CHAPITRE XIII
LES PREMIÈRES ANNÉES DU TIERS-ORDRE DE L’ASSOMPTION
(1846 - 1859)
Dans la pensée du P. d’Alzon, l’Association de l’Assomption, créée en 1845, devait comporter un "noyau" : l’Ordre, et un "arbre" : le Tiers-Ordre, afin de rapprocher sur la base de l’esprit religieux le sacerdoce et le laïcat (v. supra Ch. X). Mais à l’encontre de ceux du moyen-âge qui s’adressaient à tout le monde, sans distinction de fortune ou de culture, le Tiers-Ordre de l’Assomption en ses débuts était ouvert seulement aux élites de la société. A côté d’une branche masculine, apparaît très tôt une branche féminine : l’une et l’autre se développent autour des maisons de l’Assomption, soit à Nîmes, soit à Paris. Cependant, la progression demeure modeste, mais fervente, comme en témoigne le renouvellement spirituel et apostolique du Tiers-Ordre féminin par la fondation, en 1857, des Adoratrices du Saint-Sacrement.
Nous parlerons successivement :
A - du Tiers-Ordre masculin,
B - du Tiers-Ordre féminin,
C - des Adoratrices du Saint-Sacrement.
La règle commune aux deux branches du Tiers-Ordre fut au début la règle même de l’Association de l’Assomption {v. supra Ch. X 26), qui fut réaménagée pour le Tiers-Ordre en 1847 (v. infra 1). Après la rédaction de la Règle de l’Assomption (v. supra Ch. XII 24), ce fut le premier chapitre de ce nouveau texte qui ouvrit désormais la règle du Tiers-Ordre, toujours commune aux deux branches, tout comme la formule de profession (v. infra 2), mais avec les adaptations qui s’imposent.
Nous avons encore, mais de façon lacunaire, les cahiers des procès-verbaux des réunions de l’un et de l’autre Tiers-Ordre (v. infra 3 et6). Aussi est-il nécessaire de les compléter par des extraits de correspondance pour camper soit le dévouement du P. d’Alzon auprès de ses tertiaires, soit la générosité de ces personnes au service de l’Eglise (v. infra 4, 5 et 7).
Les Adoratrices auront leur propre règle (v. infra 8) dès que leur fondation aura pris corps (v. infra 9, 10 et 11) et recevront du P. d’Alzon des lettres collectives de formation spirituelle (v. infra 12 et 13).
Nous n’étudierons ici que les douze premières années du Tiers-Ordre de l’Assomption, tout en sachant que jusqu’à la fin de sa vie le P. d’Alzon garda le souci de le promouvoir. Quoi qu’il en ait été durant sa vie et après sa mort(1), nous croyons pouvoir dire qu’à travers la modestie de ses origines et de son développement, le Tiers-Ordre de l’Assomption témoigne de l’ardeur du P. d’Alzon à susciter dans l’Eglise un laïcat chrétien, conscient de sa mission spirituelle et apostolique.
Certes, il a pu y voir comme une pépinière possible de vocations religieuses ou sacerdotales, - et pour quelques-uns des tertiaires il en fut ainsi ; avant même, il entendait bien faire autre chose de ces personnes du monde que d’innocents marguilliers" ou de "bonnes petites dévotes" : il voulait avant tout les conduire, dans la liberté spirituelle, à l’épanouissement de leur vocation personnelle. Par-là, son action illustrait ce qu’il demandait à ses religieux dans la Règle de l’Assomption de 1855 : "Nous nous rappellerons que les âmes ont des droits sur nous, et que nous n’avons sur elles que celui que Notre-Seigneur nous a, confié pour les conduire, selon les moyens mis à notre disposition, à la perfection qui leur est propre. [...] C’est l’amour que Jésus-Christ leur a témoigné, en versant son sang pour elles, qui doit être la mesure des efforts que nous devons faire pour les conduire, selon leur vocation, à la sainteté."
A
LE TIERS-ORDRE MASCULIN DE L’ASSOMPTION
La fondation du Tiers-Ordre masculin est connexe à la fondation de l’Association de l’Assomption, puisque dans la pensée du P. d’Alzon elle comportait un Ordre et un Tiers-Ordre (v. supra, Ch. VIII 13 et Ch. X 25). Les réunions de l’un et de l’autre groupe sont communes et on pratique la même règle (v. supra, Ch. X 26). Cependant, le Tiers-Ordre acquiert plus rapidement que l’Ordre son statut particulier par une règle propre, en 1847, et l’émission des premières professions, en 1848 (v. infra 1 et 2). Il s’agissait seulement de promesses, sans caractère canonique, de vivre dans le monde selon les statuts et l’esprit du Tiers-Ordre. Laïcs (mariés ou non) et prêtres en étaient membres, et, au début, tous au service de la maison de l’Assomption.
Très rapidement, le P. d’Alzon souhaita que le Tiers-Ordre s’ouvrît aux anciens élèves de l’Assomption et même aux personnes du dehors. D’après un tableau, dressé en 1864 et arrêté à la date de 1856, nous voyons qu’à Nîmes, 55 personnes ont fait leur probation, 25 leur noviciat, 16 leur profession; mais le noyau du Tiers-Ordre demeure le groupe des maîtres du collège(2). Un an auparavant, en 1855, s’était organisé de la même façon un groupe de tertiaires parmi les maîtres du Collège de Clichy(3). Le 11 novembre 1856, le P. d’Alzon exprime sa joie de pouvoir donner au groupe de Nîmes comme directeur l’abbé de Cabrières (v. infra 3 d); et, le 12 janvier 1857, il pense pouvoir donner au groupe de Paris "sa constitution fixe" (v. infra 4).
Mais le vrai développement du Tiers-Ordre est moins dans les chiffres, le P. d’Alzon ayant toujours pensé à un groupe restreint, que dans la qualité d’esprit de ses membres les plus dévoués. Le Père ne s’épargne pas pour présider les réunions, et solliciter incessamment prière, esprit chrétien accusé, entraide fraternelle et générosité apostolique (v. infra 3). Aussi, soit à l’intérieur de la maison, soit à l’extérieur, les tertiaires se dévouent dans de multiples œuvres de charité. Et quand l’œuvre même du P. d’Alzon menacera ruine à Nîmes, ce seront les tertiaires qui s’offriront pour la sauver.(v. infra 5).
B
LE TIERS-ORDRE FEMININ DE L’ASSOMPTION
La fondation de l’Association de l’Assomption avec la constitution d’un Tiers-Ordre masculin éveille une pensée d’émulation chez les personnes du monde féminin dirigées par le P. d’Alzon, et que lui-même ne tarda pas à faire valoir. Dès le mois d’août 1846, il informe Mère M. Eugénie d’un essai à Nîmes d’un Tiers-Ordre féminin (v. infra 7 a). L’exemple de Nîmes suscite l’intérêt de la Mère pour une œuvre similaire à Paris. Le groupe de Nîmes, grâce aux réunions bi-mensuelles (v. infra 6 a, b), acquiert assez de consistance pour que l’émission des premières professions puisse avoir lieu, selon le désir de Mère M. Eugénie, le 30 avril 1849, fête de sainte Catherine et dixième anniversaire de la fondation des religieuses de l’Assomption. Le groupe de Paris fut constitué par le P. d’Alzon à l’occasion d’une retraite qu’il donna aux sept fondatrices, qui seront neuf à la fin de la retraite, en mars 1853.
En 1855, l’ordre des places au chœur pour l’office nous indique la présence de 19 personnes à Nîmes. Le 5 octobre, les tertiaires sont informées de la venue imminente des Religieuses de l’Assomption et la réunion du 16 novembre se tient en leur maison ou "prieuré du Saint-Sacrement". Le 14 décembre, Mère M. Eugénie y préside la réunion du Tiers-Ordre, qui gravite désormais autour de ce prieuré où le P. d’Alzon se rend de temps à autre pour des instructions(4).
Là encore, le développement demeure modeste, mais la ferveur est grande sous l’impulsion du P. d’Alzon, dans la même atmosphère de liberté spirituelle et d’entraide fraternelle dans la prière et l’apostolat. Au début, le Tiers-Ordre s’était intéressé à des œuvres charitables d’assistance (v. infra 7 b). A partir de 1853, le P. d’Alzon oriente vers les protestants l’apostolat du Tiers-Ordre et lui donne une spiritualité plus eucharistique (v. infra 7 d). De cette nouvelle orientation naîtront l’Association des Adoratrices du Saint-Sacrement (v. infra C) et l’Association de Saint-François de Sales qui débute en février 1855 au pensionnat des Dames de Saint-Maur (Ch. XVII C).
Comme pour le Tiers-Ordre masculin, le laconisme et l’état fragmentaire des procès-verbaux des réunions devraient être complétés par l’abondante documentation des lettres de direction spirituelle du P. d’Alzon adressées à ses tertiaires.
C
L’ASSOCIATION DES ADORATRICES DU SAINT-SACREMENT
Tandis que le Tiers-Ordre féminin poursuit son effort communautaire de vie spirituelle et d’apostolat, le P. d’Alzon donne corps à son idée de former en son sein un groupe d’adoratrices, lié à la fondation, à Nîmes, d’un prieuré des Religieuses de l’Assomption (v. infra 9 a, b, c). En 1855, trois anciennes élèves du pensionnat des Dames de Saint-Maur acceptent, sur sa proposition et sous le patronage de sainte Thérèse, de “ commencer une règle un peu plus sévère que le Tiers-Ordre ”(v. infra 10). Lors de la fondation proprement dite, au jour de la Pentecôte, le 31 mai 1857, le groupe compte six personnes (v. infra 11).
Dès 1855, le P. d’Alzon leur avait donné une règle de vie, révisée en 1859 et rédigée en 1864 sous forme de statuts. On y reprenait de la vie religieuse tout ce que des jeunes filles (plus tard on admit des veuves) pouvaient en pratiquer dans le monde, avec un cachet propre de prière adoratrice et apostolique, une clause finale laissant ouverte la possibilité d’une vie en commun (v. infra 8).
A cette règle, il faut ajouter les lettres individuelles de direction spirituelle du P. d’Alzon, les notes d’audition de ses instructions, et surtout ses lettres collectives aux Adoratrices. Parmi celles-ci, nous citons celle sur le crucifix, où le P. d’Alzon révèle quelque chose de sa prière personnelle au sein des épreuves (v. infra 12) et celle où il met en rapport l’esprit de l’Assomption avec le caractère plus particulier de l’Association des Adoratrices (v. infra 13), sorte de “ petit examen raisonné ” qui est à l’origine du Directoire des religieux de l’Assomption, prévu d’abord pour les Religieuses et écrit en septembre 1859.
Nous sommes ici à un des sommets de la pensée spirituelle et apostolique du P. d’Alzon, fruit d’une vie de foi soumise à l’épreuve : crise de santé en 1854, ébranlement progressif de toute l’œuvre accomplie à Nîmes et menace plus que réelle sur l’avenir de l’Assomption elle-même. On comprend dès lors que l’Association des Adoratrices lui tienne particulièrement à cœur. Passé le moment de l’épreuve, le P. d’Alzon liera davantage encore à ses projets apostoliques le petit groupe des Adoratrices. En 1859, il les alerte sur la menace que fait peser sur l’Eglise la guerre d’Italie; lorsqu’à partir de 1860, il s’intéresse à l’Orient chrétien, il élargit à ce niveau leur prière apostolique, et lorsqu’il fonde les Oblates de l’Assomption pour l’Orient, c’est d’abord aux Adoratrices qu’il s’adresse.
1
Extrait de la Règle du Tiers - Ordre de l’Assomption. - Orig.ms., ACR, DI 121.
La Règle de l’Association de l’Assomption fut, de 1845 à 1855, la règle même du Tiers-Ordre. Cependant, en 1847, elle comporte au début et à la fin une rédaction nouvelle, concernant le but du Tiers-Ordre et les exigences de sa devise apostolique : Adveniat regnum tuum. Lors de la rédaction, en 1855, de la Règle de l’Assomption, le texte précédent’ est supplanté par le chapitre premier de cette règle. Nous citons ici les deux textes introduits en 1847, c’est-à-dire au moment où l’Ordre et le Tiers-Ordre prenaient figure par rapport à une règle commune, celle de 1845 (v. supra Ch. X C).
a)
But. – Consécration plus particulière à Dieu pour devenir autant que possible religieux au milieu du monde. Participation aux mérites,, à l’esprit et aux prières de tous les membres de l’Ordre. Dévouement à l’extension du règne de Jésus-Christ par l’enseignement et la réalisation de la loi chrétienne. Pour cela, faire d’abord de sa vie une protestation pratique contre les maximes du monde et spécialement contre la vie de luxe, d’égoïsme et d’inaction. Secondement, travailler à faire connaître Jésus-Christ par l’enseignement, par les écrits, par les arts, par la conversation, par toutes les œuvres qui peuvent communiquer l’esprit de l’Évangile à un plus grand nombre d’âmes et les aider à s’y conformer.
b)
Des bonnes œuvres et de l’esprit du Tiers-Ordre. – Le but du Tiers-Ordre étant de se dévouer à l’accomplissement de cette divine parole : Que ton règne arrive, les Frères et les Sœurs doivent tâcher d’y contribuer chacun par les œuvres de zèle et de charité dont ils sont capables, telles que : catéchisme aux enfants, visites aux pauvres, bons conseils au prochain, efforts pour la conversion des âmes, distribution de bons livres, préparation des malades à recevoir les sacrements, enseignement des vérités chrétiennes à tous les degrés, formation d’associations de travail, de prières et de bonnes œuvres, etc.
L’esprit des Frères et des Sœurs doit être de tâcher d’enseigner aux autres la pratique de toutes les œuvres chrétiennes, de les y attirer et de s’efforcer de donner naissance à toute espèce de bonnes œuvres, sans même être obligé d’y prendre part. Qu’ils aient un grand esprit de désintéressement quant à l’influence personnelle ou collective, se persuadant bien qu’ils feront d’autant plus de bien qu’ils enseigneront plus aux autres chrétiens à se soutenir les uns les autres sans avoir besoin d’eux, et qu’ils formeront plus d’œuvres capables de vivre par elles-mêmes sans leur secours.
Mais pour se livrer à ces diverses œuvres de zèle, sans que les devoirs de leur état puissent en souffrir, ils s’exerceront à fuir l’oisiveté, se souvenant que le temps qui est court leur est donné comme le moyen de mériter que pour eux arrive le règne de Dieu dans l’éternité.
2
Formule de profession des membres du Tiers-Ordre de l’Assomption
La formule de profession des tertiaires de l’Assomption était à peu près la même pour les hommes et pour les femmes et pouvait être rédigée en latin ou en français. Parmi les exemplaires que nous en avons encore, nous citons ceux de M. et Mme Germer-Durand(5).
a)
Formule de profession de M. Germer-Durand. – Orig.ms. ACR, DI 131.
In conspectu Beatae Mariae semper Virginis et omnium Sanctorum, sub quorum patrocinio fraternitas nostra constituitur,
Ego, Eugenius, professionem facio ac promitto omnipotenti Deo, et tibi, reverendo Patri, me vitam meam ad régulas Tertii Ordinis Beatae Virginis Mariae in cœlos assumptae pie et fortiter esse conformaturum, et, quoad per me licebit, regnum Domini nostri Jesu-Christi propagaturum.
Nemausi, 27 decembris die 1848. In festo s[ancti] Joannis.
E. Germer-Durand.
b)
Formule de profession de Mme Germer-Durand. – Orig.ms. ACR, DI 183.
En présence de la très sainte et très adorable Trinité, et sous la protection de la bienheureuse Vierge Marie mère de Dieu,
Moi, Cécile Germer-Durand, dite en religion sœur Marie-Catherine-Cécile, promets à mon Dieu que j’adore ici présent dans cette hostie, de vivre pendant un an selon la règle du Tiers-Ordre de l’Assomption de Notre-Dame, et de me consacrer selon l’esprit de cette association à étendre par toute ma vie le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans les âmes.
[Non daté, non signé].
3
Extraits des comptes-rendus des réunions du Tiers-Ordre masculin
Trois carnets contiennent les comptes-rendus des réunions du Tiers-Ordre masculin de l’Assomption : le 1er va du 29 septembre 1845 au 21 mars 1847 et couvre la période de la fondation de l’Association de l’Assomption, dont émergent l’Ordre et le Tiers-Ordre ; le 2ème va de 1847 à 1853 ; le 3ème, de 1854 à 1857. On peut constater que sur 225 réunions, tenues de 1845 à 1857, au moins 150 furent présidées par le P. d’Alzon. Quand le texte des comptes-rendus est particulièrement soigné, on y retrouve presque la littéralité de ses interventions. Citons quelques exemples.
a)
Réunion du 1er novembre 1846. – Orig.ms. ACR, DI 209, p. 43.
Nous sommes au départ de la fondation de l’Association de l’Assomption, le P. d’Alzon s’adresse à ses disciples réunis, futurs religieux et futurs tertiaires :
L’esprit de Jésus-Christ est devenu étranger à un bien grand nombre de chrétiens. Si nous voulons agir sur les âmes, nous devons aspirer cependant à nous empreindre fortement de cet esprit surnaturel, le mettre en nous à l’état de vie, le faire passer chez nous à l’état d’habitude. C’est le but de notre Association. Nous cherchons, par une étude plus sérieuse de la foi, à éclairer notre esprit des lumières de la vérité ; par une vie plus disciplinée et plus austère, à fortifier notre volonté, à relever de plus en plus nos caractères. Ainsi, nous nous dépouillerons des idées mondaines dont s’est mélangée la foi dans la plupart des esprits, et nous protesterons contre les désordres de la sensualité, de l’égoïsme, de l’ignorance, par le savoir, le dévouement et la mortification.
b)
Réunion du 15 novembre 1846. – DI 209, p. 48-51.
Aux réunions précédentes, d’aucuns avaient émis des objections contre les pratiques extérieures demandées aux tertiaires ; le P. d’Alzon y répond en soulignant la nécessité de donner un témoignage chrétien en accord avec l’esprit de franchise des temps modernes.
Au milieu des mauvaises idées que les révolutions nous ont faites un excellent principe de conduite nous a cependant été donné : la franchise. Elle est un besoin actuel du monde dans les relations sociales. Dire aujourd’hui ce que l’on est, sincèrement, sans arrière-pensée, c’est se gagner l’estime et la confiance, sinon la sympathie et l’approbation. Cette franchise convient particulièrement au catholique, c’est son caractère, c’est son devoir. Bénissons Dieu de nous avoir mis en demeure de reprendre cette franchise et cette liberté. Le chrétien peut aujourd’hui manifester sa foi publiquement, sans être soupçonné de servir ses intérêts et de chercher à parvenir, comme on pouvait l’en soupçonner au temps où le pouvoir protégeait la religion.
On ne nous protège plus aujourd’hui. Nous avons au contraire à protéger, à faire respecter notre foi. C’est un devoir sérieux pour nous de nous poser publiquement en chrétiens. C’est une convenance dans l’état actuel des mœurs. Nous devons être franchement et ouvertement catholiques. Montrons-nous tels. [...]
Restons dans la franchise pour être de notre temps. La position qui nous est faite nous permet d’agir franchement. Que notre prédication soit franche. Sans doute, pas de dévotions minutieuses, pas de pratiques surabondantes, pas de mortifications exagérées ; mais des pratiques cependant; et des pratiques fortes et catholiques. Ne soyons pas des chrétiens à demi. Montrons-nous tout d’une pièce(6). [….]
Puisque nous avons nos coudées franches, agissons avec liberté. Nous nous ferons respecter avec ces allures indépendantes. Croyez-le bien : nous ne serons pas alors d’innocents marguilliers de paroisse éminemment ridicules. [….] Nous pouvons tomber dans l’abus, c’est possible. Mais tous nos efforts précisément tendent à lutter énergiquement contre l’abus. Pratiquons faiblement, timidement : on nous donnera tort; pratiquons énergiquement, virilement : nous nous ferons respecter. Du naturel et du courage, voilà tout.
Ramenée à ces termes, la question se simplifie. Il s’agit de donner toute sa portée à la notion d’un Tiers-Ordre. C’est une arme puissante, aujourd’hui discutée, parce qu’elle est passée aux mains d’une dévotion timide, banale, sans vigueur. Retrempons-la dans la force, dans la hardiesse, dans le sentiment énergique du droit, dans la conviction. Rendons-lui sa mission d’apostolat.
c)
Réunion du 11 février 1851. – Orig.ms. ACR, CE 1-7, p. 77-80.
Les tertiaires de l’Assomption pouvaient exercer leur apostolat soit à l’intérieur soit à l’extérieur de la Maison de l’Assomption. Mais ils devaient tendre, leur rappelle le P. d’Alzon, « à une perfection collective dans un triple esprit de liberté, de charité, d’humilité. »
M. d’Alzon signale l’activité extérieure du Tiers-Ordre. MM. d’Everlange et Bastien concourent aussi, au dehors de l’Assomption, à étendre le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ : l’œuvre de Sainte-Marthe, l’adoration nocturne sont leurs travaux personnels. Mais rappelons-nous que ces travaux, dans un sens sont aussi l’œuvre commune du Tiers-Ordre. A l’intérieur, dans le collège, l’Assomption a ses œuvres. Est-il possible que tous les membres du Tiers-Ordre s’occupent des mêmes œuvres ? Non. Mais tous doivent leur donner une bienveillance générale, s’empresser, dans l’occasion, de les recommander, de les louer, de les favoriser. C’est là un concours comme un autre; et c’est ainsi que des œuvres. personnelles à tels ou tels deviennent communes à tous.
D’un côté, la loi de charité qui unit; de l’autre, pleine liberté, élément d’activité, de fécondité, qui favorise le zèle(7). […]
L’Ordre sans doute est le noyau; mais le Tiers-Ordre doit être l’arbre. On veut aujourd’hui des laïques dans l’enseignement. Soit ! Montrons aussi qu’il y a des laïques religieux, dévoués, pieux. Les laïques seuls sont insuffisants. Mais qu’ils soient fidèles à s’unir dans un esprit de foi, à agir dans cet esprit de foi, à former une unité morale puissante. Combien ils pourront contribuer à fonder des traditions fortes, durables, qui consolident une maison, une œuvre et la font vivre !
Mais soyons désintéressés, encore une fois. Ne pas se mettre, par amour propre, par idée propre, à faire les choses. On peut extérieurement paraître agir chrétiennement; à l’intérieur, tout n’est que critique, amour propre, blâme, inquiétude. […] Allons plus droitement à Jésus-Christ. Pas d’acte de fierté. Faisons une bonne fois mourir l’amour propre. Renonçons-nous. Arrivons à une perfection collective dans un triple esprit de liberté, de charité, d’humilité.
d)
Réunion du 11 novembre 1856. – Orig.ms. ACR, CE 8-15, p. 91-94.
Au cours de cette réunion, présidée par le P. d’Alzon entouré de huit tertiaires, communication est faite de la nomination de l’abbé de Cabrières comme directeur du Tiers-Ordre. Ancien élève de l’Assomption, il avait été ordonné prêtre le 25 septembre 1853 ; en 1855, il est nommé aumônier du collège et en devient le directeur en 1856 et 1857, pendant la maladie du P. d’Alzon.
En nous annonçant que M. l’abbé de Cabrières a été reçu profès et nommé directeur du Tiers-Ordre, le Père [d’Alzon] nous invite à nous grouper autour de lui pour le fortifier par notre obéissance. Nous devons venir en aide à sa jeunesse, afin que sa position d’ancien élève n’amoindrisse en rien son autorité. Il faut qu’il puisse nous parler plus sévèrement; le P. d’Alzon l’y invite et le Tiers-Ordre a besoin qu’on lui parle avec liberté. […]
Le Père, par lui-même et plus encore par M. de Cabrières, fera tout ce qu’il pourra pour augmenter l’influence morale du Tiers-Ordre. De notre côté, il faut que nous sachions revêtir l’armure de saint Paul : sincérité, confiance. Sachons élever nos caractères. Tâchons de présenter aux élèves des caractères nobles, et, au milieu de la variété des natures, différents types dans lesquels ils puissent en quelque sorte se couler. C’est alors que nous verrons monter le niveau des enfants. Nous le pouvons. Car, si autrefois le Tiers-Ordre a possédé de riches et belles individualités, telles que le Fr. Cardenne ou M. Monnier, on peut dire qu’actuellement le Tiers-Ordre est arrivé, en s’épurant, à une belle maturité. Notre esprit doit être un esprit de foi, et par suite, notre courage doit avoir l’énergie des sacrifices.
4
Lettre du P. d’Alzon aux tertiaires de l’Assomption, Paris, le 12 janvier 1857. – Orig.ms. ACR, AK 410; T., Lettres, II p. 184.
Le P. d’Alzon, en remerciant ses tertiaires de Nîmes pour leurs vœux de nouvel an, revient sur leur idéal spirituel et apostolique d’enseignants chrétiens. Puis il donne des nouvelles du Tiers-Ordre de Clichy, à Paris.
Mes très chers Frères, j’aurais dû vous répondre plus tôt et vous exprimer, à mon tour, mes vœux de bonne année. Ils sont résumés dans une parole de saint Paul que je trouve admirablement belle, surtout si on l’applique à des hommes voués à l’enseignement : tamquam ex Deo, coram Deo, in Christo loquimur(8). Que votre enseignement prenne sa source en Dieu ! Que vous ne prononciez aucune parole que sous l’œil de Dieu ! Que votre être soit plongé en quelque sorte dans l’esprit de Jésus-Christ ! Tel est le milieu dans lequel je voudrais vous voir vivre et exercer votre action ; et si toujours cette action n’a pas été aussi fertile que l’on aurait pu l’espérer, c’est que nous ne nous sommes pas assez astreints à nous maintenir sous la présence de Dieu et dans son Fils, coram Deo, in Christo.
Jeudi prochain, le Tiers-Ordre de Paris prendra probablement sa constitution fixe. Je compte recevoir quelques professions. Ce petit Tiers-Ordre me paraît assez fervent, et, très probablement, deux de ses membres les plus zélés n’en resteront pas là. Tout le monde le sait à peu près officiellement à Clichy.
Je vous demande de prier beaucoup pour notre noviciat. Plusieurs personnes parlent de s’unir à nous. Il faudrait que le premier noyau fût très fervent. Nous y travaillons, en quoi vos prières nous sont très nécessaires.
Veuillez recevoir, Messieurs et mes frères, l’expression de mon plus tendre dévouement en Notre-Seigneur.
E. d’Alzon.
5
Lettre de Germer-Durand au P. d’Alzon, Nîmes, le 16 février 1857.-Orig.ms. ACR, OI 31.
Au nom du groupe des tertiaires de l’Assomption de Nîmes, Germer-Durand informe le P. d’Alzon de leur intention de sauver le collège, menacé d’une grave crise financière. “ Mille fois merci de votre proposition, répondra le P. d’Alzon. Merci pour vous et pour les autres tertiaires. Essayez, et que Dieu bénisse cet effort suprême de chrétiens dévoués ! ” – Orig.ms. ACR, AL 123; T., Lettres, II, p. 195(9).
Très cher Père, il y a longtemps déjà que nous voulions vous écrire pour vous soumettre les projets que nous formons ici ; car, après avoir pleuré comme morte notre chère Assomption, nous n’avons pu tourner nos regards vers un autre avenir, sans chercher auparavant s’il n’y avait plus d’existence possible pour cette œuvre, si vivante encore dans nos cœurs aussi bien que dans l’estime publique.
L’unanimité de nos désirs nous en donne l’espérance ; et, après avoir tourné et retourné cette idée en tout sens, formé et défait mille projets, dressé et biffé maints budgets, – et surtout après avoir bien prié le bon Dieu – , nous venons vous demander, MM. Allemand, Sauvage, Bardonnenche et moi, de permettre à vos tertiaires de continuer le pensionnat, pour lequel vous avez fait tant de sacrifices, en vous déchargeant pour l’avenir de toute sollicitude matérielle et de toute responsabilité financière. […]
Nous espérons que Dieu bénira nos efforts, et qu’avec quelques réformes dans le budget, nous pourrons vivre au jour le jour et soutenir l’honneur de la maison. Nous ne pouvons nous décider à abandonner la partie, sans avoir tenté encore un moyen, et nous serions bienheureux si nous pouvions vous donner ainsi la consolation de voir vos enfants continuer votre œuvre, aux lieux mêmes et dans le même esprit, et faire fructifier, dans la mesure de leurs forces, les germes que vous avez déposés ici.
Qu’en pensez-vous, très cher Père ? Veuillez nous le faire savoir ; car c’est comme tertiaires que nous vous demandons mission pour nous et pour l’excellent abbé de Cabrières, lequel se joint à nous pour vous dire que nous sommes tous entièrement à vous en Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Germer-Durand.
6
Extraits des comptes-rendus des réunions du Tiers-Ordre féminin
Deux carnets contiennent les comptes-rendus des réunions du Tiers-Ordre féminin de l’Assomption : le 1er va du 21 décembre 1846 au 16 juin 1851; le 2ème, du 15 décembre 1854 au 21 octobre 1859. On se réunit en principe tous les 15 jours, et quand le P. d’Alzon est là et le juge opportun, il préside la réunion qui comporte un temps de prière et un temps de réflexion. Là encore, lorsque le texte des comptes-rendus est particulièrement soigné, on y retrouve presque la littéralité de ses dires, plus particulièrement dans le 2ème carnet.
a)
Réunion du 15 mars 1847. – Orig.ms. ACR, CE 38, f° 9.
On s’entretient de “l’importance de développer et de conserver l’esprit catholique, afin d’empêcher autant que possible l’esprit de l’œuvre de devenir étroit et exclusif” :
Pour garder cet esprit vraiment chrétien, [il faut] travailler à se rendre de plus en plus semblable à Jésus-Christ dans la vie intérieure par la perfection croissante des dispositions du cœur, et dans la vie extérieure par tout le dévouement possible au salut des âmes et au règne de la vérité.
b)
Réunion du 23 janvier 1849. – CE 38, f° 22.
Le P. d’Alzon parle de l’esprit qui doit caractériser les tertiaires, plus particulièrement dans leurs rapports réciproques :
En réfléchissant à l’esprit que nous devons apporter dans le Tiers-Ordre, il me semble que nous devons y apporter un esprit complet d’abandon à Dieu qui se manifestera par la bonne volonté […] pour donner à nos actes la plus grande perfection, […] Nous devons aussi avoir un grand esprit de simplicité et de charité. Cet esprit nous portera non seulement à chercher Dieu en toutes choses, mais encore à nous communiquer avec discrétion et mesure nos pensées et nos sentiments. Cette communication sera plus que profitable, elle sera nécessaire pour avoir l’esprit du Tiers-Ordre, qui nous oblige, autant que nous le pouvons à mettre en commun nos biens et nos besoins spirituels.
c)
Réunion du 1S février 1855. – Orig.ms. ACR, CE 18-23, p. 23-24.
Entouré de dix tertiaires professes, le P. d'Alzon remet à deux novices le Nouveau Testament, le livre d’Office et le crucifix, en leur rappelant que le but et l’esprit de l’association dans laquelle elles demandent à entrer, est “un esprit de zèle pour la gloire de Dieu et de protestation contre les idées du monde” :
Les Sœurs du Tiers-Ordre, [dit-il] sont appelées à protester contre l’esprit d’orgueil par l’humilité, contre l’esprit d’indépendance par l’amour de l’obéissance, contre l’esprit d’égoïsme par l’esprit de charité. Elles sont appelées à soutenir une lutte incessante contre ce monde où elles sont obligées de vivre, et ce n’est que dans une union très intime avec Notre-Seigneur qu’elles puiseront les forces nécessaires pour soutenir ces combats de tous les jours. Leur position toute particulière entre le monde et le cloître les expose à beaucoup de dangers et les oblige à une vigilance sévère. Leur tâche est peut-être plus difficile que celle d’une religieuse et leur zèle doit être infatigable. L’image du Dieu crucifié qu’elles portent doit leur rappeler jusqu’à quel point ce Dieu les a aimées, et leur apprendre comment elles doivent l’aimer à leur tour. C’est surtout dans la communion qu’elles doivent retremper leurs âmes et chercher les lumières et le courage dont elles ont besoin. C’est là qu’elles trouveront l’amour du sacrifice et l’abnégation nécessaire à ceux qui veulent travailler au salut des âmes.
d)
Réunion du 24 août 1855. – CE 18-23, p. 68-69.
Encore une fois, le P. d'Alzon rappelle que “l’idée fondamentale qui doit animer le Tiers-Ordre aussi bien que l’Ordre de l’Assomption, c’est l’amour de Jésus-Christ et le dévouement à l’extension de son règne” :
Si nous aimons beaucoup Notre-Seigneur, [dit-il], nous aimerons ce qu’il aime et nos sentiments deviendront de plus en plus semblables aux siens. Nous aimerons donc beaucoup sa Mère et nous serons heureux de nous regarder comme les enfants de sa gloire. Nous aimerons beaucoup son Église, qui est son Épouse, née sur la croix de son côté ouvert. Nous aimerons beaucoup ses enfants qui sont nos frères, appelés, ainsi que nous, à devenir, comme enfants de la sainte Église, membres du Corps mystique de Jésus-Christ lui-même.
On ne se rend pas compte de ses devoirs comme enfants de l’Église. Si nous savions immoler un peu plus nos idées personnelles, nous gagnerions bientôt à Jésus-Christ des membres vivants et nous remplirions notre mission sur la terre. C’est dans notre communion avec le Corps glorieux et toujours immolé du Sauveur dans le sacrement de son amour que nous trouverons la force de mourir assez à nous-mêmes pour travailler à sa gloire et au développement de son Corps mystique.
7
Extraits de quatre lettres du P. d’Alzon à Mère M. Eugénie concernant le Tiers-Ordre féminin de l’Assomption (1846-1853)
Dans sa correspondance avec Mère M. Eugénie, le P. d’Alzon nous donne les origines, le développement et les engagements spirituels et apostoliques du Tiers-Ordre féminin de l’Assomption.
a)
Nîmes, le 14 août 1846. – Orig.ms. ACR, AD 445; V., Lettres, III p. 106-108.
Les origines du Tiers-Ordre féminin à Nîmes :
La seconde nouvelle, que j’aurais voulu vous donner plus tôt, est que nous aurons un petit Tiers-Ordre de femmes : ce sont Mmes Boyer, Réveilhe, Bolze, qui va amener sa petite-fille, et Mlles Coirard, Bellile, une jeune personne très bien qui peut-être vous viendra un jour, et Walsin. La chose s’est emmanchée, sans que je sache comment ; mais enfin elle ira très bien, j’en suis presque sûr. Je vous donnerai une autre fois des détails. Tous les huit jours, il y aura réunion chez Mme Boyer, pour travailler pour les jeunes apprenties que ces dames patronnent. Ce sera le motif extérieur ; puis, quand je voudrai les réunir, elles se rendront au Refuge, dont elles s’occupent aussi beaucoup.
b)
Nîmes, le 21 mars 1847.— Orig.ms. ACR, AD 502 ; V., Lettres, III p. 179-182.
À Mère M. Eugénie qui s’intéresse à son initiative, le P. d’Alzon parle de la vitalité du Tiers-Ordre féminin :
Le Tiers-Ordre a subi ici quelques échecs. La maladie de trois de ces dames, un peu de mauvaise entente de quelques autres a paralysé l’action d’union et d’influence réciproque. Cependant, on se remet du petit choc, et, le jour de l’Annonciation, on compte ouvrir une maison à douze petites apprenties. C’est Mme Réveilhe qui est l’âme de cette œuvre extérieure, mais qui, entre nous, a un peu nui à l’esprit de charité des Sœurs. L’œuvre des apprenties se trouve par le plus grand bonheur très bien vue de Monseigneur qui la prendra sous sa protection, quoiqu’il ne sache pas encore qui en est la cheville ouvrière. L’Office va être imprimé(10). La beauté typographique des textes est peu de chose, mais je vous garantis l’exactitude quant à la correction des textes. Je l’ai fait tirer sur deux formats, afin qu’on puisse l’avoir séparé ou le faire relier avec un paroissien ou une Imitation. Il est un peu plus long que je ne pensais. On se réunit tous les quinze jours au Refuge, pour une instruction que je fais ; c’est le lundi à trois heures. Tous les huit jours, le mardi, on passe l’après-midi à travailler pour les pauvres. Enfin, le dimanche, on réunit les apprenties et on examine leur état moral et physique. De plus, ces dames, ayant chacune quelques apprenties sous leur protection, vont les visiter dans les ateliers où on les place. L’établissement de la maison qui se fonde, modifiera ces dernières dispositions. Je vous dirai plus tard quels changements auront lieu.
c)
Nîmes, le 30 avril 1849. – Orig.ms. ACR, AD 660; T.D. 20, p. 83-85.
Mère M. Eugénie, ayant formé elle aussi un groupe de tertiaires à Paris, exprima le désir que la profession des Sœurs de Nîmes et de Paris eût lieu le même jour. Le P. d’Alzon répond à ce désir.
Ce matin, jour de sainte Catherine de Sienne, a eu lieu la profession des cinq premières Sœurs : Mme Durand, Mme Bolze, Mme Rocher, Mme Rigot et Mlle Coirard. Mlle Gaude y assistait. […] J’ai dit la messe à une chapelle de la cathédrale parce que, après y avoir réfléchi, j’ai préféré que le public ne pût absolument rien savoir encore. Maintenant faut-il faire quelques nouvelles réceptions, faut-il fortifier ce petit noyau ? J’ai envie de garder le statu quo, jusqu’à ce que j’aie pu en causer avec vous.
d)
Nîmes, le 25 juin 1853. -Orig.ms. ACR, AD 899; T., Lettres, I p. 304.
Le P. d’Alzon se sent appelé à faire du bien aux protestants et oriente dans ce sens la prière et l’action du Tiers-Ordre féminin, au sein duquel germe la future Association des Adoratrices.
Notre-Seigneur me presse de me consacrer à faire du bien aux protestants. […] Je crois que, pour commencer, la condition fondamentale c’est la prière. Déjà j’ai une petite association de personnes, que je place depuis quelques jours sur ma patène, pour les offrir comme victimes pour la conversion des protestants. J’en ai parlé à l’évêque, qui s’est montré moins opposé que je ne l’aurais cru.
Si jamais nous avons ici une maison du Tiers-Ordre, je voudrais la consacrer à recueillir les protestants qui auraient besoin de quelques mois de retraite avant leur conversion, comme aussi à une espèce d’orphelinat pour les petites filles que leurs parents protestants voudraient nous donner. Une maison de l’Ordre pourrait, je crois, aussi faire un grand bien aux personnes d’un rang plus élevé.
La Providence semble vouloir cela, et je vous avoue que, au milieu des peines qui ne me manquent pas et de ma mauvaise santé, je ne sais si c’est là un effet de ma tête qui trotte et galope, mais ces pensées me préoccupent, m’agitent et me poussent à devenir moins mauvais. Je prie avec beaucoup plus de ferveur, je vois un but à donner à certaines personnes, qui ne sont pas appelées à la vie religieuse et qui sont ou seront de bonnes tertiaires, car c’est bien là la consécration à l’extension du règne du Christ dans les âmes.
8
Extraits des statuts des Adoratrices du Saint-Sacrement (1855-1864). Cop.ms. ACR, CC 5; T.D. 41, p. 266-271.
La rédaction définitive de ces statuts date de 1864 ; mais les paragraphes I et XV ouvraient et achevaient la règle de 1855. Le corps de la règle était plutôt l’œuvre d’une adoratrice, prenant pour base la règle des religieuses de l’Assomption. Le paragraphe XI des statuts homologue une pratique antérieure à 1864. Compte tenu de ces précisions, nous citons 4 des statuts des Adoratrices :
I
Le désir de réparer les insultes que Notre-Seigneur reçoit dans le sacrement de l’Eucharistie, et d’imiter plus particulièrement les vertus qu’il nous prêche dans le silence de la sainte Hostie, est le but d’une Association de personnes, qui voulant vivre comme des religieuses dans le monde, se proposent de se mettre sous une règle commune. Les conditions pour en faire partie sont :
1° Un grand amour pour Notre-Seigneur, l’esprit de charité, de bienveillance, d’humilité et d’obéissance.
2° Une forte volonté de tendre à toute la perfection possible selon leur position.
3° Une certaine liberté pour les œuvres : on ne reçoit que des filles ou des veuves.
4° Une dévotion toute spéciale au Très Saint-Sacrement et la disposition de se porter à toutes les œuvres qui peuvent contribuer à augmenter la gloire de Notre-Seigneur dans l’Eucharistie.
5° -Le désir de pratiquer certaines humiliations et austérités, qu’elles offriront à Notre-Seigneur comme amende honorable des sacrilèges dont il est victime au Très Saint-Sacrement.
II
Les adoratrices feront chaque année, pour un an, les vœux de chasteté, pauvreté et obéissance. La chasteté est la vertu des anges et sera particulièrement chère aux adoratrices qui doivent s’unir aux légions angéliques pour former la cour de l’Agneau divin et de sa Mère, reine des Anges(11).
XI
Tous les huit jours, le jeudi quand ce sera possible, les Sœurs entendront la messe en commun. La messe sera suivie d’une instruction. Les postulantes pourront ordinairement y assister. Les Sœurs sont invitées à communier à cette messe.
Tous les quinze jours, elles se rendront dans une salle du couvent de l’Assomption, elles réciteront en commun Vêpres et Complies, feront lire par la secrétaire quelques passages de la règle ou du Directoire indiqués par la supérieure ; feront les coulpes précédées du Miserere et suivies d’un Ave Maria ; puis, causeront en travaillant de ce qui peut intéresser la Congrégation. Elles se sépareront, après avoir récité le Sub tuum. La réunion dure une heure ; après quoi, on est libre de causer ou de se retirer.
Tous les mois, les Sœurs feront une nuit d’adoration, selon la règle de l’adoration nocturne.
XV
Si jamais les Sœurs peuvent vivre en commun, des règlements seraient faits dans le but de leur faciliter les moyens de passer le plus longtemps possible devant le Saint-Sacrement, et de se porter à toutes les œuvres de zèle ou de pénitence qui se rapportent à l’honneur de Jésus-Christ vivant parmi les hommes dans le tabernacle.
9
Extraits de trois lettres du P. d’Alzon à Mère M. Eugénie concernant les origines de l’Association des Adoratrices du Saint-Sacrement
Le P. d’Alzon continue à informer Mère M. Eugénie du développement du Tiers-Ordre féminin à Nîmes et de son désir de le voir s’orienter, à partir d’un groupe distinct, vers une spiritualité apostolique d’expiation et de réparation, en même temps que d’adoration, envers le Saint-Sacrement.
a)
Nîmes, le 24 avril 1854. - Orig.ms. ACR, AD 22; T., Lettres, I p. 414.
Le P. d’Alzon sollicite la collaboration de Mère M. Eugénie dans les initiatives de son Tiers-Ordre féminin, dont l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement et les retraites préparatoires à la conversion des protestants.
Les petites protestantes confiées à notre Tiers-Ordre appelleront nécessairement autre chose que des tertiaires, d’ici à peu de temps. Alors, nous aurions la maison des orphelines confiées aux 0blates(12) et, pour commencer, aux demoiselles Saben ; le Tiers-Ordre qui se chargerait de la chapelle, et enfin, il faudrait bien que vous puissiez arriver pour l’adoration perpétuelle et pour les retraites.
J’ai écrit hier à Monseigneur une longue lettre, où je lui dis que je prie et [que] je fais beaucoup prier pour obtenir que Notre-Seigneur ait un trône public à Nîmes, comme il en a un à Avignon et à Montpellier ; que cette pensée me préoccupe depuis longtemps ; que si c’est une illusion, elle vient de se fortifier considérablement à Valbonne pendant ma retraite. Nous verrons ce qu’il me répondra.
b)
Lavagnac, le 15 septembre 1854.- Orig.ms. ACR, AD 949; T., Lettres, I p. 460-461.
Dans un premier moment, le P. d’Alzon a pensé orienter vers l’Assomption de Mère M. Eugénie les vocations nîmoises d’adoratrices.
Ma chère fille, verriez-vous quelque inconvénient à ce que je dirige vers l’Assomption quelques jeunes personnes, qui n’ont pas d’attrait pour l’éducation, mais qui seraient selon moi d’excellentes adoratrices du Saint-Sacrement et que l’on pourrait pousser à une vie un peu plus austère ? J’y verrais l’avantage de faciliter l’établissement de l’adoration perpétuelle, et de plus, [de] donner certains exemples de sévérité que n’imiteraient point sans doute les Sœurs vouées à l’enseignement, mais qui seraient pourtant un aiguillon pour elles. Ces filles auraient une dot, et par conséquent, ne seraient pas à la charge de la Congrégation.
c)
Mireman, le 29 novembre 1854.- Orig.ms. ACR, AD 967; T., Lettres, I p. 495.
Dans un second moment, étant assuré d’une fondation à Nîmes par Mère M. Eugénie de Jésus, c’est autour de ce prieuré que le P. d’Alzon groupera ses adoratrices comme personnes consacrées vivant dans le monde.
Quant à votre fondation ici, je prépare toutes choses de mon mieux. D’abord, j’en parle tant que je puis ; ensuite, je déclare que je m’opposerai à ce que l’on fasse venir des Visitandines, tant que vous ne serez pas ici. Cela ne fait pas de difficulté, mais ce qu’il y a de mieux, c’est que je trouve dans Mlle de Régis un concours admirable. Elle m’offre de se mettre à la tête des tertiaires qui voudront pratiquer la règle dans toute sa rigueur. Comme elle est admirablement posée dans Nîmes, cela produira un excellent effet. Mlle Fabre, avec moins d’esprit, les demoiselles Combié, avec autant de dévouement, s’y mettront également, je l’espère. Mlle de Régis veut absolument entreprendre Mlle de Pélissier, quand elle sera ici, et Mme Révoil nous viendra très sûrement en aide pour combattre l’influence de Mme de Saint-Prégnon.
Je commence à dire que je veux grouper toutes les œuvres de Nîmes autour de l’Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement, et cette adoration, c’est aux Religieuses de l’Assomption que je veux la confier. Ceci prend peu à peu la consistance d’un fait accompli. Il est évident qu’il faudra que les fondatrices aient en commençant quelque chose à souffrir ; mais il me semble que ce sera de courte durée et que, plus tard, vous pourrez faire parmi nous un bien très grand.
10
Extraits de la lettre du P. d’Alzon a Mlles Juliette Combié, Clémentine Chassanis et Hélène Rouvier, Clichy, Ières Vêpres de saint Michel [28 septembre 1855]. - Orig.ms. ACR, AM 364; T., Lettres, I p. 600-601.
Adressée à trois jeunes filles, anciennes élèves du pensionnat de Saint-Maur à Nîmes, cette lettre du P. d’Alzon peut être considérée comme le départ de l’Association des Adoratrices du Saint-Sacrement. À ces âmes, désireuses de perfection, le Père offre l’aide de sa direction spirituelle pour en faire autre chose que de “ bonnes petites dévotes ” .
Mes bien chères filles, laissez-moi vous dire avant mon arrivée comment je considère la petite association que vous formez. Notre-Seigneur réclame des ouvriers de toutes les espèces, parce qu’il y a plusieurs vocations. […]
Eh ! bien, voici ce que je me permets de penser de toutes les trois :
1° Évidemment, pour moi, Dieu ne vous appelle pas, en ce moment du moins, à la vie religieuse.
2° Évidemment la Providence n’a pas permis pour rien les rapports qui se sont établis entre vous.
3° Ces rapports ont établi, de ma part du moins, une confiance absolue en vous pour le bien. Je crois que vous me la rendez.
4° Je ne puis croire que votre vie doive se passer comme celles de bonnes petites dévotes. Vous éprouvez au fond de l’âme le besoin de faire quelque chose pour Notre-Seigneur.
5° Il est temps de s’y mettre.
6° Voulez-vous vous y mettre ?
7° Voulez-vous vous y mettre sous mon impulsion ?
Il me semble que j’ai posé les questions avec assez de rigueur. J’ai préféré vous écrire, afin de vous donner le temps de réfléchir, et afin de vous permettre de me refuser par écrit, si vous n’osiez pas me refuser de vive voix, supposé que la conclusion soit un refus commun ou individuel. Il est clair que cette lettre détermine pour vous un but à donner à votre vie, plus sérieux que vous ne l’aviez peut-être envisagé jusqu’à présent, et qu’il y a là quelque chose de positif. Peut-être je me trompe ; mais je vous assure qu’en même temps je vous dis : examinez, j’ajoute sans hésitation que si vous me consultez, je prendrai avec bonheur devant Dieu la responsabilité de vous engager à avancer.
Hélène avait, il y a quelque temps, une terreur du Tiers-Ordre. Ceci est moins et plus que le Tiers-Ordre, c’est la vie toute entière prise par une grande pensée de sacrifice et d’amour.
11
Extraits d’instructions du P. d’Alzon aux Adoratrices, d’après des notes d’audition, 31 mai 1857. - Orig.ms. ACR, DJ 1.
La proposition faite par le P. d’Alzon, le 28 septembre 1855, au groupe des trois premières adoratrices a pris corps. Il juge bon, en mai 1857, devant six postulantes, de constituer effectivement l’Association des Adoratrices du Saint-Sacrement. Il parle d’un Tiers-Ordre renforcé ; aujourd’hui on parlerait d’institut séculier.
Cette petite association se forme dans la pensée de pratiquer la règle du Tiers-Ordre d’une manière plus forte et plus sévère. Il est des personnes que Dieu retient dans le monde, mais à qui il demande une vie plus parfaitement chrétienne. Pour s’exercer à la pratique des vertus religieuses, ne peuvent-elles pas s’unir ensemble pour s’imposer une vie plus sévère et s’adonner davantage à une vie d’apostolat ? Désirant chacune de nous arriver à une vie plus parfaite ne devons-nous pas regarder comme providentielle une association dont le but est de nous y conduire ?
Dans une association de ce genre, il faut nécessairement des liens communs qui unissent les membres entre eux, afin de n’en faire qu’un seul corps ; mais à côté de cette obéissance et souplesse de volonté, la liberté individuelle doit être respectée pour ne froisser en rien les devoirs respectifs de chacun des membres. On ne peut donc exiger une certaine dépendance qui entraverait le bien particulier que nous sommes appelées à faire dans une sphère différente. […]
L’esprit de l’Assomption étant un grand amour de Jésus-Christ et de l’Église, nous le posséderons d’autant plus que nous nous donnerons davantage. Le zèle de la gloire de Dieu, du salut des âmes, une vie apostolique en seront les conséquences.
31 mai, Jour de la pentecôte. - Quel jour plus favorable pour commencer une association dont le but est l’amour de Notre-Seigneur et l’apostolat dans le monde, que (ce jour) où l’Église célèbre la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres.
12
Extraits d’une lettre du P. d’Alzon aux Adoratrices du Saint-Sacrement, datée de Lamalou, 21 juin 1857. - Orig.ms. ACRA; T., Lettres, II p. 266-268.
C’est la plus célèbre des lettres collectives adressées aux Adoratrices, par le P. d’Alzon en cure à Lamalou-les-Bains et quasi réduit à l’impuissance. La partie centrale en a été bien des fois reproduite et imprimée sous le titre : L’ami de tous les jours, entendons le Crucifix. Le Père nous y livre quelque chose de sa prière.
Dans l’impuissance où je suis de pouvoir faire grand’chose, c’est une grande consolation pour moi de songer que vous me permettez d’exercer auprès de vous comme un débris d’apostolat. Les grandes théories ne sont plus faites pour mon cerveau, mais j’ai quelque chose de meilleur, je crois, qu’une théorie à vous proposer. Il s’agit d’un fait très pratique.
Avez-vous un crucifix et comment vous comportez-vous à son égard ?
[…] Certes, rien n’est plus précieux que la communion fréquente et que l’adoration du Saint-Sacrement ; mais on ne peut avoir toujours Notre-Seigneur substantiellement présent dans le cœur ; on ne peut pas être constamment à ses pieds ; on peut toujours avoir son image sur soi ou avec soi, et cette image vous dit bien des choses.
Si, le matin, en vous levant, vous baisez votre crucifix avec amour et vous promettez de porter tout le long du jour votre croix, en marchant sur les traces du divin Crucifié ; si, pendant votre méditation, – à moins de la faire à l’église – , vous tenez la croix entre vos mains et vous vous proposez de vous immoler sur l’autel du sacrifice de Jésus ; si, pour réveiller votre ferveur, vous portez de temps en temps la main sur votre crucifix, si vous le serrez plus fortement dans les moments d’angoisse, de peine, de luttes, de tentations ; si, au moment de partir pour faire quelque bonne œuvre, vous l’adorez en vous rappelant que c’est encore Jésus-Christ que vous allez secourir dans les pauvres ; si, au moment de pratiquer quelque austérité, vous baisez les plaies divines qui sont les fontaines de la vie de l’Église et les sources de notre purification ; si, le soir, vous allez à ses pieds rendre compte de votre journée… ah ! mes enfants, il me paraît bien difficile que votre crucifix ne devienne pas pour vous un ami, un confident ; ou plutôt Notre-Seigneur vous aimera, vous instruira, vous fortifiera à travers son image, et, dans ce commerce plus continuel, par cet intermédiaire muet mais béni pourtant avec votre époux, vous sentirez comme une transformation de tout votre être.
Ce ne sera plus seulement le bois, le métal qui reproduira pour vous les traits du Sauveur ; ils se graveront d’une manière plus vivante dans votre âme. Vous sentirez l’action plus immédiate de celui qui a été, pour vous, attaché à la croix ; vous voudrez vous transformer en lui, dire comme saint Paul : “ Vivre, pour moi, c’est Jésus-Christ ”; et votre vie prendra un caractère nouveau, vous découvrirez de nouveaux horizons dans la science chrétienne, où vous vous laisserez emporter par l’amour ; et toute vie, toute science, tout bonheur se résumeront dans ces deux mots : “ Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ”; Jesum Christum, et hunc crucifixum.
Vous avouerai-je en toute simplicité que le meilleur moment pour moi est surtout le soir, au moment de m’endormir. Il ne faut pas beaucoup d’efforts pour se laisser aller à penser à ce bon Maître, dont on tient l’image entre les mains. On lui dit qu’on l’aime ; on lui demande pardon de ses sottises ; on est tout à coup frappé de ce pardon qui tomba du haut de la croix ; comme un remords, on songe au mal que le péché lui a fait, au temps que l’on a perdu, aux grâces que l’on a reçues ; on le remercie de ses bienfaits ; on lui fait des promesses enflammées ; on rougit d’être dans un bon lit, quand il est mort, lui, sur un gibet ; on s’exerce à l’aimer, à réparer le temps perdu. On adore Dieu le Père en lui présentant son Fils ; on invoque le Saint-Esprit qu’il nous a envoyé ; on prie pour l’Église qui naquit au Calvaire ; on rougit d’être si mauvais chrétien ; puis on prend courage dans la pensée de l’amour et de la puissance de Dieu, et, si le sommeil n’est pas venu, on trouve le temps court en pareille compagnie.
13
Extraits d’une lettre du P. d’Alzon aux Adoratrices du Saint-Sacrement, datée de Lamalou, les 10 et 11 mai 1859. - Orig.ms. ACR, AN 135; T.D. 39, p. 28-40.
Sous forme d’une lettre collective, le P. d’Alzon donne aux Adoratrices un directoire de vie spirituelle dont chaque chapitre comporte un exposé suivi d’un examen, d’où le titre d’Examen raisonné donné à cet écrit qui est à l’origine du Directoire donné par le Père à ses religieux(13).
Après avoir exposé son intention d’approfondir “ l’esprit de l’Assomption ”, il présente le caractère plus spécial qui, dans cet esprit, doit être celui des Adoratrices.
a)
L’esprit de l’Assomption, ou 1ère partie (p. 28-37).
Mes chères filles, il est temps pour moi de tenir ma promesse et de vous envoyer le petit examen raisonné que je vous avais promis. Vous l’avez déjà, à proprement parler, dans les quelques lignes que je vous ai données sur l’esprit de l’Assomption ; mais ces lignes ont besoin de courtes explications qui fassent saisir l’ensemble et l’enchaînement de la pensée qui les a dictées.
En vous donnant tout d’abord pour but l’amour de Notre-Seigneur, de la Sainte Vierge sa Mère et de l’Église son Épouse, vous n’êtes pas averties seulement que tous les battements de votre cœur doivent être dirigés vers ce triple objet, mais encore que vous devez développer en vous toutes les vertus, dont Jésus et Marie vous offrent le modèle, toutes celles que réclame le service de l’Église, et vous préparer à tous les sacrifices qui pourront vous être demandés comme preuve de votre amour. Or, ces dispositions veulent être développées et c’est pour cela que nous devons les appuyer sur quelque chose de solide et de pratique à la fois.
Je ne connais rien de plus solide et de plus pratique que les trois vertus théologales et les vertus chrétiennes qui en découlent directement. Seulement parmi tant de vertus qui jaillissent de ces trois sources, nous pouvons choisir celles qui correspondent le mieux au but premier que nous nous sommes proposé(14).
b)
Le caractère plus spécial des Adoratrices, ou 2ème partie (p. 37-39).
Laissez-moi vous indiquer quatre conditions que selon moi doit avoir votre caractère d’adoratrices, c’est l’anéantissement, l’expiation, le zèle, l’union.
L’anéantissement. Qu’est-ce que l’adoration, en effet ? C’est un acte par lequel nous reconnaissons le suprême domaine de Dieu sur toute créature, et le sacrifice qui dans l’Ancienne Loi se rapporte à l’adoration, c’est l’holocauste où la victime était entièrement consumée par le feu. Le grand crime des temps modernes, c’est que Dieu n’est pas suffisamment adoré, n’est pas suffisamment reconnu pour maître souverain de toutes choses. Eh ! bien, votre vie d’adoratrices devrait consister à adorer pour vous et pour ceux qui n’adorent pas. Voyez par quels anéantissements, par quelle destruction de vous-même, par quelle proclamation des droits de Dieu, vous devez réparer les insultes qui lui sont faites.
L’expiation. C’est sans doute pour expier nos crimes que Notre-Seigneur est monté au Calvaire. Mais quand vous êtes à ses pieds, ne sentez-vous pas qu’il veut être adoré en union avec les sentiments qu’il a eus ? Quoique ressuscité d’entre les morts, il n’en est pas moins la victime par excellence, l’agneau qui efface les péchés du monde ; et, quoique son oblation soit surabondante, il vous demande de la rendre plus abondante encore, si je puis m’exprimer ainsi, et c’est à ce point de vue que vous devez être victimes pour le péché.
Lorsqu’au pied du Saint-Sacrement vous vous considérez, comme Notre-Seigneur au Jardin des Olives, en face de la justice de son père, entrez-vous dans tous les sentiments qui submergèrent l’âme de notre divin Maître en ce terrible moment ? Voyez ce que peut être alors votre prière ; voyez ce qu’elle peut offrir ; voyez comment entre cette prière douloureuse et une vie d’expiation il doit se trouver une relation intime, et comment en vous retirant d’auprès de l’adorable victime, vous devez vous faire victimes vous-mêmes, et à quel degré.
Zèle. Vous ne pouvez être apôtres comme les hommes évangéliques, mais vous pouvez être leur âme, comme Marie était l’âme des apôtres dans le Cénacle. Elle en est encore la reine, et vous qui êtes ses filles, vous pouvez comme elle prier pour les apôtres, et, par votre zèle au pied du Saint-Sacrement, aux pieds de celui qui a envoyé les apôtres, obtenir pour le successeur des apôtres, notre Saint-Père le Pape, pour les évêques, pour tous les prêtres, toutes les grâces d’apostolat qui leur sont nécessaires.
Voyez-vous, mes chères filles, le corps humain a comme deux foyers, la tête et le cœur. La tête commande, dirige, gouverne; mais le principe de la chaleur et de la vie, c’est le cœur. Le cœur n’agit pas, mais il est un principe d’action ; et vous, comme adoratrices, vous appartenez plus spécialement au cœur de l’Église de Jésus-Christ. Le cœur est invisible, et pourtant quelle n’est pas son action ? Vous n’avez pas à vous trop montrer, mais que de saintes choses vous ne devez pas remuer, si vous avez un véritable zèle !
Union. Que sera le bonheur dans le ciel ? L’union à Dieu. Et votre vie d’adoratrices sur la terre doit être un commencement du ciel. Qu’aurez-vous dans le ciel ? Dieu. Et, par zèle, ne l’avez-vous pas au Saint-Sacrement ? Ce que doit être cette union, quels en sont les mystères, quels en sont les transports, nul ne le peut dire ici-bas. Cette union est sans doute précédée de grandes souffrances. Quelle pureté, et, par conséquent, quelle purification Dieu n’exige-t-il pas d’une âme à laquelle il veut s’unir ! C’est à vous à voir, mes filles, à quel prix vous voulez payer ici-bas votre union avec Dieu dans l’éternité(15).
___________________________
1 Le Tiers-Ordre de l’Assomption a poursuivi son existence jusqu’à nos jours sous la forme d’amis ou d’auxiliaires de l’Assomption. On peut dire que l’Association des Adoratrices du Saint-Sacrement a été reprise, mais sous la forme d’une congrégation contemplative par le P. Picard, successeur du P. d’Alzon et fondateur des Orantes de l’Assomption.
2. ACR, DI 128.
3. ACR, CE 8-15, p. 40-41 (échange de lettres entre les tertiaires de Nîmes et ceux de Paris).
4. Renseignements fournis par les procès-verbaux des réunions (ACR, CE 18-23).
5. Le 27 décembre 1848, quatre novices du Tiers-Ordre•masculin firent leur profession : Durand, Monnier (laïcs mariés), l’abbé d’Everlange (prêtre) et Ferry (aspirant au sacerdoce). Le 30 avril 1849, cinq novices du Tiers-Ordre féminin firent leur profession : Mme Durand, Mme Bolze, Mme Rocher, Mme Rigot et Mlle Coirard.
6. La règle du Tiers-Ordre imposait seulement : "un office d’un quart d’heure à réciter ensemble (l’office des grandeurs de Jésus).pouvant remplacer la prière habituelle, une demi-heure de lecture sérieuse, un chapitre du Nouveau Testament". "C’est un culte extérieur dont on accepte le lien social", disait le P. d’Alzon à ses tertiaires, car ces pratiques sont "la marque d’un christianisme plus fort que l’on veut développer en soi" et "nous attachent plus intimement à l’Eglise."
7. Comme on le voit, le P. d’Alzon ne dresse pas une liste des activités apostoliques du Tiers-Ordre, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur de l’Assomption. Il n’en mentionne que deux à l’extérieur, fondées par lui et commises à d’excellents prêtres tertiaires : l’association de l’adoration nocturne du Saint-Sacrement, instituée en 1839, et la congrégation des bonnes domestiques, dite de Sainte Marthe, créée en 1850.
8. II Cor. 11, 17. Le texte de saint Paul porte : sicut ex Deo...
9. Pour le contexte de cette lettre, voir Ch. XIV C.
10. Office abrégé des Grandeurs de Jésus, Nîmes, typographie Ballivet et Fabre, rue de l’Hôtel de Ville, 11; 1847, 108 p., 11/7 cm.
11. Quand le P. d’Alzon parle de "vertu angélique" à propos de la chasteté, c’est en référence à l’exemple que donnent les anges d’un amour de Dieu préférentiel et exclusif.
12. Branche prévue dans les Constitutions des Religieuses de l’Assomption à cette époque.
13. Le P. A.SAGE, dans son livre : Un maître spirituel du XIXème, Rome 1958, p. 72-90, a montré l’importance de cet Examen raisonné dans la formulation par le P. d’Alzon de la spiritualité propre à l’Assomption.
14. Le texte poursuit en liant ainsi les vertus théologales et les vertus chrétiennes : foi et humilité, espérance et pauvreté, charité et chasteté; et cette première partie s’achève en parlant de l’apostolat comme caractéristique de l’esprit de l’Assomption.