception par E. d'Alzon des quatre Ordres mineurs, Montpellier, le 1er juin 1833. - Orig. ACR, DK 252.
Litterae
Ordinationis
Maria-Nicolaus FOURNIER
Miseratione Divinâ et Sanctae Apostolicae gratiâ Episcopus Monspeliensis, Baro CONTAMINENSIS, in Regiâ Legione Honoris Praepositus, Eques Ordinis Melitensis Magnâ Cruce signatus, etc.
Notum facimus universis, quod nos, die datae praesentium, sacros générales ordines et Missam in Pontificalibus celebrantes, in Ecclesiâ Seminaris nostri Diocesani, sabbato quatuor temporum Pentecostes , dilectum nobis in Christo Joseph Mariam Emmanuel D'ALZON, e Diocesi Nemausenci, rite et canonice dimissum,
idoneum et capacem in examine repertum, ad quatuor minores ordines, rite et canonice, Domino concedente, duximus promovendum et promovimus.
Datum Monspelii sub signo nostro, Secretariique Episcopatus nostri chirographo, anno Domini millesimo octingentesimo trigesimo tertio, die verò mensis junii primâ,
+ M[aria] N[icolaus], episcopus Monspeliensis
L + S De mandato
Martin, sec[reta]rius.
13
Extraits de deux lettres de séminaristes de Montpellier à l'abbé d'Alzon
L'abbé d'Alzon continue à suivre pendant les vacances les séminaristes avec lesquels il avait voulu "faire du bien parmi les membres moins zélés de la communauté"(41). Nous citerons, à titre d'exemples, des extraits de lettres de séminaristes qui le remercient de ses conseils et de sa prière pour le temps des vacances.
a)
De la lettre de A. Reynet, Basse le 29 juillet 1833. - Orig.ms. ACR, EA 152.
Ma consolation a été extrême en voyant que les conseils et les saintes exhortations dont vous nous avez édifiés au Séminaire, vous continuez à nous les prodiguer pendant les vacances, temps périlleux et difficile, temps rempli d'écueils pour notre salut. Je vous suis infiniment obligé, Monsieur d'Alzon, de l'attention et des égards que vous avez eus pour moi en m'écrivant cette lettre pleine de saints avis et certainement bien propre à ranimer la ferveur et la piété. La résolution que vous nous avez suggérée, de faire une heure d'oraison, est en vérité un moyen bien puissant pour passer saintement les vacances. C'est dans ce divin exercice que notre âme va puiser la lumière et la force, pour éviter les écueils que l'ennemi de notre salut sème autour de nous et pour résister à tous les obstacles que sa malice nous oppose. C'est dans l'oraison que notre âme s'unit à Dieu plus que dans tout autre exercice, reconnaît sa dépendance, ses misères, ses faiblesses [...] (42).
Continuez d'exercer envers nous, pour ainsi dire la fonction de père spirituel que vous avez exercée, cette année. Permettez-moi cependant de vous faire observer que vous devez ménager la santé de votre corps qui doit être considéré comme une victime qu'il faut engraisser pour immoler ensuite au Seigneur.
b)
De la lettre de J. Artaud, Lunel, le 31 juillet 1833. - Orig.ms. ACR, EA 295.
Je m'empresse de répondre à votre aimable et édifiante lettre. Je vois avec un plaisir très sensible que vous n'avez pas perdu de vue vos chères brebis : vous remplissez à notre égard les devoirs du pasteur le plus tendre et le plus attaché à son troupeau. Heureux si nous pouvions répondre à tous vos soins ! Heureux moi-même et mille fois heureux si je mettais en pratique les sages avis que vous avez eu la bonté de me donner. Mais je vous prie, mon cher Monsieur, de vouloir bien compatir à ma faiblesse. [...]
La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, n'est pas tout à fait dépourvue de consolation. Car à la première lecture que j'en ai faite, j'ai senti mon courage se ranimer, et toutes les fois que je la relis, mon cœur semble se ranimer et prendre de nouvelles forces; aussi j'en ferai souvent le sujet de mes méditations. C'est dans cette aimable lettre que j'irai prendre des forces dans les moments de désolation et de sécheresse ; c'est elle qui échauffera mon cœur lorsque les glaces de la tiédeur viendront le refroidir. Je ne manquerai pas surtout d'employer pour cela le grand moyen que vous avez bien voulu m'indiquer, et quelque pénibles que soient quelquefois les moments que je passe devant le très Saint Sacrement, je ne manquerai jamais d'aller me prosterner humblement en présence de notre Dieu [...].
Priez pour moi, mon cher d'Alzon, afin que le Seigneur daigne m’exaucer et rendre le calme à mon cœur; de mon côté, je vous avoue que je ne serai point ingrat. J'adresserai tous les jours au bon Dieu ma faible et timide prière pour tous les membres de notre réunion et pour celui surtout qui en est le père tendrement aimé.
14
Extraits du dossier de lettres de l'abbé d'Alzon à ses amis
a)
Lettres de l'abbé d'Alzon à d'Esgrigny, juillet-octobre 1833
D'Esgrigny demeure le confident de l'abbé d'Alzon, et c'est à lui qu'il s'ouvre au début des vacances de son projet de laisser le séminaire pour aller ailleurs poursuivre ses études. L'incertitude dans laquelle il demeure ébranle sa santé et même son courage intérieur. Après avoir écarté Paris, Solesmes, Juilly, il choisit Rome "comme un pis-aller", pour le programme d'études qu'il se propose.
1° Lavagnac, le 5 juillet 1833. -Orig.ms. ACR, AB 10; V., Lettres, I, p. 416-418.
Me voilà en vacances pour trois mois. J'en avais besoin pour le bien de mon corps qui s'était épuisé, et, j'espère aussi, pour le bien de mon âme. J'avais besoin de quelque temps de retraite et de liberté. Reviendrai-je au Séminaire ? C'est ce que je ne puis vous dire. Donnez-moi un conseil d'ami et dites-moi ce que je dois faire. Dois-je aller à Juilly, où l'abbé de Salinis m'offre tous les avantages possibles ? Ou auprès des Bénédictins de Solesmes, où je pourrais passer quelques années ? Ou auprès de M. de la Mennais qui m'attend? Ou enfin à Rome ?
Voilà bien des endroits, où je trouverai de grands avantages, mais où, en même temps, j'aurai des inconvénients. Partout il faut en trouver, je le sais. Mais où en rencontrerai-je le moins ? Qu'en pensez-vous ?
2° [Lavagnac], le 16 août 1833. - Orig.ms. ACR, AB 14; V, Lettres, I, p. 427-428.
Je vois avec plaisir que vous avez jugé parfaitement comme moi les divers endroits, où je pourrais aller continuer mes études. II y a quelques considérations qui n'ont pu vous venir à la pensée, mais à part ce, je suis heureux de me rencontrer de votre sentiment.
En résumé, je pense que si les détails que j'ai fait demander sur Juilly sont satisfaisants, ce sera dans cette dernière maison que je me fixerai. A proprement parler, je ne sens pas trop le besoin d'être sans cesse sous les yeux d'un homme qui me dirige(43); non que je n'aie aucun besoin de conseils, mais parce que je crois connaître le genre de travail auquel je suis destiné, et parce que je me suis tracé un plan d'études analogues à la carrière que je me suis proposé de suivre. Le grand mal du temps, ou, au moins, un des grands maux de l'époque, c'est le défaut de foi parmi les hommes. Ce serait donc à rendre la foi aux hommes que je voudrais me consacrer. Un pareil but exige certaines études, de la retraite et cependant le commerce des hommes. Juilly, à cause de sa proximité de Paris, m'offre, ce me semble, de grands avantages.
3° Lavagnac, le 19 septembre 1833. -Orig.ms. ACR, AB 15; V., Lettres, I, p. 429-432.
Je vous en conjure bien vivement : Priez pour moi. J'ai honte de le dire, mais c'est une honte que je puis bien subir devant vous, puisque je veux toujours vous ouvrir ma pensée, je crains d'être infidèle aux grâces de Dieu.
Il me semble que, dans les premiers temps de ma cléricature, il me montrait l'idéal d'un prêtre. Il me semblait voir un être presque céleste, pur comme un ange, le cœur plein de flammes pour Dieu et pour les hommes, aimant la souffrance et la croix, parce que Jésus-Christ, le prêtre par excellence, avait souffert et était mort crucifié, mourant tous les jours à lui-même, comptant la vie pour rien, aimant l'Eglise comme une jeune épouse. Voilà ce que je voyais. Je voyais encore un homme se mettant à la place de tous les malheureux, s'identifiant avec eux pour supporter avec eux tous les genres de peines et de misères. Voilà, certes, un beau modèle ; et ce modèle, je croyais être appelé à le réaliser. Cependant, quand je me vois si faible, si froid, si égoïste, je me sens saisi d'un grand découragement, et plus encore d'une grande honte. Car la grâce de Dieu pouvait faire des prodiges en moi, si je l'eusse voulu. [...]
Ce qui n'a pas peu contribué à me mettre dans cet état, c'est l'indécision où je me suis trouvé, pendant un certain temps, sur le lieu où j'irai continuer mes études. Depuis plus d'un an, j'étais résolu à ne plus revenir, à la rentrée prochaine, au Séminaire de Montpellier. J'ai éprouvé de fortes contradictions dans le choix du lieu, où je voulais aller poursuivre mes études. Je voulais rester en France, sans retourner dans un Séminaire, l'enseignement aujourd'hui y étant beaucoup trop incomplet. Enfin je me suis à peu près décidé d'aller à Rome.
Je pars avec un prêtre qui, après avoir passé quatorze ans dans le ministère, a obtenu un peu de repos pour réparer sa santé et reprendre des forces(44). En même temps, il se propose de se préparer à la prédication. Nous prendrons un appartement et nous travaillerons, chacun de notre côté. […] Ne croyez pas que moi-même je me fasse une haute idée de ce que j'y trouverai. Il est sûr cependant qu'avec un peu de bonne volonté j'y trouverai ce qui me convient.
Il me semble qu'une ère nouvelle va commencer pour moi. Je vais être un peu plus mon maître, ce que je crains beaucoup. Vous m'écrirez souvent, si vous ne venez pas me voir. En vous demandant vos lettres, je vous demande ce que je crois maintenant avoir le droit d'exiger. J'espère, avant de partir, faire une bonne retraite, où je prendrai des résolutions conformes à ma nouvelle manière de vivre. Je vous les enverrai, si vous me promettez de me donner votre avis bien circonstancié(45).
4° Lavagnac, le 5 octobre 1833 - Orig.ms. ACR, AB 18; V., Lettres, l, p. 437-440.
C'est sans doute par une permission de Dieu que les personnes qui me sont les plus chères (mes parents exceptés) combattent le projet de mon voyage à Rome. J'ai eu toutes les peines du monde à y décider mon confesseur. Moi-même, pendant longtemps, j'en avais repoussé la pensée par les mêmes raisons que vous me développez dans votre lettre. Et maintenant, entraîné par je ne sais quelle impulsion, je me laisse conduire dans une voie dont je ne regarde l'issue qu'avec effroi. N'eût-il pas mille fois mieux valu pour moi suivre la route que je m'étais déjà tracée et sacrifier à Dieu deux années d'études nulles pour moi ?
Maintenant, je serais au Séminaire. Depuis quelques heures j'aurais revu tous les jeunes gens avec lesquels j'ai vécu pendant un an et demi. Je formerais avec quelques-uns d'entre eux des projets pour faire du bien parmi les membres moins zélés de la communauté. Dieu, content de mon sacrifice, me dédommagerait de tant de dégoûts surmontés par une grande joie, comme il m'en a fait éprouver parfois. Et, au lieu d'un abandon entier de mon avenir entre les mains de sa Providence, je préfère être moi-même mon guide, marcher seul et marcher mal.
Que voulez-vous, mon cher ami, que voulez-vous que je fasse ? Retourner dans un Séminaire ? J'ai la certitude d'y perdre mon temps et ma santé. Aller à Juilly ? Oui, sans doute; mais plusieurs personnes en qui j'ai confiance, quoique avec des vues opposées, me détournent d'aller dans cette maison. A Paris ? C’est bien là que je voudrais être, mais M. de la Mennais me conseille d'y aller, et c'est une raison pour que mes parents s'y opposent. Où aller donc ? J'ai choisi Rome, comme mon pis-aller.
Quoique je sois loin d'approuver tout ce que vous me dites sur les avantages du Nord, je sais que dans la France, il y a ce qui ne se trouve point ailleurs. Pourquoi donc en sortir ? me direz-vous. Pourquoi ? Parce que je veux étudier quelque temps en liberté et qu'il ne m'est pas permis de le faire ailleurs qu'à Rome. Peut-être, cependant, y vais-je à une époque de ma vie où ce voyage me sera le plus utile. Je crois maintenant assez connaître la théologie, pour juger en général de quelle réforme elle a besoin; mais je ne la connais pas assez pour apprécier les détails de cette réforme. J'ai donc besoin d'étudier encore. Je ne sais si, à Paris, je pourrais trouver plus qu'ailleurs des secours pour le travail que je me propose. La théologie est dans tous les temps une science nécessaire à un prêtre, et s'il s'occupe de cette science au milieu des distractions, du bourdonnement, des bouleversements de tout genre dont Paris est le foyer, peut-être est-il grandement exposé à ne pouvoir l'approfondir autant qu'elle le mérite.
Il faut pour la science ecclésiastique, plus que pour toute autre, une grande retraite. Je sens bien, sous un rapport, que celle où je vis depuis si longtemps m'a fait du mal, mais il faut savoir quelquefois faire de nécessité vertu. On croit, et fort à tort, qu'il ne suffit que de combattre. Il faut plus. Il faut y être préparé, et la préparation nécessaire aux combats du Seigneur peut être considérée par rapport à l'esprit et par rapport au cœur.
b)
Echange de lettres d'Alzon-de La Gournerie
De La Gournerie, comme d'Esgrigny, était dans la confidence de l'abbé d'Alzon, début octobre 1833. L'abbé d'Alzon informe de La Gournerie que, finalement, il a opté pour Rome et a reçu des lettres de recommandation. Son ami, qui projette un voyage en Italie, le félicite de s'être rangé à l'avis de ses parents, car, en allant à Rome, il prendra du recul vis-à-vis de Lamennais, ou plutôt de tous ceux qui ont majoré ses thèses en matière politique comme vient de le faire Montalembert; et il sera plus sagement informé de toute cette affaire pour laquelle de La Gournerie n'a jamais eu aucune sympathie.
1° De la lettre de l'abbé d'Alzon, [Lavagnac début octobre 1833]. - Orig.ms. ACR, AB 17; V., Lettres, I, p. 434-437.
Depuis quelque temps je vous ai, je crois, parlé de ma résolution de ne pas retourner au Séminaire de Montpellier(46). Il y a plus d'un an que j'avais formé ce dessein, et l'année qui s'est écoulée m'a confirmé dans cette idée. J'avais eu quelque pensée d'aller trouver l'abbé Gerbet à Paris(47), mais mes parents s'y sont fortement opposés, peut-être avec raison. J'ai cédé à leur désir et j'ai pris la résolution d'aller à Rome.
Je n'ose me proposer pour être votre compagnon dans le voyage que vous avez projeté en Italie, parce que, obligé d'attendre un prêtre qui m'accompagnera et avec qui je passerai toute l'année prochaine, pressé d'un autre côté d'arriver à Rome pour pouvoir suivre les cours, dès que je pourrai partir, je prendrai le bateau à vapeur qui me débarquera à Civita-Vecchia. [...]
J'espère avoir des lettres de recommandation pour le P. Ventura, le P. Orioli et le cardinal Micara qui sont dans un sens tout opposé au P. Rozaven(48). J'en aurai pour le P. Rozaven lui-même, car il faut tout voir et tout entendre. Je me propose de vivre retiré le plus possible, car après tout il faut que j'étudie, mais je crois que je ne puis que gagner aussi à voir des hommes d'un grand mérite et qui, par cela même qu'ils sont étrangers, ont des idées dont on peut bien tirer parti.
2° De la lettre de de La Gournerie, [Nantes] le 5 octobre 1833. -Orig.ms. ACR, EB 472.
Mon cher Emmanuel, je suis bien heureux de la résolution que vous venez de prendre; et si l'époque de votre départ ne peut s'accommoder avec mes projets et les arrangements dont je suis à peu près convenu avec le beau-frère de Carné [?], je n'en conserve pas moins bien précieusement l'espérance de vous trouver dans la Ville Eternelle. Si j'avais eu une opinion à émettre sur les divers partis entre lesquels vous avez hésité, j'aurais bien fort partagé celle de Mr et de Mme d'Alzon. Vous savez, mon cher ami, combien j'estime profondément l'abbé Gerbet, quelle sympathie j'ai pour toutes ses doctrines; eh bien ! cependant je vous aurais vu avec peine entre ses mains. L'abbé Gerbet, tout calme qu'il soit, est un peu homme de parti, et il ne faut pas, ce me semble, se confier aveuglément aux hommes de parti. Je me rappelle toujours combien il nous manifestait de craintes de voir le Correspondant émettre des doctrines de liberté trop absolues, et Dieu sait combien il nous a dépassés depuis, dans l'Avenir. Vous n'avez pas vu l’Avenir depuis; mais si vous l'aviez vu comme moi, vous seriez peu étonné de l'encyclique. [...]
M. de la Mennais s'est soumis à l'encyclique avec toute la franchise et la sincérité de sa foi, et je suis pris, comme vous, d'une immense pitié pour les pygmées qui veulent lui mordre le talon. Mais qu'il se défie de Montalembert. Il s'est malheureusement associé à lui dans l'ouvrage des Pèlerins polonais, et c'est là une grande faute(49). Montalembert a des moyens fort remarquables; mais c'est une tête brûlante et sans l'ombre d'un jugement. Il s'est tellement fait l'apôtre de la propagande révolutionnaire, que toute espèce de participation de M. de la Mennais à ce que Montalembert pourrait même faire de plus innocent, serait nécessairement mal interprété. Ensuite, il faut bien le dire, M. de la Mennais et ses amis ont conservé de l'ancienne polémique des journaux ce caractère exclusif qui s'applique un peu trop les paroles de Jésus-Christ: Tout ce qui n'est pas avec moi est contre moi.
Ou je me trompe, ou il vous aurait fallu avec M. Gerbet passer par toutes ses idées, sous peine d'être réputé un renégat; c'est à peu près ce qui est arrivé à M. l'abbé Guéranger; ce qui arrive aujourd'hui à Lacordaire (fort pauvre tête du reste); et à quelques autres. Ainsi donc, cher ami, tout partisan que je sois de la philosophie de M. de la Mennais, et quelque sympathie que j'aie pour quelques-unes de ses vues politiques, je suis fort aise de vous voir vous en aller loin des divisions, loin des querelles, et au pied de ce trône de saint Pierre, où toutes les divisions, toutes les querelles viennent s'anéantir. Vous trouverez à Rome des admirateurs de la Mennais, mais des admirateurs sages, le P. Ventura, par exemple, sachant parfaitement apprécier ce qu'il peut y avoir en lui de bien et de mal et s'efforçant quelquefois de modérer l'ardeur pétulante qui le dévore. Au centre de l'Italie, de ce pays aujourd'hui travaillé par les sociétés secrètes et par cette impiété qui s'y est faite l'alliée intime de la Révolution, vous comprendrez peut-être combien était imprudent cet appel aux peuples esclaves dont on s'efforça plus tard, par de vaines subtilités, de ne plus faire l'application à l'Italie, tandis que la généralité des principes émis devait susciter les mêmes impressions chez tous les peuples. Que les Révolutions soient toujours des crimes, j'en doute fort, je ne l'ai pas cru, surtout pour la Belgique et la Pologne; mais ce sont de telles extrémités qu'il faut se taire, en profiter si elles sont heureuses, mais ne pas les élever sur le pavois comme un signal de bouleversement et de terreur.
15
Extraits de notes personnelles de l'abbé d'Alzon avant son départ pour Rome
Ayant décidé de poursuivre ses études à Rome, dans un climat favorable à la réflexion, l'abbé d'Alzon rédige un nouveau plan d'études, le 9 octobre 1833, pour devenir apte à présenter la foi dans son unité vivante telle qu'elle apparaît à travers les développements de l'histoire du salut; puis, au terme d'une retraite, il prend la résolution de commencer une sorte de vie monastique et austère, le 21 octobre 1833.
a)
Extrait d'un "plan d'études" daté du 9 octobre 1833. - Orig.ms. ACR, CR 8; T.D. 43, p. 250-253.
Obligé de faire de la religion mon étude spéciale, c'est à l'approfondir que je dois mettre tous mes efforts. Les autres sciences ne doivent être par moi considérées que comme des auxiliaires, auxquels j'aurais recours selon qu'elles me seront plus ou moins utiles pour pénétrer les mystères de la théologie. Je ne prétends pas, non plus, entrer dans tous les détails de la science ecclésiastique : ils sont infinis. Vouloir les pénétrer serait folie. Je veux choisir ceux qui se rapportent le plus aux besoins du moment, et partant de cette idée que l'on a surtout aujourd'hui besoin de prouver les fondements de la foi, en même temps qu'il faut faire comprendre aux intelligences fatiguées de se conduire elles-mêmes qu'une fois soumis à l'autorité de Dieu, leur esprit reprend sa force et son repos et se sent comme pénétré par une vie nouvelle.
L'avantage que je trouve à un plan d'études c'est de pouvoir considérer toutes choses dans un vaste ensemble, rapporter tout à un même but et expliquer les problèmes par d'autres problèmes résolus déjà.
L'ordre que je me propose de suivre est tout historique. Il y a une raison à cela, c'est que, partant de la foi, et voulant connaître ce qu'elle impose, l'ordre historique me présente les développements successifs que Dieu lui-même, auteur de la foi, a donné aux croyances, en même temps que je pourrai suivre les égarements de la raison humaine. [...]
La marche que je me propose a les plus grands avantages, car on y voit toutes les questions traitées selon l'ordre naturel : d'abord Dieu manifestant sa puissance par la création, sa sagesse par la formation de l'homme et les préceptes qu'il lui donne, sa justice par le châtiment qu'il lui inflige, son amour par la réparation; l'homme sortant pur des mains de son auteur, souillé par la faute originelle, relevé par la promesse d'un rédempteur; la formation de la famille sous la loi naturelle, plus tard sous la loi écrite; la formation de la société juive et, à côté, celle des autres sociétés.
Jésus-Christ, annoncé par les prophètes, paraît et la grâce est donnée par lui. La question de la grâce se trouve ici placée naturellement. L'Esprit-Saint envoyé aux apôtres enseigne toute la vérité, et la connaissance du Père, du Fils et de l'Esprit nous conduit à méditer sur les profondeurs du mystère de la Trinité.
La lutte contre les païens entraîne la nécessité de prouver la divinité de la mission de Jésus-Christ, en même temps que les premières hérésies fournissent l'occasion d'établir le pouvoir de l'Eglise, pouvoir qui se précise de plus en plus, selon que les circonstances l'exigent. A partir de cette époque, les hérésies amènent naturellement diverses questions à examiner. L'étude des écrits des Pères, qui leur ont répondu, est le moyen le plus sûr de connaître la vérité dans ses développements. L'étude des divers systèmes de philosophie, qui s'élèvent à côté du christianisme, formera un cortège intéressant à la vérité.
b)
Résolution de l'abbé d'Alzon, prise le 21-26 octobre 1833- Orig. ms. ACR, CR 9; T.D. 43, p. 254.
21 oct.- 26, à 23 ans [1833]. J'ai pris la résolution, quand je serai en mesure de ne pas être remarqué, de commencer une sorte de vie monastique et austère, et de faire tout ce que je pourrai pour me châtier devant le Seigneur. Lutte contre l'orgueil.
16
Extraits de lettres de l 'abbé d 'Alzon à son père pendant sa 1ère année de séjour à Rome, novembre 1833 - novembre 1834
L'abbé d'Alzon, en partance pour Rome, s'est embarqué à Marseille le 20 novembre 1833 et, dès son arrivée à Rome, il entretient une double correspondance avec son père, d'une part, qui séjourne à Lavagnac, et d'autre part avec sa mère et sa sœur Augustine qui sont à Paris. Il va sans dire que le contenu de cette double série de lettres se recoupe, et nous pouvons privilégier la série des lettres de l'abbé d'Alzon à son père, quitte à la compléter en note par des extraits de lettres de la seconde série.
a)
Rome les 8 et 9 décembre 1833. - Orig.ms. ACR, AB 24; V., Lettres, I, p. 455-459.
La première lettre de l'abbé d'Alzon écrite de Rome avait été pour sa sœur Augustine, le 26 novembre(50). Ce n'est que lorsqu'il fut installé, comme l'avait désiré son père, qu'il lui écrivit pour lui dire qu'il logeait au Couvent des Minimes à Sant'Andrea delle Fratte avec ses compagnons de voyage l'abbé Gabriel et Eleuthère Reboul, séminariste de Montpellier, originaire de Pézenas. Il s'est aussi préoccupé des cours qu'il pouvait suivre et tient à garder son indépendance dans la division des esprits à Rome en ce qui concerne Lamennais. C'est pour cela qu'il n'est pas allé se loger chez les Jésuites.
Je suis, comme vous m'en aviez témoigné un si grand désir, logé dans une maison religieuse, mais j'y suis absolument libre(51). Je l'aurais été de même partout ailleurs, au Collège des nobles comme ici. Il n'y a pas à proprement parler de séminaire à Rome. Le Collège Romain ne renferme que des novices Jésuites; les autres auditeurs sont tous externes. Le Collège des nobles n'est rempli que de jeunes gens de quinze à seize ans. MM. de Brézé et de Montpellier, jeune Belge(52), sont maintenant les seuls qui soient de mon âge, et vous comprenez que, pour ces deux jeunes gens seuls qui ont des opinions fort opposées aux miennes, ce n'est pas la peine de quitter M. Gabriel, avec qui je puis causer quelquefois; tandis qu'avec ces jeunes gens je ne puis pas discuter, parce que dans ce cas je serais en lutte ouverte et permanente, et, si je me tais, leur société est intolérable avec la contrainte à laquelle je suis réduit. Les Jésuites et, par conséquent ces deux Messieurs qui adoptent toutes leurs opinions, attaquent à outrance M. de la Mennais. Il paraît que le Pape est fort mécontent de lui. Tout en étant parfaitement disposé à condamner ce que le Pape repoussera de ses opinions, je ne vois pas pourquoi je ne conserverai pas celles sur lesquelles j'étais loin de partager entièrement les vues du fondateur de l'Avenir.
Je suis les cours au Collège Romain. Je suis assez content des professeurs, quoique je ne partage pas l'admiration de certaines personnes. Je suivrai deux cours de dogme et un cours de morale. On suit ordinairement un cours d'Ecriture Sainte, mais je trouve que celui qui le fait est trop obscur et trop diffus. Enfin, je ne suis pas du tout content. Si j'en trouve un bon à la Sapience ou au Séminaire Romain, je verrai d'y aller. C'est un avantage de ma position de pouvoir suivre les différents cours, sans être astreint à tel ou tel établissement. Il faut chercher un peu à droite, un peu à gauche, et c'est ce que je ferai. [...]
Le Pape paraît fort mécontent de M. de la Mennais, comme je vous le disais tout à l'heure. Cependant, il ne le condamnera pas. Le P. Rozaven, que j'ai été voir, me l'a avoué. Vous pensez bien qu'en allant voir ce bon père, je me suis bien gardé de disputer avec lui. J'ai mieux aimé le laisser parler tout à son aise. J'ai appris ce que je voulais savoir, et cela me suffit. Il attend que M. Boyer ait publié son ouvrage pour voir s'il doit en composer un contre M. de la Mennais(53).
b)
Rome, le 1er janvier 1834. - Orig.ms. ACR, AB 29; V., Lettres, I, p. 476-481.
L'abbé d'Alzon, après un mois de séjour à Rome peut dire à son père où il en est de son insertion dans les milieux romains. Il a su garder son indépendance par rapport à ses compagnons, notamment l'abbé Gabriel, pour pouvoir travailler à son aise. Grâce aux lettres de recommandation qu'il avait avec lui, il a pu déjà faire quelques bonnes connaissances avec des personnalités de premier plan et s'est lié d'amitié avec Mac-Carthy, cousin du futur cardinal Wiseman. Il a pris un confesseur, et on lui offre de l'aider dans ses études en dehors des cours(54).
J'ai pensé vous faire plaisir, mon cher petit père, en vous parlant aujourd'hui de ce que je puis appeler ma position morale à Rome. Jusqu'à présent, je n'avais presque pas traité ce sujet. Je crois pourtant qu'il vous intéressera. D'abord avec M. Gabriel je suis au mieux, pour deux raisons. La première, c'est que j'écoute ses conseils dans les choses sérieuses, sauf à consulter ensuite ou le P. Lamarche, mon confesseur, ou M. Vernières par lettre. La seconde raison, c'est que, malgré tous ses efforts, je ne me suis pas laissé mettre le grappin dessus. Il voulait que je fisse à Rome un séjour aussi court que lui, et je lui ai signifié que je resterais au moins deux ans(55). Il ne se souciait guère d'aller dans un couvent, et cependant en dernière analyse il avoue que nous avons pris le meilleur parti. Il voudrait que je sortisse souvent avec lui, mais je lui ai signifié que je voulais travailler autrement que lui, malgré ses beaux plans. J'ai toute ma liberté; il a sans doute la sienne, mais je ne veux pas passer par toutes ses idées qui, entre nous, changent au moins une fois par semaine, excepté quand on les contrarie. Je lui témoigne la plus vive amitié et, au fond, je l'aime de tout mon cœur. Quant au pauvre Eleuthère, c'est un souffre-douleur. Il est vrai qu'il est bien impatient. Imaginez-vous ce qu'il y a de plus gauche, de plus maladroit, de plus nigaud à l'extérieur, avec des moyens et de l'esprit. M. Gabriel le gronde toujours. Je fais ordinairement le rôle de médiateur, quoique la patience m'échappe quelquefois(56).
J'ai profité des lettres de recommandation que l'on m'a données, quand j'ai pensé qu'elles me seraient utiles. Je me suis dispensé d'aller porter celle pour le cardinal Bernetti(57) et celle pour M. de Ludolf, parce que je n'en ai pas vu l'avantage. J'ai été voir une fois le P. Rozaven(58), mais je ne sais pas si je retournerai chez lui. Je suis, par M. de Brézé, au courant de tout ce que je puis savoir du P. Rozaven lui-même et je suis trop gêné avec cet homme pour me mettre souvent en face de lui. Du reste, je me garde bien de manifester les pensées défavorables que j'ai sur le compte de Messieurs les Jésuites.
[...] J'ai déjà fait quelques bonnes connaissances. Le cardinal Micara(59) nous traite fort bien, M. Gabriel et moi. J'ai été voir l'abbé de Retz, qui m'a très bien reçu. Je n'ai pu encore savoir l'adresse de M. Le Bouteillier. M. de Brézé doit me présenter aux cardinaux Lambruschini(60) et Odescalchi(61). D'autres personnes me présenteront au cardinal Weld(62), Je vous ai écrit, je crois, que j'avais vu le P. Ventura(63), qui m'avait bien reçu et qui m'avait procuré la connaissance du P. Mazzetti(64), un des premiers théologiens de Rome et qui veut bien me recevoir quelquefois pour me donner des leçons de théologie. L'abbé de la Mennais m'a envoyé deux lettres. L'une [est] pour Mac-Carthy(65), jeune anglais dont je suis enchanté : il m'a reçu en perfection, et c'est par lui que j'ai su que la dernière lettre de M. de La M[ennais] avait enchanté le Pape. Voilà donc les craintes de schisme évanouies. L'autre est pour le P. Olivieri(66) qui passe pour le premier théologien de Rome(67). J'irai le voir après-demain avec le P. Lamarche que j'ai pris pour confesseur. Je prends des leçons d'Allemand; j'en suis enchanté. J'ai affaire avec un bon jeune homme, qui m'a pris en affection et avec qui, outre le temps des leçons, je fais quelques courses, pendant lesquelles il me parle toujours allemand. C'est le meilleur moyen de l'apprendre bientôt. J'ai assez de livres, parce que je suis abonné à un cabinet littéraire passable.
c)
Rome le 17 janvier 1834. - Orig.ms. ACR, AB 32; V-, Lettres, I, p. 488-491.
L'abbé d'Alzon donne à son père des nouvelles de sa santé. Sur le conseil d'un médecin, il a décidé de faire une excursion à Naples pendant les vacances de Carnaval. Sans avoir encore une idée arrêtée sur la durée de son séjour, il demande ses lettres dimissoriales. Il dit aussi qu'il suit l'affaire de Lamennais en prenant l'avis des autorités romaines.
Puisque vous voulez des nouvelles de ma santé, en voici. J'ai quelque peine à me faire au climat de Rome. Je ne suis pas malade, mais je ne puis guère travailler sans être fatigué. J'ai pris le parti de prendre beaucoup de distractions, ce qui me réussit assez bien. M. Esquirol, médecin français, avec qui j'ai fait connaissance parce que nous nous sommes rencontrés plusieurs fois, m'a engagé à faire un voyage. M. Gabriel devait aller passer dix à douze jours à Naples, à cause d'Eleuthère Reboul qui se trouve dans le même cas que moi. Je pense profiter de cette occasion, d'autant plus que je ne perdrai que fort peu de temps, les cours de théologie étant en vacances pendant une quinzaine de jours à l'époque du carnaval. J'ai vu ce soir le P. Rozaven, qui m'a dit que, dans sa jeunesse, il était venu à Rome et qu'il avait été malade tout le temps qu'il y était resté, mais que plus tard, y étant retourné, il s'y était porté à merveille. D'un autre côté, je vois M. de Brézé et M. de Montpellier, qui se sont très bien portés et qui ne se sont pas du tout aperçus de la différence du climat de Paris ou de Belgique avec celui de Rome. Je vous promets de prendre toutes les précautions possibles, pour n'être pas incommodé. Je ne travaillerai pas trop dans les commencements et je laisserai mes livres plus d'une fois pour faire un tour de promenade, car tout le monde s'accorde à dire que l'exercice est le meilleur remède pour la santé. D'un autre côté, je suis forcé de convenir que je me trouve si bien de mon voyage sous mille rapports, que ce serait avec une vive peine que je l'abrégerais. Peut-être me résoudrai-je à revenir l'année prochaine, sauf à y retourner plus tard, et alors je renoncerai à ma première idée d'y passer deux ans de suite et pas davantage. Je vous prie dans tous les cas de vous entendre avec M. Vernières sur les moyens d'avoir mes dimissoires, quoique je ne sache pas si j'en aurai besoin avant peu. Je m'aperçois qu'il est toujours bon de les avoir en poche et suis sûr que mon oncle d'Ayrolles me les obtiendra fort aisément.
Je ne sais pas si je vous ai parlé de tout ce que j'ai entendu dire sur le compte de l'abbé de la Mennais. Il est certaines choses qu'on ne peut écrire, mais soyez assuré que l'on peut être parfaitement tranquille sur le compte de ses opinions. C'est une affaire purement, uniquement politique. Le cardinal Micara, qui a causé avec beaucoup de bonté avec moi, m'a dit à ce sujet des choses incroyables et qui mettent la conscience parfaitement en sûreté, malgré les soupçons que d'autres personnes peuvent chercher à donner sur ce point. [...] Le P. Olivieri me disait encore hier : "Que l'effet voulu par l'abbé de la Mennais eût été produit, malgré les contradictions qu'il avait éprouvées, c'était un fait incontestable." Quand nous serons réunis, je vous donnerai une foule de détails qui vous intéresseront, mais que je ne puis vous écrire. [...]
Vous voyez cependant que mes maux ne sont pas bien graves, puisqu'on me défend les remèdes et que l'on ne commande que la distraction. Aussi puis-je vous promettre de mettre les ordonnances en pratique. On apprend tant de choses en courant que ce serait péché que de ne pas en profiter. C'est le parti que j'ai pris : beaucoup courir, ne pas faire grand’ chose sur les livres et voir beaucoup les personnes dont la conversation vaut les livres.
d)
Rome le 24 février 1834. - Orig.ms. ACR, AB 36; V., Lettres, I, p.503-507.
L'abbé d'Alzon, après son excursion au Mont-Cassin, où il s'entretint avec le représentant de l'abbé du monastère de la restauration des Bénédictins en France, par Dom Guéranger(68), à Naples et à Pompéi, a repris ses études coupées de visites pour ménager sa santé. S'il parle de sa correspondance et de ses relations, il souhaiterait que l'on use de discrétion pour n'être pas compromis indûment. II vient d'écrire une lettre à Montalembert mortifié par un blâme du Pape, et il s'intéresse au mouvement de renouveau qui s'opère dans l'anglicanisme aux dires de son ami Mac-Carthy.
Ma santé est très bonne dans ce moment. Je travaille assez mais pas trop pour me fatiguer. Dès que je sens un peu de lassitude, je me repose. Pour ne pas perdre mon temps, je fais alors quelques visites. Les personnes que je vais voir m'instruisent beaucoup par leur conversation, quoiqu'en général ces bons théologiens aient besoin d'être mis en train. Je fais le Carême fort doucement. La viande est permise à Rome quatre jours de la semaine, et comme la pension où je mange est très bien servie, je ne pense pas être le moins du monde incommodé. Rassurez-vous sur ce point. […]
Je dois vous faire une observation que j'ai oublié d'écrire ce matin à ma tante, c'est qu'elle doit être d'une grande prudence sur ce que je lui apprends de Rome. Il est évident qu'on connaîtra facilement la source de ses nouvelles, et vous ne sauriez croire combien il est nécessaire de ne pas donner prise. Je sais que l'on aime les nouvelles. J'en donnerai volontiers, mais on peut les garder pour soi. [...] Certains parlages de l'abbé Gabriel m'ont forcé pour un moment de m'éloigner des Jésuites, et quoiqu'ils m'inspirent peu d'intérêt par l'ensemble de leur action, ils comptent une foule d'hommes respectables et dont les intentions sont très pures, quels que soient les résultats de leur conduite.
J'ai reçu aujourd'hui une lettre de Montalembert. Il est à Munich. Le pauvre enfant est bien abattu. C'est tout naturel. La désapprobation du Pape l'a mis dans une fâcheuse position. Il a le projet de passer l'hiver à Munich et il l'y passe d'une manière à ne pas s'y plaire trop. Que voulez-vous, en effet, qu'il fasse avec cette phrase du Pape sur le dos ? Je lui avais écrit une lettre pour tâcher de lui donner un peu de courage. Il en a été touché et m'a répondu dans les termes les plus affectueux. Sa position m'inspire une compassion extrême(69).
[…] Je vois souvent un jeune Anglais, M. Mac-Carthy, dont je vous ai déjà parlé. Ce jeune homme, qui par sa position voit les premières familles de l'Angleterre, me faisait part du mouvement religieux très remarquable, qui se manifeste en ce moment dans les universités de son pays. Une chose qui m'étonne beaucoup, c'est la pureté de mœurs des jeunes gens qui s'occupent des matières religieuses, quoiqu'ils ne soient pas encore catholiques. Mais ce qu'il y a de bien remarquable, ce sont les idées de ces jeunes gens sur l’avenir du christianisme. Ils croient, et c'est là leur seule erreur, que le dépôt de la vérité a été conservé dans l'Eglise anglicane, mais ils ne se font pas illusion sur les abus introduits dans cette Eglise. Pour les faire cesser, ils veulent que les biens immenses que l'Eglise anglicane possède lui soient enlevés, pour qu'elle se retrempe dans la pauvreté. Ils veulent la séparation absolue de l'Eglise et de l'Etat, base essentielle, je crois, de l'anglicanisme. Ils veulent que la religion revienne au centre de l'unité et se rallie à Rome. Ce mouvement n'est-il pas étonnant, surtout si on le compare aux moyens que l'abbé de la Mennais avait proposés et dont ils paraissent peu instruits ? Tant il est vrai que la Providence jette quelquefois dans la société certaines idées-mères, dont les hommes peuvent hâter le développement, mais dont le germe ne leur appartient pas.
e)
Rome le 10 mars 1834. - Orig.ms. ACR, AB 39; V., Lettres, I, p. 515-519.
L'abbé d’Alzon rend compte des visites qu'il a faites auprès des personnalités romaines qui veulent l'aider dans ses études : le cardinal Micara, le P. Olivieri, le P. Ventura. Tous le traitent avec affection et lui confient leur avis sur l'affaire Lamennais.
Quand je revins de Naples, j'allai voir le cardinal Micara. Vous ai-je écrit qu'il me fit des reproches de ce que je n'allais pas le voir assez souvent ? Il me fit promettre d'aller plus souvent chez lui et me promit de venir me rendre mes visites. Vous pensez que je le priai de n'en rien faire. Un rhume qui ne lui a pas permis de sortir lui a fait oublier probablement sa promesse. Cependant il m'a assuré que, pourvu que je me conduisisse bien, il m'aimerait comme son fils. J'ai su que les ecclésiastiques français qui viennent à Rome étaient surveillés de près, mais que l'on était fort content de nous. L'abbé Gabriel en a reçu une preuve qu'il vint lui-même apprendre à ses amis, et moi je l'ai su par le curé de notre paroisse qui est un religieux de Sant'Andrea. Je vous donne tous ces petits détails, qui, je pense, vous feront plaisir.
Je suis allé voir le P. Olivieri, qui me reçoit aussi avec beaucoup de bonté. Il pense que je dois étudier l'hébreu. Je profiterai de son conseil, mais ce sera quand je saurai bien l'allemand, parce que les Allemands ont fait les travaux les plus remarquables sur la Bible. Le P. Olivieri est un homme énorme et qui ressemble beaucoup à M. Coustou, moins sa mine renfrognée. Les Italiens dorment toujours après leur dîner, et le P. Olivieri comme les autres. J'arrivai chez lui comme il finissait sa sieste. On lui porta son café; il m'offrit d'en prendre avec lui et il me fit voir sa bibliothèque. Je ne me gêne pas avec lui, parce que, quand il est occupé, il me le dit sans façon.
Le P. Ventura est une tête fort drôle. Il a causé ce soir deux heures avec nous sur les moyens d'avoir un chiffre, pour tromper les gens qui ouvrent ses lettres, ce qui ne lui est pas agréable. Il a bien quelques idées un peu exagérées, mais ses intentions me paraissent très pures. L'ouvrage qu'il fait imprimer ne subira, je pense, aucune modification. Je vous expliquerai un jour quelle manigance politique a entraîné l'encyclique, mais vous ne voulez pas assez voir que Rome ne peut condamner l'abbé de la Mennais, parce que ses principes sont dans saint Thomas. Ce sont seulement quelques exagérations, qui peuvent être désapprouvées mais qui n'entraîneront jamais une censure. Aujourd'hui, la plupart des cardinaux louent tant qu'ils peuvent la position des Belges; cependant, en Belgique rien ne s'est fait que d'après les principes de l'abbé de la M[ennais]. Mais, comme me le disait un homme qui voit bien les choses, les cardinaux ne sont pas tous des génies et ne savent pas toujours ce qu'ils veulent, mais ils jugent les choses par les résultats. Ils voient que les Belges sont heureux et ils approuvent leurs principes.
Quoique je sorte peu, je tâche de ne faire que de bonnes visites.
f)
Rome le 28 avril 1834. - Orig.ms. ACR, AB 47; V., Lettres, I, p. 545-549.
A son père qui "lui parle d'économie", l'abbé d'Alzon fait le point sur ses dépenses. Elles consistent essentiellement en frais de port du courrier et en achat de livres. En ce qui regarde le voyage projeté en Sicile avec son accord, il peut le faire avec l'économie de son voyage de vacances en France. Quant à ses études, les autorités qui le conseillent, l'incitent à laisser les cours pour travailler seul, mais sous leur contrôle. - C'est dans ce cadre et avec cette garantie qu'il va affronter le dernier moment de la crise mennaisienne, lors de la parution des Paroles d'un Croyant, le 30 avril 1834, et de la condamnation de l'ouvrage par l'encyclique Singulari nos, le 25 mai suivant.
Quant à mes dépenses, je puis vous assurer que j'en fais fort peu. J'ai acheté des livres, parce que les bibliothèques publiques ne sont ouvertes que quelques heures dans la journée, qu'elles ne sont ouvertes que cinq fois la semaine et qu'il faut retrancher encore les autres jours de fête, d'anniversaires, d'enterrements, [si bien] que l'on ne sait sur quoi compter. Puis on a, sans qu'on s'y attende, de longues vacances de huit jours. Enfin, j'ai été une douzaine de fois à la bibliothèque de la Minerve ou [à celle] des Augustins, et j'ai trouvé la porte fermée. Je ne parle pas de la bibliothèque du Vatican, qui est à trois quarts d'heure d'ici; il faut ou prendre un fiacre ou perdre une heure et demie à aller et revenir. J'ai la bibliothèque du couvent que j'habite et j'en profite. J'ai, dans ce moment, en ma chambre, une douzaine au moins de volumes que j'y ai pris. Ces volumes, qui ne sont que pour consulter, je les renouvelle quand j'en veux d'autres. Mais il est quelques ouvrages dont je me sers habituellement et que j'ai dû acheter. De ces ouvrages je n'ai à me reprocher qu'un seul, dont je ne me serve pas et qui soit un peu cher. [...]
Vous m'engagez à revenir aux vacances. Est-ce pour ne plus retourner à Rome ? Si c'est pour cela, je n'ai rien à dire; si c'est dans un autre motif et pour que j'y revienne plus tard, le voyage de Sicile ne me coûtera pas plus que les frais d'aller et de revenir. Vous savez ce que je vous ai dit que mon projet était de ne pas rester plus de deux ans en Italie. Ce projet se confirme pour moi.
J'ai causé longuement de mes études avec le P. Ventura, et il m'a fortement engagé à suspendre d'aller aux cours et à travailler en particulier, sauf, pour les difficultés, à aller le consulter. Vous pensez que cette proposition était trop dans ma manière de voir pour que je ne la suivisse pas. Lorsque je vais voir soit le P. Olivieri, soit le cardinal Micara, soit d'autres de ce genre, j'ai toujours soin de préparer mes cas, et je me [les] fais résoudre. Je consulte différentes personnes sur le même [cas], de façon que j'aie le plus de lumière, et je puis avancer plus rapidement. J'ai pensé qu'un homme comme le P. Ventura devait connaître les cours de Rome. Dans le commencement, il me fit dire par l'abbé Gabriel que je perdais mon temps à aller au Collège Romain, ce que j'ai fini par trouver bien vrai. Le cardinal Micara m'a engagé à rester seul et m'a seulement engagé à aller le voir souvent; c'est ce que je ne manque pas de faire.
17
Extrait d'une lettre de l'abbé d'Alzon à un ami [Rome, ? décembre 1833]. -Orig.ms. (minute) ACR, AB 28; V., Lettres, I, p. 472-476.
Nous ignorons le destinataire et la date de ce brouillon de lettre. Peut-être faut-il l'éclairer, et donc le dater d'avril 1834, à partir des notes prises par l'abbé d'Alzon, lors de ses conversations avec le cardinal Micara, le P. Ventura. De toute façon, nous avons là le reflet des préoccupations spirituelles et apostoliques de l'abbé d'Alzon pendant son séjour à Rome à la lumière de la crise mennaisienne.
A toutes les époques, Dieu a suscité à son Eglise des hommes chargés de guérir ses plaies, au moment où leur intensité et leur nombre pouvaient ébranler la foi des chrétiens. [...]
La plaie particulière de l'Eglise doit, ce me semble, nous faire connaître de quel point doivent se lever ceux qui pourront aider sa guérison. Ces maux me paraissent multipliés d'une manière désespérante. Cependant, les plus saillants me semblent être un manque absolu de foi et, partant, une absence de conviction : dans les hommes, une grande défiance de la foi et de la conviction du clergé, défiance fondée jusqu'à un certain point; dans le clergé, il faut le dire, un abattement, une langueur qui fait frémir. Quelques-uns ont pris le parti de faire de leur état une question d'intérêt; d'autres, désespérant d'eux-mêmes et du ciel, croisent les bras et s'assoient, comme Héli à la porte du temple (sic), attendant d’un moment à l'autre qu'on leur annonce la défaite d'Israël et la prise de l'arche. Respectons-les : ils sont vieux, et leurs yeux se sont obscurcis.
Quel sera le nouveau Samuel qui délivrera l'Eglise, et de quelle tribu sortira-t-il ? Pour moi, je suis persuadé que les choses en sont venues à un point qu'un seul homme ne suffira pas pour accomplir l'œuvre de Dieu. Un homme seul a peut-être commencé le mouvement, mais plusieurs le doivent continuer. Le principe en est jeté, et c'est une fermentation, et les simples fidèles y doivent participer autant que les prêtres. Ce sera une œuvre de conviction, et aujourd'hui il n'en faut pas douter, la conviction se trouve autant chez les chrétiens que chez les prêtres. Ce sera encore une œuvre d'intelligence, et les prêtres, sous ce rapport, le céderont aux laïques ou du moins ne l'emporteront pas sur eux. Le sacerdoce n'a donc plus rien qu'une seule chose qui puisse lui être propre: le dévouement. Par là encore il peut reprendre une influence immense sur la société; mais pour cela il faut qu'il ne se fasse pas illusion sur sa position véritable. Il ne faut pas qu'il espère séduire le peuple par un appareil extérieur. Je crois que l'époque des pompes épiscopales est passée, au moins en dehors des églises. Il est temps et grand temps de revenir à ce que les hommes du siècle demandent pour dernière preuve de la vérité, plus de conséquence entre la conduite et les principes. On ne veut pas qu'un pontife, du fond d'une voiture à quatre chevaux, crie en courant la poste à de pauvres paysans transis de froid : Beati pauperes spiritu, car si ces braves gens savent leur Evangile, ils pourront douter que Monseigneur prenne la route du royaume des cieux.
Donc, pour me résumer, de la part du clergé, il faut du dévouement, et comme malheureusement il ne se manifeste que sur quelques points rares des sommités ecclésiastiques, c'est au jeune clergé qu'il faut s'adresser en lui montrant surtout que l'esprit de sacrifice est le fond de son caractère, ou plutôt son caractère même. Il faut que les simples catholiques comprennent leur mission et qu'à eux aussi est confiée une partie importante de la vigne. Ce sera vous, ce sera moi, ce seront ceux à qui le Seigneur en donnera la force, parce que la parole de Tertullien est toujours vraie : Sanguis martyrum semen christianorum, et si aujourd'hui on ne tue plus le corps, il est une autre manière de donner la mort, non moins dure pour celui qui la reçoit, mais aussi non moins féconde pour l'Eglise de Jésus-Christ.
18
Extraits de deux lettres de l'abbé Fabre à l'abbé d'Alzon
De Rome, l'abbé d'Alzon écrira plusieurs fois aux séminaristes de Montpellier, aux professeurs et au Supérieur du Séminaire. Des lettres reçues par l'abbé d'Alzon, nous en relèverons deux écrites le 6 février et le 8 mai 1834, par l'abbé Fabre, professeur au grand Séminaire. Dans la première, l'abbé Fabre interroge l'abbé d'Alzon sur l'état de la théologie dogmatique et morale à Rome, et dans la seconde, il félicite l'étudiant romain d'être absorbé par saint Thomas; mais le raisonnement doit être uni à un saint enthousiasme. Il va sans dire que l'on cherche à savoir de l'étudiant romain ce qui se passe à Rome au sujet de Lamennais, car la division des esprits est égale dans les milieux ecclésiastiques de France à celle des milieux ecclésiastiques de Rome, avant comme après la parution des Paroles d'un Croyant.
a)
Montpellier le 6 février 1834. - Orig.ms. ACR, EA 31.
J'ai trouvé que ma réponse à votre aimable lettre était déjà trop en retard et je me suis décidé à renvoyer à une autre fois les explications qu'on pourra nous donner sur la démarche de Mr de Lamennais, si tant est qu'on en parle. Pour le moment sa soumission a calmé tout, mais je ne sais si elle a contenté tout le monde. Les Gallicans sont si difficiles ! J'en sais qui doutent encore de sa sincérité; les plus modérés se bornent au silence et ceux qui avaient annoncé qu'il allait lever l'étendard de la révolte et se transformer en Luther, en Eutychès, etc., n'ont pas battu des mains, au moins ces battements ne sont point parvenus jusqu'à moi : on se tait; voilà tout. Je ne sais si la charité ne demandait pas autre chose. Si M. de L[amennais] lance quelque écrit dans le public, mon opinion est qu'il sera épluché d'importance, et peut-être pas toujours avec des yeux d'amis. Que s'il se tait, on dira, et l'on a déjà dit, que son silence est un silence d'humeur. Au reste, cette affaire a fait le plus grand bien aux opinions ultramontaines. Vous seriez étonné de toutes les louanges que les Gallicans ont données au Saint Père. [...]
Vous me dites peu de chose sur l'état de la théologie dogmatique à Rome. Si vous le pouviez, j'aimerais un peu plus de détails. Attache-t-on une grande importance à cette partie de la science ecclésiastique? Réfute-t-on quelquefois au moins certaines objections de la philosophie actuelle ? Combien d'années durent les cours complets ? etc., etc. Pour la théologie morale, je partage en général votre manière de voir; cependant je crois que certaines idées doivent être prises avec modération. Il est certain qu'on est trop sévère en France, et qu'en chassant le Jansénisme du dogme, on l'a conservé dans la morale, surtout à Montpellier. La théologie du Bx Liguori fait une révolution parmi nous, et entraîne jusqu'à M. Benoît. [...]
Si nous sommes trop sévères en France, je crains qu'à Rome on ne le soit pas assez : j'espère qu'un grand bien va résulter de ces continuelles communications qui s'établissent entre les différents peuples, et qui vont bientôt ne faire de tous qu'une seule famille. Chacun regardera autour de soi, et alors les plus sévères mettront plus de modération dans leurs pensées, et les plus doux un grain de plus de sévérité.
b)
Montpellier le 8 mai 1834. -Orig.ms. ACR, EA 32.
Vous me parlez d'un piège dans lequel on voulait faire tomber M. de Lamennais. Ne serait-ce pas par hasard la publication d'un ouvrage qu'il vient de mettre au jour, intitulé : Paroles d'un Croyant ? Je ne l'ai pas encore lu parce qu'il n'est pas encore arrivé dans Montpellier, mais il cause ici déjà bien du scandale. Monseigneur dit, mais avec beaucoup de calme, que M. l'abbé est devenu fou. [...]
Je vois avec le plus grand plaisir que vous vous livrez aux études les plus sérieuses, et que vous êtes surtout absorbé par saint Thomas. On dit que le P. Ventura ne jure que par ce grand Docteur. Il a raison quant au fond, pourvu qu'il ne soit pas trop exclusif, et qu'il n'établisse pas le célèbre adage des Dominicains : Quidquid dixit S. Doctor, unum est. Cela expose à se trouver quelquefois dans d'étranges embarras, et à donner bien des entorses à certains textes. Je crois l'adage moralement, mais non métaphysiquement vrai, pour me servir des termes de l'Ecole. Prenez garde que cette étude ne vous fatigue pas trop; nous allons vers une saison qui peut avoir de funestes influences sur votre santé, si vous ne vous ménagez. Vous avez tant d'ardeur, et saint Thomas est assez pénible à lire. Quoique la Scholastique y soit pour son siècle, aussi claire que possible, on ne laisse pas que d'y trouver une terminologie très fatigante, et des formes fort rudes. A mon avis, la doctrine entière de saint Thomas, exposée en français avec la clarté de Bossuet serait un ouvrage bien précieux, et bien agréable à lire. L'abbé Gabriel prétend que vous êtes trop raisonneur, et que le raisonnement éteint un peu chez vous l'enthousiasme. Certes quand nous avions le plaisir de vous avoir avec nous, je ne me suis pas aperçu que l'enthousiasme religieux vous manquât. [...]
Mais le raisonnement me semble le fondement de tout. Celui qui aura sérieusement approfondi la religion pendant de longues années, s'il n'a pas une âme de glace, pourra-t-il n'être pas saisi d'un saint enthousiasme ? Et s'il en est bien pénétré, pourra-t-il ne pas en communiquer un peu aux autres ? J'ai toujours vu que les meilleurs théologiens étaient les prédicateurs les plus forts et les plus suivis(70).
[...] Il me tardera beaucoup de savoir ce qu'on pense dans vos parages de l'abbé de Lamennais, ce qu'en disent le Pape, le cardinal Micara, Ventura, Olivieri, voire même les Jésuites. Dites-moi, je vous prie, à ce sujet, ce qu'il vous sera permis de dire.
19
Extraits d'une lettre de l'abbé d'Alzon à l'abbé Ginouilhac, Rome 28 juillet 1834. - Orig.ms. ACR, AB 71; V., Lettres, I, p. 618-623.
A l'abbé Ginouilhac, alors professeur de dogme au séminaire de Montpellier, futur évêque de Grenoble et archevêque de Lyon, l'abbé d'Alzon fait part de ses préoccupations apostoliques : son but est bien la défense de la religion, mais il pense qu'aujourd'hui la prédication chrétienne doit être positive, c'est-à-dire partir de la vérité révélée et des aspirations des hommes de ce temps pour les instruire comme saint Paul à partir de "leurs propres croyances". A cette date, l'abbé d'Alzon a renoncé à son voyage en Sicile; il passera son été, malgré les chaleurs, au couvent des Minimes et fera, du 3 au 30 septembre 1834, avec de La Gournerie, un voyage dans l'Italie centrale (Terni, Assise, Lorette, Fano, Ancône, Rimini, Ravennes, Faenza, Bologne), puis, du 7 au 22 octobre, il séjourne à Monte Porzio Catone, dans la villa du séminaire anglais où Wiseman lui a offert l'hospitalité en compagnie de Mac-Carthy.
Pour mon compte, je faisais tout dernièrement quelques réflexions sur mon avenir particulier et je me demandais quel était mon but. Ce but me paraissait bien clair : la défense de la religion. Par quel moyen ? La chose me paraissait plus difficile à expliquer. Ne me sentant aucune propension vers un point plutôt que vers un autre, j'en conclus que le meilleur était de travailler à acquérir une somme de connaissances telle que je pusse plus tard suivre la voie que la Providence me destinerait plus spécialement. Voilà donc d'abord la nécessité d'étudier l'ensemble de la religion, ce qui peut prendre plusieurs années, sans que je puisse dire que je perds mon temps. [...]
En réfléchissant sur le caractère du prêtre de nos jours, il m'a semblé qu'un des grands obstacles au succès des prédications chrétiennes, c'est que l'homme s'y montre trop, l'esprit de Dieu pas assez. Le prêtre qui instruit doit parler tanquam potestatem habens, et l'on a un peu trop imité les Pharisiens et les Scribes. On a disserté; dès lors, l'homme s'est montré. On a pu faire une belle pièce d'éloquence, une forte dissertation philosophique, on n'a pas fait une prédication chrétienne. Or, il est impossible que l'homme ne se montre pas dans les réfutations. Voyez si jamais, dans les discours de Jésus-Christ ou des apôtres ou dans les Epîtres, ce genre est adopté. Saint Paul, dans son Epître aux Hébreux, s'occupe bien moins de combattre les Juifs que de les instruire par leurs propres croyances. Et c'est, je crois, ce que l'on doit surtout faire aujourd'hui.
20
Extraits de deux passages de notes personnelles de l'abbé d'Alzon, intitulées Conversations. - Orig.ms. BJ 1, p. 1-52; T.D. 43, p. 1-50.
L'abbé d'Alzon, dès qu'il fut inséré dans les milieux romains, avait cru fort utile de consigner les résultats des conversations les plus intéressantes qu'il pouvait avoir pendant son séjour à Rome. L'ensemble forme une cinquantaine de pages et couvre la période du 2 janvier au 16 novembre 1834. Comme il le dit dans ses lettres, il fut introduit dans les confidences de personnalités comme le cardinal Micara, le P. Olivieri et le P. Ventura, favorables à certaines vues de Lamennais qui répondaient à leur désir d'opérer des réformes politiques dans les Etats de l'Eglise. Il est évident que la "conversation" glissa plus d'une fois sur le terrain brûlant du mennaisianisme et de la critique des Jésuites, à tort ou à raison, considérés par trop hostiles à Lamennais. Les boutades du jeune abbé d'Alzon à l'endroit des Jésuites ont au moins pour excuse les propos de notoriétés romaines. Nous en donnons deux exemples :
a)
Propos du cardinal Micara relevés par l'abbé d'Alzon, le 5 avril 1834- ms. p. 11; T.D. 43, p. 11.
Mic[ara]. - Je suis, à vous parler franchement, scandalisé de la prétention de quelques prêtres français qui veulent faire des missions pour l'étranger. Qu’ils songent d'abord à leur propre pays, qui a besoin, et grand besoin, d'hommes apostoliques. On n'a pas besoin aujourd'hui de prêtres pour dire les messes, pour enterrer; il faut des hommes qui ramènent la foi, rien de plus... Je n'étais pas né, quand les Jésuites furent chassés, mais je voyais un ancien Jésuite qui ne voyait rien comme sa Compagnie. - Ah ! me disait-il, quand je lui parlais de quelque chose, les Jésuites faisaient bien mieux que tout cela; les Jésuites avaient des livres parfaits, une méthode de diriger parfaite, tout parfait. - Mais, mon Père, lui disais-je, où sont les livres si supérieurs à tout ? J'ai deux yeux, je voudrais bien les voir. Et comment faisaient les chrétiens avant les Jésuites ? Est-ce qu'on n'allait pas au ciel alors ? Comment y va-t-on aujourd'hui ? Est-ce que depuis votre suppression les portes en sont fermées à tout le monde ? Il me semble qu'on parle beaucoup des Jésuites et bien peu de Jésus-Christ, ce qui vaudrait cependant beaucoup mieux. Il est bien à craindre que dans cette fureur d'attaquer un homme, dans cette colère contre tout ce qui les attaque, l'orgueil ne soit pour beaucoup.
b)
Propos du P. Olivieri, relevés par l 'abbé d'Alzon, le 7 avril 1834. -ms. p. 12; T.D. 43, p. 12-13.
Oliv[ieri]. - J'ai connu particulièrement les Jésuites, parce que le duc de Parme m'avait fait venir avec le P. Pignatelli, parce qu'il croyait que les Jésuites et les Dominicains étaient destinés à combattre l'Antéchrist. Les Jésuites ont un pouvoir indéfinissable, le général est tout et cependant le général peut être renvoyé. Il y a un moniteur chargé d'aller prévenir le général de ce qui déplaît aux assistants, sans recevoir aucune observation de sa part. Seulement, s'il ne profite pas de l'avis, il est renvoyé. Quand ils ont été rappelés, on avait préparé une bulle pour déclarer que d'après les conseils des méchants ils avaient été détruits. Mais quand on vint à la discuter, on fut d'avis qu'il ne fallait pas l'admettre, et comme on avait permis aux Jésuites de se rétablir en Russie et ensuite à Naples, on leur donna ce pouvoir pour toute la chrétienté, quoi qu'ils fissent pour être réintégrés purement et simplement. Pareillement Léon XII avait voulu leur donner toutes les chaires de théologie de Rome. C'était le jour de saint Dominique que se discuta cette grande affaire. Le Pape s'était rendu à la Sapience et devait de là aller à la Minerve, mais la discussion fut si longue qu'elle ne finit qu'à 1 heure et que rien de ce qui devait se faire ne se fit. Les Jésuites ont peut-être le tort de tenir trop à leurs opinions. Ainsi quand le général fut élu, il s'en trouvait plusieurs de l'avis de la Mennais, ils furent chassés, entre autres le P. Pancardi [?]. Aussi, quand je voyais le P. Pignatelli : "Mon Père, je crois que ce que Jésus-Christ a dit : Qui, non odit patrem et matrem …, doit particulièrement s'appliquer aux religieux par rapport à leur corporation."
_________________________
35. Les ACR, DK 251 conservent les lettres dimissoriales de Mgr de Chaffoy, évêque de Nîmes, datées du 11 juin 1832, permettant à Emmanuel d'Alzon de recevoir la tonsure. - Par une lettre d'un ancien condisciple d'E. d'Alzon, l'abbé Coural, nous savons qu'il fut tonsuré le samedi des Quatre-Temps avant la Trinité, le 16 juin 1832 (Lettre au P. E. Bailly, 8 juillet 1884; ACR, DQ 289).
36. Ce qui intéresse l'abbé d'Alzon, ce n'est pas tant l'exploitation scientifique de la doctrine catholique que la saisie de son unité vivante et la mise en œuvre de toutes ses conséquences spirituelles et sociales. Il s'agit de repenser ce qui a déjà été exprimé et de l'adapter aux exigences du temps, dans la fidélité à la Parole de Dieu, reçue de la Tradition vivante de l'Eglise.
37. Lettre du 19 décembre 1832. Orig.ms. ACR, EA 4 (v. supra 8 d).
38. Lettre du 23 mai 1833, ibid. EA 5.
39. Allusion à la Congrégation de Saint-Pierre, à qui avait été confié le collège de Juilly en 1831-1832.
40. Devenu fondateur et supérieur général de l'Assomption, le P. d'Alzon se donnera un sceau personnel, que possèdent les Archives de l'Assomption, représentant soit l'Agneau immolé, soit la Croix victorieuse, avec, pour légende, le second élément de la devise de l'Assomption : Propter amorem Domini nostri Jesu Christi.
41. Lettre à d'Esgrigny, le 5 octobre 1833.- Orig.ms. ACR, AB 18; V., Lettres, I, p. 437-440 (v. infra 14 a, 4°).
42. L'auteur de la lettre parle ensuite de la lecture spirituelle, de l'office de la Sainte Vierge et de l'Heure sainte, exercices auxquels, selon le conseil de l'abbé d'Alzon, il veut être fidèle.
43. Sans doute l'abbé Gerbet, sous la direction duquel Lamennais, le 10 août, a conseillé à l'abbé d'Alzon d'aller se placer, lui recommandant tout autant que les livres les relations humaines (v, Ch, VII, 9 b).
44. L'abbé Gabriel, curé de Pézenas, non loin de Lavagnac, ami de la famille d'Alzon.
45. v. infra 15 b.
46. cf. Lettre du 10 août 1833, ACR, AB 13. - V., lettres, I, p. 424-426.
47. Il s'agit de la maison d'études fondée par Lamennais, au n° 77 de la rue de Vaugirard. - Cf. Lettre de Montalembert à l'abbé d'Alzon 2 juillet 1833 : "La Mennais a eu je ne sais quelle idée sur une série d'études que vous pourriez suivre à Paris, avec Eugène Boré qui est établi dans la rue Vaugirard, n° 77, avec deux ou trois jeunes gens, et qui fait d'immenses progrès. Mais nous ne savons trop comment cela s'arrangerait avec votre séminaire et les plans de votre famille." - (Orig.ms. ACR, EB 524; V., Lettres, I, Appendice, p. 907).
48. L'abbé d'Alzon ne reçut de l'abbé de Lamennais, auquel il avait écrit dans ce sens le 28 septembre 1833, que deux lettres de recommandation, l'une pour le P. Olivieri, commissaire du Saint-Office, et l'autre pour un jeune séminariste anglais, Mac-Carthy (v. Ch. VII, 10 b).
49. Livre des Pèlerins polonais, traduit du polonais d'Adam Mickiewicz par le comte de Montalembert; suivi d'un hymne à la Pologne par F. de la Mennais, Paris, Eugène Renduel 1833.
50. "Je te tiens parole, ma chère amie, et puisque je t'avais promis ma première lettre, la voici. Je suis ici depuis hier soir. [...] Je ne sais pas bien où j'irai m'établir. [...] Je me suis arrangé pour passer quelques jours à l'hôtel. J'aime mieux attendre un peu et me bien caser." - Orig.ms. ACR, AB 22; V., Lettres, I, p. 449-452.
51. Voici la description des lieux tels qu'il en écrit à sa sœur : "Je suis, comme je te l'ai écrit, dans un couvent. Les religieux, fort bonnes gens du reste, font peu de bruit dans la maison. Ils n'y sont que pour leur office, qu'ils disent en chœur, ensuite pour manger, boire et dormir. Je ne me serais pas mis dans un couvent, si mon père ne m'en avait pressé avec des instances que je comprenais peu. J'y suis avec M. Gabriel, qui laisse aller son imagination au milieu des vapeurs d'or dont Rome se couvre chaque soir. Tu veux sans doute savoir comment je suis logé. Nous occupons quatre chambres au second. Le couvent est un bâtiment carré, bâti autour du cloître, dont l'intérieur est planté d'orangers. Nos fenêtres, sans donner sur le cloître, sont très bien parce que nous avons vue sur le jardin planté d'orangers également. Le portier de la maison fait nos chambres. C'est un Grec, et plus encore, il est de Macédoine et, pour prouver sa descendance en ligne directe de Philippe, il est borgne comme lui. Jusqu'ici nous avons été obligés d'aller manger au restaurant, mais, dès demain, un traiteur doit nous porter nos repas chez nous." - Orig.ms. ACR, AB 25; V., Lettres, I, p. 459-461.
52. Théodore-Joseph de Montpellier de Vedrin, né à Namur en 1807, fut préconisé évêque de Liège le 26 septembre 1852 et mourut le 25 août 1879.
53. Après la soumission obtenue de Lamennais en décembre 1833, le Saint-Siège désirait le silence absolu sur cette affaire et ne serait plus intervenu contre lui, comme le déclare avec raison l'abbé d'Alzon, si le solitaire de la Chênaie n'était lui-même rentré de nouveau en lice, avec la publication des Paroles d'un croyant en avril 1834. D'où l'animosité du Pape contre M. Boyer, sulpicien, auteur d'un ouvrage sous presse intitulé : Examen de la doctrine de M. de la Mennais et dont le but était de forcer Rome à mettre hors de l'Eglise le polémiste breton.
54. A propos des cours de théologie suivis au Collège Romain, voici ce qu'il en écrivait à sa sœur le 24 décembre : "Je suis trois cours de théologie au Collège Romain, mais je ne vois pas une grande différence entre ces cours et ceux de Montpellier. Les professeurs peuvent être meilleurs, et encore ne valent-ils pas M. Ginouilhac. Quant à la forme, c'est toujours la même. Et cependant si l'on veut faire aujourd'hui quelque bien, il faut absolument suivre une voie toute nouvelle. J'ai causé hier pendant deux heures avec un jeune rationaliste allemand. Prétendre convertir ces gens-là par les arguments qu'on apportait, il y a deux cents ans, à leurs pères, c'est folie et peine perdue. Or, en France, les esprits s'avancent à grands pas vers les dernières limites du protestantisme." - Orig. ms. ACR, AB 27; V., Lettres, I, p. 467-471.
55. L'abbé Gabriel et le séminariste Reboul devaient quitter Rome le 3 avril 1834.
56. Après son départ de Rome, l'abbé d'Alzon lui écrira, le 14 juillet 1834 : "Je ne sais, mon cher ami, si vos projets de sacerdoce sont toujours aussi ardents. Je crois que la mission du prêtre peut être aujourd'hui plus belle encore que par le passé, à cause des difficultés dont elle est entourée. Pour moi, je ne demande à Dieu qu'une chose, un amour des hommes aussi grand que leurs misères. Je crois que cela suffit." - Orig.ms. ACR, AB 68; V., Lettres, I, p. 609-612.
57. Cardinal-secrétaire d'Etat.
58. Jésuite, Assistant de France, qui avait attaqué la philosophie mennaisienne dans son Examen d'un livre intitulé : Des doctrines philosophiques sur la certitude dans leurs rapports avec les fondements de la théologie par l'abbé Gerbet, paru en Avignon, fin 1831.
59. Capucin, créé cardinal en 1826.
60. Clerc régulier de Saint Paul, créé cardinal en 1831, Préfet de la S.G. de la Discipline régulière.
61. Créé cardinal en 1823, Préfet de la S.C. des Evêques et Réguliers.
62. Créé cardinal en 1830.
63. Ancien général des Théatins.
64. Carme chaussé, consulteur de six Congrégations romaines.
65. Cousin du futur cardinal Wiseman alors recteur du Séminaire anglais. Le 28 décembre 1833, il écrit à Lamennais : "Votre jeune ami, M. d'Alzon est venu me voir et m'a remis votre lettre. J'ai eu bien du plaisir à faire sa connaissance. Je suis sûr que nous nous aimerons; il est si bon et si aimable." - LE GUILLOU, V, Appendice, p. 878.
66. Le P. Olivieri, Dominicain comme le P. Lamarche, était alors commissaire du Saint-Office; il fut, peu après, nommé par le Pape général de son Ordre.
67. L'abbé d'Alzon, dans la lettre à sa sœur du 24 décembre 1833, apporte quelques précisions : "J'ai reçu en même temps que la tienne une lettre de mon père qui en contenait trois de l'abbé, une pour moi [et] deux de recommandations. Elles étaient datées du 8 octobre et ne sont arrivées à Lavagnac que vers le 8 décembre. Deux mois en route, ce n'est pas trop. Si tu as l'occasion de le voir encore, remercie-le de ma part et dis-lui que, si je ne l'ai pas fait moi-même dans la lettre que ma mère lui remit de ma part, c'est que je n'avais pas encore reçu les siennes. […]
Le P. Ventura qu'on disait exilé, est revenu ici. Je l'ai vu. Cet homme plaît beaucoup à M. Gabriel. J'aurais voulu le voir plus souvent; mais il m'a fait observer qu'on le croyait partisan exagéré de M. de la Mennais et qu'on pourrait lui faire une mauvaise affaire, si on le savait en relations fréquentes avec des prêtres français. Il m'a adressé à un des meilleurs théologiens de Rome, le P. Mazzetti, qui m'a accueilli avec une bonté parfaite. Il faut bien que j'aille le voir dans la semaine pour causer avec lui théologie. Le P. Mazzetti jouit d'une fort grande réputation et est membre de plusieurs Congrégations." - Orig.ms. ACR, AB 27; V., Lettres, I, p. 467-471.
68. Cf. Lettre de l'abbé Daubrée à Dom Guéranger, 4 mars 1834. - Orig.ms. Arch. de Solesmes, photoc. ACR, CV 93.
69. Effectivement Montalembert avait été blâmé ouvertement par Grégoire XVI dans son bref à Mgr de Lesquen, du 5 octobre 1833, pour avoir traduit le Livre des pèlerins polonais de Mickiewicz. Ecrivant à l'abbé d’Alzon le 12 février 1834, en réponse à une lettre du 16 janvier (lettre perdue), Montalembert lui faisait cet aveu : "Vous avez trop d'esprit et de cœur pour ne pas vous figurer ce que c'est, dans ma position publique, que d'avoir été subitement frappé d'une improbation si publique et si solennelle de la part du Chef de l'Eglise, et renversé si violemment du poste que je cherchais à occuper dans la confiance et l'affection des catholiques. Mais vous pouvez m'en croire, ces conséquences publiques ne sont rien auprès de celles que cette ruine entraîne pour ma vie intérieure, pour mon cœur dont tous les liens sont brisés et qui n'avait embrassé avec tant de chaleur certaines convictions que parce qu'il se figurait qu'elles pouvaient lui tenir lieu d'affection." - Orig.ms. ACR, EB 525; V., Lettres, 1, P- 904-907.
70. Il semble bien que ce soit le P. Ventura qui ait intéressé l'abbé d'Alzon à l'étude de saint Thomas. Ensemble, ils ont formé le projet de réhabiliter la science scolastique en réunissant les principales thèses reprises des œuvres de saint Thomas. Le P. Ventura ferait un tel ouvrage et l'abbé d'Alzon le traduirait. Voilà ce qu'il écrit à l'abbé Bonnetty en lui demandant son jugement, le 27 février 1835 (cop.ms. Dossier du Vatican; photoc. ACR, EC 406). L'abbé Bonnetty juge le projet "vraiment et essentiellement utile", "mais peut-on trouver dans la scolastique, fait-il remarquer, la réponse à toutes les objections d'un jour, comme vous le dites?" A la méthode scolastique qui opère par argumentation, il préfère, quant à lui, l'exposition des faits et la méthode historique. A chaque siècle, sa méthode et son langage ; la scolastique ne peut être "une panacée universelle" pour toutes les objections et valable pour tous les esprits (ibid. -, photoc. ACR, EC 408).