CHAPITRE XXXIII
LES ADIEUX ET LA MORT DU PERE D'ALZON
Au début d'août 1880, le P. d'Alzon est accablé par les fortes chaleurs de l'été, sa santé profondément altérée marque un épuisement général(1). Ses médecins et ses amis le conjurent d'aller se reposer soit à Nice, soit à Notre-Dame des Châteaux, soit à Lavagnac, soit à Lamalou, soit à Lourdes. Le Père demeure invincible dans la résolution qu'il a prise de ne plus quitter Nîmes. Le souci de la congrégation le poursuivait sans cesse, mais aussi une secrète conviction le poussait à se préoccuper de sa mort et à s'y préparer comme à un événement prochain. "Je baisse très fort depuis quelque temps, écrivait-il le 10 août, je sens que l'heure de la fin approche(2)."
Tandis que ses religieux étaient en pèlerinage à Lourdes et que, dans sa maison natale du Vigan, se reposait l'évêque de Nîmes, le P. d'Alzon faisait au collège de l'Assomption une retraite de quinze jours qu'il appela "sa préparation à la mort". Le 30 août il écrivait à la Mère Marie du Christ, supérieure à Nîmes des Religieuses de l'Assomption : "Votre Père de 70 ans (je les ai) s'aperçoit que les retraites de quinze jours ne sont plus faites pour lui. Si vous saviez quel épuisement de cervelle j'éprouve(3) !"
Il voulut s'entretenir de la situation de l'Eglise avec le P. de Vaulchier, prieur de la Chartreuse de Valbonne, et là, de nouveau, du 13 au 18 septembre, il se livre à la retraite. "Le calme est si bon, écrit-il, pour se préparer au repos éternel." En songeant encore aux expulsions, il ajoute : "Peut-être sont-ce des adieux, car où serons-nous dans quinze ou vingt jours(4) ?"
Il revint plus fatigué et reçut "la nouvelle du désistement d'une personne sur laquelle il avait le droit de compter comme sur une vocation précieuse pour une œuvre importante". Il s'en ouvrit à Mère Marie du Christ pour qu'elle en informe Mère Marie-Eugénie, la suprême confidente de toutes ses peines. L'une de ses dirigées de choix, qu'il avait aidée dans son veuvage, ainsi que les siens, par des "bontés inouïes", et qui devait entrer chez les Oblates, "rompant avec lui et sans lui dire même pourquoi", avait été consulter Don Bosco à Turin et s'était orientée vers le Sacré-Cœur. Mère Marie du Christ écrit le 11 octobre: "Tout ceci est très profond chez le P. d'Alzon. C'est la seconde fois que je le vois pleurer devant moi. Il m'a dit : "Sur qui compter ? Il n'y a que Dieu(5)."
Pour la troisième fois, il se livre à la retraite, en présidant les exercices annuels de ses religieux, prêchés par le P. Laurent du 21 au 29 septembre. Le 29 septembre, au terme de la retraite, il donne l'habit à quatre novices et s'adresse à ses religieux. Ce fut sa dernière cérémonie et sa dernière instruction comme fondateur et supérieur de 1'Assomption.
Le 1er octobre, il achevait le dernier article tombé de sa plume, à paraître dans La Croix, où il montre que l'Etat-Dieu est une aberration, car "il professe l'hérésie de la souveraineté de l'homme contre Dieu". "Je crois qu'il sera fort et intéressant, écrit-il. La bonne opinion que j'ai de moi(6) !"
Tandis qu'il prévoit des lieux de repli à l'étranger pour ses religieux, il doit aussi assurer la rentrée scolaire. D'autre part, devant l'imminence des expulsions des religieux, il songe à vendre le terrain du patronage et la partie du collège qui donne sur l'avenue Feuchères : "Les dettes seront payées, et puis, à la garde de Dieu(7) !" La rentrée scolaire eut lieu cependant.
Mais le P. d'Alzon accuse la fatigue dans le courant du mois d'octobre. "C'est le 11 octobre, nous dit Mère Emmanuel-Marie Correnson, supérieure générale des Oblates, qu'il célébra sa dernière messe, et ce fut pour sa mère qui était morte le 12 octobre 1860." Le lendemain le P. Picard arrivait à Nîmes. Le 16 octobre survint la mort inopinée de Germer-Durand, responsable du collège devant l'Académie, collaborateur et ami du P. d'Alzon depuis les débuts de l'Assomption en 1843.
Le 21 octobre le gouvernement refuse d'agréer le successeur proposé de Germer-Durand et ordonne de renvoyer les élèves. On réussit à éviter ce malheur. Mais devant de telles difficultés, et surtout l'imminence des expulsions, le P. d'Alzon, convoquant les Pères Picard, Laurent et Emmanuel Bailly, nomme le P. Picard vicaire général de la congrégation (v. infra 1). Cette décision eut pour effet une amélioration provisoire de son état de santé. Il put se lever et même faire quelques visites en voiture. Le mercredi 27 octobre, jour du banquet des anciens élèves, il descend un instant dans la cour : "Il venait, écrira Mgr Besson, sourire une dernière fois à ses hôtes, revoir cent visages connus et aimés, serrer les mains qui se pressaient en tremblant autour de la sienne; on se sépara, les larmes dans les yeux et portant au fond de l'âme le deuil d'un père(8)."
Il fut décidé que le P. d'Alzon partirait pour Lavagnac le 29 octobre, sur la demande de son neveu et de sa nièce, pour que l'amélioration se poursuive; et le P. Picard quitta Nîmes pour Paris le 28, afin de parer à toute éventualité, si des actions policières étaient entreprises contre la résidence de la rue François-Ier ou le noviciat de Sèvres. Informée des dernières nouvelles, Mère Marie-Eugénie de Jésus, supérieure générale des Religieuses de l'Assomption, écrivait au P. d'Alzon le même jour : "Quelles inquiétudes vous nous avez données, et comme vous êtes obligé, pour nous les éviter à tous, de prendre le parti d'un repos long et sans ennuis."
Et elle l'invitait à venir le prendre à Auteuil : "Nous serons bien telles que vous nous voudrez, nous ne vous ennuierons pas, nous vous soignerons et ne nous mêlerons de vous distraire qu'après vous avoir consulté(9)."
En cette fin d'octobre, la menace des expulsions passait dans les faits. A Nîmes, le 30 octobre, on sévissait contre les Récollets.
Entre-temps, alors que tout était prêt le 29 octobre pour le départ du Père à Lavagnac, une nouvelle crise de santé se produisit dans la nuit du 29 au 30, si bien que le docteur déconseilla tout voyage. "Quelle était la maladie du P. d'Alzon ?" demandait son entourage au médecin qui le soignait. "Pas de maladie, répondit-il, les organes sont sains, mais tout est usé." A ces mots, son neveu, le comte de Puységur de s'écrier : "Mon oncle a fait tant de choses vite, il ne lui a fallu que deux mois pour devenir vieux, tandis que d'autres y mettent vingt ans(10)." Au médecin qui lui disait : "Votre santé est comme un capital ébréché", le Père répondait : "J'en ai ébréché tant dans ma vie que je pouvais bien ébrécher celui-là".
Mgr Besson exprima le désir que le P. d'Alzon soit transféré à l'évêché, afin de lui éviter l'émotion de voir son collège forcé par la police et ses religieux expulsés. Le Père voulut demeurer en sa maison et auprès des siens. Pour tout confort, il "consentit à abandonner ses tréteaux et ses planches et accepta, pour les dernières heures à passer sur la terre, un lit d'emprunt offert par Mlle Joséphine Fabre"(11). La fenêtre de sa chambre donnait sur la rue de la Servie au-dessus de la porte d'entrée et, malgré tous les ménagements pris, il ne pouvait ignorer le bruit de la foule massée aux abords du collège, soit pour défendre les religieux et protester en cas d'intrusion de la police, soit aussi pour s'amuser de l'événement qui ne manquerait pas de saveur.
On ne savait pas s'il fallait séparer la communauté des novices de la communauté des religieux, pour ne pas compromettre davantage l'établissement scolaire. Par deux fois on les fit se disperser, le 30 octobre et le 2 novembre.
Le 2 novembre Mère Marie du Christ écrit que le docteur Combal déclare "le P. d'Alzon perdu... Il constate un grand progrès dans le mal... Il craint une anémie cérébrale. [Le Père] peut finir d'un moment à l'autre, subitement". Comme on a averti que l'expulsion "est pour six heures demain matin, Combal vient de donner un certificat pour qu'on ne force pas le P. d'Alzon à sortir"(12) (v. infra 2).
Il y avait donc lieu de songer aux derniers sacrements, que le P. d'Alzon accepta avec calme et lucidité lorsque le P. E. Bailly les lui proposa : "Je préfère beaucoup, dit-il, que vous procédiez ainsi et que vous me disiez la chose simplement." Le 3 novembre donc, alors que depuis six heures la rue de la Servie était envahie par une foule bruyante et sympathique attendant les crocheteurs d'un moment à l'autre, pendant que cinquante amis, anciens élèves et parents étaient dans les parloirs et les cours pour nous défendre, écrira le P. E. Bailly dans une lettre circulaire, le P. d'Alzon recevait les sacrements de l'Eglise. Il s'est confessé; on lui a porté le Saint-Sacrement sans éclat et sans bruit pour éviter les émotions trop vives. Il s'est uni à toutes les prières, a réclamé l'étole, voulant se lever et s'habiller et n'a consenti à rester dans son lit qu'après une injonction formelle. Il a présenté lui-même ses mains, ses pieds, et a presque guidé le P. E. Bailly dans son ministère. Son visage était comme illuminé : le calme, la joie, la foi et la paix y rayonnaient tout ensemble. Prévoyant sa sépulture, il tint à faire une recommandation expresse : "Je veux être enterré en religieux, et vous direz au curé de Sainte-Perpétue qu'étant religieux d'une communauté qui est sur sa paroisse, c'est à sa paroisse que je veux qu'on fasse le convoi, après les prières faites ici, et que j'aie l'enterrement d'un religieux."
Quand tout fut fini, il amorça une scène d'adieu en s'adressant aux trois personnes présentes : "Allons, dit-il au P. E. Bailly, que je vous embrasse, et vous direz à tous les religieux de la Congrégation que je les embrasse. Et Henri, venez vous aussi, et vous ne manquerez pas de dire à tous les domestiques que je les ai embrassés aussi en vous embrassant(13)."
Maîtrisant son émotion, le P. E. Bailly signifia au P. d'Alzon qu'on n'en était pas là et qu'il devait se reposer. Puis il retourna aux tristes préoccupations du crochetage, de la foule, des témoins et de la défense.
Informée de l'événement, Mère Emmanuel-Marie Correnson vint à 11 h. de matin faire une visite au P. d'Alzon qu'elle trouva debout devant sa cheminée se taillant les ongles. Dans ce geste familier, il était jusqu'au bout fidèle, par respect pour son sacerdoce, nous disent Mère M. Eugénie et le Dr Gouraud, à soigner ses mains d'une manière irréprochable. "Il me reçut, poursuit la Mère des Oblates, en me disant, les yeux pleins de larmes : "Je ne pourrai pas vous donner les derniers sacrements comme je vous l'avais promis, le P. E. Bailly vient de me les administrer(14)." Une sensibilité que ses larmes trahissent, une énergie qui le tient debout : tels sont le cœur et l'âme du P. d'Alzon à l'issue d'une cérémonie qui l'orientait vers la mort.
Lorsqu'on sut par télégramme, le vendredi 5 novembre, que les communautés de Paris et de Sèvres avaient été expulsées, tout le monde, y compris les novices dispersés, revint au collège, puisqu'il était évident, qu'on poursuivait les religieux comme religieux, et que la présence des novices ne compromettait pas davantage le collège. La rumeur toujours insistante laissait prévoir pour le lendemain l'intervention des agents du gouvernement, à tel point que Mgr Besson décida de passer la nuit à la Maison de l'Assomption. Il rédigea une protestation qu'il se proposait de lire lui-même (v. infra 3).
Tout le monde a voulu devancer l'action de la police, prévue pour six heures du matin. La population chantait des cantiques sous la fenêtre du P. d'Alzon devant la grande porte qui devait être enfoncée (v. infra 4 et 5). Rien n'arriva ce jour-là. La menace se fit plus précise le 13 novembre. Dumaret, préfet du Gard, faisait remettre au supérieur de la congrégation un arrêté préfectoral déclarant dissoute "l'agrégation formée à Nîmes par les membres de l'Association non autorisée, dite des Pères Augustins de l'Assomption", un délai de trois jours étant accordé pour se disperser(15).
Averti de Nîmes, le sénateur Numa Baragnon, ancien élève du collège, eut deux entretiens, les 16 et 17 novembre, avec Jules Ferry, président du Conseil et ministre de l'Instruction publique, auteur et responsable en haut lieu de l'exécution des décrets. Il fit savoir qu'une tractation était en cours auprès du Conseil académique de Montpellier : à la date du 9 décembre, un laïc serait pleinement chef d'institution, le nombre des religieux serait réduit au minimum, une société civile assumerait la responsabilité de l'établissement. Autrement dit, pour sauver le collège, mieux valait ne pas se donner la gloire inutile de l'expulsion(16).
De son côté, Mgr Besson porta lui-même, ainsi qu'il le dira dans sa lettre d'éloges du 25 novembre, jusque devant le Président de la République l'expression de ses doléances, "réduit à demander pour le religieux mourant quelque sursis à l'exécution d'un décret que la postérité la plus reculée ne saura jamais absoudre, ni excuser, ni comprendre" (17).
Depuis que le préfet avait dissous, le 6 novembre, le Conseil municipal, le peuple était de plus en plus exaspéré. Mère Marie-Eugénie écrivait le 16 novembre : "On fermerait le collège si on n'avait pas peur de la population. Le préfet a été pris à la gorge par des femmes qui lui ont dit : "Si tu vas chez d'Alzon, tu verras !(18)".
Entre-temps le P. Picard était arrivé de Paris avec Mère M. Eugénie le 7 novembre (v. infra 6). Une crise d'urémie s'était déclarée et rendait plus pénible et plus irréversible l'affaiblissement progressif du malade. Il était temps d'informer la congrégation de la décision qu'avait prise le P. d'Alzon de se donner un vicaire général dans la personne du P. Picard. Nous lisons dans les éphémérides du 11 novembre: "Avant de commencer à souper, le R.P. Emmanuel dit à la communauté que le T.R.P. étant très malade a désigné pour le remplacer dans le gouvernement de la Congrégation le R.P. Picard comme vicaire général. Celui-ci demande alors de prier pour que le Père guérisse, et permet toutes les mortifications que l'on voudra à cette intention(19)."
Le P. Picard ne pouvant se faire d'illusion sur l'issue de la maladie du P. d'Alzon demande, par l'intermédiaire de Mgr Macchi, Maître de Chambre de Sa Sainteté, une bénédiction du Pape Léon XIII, pour le Père d'Alzon qui se mourait. Le 13 novembre, il écrit au P. V. de P. Bailly : "Il faut s'attendre à tout". Le 14 il précise : "Notre cher malade est toujours dans le même état de faiblesse, il passe des souffrances aiguës à la somnolence... D'ici trois ou quatre jours nous pouvons craindre un malheur. Avant-hier, je lui disais : "Tout le monde prie pour vous". Il me répondit : "Pour moi, je ne puis plus prier". Depuis lors cette impuissance devient de plus en plus évidente. Pourtant il communie tous les matins."
Le 15, nouvelles précisions : "Les douleurs sont plus aiguës et les forces diminuent. Notre cher malade se lève pourtant pour les choses essentielles; il ne veut prendre aucune précaution dans son lit, ce qui le fatigue énormément, car il est obligé de se faire lever toutes les dix à 12 minutes. Aussitôt remis dans son lit, il s'endort; pourtant il a toujours sa tête, et même il trouve encore la pointe malicieuse(20)."
Profitant d'un moment d'accalmie, le P. Picard fit savoir à Mère M. Eugénie qu'elle pouvait se rendre auprès du P. d'Alzon mourant. Cette dernière rencontre, qui devait sceller sur la terre une longue amitié spirituelle et une entraide religieuse inaltérée, malgré des incompréhensions passagères, eut lieu le 14 novembre à trois heures de l'après-midi (v. infra 7). Les adieux que fit le P. d'Alzon à Mère Emmanuel-Marie Correnson et à toutes les Oblates eurent lieu le 16 novembre à sept heures du matin, "jour où il me fit appeler auprès de son lit, pour me bénir et bénir en même temps toute la Congrégation"(21 ).
Ce même jour, 16 novembre, à 10 h. 30, c'est Paul Pèlerin, ancien élève, qui s'agenouille auprès du lit du P. d'Alzon et reçoit sa bénédiction "pour et au nom des anciens élèves".
En début d'après-midi, on crut que le moment était venu, avant qu'il ne fût trop tard de réunir tous les religieux autour du P. d'Alzon pour lui demander une dernière bénédiction (v. infra 8). Quelques instants après cette réunion d'adieux, une dépêche arrivait de Rome, annonçant que le Saint-Père accordait la bénédiction implorée.
Dans une lettre accompagnant la dépêche de Léon XIII, Mgr Macchi écrira le 18 novembre : "Je puis vous dire que le Saint-Père s'est intéressé à la triste nouvelle de la grave et dangereuse maladie du T.R.P. d'Alzon; il s'en est montré bien peiné et a accordé la bénédiction apostolique qui était implorée, avec une bienveillance toute particulière et paternelle. Que cette bonté et cet intérêt du Souverain Pontife puisse vous consoler au milieu de tant de peines et d'angoisses dans lesquelles vous êtes maintenant(22)."
Le soir même du 16 novembre, le P. d'Alzon recevait la visite de l'évêque de Nîmes, venu solliciter une bénédiction pour lui-même, pour son clergé et pour le diocèse (v.infra 9).
Après Mgr Besson, se présente Mgr de Cabrières, ancien élève et collaborateur du P. d'Alzon, devenu en 1874 évêque de Montpellier. En route vers Lyon, il interrompt son voyage pour demander lui aussi une ultime bénédiction.
Tous les foyers de prière qui se sont allumés depuis la nouvelle de l'extrême-onction du P. d'Alzon convergent vers Nîmes pendant ces jours de lente et paisible agonie. "Le P. d'Alzon, écrit Mère M. Eugénie le 16 novembre, va doucement à l'éternité. Je dis doucement, quoiqu'il souffre beaucoup par moments, mais parce que les progrès de la destruction se font petit à petit. Il tombe à chaque instant dans un sommeil d'épuisement; c'est son seul soulagement aux douleurs qui ont la vessie pour siège, et dont du reste il ne se plaint jamais. Quand on lui parle de sa souffrance, ou il ne répond pas, ou il dit : "Pas autant que je le mérite(23)."
"Quel contraste entre sa position et la nôtre, écrit le Fr. Philippe Pesant le 18 novembre, au P. Paul Bador, supérieur de l'alumnat des Châteaux. Tandis que nous sommes ployés dans la douleur et la tristesse, ce bon Père conserve un calme et une sérénité admirable; il nous reçoit toujours le sourire sur les lèvres, et si sa parole ne peut se faire entendre, son regard du moins montre assez combien il est heureux de mourir(24)."
Au docteur Correnson qui lui demande, ce même jour, "Comment allez-vous ?" - "Comme quelqu'un qui part", répond-il en souriant. Et le Père Picard qui rappelle ce mot, d'écrire au P. V. de P. Bailly : "Le travail de la grâce est évident, toute vivacité a disparu. Pas un mot de plainte ou de gémissement depuis le commencement de la maladie : c'est la croix dans le ciel, ou la possession de Dieu dans l'agonie(25)." Et le 20 novembre, il écrit au P. Pernet : "La Sainte Vierge nous réserve notre Père pour le jour de sa Présentation. Demain sera probablement un jour de deuil ou de miracle. Prions toujours. Je viens de vous nommer à lui, ainsi que les Petites Soeurs, et le P. Bailly, et tous nos amis et bienfaiteurs. Il vous a tous bénis en particulier(26)."
On lit dans les éphémérides de ce jour : "Règlement ordinaire. A 4 h. 45, immédiatement après le lever, le T.R.P. d'Alzon ayant demandé à recevoir le Saint Viatique, tous les religieux accompagnent le Très Saint-Sacrement... On continue les prières pour le Père qui va toujours s'affaiblissant, mais qui garde toujours sa pleine connaissance. Le soir, avant de se coucher, on récite encore la prière des agonisants(27)."
Le dimanche 21 novembre, jour de la fête de la Présentation de la Sainte Vierge, vers 9 h., les novices sont invités à se rendre de nouveau en leur chapelle, car le P. d'Alzon se trouve à ses derniers moments. Puis, ils rejoignent les élèves dans la chapelle du collège et l'on récite ensemble la prière des agonisants, tandis que les Pères ne quittent pas le chevet du P. d'Alzon. "A midi, est-il écrit dans les éphémérides, notre bien-aimé Père et Fondateur s'endort dans le Seigneur et nous quitte pour aller prendre au ciel la place que lui ont méritée sa sainteté et tout ce qui constitue une vie longue et sainte(28)."
D'autres témoignages, auxquels fera allusion l'article liminaire de La Croix de décembre, nous disent que les religieux qui entouraient le P. d'Alzon, après les prières des agonisants, poursuivirent par celle du rosaire : "Ils parvinrent, après les mystères douloureux, aux mystères glorieux, lorsqu'on eut achevé la 14e dizaine, celle de l'Assomption, le Père poussa un dernier cri : "Mon Jésus, je vous aime !". C'était l'heure de midi, en la fête de la Présentation : Notre-Dame de l'Assomption l'avait emmené au temple éternel. Sur la terre les cloches sonnèrent joyeusement l'angélus annonçant aux fidèles la bonne nouvelle de l'ange : L'Ange annonça à Marie qu'elle avait un fils(29)."
Tandis que se répandait la nouvelle du décès du P. d'Alzon, son corps était exposé dans la chapelle du collège, à laquelle le public eut accès à partir du lundi 22 novembre(30). Ce jour-là et le lendemain, ce fut dans la chapelle un défilé incessant de fidèles. Beaucoup manifestaient leur émotion et exprimaient la vénération qu'ils portaient au défunt en faisant toucher au corps ou, après la mise en bière, au cercueil, leur chapelet ou quelque autre objet de piété. Un registre avait été ouvert : il porte 1377 signatures. Et tandis que tous les religieux qui le pouvaient rejoignaient Nîmes, les témoignages de sympathie affluaient, disant la peine éprouvée mais aussi l'estime, la vénération, la reconnaissance portées au défunt que beaucoup n'hésitaient pas à qualifier de saint (v.infra 10).
Les funérailles eurent lieu dans la matinée du 24 novembre et se déroulèrent en deux temps. Dans la chapelle du collège d'abord, où Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, présida le chant solennel de la messe des morts. Après ce service plus intime, eurent lieu les obsèques à l'église paroissiale de Sainte-Perpétue où l'absoute fut donnée par l'évêque de Nîmes Mgr Besson. Sur le trajet du cortège funèbre qui gagna ensuite le cimetière Saint-Baudile, se pressait une foule qu'on a évaluée à 30 000 personnes(31) et dont le silence recueilli impressionna tous les témoins.
1
Extrait de la lettre circulaire du P. Emmanuel Bailly, annonçant la nomination par le P. d'Alzon du P. Picard comme vicaire général de la congrégation, Nîmes, 18 novembre 1880.- Orig.ms. ACR, OM 292.
Le 21 octobre 1880, devant deux témoins, les Pères Laurent et Emmanuel Bailly, le P. d'Alzon nomme le P. Picard vicaire général de la congrégation. Le P. Emmanuel Bailly décrit cette scène et rapporte les paroles du P. d'Alzon motivant la décision qu'il a prise de se démettre.
Alors commença une scène qui nous déchira l'âme. Le Père joignit ses mains sur la poitrine comme s'il se mettait en prière et, avec une voix pleine de lenteur et de gravité, comme s'il dictait ses suprêmes volontés, il nous dit :
"Mes chers Pères, je vous ai réunis pour vous déclarer que je me sens désormais incapable de supporter les émotions comme celle que vient de me donner la nouvelle qu'est venu m'annoncer le P. Picard(32). [...] C'est là le résultat de mon état de santé, et c'est une chose qui ne dépend plus de moi. J'ai bien considéré devant Dieu ce que j'avais à faire... Je nomme le P. Picard mon vicaire général et je lui laisse le soin de traiter les affaires de la Congrégation... Ce n'est pas, remarquez-le bien, que je veuille le moins du monde me dérober au travail et à la peine. Dieu m'en garde ! Tant que les forces m'ont suffi, j'ai fait ce que j'ai pu, mais aujourd'hui je suis forcé de reconnaître que je ne puis plus, et j'accomplis un devoir. [...] J'ai voulu vous appeler tous les trois(33), afin de vous mettre au courant de mes intentions [...]"
Il nous semblait que le Père nous avait dicté ses dernières volontés.
2
Deux certificats médicaux donnés durant la dernière maladie du P. d'Alzon
a) Certificat du Dr Henri Correnson. - Orig.ms. ACR, DL 113.
Le Docteur Correnson, médecin de Nîmes et médecin attitré du collège, était le frère de Mère Emmanuel-Marie, la co-fondatrice des Oblates.
Je soussigné, Henri Correnson, docteur en médecine de la faculté de Paris, certifie que le Révérend Père d'Alzon est en ce moment très malade et que la moindre émotion lui serait très préjudiciable, peut-être même fatale.
Il est de notre devoir de défendre toute espèce de visite, sous quelque raison que ce soit : son état grave ne permettant à personne de pénétrer dans sa chambre.
En foi de quoi nous délivrons le présent certificat que nous déclarons conforme à la vérité.
Nîmes, ce 26 octobre 1880.
b) Certificat du Dr Combal. - Orig.ms. ACR, DK 284.
Le Docteur Combal, médecin de Montpellier, était un ami du P. d'Alzon et de sa famille.
Je soussigné, Professeur de Clinique médicale à la faculté de médecine de Montpellier, appelé pour la 2e fois en consultation auprès du Révérend Père d'Alzon, déclare avoir constaté chez lui un état cachectique consécutif à de nombreuses poussées fluxionnaires rhumatismales sur les centres nerveux. J'ajoute que cette affection grave a acquis, depuis environ un mois, un tel degré d'acuité qu'elle exige des soins continus, les plus grands ménagements et un repos absolu.
Nîmes, le 2 novembre 1880.
3
Extrait de la protestation que Mgr Besson rédigea pour la lire lui-même aux crocheteurs, Nîmes,
5 novembre 1880. - Orig.ms. ACR, HI 31.
Mgr Besson proteste au nom de la religion, des élèves du collège et du P. d'Alzon son grand vicaire, maintenant malade à mourir.
C'est l'évêque de Nîmes que vous rencontrez le premier au seuil de cette maison violée par un sacrilège. Je proteste comme évêque au nom de la religion, [...] comme citoyen, au nom de la liberté de conscience méconnue, [...] comme homme, au nom de la nature et de l'humanité, puisque vous n'êtes arrêtés ni par les trois-cents enfants qui peuplent le collège, ni par la maladie très grave du T.R.P. d'Alzon qui en est le fondateur et la gloire. Je suis l'ami de cet illustre malade et il est mon grand vicaire. A ce double titre il est de mon devoir de vous arrêter au seuil de la chambre où ses médecins et ses amis veillent sur une existence si chère.
4
Extrait de la lettre du P. E. Bailly au P. Picard, Nîmes, le 6 novembre 1880. - Orig.ms. ACR, OM 260.
Détail de la situation au collège de l'Assomption lorsque la foule y attendait les crocheteurs et que le P. d'Alzon déclinait.
Près de soixante personnes étaient là. Le collège ressemblait à une maison en état de siège; la foule stationnait dans les rues, devant la porte, chantant des cantiques, surveillant les moindres apparences d'attaque et montant la garde. A l'intérieur, les parloirs, l'infirmerie, les cours étaient envahis par les défenseurs. [...] On ne dort plus, on campe nuit et jour. C'est une vie écrasante quand elle vient se joindre à cette très grande, très inconsolable douleur de l'état toujours très grave de notre Père.
5
Extrait de lettre de Mère Marie du Christ, supérieure des Religieuses de l'Assomption de Nîmes, à la maison-mère d'Auteuil (Mère Thérèse-Emmanuel), le 6 novembre 1880. - Orig.ms. ACRA.
Pauvre Père ! Que les desseins de Dieu sont impénétrables ! Lui qui aurait été si grand et si vaillant devant cette foule, est incapable à cette heure de prendre aucune part active à tout ce qui se passe autour de lui; il voit tout, entend tout et ne peut rien faire. [...] Si le pauvre P. d'Alzon meurt pendant l'exécution, ces Messieurs disent qu'on ne peut répondre de ce qui arrivera, tant l'excitation est grande contre le préfet.
6
Extrait de la lettre de Mère M. Eugénie au P. V. de P. Bailly, Nîmes, le 8 novembre 1880. - Orig.ms. ACRA.
La Mère dit que le P. d'Alzon est dans les "plus saintes dispositions" et prêt à présenter "une riche moisson".
Vous savez les tristes nouvelles du P. d'Alzon qui est de plus en plus mal. [...] Il faut lever les yeux au ciel, le Père ne fait que se préparer depuis longtemps; il est dans les plus saintes dispositions, bon pour tous et prêt à présenter la riche moisson qu'il a faite pour le Père de famille avec les talents qu'il a reçus. Puissions-nous être aussi sûrs de l'emploi de notre vie !
7
De la lettre de Mère Marie du Christ à Mère Thérèse-Emmanuel, Nîmes, le 15 novembre 1880. -Orig.ms. ACRA.
Récit de la dernière rencontre entre Mère M. Eugénie et le P. d'Alzon mourant, le 14 novembre.
On nous a fait aussitôt monter chez le Père. Notre Mère n'est pas entrée dans la chambre, mais s'est agenouillée sur le seuil de la porte ouverte en face du lit. J'étais derrière elle. La chambre était obscure. Le P. d'Alzon demanda tout haut qu'on ouvrît bien les volets pour qu'il puisse voir notre Mère. Sa première parole fut : "Que c'est donc triste, chère Mère, de se voir si peu de temps !" Notre Mère lui dit que tous nos cœurs étaient bien avec lui et que l'on priait. "Oh oui ! demandez pour moi la résignation". Notre Mère lui demanda pardon, si émue; le Père ne voulait pas qu'elle continue et dit : "Je pardonne, je pardonne, ma bonne chère Mère, priez bien pour moi". Notre Mère : "Oui, nous prions bien pour votre guérison ou pour tout ce que Dieu voudra". "Oui, tout ce que Dieu voudra; c'est cela, pas autre chose". Notre Mère lui demanda sa bénédiction pour toute la Congrégation. Il lui répondit : "Je bénis toutes les Sœurs, la Congrégation, vous, ma chère Mère", et il prononça la grande formule d'une voix très forte.
8
Extrait des Éphémérides du noviciat de Nîmes, le mardi 16 novembre 1880. - ACR, D 49.
Un novice, le Fr. Victor Uginet, raconte les adieux du P. d'Alzon mourant à ses religieux. Cette scène a été rapportée également par le P. Emmanuel Bailly dans sa lettre circulaire aux religieux de l'Assomption du 18 novembre 1880 (Orig.ms. ACR, 0M 292).
Mardi 16, Dédicace de la basilique du S. Sauveur.
Règlement ordinaire le matin. Le T.R.P. d'Alzon communie encore vers 6 h. 45 mais n'a plus de forces.
A 1 h. 30, le péril était imminent, tous les religieux se réunissent dans la salle de l'infirmerie du collège et quand le Père le veut, tous vont se ranger autour du lit du T.R.P. d'Alzon par rang d'ancienneté . Alors le Père pouvant à peine parler et souffrant beaucoup de la prostration qui l'accable nous dit : "Mes frères, après Dieu, Notre-Seigneur et la Sainte Vierge, vous êtes ce que j'ai le plus aimé sur la terre"... et quelques instants après : "Il faut nous séparer... Soumission à la volonté de Dieu !... Il est le Maître !" Le P. Picard lui demande alors, au nom de tous, pardon de toutes les offenses que nous lui [avons] faites. Le Père répond : "C'est moi qui devrais me mettre à genoux et vous demander pardon." Le P. Picard lui dit en sanglotant : "Ô mon Père, donnez-nous votre bénédiction." Le Père fit un grand effort et donna la bénédiction à tous les religieux à genoux en pleurs. Le P. Picard lui dit : "Vous nous protégerez ?" Le Père répond : "Autant que j'en suis capable." Le P. Picard lui dit : "Bénissez aussi toutes les autres maisons." Le Père répond : "Oui, je suis bien avec elles." Le P. Picard lui baise la main et le Père dit : "Soyez de bons religieux. - Il y a beaucoup de bons religieux qui ne sont pas ici, mon cœur les atteint tous." Chacun lui baise la main en pleurant et l'on se rend à la chapelle du noviciat pour réciter (vers 2 h.) Vêpres et Complies précédées du 2e chapelet. - Quelques instants après que les religieux sont à la chapelle, on reçoit la réponse de Rome à la dépêche que le P. Picard avait envoyée hier au soir à Mgr Macchi pour demander à Sa Sainteté Léon XIII la bénédiction apostolique pour notre Père mourant et la réponse dit : "Sa Sainteté accorde la bénédiction implorée." - Aussitôt que le T.R.P. d'Alzon eut connaissance de cette dépêche, il demande si les religieux étaient à la chapelle, et, sur la réponse affirmative, il voulut qu'on la leur lût et que les prières se continuent à la chapelle. - C'est pourquoi on passe la soirée jusqu'à 4 h. 30 à la chapelle. De 4 h. 30 à 6 h. 30, on fait des lettres pour toutes les maisons de la Congrégation, faisant connaître ces dernières nouvelles.
A 7 h. 15, office. Arrivée de Mgr de Cabrières, du P. Alexis et de M. de Puységur, neveu du Père, à cause du T.R.P. d'Alzon. - A 8 h., souper, récréation. Un quart d'heure après qu'on est couché, on se lève et l'on se rend à la chapelle du collège pour réciter les prières des agonisants jusqu'à 10 h. 15. - On se couche alors et le T.R.P. d'Alzon ne va pas mieux.
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Extrait de la lettre de Mgr Besson évêque de Nîmes au clergé de son diocèse, Nîmes, le 25 novembre 1880. - ACR, DG 190.
Au soir du 16 novembre, Mgr Besson se rendit au chevet du P. d'Alzon mourant pour solliciter sa bénédiction. C'est cette scène qu'il décrit ici.
Avant de nous la donner, le P. d'Alzon voulut être béni par son évêque, baisa l'anneau pastoral et se signa avec un profond respect. Son neveu, ses plus intimes amis s'approchèrent et lui baisèrent la main après nous. Il avait sur son lit une magnifique étole qui avait appartenu à Pie IX, et ses mains consacrées par l'huile sainte s'y appuyaient respectueusement. A la vue de cet insigne sacré, nous nous rappelâmes l'usage que l'on a à Rome de déposer l'étole sur la poitrine d'un prêtre mourant, quand il a reçu les derniers sacrements. On reconnaît à ce signe que le malade est séparé du monde, que l'Eglise a pris possession de sa demeure, et que ses dernières pensées et ses derniers soupirs doivent être pour la vie future.
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Extraits de témoignages adressés au P. Picard à la mort du P. d'Alzon (novembre 1880)
Du 21 novembre, jour de la mort du P. d'Alzon, à la mi-décembre, les témoignages de sympathie affluèrent à Nîmes, émanant de personnalités ecclésiastiques et de supérieurs religieux, de religieuses de diverses congrégations - au premier rang desquelles toutes les communautés des Religieuses de l'Assomption - d'anciens élèves du collège de Nîmes, de prêtres et de laïcs. La plupart de ces lettres ou télégrammes - les Archives de l'Assomption en ont conservé environ 160 - dépassent le style conventionnel des condoléances et constituent de vrais témoignages sur la personnalité du P. d'Alzon, sur l'estime dans laquelle on le tenait, la reconnaissance qu'on lui vouait.
Celui qui, un siècle après la mort du fondateur de l'Assomption, relit ces témoignages ne peut manquer d'être frappé par l'image qui s'en dégage et qui est celle-là même que se fait l'historien : celle d'un homme de caractère, énergique et franc, généreux et désintéressé, d'un prêtre dévoré par son zèle pour les âmes, son amour de l'Eglise et de la vérité, son dévouement à la papauté pour la plus grande gloire de Dieu. Ces qualités, cet amour, ce zèle il les a portés à un tel degré qu'on n'hésite pas à faire de lui un saint, à l'intercession duquel déjà on se confie, et dont il importe, note une Religieuse de l'Assomption, d'écrire au plus tôt la vie pour l'édification personnelle des lecteurs mais aussi pour les enseignements que l'Eglise de France peut en tirer dans la situation pénible où elle se trouve.
Ne pouvant donner ici un échantillonnage complet des témoignages apportés à l'occasion de son décès sur la personnalité et l'action du P. d'Alzon, nous nous bornerons à citer, à titre d'exemples, des extraits de trois d'entre eux(34).
a) De la lettre de Mgr Macchi au P. Picard, Du Vatican, 23 novembre 1880. -Orig.ms. ACR, DQ 194.
Mgr Macchi, Maître de chambre de Sa Sainteté, fait part au P. Picard de l'affliction manifestée par Léon XIII à la nouvelle du décès du P. d'Alzon.
Je me suis empressé d'annoncer la triste nouvelle de la mort du Très Révérend Père d'Alzon à Sa Sainteté qui en a été bien affligée. Sa Sainteté a pris un bien vif intérêt à votre douleur; je puis vous assurer que Sa Sainteté a montré dans cette circonstance une bien grande estime pour ce bon Père d'Alzon, et toute émue, a daigné prier tout de suite pour le repos éternel de son âme, et m'a chargé d'envoyer aux orphelins une Bénédiction toute spéciale.
b) De la lettre de Mgr Gay au P. Picard, Poitiers, le 22 novembre 1880. - Orig. disparu; publiée dans La Croix, n° 9, p. 608-609 (décembre 1880).
Mgr Gay (1815-1892), évêque titulaire d'Anthédon et auxiliaire de l'évêque de Poitiers, était de longue date un ami de Mère Marie-Eugénie et par elle du P. d'Alzon. Il dit ici son admiration pour la personnalité et l'œuvre de ce dernier.
Ce prêtre si éminent, si bien doué, si généreux, si brave, si épris de la gloire de Dieu, si jaloux de ses droits, si zélé pour son règne, ce prêtre que vous aviez la grâce d'appeler votre père, a été certainement un de ceux qui, de notre temps, ont honoré le plus le sacerdoce et dont le passage en ce monde a été le plus bienfaisant. J'ai été, à de rares intervalles, le témoin de cette vie dont vous et vos chers pères et frères, avez pu constamment et intimement constater le grand caractère et les hautes vertus. Il ne m'est point arrivé de m'entretenir avec le P. d'Alzon sans ressentir pour lui quelque surcroît de sympathie, de respect et d'admiration. Vous me dites qu'il est mort en saint, sa mort a donc été la digne conclusion de sa vie.
c) De la lettre de Frédéric Fabrège au P. Picard, Montpellier, ce dimanche, [21 novembre 1880]. - Orig.ms. ACR, DQ 182.
Cet ancien élève du collège de l'Assomption dit tout ce que la jeunesse doit au P. d'Alzon dont il brosse le portrait.
M. d'Alzon a été un maître et un père incomparable; il a été surtout une grande personnalité par le sacrifice de sa vie. Nous lui devons le bienfait d'une éducation chrétienne; il nous a surtout formés par son exemple et l'influence souveraine de son esprit et de son dévouement.
Sa belle âme n'a vécu que pour l'Eglise et la France; son cœur a surtout battu pour la jeunesse; sa vie fut un rare exemple de désintéressement. Simple prêtre dans la hiérarchie ecclésiastique, il n'en a pas moins été une des figures les plus accentuées et les plus brillantes de l'Eglise de France au XIXe siècle. Si je me séparais de lui et de l'école dont il était l'honneur, sur certaines questions demeurées libres, personne n'admirait plus que moi, sa sincérité, sa loyauté, son humilité, sa passion des âmes, sa charité sans mesure et sans limites et ce besoin dévorant de tout sacrifier à son prochain, à son pays et à sa foi.
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1. A l'approche du Centenaire de la mort du P. d'Alzon, le P. Pierre TOUVENERAUD, alors postulateur de la Cause, publia une brochure intitulée "L'humble grandeur de la mort du Père d'Alzon" (Rome, Maison généralice, 1980, Série Centenaire n° 2). Il y déclare prendre "l'événement au niveau d'une documentation abondante (quelque 500 pages dactylographiées) que possèdent les Archives de la Congrégation" (p. 6). Le présent chapitre reproduit l'essentiel du récit du P. Touveneraud.
2. A Mère M. Eugénie. - ACR, AD 1814; T.D. 24, p. 380.
3. ACR, AL 396; T.D. 36, p. 114.
4. A Mère M. Eugénie. - ACR, AD 1817; T.D. 24, p. 382.
5. Lettre de Mère Marie du Christ à Mère M. Eugénie. - ACRA.
6. Au P. V. de P. Bailly. - ACR, AH 318; T.D. 28, p. 223.
7. Au même. - ACR, AH 318; T.D. 28, p. 223.
8. Lettre de Mgr Besson au clergé de son diocèse, 25 novembre 1880. -ACR, DG 190.
9. ACRA.
10. Cité par le P. Picard dans sa lettre circulaire du 21 novembre 1880.
11. VAILHE, Vie, II, p. 745.
12. Lettre à Mère M. Eugénie. - ACRA.
13. Récit du P. Emmanuel Bailly. - ACR, OM 291.
14. Récit de Mère Correnson. - ACR, DO 90.
15. Arrêté préfectoral et lettre du préfet du Gard l'accompagnant (13 novembre 1880). - ACR, EF 131-132.
16. Lettre de Numa Baragnon au préfet du Gard. - ACR, XR 28.
17. ACR, DG 190.
18. ACRA.
19. ACR, D 49.
20. ACR, EO 178 et 179.
21. ACR, 2 TH 164, p. 11.
22. ACR, DQ 136.
23. ACRA.
24. ACR, OM 286.
25. Lettre du 18 novembre. - ACR, EO 182.
26. Cop. ACR, EO 128.
27. ACR, D 49, 20 novembre 1880.
28. ACR, D 49, 21 novembre 1880.
29. La Croix, n° 9 (décembre 1880), p. 581.
30. Ces détails et ceux qui concernent les funérailles nous sont donnés par les Éphémérides du noviciat de Nîmes, ACR, D 49. La presse, locale et nationale, fit largement écho, elle aussi, à la mort et aux funérailles du P. d'Alzon : une trentaine d'extraits de presse les concernant ont été recueillis.
31. D'après le P. Tissot, dans une lettre du 25 novembre au P. Bador, ACR, OM 298.
32. Le P. Picard avait informé le P. d'Alzon de la lettre de l'inspecteur d'Académie déclarant que Louis Allemand, successeur de Germer-Durand, ne pouvait légalement être reconnu chef d'institution, vu que son certificat de stage était mal daté.
33. Les Pères Picard, Laurent et E. Bailly.
34. Les plus marquants d'entre eux ont été publiés par A. COLETTE dans Pages d'Archives, II, p. 257-271 et par P. TOUVENERAUD dans L 'humble grandeur de la mort du P. d'Alzon, p. 66-69, Rome, 1980.