CHAPITRE XVII
LE P. D'ALZON, VICAIRE GENERAL DE NIMES, DU CONCILE D'AVIGNON
A LA MORT DE MGR CART
(1849 - 1855)
Il est une expression qui revient souvent dans les lettres, les écrits et la prédication du P. d'Alzon, celle de "zèle apostolique". En 1848-1850, dans un projet de constitutions pour sa Congrégation, il écrit : "Le but de l'Ordre se manifeste par le 4e voeu, de travailler à étendre de toutes ses forces le règne de Jésus-Christ dans les âmes... L'esprit de l'Ordre est donc un esprit de zèle et d'apostolat"; "un zèle très grand pour l'Eglise et un attachement inviolable au Saint-Siège", précise-t-il encore, allant avec "un amour très ardent de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de sa sainte Mère, notre patronne(1)."
Comment le P. d'Alzon, vicaire général de Nîmes, a-t-il réalisé personnellement et à ce titre un tel programme de vie, au service de l'Eglise universelle, et plus précisément au service de l'Eglise locale de Nîmes, de 1849 : concile d'Avignon, à 1855 : mort de Mgr Cart ? En effet, le concile provincial d'Avignon fixait, en 1849, un programme apostolique à mettre en oeuvre par la prédication et les oeuvres auprès du peuple chrétien, et une formation renouvelée du clergé. Ce programme sera conduit dans le diocèse de Nîmes par Mgr Cart, jusqu'à sa morten 1855. Nommé alors vicaire capitulaire, le P. d'Alzon ne peut pas ne pas s'intéresser à la succession de l'évêque défunt, pour assurer dans la continuité le bien du diocèse.
Ainsi, dans ce chapitre, étudierons-nous successivement :
A. Le P. d'Alzon et le Concile d'Avignon, en 1849.
B. Le P. d'Alzon et le ministère de la parole.
C. Le P. d'Alzon et le ministère de la charité.
D. Le P. d'Alzon et la formation du clergé.
E. Le P. d'Alzon et la succession de Mgr Cart.
Le dévouement du P. d'Alzon auprès de l'Eglise locale de Nîmes, pour sa croissance chrétienne et son union plus intime avec le Siège Apostolique, lui aurait valu les honneurs de l'épiscopat, si Rome eût exigé qu'il revînt sur son voeu d'humilité sacerdotale.
A
LE P. D'ALZON ET LE CONCILE D'AVIGNON (1849)
Mettant à profit le climat de liberté qui suit la Révolution de 1848, Mgr Sibour, archevêque de Paris, obtient du gouvernement qu'il autorise, conformément aux Articles organiques de 1802, la tenue de conciles provinciaux. De septembre 1849 à octobre 1850, douze conciles se réunirent en France; il n'y en avait plus eu depuis 1727. Après celui de Reims, de Paris, de Tours, le 4e fut celui d'Avignon. En sa qualité de vicaire général, le P. d'Alzon savait qu'il aurait à prendre part aux assises de ce concile provincial. En attendant que la date soit arrêtée, il s'y prépare en poursuivant son activité apostolique, et il y participe effectivement, du 8 au 23 décembre 1849, pendant toute sa durée.
1. Le P. d'Alzon et la préparation du concile d'Avignon. -
Dès le 8 juillet, le P. d'Alzon est assuré par Mgr Doney, évêque de Montauban, que le concile provincial d'Avignon aura lieu, puisqu'il en a conféré avec l'archevêque de la métropole, Mgr Debelay. Afin que le P. d'Alzon soit renseigné, s'il devait y participer, Mgr Doney l'informe des préoccupations épiscopales de Lyon, d'Autun, de Langres, de Saint-Claude, de Dijon, de Grenoble, etc., dont la principale concerne la réforme liturgique en France sur la base de la liturgie romaine, conformément à l'oeuvre de Dom Guéranger qui voulait rendre à la prière ecclésiastique sa forme et sa plénitude, au-delà de tout individualisme personnel, national ou régional (v.infra 1).
D'autre part, le P. d'Alzon, au courant d'un projet de fondation au Cap par les Religieuses de Mère M. Eugénie, redoute que cette fondation lointaine ne porte atteinte à l'unité de l'Institut, étant donné le droit des évêques locaux de juridiction immédiate sur les communautés d'Instituts féminins, depuis le concile de Trente. Selon lui, la meilleure manière d'assurer cette unité, étant saufs les droits des ordinaires, serait d'obtenir pour les congrégations féminines apostoliques à Supérieure générale d'être de droit pontifical et à voeux solennels. Du moins parlera-t-il de cette idée avec le nonce et l'inscrit-il au programme du prochain concile(2).
Or voici que sévit une épidémie de choléra dans le Midi de la France. Il ne peut quitter Nîmes "au moment du danger", et, "puisqu'il est grand vicaire, il doit donner l'exemple"(3). De fait, il tombe malade le 24 juillet, et le 9 août ses jours sont en danger. "Enfin, vous voilà hors d'affaire, lui écrit Mgr Cart le 29 août, mais, de grâce, sachez ne rien faire pendant quelque temps et réduisez-vous à ne vivre que bestialement(4)." Dans la seconde quinzaine d'octobre, il est de nouveau gravement malade, et le P. Corail, s.j., lui donne le même conseil : "Ménagez-vous, mettez pour quelque temps votre coeur et votre tête, et votre zèle au fourreau de la prudence(5)."
Cependant, il doit assurer la rentrée scolaire, retardée par l'épidémie, et se rendre à Paris, comme il l'a promis. Or la préparation immédiate du concile est là. Il voudrait s'en dispenser ou le faire ajourner : "L'évêque me rogne mon temps affreusement, écrit-il le 24 octobre. Il faut que je sois à Avignon le 8 décembre. Je verrai pourtant de m'exempter de ce concile", et il ajoute : "Nous allons avoir, le 14 novembre, tous les évêques de la province, pour la consécration d'une église. On prépare les matières et le concile se tiendra le 8 décembre. Monseigneur veut que j'y sois." Le 27 octobre, il écrit : "Je manoeuvre pour faire ajourner le concile au mois de janvier(6)." Mais la date ne peut être différée, et Mgr Cart tient à sa présence.
Il ira cependant à Paris, mais, écrit-il le 31 octobre, "avec le regret d'être obligé de me trouver à Avignon le 8 décembre, car Monseigneur vient de me le dire ce matin"; et il ajoute : "Je crois que ce concile ne fera pas grand chose; mais enfin ce sera toujours un acte d'indépendance envers l'Etat, et, sous ce rapport, il aura son avantage(7)."
Quoi qu'il en soit de ce jugement, le P. d'Alzon assiste à la réunion préparatoire et part ensuite pour Paris, avec une préoccupation de plus, celle du concile, puisque, pendant son séjour à Paris et un voyage à Reims, il recueille des informations pour les communiquer à l'archevêque d'Avignon (v. infra 2).
2. Le P. d'Alzon au Concile provincial d'Avignon. -
Le concile provincial s'ouvre à la date prévue et dure du 8 au 23 décembre 1849, présidé par Mgr Debelay, archevêque d'Avignon, entouré de ses suffragants : Mgr Thibault, évêque de Montpellier, Mgr Cart, évêque de Nîmes, Mgr Chatrousse, évêque de Valence et Mgr Guibert, évêque de Viviers, avec l'assistance de plus de trente prêtres, Vicaires généraux, théologiens, canonistes, etc.
Les travaux seront conduits par 6 congrégations : I - Congregatio privata episcoporum, II - de decretis, III - de fide et studiis, IV - de Cultu et Sacramentis, V - de Clero et regularibus, VI - de disciplina christiana, de exequiis et variis institutis.
Les actes du concile s'ordonnent autour des titres suivants :
I De fide catholica, II De Cultu Dei et sanctorum, III De disciplina christiana, IV De sacramentis, V De exequiis, VI De clero, VII De ordinibus religiosis et piis congregationibus, VIII De poenitentium confraternitatibus et aliis piis sodalitatibus virorum ac mulierum, IX De exercicio charitatis christianae, X De studiis(8).
Par les actes du concile, nous savons que le P. d'Alzon est présent et a été nommé secrétaire de la IVe congrégation. Nous pouvons préciser la part qu'il a prise aux travaux conciliaires, à partir de sa correspondance (v. infra 3 et 4).
Il a rédigé, dit-il, jusqu'à trois fois, le décret sur la liturgie, avec une prise de position en faveur du dogme de l'Immaculée Conception (titre II). Au sujet du mariage(9), il a cherché à faire passer la proposition que les évêques sollicitent du gouvernement une plus grande liberté (titre IV). Il a obtenu qu'on demande au Pape d'accorder les voeux solennels aux religieuses (titre VII). Compte tenu du climat politique, économique et social qui s'est manifesté lors de la Révolution de 1848, il aurait voulu autre chose qu'une exhortation en faveur des oeuvres de charité (titre IX). En matière d'études ecclésiastiques, ce qui est dit des petits séminaires lui paraît faible, mais il se réjouit de l'idée de former une maison de hautes études ecclésiastiques (titre IX). Enfin, il est déçu de ce que le concile n'ait pas eu l'audace d'une prise de position ferme en faveur de la liberté de l'Eglise.
Présentée sous la forme d'un oubli de la part du concile, cette dernière proposition fut assez mal accueillie. Cependant, elle était fondée, car les Articles organiques ajoutés par Napoléon au Concordat de 1801 étaient une menace permanente sur la liberté de l'Eglise en France et le P. d'Alzon avait raison d'en appeler, au sein du concile, à l'esprit nouveau de liberté issu de la Révolution de 1848.
Quoi qu'il en soit, l'impression du P. d'Alzon demeure positive et les décrets du concile ne resteront pas pour lui lettre morte : il faut rendre la foi au peuple chrétien, la science au clergé, et susciter par toutes sortes de bonnes oeuvres la vitalité opérante de l'Eglise, avant que le bouleversement des assises économiques et sociales des peuples d'Occident n'entraînent l'incrédulité des masses populaires séduites par des idéologies libérales ou socialistes athées. De plus, des liens d'amitié se sont établis entre les diocèses de la province. Au début de 1853, plusieurs des prêtres présents au concile se réuniront en Avignon pour se concerter sur une pastorale commune, et envisageront même un programme conciliaire à soumettre à l'archevêque d'Avignon (v. infra 5 et 6).
B
LE P. D'ALZON ET LE MINISTERE DE LA PAROLE (1845-1855)
Réfléchissant sur les événements de 1848, et voyant la montée de "l'incrédulité moderne", - de "l'indifférence en matière de religion", disait-on avant 1830, - du "rationalisme et du laïcisme", dira-t-on après 1848, le P. d'Alzon écrit : "Je suis épouvanté de voir la puissance du prosélytisme passer en d'autres mains. L'enfer a des apôtres et Jésus-Christ est abandonné des siens(10)." - "Ce qui résulte pour moi de toutes mes réflexions, écrit-il encore après le Concile provincial d'Avignon, c'est l'obligation de prendre toujours à coeur la cause de l'Eglise à la mesure du travail qui me paraît assigné(11)." A son ami, le Dr Gouraud, il écrit : "J'ai un travail énorme sur les bras, [...] l'évêché, ma maison et quelques bonnes oeuvres me prennent toutes mes heures libres(12)." - "Vous entreprenez trop, vous ne pouvez y suffire, si vous veniez à manquer..."(13) : voilà ce que ne cesse de lui dire son évêque. Lui-même en convient : "Par caractère, je suis porté à élargir (le cercle de nos oeuvres), mais c'est précisément, ajoute-t-il, ce dont je me défie(14)." C'est donc dans le cadre d'une vie prise de toutes parts que le P. d'Alzon assure le ministère de la parole.
1. Rythme et auditoires. -
Un simple regard sur la Chronologie de la vie du P. d'Alzon établie par le P. S.VAILHE, montre tout l'effort continu de ce prêtre et la diversité de ses auditoires. Vicaire général de l'église de Nîmes, il assure des stations d'Avent et de Carême, des mois de Marie et autres prédications pour le peuple chrétien. Les Communautés religieuses du diocèse : Carmélites, Dames de Saint-Maur, Soeurs des Vans, Soeurs de Marie-Thérèse, et les associations de prière et de charité : Dames de la Miséricorde, Conférences de Saint-Vincent de Paul, oeuvre des Bons Livres, école d'adultes, oeuvre des Tabernacles, etc., sollicitent du P. d'Alzon sa présence et sa parole; lui-même a soin de répondre plus particulièrement aux demandes de ses confrères : grands séminaristes, jeunes prêtres, professeurs de l'enseignement libre, prêtres des paroisses, pour des retraites annuelles ou de circonstances, et des prédications occasionnelles. N'est-il pas grand-vicaire dans le diocèse ? Mais n'est-il pas aussi fondateur de l'Assomption : son collège et sa Congrégation, sans parler des liens avec les Religieuses de Mère M. Eugénie ? D'où de nouvelles séries de retraites pour les religieux et les tertiaires, hommes et femmes, pour les maîtres et pour les élèves : retraites annuelles, conférences spirituelles, instructions diverses ou suivies, démarches de prière et de pèlerinages pour les retraites fermées de Valbonne... ; le rythme est égal en cet autre domaine à celui qu'il accomplit comme grand-vicaire.
Par suite de ses occupations dans le diocèse et d'une santé déjà compromise, le P. d'Alzon se réserve de préférence à ce double auditoire; on ne compte, de 1845 à 1855 que deux prédications de carême hors de Nîmes : à Paris, en 1846 à N.D. des Victoires, et en 1852 à Saint-Thomas d'Aquin. S'il prêche à Paris, son zèle le pousse à ne s'adresser qu'aux Religieuses de l'Assomption pour des retraites, soit auprès des Soeurs, soit auprès des élèves, et à la Communauté de ses religieux quand elle y sera établie. De part et d'autre, il y aura là encore un groupe de tertiaires, hommes et femmes, qu'il aura plaisir à stimuler dans les voies spirituelles du dévouement apostolique. Ordinairement, surtout pour des efforts suivis, stations ou retraites, il attend d'être demandé et, conscient du danger de dispersion qui le guette, n'accepte d'ailleurs pas toujours sans résistance (v. infra 8); cependant, lorsqu'une évidence s'impose à ses yeux, il prend l'initiative : ainsi en est-il pour la série de conférences sur le protestantisme, qu'il donne, non sans appréhension à la cathédrale de Nîmes, pendant l'hiver de 1853-1854.
2. L'exposé des richesses du mystère chrétien. -
Il est difficile, à partir de bribes de notes manuscrites rarement datées, et d'allusions discrètes à ses prédications dans sa correspondance, de camper pleinement la figure, non pas de ce "prédicateur", mais de cet apôtre de la parole de Dieu. Les lettres de demandes ou de remerciements n'existent plus dans le dossier de sa correspondance, mais, comme on l'aura remarqué en lisant les documents, depuis son arrivée dans le diocèse de Nîmes (Ch. VIII et sv.), bien des allusions nous donnent la confirmation de tout ce que nous venons de dire au sujet de l'intensité et de la variété avec laquelle le P. d'Alzon exerce, au nom de son sacerdoce et pour le bien de l'Eglise, le ministère de la parole.
Il n'a plus le temps de rédiger d'amples sermons; de plus en plus, il se contentera de quelques notes jetées sur le papier qui lui tombe sous la main; dix ans de prédications soignées, joints à cette facilité toute méridionale de la parole, lui permettent de dominer les sujets les plus variés, mais ses improvisations jaillissent d'un fond de science et de prière qu'il entretient par des lectures, des études et un contrôle de son action (v. infra 7).
Quelques exemples repris ici, soit de sa correspondance, soit de ses notes manuscrites, nous montrent que le P. d'Alzon est heureux de se retrouver, soit par ordre de son évêque, soit de sa propre initiative, au service de la multitude des humbles qui constituent la grande famille de Dieu : carême de 1849 (v. infra 8), mois de Marie en 1850 (v. infra 9), même si son oeuvre plus personnelle doit en pâtir, et si lui-même doit en retirer une plus grande fatigue. Avant tout, le P. d'Alzon entend doter les catholiques qu'il évangélise d'une solide instruction chrétienne, par l'exposé des grands mystères du christianisme, selon leur développement historique (Dieu, la Rédemption, l'Eglise), ou selon leurs liens intrinsèques (Jésus-Christ, l'Eglise, l'Eucharistie), afin de retremper dans un climat de foi les âmes désemparées en des temps difficiles, et de pousser à l'action en des temps où tous devraient être des apôtres (v. infra 10, a et b).
Il sait trop bien, attentif qu'il est aux courants de pensée, que la menace la plus grande contre la foi est le rationalisme de plus en plus envahissant, et il sait aussi que les catholiques ne sont pas prêts à discerner les rapports à mettre entre la raison et la foi, la religion et la société. Ces incertitudes spéculatives ne doivent pas faire suspendre le ministère de la parole, et il se demande "comment procéder avec un rationaliste pour lui prouver la nécessité 1° d'une révélation; 2° d'une révélation vivante; 3° d'une grâce qui aide à accepter cette révélation" (v. infra 10 c). Ainsi préfère-t-il s'en tenir à la méthode d'exposition unie à la méthode historique car, tel un malade qui recourt à l'autorité d'un médecin qui lui est particulièrement recommandé, le chrétien agit d'une manière tout à fait raisonnable en se confiant à l'autorité de l'Eglise qui se présente avec les meilleures recommandations de la part de Dieu(15).
Contemporain de tout le mouvement d'Oxford et lié d'amitié avec quelques-uns de ses maîtres (v. infra 11), il sait, par la conversion de Newman que c'est en s'établissant au centre même de la foi qu'on la retrouve pleinement; et puisque lui-même est à Nîmes en climat protestant, il ose interpeller le protestantisme de son temps qui subissait la tutelle du rationalisme et versait de plus en plus, au nom même du libre examen, dans le libéralisme doctrinal. Là encore, la Bible ne saurait suffire. Il faut lui adjoindre la Tradition et la recevoir d'un magistère accrédité par le Christ pour son Eglise. Les notes de ses conférences révèlent une telle argumentation(16), et sa correspondance montre l'intérêt ou l'appréhension que suscite son audace, et aussi le climat de prière et d'information dont il veut s'entourer en cette prédication difficile (v. infra 12).
Le P. d'Alzon s'est livré sans compter au ministère de la Parole(17). On songe au mot de saint Paul : "malheur à moi si je n'évangélise pas!" Lorsque sa santé craque, en mai 1854, les appels de ses amis à plus de discrétion et de réserve soulignent davantage la valeur de son dévouement que son manque de prudence (v. infra 13 et note).
C
LE P. D'ALZON ET LE MINISTERE DE LA CHARITE (1845-1855)
Dès le début de son ministère à Nîmes, le P. d'Alzon voulut créer des foyers ardents de vie chrétienne laïque (Ch. VIII B). Les événements de 1848 lui firent prendre conscience des progrès de l'incrédulité moderne dans les masses laborieuses, au point que le décret porté par le concile provincial d'Avignon, en 1849, sur l'exercice de la charité chrétienne lui parut trop faible par défaut d'analyse des nécessités présentes (v. infra A). Il le prendra d'autant plus au sérieux.
Profitant de l'auditoire que lui donnent les distributions des prix en son collège, il revient régulièrement, en 1851, 1858, 1861, sur le thème d'une action à entreprendre pour prévenir les "effroyables catastrophes" d'une lutte des classes qui opposerait "ceux à qui manque le nécessaire" et "ceux qui ont au-delà". Il pousse à une action évangélique qui forme comme l'écho retentissant, dans toutes les classes sociales, de la prédication du Sauveur, à "un apostolat dépendant (celui des laïcs) de l'apostolat supérieur (celui de la hiérarchie), l'un et l'autre responsables de l'évangélisation du monde"(18). Dût-il être "écrasé d'oeuvres" et de dettes, il n'a de cesse de multiplier les initiatives ou de les seconder en matière d'assistance charitable, de formation chrétienne et de prière, dans le contexte plus précis du diocèse de Nîmes, - sans parler de tous ses gestes personnels en faveur des détresses individuelles qui arrachent à sa mère mise à contribution cette exclamation : "Mon fils me coûte plus que deux vauriens(19)."
1. Les oeuvres d'assistance charitable
a) Pour l'enfance et l'adolescence, nous avons déjà dit comment le P. d'Alzon entendait que son collège soit une école apostolique de charité (Ch. XIV B). D'où, à côté de la Conférence de Saint Vincent de Paul de la ville, remise à flot par lui-même (Ch. VIII 11), la création en son collège, avec la participation des maîtres et des élèves, d'une autre Conférence avec 3 sections d'assistance : vêtements et vivres, médicaments, livres, dont le succès attira l'attention des responsables des Conférences de Saint Vincent de Paul et fit de plus d'un des jeunes élèves ou maîtres, des apôtres de la charité (v. infra 14). En 1850, le patronage de la paroisse Sainte-Perpétue est pris en charge par l'Assomption, sur une propriété acquise avec les deniers des Conférences du collège. Là, maîtres et élèves assurent aux enfants pauvres loisirs, lectures, instruction élémentaire, formation catéchétique et vie sacramentaire (Ch. XIV, 17 d); une nouvelle Conférence fut recrutée parmi les jeunes du patronage. Pour la jeunesse déjà au travail à cette époque, nous savons que le P. d'Alzon avait créé, dès 1837, une oeuvre de jeunesse, qu'il sauva en 1854, appelée par la suite, à Nîmes, "l'oeuvre Argaud" (v. infra 15 g). Pour les orphelins, garçons ou filles, catholiques ou protestants, le Père sollicite ou encourage la création d'orphelinats dont l'orphelinat des petits apprentis, ouvert par la Conférence Saint Vincent de Paul de la ville et, sur sa demande, confié par le P. d'Alzon au P. Brun et à cinq Frères de l'Assomption. Pour les petites protestantes, le P. d'Alzon trouve de jeunes collaboratrices capables de fonder et de faire vivre par la tissanderie religieuse une oeuvre similaire annexe à une autre oeuvre, dite des Tabernacles (v. infra 15 b). Devant la désertion des campagnes et pour la prévenir, le P. d'Alzon ne cesse d'encourager ce qu'on appelait à l'époque les colonies agricoles : ainsi pour l'orphelinat agricole de Servas, près d'Alès, fondé en 1849 par la famille Varin d'Ainvelle; lui-même, à Mireman, acheta un vaste domaine pour y établir, sous la direction de Frères convers une colonie, nous dirions une école agricole.
b) Pour les adultes, signalons pour mémoire l'oeuvre du Refuge, fondée en 1843 pour le relèvement des femmes victimes de la misère autant que des mauvaises moeurs (Ch. VIII 9). Pour les militaires de la garnison de Nîmes, maîtres et élèves du collège sont invités par le P. d'Alzon à les instruire, à les visiter en cas d'hospitalisation, à les aider dans leur courrier ou leurs loisirs, mettant à leur disposition les locaux du collège pour instruction et prière (v. infra 2 f). Ailleurs, malgré l'opinion de certains, il prêche pour l'ouverture d'écoles d'adultes, pour les ouvriers ne sachant ni lire ni écrire (v. infra 15 d, note). Pour les jeunes filles et femmes en quête de travail, il encourage l'abbé d'Everlange à développer l'Oeuvre des bonnes domestiques. Au courant de la fondation à Montpellier par l'abbé Soulas, des Soeurs Gardes-malades, il participe, toujours avec l'abbé d'Everlange, à la création, en 1851, à Nîmes, des veilleurs et veilleuses de nuit à domicile, près des malades et des mourants. L'Oeuvre des Tabernacles, dont nous avons parlé, a été voulue par lui comme source de revenus pour d'autres pauvres sans travail (v. infra 15 b); elle visait encore à donner aux églises pauvres le décorum liturgique indispensable puisque, aussi bien, le P. d'Alzon était membre de la commission des édifices religieux du diocèse (v. infra 15 a).
2. Les oeuvres de formation chrétienne. -
Pour le P. d'Alzon, toute oeuvre d'assistance charitable est au principe d'une oeuvre apostolique. L' "aumône matérielle" doit aller avec l' "aumône spirituelle" de l'annonce de la foi. Dans ce sens plus précis de l'apostolat et de l'évangélisation, et pour contrebalancer la propagande de la presse et des livres d'inspiration libérale ou socialiste athée, le P. d'Alzon se fait encore pour le peuple le créateur ou le collaborateur d'une nouvelle série d'oeuvres ; mais, exerçant son ministère au sein d'une population divisée entre catholiques et protestants, il tient à prolonger les fruits de sa prédication (v. infra 12) par d'autres oeuvres, dites de conversion auprès des "frères séparés".
a) Pour le peuple, s'inspirant de ce qui se fait ailleurs, il crée à Nîmes l'oeuvre des journaux pour placer des abonnements gratuits et des affichages dans les lieux d'affluence populaire; plus encore il favorise la création d'une bibliothèque populaire catholique, pour diffuser dans les prisons, les hôpitaux, les casernes, les ateliers et les campagnes les ballots de livres que ses relations parisiennes lui procuraient. Dès 1845, l'oeuvre peut aller de l'avant sans lui (Ch. X 13). Cette initiative personnelle va prendre plus d'ampleur après la création, en 1850, selon les décisions du Concile provincial d'Avignon, d'une Association de diffusion des bons livres et de bibliothèques paroissiales. Cette association était dirigée par un Comité central qui se réunissait au début de chaque année en Avignon; dès le 9 novembre 1850, elle avait un organe de propagande : la Revue des bibliothèques et des faits religieux de la Province ecclésiastique d'Avignon.
C'est dans cette Revue que nous avons relevé de préférence quelques-uns des indices de toute l'activité du P. d'Alzon pour le développement des bonnes oeuvres, comme on disait alors (v. infra 15). Le stock des livres à distribuer s'éleva à plus de 20 000, et la Revue compte, en 1853, quelque 800 abonnés (Ch. XVIII 5), presque tous prêtres, d'où l'idée de la transformer en "Revue générale des sciences ecclésiastiques", et ce fut le P. d'Alzon qui fut chargé d'écrire l'article-programme de la nouvelle orientation (v. infra 15 d). En 1852, toujours en Avignon, fut décidée l'Oeuvre du bon colportage pour prévenir les méfaits d'un autre colportage très actif de livres anti-religieux et immoraux; l'initiative prise et organisée par l'abbé Bernard d'Avignon, reçut du P. d'Alzon une collaboration financière et morale pour son développement. Ainsi, en octobre 1853, il envoie une circulaire aux évêques, reproduite dans la Revue et dans la presse, pour solliciter une souscription financière en faveur de ce bon colportage dont il dit la nécessité, les difficultés et les frais (v. infra 15 c).
b) Dans cette série d'oeuvres de formation chrétienne d'une population où catholiques et protestants se rencontrent et s'affrontent (Ch. XV, 3 d et e), l'Association de Saint François de Sales mérite une mention spéciale pour le succès qu'elle a connu jusqu'à ce jour, grâce à la personnalité de Mgr de Ségur, auquel le P. d'Alzon la confia après l'avoir fondée. La toute première origine de cette association remonte à la fin de 1853, dans une oeuvre de prière établie en son collège, tandis qu'il donne ses Conférences du lundi sur le protestantisme(20). Deux ans plus tard, cette initiative fut reprise parmi les élèves du pensionnat des Dames de Saint-Maur, au terme d'une retraite prêchée par l'abbé d'Everlange (v. infra 16b). L'idée conçue par elles de fonder, à l'exemple de Pauline Jaricot, une association de prière et d'aumône pour aider ceux qui travaillaient dans le diocèse auprès des "frères égarés", fut transmise au P. d'Alzon qui lui donna son premier rayonnement en y intéressant le Tiers-Ordre féminin de l'Assomption de Nimes(21) et de Paris (Ch. XIII, 7 d). Allant à Rome en mai 1855, et séjournant à Paris en août-octobre de la même année, il peut, avec l'approbation de Pie IX et les encouragements de ses relations parisiennes, envisager d'étendre à la France entière cette nouvelle "propagation de la foi", en alertant par une circulaire tous les évêques de France (v. infra 16 a). Recevant de l'abbé Mermillod, vicaire à Genève, encouragements et félicitations, le P. d'Alzon passe le voir, et l'un et l'autre intensifient le climat favorable pour le lancement officiel de l'Association en France et hors de France. Ce qui fut fait à Paris le 19 mars 1857, lors d'une réunion solennelle d'une trentaine de personnalités de l'Eglise de France. Un comité central fut créé et le président de l'oeuvre fut nommé en la personne de Mgr de Ségur (v. infra 16 c). Même si le P. d'Alzon ne put par la suite assurer l'apport d'une totale collaboration, il ne cessa de travailler pour l'oeuvre, par lui-même, ses Religieux et ses amis.
3. Les oeuvres de prière. -
La création de l'Association de Saint François de Sales est typique de la manière propre au P. d'Alzon : une humble initiative d'élèves qu'il prend à coeur et à laquelle il donne sur la base de la prière et de la charité un rayonnement ecclésial. Il se donne ainsi sans mesure, mais la prière devance et accompagne toujours son zèle apostolique.
C'est ainsi qu'il avait voulu, au début de son ministère, fonder un Carmel (Ch. X A) avant même d'ouvrir un Refuge et de rénover un établissement scolaire. Aucune des oeuvres ou archiconfréries du temps ne le laisse indifférent : Archiconfrérie de N.D. des Victoires, dont il devint le zélateur et le protecteur dès le 10 août 1841; Oeuvre de l'adoration diurne et nocturne, qu'il introduit à Nîmes comme il l'avait vue fonctionner lors de ses prédications à Paris; dès 1852, il pense à réaliser, comme il le voit ailleurs, un foyer rayonnant de prière apostolique sur la base de l'Adoration du Saint-Sacrement. "Je vais beaucoup prier, écrit-il en 1854, pour obtenir que Notre-Seigneur ait un trône public à Nîmes" (Ch. XIII 7a). La fondation en 1855 d'un prieuré par Mère M. Eugénie permit au P. d'Alzon de réaliser son projet et de lui donner son rayonnement dans le monde par la création de l'Association des Adoratrices du Saint-Sacrement, vouée à "un grand amour de Jésus-Christ et de l'Eglise" et mue par "le zèle de la gloire de Dieu et du salut des âmes" (Ch. XIII 8).
Devant une telle profusion d'oeuvres créées ou prises en charge par le P. d'Alzon, il est bien tentant de contester sa prudence et de l'accuser d'activisme et de dispersion. Certes il sait que par tempérament, il est enclin à élargir sans cesse le cercle de ses oeuvres, mais il est le premier à se méfier de ce tempérament trop généreux et, quand des observations lui sont faites à ce sujet, il promet humblement d'en tenir compte (v. infra 7).
Il ne crée d'ailleurs d'oeuvres qu'après s'être assuré les collaborations nécessaires : un prêtre (Oeuvre Argaud : v. infra 15 g, note), les élèves de son collège (Conférences de Saint Vincent de Paul : v. infra 14), une congrégation religieuse (Refuge : v. les Souvenirs de Sr Marguerite, V., Lettres, II p. 526-529), etc. Après les avoir mises en mains sûres, il veille à leur bonne marche tant sur le plan spirituel que sur le plan matériel, et cet intérêt se maintint jusqu'aux dernières années de sa vie(22).
Rappelons aussi que, lorsque le P. d'Alzon fonda la Congrégation de l'Assomption, il offrit sa démission de vicaire général et que cette démission ne fut pas acceptée. Dès lors, pouvait-il se refuser aux services de charité et autres qui s'imposaient à lui pour la bonne marche du diocèse (Ch. XII 6) ? Et cela d'autant plus que Mgr Cart, d'un tempérament plutôt timide, éprouvait le besoin de se reposer sur un homme capable de prendre des initiatives et d'assumer des responsabilités. Par ailleurs, faisant avec ses religieux le voeu apostolique d'étendre le règne de Jésus-Christ dans les âmes, il se devait d'y être fidèle, toute prudence étant sauve évidemment, - ce dont il avait parfaitement conscience (Ch. XVIII, 8 b, note).
Aussi, comme Mgr Plantier parlant du collège de l'Assomption, il convient sans doute de considérer les oeuvres du P. d'Alzon par "le noble côté du zèle" qui les inspire plutôt que par les "pieuses témérités" qu'on leur a parfois reprochées (v. infra 27 b).
D
LE P. D'ALZON ET LA FORMATION DU CLERGE
Au cours de ses études sacerdotales, soit à Montpellier, soit à Rome (Ch. V B, D), le P. d'Alzon avait eu l'occasion de se rendre compte de la faiblesse de la formation du clergé. Devenu prêtre et vicaire général, il eut une plus vive conscience encore de la scission qui pouvait s'opérer entre le sacerdoce et le monde de la culture. Le besoin d'un clergé plus instruit, plus ouvert et plus uni, s'imposait à l'attention des Eglises locales, comme en témoignent les Actes du dernier Concile d'Avignon (v. supra A4). Le P. d'Alzon connaissait la situation concrète du clergé diocésain de Nîmes (Ch. XII, 2a). Il prenait part aux retraites pastorales(23 ), accompagnait son évêque dans la visite des paroisses(24), prêchait à Nîmes, dans les villes et les bourgs, à la demande des curés, installait tel ou tel dans sa paroisse, etc. Très exigeant pour lui-même, le P. d'Alzon ne pouvait pas ne pas voir qu' "avec de très grandes vertus" il y avait dans le clergé "je ne sais quels germes de vanité cléricale, d'esprit propre, d'inflexibilité d'opinions", et qu'il pouvait être moins préoccupé des périls de l'Eglise que soucieux de l'acquittement du casuel ou de l'agrandissement de la maison curiale (Ch. XII, 2 a) C'est la même sévérité exigeante qui lui fait apprécier le décret sur les études, du Concile d'Avignon, au moins pour ce qui concerne les petits séminaires (v. infra 4). On pourrait lui faire grief de tels jugements s'il n'avait payé de son dévouement et de sa personne, pour améliorer la formation du clergé local et l'ouvrir aux dimensions de l'Eglise universelle, dans une conscience renouvelée d'unité avec le Siège romain.
1. La formation du clergé local -
Comme membre du Conseil supérieur de l'Instruction publique, le P. d'Alzon intervint pour assurer à l'Eglise toute liberté en matière d'inspection académique dans les établissements ecclésiastiques (Ch. XVI, 4 b). C'est dans ce sens qu'il rédige une note pour que les études dans les petits séminaires soient déterminées et sanctionnées en fonction même des études à faire dans les grands séminaires, et travaille avec les responsables de ces établissements (v. infra 18 a). Selon une préoccupation qui lui est habituelle, il n'oublie pas d'allier la prière à l'étude; prêchant la retraite au grand séminaire, à la rentrée de 1853, il en écrit à Mère M. Eugénie : "Je prêche ici la retraite aux séminaristes, je me sens dans mon élément; parlant quatre fois par jour, je n'éprouve pas la moindre fatigue. Un petit abbé qui veut se faire Chartreux me disait tout à l'heure que, selon les séminaristes, jamais retraite n'avait été ni plus gaie ni plus sérieuse. Je ne les écrase pas pendant les instructions, mais je leur ai fait prendre l'habitude d'aller devant le Saint-Sacrement passer un assez long temps(25)." Chargé de faire passer les examens des jeunes prêtres du diocèse, examens rétablis par le Concile d'Avignon, le P. d'Alzon cherche les moyens de les valoriser et demande à Dom Guéranger un programme de formation théologique.
Il voudrait aussi que les loisirs des prêtres dans les campagnes soient employés à des travaux d'études qu'on pourrait stimuler par des publications (v. infra 18 b). Lui-même avait créé des Conférences ecclésiastiques pour le clergé (v. infra 15 e), où l'on débattait, entre prêtres, d'oeuvres apostoliques et de questions pastorales : éducation des enfants, formation des parents, responsabilité devant la vie(26), occultisme( 27 ). C'est encore pour assurer une meilleure qualification du clergé qu'il avait ouvert, selon le désir du Concile d'Avignon, la maison des Hautes études de Nîmes, avec une section spéciale consacrée aux sciences ecclésiastiques (Ch. XIV 14). Sa propre participation à la fondation du Séminaire français à Rome visait au même but, mais avec l'avantage d'insérer le clergé local dans l'unité et l'universalité de l'Eglise (Ch. XIV 19). Il aurait souhaité que la Revue des bibliothèques devienne, pour la province d'Avignon, capable d'inspirer un amour toujours plus grand pour l'unité catholique (v. infra 5).
2. Son lien avec l'Eglise universelle.-
Attentif comme il l'est à suivre les mouvements de pensée de son temps, le P. d'Alzon ne pouvait pas ne pas tenir compte des faits patents à ses yeux : au sein de l'épreuve révolutionnaire et napoléonienne, c'était bien la Papauté qui avait sauvé la liberté de l'Eglise, et c'étaient bien cette épreuve et ce service qui provoquaient un retour vers Rome dans l'opinion chrétienne. Ce mouvement, dit ultramontain, était la force vive et libératrice pour un meilleur engagement politique. A ses yeux s'imposait donc de tenir compte, dans la formation du clergé, des "idées romaines", des "principes romains". Favorisée par la nonciature du cardinal Fornari, l'avancée du "mouvement romain" sur le plan liturgique avec l'oeuvre de Dom Guéranger, provoque une résurgence du gallicanisme sur le plan disciplinaire à l'occasion de la querelle des classiques dans l'enseignement chrétien (Ch. XIV 15 b, c). De plus, avec la restauration de l'Empire en 1852, le gallicanisme d'Etat pouvait aussi entraver la liberté de l'Eglise, au nom des Articles organiques, annexe mise au Concordat de 1801.
La conclusion du P. d'Alzon, qu'il élabore avec des prêtres qualifiés et des évêques partageant les mêmes craintes, est qu'il faut aller de l'avant, jusqu'à débattre de la légitimité d'un retour à un droit commun pour toute l'Eglise, et des bases d'une théologie de l'Eglise, qui fasse à la papauté la place qui lui revient dans son double pouvoir de juridiction et de magistère. Il en écrit au cardinal Fornari (v. infra 5), à l'évêque de Montauban en partance pour Rome(28), et lui-même en parle à Pie IX dans une audience particulière, le 29 mai 1855. Ce qu'il souhaite avant tout, ce sont des directives qui donneraient "une impulsion aux esprits vers le centre de l'unité", "maintenant que les diocèses commencent à avoir des sujets en abondance" (v. infra 20).
Tout cet effort ne saurait faire oublier ce que nous révèle encore la correspondance du P. d'Alzon : une attitude d'accueil, de compréhension et d'entraide envers ses confrères dans le sacerdoce. Il n'a jamais oublié Lamennais, malgré sa défection; lorsqu'en 1842 il apprend que le "prisonnier de Sainte-Pélagie" est libéré, il ose lui offrir une amicale hospitalité que Lamennais décline avec la même délicatesse de sentiments (Ch. VII 38). De même, lorsqu'en 1849, le P. Ventura dut quitter Rome sur l'ordre du Pape, pour des appréciations peu respectueuses à son égard, le P. d'Alzon lui offrit de l'accueillir, mais en tenant compte de l'avis de son évêque, Mgr Cart (v. infra 17). Ces exemples ne sauraient en faire oublier d'autres beaucoup plus humbles, de prêtres qui se sont adressés à lui pour recevoir aide et réconfort, soit pour eux-mêmes, soit pour d'autres prêtres amis (v. infra 19). Il ne faudra donc pas s'étonner que d'aucuns d'entre eux, qui avaient collaboré avec lui, aient osé, à son insu, le présenter à l'épiscopat (v. infra 21 ).
E
LE P. D'ALZON ET LA SUCCESSION DE MGR CART (1855)
Dès sa nomination à Nîmes, en 1837, Mgr Cart passait pour un évêque maladif, voué à une mort prématurée. Malgré cela, il eut l'énergie morale nécessaire et les forces physiques suffisantes pour assumer ses responsabilités épiscopales pendant dix-sept ans, jusqu'à sa mort, le 13 août 1855. Cependant, en 1851, un mal incurable se déclara et, en 1854, il devint évident qu'il s'acheminait vers la tombe.
La mort de Mgr Cart, la vacance du siège épiscopal et la nomination de son successeur, Mgr Plantier, allaient fournir une occasion de plus au P. d'Alzon, vicaire général, de se dévouer au service du diocèse de Nîmes et de l'Eglise. Mais ses prises de position pour "les idées romaines", exploitées par des autorités d'opinions contraires, risquaient de le desservir auprès du nouvel évêque.
1. La mort de Mgr Cart. -
Comprenant que le déclin de sa vie se précipitait, Mgr Cart, après avoir envisagé de se choisir un coadjuteur, songea à la possibilité de donner sa démission. Fin septembre 1854, il en parle au P. d'Alzon pour examiner avec lui les membres du clergé français les plus aptes à recueillir sa succession. Le P. d'Alzon communique ces renseignements au nonce apostolique, Mgr Sacconi; le 7 octobre, le nonce le remercie en suggérant la possibilité de sa candidature pour Nîmes (v. infra 22). Sollicité indirectement par le nonce de se rendre à Paris, le P. d'Alzon ne quitte pas Nîmes et charge du Lac, son ami, de présenter au nonce ses excuses. La nonciature transmet, toujours par du Lac, son point de vue malgré tout favorable au P. d'Alzon, à supposer que Mgr Cart le présente comme successeur éventuel (v. infra 23). L'affaire en resta là. Dans l'impossibilité d'aller lui-même à Rome rendre compte de la gestion de son diocèse, Mgr Cart délégua pour cette mission son vicaire général, le P. d'Alzon, reçu par Pie IX le 18 mai à Castelgandolfo et le 29 à Rome (v. infra 24). Malgré des sursauts d'énergie, Mgr Cart continuait à s'affaiblir. Le 6 août, les deux vicaires généraux prescrivaient des prières publiques, afin qu'il n'y ait dans le diocèse "qu'une grande famille unie dans une prière commune dans une commune douleur(29)". La mort de Mgr Cart se produisit le 13 août 1855.
2. Vacance du siège de Nîmes.-
Le Chapitre de Nîmes réuni nomma vicaires capitulaires les deux vicaires généraux : MM. Boucarut et d'Alzon, et pria le Ministre des Cultes de faire agréer ce choix par l'Empereur, Napoléon 111( 30 ). Le 18 août, Rome confirma cette double nomination; les vicaires capitulaires, par un mandement au diocèse, rendirent hommage à Mgr Cart, "ordonnant des prières pour le repos de son âme et pour demander à Dieu qu'il lui donne un successeur(31)". Ce mandement est plutôt de la plume du P. d'Alzon, selon ce qu'il en écrit, le 20 août, à Mère M. Eugénie : "Je viens de faire un mandement pitoyable pour la forme, mais dont je suis assez content pour ce que j'y ai fait passer(32)", c'est-à-dire les services rendus par l'évêque en faveur d'une unité plus grande de l'Eglise autour de l'évêque local et du Pasteur suprême. Dès le 30 août 1855, un décret ministériel nommait à l'évêché vacant de Nîmes l'abbé Plantier, professeur d'hébreu à la Faculté de théologie de Lyon et, depuis quelques mois, vicaire général de ce diocèse. Le P. d'Alzon apprit cette nomination alors qu'à Paris il prêchait à ses religieux de Clichy une retraite et présidait la tenue du 3e Chapitre général de sa Congrégation (Ch. XII, 12 c). Cette promotion épiscopale pour Nîmes d'un prêtre réputé gallican surprit le Père qui, dominant sa contrariété (v. infra 24, note), se soucia de rencontrer son futur évêque de passage à Paris. Apprenant qu'il était déjà parti, il lui adressa ses excuses et ses voeux (v. infra 25).
L'évêque nommé eut pour premier souci de choisir ses vicaires généraux. Selon des conseils autorisés, notamment l'avis de Mgr Cart, et malgré des pressions contraires venant de Nîmes et d'ailleurs (v.infra 27 b), le choix de Mgr Plantier s'arrêta sur les noms de l'abbé Boucarut et du P. d'Alzon, pour les reconduire en leur fonction de vicaire général titulaire. Regrettant de n'avoir pas rencontré le Père à Paris, pour le lui dire de vive voix, il lui demande par écrit son agrément les 20 et 24 septembre. Après avoir consulté le nonce et le cardinal Gousset qui lui font "une obligation d'accepter", le P. d'Alzon donne son consentement (v. infra 25, note).
Revenant à Nîmes par Genève, le P. d'Alzon aurait bien voulu rencontrer à Lyon Mgr Plantier, mais "ses désirs furent paralysés par une impossibilité", et l'évêque accepta l'aveu de ce nouveau contretemps "avec empressement et confiance", comme "gage de bons rapports dont je me félicite pour l'avenir", lui écrit-il le 10 octobre. Le 14, il le remercie de communications que le P. d'Alzon lui a transmises de Nîmes et lui demande qu'on ajourne toute autre démarche jusqu'à son arrivée(33). Le 11 novembre, le P. d'Alzon, toujours vicaire capitulaire, informe le clergé et les fidèles du diocèse de Nîmes que le sacre de leur nouvel évêque, dont il loue "la douceur et la science", aura lieu le 18 novembre en la primatiale de Lyon, et qu'il fera son entrée en sa ville épiscopale le 29 novembre(34).
3. Mgr Plantier, nouvel évêque de Nîmes. -
Mgr Plantier aurait été heureux de remettre au P. d'Alzon sa nomination officielle de vicaire général, soit à Lyon lors du sacre, où le Père devait se rendre, soit à Nîmes lors de son intronisation. Sachant que le gouvernement avait des préventions contre le P. d'Alzon depuis les événements de 1848-1852, Mgr Plantier réitère, avant et après son sacre, sa demande d'agrément pour cette nomination (v. infra 26 a, b). Ce n'est que le 25 décembre que l'évêque peut informer le Père que "les ajournements de la part du gouvernement" ont pris fin, et lui communique l'acte de sa nomination, daté du 16 de ce mois. Depuis le 14, le P. d'Alzon, malade et menacé de paralysie, s'était retiré à Lavagnac (v. infra 27 a).
On ne peut nier qu'il n'y ait eu entre Mgr Plantier et le P. d'Alzon un moment d'incompréhension, dissipée, il est vrai, dès leur première rencontre, mais aggravée de pressions venues de Nîmes et d'ailleurs, pour écarter le Père et du siège de Nîmes et même du poste de vicaire général. Nous pouvons entrevoir quelques-uns de ces motifs qui inspiraient cette opposition. Le ministre des Cultes évoque son "légitimisme", entendons par là son indépendance vis-à-vis du pouvoir (v. infra 23, note). Mgr Plantier lui-même parle du risque que peuvent lui faire courir "les opinions et le tempérament" de M. d'Alzon, mais il se dit aussitôt rassuré par "son coeur et sa déférence" (v. infra 26 b). Le nouvel évêque a donc dû recevoir des mises en garde contre le P. d'Alzon : son ultramontanisme tout d'une pièce, ses exigences, sa franchise. Et tel que nous connaissons le P. d'Alzon, cela ne nous étonne pas. Très actif, conscient de l'urgence de l'action à mener pour faire face aux besoins de l'Eglise et des âmes, il supporte mal l'indolence et doit parfois bousculer quelque peu des gens installés dans la routine. Très franc, il est peu porté à la diplomatie et dit carrément ce qu'il pense.
Si l'évêque, avant qu'il n'ait vu le P. d'Alzon, avait cédé à une nécessité pour le maintenir à son poste de vicaire général, dès qu'il l'eut rencontré, la nécessité devint un devoir évident à ses yeux pour le bien du diocèse (v. infra 27 b). L'éloignement du P. d'Alzon pour raison de santé, dès le début de l'épiscopat de Mgr Plantier, la crise financière des oeuvres de l'Assomption, pas plus que toutes autres nouvelles pressions, ne modifieront en rien l'option de Mgr Plantier, décidé de garder le P. d'Alzon à son service. Nous n'avons pas les lettres adressées par le P. d'Alzon à Mgr Plantier; mais celles de Mgr Plantier adressées au P. d'Alzon sont tout à l'honneur du nouvel évêque de Nîmes et, par contrecoup, à l'honneur du P. d'Alzon, l'un et l'autre hommes d'Eglise et au service de l'Eglise avant tout (v. infra 27).
1
Extraits d'une lettre de Mgr Doney au P. d'Alzon, Saint-Claude, le 8 juillet 1849. - Orig.ms. ACR, DZ 155.
Se rendant à Saint-Claude, Mgr Doney, évêque de Montauban, est passé par Avignon et par Lyon. Il fait part au P. d'Alzon de ce qui pourra intéresser le futur concile provincial d'Avignon, notamment en matière de réforme liturgique.
J'ai reçu de nouvelles assurances sur le futur concile en passant à Avignon, ayant profité de trois quarts d'heure qu'on m'y avait donnés pour faire mes adieux à l'archevêque(35).
A Lyon, j'ai vu le Cardinal et j'ai dîné chez lui avec l'évêque d'Autun. Il m'a dit de lui-même qu'il tiendrait le concile l'année prochaine pour y traiter de l'Index et de la Liturgie dans le bon sens. L'évêque d'Autun y pousse sérieusement, et déjà on travaille à son Proprium Oeduense. Tous les deux sont heureux d'avoir déjà tout acquises les deux voix de Langres et de Saint-Claude. Dijon est peu favorable, et ils croient Grenoble contraire; mais cela n'arrêtera pas. La seule difficulté sérieuse pour Lyon, c'est la conservation de leurs usages immémoriaux. Tant il y a que ceci doit être pour Avignon un motif (un peu humain) de gagner les devants.
2
Extraits de deux lettres du P. d'Alzon à Germer-Durand, Paris, les 26 et 29 novembre 1849
Le P. d'Alzon met à profit son séjour à Paris et un voyage à Amiens pour recueillir des renseignements en vue du prochain concile d'Avignon.
a)
De la lettre datée du 26 novembre. - Orig.ms. ACR, AC 131; T.D. 20, p. 131.
Je mène une vie de cheval de poste, je n'ai pas un moment pour me reposer. Je compte partir mardi, afin de pouvoir passer quelques heures à Nîmes avant le Concile, peut-être même lundi soir, afin de pouvoir causer avec l'archevêque d'Avignon de tous les renseignements que j'ai pris ici.
b)
De la lettre datée du 29 novembre. - Orig.ms. ACR, AC 133; V., Lettres, III p. 515.
Je vais demain à Amiens(36). . .] J'ai vu le nonce qui m'encourage beaucoup. Je ne sais si je pourrai finir toutes mes corvées d'ici à lundi; je vais faire un effort pour cela. Que de choses à vous dire à mon retour. Je meurs un peu de sommeil; il est près de minuit.
3
Extraits de deux lettres du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, pendant la tenue du concile d'Avignon, 1849
Le P. d'Alzon informe Mère M. Eugénie de sa participation aux travaux conciliaires.
a)
Avignon, 14 décembre 1849.- Orig.ms. ACR, AD 684; V., Lettres, III p. 518-519.
Il aurait aimé rédiger le décret sur l'Immaculée Conception. Il a proposé un décret pour obtenir du Pape, en faveur des religieuses, les voeux solennels.
J'avais pris une grande joie à songer que j'étais chargé de rédiger le décret sur l'Immaculée Conception; j'allais le lire, quand Mgr l'évêque de Nîmes a annoncé qu'il se chargeait de le rédiger ou du moins qu'il avait, lui aussi, préparé un projet de décret. J'ai eu, je l'avoue, un moment de vexation : d'abord, parce qu'il aurait pu me prévenir plus tôt; ensuite, parce que j'étais, ce me semblait du moins, satisfait de penser que j'aurais élevé à la Sainte Vierge le monument du Concile. [...]
J 'ai obtenu que l 'on proposât un décret pour demander au Pape que les religieuses, qui le demanderaient, puissent faire des voeux solennels. J'espère que cela passera. Nous en avons pour huit ou dix jours encore.
b)
Avignon, 21 et 22 décembre 1849. - Orig.ms. ACR, AD 685; V., Lettres, III p. 519-521.
Le P. d'Alzon est satisfait des travaux; cependant, s'il le faut, il fera une instance pour la question des voeux solennels.
Le Concile touche à sa fin. Si tout n'y a pas été parfait, du moins peut-on dire que l'ensemble en est profondément catholique. Nous demandons la définition du dogme de l'Immaculée Conception; on annonce le rétablissement de la liturgie romaine. [...] Je ne veux pas oublier de vous dire que j'ai abordé la question des voeux solennels, et, quoique les évêques n'aient voulu prendre aucune décision, il a été évident que tout ce qu'il y a de plus important comme science, gravité et piété, se prononçait en faveur des voeux solennels. Le P. Martin, le premier théologien qu'aient les Jésuites en France, m'a promis de s'occuper de cette question et de trouver le biais à prendre, pour que les Congrégations de femmes pussent faire des voeux solennels, tout en prévenant les difficultés que l'on tire de la législation actuelle. Du reste, s'il ne s'en occupe pas, je m'en occuperai et je crois que nous viendrons à bout de quelque chose.
4
Extraits d'une lettre du P. d'Alzon à du Lac, Nîmes le 1er janvier 1850. - Orig.ms. ACR, AC 135; V., Lettres, III p. 524-528.
A son ami du Lac, journaliste de L'Univers, à Paris, le P. d'Alzon avait donné des nouvelles du Concile pour les transmettre au nonce, le 14 décembre (ACR, AC 134; V., Lettres, III p. 516-517). Le Concile terminé, il fait le bilan de ses travaux et de sa participation personnelle dans une longue lettre "dont vous ferez ce que vous voudrez", écrit-il.
Maintenant, parlons du Concile. Il aura du bon; seulement, il aura été fait à coups de poing. Les choses ont été organisées de façon que les Congrégations se paralysaient entre elles. On a souvent fait double et triple travail pour rien du tout. Ainsi pour plaire à l'évêque de Nîmes, j'ai refait trois fois le projet de décret sur la liturgie. Quand on me l'a eu rogné, amoindri, annihilé, le P. Martin est venu, l'a supprimé pour en faire un autre, d'une force incroyable dans les considérants, mais moins fort, quant aux conclusions. [...]
Sur l'Immaculée Conception, je vous avouerai entre nous que j'avais fait un projet qui me paraissait bon. Les deux idées fondamentales étaient : 1° que, quand toutes les vérités étaient ébranlées ainsi que l'autorité sur laquelle l'enseignement catholique repose, il convenait que cette autorité protestât de sa puissance en continuant à définir les dogmes, comme de tout temps; 2° que l'Eglise maîtresse de choisir les dogmes qu'elle veut définir, prouvait de qui elle reçoit son secours en proclamant la perpétuelle pureté de celle qui a écrasé la tête du serpent et seule détruit toutes les hérésies dans l'univers. Le P. Martin a préféré copier à peu près la thèse de Bailly(37).
L'on a fait une profession de foi au Saint-Siège qui m'a paru trop peu romaine. J'ai cru devoir protester sur la manière dont on parle, comme Bossuet, de l'Eglise de Rome et presque pas du Pape. Il y a pourtant une belle adresse à Pie IX : elle est de l'évêque de Montpellier.
Il me reste à vous parler de deux décrets, l'un sur la charité et l'autre sur les études. Celui sur la charité témoigne d'assez bonnes intentions, mais il n'y a, à mon gré, que des intentions et pas autre chose. Quand, à la Congrégation générale, on me demanda mon avis, je me permis de déclarer que le sujet était trop important pour en parler après une simple et rapide lecture. Je déclarai cependant que je l'approuvais quant à la pensée, mais qu'il me paraissait exiger de graves modifications, ou plutôt de plus longues études que ce qu'on avait pu lui en consacrer. Ceci commença à mécontenter, à ce que j'ai su depuis.
Dans la même séance, on lut le projet de décret sur les études. Les deux premières parties qui traitent des études des Petits et Grands Séminaires me parurent pitoyables. Je déclarai que je me reconnaissais incompétent pour les études de théologie, mais que, pour l'instruction littéraire, le décret me paraissait compromettant aux yeux des universitaires qui n'eussent pas mieux fait, si on les avait chargés de déprécier l'instruction donnée sous la direction des évêques. Je demandai, ou qu'on en modifiât considérablement le plan d'études, ou qu'on restât dans des termes plus généraux et qui n'engageraient sur rien.
On commença à froncer le sourcil. La troisième partie du décret est bonne. On décrète que l'on fera une maison de hautes études théologiques et que l'on demandera au Pape le droit d'y donner des grades. C'est le meilleur moyen, à mon gré, de tuer les Facultés théologiques du gouvernement(38). Mais, quand on eut lu cette troisième partie du décret, je demandai s'il n'y avait plus rien, et comme l'archevêque me répondait affirmativement, je demandai la permission de parler d'une omission qui me semblait grave.
Je déclarai que l'on n'avait pas dit un mot de la liberté de l'Eglise; qu'on avait abordé les petites questions de détail; qu'on avait, par exemple condamné Vingtras(39) dont les sectateurs offraient peu de danger, mais qu'on semblait avoir craint d'aborder en face le grand, le véritable ennemi, l'ennemi qui depuis si longtemps veut asservir l'Eglise; que Dieu nous ayant donné la liberté (la liberté des Conciles, par exemple), sans que nous eussions rien fait pour cela, il fallait au moins faire quelque chose pour la conserver. Je brodai ce thème pendant dix minutes et je finis par demander que, ou l'on fît un décret spécial, ou que, dans un décret comme celui des études ou celui des devoirs des évêques, on dît quelque chose de la résolution des évêques de défendre la liberté de l'Eglise.
Il paraît que, de ce moment, je n'ai plus été bon à donner aux chiens. Quelques prêtres vinrent bien me faire compliment de ce que j'avais dit, mais mon évêque me déclara en particulier que je n'avais pas été convenable de reprocher aux évêques d'avoir oublié quelque chose. L'évêque de Montpellier, qui prêcha le lendemain à la métropole, commença son sermon, qui fut court, par une immense tirade contre ceux qui voulaient qu'on fît des décrets sur la liberté de l'Eglise, que l'Eglise se servait de la liberté sans faire de phrases, etc., etc. Je vous demande pardon de tant vous dire ce que j'ai fait, mais franchement voilà les seuls incidents de quelque intérêt.
Le Concile aura de bon que les évêques semblent assez s'entendre et que l'archevêque d'Avignon paraît assez les mener. Cependant, à la dernière session de la métropole, quand on demanda aux évêques le placet pour le décret sur les études, l' évêque de Valence ne se gêna pas pour dire à haute et intelligible voix : non placet.
L'abbé Gareizo(40), qui vient de me souhaiter la bonne année et à qui j'ai fait part de ce que je vous écris, m'assure que j'ai tort de croire que la plupart des évêques aient désapprouvé ce que j'avais dit sur la liberté de l'Eglise, que je fus, au contraire, approuvé de presque tous; il ajoute que les journaux ont vanté l'énergie avec laquelle l'évêque de Montpellier a parlé sur la liberté de l'Eglise. Et vous voyez pourtant qu'il n'a eu que l'intention de réfuter le regret que j'avais exprimé qu'on n'en eût pas parlé dans les décrets.
5
Extraits d'un Mémoire adressé par le P. d'Alzon au cardinal Fornari, Paris 15 février 1853. - Minute ms. ACR, AO 25; T., Lettres, I p. 242-246.
Ayant réfléchi avec d'autres prêtres de la province ecclésiastique d'Avignon, le P. d'Alzon croit devoir transmettre à Rome par l'intermédiaire du cardinal Fornari un Mémoire sur l'état actuel de l'Eglise de France et sur quelques moyens d'y assurer le triomphe du principe romain.
Quelques prêtres, dont trois vicaires généraux appartenant à divers diocèses(41), réunis par une convocation de l'archevêque d'Avignon pour une bonne oeuvre, ont profité de la circonstance qui les rapprochait pour examiner s'il ne serait pas important de créer une sorte de Comité directeur, à l'aide duquel on exercerait une action plus une, plus intelligente, plus persévérante. Ils se sont promis de ne reculer devant aucun sacrifice pour atteindre ce but et, partant des données qui précèdent, ils se proposent d'agir sur le clergé, les classes instruites et le peuple par les moyens suivants :
1° Sur le clergé - Par des réunions de piété pour les prêtres, dans les grandes villes où se trouvent placés d'ordinaire les jeunes membres du sacerdoce les plus intelligents. On leur parlera des devoirs de leur état; on leur prêchera le zèle pour les bonnes oeuvres, à l'aide desquelles ils exerceront une influence très utile sur les masses; on aura soin de faire revenir avant tout et toujours l'amour de l'unité et de celui qui en est le centre.
Secondement, on donnera [le] plus d'extension possible à une Revue qui compte 800 abonnés, presque tous dans la province d'Avignon(42), et on y traitera avec tout le soin possible les grandes questions théologiques au point de vue romain.
En un mot, on s'efforcera de pousser les prêtres ultramontains à l'action, afin que, se posant par la science et la charité, ils puissent à tel moment donné se faire respecter des adversaires de Rome, soit par leur valeur personnelle, soit par les populations dont ils auraient conquis la confiance par leurs bonnes oeuvres.
2° Sur les classes instruites - Il faut aux classes supérieures une éducation où on [ne] leur inspire plus cette piété individuelle et en quelque sorte protestante qui isole l'âme dans des pratiques solitaires, ou réduit les devoirs envers Dieu à quelques actes de dévotion; mais où on leur élargisse le coeur pour leur faire aimer la cause de Jésus-Christ et de son Eglise. Ceci est plus facile qu'on ne le pense. Dans un temps de révolution comme le nôtre, l'enthousiasme politique s'éteint; l'amour des intérêts matériels domine les hommes faits, mais les jeunes gens ont besoin d'enthousiasme, et si les professeurs l'ont vif et profond pour l'Eglise, ils peuvent le communiquer.
Une lutte s'est établie entre les classes supérieures et le peuple. L'incrédulité égoïste est impuissante et ne la peut terminer que par le pillage ou l'esclavage; la charité chrétienne seule peut l'apaiser et remettre tout dans l'ordre. Les jeunes gens chrétiens, de bonne famille, munis, d'une part, de nos principes, de l'autre, en état d'agir par eux-mêmes et par leur fortune, peuvent rendre d'immenses services. Il faut que l'élément de la charité préside à l'éducation; la science des bonnes oeuvres en donne le goût. Ceci commence à s'appliquer dans plusieurs maisons d'éducation, et les résultats en sont merveilleux. Une revue qui compte parmi ses abonnés environ 150 collèges chrétiens, continuera à développer ces principes(43) .
3° Sur le peuple - On comprend que le peuple ne peut que profiter des efforts combinés du clergé et des classes supérieures pour son amélioration. Le peuple n'a pas à discuter les questions controversées sur le pouvoir du Pape, mais il peut sentir s'accroître son amour pour Rome, s'il voit les prêtres les plus ultramontains, les riches les plus attachés au Saint-Siège s'occuper le plus de ses intérêts.
Des écoles, des patronages, des colonies agricoles, une oeuvre de colportage destinée à faire pour les livres catholiques ce que les colporteurs protestants font pour leurs impiétés, des bibliothèques paroissiales, la visite des pauvres à domicile et tant d'autres bonnes oeuvres, semblent des moyens excellents de véritable propagande.
On s'était d'abord proposé d'indiquer ce que chacun de ces prêtres avait pris pour son lot, dans ce genre d'actions; on trouve inutile de donner plus de détails, qu'on est prêt à fournir s'ils sont demandés. On se borne seulement à exprimer le désir que, si un plan pareil était jugé digne d'encouragement, on fasse savoir en secret qu'une haute autorité ne les désapprouve pas.
6
Extraits de la lettre de l'abbé Grivet au P. d'Alzon, 22 juillet 1853. - Orig.ms. ACR, EA 68.
Lorsque parut, au mois de mars, l'Encyclique Inter multiplices quelques-uns des prêtres qui s'étaient rencontrés en Avignon au début de l'année, voulurent en tirer des conséquences pratiques. Ainsi, l'abbé Grivet, vicaire général de Valence, en accord avec l'abbé Jouve, communique confidentiellement au P. d'Alzon un programme de concile provincial qu'il a soumis à l'archevêque d'Avignon. Sans reprendre le détail de ce programme, nous transcrivons les têtes de chapitres.
Dans la dernière lettre que vous adressiez à M. Jouve(44) et qui nous a causé tant de joie, vous avez témoigné le désir que j'écrivisse à Mgr l'archevêque d'Avignon(45) pour lui soumettre quelques idées au sujet du futur concile. Je crois avoir rempli vos vues en adressant à Sa Grandeur un programme de ma façon, tout en la priant d'excuser ma hardiesse. Voici ma pensée.
On devrait prendre pour point de départ la dernière Encyclique et l'on traiterait des questions suivantes : 1.Liturgie [...]; 2. Conciles provinciaux et synodes [...]; 3. Etudes littéraires [...]; 4. Etudes théologiques [...]; 5. Journalisme, écrivains religieux [...]; 6. Respect dû au Saint-Siège [...]; 7. Coutumes et usages [...]; 8. Chapitres [...]; 9. Congrégations religieuses [...]; 10. du mariage [...].
Voilà, Monsieur l'abbé, ce que j'ai dû devoir ouvrir confidentiellement à Mgr l'archevêque d'Avignon. J'ai supplié Sa Grandeur de garder ma lettre pour Elle seule. Il ne serait ni prudent ni avantageux pour moi que cette lettre parvînt à la connaissance de mon vénéré pontife ni du public. Je vous fais la même recommandation et je compte entièrement sur votre réserve. Vous verrez s'il ne serait pas convenable que vous écriviez vous-même à Avignon dans un sens analogue. Mais de grâce, ne laissez pas voir que je vous ai écrit sur ce ton. J'espère que nous aurons le plaisir de vous revoir dimanche 21 août à Valence. Adieu donc jusqu'à cet heureux jour(46).
7
Extrait d'une lettre du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, relative au Carême de 1846 (Paris), Nîmes le 28 janvier. - Orig.ms. ACR, AD 409; T.D. 19, p. 57-58.
Le P. d'Alzon a accepté de prêcher le Carême à Notre-Dame des Victoires, à Paris. Il craint de ne pouvoir venir à bout de ce qu'il entreprend, et demande ce qui serait le mieux quant au fond et à la forme de ses sermons.
Je vous avoue que, plus j'y réfléchis, et plus je me crois obligé d'agir avec une extrême prudence. On m'accuse tant de prendre sur mes bras plus que je ne puis porter, et, de ce fait, je sens que j'ai tant à faire pour pouvoir venir à bout de tout ce que j'ai entrepris ! Priez beaucoup pour que je puisse voir clair là-dedans. [...]
Avez-vous quelque idée des points que je ferai mieux de toucher à Notre-Dame des Victoires ? Vous connaissez à présent un peu ma manière de faire. Donnez-moi un peu vos idées sur ce que je puis corriger et modifier dans ma manière de prêcher. Quels sujets pensez-vous les meilleurs pour mon auditoire ? Dois-je toujours être moi ? Je dois vous prévenir que mon moi est devenu un peu plus grave, plus triste, mais aussi un peu moins facile dans l'élocution, à ce qu'on dit. Puis je ne sais comment il se fait que ce que je ne prépare pas produit en général plus d'effet que ce que je prépare. Il me semble que je voudrais beaucoup conduire les gens au bon Dieu, puis j'y trouve toujours des difficultés dans le peu d'ordre et de clarté que j'apporte à mes instructions .
8
Extraits de 3 lettres du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, relatives au Carême de 1849 (Nîmes)
Pour obéir à son évêque, le P. d'Alzon a accepté de prêcher le Carême à la cathédrale. Mais cette prédication ne lui a pas permis d'être totalement au service de son collège.
a)
Nîmes, le 31 janvier 1849. - Orig.ms. ACR, AD 624; T.D. 20, p. 67.
Monseigneur exige que je prêche le Carême à la cathédrale. J'ai lutté pendant trois jours, j'ai envoyé des maîtres de l'Assomption réclamer, il n'y a pas eu moyen. Il ne me reste qu'à m'y prêter de bonne grâce, et je m'y prépare en cherchant à me sanctifier. Priez pour moi. Je prêche trois fois par semaine.
b)
Nîmes, le 29 mars 1849. - Orig.ms. ACR, AD 635; V., Lettres, III p. 420.
Mon travail va assez bien, sauf qu'on se confesse peu. J'ai cependant quelques énormes poissons. Mais l'idée de pardonner aux protestants écarte nos bourgadiers(47) de la confession. Il faut que je vous laisse pour courir après ces pauvres gens.
c)
Nîmes, les 11-12 avril 1849. - Orig.ms. ACR, AD 636; T.D. 20, p. 80.
Le Carême a fait baisser le niveau moral de la maison; il me faut absolument le remonter ou nous allons tomber dans quelque chose de déplorable, non pas qu'il y ait du mal, mais parce que maîtres et élèves se ressentent des distractions que ma station a causées. [...] Tout fatigué que je suis du Carême, je ne suis pas allé voir ma mère, qui est à deux heures de Nîmes, pour surveiller ma maison. Tous les jours, je me concentre un peu plus. Il y a beaucoup de choses à dire sur cette maison, qui gagne tous les jours par le nombre et par le bon esprit des élèves, mais qui a besoin de gagner du côté de certains maîtres.
9
Extraits de 2 lettres du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, relatives au mois de Marie de 1850 (Nîmes)
En 1850, le P. d'Alzon n'a pas cru devoir refuser de prêcher un mois de Marie aux hommes de la ville de Nîmes. Ils sont venus nombreux, mais à la fin de la station, le P. d'Alzon accuse une certaine fatigue.
a)
Nîmes, le 11 mai 1850. - Orig.ms. ACR, AD 716; V., Lettres, III p. 578.
Je me suis engagé, pendant le mois de Marie, à donner des instructions deux fois par semaine à la cathédrale. Ces instructions sont pour les hommes seulement, et ces braves gens s'y rendent avec une affluence telle que ce serait un vrai péché de les abandonner. Hier soir, ils étaient bien près de quatre mille, s'ils ne dépassaient pas ce nombre. Je viens de voir quelqu'un qui m'a dit n'avoir pu trouver place que sur les marches du maître-autel.
b)
[Nîmes, vers le 8 juin 1850]. -Orig.ms. ACR, AD 719; V., Lettres, III p. 581.
Je ne sais ce que devient mon temps, avec mes crampes d'estomac, les bains que je suis forcé de prendre, quelques sermons et les visites qui pleuvent de je ne sais où. Il va être 10 heures, je n'ai pas dit Matines et il faut que j'aille au Conseil de l'évêché. Excusez-moi donc, ma chère enfant. Quand je n'aurais pas la pensée du plaisir de vous voir, le besoin de repos me ferait désirer de sortir d'ici. Je serai même forcé d'aller me reposer deux ou trois jours chez ma mère. Il serait imprudent, dans l'état de mon estomac, de me mettre en route pour un aussi long voyage sans quelques précautions.
10
Notes manuscrites de sermons du P. d'Alzon (1844-1855)
Trois exemples de la prédication du P. d'Alzon, l'un daté de 1847 et les deux autres à dater, d'après l'écriture, entre 1845 et 1855, montrent comment il présentait le mystère chrétien dans son unité vivante, afin de promouvoir chez ses auditeurs une foi personnelle et ecclésiale. "Nous nous appliquerons, écrit-il dans sa règle de 1855, à former des chrétiens profondément attachés à l'Eglise, et à montrer la nécessité absolue d'une unité vivante, non seulement dans le dogme, mais encore dans la discipline, sous la direction de plus en plus respectée du Souverain Pontife."
a)
Extrait d'un sermon donné en l'église de Sainte-Perpétue de Nîmes, le 25 avril 1847. - ACR, CQ 56; T.D. 44, p. 7-8.
Le P. d'Alzon, célébrant la gloire du martyre en deux faibles femmes, dit à ses auditeurs :
Il n'y a de salut dans l'Eglise que dans le martyre. L'Eglise, qui vous a fait son enfant, vous a fait son défenseur. Vous êtes chrétien, vous devez être soldat, c'est-à-dire martyr : martyr contre le péché par la mortification; martyr de la charité de l'Eglise par les bonnes oeuvres; martyr, c'est-à-dire témoin de la vérité de l'Eglise, par l'action que vous exercerez autour de vous. Mais, dites-vous, je n'ose pas. - Hélas ! je le vois bien et quand la peur est la seule divinité qu'adore une armée, ne pouvez-vous pas prévoir son sort au moment du combat ? - Je ne sais pas. - D'où la nécessité de vous instruire. Nul homme sur la terre ne devrait être aussi instruit que le chrétien. On possède le soleil et l'on dit que l'on est dans les ténèbres! Omnes vos filii lucis estis. - Mais je ne m'occupe que de moi. - Tant pis ! Il y a des religions isolées, individuelles, mais le catholicisme, c'est ce qu'il y a de plus large, de plus grand.
b)
Extrait d'un sermon donné à Nîmes pour la Fête-Dieu (1845-1855). -ACR, BK 3-5, p. 271; T.D. 50, p. 36.
Le P. d'Alzon invite ses auditeurs à voir les grands mystères de la foi : Jésus-Christ, l'Eglise, l'Eucharistie, selon leurs liens intrinsèques.
J'entreprends aujourd'hui, mes frères, de vous dire quelque chose des deux sujets les plus chers à mon coeur. Je les réunis sous un même point de vue afin de vous révéler, selon ma faiblesse, comme un rayonnement des éternelles clartés que le mystère de ce jour répand sur le monde régénéré : Dieu, d'une part; l'humanité, de l'autre; entre Dieu et l'humanité, Jésus-Christ, Dieu et homme. Jésus-Christ, fils de l'homme, puisant dans le sein de son père des trésors inépuisables de science, de sagesse, de sainteté, de vertu et les répandant à flots sur les hommes. Celui en qui habite corporellement la plénitude de la divinité se communiquant à son Eglise et à chaque membre de son Eglise selon tout ce qu'elle est, par l'Eucharistie. Jésus-Christ et l'Eglise, les rapports de Jésus-Christ avec l'Eglise par l'Eucharistie. Voilà de quoi je veux m'entretenir.
c)
Le rationalisme : Questions à examiner (1844-1855). - ACR, CS 79; T.D. 46, p. 152.
Par des interrogations progressives, le P. d'Alzon bâtit un exposé contre le rationalisme.
1° Qu'est-ce que le rationalisme ?
2° De qui le rationalisme est-il fils ?
3° Le protestantisme est-il forcé d'aboutir au rationalisme ? 4° Quelle est la portée du rationalisme ?
5° Le rationalisme qui a nié l'autorité de l'Eglise n'est-il pas conséquent en niant l'inspiration des Livres Saints ?
6° Le rationalisme en niant l'inspiration des Livres Saints, et dès lors toute révélation, ne nie-t-il pas tout ordre surnaturel ou la grâce ?
7° En attaquant la grâce et la révélation, le rationalisme ne rompt-il pas un certain rapport entre l'homme et Dieu ?
8° N'est-il pas important aujourd'hui, plus que jamais, d'établir, avec la nécessité de la révélation, le dogme de la grâce où aboutit l'ordre des rapports et la distinction entre Dieu et l'homme, et où aboutit la question du panthéisme ?
9° Comment procéder pour établir aux yeux des rationalistes le dogme de la grâce ?
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Extraits de la lettre du Dr Allies au P. d'Alzon, Paris le 23 décembre 1853. - Orig.ms. ACR, EB 6.
Le P. d'Alzon s'était toujours intéressé au mouvement d'Oxford, et depuis 1845 où il l'avait rencontré à Paris avant sa conversion, il restait en relation avec le Dr Allies, professeur de l'Université d'Oxford. Après sa conversion, de passage à Paris, le Dr Allies le remercie pour un acte de générosité à son égard et lui recommande d'accueillir un autre professeur converti, lui aussi, au catholicisme.
J'ai reçu l'année passée une preuve bien touchante que votre amitié ne m'avait pas oublié, quand vous m'avez fait la proposition si aimable et généreuse de votre part de faire élever un de mes enfants à Nîmes. [...] A présent, je viens de passer quelques jours à Paris, pour la première fois depuis que je suis catholique. Si vous y eussiez été, quel plaisir j'aurais eu de renouveler avec vous nos entretiens d'autrefois, dans des circonstances si changées, quand je ne suis plus hérétique ni schismatique. J'ai entendu lire par M. Nicolas, chez M. Augustin Cochin, il y a deux jours, une lettre très récente de vous, qui exprimait la vive espérance que le protestantisme dans le sud de la France touchait à sa fin. Fiat Deus. Mon compagnon de voyage, et mon ami très particulier, est M. John Pollen, qui voyage maintenant à Rome. Il a eu la pensée de s'arrêter quelques jours à Nîmes, et probablement il sera porteur de cette lettre. Il a quitté, il y a un an, la plus belle position à Oxford, pour se faire catholique, ayant été Fellow de son collège, et premier magistrat (senior Proctor) de l'Université, il y a deux ans. Son frère aîné dans le mois passé a suivi son exemple. Il vous donnera tous les renseignements sur les partis religieux à Oxford, si vous continuez à vous y intéresser(48).
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Extraits de 7 lettres du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, relatives aux conférences sur le protestantisme, hiver 1853-1854 (Nîmes)
Pendant l'hiver de 1853-1854, le P. d'Alzon donne tous les lundis, à la cathédrale de Nîmes, une série de conférences sur le protestantisme, où il traite de la Bible, du Ministère, de l'Eucharistie. Il tient au courant Mère M. Eugénie de cet apostolat audacieux, et il lui demande des prières pour ne pas manquer à la prudence, et une documentation supplémentaire pour parler en toute vérité. Même si ses conférences le prennent beaucoup, il ne pense pas manquer à ses responsabilités de fondateur.
Nous connaissons la situation religieuse de la ville de Nîmes par le jeune Vincent de Paul Bailly, accueilli à l'Assomption en 1853; dans des lettres écrites aux siens, il nous donne des chiffres, constate une opposition de mentalités, mais signale aussi des gestes de bienveillance, à partir desquels le P. d'Alzon peut espérer une action plus grande auprès des protestants et plus d'ouverture de la part des catholiques :
"La ville de Nîmes se compose de 40 000 catholiques et de 20 000 protestants au moins, qui ont pour eux la fortune, et par suite l'influence entre les mains" (Lettre du 29 mai). - "Depuis vingt-trois ans, et sous le régime de 1830, il s'est fait une ligne de démarcation bien complète entre les deux cultes, et jamais ici, catholiques et protestants ne se voient, ce sont deux castes complètement séparées; on ne peut même donner de grandes soirées par la difficulté qu'il y a à réunir ensemble une société nombreuse appartenant à l'un des cultes exclusivement." Cependant, pour la procession de la Fête-Dieu, "le plus riche des protestants de Nîmes aida plus que tout autre à sa magnificence. Il prêta toutes les plantes précieuses de sa serre pour la décoration et fit tendre en rideaux rouges toute sa propriété; c'est d'autant plus beau que je le crois un prosélyte ardent de sa religion" (31 mai). Par contre, dans le quartier de Saint-Charles, "on ne compte pour ainsi dire aucun protestant, mais au contraire une population pleine de foi et même un peu trop avide d'argumenter contre les calvinistes à coups de poing".
a)
[Nîmes, le] 11 décembre 1853. - Orig.ms. ACR, AD 929; T., Lettres, I p. 355.
Nous avons commencé ici un mouvement catholique pour attirer les protestants. La ville s'émeut. Priez Dieu que je ne fasse pas d'imprudence .
b)
[Nîmes, le] 31 décembre 1853. - Orig.ms. ACR, AD 3; T., Lettres, I p. 359.
Je suis effrayé de la tournure que peuvent prendre les conférences sur les protestants. Les catholiques (le peuple) sont dans l'enthousiasme. Une femme, ne sachant que dire, affirmait hier qu'elle s'asseoirait sur une fourchette pour m'entendre. Notez que ce n'est pas de mon éloquence qu'il est ici question, mais des sujets traités. Les ministres eux-mêmes viennent m'entendre. Les catholiques tièdes murmurent de ce qu'on trouble leur quiétude. Priez Dieu pour que je sois un apôtre.
c)
[Nîmes, le] 12 janvier 1854. - Orig.ms. ACR, AD 7; T., Lettres, I p. 371.
Ce qui me retient à Nîmes, ce sont mes conférences sur le protestantisme : elles font peut-être trop de bruit. Le bien en résulte en ce sens que le clergé se groupe. Lundi dernier, il y avait dans la cathédrale environ 40 prêtres, ce qui est énorme pour Nîmes. Mais pour préparer, il faut prendre sur son sommeil, et quand à cela il faut joindre des serrements de coeur, je ne sais pas bien ce que je deviens. Je vous dis cela à vous, car il me paraît qu'en général je supporte assez bien ces fatigues à l'extérieur.
Je prêche en ce moment une retraite aux anciennes élèves de Saint-Maur. Il pourrait bien se faire que, parmi elles, je trouvasse quelques bonnes vocations.
d)
[Nîmes, le 15 janvier 1854]. - Orig.ms. ACR, AD 9; T., Lettres, I p. 371.
Je viens de terminer une retraite et j'ai sur les bras mes fameuses conférences du lundi. Les terreurs de l'évêque me créent d'énormes embarras. Priez pour que je me conduise comme un saint dans une situation très glissante, précisément parce qu'elle est trop belle à certains égards.
e)
[Nîmes, le] 24 janvier 1854. - Orig.ms. ACR, AD 10; T., Lettres, I p. 373.
Priez beaucoup pour les protestants. Hier j'en avais de 500 à 600 à mon instruction. Il paraît qu'ils furent contents de moi, quoique je ne les aie pas ménagés; mais peu à peu leur colère passe et les femmes éprouvent des terreurs de ce que je vais troubler leur conscience. Il est vrai que la pensée de faire du bien à ces pauvres [gens] m'absorbe et me préoccupe peut-être trop. Enfin, il faut espérer qu'il y aura là dedans un certain bien pour la gloire de Dieu. Mon saint évêque ne croit pas devoir y paraître. C'est fâcheux, parce qu'on le remarque.
f)
[Nîmes, le] 1er février 1854. - Orig.ms. ACR, AD 12; T., Lettres, I p. 382-383.
Vous avez parfaitement raison. Je ne suis pas assez fondateur et je veux l'être davantage. Quand j'irai à Paris, je vous expliquerai ce que je fais pourtant; comme aussi je vous dois quelques explications :
1° Les dérangements que j'ai ici viennent presque tous de la maison ou de ce qui s'y rapporte;
2° Mes prédications pour les protestants ont réveillé déjà quelques vocations religieuses.
Une fois cela dit, je vous accorde que vous avez très fort raison.
g)
Nîmes, 11 février 1854. - Orig.ms. ACR, AD 933; T., Lettres, I p. 388.
Le besoin de faire de la controverse m'oblige à chercher des livres. Si vous pouviez me faire venir d'Angleterre par quelque occasion les ouvrages indiqués dans la note ci-jointe, vous me rendriez un grand service(49).
13
Extraits de la lettre du Dr Gouraud au P. d'Alzon, Paris, le 12 juin 1854. - Orig.ms. ACR, EB 380.
Ami de jeunesse, le Dr Gouraud vient d'apprendre que le P. d'Alzon est tombé gravement malade, le 19 mai 1854. Il va mettre tout son coeur d'ami et de médecin pour inviter le P. d'Alzon à plus de prudence et de réserve dans l'expansion de son zèle apostolique. C'est une longue lettre de huit pages, dont nous reprenons les passages les plus significatifs .
Aujourd'hui, je voudrais que vous eussiez la bonté de m'écouter comme médecin, et si l'amitié se mêle à mes conseils, croyez bien que c'est une amitié sérieuse, chrétienne et qui sait tenir compte de tout. [...] Ce qui vous tue, c'est la multiplicité et l'irrégularité des choses que vous faites, soit que vous vous les imposiez, soit que vous vous les laissiez imposer. [...] La Providence vous indique deux grandes occupations : celle de grand-vicaire, puisque vous l'êtes, celle des devoirs de votre Ordre; n'avez-vous point assez de ces deux occupations ? [...] Il est évident pour moi que le soin des oeuvres accessoires vous diminue d'autant dans ce que vous avez à faire d'essentiel et de plus particulièrement providentiel. Cela peut aller un certain temps, mais cela ne peut aller un long temps. Les hommes les plus intelligents de notre temps, le P. Lacordaire, le P. Guéranger, le P. de Ravignan ne font qu'une chose. [...] Il résulte de votre position et des excellentes qualités que vous possédez (que je connais mieux que personne et qui m'attachent à vous plus que personne), il résulte du bien même que vous avez déjà fait que vous aurez, hélas ! comme tout homme, des flatteurs : on admirera votre saint zèle, on admirera vos discours, on vous dira que vous êtes indispensable à telle ou telle chose, on vous dira même de ménager votre santé, en vous faisant toutefois entendre qu'on trouve très beau de vous la voir sacrifier, etc.
[...] Ne vous emportez pas, mon cher ami, ne vous fâchez pas contre moi, ne jetez pas ma lettre au feu : réfléchissez à ce que je dis et qui est pour la santé de votre esprit, comme pour la santé de votre corps, pour la santé de l'Assomption (dont je suis un peu), comme pour la santé de l'abbé d'Alzon. Soumettez-vous à mes conseils, et cela vous fera du bien; méfiez-vous de vous-même et des saintes âmes qui vous entourent. Ne tendez pas le ressort jusqu'à ce qu'il se brise.
14
Extrait du rapport général sur les oeuvres de la Société de Saint Vincent de Paul, pendant l'année 1851. - Bulletin de la Société, t. IV, 1852, p. 275.
A côté de la Société de Saint Vincent de Paul de la ville de Nîmes, que le P. d'Alzon avait remise en activité, il créa dans son collège, avec les maîtres et les élèves, d'autres Conférences qui attirèrent l'attention des responsables des Conférences de Saint Vincent de Paul. Voici ce que nous relevons dans le rapport général pour 1851 :
Dans l'établissement de l'Assomption, près de Nîmes, dont la prospérité rejaillit sur nos oeuvres, 4 Conférences sont en plein exercice; non contents d'instruire les enfants, les ouvriers et les soldats, elles ont établi un fourneau économique qui a délivré pendant l'hiver jusqu'à 19 238 portions de soupe d'un litre, à 2 centimes le bon. Leurs membres sont tellement attachés à leurs oeuvres, que 20 d'entre eux qui se trouvaient, au mois de juillet dernier, aux bains de mer de Cette, sous la conduite de deux maîtres de la maison, résolurent de s'y former en Conférence, comme ils l'avaient fait l'année précédente, et visitèrent régulièrement 20 familles pauvres pendant leur séjour. - Le zèle et le besoin de faire la charité gagnant de proche en proche, les domestiques de l'établissement, au nombre de 18, voulurent aussi secourir les pauvres; ils se sont réunis en Conférence et ont visité jusqu'à 32 familles. Leur principale ressource a toujours été la quête hebdomadaire. - Un des côtés intéressants de ces jeunes Conférences, c'est leur moyen de faire appel à la charité : ici des soirées amusantes et des concerts sont donnés par les élèves, là des loteries sont organisées, ailleurs ce sont des quêtes et des souscriptions(50).
15
Extraits d'articles de la Revue des bibliothèques d'Avignon
Cette revue, qui a pour titre : La Revue des bibliothèques paroissiales et des faits religieux de la province ecclésiastique d'Avignon, fut créée en novembre 1850, pour donner suite aux décisions prises par le concile d'Avignon. En la feuilletant, nous trouvons le reflet dans la vie de son but premier et de tout ce qui se fait pour développer les bonnes oeuvres, comme on disait alors. Voici des indices de la contribution du P. d'Alzon :
a)
[Nouvelles du] diocèse de Nîmes, (Extraits d'une correspondance). -2e année, n° 1, 18 novembre 1851.
Nous avons déjà annoncé que Mgr l'évêque avait formé une commission des édifices religieux; cette commission est composée des membres religieux : MM. d'Alzon, vicaire général, Goubier, curé de Sainte-Perpé-tue(51 ).
b)
Etablissement de l'oeuvre des Tabernacles à Nîmes, (Extraits d'une correspondance). - 2e année, n° 3, 10 janvier 1852.
Secondée par la bénédiction du premier pasteur du diocèse, l'oeuvre des Tabernacles s'est emparée de l'avenir : elle puisera désormais dans cette parole, qui lui a été dite au jour de sa naissance : Allez, je vous bénis - toute la puissance d'une longue vie. Sous l'intelligente direction de M. l'abbé d'Alzon, vicaire général, qui a le mérite de sa première pensée, elle aura pour devise et pour drapeau : tout est possible à celui qui croit, tout est possible à celui qui aime(52).
c)
Extraits d'un article du P. d'Alzon : Oeuvre du bon colportage, Appel de concours. - 3e année, n° 10, octobre 1853; T.D. 7, p. 106-119.
Il serait superflu de démontrer l'utilité immense d'une organisation de colportage, dans le but de propager par les bons livres les notions les plus essentielles de religion, de morale, d'hygiène, d'économie domestique, etc., parmi le peuple. Ce que nous avons vu dans ces dernières années fait sentir ce besoin à tout le monde. [. . .] Des hommes de coeur, des esprits d'élite ont compris la haute portée de cette institution combinée avec maturité : ils ont apporté leur concours à l'oeuvre poursuivie par M. Bernard [chanoine d'Avignon], avec une obstination de courage et de foi, qui a dû longuement lutter contre les effrois des timides et contre les défiances des habiles et des prudents. Ça a été un bonheur pour nous de suivre pas à pas ce prêtre au zèle brûlant, nous dirons obstiné. [...] Il nous est impossible de ne pas croire au succès de son oeuvre et à tous les fruits que la cause de l'Eglise recueillera par cette tentative d'une nouvelle propagande. Nous conjurons les catholiques d'y réfléchir(53).
d)
Extraits d'articles du P. d'Alzon : Aux lecteurs de la Revue. -4e année, n° 1, janvier 1854; T.D. 7, p. 97-105.
Il faut que la Revue soit l'oeuvre de tout le clergé de notre province ecclésiastique. Nous ne pouvons renoncer à y voir un lien précieux destiné à unir tous les membres de cette famille hiérarchique, et, puisque l'oeuvre des bibliothèques paroissiales, dont la Revue n'est qu'un rameau, a grandi sous la bénédiction des Pères du concile d'Avignon, pourquoi, forts d'une protection si haute, nous lasserions-nous de faire appel, jusqu'à ce qu'on nous réponde, à tous ceux qui comprennent de quelle importance il est pour le clergé de marcher toujours comme un seul homme sous l'empire des pensées communes et de communs sentiments ? [...] Si l'on nous demande quel but nous nous proposons dans la Revue, quel en sera l'esprit, nous répondrons sans hésiter : l'esprit de nos Conciles; et quant au but, nous n'en avons point d'autres que d'inspirer un amour toujours plus grand pour l'unité catholique. [....] Les bibliothèques sont plus particulièrement destinées aux fidèles; la Revue s'adresse au clergé et aux chrétiens plus instruits. Nous conjurons donc les personnes qui se plaignent des limites dans lesquelles on a restreint le choix des livres, de se rappeler la classe de lecteurs auxquels ils doivent être plus particulièrement distribués(54).
e)
Nouvelles de Nîmes, 7 janvier 1854 (Extraits d'une correspondance).-ibid.
La ville de Nîmes prend en ce moment une attitude religieuse toute spéciale et bien remarquable : déjà depuis six semaines, sa population catholique, et aussi bon nombre de protestants, se présentent dans l'église cathédrale autour de la chaire où, chaque lundi, l'un des vicaires généraux, M. l'abbé d'Alzon, prêche des conférences relatives au protestantisme. [...] Le concours est vraiment prodigieux; l'église suffit à peine au nombre croissant d'auditeurs. [. ..]
Il existe aussi à Nîmes depuis plus d'un an, sous la direction, encore, de M. l'abbé d'Alzon, un autre genre de conférences qui a bien aussi son importance : c'est une réunion du jeune clergé de la ville et de plusieurs curés ou vicaires des paroisses environnantes, qui a pour but de s'édifier et de s'encourager aux oeuvres de zèle. Dieu seul peut connaître tout le bien qui résultera de ces réunions qui rappellent si bien celles dirigées autrefois par saint Vincent de Paul.
f)
L'oeuvre des soldats, à Nîmes (Extraits d'une correspondance). -4e année, n° 6, avril 1854.
Vendredi 24 mars, à 11 heures du matin, une intéressante cérémonie religieuse a eu lieu dans notre église cathédrale, en présence d'un grand concours de population : avant que le 39e régiment de ligne quittât notre ville pour se rendre en Orient, Mgr l'évêque de Nîmes avait voulu réunir au pied des autels les braves qui le composent, afin de leur adresser quelques paroles d'adieu. [...] La messe a été célébrée par notre vénérable évêque assisté de Mgr le grand-vicaire d'Alzon et du curé de la cathédrale(55).
g)
Diocèse de Nîmes [Nouvelles] (Extraits d'une correspondance]. 5e année, n° 6, avril 1854.
Hier, 10 décembre, la Société des jeunes gens, qui est placée sous la protection de Marie conçue sans péché, célébrait sa fête. Le matin, une messe solennelle avait été chantée dans la chapelle qui est le lieu ordinaire de leurs exercices religieux. Une communion générale de presque tous les membres avait eu lieu. A partir de ce moment, ces jeunes gens s'étaient succédé heure par heure auprès du Saint-Sacrement exposé là, aussi bien que dans les autres églises du diocèse, par prescription épiscopale. Mais tandis que les uns remplissaient l'office d'adorateurs, les autres exécutaient à merveille le reste du programme. [...]
Nous regrettons de n'être arrivés qu'à la dernière heure et de n'avoir vu qu'une partie de la fête. En effet, ce n'est qu'à 7 heures 1/2 du soir que nous nous trouvions réunis avec un bon nombre d'ecclésiastiques et avec les Chers Frères des Ecoles chrétiennes et quelques autres amis de la jeunesse, dans une grande salle de l'établissement. [.. .] Un jeune homme ouvre la séance par la lecture de l'historique de la Société. Il y racontait de quelle manière elle venait de se relever après avoir traversé des jours d'épreuves. On sait en effet combien elle eut à souffrir du départ obligé de son premier directeur; elle se dispersa alors comme un troupeau sans pasteur. [...] Dans cette pénible situation, ils s'adressèrent à M. l'abbé d'Alzon dont le zèle et la charité sont assurés par avance à toute bonne oeuvre. M. le grand-vicaire leur promit son concours et il leur a tenu parole. Depuis lors, chaque dimanche, la chapelle de l'Assomption leur est ouverte. Ils y venaient entendre la messe et recueillir des paroles d'encouragement et de bons conseils. Depuis lors, le clergé était vivement sollicité de se mettre en rapport avec eux; dès lors aussi, M. l'abbé d'Alzon jetait les yeux sur un prêtre nouvellement arrivé à Nîmes en qualité d'aumônier des Soeurs de Saint-Maur(56).
16
Aux origines de l'Association de Saint François de Sales
Parmi les oeuvres suscitées par le P. d'Alzon, l' Association de Saint François de Sales mérite une mention spéciale pour le succès qu'elle a connu jusqu'à ce jour grâce à la personnalité de Mgr de Ségur auquel le P. d'Alzon la confia, après l'avoir fondée. Elle débuta très modestement parmi les élèves du pensionnat des Dames de Saint-Maur. Une fois que l'initiative fut confiée au P. d'Alzon, il lui donna, pour ainsi dire, ses lettres de créance au niveau de l'Eglise de France et de l'Eglise universelle.
a)
Extraits d'une circulaire du P. d'Alzon sur l'Oeuvre de Saint François de Sales, Nîmes le 28 octobre 1855. - Copie faite par le P. Vailhé sur l'orig. imprimé chez Durand-Belle, imprimeur de l'évêché, Nîmes, ACR, AS 97; T., Lettres, I p. 609-611.
S'adressant à l'épiscopat de France, le P. d'Alzon, Vicaire capitulaire, présente l'Association de Saint François de Sales, avec les recommandations qu'il tient de Mgr Cart (+ 13 août 1855), de Pie IX et autres autorités romaines, afin d'obtenir encouragements et précisions pour ne pas porter atteinte à l'oeuvre de la Propagation de la Foi.
On a fondé à Nîmes, sous le patronage de saint François de Sales, une association à l'aide de laquelle on se proposait de créer des ressources pour faire élever, soit des enfants catholiques exposés à devenir protestants, soit des enfants protestants que leurs parents consentiraient à laisser élever dans la religion catholique. Mgr Cart, dans le compte-rendu de son diocèse qu'il m'envoya porter à Rome, au mois de mai dernier, crut devoir signaler ces essais à l'attention de la Congrégation du Concile et il reçut la réponse la plus encourageante pour continuer ce qui avait été entrepris. Mais l'oeuvre de Saint François de Sales ne devait pas, ce me semble, se borner à faire élever chrétiennement quelques pauvres enfants : et, puisque nos frères séparés emploient plusieurs moyens d'attaque contre l'Eglise, n'est-il pas naturel que les catholiques aient recours à plusieurs moyens de défense ? Dans une des audiences que le Saint-Père voulut bien me donner, je lui soumis les statuts de notre petite oeuvre, en même temps que je réclamai des grâces spirituelles pour l'une des maisons qu'elle a déjà fondées. Les indulgences que je sollicitais me furent accordées avec la plus grande bienveillance, et le Saint-Père prenait déjà la plume pour en accorder aussi aux membres de l'association, lorsque je lui fis remarquer que, ayant déjà parlé longuement de l'oeuvre avec Mgr Barnabo, secrétaire de la Congrégation de la Propagande, je désirais que celui-ci pût faire part de ses observations à Sa Sainteté. Le Saint-Père y consentit; mais il me dit à plusieurs reprises qu'il désirait voir l'oeuvre ne pas se borner à la France, mais s'étendre à l'Angleterre et à l'Amérique. - Le lendemain du jour où Mgr Barnabo avait été à l'audience du Pape, je me présentai chez lui ainsi qu'il avait été convenu; il me répéta les encouragements du Saint-Père, eut la bonté de me demander diverses explications qui me montrèrent avec quel soin les statuts de l'oeuvre avaient été examinés. En même temps, Mgr Barnabo me fit part de la seule objection que l'on pût élever contre mon projet : "Vous avez besoin, me dit-il, de ressources matérielles; ces ressources ne diminueront-elles pas celles de la Propagation de la Foi ?" Comme, d'après plusieurs renseignements que j'avais déjà, j'étais sûr de voir l'oeuvre encouragée par plusieurs membres de l'Episcopat, je préférai retarder la demande d'une approbation plus solennelle, afin d'atteindre plus sûrement l'objet de mes désirs. -Permettez-moi, Monseigneur, de venir examiner devant vous la valeur de l'opposition que pourrait peut-être faire le Conseil de la Propagation de la Foi; et, si vous trouvez ma réponse concluante, soyez assez bon pour vouloir bien me donner, vous aussi, les encouragements que j'ai obtenus déjà de vos vénérables collègues(57).
b)
Extraits de l'historique de l'Oeuvre de Saint François de Sales, par Mlle Louise Valat, + 1859. - Orig.ms. ACR, DI 96.
Au terme d'une retraite prêchée par l'abbé d'Everlange, tertiaire du P. d'Alzon et solidaire de ses oeuvres en faveur des protestants, Mlle Louise Valat, élève des Dames de Saint-Maur, raconte comment elle eut, avec deux de ses compagnes, l'initiative de faire quelque chose pour "la conversion de nos frères égarés", et comment cette initiative fut prise en considération par le P. d'AIzon.
Dans notre ardeur pour le bien et dans la résolution où nous étions de persévérer, nous pensâmes d'établir une oeuvre pour la conversion des petites protestantes et, par ce moyen, de venir en aide à ceux qui s'en occupaient déjà. Quelques-unes de nos compagnes, moins courageuses que nous, venaient, sans intention, remplir le rôle d'avocats du démon, en disant que c'était inutile. [...] Cependant, nous ne nous sommes point découragées et, rappelant nos souvenirs, nous vîmes avec bonheur que toutes les grandes oeuvres de l'Eglise ont eu de petits commencements, telles les Petites Soeurs des Pauvres qui font maintenant tant de bien. Et la belle association de la Propagation de la Foi, quel a été ses commencements ? [...] Eh ! nous aussi nous sommes-nous écriées, nous voulons sauver des âmes, nous voulons imiter le zèle de tant de personnes dévouées qui, sous la direction d'un homme sage et éclairé, s'occupent de la conversion de nos frères égarés et ne négligent pour cela ni peines ni sacrifices. Il faut bien maintenant faire part de nos projets à nos maîtresses. Les recevront-elles bien ? Aucune de nous ne peut en douter. Mme la Supérieure paraît très satisfaite que la retraite ait produit de pareils fruits; elle ne veut pas que cette association se perpétue dans le couvent seulement; elle a des vues tout autres que les nôtres; elle en fait part au digne M. d'Alzon qui les accueille avec bonheur. Il est convenu que nous la mettrons sous la protection de saint François de Sales, qui a travaillé avec tant de zèle pour la conversion des hérétiques. [...]
Nous espérons, ô mon Dieu, que vous daignerez nous bénir; nous savons que, par nous-mêmes, nous ne sommes capables de rien, mais aidées de votre grâce et du secours de votre zélé serviteur, nous pourrons ouvrir les portes de l'Eglise à de pauvres enfants, et les introduire par là dans la voie qui mène au ciel. Ce sont les très modestes débuts de l'oeuvre.
c)
Hommage au P. d'Alzon, par Mgr de Ségur. - Extrait du Bulletin de l'Association de Saint-François de Sales, janvier 1881, p. 13-14.
A la mort du P. d'Alzon, Mgr de Ségur, Président de l' Association de Saint François de Sales, tient à dire, dans le bulletin de l'oeuvre, la part qui lui revient, lors de la fondation officielle à Paris, le 19 mars 1857. Après avoir rappelé que le P. d'Alzon avait reçu les encouragements et l'appui de l'abbé Mermillod, futur évêque de Genève et cardinal, Mgr de Ségur poursuit :
Le P. d'Alzon en a été, de concert avec Mgr Mermillod, le véritable fondateur, ou plutôt le principal instigateur auprès du grand Pape Pie IX, de sainte mémoire. Le P. d'Alzon et Mgr Mermillod ayant appelé instamment l'attention du Pontife sur les dangers imminents que faisait courir à la foi la recrudescence de la propagande réunie des sectes protestantes, des sociétés secrètes et des libertés révolutionnaires dans lesquelles se résument et la révolution et le libéralisme, Pie IX leur exprima à deux reprises le désir qu'il avait de voir s'établir et s'organiser, dans les pays catholiques, une grande Association de foi, de prières et d'aumônes, qui fût, ajoutait le Saint-Père, "comme une sorte de Propagation de la foi à l'intérieur".
Sur cette parole, tombée de si haut, le P. d'Alzon et Mgr Mermillod vinrent à Paris, la grande ville du bien et du mal, et songèrent aux moyens de réaliser sans délai la salutaire pensée du Souverain Pontife. Ils vinrent me trouver, me demandant simplement l'hospitalité de mon modeste salon, pour y réunir, sur un terrain exclusivement catholique, les principaux représentants des hommes d'oeuvres, ecclésiastiques, religieux et laïques. On ne me demanda pas d'autre concours.
La réunion eut lieu le 19 mars, en la fête de saint Joseph. On y vit le R.P. LACORDAIRE avec l'un de ses Assistants; les PP. de RAVIGNAN, de PONTLEVOY et OLIVAINT; le R.P. LAURENT, alors Provincial des Capucins de France; M. ETIENNE, Supérieur général des Lazaristes, avec M. SALVAYRE, Procureur général de la Mission; le R.P. PETETOT, qui venait de fonder l'Oratoire; le R.P. RATISBONNE, Supérieur de Sion; M. HAMON, curé de Saint-Sulpice, M. DEGUERRY, curé de la Madeleine, M. DESGENETTES, curé de Notre-Dame des Victoires; M. DUQUESNAY, alors Doyen de Sainte-Geneviève, aujourd'hui évêque de Limoges; Mgr de CONNY et Mgr de GIRARDIN; M. LEPREVOST, Supérieur des Frères de Saint-Vincent-de-Paul, avec M. MAIGNEN; M. de MONTALEMBERT, M. Louis VEUILLOT, M. BAILLY de SURCY, M. le vicomte de MELUN, M. A. COCHIN, M. Auguste NICOLAS, M. BAUDON, M. de LAMBEL, le T.-H. Frère PHILIPPE, Supérieur général des Frères des Ecoles chrétiennes, avec le Frère JEAN l'AUMONIER; et quelques autres notabilités catholiques. Mgr Mermillod et le P. d'Alzon surtout expliquèrent le but de la réunion, et l'on convint à l'unanimité qu'avec la bénédiction de Mgr l'Archevêque de Paris et de NN. SS. les Evêques, les statuts très simples d'une grande Association de foi, de prières et d'aumônes seraient soumis à la haute approbation du Souverain Pontife. Je fus chargé par l'assemblée de préparer ces statuts et de les adresser sans retard à chacun de nos vénérables Evêques.
La pensée de Pie IX, si bien expliquée par le R.P. d'Alzon et Mgr Mermillod, était réalisée, et l'oeuvre, placée également à l'unanimité sous le patronage béni de saint François de Sales, était fondée.
J'en fus nommé le président, malgré le travail qui m'accablait déjà; mais le bon P. d'Alzon avait dit qu'il se chargerait de tout... et là-dessus on se sépara.
17
Lettre du P. d'Alzon au P. Ventura, Nîmes le 26 juillet 1849. -Cop.ms. de Germer-Durand, ACR, AC 117; V., Lettres, III p. 462-463.
Le P. Ventura avait été écarté de Rome par Pie IX pour des propos rendus publics et peu respectueux à son égard. De Marseille, le P. Ventura demande au P. d'Alzon de l'accueillir. Le P. d'Alzon, après en avoir conféré avec son évêque, ne se refuse pas à ce geste d'amitié, dont il espère une reprise de la part du P. Ventura, pour un meilleur service de l'Eglise.
Très cher et très Révérend Père,
C'est au lit que je reçois votre lettre et, comme je suis souffrant, je me sers d'une autre main que la mienne pour vous répondre. Arrivez au plus tôt, je serai tout heureux de vous recevoir chez moi; mais je dois vous prévenir que je viens de faire consulter l'évêque par un ami parfaitement sûr ; il m'a fait répondre qu'il ne pouvait vous autoriser à dire la messe dans son diocèse. Je fais écrire à ma famille, qui habite une campagne assez agréable dans le diocèse de Montpellier, afin de savoir si les mêmes obstacles y subsisteraient pour vous, par rapport à la célébration des saints mystères.
Si vous étiez assez bon pour me faire savoir par quel convoi vous arriverez à Nîmes, je vous enverrais attendre à l'embarcadère du chemin de fer.
Toutefois, très cher Père, permettez-moi de vous faire observer qu'en vous conservant toute l'amitié que je vous ai vouée, et en respectant vos intentions que je crois très pures, il m'est absolument impossible d'approuver les derniers actes publics de votre vie politique; mais je m'estimerai bien heureux si, dans la retraite que je vous offre avec tant de joie, je puis vous aider à reprendre dans l'Eglise la belle place que vous y occupiez et que j'aurais eu tant de bonheur à ne vous voir jamais quitter.
Veuillez recevoir, mon Révérend Père, l'hommage d'une affection aussi grande que votre malheur.
E. d'Alzon.
18
Extraits de notes du P. d'Alzon sur la formation intellectuelle du clergé (1851)
Conscient de la faiblesse intellectuelle qui régnait dans la formation des prêtres en face des exigences du monde de la culture, le P. d'Alzon souhaitait reprendre cette formation à deux niveaux : d'une part, lier les études faites dans les petits et les grands séminaires; d'autre part, mettre à profit les loisirs que pouvaient avoir dans leur ministère les prêtres devenus plus nombreux avec l'avancée du renouveau du catholicisme au XIXe siècle. Deux notes manuscrites illustrent ces intentions.
a)
Extraits de la note du P. d'Alzon intitulée : "Des examens à faire subir aux jeunes gens qui veulent être admis au grand séminaire". - Orig.ms. ACR, CQ 230; T.D. 43, p. 86-90.
Dans cette première note manuscrite et sous ce titre, le P. d'Alzon souhaite que, sous la responsabilité des supérieurs des grands séminaires, les études faites dans les petits séminaires préparent aux études de philosophie et de théologie à partir même de la connaissance du latin et du grec des Pères de l'Eglise.
Les rangs du clergé commencent à se garnir, l'on n'a plus hâte de précipiter les jeunes dans le ministère paroissial où les ravages de la Révolution les rendaient indispensables. Les études peuvent être relevées, elles doivent l'être.
Mais si un homme dans un diocèse est plus spécialement chargé de cette mission, c'est surtout au supérieur du grand séminaire qu'elle appartient. En effet, dans la première pensée du Concile de Trente, les grands et les petits séminaires ne devaient former qu'un seul établissement, et les classes de grammaire n'étaient que le prélude des cours de théologie. Le Concile de Trente semble donc confier aux supérieurs des grands séminaires le soin de veiller à ce que les études préparatoires permettent aux jeunes théologiens des travaux que semble réclamer leur ministère qui leur sera confié un jour, et l'instrument littéraire le plus important est un cours de ce que nous appellerions avec le R.P. Cahours du latin et du grec théologiques. Mais le latin et le grec théologiques se trouvent dans les grands théologiens de l'Eglise. Ne serait-il pas possible à Messieurs les Supérieurs des grands séminaires d'obtenir de Nosseigneurs les évêques que les jeunes gens qui se présentent à la porte de leur communauté eussent à subir un examen qui pût constater leur capacité à comprendre le grec et le latin qui leur sera nécessaire, et que cet examen portât sur des ouvrages des Pères ?
[...] Pour nous, nous sommes persuadés que ce que l'Université a pu, ce que le gouvernement peut encore par les programmes du baccalauréat sur les études secondaires, Messieurs les Supérieurs des grands séminaires le peuvent sur toutes les écoles ecclésiastiques. Qu'ils proposent leur programme, qu'ils soient sévères à l'exiger, et bientôt les études théologiques reprendront leur éclat, appuyées qu'elles seront sur des études préliminaires en rapport avec ce que l'on a le droit de réclamer des jeunes théologiens(58).
b)
Extraits d'une note du P. d'Alzon à propos des études ecclésiastiques. - Orig.ms. ACR, CQ 230; T.D. 43, p. 83-85.
Dans cette autre note, le P. d'Alzon souhaite que le clergé puisse mettre à profit ses loisirs pastoraux pour se livrer à l'étude de la littérature et de l'histoire ecclésiastique.
Lorsque, après les déchirements de la Réforme, le concile de Trente voulut travailler [à] réparer les maux faits par la fausse science à l'Eglise, un des premiers moyens auquel il eut recours, ce fut de rallumer dans le clergé le flambeau de la science vraie, de la science ecclésiastique. Rendre le sacerdoce savant, c'était le mettre à même d'instruire les peuples et de les préserver des fausses doctrines répandues par les novateurs.
Aujourd'hui que la société [est] menacée de subir les dernières conséquences de la Réforme et qu'effrayée des catastrophes que le socialisme lui propose, elle semble se retourner vers les religions, n'est-ce pas un devoir pour le clergé de se tenir et de s'élever par de fortes études à la hauteur de la mission qui lui est confiée par la Providence ? [...]
Eh bien ! il nous semble que parmi les prêtres si nombreux dont le zèle pastoral s'exerce dans nos campagnes, plus d'un doit être embarrassé de ses loisirs ! Pourquoi des études du genre de celles que nous signalons ne fixeraient-elles pas leur attention, n'occuperaient-elles pas leurs heures libres ? Quand parmi tant de milliers de prêtres à qui le travail n'est guère imposé que le dimanche, quelques-uns seulement répondraient à notre appel et donneraient encore à l'Eglise des moments qui, après tout, ne sont [pas] utilement employés pour leurs paroisses, nous croirions avoir beaucoup obtenu par le concours de pareils coopérateurs. Voici ce que nous proposerions :
Chaque année, nous indiquerions deux sujets : l'un choisi dans la littérature ecclésiastique, l'autre dans l'histoire sacrée ou profane.
Les personnes qui voudraient bien s'en occuper nous dresseraient leurs travaux, sur lesquels un jugement serait porté. Après avoir indiqué le meilleur ou les meilleurs travaux, nous viserions aux moyens d'en assurer la publication et d'en faire profiter les maisons d'éducation chrétienne. [...]
Tout ceci, on le comprend, est un essai; mais si d'essai en essai on pouvait arriver à raviver l'ardeur des membres du clergé pour des travaux qui jadis contribuèrent si puissamment à sa gloire, et si l'on pouvait peu à peu imprimer une direction utile et pratique à ces travaux, qui peut dire de quelle utilité ils pourraient être un jour pour la cause de l'Eglise(59) ?
19
Extraits de lettres de prêtres au P. d'Alzon (1854)
Le courrier qui nous est resté du P. d'Alzon contient de nombreuses lettres de prêtres qui se sont adressés à lui pour recevoir aide et réconfort, ou qui lui ont confié d'autres prêtres éprouvant le même besoin. - De ces lettres nous citons deux exemples :
a)
De l'abbé Gignoux au P. d'Alzon, janvier 1854. - Cri g .ms. ACR, EA 50.
Prêtre originaire du diocèse de Genève, l'abbé Gignoux recommande au P. d'Alzon un jeune confrère d'une timidité extrême.
M. l'abbé Lance, que vous voulez bien accepter, est dans une situation digne de votre charitable bienveillance. Je l'ai prévenu que je vous dirai tout ce que je sais et tout ce que je pense de lui; le voici : Dieu l'a doué d'une heureuse intelligence et d'un bon cœur ; son imagination très impressionnable jointe à des malheurs de famille lui ont fait une conscience timide et pusillanime. [...] A mon avis, sa conscience a besoin d'un tuteur intelligent et vigoureux qui sache deviner de quel côté l'arbrisseau tend à s'élever pour lui donner une direction et, en même temps, en contenir la poussée. Pour cela, vous n'aurez qu'à faire vous-même les avances; c'est-à-dire, demandez-lui avec votre coeur ce qui se passe dans le sien qui s'ouvrira sans peine quand vous aurez frappé, mais qui, par suite de ce que j'ai dit plus haut, est exposé à se trop concentrer quand un coeur ami ne vient point le faire sortir de sa solitude.
b)
De l'abbé Moigno au P. d'Alzon, 9 mars i854.-0rig.ms.ACR, EA 142.
Prêtre du diocèse de Paris, créateur d'une revue scientifique, source de dettes et autres difficultés, l'abbé Moigno s'adresse au P. d'Alzon pour recevoir aide et réconfort.
Votre silence m'inquiète et votre absence m'afflige. J'avais espéré que vous viendriez jusqu'à moi. La résolution que j'ai prise, et que je tiendrai quoi qu'il arrive, est un événement très grave dans ma vie, et j'ai absolument besoin, non seulement de vos conseils, mais de votre assistance. Tibi derelictus est pauper ! ... Tu eris adjutor. Je suis bien écrasé, bien tourmenté, bien traqué en ce moment; un secours me serait absolument nécessaire pour retrouver le repos d'esprit et reprendre le travail avec une nouvelle ardeur. Vous êtes accablé, je le sais, aussi j'attends un mot de vous pour courir vers vous; à votre voix je me suis lancé dans le sein des miséricordes infinies de Dieu, soyez l'instrument de sa commisération.
20
Extraits de la lettre du P. d'Alzon à Mgr Doney, évêque de Montauban, Rome, le 31 mai 1855. - Orig.ms. ACR, AN 235; T., Lettres, I p. 550-553.
Par délégation de Mgr Cart, malade, le P. d'Alzon s'était rendu à Rome pour porter au Pape le compte-rendu du diocèse de Nîmes. Il eut deux audiences de Pie IX. Voici quelques extraits de la seconde, qui lui fut offerte le 29 mai, à Rome, selon ce qu'il en écrit lui-même à Mgr Doney. Après avoir rapporté les préliminaires de l'audience, il poursuit :
Je lui demandai la permission de lui ouvrir mon coeur sur l'état de la France. "Très volontiers, reprit-il, parlez tout à votre aise". Je commençai à lui dire ce que vous et moi nous savons :
1° Que les gallicans se mettent à lever la tête;
2° Que le gouvernement les y encourageait;
3° Que la belle position créée par Fornari au nonce en France se perdait tous les jours.
Il fut entièrement de cet avis. "Mais pourtant, reprit-il, il me semble que ce qui s'est fait dernièrement, ici, a bien prouvé que le Pape, à lui seul, peut définir un dogme, et cela sans qu'aucun, je pense, voulût protester, pas même l'archevêque de Paris. Ils étaient là, omnibus testibus et plaudentibus. Sans doute, il faut espérer que ce qui a été fait attirera une plus grande protection de la Sainte Vierge sur l'Eglise. C'est là une grande conviction, et nous en avons besoin. Mais ce qui est plus important encore peut-être, c'est la manière dont la puissance du Saint-Siège s'est posée et s'est définie en quelque sorte aux yeux de tous. [...]
La question de l'infaillibilité et de la réaction gallicane étant épuisée, je passai à une autre.
- "Saint-Père, évidemment aujourd'hui personne en France n'ose plus nier l'infaillibilité du Pape; mais si tout le monde l'accepte comme docteur de la vérité, tout le monde ne l'accepte pas, il s'en faut bien, comme suprême législateur. Et pourtant, il y a une union intime entre les vérités qu'il est chargé d'enseigner, et les lois qui découlent de ces vérités et qu'il est chargé de faire respecter. Ce n'est pas pour rien que Jésus-Christ lui a dit : Pasce oves meas. Or, Saint-Père, serait-ce indiscret de demander à Votre Sainteté si elle verrait avec peine que l'on portât aujourd'hui la controverse avec les gallicans sur le terrain du droit canon ?
- Nullement, me répondit-il. [...]
- Saint-Père, encore une question peut-être indiscrète. [...] Les diocèses commencent à avoir des sujets en abondance. Si on n'oblige pas les évêques à donner une bonne éducation aux jeunes gens, nous sommes sûrs qu'on leur donnera une éducation gallicane dans bien des diocèses.
- J'y ai pourvu, reprit le Saint-Père, par les grades. On m'a demandé de les conférer en France. J'ai répondu que je permettrais le baccalauréat et la licence, mais que je voulais qu'on vînt prendre le doctorat à Rome.
- Saint-Père, Votre Sainteté m'autorise-t-elle à dire que les évêques qui en feront la demande seront autorisés à faire conférer le baccalauréat et la licence ?
- Très certainement, dit le Pape, vous le pouvez. Les Français peuvent être inconstants, mais ils sont sincères, et comme les jeunes prêtres devront, pour avoir le grade le plus élevé, venir à Rome, je ne puis me persuader qu'ils viennent pour répondre d'une façon contraire à leurs sentiments. J'en verrais très volontiers plusieurs venir passer un an à Rome.
Je profitai de ces paroles pour faire l'éloge du Séminaire français.
21
Extraits de 2 lettres de l'abbé Grivet au P. d'Alzon, datées des 17 et 30 juillet 1856
Ami du P. d'Alzon et ancien vicaire général de Valence, l'abbé Grivet, ne consultant que sa conscience et son amour de l'Eglise, adresse une supplique à l'empereur, pour proposer le P. d'Alzon au siège vacant d'Aire-sur-Adour. Il en informe le P. d'Alzon et ne voudrait en rien avoir perdu sa confiance.
a)
Boutigny le 17 juillet 1856. - Orig.ms. ACR, EA 72.
Retiré à Boutigny, dans le diocèse de Besançon, l'abbé Grivet fait part au P. d'Alzon de sa démarche et transcrit la supplique qu'il vient d'adresser à l'empereur :
J'oserai recommander à votre bienveillante attention un prêtre digne à tous égards des honneurs de l'épiscopat : c'est M. l'abbé d'Alzon, grand vicaire de Nîmes depuis près de quinze ans. Sire, la haute capacité, les vertus éminentes, l'habileté administrative de M. l'abbé d'Alzon sont depuis longtemps connues, et tous ceux qui ont eu le bonheur de jouir comme moi de son intimité, rendront hommage à son esprit conciliant, à son dévouement pour l'Eglise. [...] Une telle nomination, Sire, serait digne de votre haute sagesse; elle réjouirait, j'en suis sûr, le coeur du Souverain Pontife et elle ajouterait un nouveau lustre à l'épiscopat français. En traçant ces lignes, je n'obéis à aucune intrigue, à aucune influence étrangère. Franc-Comtois d'origine, je ne connais que le sincère langage de la vérité; prêtre, je ne consulte que ma conscience; vicaire général en retraite, je ne puis avoir d'autre intérêt que celui de la religion(60).
b)
Boutigny le 30 juillet 1856. - Orig.ms. ACR, EA 73.
Nous n'avons pas la réponse du P. d'Alzon à la communication que lui a faite l'abbé Grivet, le 17 juillet, mais, en réponse à cette lettre perdue, l'abbé Grivet tient à dire qu'il s'agit, de sa part, d'un geste spontané, pleinement désintéressé et confirmé par un autre prêtre qui a toute sa confiance.
Après m'être adressé spontanément à l'empereur, j'ai fait part de ma tentative et du contenu de ma lettre à un prêtre du diocèse qui a l'honneur de vous connaître, qui est dévoué à la bonne cause et sur lequel je compte comme sur moi-même. Ce prêtre a eu la bonté de me dire que j'avais parfaitement agi; - qu'il n'y avait, selon lui, rien à retrancher dans la teneur de ma lettre; - et que si l'humilité de notre ami devait en souffrir, il fallait passer là-dessus, dans l'intérêt d'un plus grand bien. C'est à la suite de cet entretien confidentiel que je me déterminai à vous écrire, en toute simplicité, ce dont vous vous plaignez aujourd'hui.
Peut-être, mon digne et respectable ami, peut-être auriez-vous été tenté de croire que cette dernière ouverture m'était inspirée par quelque motif d'intérêt personnel, celui, par exemple, de vous engager plus efficacement à me continuer vos bons services. Si telle était votre opinion, je répondrais, la main sur le coeur et devant Dieu qui nous voit : Non, mille fois non, une pensée d'égoïsme n'entrera jamais dans aucune démarche où l'honneur de l'Eglise se trouve intéressé.
22
Extraits de la lettre de Mgr Sacconi, nonce apostolique à Paris, au P. d'Alzon, le 7 octobre 1854. - Orig.ms. ACR, DZ 23.
Mgr Cart, sur le déclin de sa vie, s'entretient, le 28 septembre 1854, avec le P. d'Alzon sur son éventuelle succession. (Lettre à Mère M. Eugénie, 28 septembre. - ACR, AD 953; T., Lettres, I p. 469). Ils conviennent d'une liste de noms à transmettre à la nonciature. Mgr Sacconi adresse au P. d'Alzon la lettre suivante, qu'il pourra montrer à son évêque.
C'est avec une véritable peine que j'ai appris les nouvelles sur la santé de votre digne Prélat. Si, comme vous le jugez, il avait l'intention d'influer sur le choix de son successeur pour continuer à son diocèse le bien qu'il a fait, j'espère qu'eu égard surtout à l'estime qu'ici on a justement pour lui, le sujet par lui recommandé serait justement agréé. Si je devais ajouter aux ecclésiastiques par vous nommés une autre personne, je placerais, et en première ligne, la vôtre(61). Dans le cas que la maladie de Mgr l'Evêque continue malheureusement à empirer, et qu'il n'ait pas encore pris une résolution définitive, je vous prie de vouloir bien lui faire lire cette lettre.
23
Extraits d'une lettre de du Lac au P. d'Alzon, Paris, le 16 octobre 1854. - Orig.ms. ACR, EB 190.
Invité directement par le nonce à venir à Paris, le P. d'Alzon demande à son ami du Lac de l'excuser. Ayant vu le nonce, du Lac transmet au P. d'Alzon, à mots à peine couverts et les intentions de la nonciature, et les réticences du ministère des Cultes, à supposer que l'évêque de Nîmes présente ou demande une personne que l'on puisse appuyer (sous-entendu, le P. d'Alzon lui-même).
On se croit assuré que, si Mgr l'Evêque de Nîmes demande une personne que l' on puisse appuyer, on la fera passer. La lettre qui vous avait été écrite avait été rédigée, m'a-t-on dit, de façon à ce que vous pussiez la montrer à Monseigneur de Nîmes et dans l'espérance qu'il agirait en conséquence. J'ai dit ce que vous m'aviez chargé de dire. On croit que vos raisons, excellentes dans votre bouche, ne valent plus rien dans la bouche des autres, et j'avoue que je suis un peu de cet avis. Toutefois, je comprends qu'au Ministère on comprenne la chose comme vous. L'évêque d'Amiens a parlé à Fortoul qui n'a pas manqué de les lui objecter. Il a parlé, de plus, de légitimisme(62). En résumé, que Mgr l'évêque de Nîmes présente ou demande une personne que l'on puisse appuyer. Il y a les plus grandes chances pour qu'elle soit acceptée. Bénie soit cette particule on, dont on me prescrit l'usage, ce qui sans doute est fort inutile, mais je veux pouvoir dire que je me suis conformé à mes instructions.
24
Extraits de la lettre de Mgr Cart à Pie IX, 30 avril 1855. - Copie VAILHE, Vie du P. d'Alzon, II p. 23.
Mgr Cart, malade, délègue le P. d'Alzon pour transmettre à Pie IX le compte-rendu de son administration diocésaine, et accrédite le Père auprès du Pape en ces termes :
Je fais partir, pour prier sur le tombeau des saints Apôtres et pour déposer aux pieds vénérés de Votre Sainteté, avec l'hommage de toute ma personne, le compte-rendu de mon administration, dont la longueur et la responsabilité m'effrayent, M. l'abbé d'Alzon, l'un de mes grands vicaires, dont il ne m'appartient pas de louer les talents et les vertus, le zèle et le dévouement pour toutes les bonnes oeuvres, et en particulier son attachement pour la sainte Eglise romaine, de la gloire et de la prospérité de laquelle il s'est constamment préoccupé. Vous le trouverez digne, j'en suis sûr, Très Saint Père, et de la mission que je lui confie, et de la bienveillance dont je serais heureux de le voir honoré par Votre Sainteté(63).
25
Lettre du P. d'Alzon à Mgr Plantier, Paris, 18 septembre 1855. -Cop.ms. ACR, DL 34; T., Lettres, I p. 596.
Le P. d'Alzon, qui n'a pu rencontrer Mgr Plantier, de passage à Paris, nommé le 30 août 1855 au siège de Nîmes, et devenu son évêque, lui présente ses excuses et ses voeux.
Monseigneur, j'ai profondément regretté que ma santé et une retraite que je faisais m'aient empêché de savoir le jour de votre arrivée à Paris et celui de votre départ. Dès que j'ai eu un moment à moi, j'ai cherché à avoir l'honneur de vous voir, je n'ai pu vous rencontrer. Je tenais à vous offrir mes hommages et ceux de mon collègue, M. Boucarut qu'une indisposition momentanée a peut-être empêché d'avoir l'honneur de vous écrire.
Nous connaissions déjà, Monseigneur, le succès que Dieu donne à votre parole et nous nous félicitons en pensant que vous pourrez l'employer avec les mêmes bénédictions dans un diocèse où l'obéissance des prêtres envers l'Evêque avait été rendue facile parce que l'Evêque se glorifiait de prêcher d'exemple par sa soumission filiale aux ordres et à toutes les intentions du Souverain Pontife. Nos catholiques sont ardents et généreux, les protestants ébranlés avec un champ préparé de la sorte, un apôtre comme vous, Monseigneur, peut arriver avec les meilleures espérances(64).
Je suis avec un profond respect, Monseigneur,
Votre très dévoué et obéissant serviteur.
26
Extraits de 2 lettres de Mgr Plantier à M. Fortoul, ministre des Cultes (1855)
Devenu évêque de Nîmes, le 28 septembre 1855, Mgr Plantier, après avoir obtenu leur accord, présente à l'agrément du gouvernement le choix de ses vicaires généraux en la personne des abbés Boucarut et d'Alzon, vicaires capitulaires, et vicaires généraux de son prédécesseur. La nomination de l'abbé d'Alzon ne se fit pas sans difficulté.
a)
De la lettre du 12 novembre. - Arch. nat. F 19, 2804.
Pour vaincre les réticences d'un "ministre césarien", Mgr Plantier ose dire qu'il a lui-même cédé à la nécessité de ne pouvoir écarter l'abbé d'Alzon de l'administration du diocèse de Nîmes. A cette date, le nouvel évêque n'a pas encore rencontré l'abbé d'Alzon qu'il ne connaît et ne peut apprécier qu'à travers les dires de diverses autorités (v. infra 27 b).
Pourrai-je maintenant, Monsieur le Ministre, sans faire une démarche prématurée, vous parler de mes vicaires généraux ? Je serais heureux si, dès à présent, Votre Excellence daignait s'occuper de les présenter à l'agrément de l'Empereur, et me donner l'espérance que je trouverai leurs décrets signés à mon arrivée à Paris. Ce ne sont pas des hommes nouveaux; leur acceptation par le Pouvoir en sera peut-être plus facile et plus prompte.
J'ai l'honneur de vous présenter comme premier vicaire général M. l'abbé Boucarut. Votre Excellence connaît son mérite et la vénération dont il est entouré dans le diocèse de Nîmes.
Le nom que je me décide à vous présenter après le sien, c'est celui de M. l'abbé d'Alzon. Il y a beaucoup à dire contre cet ecclésiastique. Je sais à quels embarras je m'expose. Mais je suis forcé de le choisir. Les difficultés que me suscitera sa présence dans l'administration n'égaleront pas celles que me créerait, dès mon début et pour toujours, son éloignement d'un poste qu'il a successivement occupé comme vicaire général de Mgr Cart et comme vicaire général capitulaire. Je sacrifie à la nécessité mes répulsions personnelles. J'ose vous conjurer, Monsieur le Ministre, de lui sacrifier aussi les inquiétudes et les hésitations que vous pourriez éprouver vous-même.
b)
De la lettre du 3 décembre. - ibid.
Sacré évêque à Lyon, le 18 novembre, Mgr Plantier prend possession du siège de Nîmes le 29; n'ayant encore l'agrément du gouvernement que pour M. Boucarut, il fait une nouvelle instance pour obtenir la nomination de l'abbé d'Alzon, mais en modifiant son jugement depuis qu'il a pu le voir de près et collaborer avec lui.
Monsieur le Ministre, j'ai reçu le décret par lequel l'Empereur daigne agréer M. Boucarut pour premier vicaire général de Nîmes. Veuillez en exprimer ma reconnaissance à Sa Majesté et l'agréer vous-même, soit pour avoir provoqué cette approbation, soit pour m'avoir fait parvenir si promptement l'acte qui me la notifie.
Maintenant, Monsieur le Ministre, j'oserai prier Votre Excellence de me rendre, sans plus de retard, le même service pour M. l'abbé d'Alzon. Je l'ai vu de près depuis mon installation, nous avons eu des échanges de communications, assez répétées, assez intimes pour que j'aie pu juger. Il nous serait possible de marcher et d'administrer ensemble, et tout en faisant la part de son tempérament et de ses opinions, je suis rassuré sur l'essentiel par son coeur et sa déférence. Il ne me paraît ni inquiétant, ni surtout impossible. Ainsi, je conjure Votre Excellence d'abréger les délais et de me mettre à même de compléter au plus tôt mon administration.
27
Extraits de 3 lettres de Mgr Plantier au P. d'Alzon (1855-1856)
Ayant obtenu l'agrément du gouvernement, Mgr Plantier, par un acte épiscopal daté du 16 décembre 1855 (DK 265), reconduit le P. d'Alzon dans sa charge de vicaire général. Dès lors, leurs rapports s'établissent en toute franchise et pour l'unique service du diocèse de Nîmes et des intérêts de l'Eglise, quoi qu'il en soit de légitimes divergences d'opinions.
a)
Nîmes, le 25 décembre 1855. - Orig.ms. ACR, DZ 68.
Mgr Plantier communique au P. d'Alzon l'acte de sa nomination comme vicaire général et, le sachant menacé de paralysie (Ch. XIV, 20 c), lui demande de ne rien négliger pour rétablir sa santé.
Je n'en suis plus seulement, mon cher Monsieur d'Alzon, à espérer de vaincre les difficultés qui retardent l'agrément de votre nom par le Gouvernement; ces difficultés sont vaincues, et les ajournements ont pris fin. Votre titre est dans mes mains depuis le milieu de la semaine dernière, et M. Serre avait pour mission de vous annoncer, non pas une chance heureuse, mais un fait accompli. Ainsi, soyez en paix; vous êtes définitivement vicaire général; mon administration est complète. Je rédige à l'instant même la circulaire qui doit porter cette bonne nouvelle à la connaissance du diocèse.
Merci des notes que vous avez eu l'obligeance de m'envoyer.
Prenez tout le temps dont vous avez besoin pour vous rétablir. Il ne s'agit pas seulement de poursuivre un soulagement superficiel et qui ne serait que momentané. Au lieu d'un bien éphémère cherchez un bien profond, solide et durable. C'est une grande économie de temps qu'un long repos pris avec opportunité. Sachez faire ces sacrifices maintenant et vous sauverez l'avenir !
Agréez l'assurance de mon affectueux attachement.
+ Henri, Evêque de Nîmes
b)
Nîmes, le 25 avril 1856. - Orig.ms. ACR, DZ 69.
Mgr Plantier accepte, sur la demande du P. d'Alzon, de rédiger une lettre de recommandation en faveur de la Congrégation de l'Assomption, en vue d'obtenir le décret de louange (Lettre datée du 27 avril 1856. -DL 29). Il tient à lui dire qu'il mettra à le garder comme vicaire général la même énergie qu'il a mise à le faire nommer à ce poste.
Avant qu'on fît effort pour vous séparer de moi, on en a bien fait plus pour m'empêcher de vous prendre pour mon vicaire général. Le Gouvernement, plusieurs évêques même dévoués aux doctrines, disons mieux, aux opinions auxquelles vous avez cru devoir conserver vos sympathies, grand nombre d'ecclésiastiques suivant la même bannière, toutes ces autorités réunies s'étaient accordées pour me détourner du projet que j'avais manifesté de vous choisir comme membre de mon administration. Je n'en ai pas tenu compte, je suis allé en avant et vous ai désigné pour être mon auxiliaire, par un fait qui m'est tout personnel. J'ose espérer que vous aurez toujours pour moi la générosité que j'ai su trouver le courage de montrer pour vous. Je l'attends avec d'autant plus de confiance que je ne vous demanderai jamais le sacrifice de vos opinions. Je me permettrai de les juger dans mon for intérieur - c'est mon devoir, - mais je les respecterai, et jamais, pour ma part, je ne les regarderai comme élevant entre vous et moi une barrière quelconque de l'épaisseur même d'un cheveu.
Quant aux oppositions dont vous croyez entrevoir les symptômes, je ne puis m'en épouvanter. Elles ne sauraient me créer sur le terrain pratique un embarras sérieux. Si elles sont dans le vrai et dans le droit, je n'engagerai pas de lutte. Il ne m'en coûte pas de céder, dans l'occasion, au droit et à la vérité. Si, au contraire, elles sont dans le faux, alors ce n'est plus qu'une difficulté vulgaire et comme l'administration en rencontre tous les jours. Ainsi je reste sans inquiétude. J'en ai d'autant moins qu'on ne découvrira jamais le secret de me pousser à l'emportement et à l'agressivité.
c)
Nîmes, le 29 mai 1856. - Orig.ms. ACR, DZ 70.
Mgr Plantier a voulu donner au P. d'Alzon un gage public de bienveillance et de sympathie au sein des épreuves financières qui menaçaient l'avenir du collège de l'Assomption (Ch. XIV C).
Je suis allé clore la journée de la première Communion dans votre établissement. Rien ne m'est plus cher et ne me trouvera plus empressé que de vous donner ces gages publics de bienveillance et de sympathie. L'Assomption est un monument qui atteste votre dévouement généreux pour l'Eglise; il vous est d'autant plus glorieux que vous y avez fait plus de sacrifices et trouvé moins d'avantages. Raison de plus pour que je m'y intéresse. D'autres n'ont voulu voir dans cette oeuvre que les soit-disant pieuses témérités qui l'ont mise en péril. J'aime mieux la considérer par le noble côté du zèle qui vous a fait dépenser votre jeunesse, vos forces et votre fortune pour l'entreprendre et la soutenir. Quiconque agit avec tant de grandeur et d'abnégation a droit à l'affection publiquement exprimée de son évêque, même et surtout quand il aboutit à des tribulations. Telles sont mes doctrines, telle sera ma conduite. Le passé vous l'a déjà fait entrevoir, l'avenir vous le démontrera.
Prenez un repos et des bains qui vous rétablissent.
Je suis touché des sentiments et des désirs qui terminent votre lettre. Vous serez tout ce que vous dites, parce que, bien loin d'y mettre obstacle, je vous en faciliterai la réalisation. Tant que vous ne me connaissiez pas, on a pu me prêter à vos yeux une physionomie qui vous inquiétât. Plus vous me connaîtrez, plus vous verrez qu'on s'était mépris et qu'avec moi les rapports peuvent être pleinement intimes, parce qu'ils seront toujours polis, affectueux, sincères et sûrs.
1. Note pour un projet de constitutions (ACR, BI 1; V., Lettres, III p. 700-701. - Aperçu général (ou introduction) (ACR, CO 132; V., Lettres, II p. 503).
2. "Quand je serai à Paris, écrit-il le 9 août, une des plus grandes questions dont je m'occuperai sera d'examiner avec le nonce si l'on ne peut pas obtenir les voeux solennels; car je ne vois pas d'autre moyen d'obtenir que les religieuses envoyées à l'étranger relèvent de la Maison-Mère" (ACR, AD 664; V., Lettres, III p. 468).
3. Cf. Lettres à Mère M. Eugénie des 16 juin et 23 août (ACR, AD 655; T.D. 20, p. 98. - AD 665; V., Lettres, III p. 473).
4. ACR, DZ 52.
5. ACR, EA 354.
6. Lettres à Mère M. Eugénie (ACR, AD 678; T.D. 20, p. 130. - AD 679; V., Lettres, III p. 507). - Il s'agit de l'église de Saint-Paul de Nîmes.
7. Lettre à Mère M. Eugénie (ACR, AD 680; V., Lettres, III p. 509-510).
MANSI, 43, 726-806.
9. Il écrivait à du Lac, le 14 décembre : "Je cherche à faire passer la proposition que les évêques sollicitent du gouvernement une plus grande liberté au sujet du mariage. Vous comprenez que c'est dans le sens des empêchements dirimants." (ACR, AC 134; V., Lettres, III p. 517).
10. Lettre à Mère M. Eugénie, 2 juin 1849. - AD 651; V., Lettres, III p. 448.
11. Id. 22 décembre 1849. - AD 685; V., Lettres, III p. 521.
12. Lettre à H. Gouraud, 11 août 1850. - AC 155; V., Lettres, III p.601.
13. Lettre à Mère M. Eugénie, 31 octobre 1852. - AD 847; T. Lettres, I p. 206.
14. Id. il octobre 1852. - AD 842; T., Lettres, I p. 201.
15. Exorde d'un sermon du P. d'Alzon, à dater de 1845-1855. - ACR, CU 100; T.D. 48, p. 358.
16. ACR, BT 14-16; T.D. 51, p. 254-281.
Pour compléter par d'autres références ce que nous venons de dire, voici ce que nous pouvons relever d'indices de prédications du P. d'Alzon dans des textes précédemment utilisés : Ch. X 6 Instructions aux Carmélites; X 13 Retraite aux Assomptiades (mai 1845); X 16 Prédications à N.D. des Victoires (juillet 1845) et à Saint-Séverin (11 juillet 1845); X 20 d Causeries aux membres de l'Association de l'Assomption; 25 et 29 id. (septembre-décembre 1845); Ch. XII 1 b Carême à N.D. des Victoires (1846); XII 3 b 7° Carême aux élèves (1850); XII 3 b 8° Mois de Marie aux élèves (1850); XII 4 Causeries aux membres de l'Association de l'Assomption (1846-1850); XII 7 Retraite des futurs religieux, à Valbonne (août 1848); XII 12 Instructions aux Chapitres généraux (1850-52-55); Ch. XIII 3 et 4 Causeries aux membres du Tiers-Ordre masculin (1846-1857); XIII 6 et 7 Causeries aux membres du Tiers-Ordre féminin (1847-1855); XIII 11 Instructions aux Adoratrices (1857); Ch. XIV 2 a Carême à N.D. des Victoires (1846); XIV 12 b Instructions du Samedi;XIV 13 a, b et d Retraites à Valbonne avec les élèves (1851-52-53, mars ou avril); XIV 13 c Sermon aux Carmélites (22 mars 1853); XIV 16 a 1ère Communion au collège de Nîmes; XIV 17 a Exercices de la semaine sainte; XIV 19 Retraite à Santa Chiara (septembre ou octobre 1852), etc.
18. T.D. 1-5, Discours des prix 16 août 1851, p. 131-146; id. 16 août 1858, p. 162-172; id. 1er août 1861, p. 184-197.
Cf. VAILHE, Vie, I p. 246-248, phrase citée parmi quelques traits recueillis par le P. E. Bailly après la mort du P. d'Alzon pour camper un tableau de ses générosités
20. Lettre de l'élève Singla au P. d'Alzon, datée du 28 décembre 1853 : "Si vous vous en souvenez, vous m'engageâtes dans une oeuvre qui avait pour but la conversion des protestants et pour laquelle il fallait réciter une dizaine de chapelet tous les jours" (ACR, OH 82).
Procès-verbal du Tiers-Ordre, Nîmes le 26 janvier 1855 : "Le Père Supérieur communique aux Soeurs du Tiers-Ordre le projet d'une bonne oeuvre qui commence dans le pensionnat des Dames de Saint-Maur. [...] Les Soeurs du Tiers-Ordre sont engagées à chercher des souscripteurs et à former des listes aussi nombreuses que possible" (ACR, CE 18, p. 19).
22. C'est ainsi qu'en 1879 encore, la Chronologie du P. VAILHE nous le montre assistant à la séance annuelle de l'Oeuvre de la Miséricorde ou présidant des réunions des Conférences de Saint Vincent de Paul.
23. Lettre à Soeur M. Augustine Bévier, 15 septembre 1844. - Orig.ms. ACRA; V., Lettres, II p. 201.
24. Lettre à Mère M. Eugénie, 31 mars 1845. - ACR, AD 361; V., Lettres, II p. 240.
25. Lettre à Mère M. Eugénie du 14 octobre 1853. - ACR, AD 923; T., Lettres, I p. 343.
26. Conférence ecclésiastique, décembre 1847. - ACR, CV 27; T.D. 48, p. 251-255.
27. Lettre au cardinal Fornari, Nîmes 23 mai 1853. - ACR, AO 27; T., Lettres, I p. 286-289.
Lettre à Mgr Doney, 5 novembre 1854. - ACR, AN 233; T., Lettres, 1 p. 483-485.
Circulaire aux curés du diocèse de Nîmes, 6 août 1855. - T., Lettres, I p. 574-575.
Arch. nat. F 19, 2804.
Mandement de MM. les vicaires généraux capitulaires du diocèse de Nîmes, le siège vacant... - T., lettres, I p. 577-584.
32. ACR, AD 1024; T., Lettres, I p. 584.
33. ACR, DZ 66 et 67.
34. Circulaire au clergé et circulaire aux fidèles du diocèse de Nîmes. T. , Lettres, I p. 618 et 621.
35. Les évêques cités dans cette lettre sont les suivants : Mgr Debelay, archevêque d'Avignon; le cardinal de Bonald, archevêque de Lyon; Mgr Trousset d'Héricourt, évêque d'Autun; Mgr Parisis, évêque de Langres; Mgr de Chamons, évêque de Saint-Claude; Mgr Rivet, évêque de Dijon; Mgr de Bruillard, évêque de Grenoble.
36. Le P. d'Alzon tient à saluer son ami, Mgr de Salinis, promu évêque d'Amiens depuis le 2 avril 1849.
37. En son manuel de Théologie, très en vogue, mais dont les tendances gallicanes le feront frapper de l'Index, à la fin de 1852.
38. A l'exemple de l'Ecole des Carmes ouverte à Paris en 1845 par Mgr Affre. - Le P. d'Alzon devait reprendre le projet du Concile d'Avignon lorsqu'en 1852, avec l'accord de son évêque, il ouvrit lui aussi à Nîmes une Maison de hautes études littéraires, scientifiques et théologiques (Ch. XIV, 14 a), à défaut d'Université catholique .
39. Auteur obscur d'une secte philosophique, renouvelée plus ou moins du montanisme, - condamné par l'évêque de Bayeux et par Grégoire XVI, en 1843.
40. Professeur de droit canon et d'histoire de l'Eglise au grand séminaire de Nîmes.
41. Il s'agit des abbés Martin, vicaire général d'Avignon, Bernard, fondateur d'une Association de colportage pour les bons livres, Grivet, vicaire général de Valence, Gareizo, directeur du Grand séminaire de Nîmes et professeur de droit canon, d'Alzon, vicaire général et fondateur de l'Assomption, tous signataires du Mémoire dont il est question.
42. Il s'agit de la Revue des bibliothèques paroissiales.
43. Revue de l'Enseignement chrétien.
44. Lettre perdue de ce prêtre de Valence, chanoine de la cathédrale, théologien et canoniste de son évêque au concile d'Avignon en 1849.
45. Mgr Debelay.
46. Les évêques de la province ecclésiastique et de nombreux prêtres devaient se rassembler à Valence, le 21 août, pour le transfert solennel des reliques de sainte Eutychiana, martyre, rapportées des catacombes de Rome. Le P. d'Alzon y sera présent.
47. Gens de la périphérie de Nîmes.
48. Le Dr J.-H. Pollen, ainsi recommandé, fut reçu à Nîmes par le P. d'Alzon, et, de Rome, il lui écrira, sur sa demande, deux lettres datées des 10 mars et 4 avril, relatives à l'éducation du clergé anglican. Ces lettres furent publiées dans le n° de juillet 1854 de la Revue de l'Enseignement chrétien (III, p. 385-397), et reprises, en septembre, dans les Annales catholiques de Genève (p. 259-270).
49. Les ACR conservent des éléments de la bibliothèque du P. d'Alzon et notamment les ouvrages concernant le protestantisme en France et en Angleterre.
50. Pour M. Baudon, président des Conférences aux côtés d'Ozanam, Augustin Cochin écrit au P. d'Alzon le 13 octobre 1851 : "Veuillez m'envoyer, je vous le demande en grâce, les règlements de vos Conférences de Saint Vincent de Paul. M. Baudon me prie de faire un travail sur les Conférences des maisons d'éducation, auxquelles je l'ai engagé à attacher un intérêt particulier. Il sera, je l'espère, facile de faire fonder un certain nombre de ces utiles réunions; c'est là de la pratique, et de la meilleure; et je crois que nous ne pouvons donner de plus excellents modèles que vos Conférences de l'Assomption" (ACR, EB 139). - D'un autre côté, de Pèlerin, ancien élève de l'Assomption, faisant ses études supérieures à Paris, écrit au P. d'Alzon, le 24 mai 1850 : "Je m'occupe toujours beaucoup, mon Père, des visites des pauvres, et je ne saurais trop vous remercier de m'avoir si bien initié à l'Assomption à la charité, à l'amour des pauvres. Je sens tous les jours combien furent pour moi précieuses ces premières leçons que l'exemple de mes professeurs venait si puissamment encourager" (ACR, EB 560). -Enfin, le P. Pernet, fondateur des Petites Soeurs de l'Assomption, garde-malades des pauvres à domicile, leur disait : "En vérité, j'ai compris ce qu'on peut appeler le mal de l'ouvrier et les remèdes qu'il faudrait y apporter, lorsqu'à Nîmes le P. d'Alzon m'eut confié le patronage où deux cents enfants environ se réunissaient le jeudi et le dimanche. Forcément, je me trouvais en rapport avec leurs parents que je visitais d'ailleurs aussi souvent que possible; je ne leur portais aucun secours d'argent; mais je ne sais pourquoi ces pauvres gens me racontaient leurs peines, leurs misères. Les femmes de l'Enclos-Rey, surtout, me témoignaient une grande confiance, et c'est là que j'ai vu des détresses que je connaissais à peine de nom" (Instructions à ses religieuses, vers 1895).
51. La participation du P. d'Alzon fut réelle, comme en témoigne ce passage de lettre à Mère M. Eugénie, datée du 27 octobre 1853 : "Comme si je n'étais pas assez occupé par ma rentrée, Monseigneur m'a pris trois grands jours pour aller visiter dans le diocèse trois églises en construction. A la garde de Dieu, n'est-ce pas ? C'est ce que je me dis et qui me fait un grand bien" (AD 924; - T., Lettres, I p. 344).
52. Les intentions du P. d'Alzon à propos de cette oeuvre nous sont connues par une lettre à Mère M. Eugénie, datée du 6 décembre 1852: "Je crois avoir la possibilité d'en faire une branche d'industrie pour Nîmes, faire gagner des ouvrières et faire une bonne oeuvre en répandant des idées un peu chrétiennes" (AD 859; -T., Lettres, I p. 222).
53. Le P. d'Alzon, sur le plan pratique, sollicite par cet appel une aide financière. Les souscriptions peuvent être versées à différentes adresses dont la sienne. Dès le 16 novembre 1852, il recommandait cette oeuvre à Mère M. Eugénie en lui demandant d'accueillir l'abbé Bernard à Paris et "de l'aider de tout son pouvoir auprès des personnes influentes de sa connaissance" (ACR, AD 849; T., Lettres ,1 p. 209).
54. Par cet article, le P. d'Alzon entend répondre aux critiques faites à la Revue et à l'oeuvre des bibliothèques paroissiales. L'oeuvre doit tenir compte du niveau intellectuel de ses lecteurs, mais, dans un sermon donné à Alès le 23 janvier 1846, le P. d'Alzon pose cette question : "Est-il nécessaire que les classes populaires soient instruites ?" et répond sans hésiter : "Oui, mille fois oui, l'instruction pour le peuple devient de plus en plus une question de vie ou de mort".
55. La présence du P. d'Alzon à cette cérémonie se comprend d'autant plus qu'il était lui-même le responsable de ce qu'on appelait à Nîmes l'oeuvre des soldats. Il s'agissait d'assurer à ces jeunes hommes, pour la plupart illettrés, le minimum de culture humaine et chrétienne et de les réunir pour des exercices religieux; cette oeuvre était confiée aux grands élèves du collège de l'Assomption, sous la responsabilité de leurs maîtres. "L'oeuvre des soldats est transportée dans la maison", écrit Monnier à Germer-Durand, le 1er juin 1852; "en ce moment, nous avons tous les soirs 50 à 60 soldats qui font, avant de se retirer, leur prière dans notre chapelle. C'est vraiment édifiant" (ACR, OH 25).
56. Il s'agit de l'Oeuvre Argaud ou Oeuvre de Jeunesse établie dans la ligne des patronages et selon l'esprit des oeuvres de jeunesse du P. Timon-David à Marseille. Dans la publication des fêtes de son centenaire, 1837-1937, (Nîmes, 1938, p. 34-49), on reconnaît au P. d'Alzon de l'avoir fondée; il la confia d'abord à l'abbé Daudet et, quand il l'eut sauvée, comme il est dit ici, il la passa à M. l'abbé Argaud, d'où le nom nouveau de l'oeuvre. Dans une lettre à Mère M. Eugénie, du 30 avril 1854, le P. d'Alzon fait allusion à ces faits et il ajoute : "Aujourd'hui, je viens de bénir une chapelle dans un local acheté avec l'argent de Monseigneur pour cette Association" (ACR, AD 23; T., Lettres, I p. 419). C'est dans cette chapelle et les locaux annexes que se passa la journée de fête qui nous est ici racontée.
57. De Genève, le 3 octobre 1855, l'abbé Mermillod écrit au P. d'Alzon: "J'ai lu votre circulaire aux évêques de France, je la trouve admirable ! [...] Votre oeuvre n'est pas une pensée isolée, il faut absolument combiner des moyens de l'étendre, de la propager en Allemagne, en Angleterre et en France. Il faut ouvertement former une confédération des esprits qui s'occupent de la conversion du protestantisme, et une association des fidèles qui y concourent par leurs prières et leurs aumônes" (ACR, DZ 407). - Dès lors, l'abbé Mermillod, qui avait pensé un moment devenir Religieux de l'Assomption, et qui espérait une fondation assomptioniste à Genève ou à Ferney, employa tout son zèle à répandre l'Association de Saint François de Sales que son ami le P. d'Alzon avait fondée.
58. Une réelle collaboration existait entre le Supérieur du grand séminaire, l'abbé Gareiso, et le P. d'Alzon pour organiser au mieux les études ecclésiastiques entre le grand séminaire et les petits séminaires du diocèse : "Il me tarde que vous soyez à Nîmes, écrit l'abbé Gareiso au P. d'Alzon, le 27 juillet 1854, afin de nous occuper de notre seconde année de philosophie. Nous avons besoin de nous entendre avec Beaucaire et Saint-Stanislas. Monseigneur, avant de partir, me recommanda de voir ces Messieurs pendant les vacances. A votre retour, vous pourriez nous réunir chez vous pour cela" (ACR, EA 45).
59. Soucieux de donner suite à ces réflexions personnelles, le P. d'Alzon demandera, le 23 février 1857, à Dom Guéranger, une méthode ou une direction "pour apprendre au jeune clergé à étudier les sciences sacrées en dehors des cours du Séminaire", compte tenu des six ans d'examens des jeunes prêtres et de leur volonté de mettre à profit leurs loisirs pour devenir de vrais théologiens : "Depuis quelques années, je suis chargé de présider un des bureaux d'examen des jeunes prêtres du diocèse de Nîmes. Je suis frappé à la fois et de l'intelligence des jeunes examinés et de la légèreté de leur bagage théologique. Pour plusieurs, sans doute, il y a le dégoût de l'étude, amour des distractions, facilité à perdre son temps; pour beaucoup, il y a ignorance d'une méthode sûre qui leur fasse recueillir le résultat de travaux, trop souvent privés de direction. C'est cette direction que je viens vous demander pour eux" (Archives de Solesmes; T., Lettres, II p. 202-203).
60. Cette supplique parvint de fait à l'empereur, puisque, dans sa lettre, l'abbé Grivet ajoute : "Si nous ne réussissons pas cette fois encore, nos voeux se réaliseront plus tard; c'est du moins ce que j'ai compris par la réponse du secrétaire de Sa Majesté."
61. Mgr Sacconi mettait donc en première ligne le nom du P. d'Alzon. Invité indirectement à se rendre à Paris, le P. d'Alzon, en vertu de son voeu d'humilité sacerdotale (Ch. X C, 1), révèle ses intentions dans une lettre écrite à Mère M. Eugénie, vers le 11 octobre 1854 : "Si je partais pour Paris, je montrerais que, malgré mes protestations, je suis disposé à me laisser vaincre. Je lui ai fait dire par du Lac que je le remerciais, mais que je suis impossible à Nîmes et que je ne veux rien. Si le Pape commande, j'obéirai, pas autrement" (ACR, AD 956; T., Lettres, I p. 474).
62. Par une lettre du 3 octobre, nous savons que l'évêque d'Amiens, Mgr de Salinis, avait été sondé par le P. d'Alzon pour avoir son opinion sur les candidats possibles au siège de Nîmes : "Aucun des noms que vous m'indiquez ne m'inspirerait assez de confiance pour que j'ose en prendre la responsabilité et leur prêter le concours de ma faible influence. Il en est un autre qui me semblerait indiqué. Priez Dieu. C'est le hasard qui fait les évêques lorsque la Providence n'intervient pas" (ACR, DZ 488). Le candidat de Mgr de Salinis n'était autre que le P. d'Alzon. Il osa le présenter au Ministre des Cultes qui lui objecta le légitimisme du P. d'Alzon. Assurément, le P. d'Alzon n'avait jamais fait preuve de servilisme politique pour assurer les intérêts de l'Eglise. C'est bien cette indépendance qui déplaît au pouvoir lorsqu'on le prend tantôt pour un démocrate courant les clubs, et tantôt pour un légitimiste outré (cf. Ch. XVI, 2b).
63. Ayant accompli cette mission, le P. d'Alzon revint à Nîmes et demeura au service de son évêque jusqu'à sa mort, le 13 août 1855. Le Chapitre réuni nomma vicaires capitulaires le P. d'Alzon et l'abbé Boucarut, qui administrèrent le diocèse jusqu'à l'arrivée du successeur. - Le décret ministériel, en date du 30 août 1855, retint le nom de l'abbé Plantier, auquel l'opinion attribuait des idées gallicanes; le P. d'Alzon en éprouva une contrariété qu'il ne cacha point, dès qu'il le sut, mais qu'il domina rapidement : "Je mets au pied de la croix tous les mauvais tours que ma trop féconde imagination me suggère à son égard, écrit-il le 8 septembre à Mère M. Eugénie. Il faut aimer l'Eglise de Dieu pour Notre-Seigneur et non parce que l'on trouverait une petite satisfaction à faire triompher nos idées propres" (ACR, AD 1027; T., Lettres , I p. 591.)
64. Au reçu de cette lettre, Mgr Plantier offrit par écrit au P. d'Alzon, ce qu'il n'avait pu faire de vive voix, d'accepter sous son administration les fonctions de vicaire général titulaire (Lettre du 20 septembre 1855. - ACR, DZ 64). Le P. d'Alzon ne se rendit pas du premier coup; le 24 septembre, Mgr Plantier renouvelle son offre : "Il m'est impossible de ne pas insister" (ACR, DZ 65). - Par une confidence du P. d'Alzon, nous savons qu'il demanda l'avis du nonce et du cardinal Gousset, lesquels lui firent "une obligation d'accepter" (lettre du 26 septembre 1855 à Mlle Juliette Combié. -ACR, AM 129; T., Lettres, I p. 599) : ce qu'il fit. - Pour autant qu'ils avaient des opinions contraires, Mgr Plantier et le P. d'Alzon savaient les surmonter, dans l'intérêt du diocèse et de l'Eglise.