CHAPITRE XXIX (Partie 2)
L'ACTIVITE APOSTOLIQUE DU P. D'ALZON
ET DE SA CONGREGATION EN FRANCE (1870 - 1880)
(Lettres et documents)
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Extraits de l'allocution de clôture du P. d'Alzon au sixième chapitre général de la congrégation, Nîmes, le 17 septembre 1868. -Orig.impr. ACR, ID 16; Circulaires aux religieux de l'Assomption, p. 42-44 (= T.D. 14).
Très tôt le P. d'Alzon a reconnu dans la démocratie une force dont la montée était inéluctable. Au chapitre de 1868, il invite ses religieux à transformer le. flot démocratique en le christianisant, "comme nos Pères ont transformé la barbarie féodale". C'est ce passage que nous citons ici.
Ce qui importe, c'est que la société soit imprégnée des principes chrétiens. Moteur de toute son activité apostolique après le Concile, cette idée inspirera également ses attitudes politiques. C'est ainsi qu'en 1872, malgré la sympathie naturelle qu'il éprouvait pour les Bourbons, il évita soigneusement de prendre publiquement position en faveur de leur restauration.
Enfin, l'amour de l'Eglise nous offre, dans les temps présents, un horizon tout nouveau. Jetez les yeux autour de vous : ne remarquez-vous pas que les abîmes deviennent plus profonds, que les ruines s'amoncellent, que les catastrophes se préparent ? Au milieu de tous ces bouleversements, l'Eglise, stable sur son rocher, voit le vieux monde s'engloutir, comme des rives d'Hippone saint Augustin contemplait la Rome des Césars submergée par les flots pressés des barbares.
Le livre de la Cité de Dieu est pour nous comme une seconde révélation, et plus nous l'étudions, plus par analogie nous pouvons y trouver le secret de l'avenir. Que de tristesses, que de découragements ne sortaient pas de ces immenses décombres faites par l'épée et la torche d'un Attila, d'un Genséric ? Pourtant c'était Dieu balayant une société pourrie pour en préparer une nouvelle. Les évêques des Gaules surtout ne s'y méprirent point; ayons l'intelligence de nos Pères. Eux saluaient et transformaient la barbarie féodale; pour nous, saluons et transformons la barbarie démocratique. Il y avait sans doute chez nos vieux pontifes gallo-romains quelques regrets de grandeurs évanouies; ils n'en formèrent pas moins la France, ainsi que les abeilles une ruche. Faisons de même : sans regrets trop inutiles du passé, sans espérances trop décevantes dans l'avenir, poursuivons notre œuvre telle que Dieu nous la propose. Peut-être sera-t-elle plus grande avec les peuples redevenus chrétiens qu'avec les barbares arrachés à toute la grossièreté du monde sauvage. [...]
Un pouvoir est nécessaire, mais il n'est pas nécessaire qu'il soit confié à une tête couronnée. Dieu considéra comme une insulte la demande des enfants de Jacob qui désiraient un roi. N'insistons pas. Mais pourquoi le nier ? Si un fait est manifeste, c'est que le flot démocratique monte tous les jours, il est gros de révolutions; qui sait où est le grain de sable contre lequel l'écume de ses tempêtes viendra se briser ? Pour moi, je vois l'Eglise, ce qu'elle a fait autrefois, et j'attends.
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Note du P. d'Alzon intitulée "Association pour la défense de l'Eglise catholique"(1870).- Orig.ms. ACR, CQ 251; T.D. 43, p. 117-119.
Publiant cette note en 1956 dans les Écrits spirituels (p. 1432-1434) le P. Sage la date de 1871. Deux ans plus tard, dans son Maître spirituel (p. 218), il propose "vers avril 1870". De toute manière, ce texte est antérieur à l'article-programme publié par le P. Picard en mai 1871, dans le premier numéro de la Revue de l'Enseignement chrétien. Il devait être devant les yeux du P. d'Alzon lors de la réunion qu'il tint à Nîmes avec ses principaux religieux au cours de la première quinzaine de mars 1871 et dut servir de base à leurs discussions. Il y a entre cette note et l'article du P. Picard bien des points communs. Tous deux d'ailleurs commencent exactement par la même phrase. Des annotations en marge de la main du P. Picard montrent que ce dernier emporta cette note avec lui et qu'il l'avait sous les yeux quand il composa son article-programme. Ajoutons que le P. Picard écrit au P. d'Alzon, le 28 mars 1871, en lui envoyant son article : "Je me suis appliqué à être un rapporteur fidèle sans m'attacher à l'ordre suivi et aux détails de la conversation" (ACR, EN 8).
Un grand combat se livre aujourd'hui dans le monde entre l'Eglise catholique et la révolution.
La révolution se propose hautement de renverser l'Eglise, le royaume de J.-C. sur la terre. C'est la guerre de Satan contre Dieu.
L'Eglise a son organisation, son clergé, ses associations. La révolution a son organisation, la franc-maçonnerie et toutes les sociétés secrètes qui s'y rattachent.
L'Eglise a ses principaux moyens d'action, la prière et la parole, oratio et ministerium verbi. La franc-maçonnerie a aussi ses moyens d'action, non pas la prière, mais son culte, le culte des passions qui plongent l'homme dans la fange, afin de le retirer plus sûrement de l'ordre surnaturel où il trouvait Dieu.
L'Eglise tend au triomphe de l'esprit, la révolution au triomphe des sens par la réhabilitation de la matière. Et Satan est derrière cette boue, comme il était derrière la pomme du paradis terrestre.
L'Eglise et la franc-maçonnerie ont surtout à leur service la parole. La parole de la franc-maçonnerie par les journaux, les mauvais livres, l'enseignement, les discours et certaines lois, prend tous les jours des proportions plus effrayantes. L'Eglise aussi a sa parole, mais c'est une très grave question que d'examiner si elle est tout ce qu'elle devrait être, et si l'on ne doit pas recommander à ses ministres de ne point être de ceux de qui saint Paul dit qu'ils sont adulterantes verbum Dei.-
D'un côté, les masses vont se pervertissant tous les jours; de l'autre, le monde ne nous présente plus une seule nation, une seule société, ou société chrétienne. Le scepticisme est à la base de tous les états. Ne serait-il pas temps pour l'Eglise de chercher à reprendre ses droits en travaillant à s'emparer des masses, où le pouvoir tend de plus en plus à descendre ? Ne serait-ce pas l'occasion d'organiser contre la révolution et ses doctrines, contre la franc-maçonnerie et ses plans de campagne, sous la protection du pape et des évêques, une association qui prît le contre-pied de toutes les combinaisons inspirées par l'enfer ?
1° La franc-maçonnerie agit par la presse. Contre la mauvaise presse pourquoi ne pas organiser [et] développer la bonne ?
2° La franc-maçonnerie agit par l'enseignement, surtout l'enseignement de l'Etat. Pourquoi la question de l'enseignement, et de l'enseignement libre et catholique, ne serait-elle pas étudiée sur toutes ses faces, et pourquoi les diverses solutions pratiques ne seraient-elles pas appliquées sous toutes leurs formes ?
3° La franc-maçonnerie flatte les passions charnelles : c'est son culte. On s'efforcerait d'attirer les peuples vers les splendeurs et les joies du culte catholique, et de leur donner le sens de la prière et les consolations de l'espérance d'un monde meilleur.
4° La franc-maçonnerie a ses réunions, où la science [de] la perversion s'enseigne et se pratique. On multiplierait les missions, les exercices spirituels et les associations pieuses et charitables.
5° La franc-maçonnerie cherche à pénétrer dans les masses, dont les besoins sont sa grande préoccupation. On s'occuperait de toute œuvre tendant à améliorer le sort du peuple en rendant ses mœurs chrétiennes.
6° La franc-maçonnerie sape l'influence de l'Eglise en la dépouillant de ses biens. On propagerait toute œuvre capable de procurer de plus abondantes ressources au Saint-Siège, aux missions intérieures ou étrangères, aux établissements d'instruction, aux œuvres populaires, à la diffusion des publications catholiques. Mais, dira-t-on, cela se fait déjà. Sans doute, mais sans cet ensemble et cette unité qui décuple les résultats.
Une association dont les membres s'engageraient à travailler en commun au triomphe de l'Eglise par les moyens ci-dessus indiqués, donnerait évidemment, au bout de quelques années de persévérance et d'un développement facile à supposer, de féconds résultats. Si ces idées mères étaient adoptées, chacune des parties du plan général serait étudiée séparément et deviendrait l'objet de notes spéciales.
On placerait l'association sous la protection : 1° de Marie triomphant dans les cieux, et dont l'Assomption condamne la négation de l'âme et les affirmations du matérialisme moderne; 2° de saint Michel, chef des armées célestes; 3° de saint Pierre, fondement inébranlable de l'Eglise que veut renverser la révolution.
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Extraits de trois lettres du P. d'Alzon au P. Picard concernant l'organisation des catholiques (octobre-novembre 1871)
a) Nîmes, le 24 octobre 1871. - Orig.ms. ACR, AE 379; T.D. 25, p. 324.
De l'échec des catholiques aux élections départementales, le P. d'Alzon conclut à l'urgence de laisser le terrain politique pour se regrouper sur le terrain catholique et social. C'est en vue d'une action en ce sens qu'il se met à la disposition de Léon Pages (secrétaire du Comité catholique de Paris).
Nous sommes battus, et bien battus, à Nîmes pour le Conseil général. Laget a eu 20 voix, Chabaud-Latour, 18, par la stupidité de certains catholiques et par leur sotte rivalité de clocher en face du mouvement révolutionnaire. Ils en sont encore à rester sur le terrain politique, lorsqu'il faudrait se mettre franchement sur le terrain catholique et social. Dieu veuille que la leçon soit bonne ! Mais aujourd'hui, je déclare plus que jamais urgente la formation d'une organisation catholique. Nous serons battus, mais si nous sommes unis nous saurons vaincre , à notre tour...
Voyez M. Léon Pages et dites-lui que je me mets tout entier à sa disposition pour agir aussi énergiquement que possible dans le sens catholique. Nîmes s'organise très bien. Le Vigan est organisé. Il faut quelque chose de mieux encore, il faut que tout le département se prépare à lutter, mais cela viendra.
b) Le Vigan, le 13 novembre 1871. - Orig.ms. ACR, AE 380; T.D. 25, p. 325.
Le P. d'Alzon prend des informations au sujet des associations parisiennes. Quant à lui, il organise une puissante association d'anciens élèves dont il se réserve la présidence. M. de Beaucourt est le président de la Société Bibliographique, au Conseil de laquelle figure d'ailleurs le P. Picard.
Veuillez me dire le côté pratique de l'association Pages et de l'association Beaucourt. Beaucourt, si je ne me trompe, est plus intellectuel, plus propagandiste pour les idées; Pages fait plus de polémique et d'action sociale et religieuse. Nous avons groupé les anciens élèves. J'espère en faire une assez puissante Association, je m'en suis réservé la présidence. Ce groupe gouvernera un jour le département et s'étendra aux départements voisins. Maintenant à qui faut-il s'adresser : à Pages ? à Beaucourt ? Il me semble que c'est à Pages. Quant à Beaucourt, je lui réserve un groupe de jeunes gens, qui m'ont demandé de se réunir quelquefois l'hiver pour causer de questions sociales et religieuses. Vous comprenez que j'ai accepté avec transport, mais je ne pourrai rien faire qu'au mois de janvier.
c) Le Vigan, le 23 novembre 1871. - Orig.ms. ACR, AE 384; T.D. 25, p. 330.
Un Comité catholique existe au Vigan, d'autres sont en formation. Le P. d'Alzon déplore cependant le respect humain des gens et le libéralisme politique qui tue le zèle. Il faut que le prochain Congrès (des Comités catholiques) soit un succès et il demande qu'on l'y inscrive.
Veuillez faire savoir à Léon Pages qu'un Comité catholique est formé au Vigan, qu'un autre est en formation à Nîmes. J'espère bien faire quelque chose à Alais; mais il est déplorable de voir le respect humain des gens et à quel point le libéralisme politique tue le zèle, je ne dirai pas catholique, mais seulement chrétien. Enfin, j'ai enrôlé deux députés, Victor de Bonald, de l'Aveyron, et M. de Tarteron, qui va se mettre en relation avec vous et avec Pages.
J'ai donné avant-hier soir, à Sumène, une instruction, dont on a été satisfait. C'était sur les associations.
Il est indispensable de pouvoir réussir au Congrès. Veuillez faire inscrire mon nom pour le printemps, puisque c'est au printemps qu'on le réunit. Inscrivez-moi aussi pour le Congrès des bonnes œuvres. Quant à notre Congrès des Institutions libres, nous le ferons sans doute un peu plus tard.
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Extraits de deux lettres du P. d'Alzon au P. Emmanuel Bailly sur les efforts à déployer pour organiser l'action des jeunes catholiques, Le Vigan, novembre 1871
a) Le Vigan, 23 novembre 1871.- Orig.ms. ACR, AI 199; T.D. 31, p. 182-183.
Il faut, dit le P. d'Alzon, profiter des heures humiliantes que nous traversons pour réorganiser l'action, conjurer les jeunes à rejoindre les cercles et à s'y poser sur le terrain catholique.
Je voulais vous écrire pour vous prier de me rappeler au souvenir de ceux de ces Messieurs qui se réunissaient le vendredi soir. J'en ai été empêché par une visite de deux heures de M. de Tarteron. Il venait pour organiser une réunion pour après-demain dimanche, et, en effet, je crois que le moment est venu de profiter des heures pénibles et humiliantes que nous traversons pour se réveiller et agir. Sous ce rapport, je suis ravi que la réunion que nous avons provoquée forme un Comité d'action. Le combat est rude à soutenir, les passions se déchaînent, mais les passions déchaînées font peur à une foule d'honnêtes gens, qui les avaient voulues peut-être pour eux, qui n'en veulent plus quand ils voient les ravages qu'elles feraient, si elles triomphaient au sens des gens vraiment logiques. [...]
Conjurez nos jeunes gens d'aller dans les cercles, de s'y poser sur le terrain catholique. Je voudrais que l'on préparât des pétitions pour la loi d'enseignement, qu'il faudrait refaire. Il faudrait encore en préparer pour le Pape. Parlez-en et voyez s'il est préférable de s'en occuper tout de suite ou de renvoyer à un peu plus tard.
b) Le Vigan, 26 novembre 1871.- Orig.ms. ACR, AI 202; T.D. 31, p. 185-186.
Le P. d'Alzon rappelle à l'intention des jeunes gens les divers points de son programme. Il se rendra au "grand Congrès" (celui des Comités catholiques, à Paris en avril 1872). Il tient à organiser une action départementale et même inter-départementale, en liaison avec Paris.
Si nos jeunes gens veulent mon programme, le voici :
1° Guerre à outrance contre la Révolution, jusqu'à ce que nous ayons repris ses conquêtes.
2° Reconstruction de la société française sur les principes de justice et de droit enseignés par l'Eglise.
3° Liberté du Pape et de l'Eglise.
4° Liberté de l'enseignement.
5° Liberté des associations morales.
6° Liberté de tester.
7° Revendication du droit traditionnel de la France.
Avec ce programme, on va moins vite et on va plus sûrement au but.
Un grand congrès va être tenu à Paris, ce sera au printemps. On m'invite à me préparer à y aller. J'y suis tout disposé. On y traitera la question de la liberté de l'enseignement. Le P. Picard pense que je pourrai être le président de la section qui traitera cette grave question, avant de la présenter au public.
Pour en revenir à notre réunion, il faut établir qu'on leur dira tout, (on dit qu'ils se plaignent qu'on ne leur dit pas tout); mais il faut leur dire qu'au lieu qu'ils cherchent à exercer une action locale, je cherche à exercer une action départementale; de plus, à faire de Nîmes un centre pour plusieurs départements; de plus, [à] correspondre avec un centre qui sera à Paris. Vous pouvez dire cela à Cabrières et à Baragnon. Aux autres ? C'est une question. Dans tous les cas, je le dirai.
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Extraits d'une lettre du P. d'Alzon relançant les jeunes gens du cercle de Nîmes, Paris, le 14 mars 1872. - Orig.ms. ACR, AI 214; T.D. 31, p. 191-192.
De Paris où il se trouve depuis le début du mois de mars, prêchant des retraites à des hommes et se préparant à l'Assemblée générale des délégués des Comités catholiques, le P. d'Alzon relance les jeunes gens du cercle de Nîmes, les invitant à serrer les coudes et à agir. Combien l'envoi d'un délégué de leur cercle au Congres catholique serait à souhaiter !
Il est très vrai de dire qu'à Paris les gens du Midi ne jouissent pas d'une grande réputation de sérieux. Ils ne répondent pas aux gens qui leur écrivent, ils commencent et ne poursuivent pas, etc.. etc. Voilà ce que j'entends dire de bien des côtés et quelquefois je baisse la tête, forcé que je suis de convenir que si ces reproches sont aux trois quarts calomnieux, ils ont bien une faible part de vérité. Enfin cela dit pour mémoire, je vous conjure de ne pas vous laisser décourager par certaines désertions, car d'ici à peu il vous sera très nécessaire d'exercer une action d'autant plus forte qu'elle sera plus une.
[...] Je vous ai fait adresser pour 150 francs de livres, dont Saint-François-de-Sales vous fait cadeau. C'est bien le moins que vous favorisiez cette œuvre et que vous la propagiez, puisque vous voyez qu'elle est assez généreuse envers vous. Il me semble bien nécessaire d'avoir des hommes un peu énergiques en face de l'énergie révolutionnaire, mais c'est cette énergie qu'a tuée, chez les catholiques, le libéralisme condamné par le Syllabus. Enfin, vous répandrez les brochures qu'on vous offre.
Vous recevrez sous peu, si vous ne les avez reçues, des pétitions pour l'observation du dimanche. Il est merveilleux de voir quel succès elles ont à Paris. Je ne saurais trop vous recommander d'en parler. Il est pourtant très important que nous fassions cet acte chrétien. Et je ne doute pas qu'il n'y ait de très grandes récompenses, attachées à la réparation d'une violation aussi grave de la loi de Dieu.
Enfin, je vous parlerai du Congrès catholique qui se tiendra le 4 avril à Paris. Qu'il serait à désirer que quelques Nîmois viennent y assister ! Et que de questions à traiter! La propagande et la presse, l'observation du dimanche, les œuvres ouvrières, les ressources matérielles à créer, l'instruction à tous les degrés, etc.; voilà une belle occasion de se mêler au mouvement catholique. Si quelqu'un d'entre vous devait venir, qu'il se fasse désigner comme délégué de votre réunion, car l'on désire précisément établir des liens avec les départements.
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Extrait d'une lettre du P. d'Alzon à Mère Marie-Eugénie, Nîmes, le 14 octobre 1872. - Orig.ms. ACR, AD 1619; T.D. 24, p. 170.
Le Père informe sa correspondante qu'il a prudemment et publiquement protesté contre un souhait de collusion entre Henri V de Chambord et le Pape.
Nous avons fait à Rochefort un pèlerinage qui aurait eu le meilleur effet, si M. Ferdinand Boyer (député) n'avait prononcé un discours absurde sur l'union d'Henri V et du Pape. Les radicaux s'en sont emparés. Heureusement que j'avais protesté, en me retirant du lieu où ces paroles malencontreuses avaient été prononcées, et leurs journaux me rendent justice.
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Extraits de lettres du P. d'Alzon aux Pères Picard et V. de P. Bailly sur l'urgence des œuvres ouvrières
Dans la bouche ou sur la plume du P. d'Alzon, les "œuvres populaires" sont avant tout des œuvres d'apostolat populaire. "Aller au peuple", "aller aux pauvres", c'est leur réapprendre l’Évangile, leur réapprendre que le salut de l'humanité entière, le leur et celui de tous les hommes, est dans le Christ. C'est cela qu'il attend de ses religieux ou des laïcs auxquels il s'adresse et qu'il s'efforce d'unir pour 1'action.
Certes la charité chrétienne fait un devoir à tous de soulager les misères matérielles et morales des plus démunis, et le P. d'Alzon n'y a pas manqué, comme il ne s'est pas privé de rappeler aux riches la grave obligation qu'ils avaient de venir au secours des pauvres. Mais, bien que, par exemple, il ait favorisé les efforts d'union des ouvriers pour la défense de leurs intérêts matériels (v. infra 4), on ne trouve pas chez lui de plan bien arrêté de réforme de la société en vue de remédier à l'injustice foncière dont étaient victimes les classes "inférieures" .
a) D'une lettre au P. Picard, Lavagnac, le 25 mai 1871. - Orig.ms. ACR, AE 371; T.D. 25, p. 317.
Les horreurs de la Commune auraient-elles eu lieu si l'on s'était intéressé plus tôt aux ouvriers ? Il est urgent de travailler à leur conversion et le P. d'Alzon supplie son correspondant d'examiner les possibilités concrètes qui s'offrent à lui et à son entourage de se mettre immédiatement à la tâche.
Je voudrais bien vous écrire longuement, et ma main aujourd'hui semble s'y refuser. Pourtant, les affreuses choses qui viennent de se passer doivent nous donner à réfléchir. Savez-vous ce qui me préoccupe? C'est la conversion de Belleville et de Montmartre. Si les archevêques de Paris s'en étaient occupés, nous n'en serions pas où nous en sommes. Le P. Halluin ne verrait-il pas la possibilité de faire quelques chose en ce sens ? Avec les relations qu'il a avec plusieurs ouvriers dans Paris, ne pourrait-on pas opposer association à association et faire une vaste Internationale catholique ? [...]
Je vous supplie : 1° de sonder le P. Halluin; 2° les jeunes religieux; le P. Halluin, pour savoir s'il pourrait nous donner des idées pour la conversion du peuple; les jeunes religieux pour les sonder sur leurs aptitudes. Enfin, examinez autour de vous; avec le P. Vincent de Paul et M. Bernard Bailly, il me paraît que vous pourriez faire des merveilles. Profitez de votre séjour à Arras pour y penser.
b) D'une lettre au P. Vincent de Paul Bailly, Lavagnac, le 27 mai 1871. - Orig.ms. ACR, AG 287; T.D. 27, p. 236-237.
Le P. Vincent de Paul, fils du fondateur des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, doit plus que tout autre se sentir partie prenante à la conversion du monde ouvrier.
Il me semble que vous devez, vous Père Vincent de Paul, fils de M. Bailly, fondateur des Conférences, vous rendre compte de ce que vous avez à faire en face de toutes les horreurs commises par les révolutionnaires. Laissez les chefs. Ne croyez-vous pas que l'on peut s'occuper du peuple ? Voyez donc. J'aurais bonne envie de vous dire, comme l'abbé de Saint-Paul-Trois Fontaines à saint Philippe de Néri : "Vous avez une Amérique à convertir". Pour vous, c'est Paris. [...] Vous avez un bien infini à opérer. Vous aurez peut-être au commencement des rebuts, c'est tout simple; mais avec un peu de persévérance on ne sait pas le bien que vous ferez. Vous prêcherez, vous confesserez, vous serez original, très original, un immense original. Vous serez le saint Philippe de Néri de Paris.
c) Lettre au P. Vincent de Paul Bailly, [Nîmes, fin septembre 1871].-Orig.ms. ACR, AG 294; T.D. 27, p. 244.
Cette lettre non datée se situe après le Congrès des Associations ouvrières qui s'est tenu à Nevers en septembre 1871, puisque le P. Halluin qui y a assisté vient d'arriver à Nîmes. Le P. Bailly y a présidé une commission et suscité la création d'un Bureau central qui, de Paris, dirigera et soutiendra les initiatives des associations ouvrières catholiques. Mgr de Ségur, président de ce bureau en confiera le secrétariat au P. Bailly, comme le souhaitait d'ailleurs le P. d'Alzon, qui l'encourage ici vivement à poursuivre dans la voie où il s'est engagé.
Ce que vous me dites, quoique succinct, me comble de joie. Il me semble que vous devez offrir d'être le secrétaire ou un des secrétaires du bureau qui a été constitué à Paris. Il faut organiser une croisade en faveur des ouvriers. Le P. Halluin, arrivé hier soir, nous apporte d'intéressants détails, mais pas cette généralisation de l'action que vous devez apporter, une croisade en faveur des ouvriers par toute la France. Donnez le mouvement, nous le suivrons. Vous êtes entré dans la bonne voie, il faut vous y maintenir. Vous aurez de l'argent par les dames, vous aurez de l'action par les hommes. Courage, et convertissez Paris et le monde.
8
Échange de lettres entre Mère M. Eugénie et le P. d'Alzon à propos d'une association d'aumônes et de prières à créer en faveur des œuvres ouvrières (décembre 1871)
a) De Mère Marie-Eugénie au P. d'Alzon, Auteuil, le 1er décembre 1871. - Orig.ms. ACRA, lettre n° 3306.
Les Pères de Paris se sont entretenus avec Mère Marie-Eugénie du désir exprimé par le fondateur de les voir travailler à la conversion de la classe ouvrière. Mère M. Eugénie, entrant entièrement dans ces vues, les pousse à jeter les bases d'une association d'aumônes et de prières pour les œuvres ouvrières. Elle en fait part au P. d'Alzon.
J'ai poussé les Pères à jeter les bases d'une Association d'aumônes et de prières pour les œuvres ouvrières. Il y a des devoirs pour tout le monde dans cet Apostolat, j'espère qu'ils vous en reparleront et que vous trouverez la chose bonne.
b) Du P. d'Alzon à Mère M. Eugénie, Le Vigan, le 4 décembre 1871. -Orig.ms. ACR, AD 1603; T.D. 24, p. 154.
Le P. d'Alzon approuve chaleureusement l'idée de Mère M. Eugénie et déjà il est prêt à payer de sa personne. Dès le 24 janvier 1872, l'œuvre préconisée sera établie sous le nom d'Association de Notre-Dame de Salut.
Votre idée d'association est parfaite. Voulez-vous que j'aille, la 4e semaine de carême, prêcher une retraite rue François 1er ? J'en jetterai les fondements ou j'en développerai le noyau.
9
Lettre du P. d'Alzon à Mgr de Ségur, Nîmes, le 14 décembre 1872. -Orig.ms. ACR, AP 30; T.D. 40, p. 155.
Après le Congrès de Poitiers, le P. d'Alzon décrit à Mgr de Ségur les cercles catholiques existant dans le diocèse de Nîmes. A la suite d'une série de conférences données à Saint-Charles de Nîmes en décembre 1868(110) et dans lesquelles il avait fait appel à l'union et à l'action pour la défense des droits de Dieu, le P. d'Alzon avait provoqué l'éclosion de cercles et de comités divers de défense et de propagande catholiques, comme nous l'apprend une note de la même époque(111). Ce sont ces cercles qui fournirent dans les années suivantes l'infrastructure capable d'accueillir les objectifs des "Comités catholiques", de l' "Union des œuvres catholiques ouvrières" et des autres associations.
Mon cher Seigneur,
L'évêque de Nîmes a été heureux de recevoir les communications du Congrès de Poitiers, mais à Nîmes il n'y a pas grand-chose à faire. Nous avons 17 cercles, dont un seul compte 1100 membres, (le président me le disait hier), deux patronages, une œuvre de jeunesse; Alès 2 cercles, dont un, le moindre, de 100 membres; Bagnols a 700 hommes inscrits, Saint-Gilles 300, le Vigan 250. C'est l'affaire des curés. A la retraite, je leur ai parlé des cercles, des discours de M. de Mun, je les leur ai distribués. Mais il faut prendre les gens comme ils sont; ils n'éprouvent le besoin de s'unir en se centralisant que pour faire de la politique. C'est, je crois, un grand danger.
Des cercles nouveaux se forment tous les jours, surtout l'hiver; l'été, ils baissent, on va se promener. Mais pendant le carême, ils aident les hommes à se confesser en masse.
Veuillez agréer, cher Seigneur, mes plus tendres et respectueux hommages.
E. d'Alzon.
Si M. de Mun voulait venir au printemps parler aux ouvriers, je lui promets plusieurs milliers d'auditeurs.
10
Note du P. d'Alzon intitulée "Corporation des ouvriers tisseurs de Nîmes sous le patronage de N.-D. de l'Assomption" (vers mai 1874). -Orig.ms. ACR, CR 31; T.D. 43, p. 343.
Il s'agit d'un projet de statuts pour la corporation d'ouvriers tisseurs que le P. d'Alzon forme à Nîmes. On remarquera que si le but poursuivi par l'association est avant tout religieux, la préoccupation de défendre les intérêts matériels des ouvriers n'est pas absente. C'est ce qui ressort également de la lettre adressée au P. V. de P. Bailly le 12 mai 1874 (ce qui nous permet du même coup de situer cette note non datée) : "Je forme, écrit-il, l'association des tisseurs. Quelques exemplaires de la brochure de Léon Gautier sur les associations me seraient très utiles. [...] Ici les ouvriers sont mécontents. On a supprimé le huitième de leur salaire, et encore, tous ne travaillent pas. Il faut les soutenir." (ACR, AH 19; T.D. 28, p. 10).
BUT
Art. 1. Une association d'ouvriers tisseurs à Nîmes est fondée sous le patronage de N.-D. de l'Assomption dans le but de travailler : 1° à leur sanctification personnelle par la pratique de la loi de Dieu ; 2° à la défense de l'Eglise catholique ; 3° au maintien des principes chrétiens en France ; 4° à la défense de leurs intérêts.
Art. 2. La politique est formellement exclue de l'association.
Art. 3. Pour faire partie de l'association, il faut être catholique et de bonne réputation.
Art. 4. Chaque associé récitera tous les jours cette invocation : 0 Marie, Mère de l'Eglise et Reine de la France, priez pour nous.
Art. 5. Les associés formeront un fond commun pour préparer : a) des secours mutuels en cas de maladie; b) des pensions à leurs veuves; c) des avances (?) pour élever les enfants de leurs confrères demeurés orphelins. Les diverses allocations aux malades, veuves ou orphelins seront réglées selon les sommes en caisse, provenant de souscriptions ou de dons faits à l'œuvre.
11
Extraits d'articles du P. d'Alzon dans la "Revue de l'Enseignement chrétien" (1871)
a) De l'article liminaire donné par le P. d'Alzon, Nîmes, le 25 mars 1871. - tome 1, p. 5-8 (mai 1871); T.D. 6, p. 81-85.
Nous nous bornons ici à donner la conclusion de l'article où le P. d'Alzon résume les objectifs de la nouvelle série de la Revue de l'Enseignement chrétien.
En commençant, notre Revue ne paraîtra que tous les mois. S'il était nécessaire, nous multiplierions les numéros; aucun sacrifice à cet égard de nous coûterait. Le temps seul nous apprendra ce qu'il y a de mieux à faire.
Combattre l'Université, la renverser, si faire se peut, par les moyens que fournit la loi ;
Aider à la fondation des universités catholiques;
Offrir un centre d'actions et de correspondances, soit privées, soit publiques, à ceux qui veulent s'occuper de cette immense question;
Prendre pour point de départ l'enseignement de l'Eglise; pour appui, la direction de Rome et de NN. SS. les évêques qui voudront bien nous bénir;
Quant au choix des moyens, exciter toutes les propositions utiles à se produire, et, au sujet de ces propositions diverses provoquer des correspondances, des objections, de pacifiques controverses :
Telle est la pensée qui a inspiré la réapparition de la Revue de l'Enseignement chrétien.
b) D'un article intitulé "De la Réforme de l'Enseignement". - tome 1, p. 56-64 (mai 1871) et p. 115-121 (juin 1871); T.D. 6, p. 86-105.
Le P. d'Alzon se réfère à la proclamation de l'infaillibilité pontificale pour réclamer pour l'Eglise la liberté d'enseigner. Or l'obstacle à cette liberté, c'est l'Université. L’État qui n'a aucun principe d'éducation parce qu'il n'a aucun principe religieux, n'a le droit ni d'avoir des facultés de théologie ni de dispenser un enseignement religieux quelconque.
Le P. d'Alzon s'en prend alors à la présence d'aumôniers dans les lycées : simple paravent, destiné à couvrir tout le travail de sape de la religion qui s'y accomplit en dehors d'eux ! Il préconise ensuite la suppression du baccalauréat, dont il stigmatise le pernicieux effet au point de vue religieux. Seules la liberté des programmes et des méthodes et l'équivalence des certificats, pour l'obtention desquels, dans les maisons chrétiennes, l'instruction religieuse figurera au premier plan des épreuves à subir, peuvent donner satisfaction aux catholiques.
Nous citons ici un passage (p. 63; T.D., p. 95) où le P. d'Alzon entend prouver l'incompétence radicale de l’État à dispenser un enseignement religieux.
Mais le principe posé de l'incompétence absolue de l'Etat, en matière théologique, ne nous amène pas seulement à nier son droit d'avoir des facultés de théologie. Quel droit a-t-il à donner un enseignement religieux quelconque, lui qui n'a pas, qui ne peut pas, d'après 89, avoir de principes religieux ? Ici nous nous trouvons en face d'un dilemme terrible : ou l’État ne peut pas, s'il est logique, faire enseigner de religion; ou, s'il enseigne les éléments de la foi, il tombe dans les plus grandes inconséquences.
Mais, pour l'immense majorité française, se dresse un autre dilemme bien autrement terrible : les expériences des derniers temps prouvent ou que la France doit revenir à avoir une foi religieuse ou qu'elle est condamnée à périr.
D'une part, la France plus longtemps privée de l'élément religieux meurt fatalement de nihilisme. De l'autre, l'Etat est radicalement incapable d'enseigner autre chose que le néant, sous peine de sortir de ses principes. Donc, il faut que, dans l'enseignement, la foi soit prêchée par d'autres que par les agents de l’État.
Et ceci est rigoureusement vrai à tous les degrés de l'enseignement.
12
Extraits du discours du P. d'Alzon pour la distribution des prix, Nîmes, le 29 juillet 1871. - Revue de l'Enseignement chrétien, tome 1, p. 201-213 (août 1871); T.D. 1-5, p. 268-284.
Le P. d'Alzon expose la manière dont, selon lui, pourraient se former les Universités catholiques. La théologie doit être à la base de l'enseignement universitaire catholique.
Examinons rapidement la manière dont pourraient se former ces universités.
Une université catholique doit avoir une base catholique; on commencera par une faculté de théologie, et dès lors l'intervention de Nos Seigneurs les évêques, celle du Souverain Pontife lui-même, deviennent indispensables. Mais un refus de concours n'est pas à redouter, puisque c'est, au contraire, de là que viendra nécessairement l'initiative ; je n'insiste pas là-dessus.
L'université est une république chrétienne dont les sciences diverses forment les provinces, mais qui reconnaît la théologie pour souveraine. Le rationalisme a pu fomenter des révolutions dans cet empire; mais le droit est immuable, et l'université ne saurait être restaurée que par la soumission de toutes les sciences à la science de Dieu connu par la révélation. La philosophie, les sciences morales et politiques, les sciences mathématiques et les sciences naturelles, les belles-lettres et les beaux-arts, toutes les régions sur lesquelles s'étend la pensée humaine, sous toutes ses formes, reconnaissent un centre d'où leur vient la lumière et auquel elles doivent apporter leur tribut.
Si la religion fournit à l'histoire ses données principales, son unité et sa vie, à son tour l'histoire offre à la théologie, dans les archives du passé, la vérification des titres et les témoignages sur lesquels elle repose. [...]
La théologie sera donc posée comme base de notre université; et, dès lors, à son appel, toutes les sciences viendront se grouper autour d'elle et lui demander une vie nouvelle et de nouvelles illuminations, comme elle recevra de chacune d'elles un concours utile et de précieuses données. [...]
Peut-être, Messieurs, quelques-uns d'entre vous ont-ils trouvé, dans la première partie de ce discours, un accent de polémique, que ne comporte pas ordinairement une distribution de prix.
Veuillez me le pardonner, mais laissez-moi vous dire que les temps ne sont pas ordinaires non plus; les dangers s'accumulent; ce que nous avons subi de tristesses et de malheurs nous impose l'impérieux devoir d'en chercher la cause et surtout d'en signaler les remèdes. Il fallait bien mettre le doigt sur la plaie, avant d'indiquer, comme j'ai essayé de le faire, un des plus efficaces moyens de la guérir. Quand une douloureuse opération est indispensable, faut-il s'arrêter aux cris du malade, l'important n'est-il pas de lui conserver la vie et de le rendre à la santé ?
13
Extraits de la lettre du P. d'Alzon à Charles Bigot, 6 août 1871.-Revue de l'Enseignement chrétien, tome 1, p. 268-275 ( septembre 1871 ) ; T.D. 6, p. 108-117.
Après avoir entendu le discours de distribution des prix du P. d'Alzon, Charles Bigot avait confié ses critiques au journal Le Gard républicain. Certes, écrivait-il, les catholiques ont le droit de fonder des universités libres et le monopole de l'Université est contraire aux principes de 1789. Mais si le P. d'Alzon s'attaque à l'Université, c'est parce qu'il ne la connaît pas. Nous ne sommes pas contre la religion, nous sommes en dehors d'elle. La religion ayant pour objet des problèmes insolubles, comme celui de l'existence de Dieu ou de la création, ne peut s'enseigner. Maîtres et élèves sont libres d'imaginer la solution qui convient le mieux à leur conscience. Sans l'esprit de domination des catholiques, le privilège universitaire n'aurait plus de raison d'être. C'est pour se défendre que la société moderne maintient l'Université. Réconciliez-vous avec elle et l'Université se retirera(112) !
Le P. d'Alzon répond d'abord à l'accusation de manque de logique que lui avait adressée M. Bigot puis il délimite le champ propre de la science et celui du principe d'autorité, préconisant leur union qui ouvrira "des horizons que la science humaine seule ne découvrira jamais". Vouloir séparer la science et la religion ne peut aboutir qu'à faire des athées. C'est là un fait contre lequel "nous protestons de toute la force de notre foi et de notre conscience". Le P. d'Alzon répond ensuite au reproche qui lui a été fait de ne pas connaître l'Université et termine en soulignant que l'Eglise ne repousse pas la société moderne et qu'elle ne s'oppose à aucune forme de gouvernement pour autant qu'elle ne soit pas infestée par le venin révolutionnaire. C'est cette conclusion que nous citons ici.
Je repousserai un reproche que vous faites aux catholiques.
Vous êtes, leur dites-vous, les ennemis déclarés de la société avec laquelle vous vivez, de ses lois politiques, de ses institutions.
Permettez-moi de nier carrément votre affirmation. Nous sommes les ennemis de la Révolution, dans ce qu'elle a d'antireligieux et d'antisocial; mais quelle forme de gouvernement repousse donc l'Eglise ? Son caractère spécial n'est-il pas de se ployer à toute forme de société ? Elle est républicaine en Suisse, constitutionnelle en Belgique et en Angleterre, démocrate aux États-Unis. [...]
L'Eglise n'est l'ennemie que de ce qu'il y a de funeste dans certaines erreurs qui, pour être récentes, ne constituent pas pour cela la société moderne. Voulez-vous que l'Eglise approuve ceux qui disent : Dépouillons le clergé, puis nous traiterons avec lui ? Si c'est là le raisonnement de certaines sociétés modernes, vous conviendrez que le beau rôle n'est pas précisément celui des voleurs.
Et pourtant, si vous y faites attention, l'Eglise a toujours fini par accepter ces sociétés spoliatrices, et c'est sur quoi elles ont malhonnêtement compté. Quand il s'est agi des biens temporels, elle a toujours fait bon marché de ses droits; quand il s'est agi de sa doctrine, elle a toujours été inflexible. Convenez que c'est noble. Cette conduite a-t-elle été celle de l'Université ?
Mais quoi ! L'Eglise n'est pas républicaine ! Elle l'est en Suisse, en Amérique; elle n'est pas contre, elle n'est pas en dehors des formes de gouvernements, elle est au-dessus. - Là où ils sont établis selon la justice et le droit, elle les protège; là où ils se succèdent un peu rapidement, comme chez nous, elle ne s'inféode à aucun : elle attend.
La lutte, on ne saurait trop le répéter, n'est pas entre l'Eglise et telle institution, telle forme de gouvernement; elle est entre l'Eglise et la Révolution; et, si vous allez au fond des choses, elle est entre Dieu et l'homme, qui veut se faire Dieu, [...]
Je me résume : laissant la politique moderne, la société moderne, les institutions modernes, que l'Eglise acceptera tant qu'elles ne se poseront pas elles-mêmes en ennemies, je dis que je poursuivrai de toutes mes forces l'Université, parce qu'elle est, pour le moment du moins, un des organes les plus funestes de la Révolution, et qu'entre la Révolution et l'Eglise, il ne saurait jamais exister même l'apparence de la paix.
14
Extraits de la lettre ouverte du P. d'Alzon au vicomte de Bonald. - Revue de l'Enseignement chrétien, tome 2, p. 129-137 (janvier 1872); T.D. 6, p. 118-129.
Le P. d'Alzon qui se rend mieux compte à présent de ce que l'on peut raisonnablement attendre de l'Assemblée nationale, limite ses revendications et formule en 4 points le minimum qu'on est en droit d'exiger de la loi.
Vous désirez savoir ma pensée sur les conditions d'une bonne loi en matière d'enseignement.
Vous connaissez ma conviction profonde, confirmée chaque jour par les événements. Des gens mal élevés ne feront que des sottises pendant leur triste vie. C'est juste ce qui se voit pour la majorité des produits de l'officine universitaire; donc, si c'était possible, il faudrait appliquer radicalement mon Delenda Carthago; mais il paraît que c'est impossible. Voyons donc ce qu'on peut demander, faute de mieux. Je propose :
1° La suppression du baccalauréat;
2° La liberté de l'enseignement supérieur;
3° La fermeture des internats universitaires;
4° La faculté laissée aux parents qui ont des bourses pour leurs enfants, de les employer dans les établissements de leur choix. [...]
Ce que je demande n'est pas toute la perfection; mais si nous obtenions les quatre points que je vous ai indiqués, nous aurions fait un pas considérable. Ce que je propose est tellement conforme aux idées actuelles que, pour me combattre, il faudrait tomber dans l'inconséquence. Je suis loin d'approuver les opinions sur lesquelles je m'appuie; mais ceux qui les partagent ne peuvent aller contre mes réclamations qu'en violant toutes les règles de la logique. Il n'est pas dit qu'ils ne le feront pas; mais du moins aurons-nous montré que, pour nous combattre, il faut se moquer autant de la logique que du plus élémentaire bon sens.
15
Conclusion du rapport du P. d'Alzon à l'Assemblée générale des délégués des Comités catholiques, tenue à Paris en avril 1872. -Revue de l'Enseignement chrétien, tome 3, p. 35-36 (mai 1872); T.D. 6, p. 141-142.
Sans doute le P. d'Alzon n'a-t-il pas perdu tout espoir de voir disparaître l'Université. Pour le moment cependant "nous laisserons à l’État ses facultés officielles" mais nous réclamerons pour nous la plus grande liberté. Il passe alors en revue divers problèmes concernant l'organisation des universités catholiques et conclut en résumant en huit points ce qu'il convient de réclamer du pouvoir :
Nous demandons :
1° La suppression absolue du monopole de l’État pour l'enseignement supérieur, avec les conséquences de cette suppression pour l'enseignement secondaire;
2° La mise à l'étude de la question des examens professionnels à l'entrée des diverses carrières;
3° Le droit de fonder des Universités libres possédant les mêmes privilèges que l'Université de l’État.
4° Nous nous réservons d'examiner plus tard si les professeurs de l'enseignement officiel doivent être payés par tous, lorsqu'un si grand nombre de citoyens repoussent, comme contraires à leur foi, certaines opinions publiquement enseignées par ces mêmes professeurs.
5° Nous demandons que les chefs d'institutions libres puissent s'entendre avec les professeurs des Facultés libres aussi, sur les programmes des examens à faire subir aux élèves aspirant au baccalauréat ès-lettres ou ès-sciences.
6° Quant aux Facultés de médecine et de droit, des règlements particuliers seront proposés ultérieurement.
7° Nous applaudissons à l'idée d'essais de Facultés, au moyen de l'institution de cours libres où s'exerceront les futurs professeurs des Facultés.
8° Dans la surveillance d'ordre public exercée sur les Universités libres à établir, nous repoussons toute ingérence de la part des membres du corps universitaire. [...]
La loi de 1850 sur l'enseignement, malgré ses mutilations, a fait du bien, nous disait-on hier. Quel bien ne produira pas une loi, qui, en donnant une liberté plus étendue, nous permettra de conserver, jusques au bout, notre action sur les enfants devenus jeunes hommes, et de maintenir en eux, au moment de la crise décisive de l'intelligence et du cœur, la solidité des principes chrétiens et un amour de plus en plus ardent pour l'Eglise de Jésus-Christ !
16
Extraits du . discours du P. d'Alzon pour la distribution des prix à Nîmes, le 30 juillet 1872. - Revue de l'Enseignement chrétien, tome 3, p. 293-299 (août 1872); D'A, T.D. 1-5, p. 285-310.
En raison de la guerre déchaînée contre l'Eglise, il faut former les élèves au combat, tout en assurant un harmonieux développement de toutes leurs facultés. Il importe que les élèves engagés dans la lutte après le collège restent en rapport entre eux et avec leurs maîtres et que, dans ce but, on organise des congrès d'anciens élèves.
Nous entrons dans une phase nouvelle de la société, de nouveaux devoirs sont créés par la situation si anormale des choses. Il ne s'agit pas seulement de continuer un voyage facile à travers une mer apaisée, sous l'impulsion de vents favorables. La plus violente tempête est déchaînée; il faut que tous se mettent à la manœuvre peur éviter un naufrage que nos ennemis croient assuré. Oui, nous avons tous à faire et beaucoup à faire.
Je ne crains pas de le déclarer, il faut imprimer avant tout, à l'éducation, quelque chose de militant, et même de militaire.
En présence de cette barbarie où la révolution pousse ses esclaves, nos élèves doivent être prêts à soutenir la lutte. [...]; mais, à côté de l'esprit militaire, les maîtres doivent donner l'esprit militant, j'entends par là l'amour d'une cause à défendre, et ici je ne veux parler que de la cause de l'Eglise et de Dieu.
Autour de cette pensée générale se groupent les pensées secondaires qui s'y rapportent : la formation de l'intelligence par les études qui préparent à ce magnifique but; la formation de la volonté par la pureté et la communication d'une énergie toujours franche et loyale, en présence d'entraînements où la corruption du cœur se dissimule trop souvent à l'aide des sophismes de l'esprit, et où le raisonnement se fausse, parce que la conscience veut, à l'aide du mensonge, justifier ses écarts; puis, l'ensemble des œuvres dont un jeune homme, dont un enfant même ont la capacité bien plus tôt qu'on ne le pense, enfin, toutes ces conversations générales ou intimes, où l'homme se prépare et se dessine souvent pour toute sa vie, bien plus tôt qu'on ne l'eût soupçonné.
A cette préparation du collège, il faut que nous, maîtres chrétiens, nous sachions joindre la continuation de ces rapports si précieux pour soutenir les jeunes gens sortis de nos mains. Je signale ce moyen comme un devoir impérieux, et je fais un appel pressant à tous les hommes qui s'occupent de la jeunesse catholique de France; je vois, en effet, dans la continuation mieux entendue et plus suivie de ces rapports, l'un des plus puissants leviers qui soient à notre disposition pour relever et sauver notre société[...]
Un Congrès des maîtres chrétiens va s'assembler sous peu; et ces maîtres provoqueront probablement des Congrès de leurs anciens élèves. Déjà, par des réunions ou des banquets annuels, on se voit, on se rapproche, on se groupe; on essaiera quelque chose de plus : des travaux suivis, une action commune; l'organisation, je n'en doute pas, se fera vite, puisque les dangers menacent de plus près. J'affirme, d'ailleurs, qu'elle est dans le désir de toute la jeunesse française à laquelle je m'adresse. Mais aussi, quelles armes merveilleuses ne fournira pas cette vaste alliance des anciens élèves de nos maisons chrétiennes, et de ces anciens élèves avec leurs maîtres; quelle puissance ne trouvera-t-on pas dans cette pensée bien comprise et développée par ce qu'il y a de plus actif dans la France catholique.
17
Avis du P. d'Alzon aux lecteurs de la "Revue de l'Enseignement chrétien", Nîmes, le 26 avril 1876. - Revue de l'Enseignement chrétien, tome 11, p. 5 (mai 1876); T.D. 6, p. 293.
Après le vote de la loi sur l'enseignement supérieur qui n'accordait qu'en partie la liberté demandée, le P. d'Alzon estime que la tâche de la Revue n'est pas terminée. En effet les ennemis de l'Eglise n'ont pas désarmé et il importe de percer à jour leurs menées hypocrites. Encouragé par la bénédiction de Pie IX, il fait encore appel au dévouement de ses amis.
Lorsque la loi sur l'Enseignement supérieur fut votée, nous nous demandâmes si notre œuvre n'était pas terminée, puisque nous avions obtenu, du moins en partie, la liberté que nous réclamions depuis si longtemps.
Aujourd'hui les choses sont bien changées : la liberté de l'Eglise est attaquée; l'Enseignement supérieur est menacé d'une hypocrite tyrannie. Il importe d'arracher le masque sous lequel on prépare notre esclavage. Nous demandons de nos amis un concours plus actif. Nous sommes sans mission officielle, nous ne voulons compromettre personne; mais nous avons de précieux encouragements, les plus précieux que des catholiques puissent souhaiter. Les bénédictions de Pie IX portent toujours bonheur. Celles que nous avons reçues seront pour nous un énergique aiguillon. Elles sont déjà une récompense.
Nous espérons bien en mériter d'autres de cette sorte.
18
Extraits de lettres du P. d'Alzon aux Pères Picard et Vincent de Paul Bailly à propos du "Pèlerin" (1878-1879)
Relever le culte divin, restaurer les mœurs chrétiennes, rendre les catholiques plus conscients de leurs devoirs vis-à-vis de Dieu et de leurs semblables en rendant vigueur à leurs tempéraments anémiés, faire des lecteurs de la revue - et surtout des prêtres - des saints et des apôtres, lutter par tous les moyens contre la Franc-Maçonnerie matérialiste, en un mot faire régner Notre-Seigneur Jésus-Christ, voilà ce que, dans la pensée du P. d'Alzon, devait être le programme du Pèlerin.
Sur ce point le P. Bailly était sans aucun doute d'accord avec lui et le P. d'Alzon reconnaît l'amour du surnaturel qui anime l'hebdomadaire et les services qu'il rend dans la lutte contre les adversaires de l'Eglise. Là où leurs points de vue différaient, c'était sur la question de la méthode.
D'après le P. d'Alzon, le but du journal n'était pas suffisamment perceptible, un plan d'ensemble lui faisait défaut, on n'y servait "qu'à dose homéopathique" les idées chrétiennes. De plus, s'il appréciait la verve du Pèlerin, il trouvait qu'il exagérait parfois quelque peu. Il s'interrogeait aussi sur ses résultats. Quel bien faisait-il donc, sinon un "bien négatif", en ce sens qu'il détournait de la lecture de mauvais illustrés ?
En fait, c'étaient deux conceptions de la presse qui s'opposaient ici. Le P. Bailly avait compris les exigences d'un journalisme moderne visant la grande masse. Le P. d'Alzon craignait que le genre trop populaire à son gré, du Pèlerin n'écartât de lui la partie la plus cultivée, et donc la plus influente, du public. C'est cette préoccupation qui transparaît encore dans le dernier extrait cité ci-dessous : tout en portant finalement un jugement d'ensemble positif sur le journal, il regrette "qu'il faille servir cette dose si minime d'intelligence aux chrétiens". Avec la fondation de La Croix mensuelle, en projet à ce moment, et dont le premier numéro paraîtra en avril 1880, ce regret n'aurait plus de raison d'être. Aux lecteurs auxquels elle était destinée, on pourrait servir dans un style plus sérieux, des nourritures plus consistantes.
Nous ne verserons pas au dossier de ce débat les réponses faites par les PP. Bailly et Picard aux reproches du P. d'Alzon. Ce qui importait ici, c'était de montrer la préoccupation de ce dernier d'œuvrer le plus efficacement possible, par la presse, comme par les autres moyens, à l'avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
a) De la lettre au P. Picard, Rome, le 26 mars 1878. - Orig.ms. ACR, AF 255; T.D. 26, p. 211.
Au fond, en dehors du mouvement des pèlerinages, quelle est l'action du Pèlerin ? Le P. Vincent de Paul la voit dans l'intérêt qu'il offre. Mais le but, le résultat pratique, où le voyez-vous ? Notez que je le lis avec joie, mais qu'en reste-t-il ? Pour la verve, il en a à revendre. Quelle action exerce-t-il ? Quelles idées fait-il germer ? A quel besoin répond-il ? Sinon de remplacer de mauvaises revues illustrées. Mais ceci est un résultat négatif. Pensez-vous que ses lecteurs soient devenus plus pieux, plus zélés pour les bonnes œuvres, plus généreux pour les grands devoirs des catholiques de ce temps-ci ? Ou faut-il dire que les lecteurs ne sont capables de recevoir les idées chrétiennes qu'à dose homéopathique ? Ou bien encore, Dieu permet-il que l'on ne soit pas capable de porter le poids d'obligations trop austères ? Remarquez encore une fois que l'esprit, le talent de pensée dans le Pèlerin fortifie mon observation. L'esprit et le talent y sont incontestables. Quel en est le résultat ? Pour moi, je ne sais trop que vous dire; car si je fais des observations, notez bien que je ne les fais pas dans un esprit de blâme, mais avec l'immense désir que le résultat soit plus fécond pour le règne de N.-S. et le salut des âmes.
b) De la lettre au P. Bailly, Rome, le 26 mars 1878. - Orig.ms. ACR, AH 159; T.D. 28, p. 119-120.
Le Pèlerin perdrait-il ses abonnés, aurait-il un moins grand succès, s'il avait un but un peu plus dessiné ? C'est un excellent, pieux, amusant, intéressant journal. Quel but bien caractérisé se propose-t-il ? Il me semble qu'il est fuyant, voltigeant, sautillant comme un colibri dans une touffe de fleurs, mais quand on l'a lu, que reste-t-il sinon cette impression : Ah ! que c'est spirituel ! puis quelques impressions de piété ondulante, et puis voilà. [...]
Les circonstances sont trop graves, pour qu'il ne soit pas très nécessaire de faire sentir aux lecteurs d'un bon journal la nécessité du sérieux dans la vie chrétienne. Vous le dites bien quelquefois, mais peu. Peut-être, après tout, que le sermon perpétuel est assommant.[...] Enfin je vous livre ces observations et je conclus en disant : le Pèlerin est très distrayant, plaisant, intéressant, on cherche son but pratique. Sauf celui de distraire de la lecture d'un mauvais journal, on ne le voit pas bien. [...] Aujourd'hui, au contraire, il me paraîtrait si nécessaire de donner de la vigueur aux tempéraments chrétiens, qui sont tous anémiques; nous n'avons plus de sang dans les veines.
Pourtant il faut que je fasse une réparation. Je viens de lire le numéro du 23 mars, il y a du bon, du très bon, et je serais injuste si je ne disais pas : Continuez en améliorant. [...]
Le 27, au matin
J'en reviens à mes moutons, et plus j'y réfléchis, plus je crois devoir vous conjurer de préciser un peu plus, à moins que vous n'ayez l'intention très positive de dissimuler vos batteries; en quoi vous avez peut-être raison. En tout cas, si c'est votre but, il est parfaitement atteint.
c) De la lettre au P. Picard, Nîmes, le 30 avril 1878.- Orig.ms. ACR, AF 266; T.D. 26, p. 224.
Mais je crois qu'il importe de mettre un terme à l'épouvantable situation que l'on fait à l'Eglise par la perte des mœurs chrétiennes. Il faut lutter par tous les moyens contre la franc-maçonnerie matérialiste et se mettre de toute façon à faire régner Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sous ce rapport, malgré les reproches de détail faits au Pèlerin, il faut bien dire qu'il rend d'immenses services, et, comme il me fait l'effet de profiter des critiques dont il est l'objet, bientôt il ne sera plus blâmé que par les gens qui n'ont pas le sens commun.
d) De la lettre au P. Bailly, Nîmes, le 31 août 1878.- Orig.ms. ACR, AH 179; T.D. 28, p. 135-136.
Votre lettre renferme certains points, sur lesquels il importe de revenir. J'ai assuré qu'il y avait une recrudescence d'irritation contre le Pèlerin. [...] Je maintiens mon affirmation générale. [...] J'ajoute encore que le Pèlerin est très amusant. Je crains, comme le disait un ancien recteur de Montpellier à un jeune professeur qui excellait dans le genre, que Zozo ne le soit plus encore.
e) De la lettre au P. Picard, Nîmes, le 22 septembre 1878.-Orig.ms. ACR, AF 292; T.D. 26, p. 247-248.
Le Pèlerin doit se surveiller. Je crois que le P. Bailly surexcité, peut le mener quelque temps; après quoi personne, que je sache, ne sera capable de le continuer. Alors on le transformera avec plus ou moins de succès. Je tremble que la chute n'en soit forte, très forte à casser des bras et des jambes. Je vous dis ma crainte. Quand il aura passé, il aura fait un certain bien, le bien de plusieurs petits journaux. J'eusse voulu un niveau un peu plus élevé, mais les caricatures à côté d'un prône, cela finit par jurer ensemble. Faire des annotations me semble inutile. Ce n'est pas tel ou tel point à modifier, c'est la tenue de l'ensemble qu'il faut transformer. Si on pouvait la relever, ce serait parfait, ce me semble. Où sont les catholiques croyants et plaisantins ? On ne voit pas les hommes de foi parlant avec l'intime du cœur. Cela peut reposer, cela n'entraîne pas. Mais hélas ! qui de nos jours est capable d'entraîner ? C'est la grande épreuve de l'Eglise de n'avoir plus d'hommes entraînants.
f) De la lettre au P. Bailly, Nîmes, le 1er janvier 1879. - Orig.ms. ACR, AH 189; T.D. 28, p. 144.
Que vous dire, sinon bonne année à vous et au Pèlerin ? Je souhaite à ce cher Pèlerin le même esprit, le même amour du surnaturel, le même sel gaulois, un peu plus de sérieux. N'allez pas seulement à bâtons rompus sur d'excellents sujets, ayez un plan d'avenir. Maintenant que vous avez le succès, consolidez-vous et suivez une marche vers un but; tenez en main les fils de votre trame et dirigez l'ensemble avec... ensemble.
g) De la lettre au P. Bailly, Nîmes, le 6 janvier 1879. - Orig.ms. ACR, AH 192; T.D. 28, p. 145-146.
Entendons-nous bien. Je trouve que le Pèlerin fait le métier de gagne-petit. Toutefois, par son esprit il empêche beaucoup de mal, ce qui est un bien ; mais il me semble faire un bien négatif; que fait-il comme bien positif ? Pas très grand-chose, ce me semble.
Peut-il et doit-il aborder la politique ? Ni l'un ni l'autre. Que faire ? Du socialisme chrétien ? Relever le culte de Dieu, l'observation du dimanche, le respect dans la famille, l'initiative dans les bonnes œuvres. Voilà un programme possible. Si vous y ajoutez la chasteté et la justice, vous aurez fait merveille. Quand les hommes adoreront Dieu, observeront le dimanche, seront obéissants, ne voleront pas, seront chastes, feront de bonnes œuvres en masse et se battront pour l'Eglise, ils auront fait bien du chemin. Mais peut-être faut-il le dire plus carrément que ne le dit le Pèlerin ?
Après cela je me trompe peut-être. Mais les gens qui ne se doutent pas de ce qu'on leur dit sont exposés à rire des plaisanteries d'un homme de beaucoup d'esprit, mais à ne pas deviner son but. Peut-être je me trompe.
h) De la lettre au P. Picard, Nîmes, octave de l’Épiphanie 1879. -Orig.ms. ACR, AF 331; T.D. 26, p. 281.
Puisque le Pèlerin réussit, mille fois tant mieux ! mais alors qu'on s'en serve pour dire ce qu'on veut. [...] Je serais curieux de connaître le nombre de prêtres abonnés au Pèlerin.
Notre mission pour le moment doit être de former des religieux, de prier et de faire prier, de pousser beaucoup au surnaturel comme vous le dites. [...] Si par le Pèlerin vous pouvez faire du bien aux prêtres, ce sera admirable, et tout ce que vous ferez dans ce sens aura sa décuple, sa centuple récompense. Ah ! si, sans qu'ils s'en doutent, on pouvait saisir beaucoup de prêtres, en faire des saints, des apôtres, il ne faudrait désespérer de rien ! Si j'écrivais quelque chose, ce serait de ce côté surtout que je voudrais insister.
Je me résume. Excitation à la prière, à la vie surnaturelle., à la sanctification de tous, mais en particulier à celle des prêtres. Quel beau champ de combat ! Après cela, je crois bien que Notre-Seigneur veut avoir l'air de se servir de nous, mais que c'est lui seul qui agira par les moyens qu'il sait.
i) De la lettre au P. Bailly, Nîmes, le 23 novembre 1879.- Orig.ms. ACR, AH 253; T.D. 28, p. 185-186.
Je vous préviens que, dans une lettre du P. Géry reçue aujourd'hui même, il m'attribue des jugements inexacts sur le Pèlerin. Le Pèlerin ne fait qu'effleurer les questions, il n'en approfondit aucune. Cela ne va pas au professeur d'atqui et d' ergo. Moi je le juge d'ensemble, il fait du bien; cela me suffit. Je m'attriste qu'il faille servir cette dose si minime d'intelligence aux chrétiens, mais cela prouve seulement qu'ils n'en peuvent pas porter plus, et que les dissertations Géryennes leur donneraient de très graves et désabonnantes indigestions.
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Extraits d'une lettre du P. d'Alzon au P. Picard, Nîmes, le 9 novembre 1879. - Orig.ms. ACR, AF 372; T.D. 26, p. 314-315.
Au moment où les jeunes religieux assomptionnistes commencent à rêver à une résurrection possible de la Revue de l'Enseignement chrétien, le P. d'Alzon est très préoccupé par la nécessité de trouver les moyens de s'emparer de la jeunesse et de la mobiliser au service de l'Eglise. Plusieurs de ses lettres au P. Picard en témoignent, notamment celle dont nous citons ici des extraits.
Voici mon raisonnement : 1° Il faut s'emparer de la jeunesse; 2° Mais la jeunesse veut des formes nouvelles. Dans nos pays on n'a plus que des vieux dans les Conférences de Saint-Vincent de Paul, dans les Comités catholiques.
Donc il faut des œuvres nouvelles. Donc il faut des associations de jeunesse catholique ou autres de cette espèce. Donc ce qu'il y a à faire, c'est de trouver le moyen de saisir les jeunes gens. C'est archi-clair, et c'est autour de cette donnée qu'il faut travailler. [...] Remarquez que j'ai parlé des associations de Jeunesse catholique, mais là n'est pas ma préoccupation. Elle est dans l'obligation de saisir les jeunes gens.
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Échange de lettres entre le P. V. de P. Bailly et le P. d'Alzon relatives à la fondation d'une nouvelle revue- (novembre 1879)
a) Du P. Bailly au P. d'Alzon, Paris, le 18 novembre 1879. - Orig.ms. ACR, GA 310.
Le P. Bailly a eu connaissance des lettres du P. d'Alzon au P. Picard sur la nécessité de s'emparer de la jeunesse. A lui aussi d'ailleurs le P. d'Alzon s'est ouvert de cette préoccupation. C'est ainsi que, le 17 novembre, il lui a écrit :"Ne peut-on pas se préoccuper un peu plus non seulement des œuvres de jeunesse populaire, mais des œuvres de jeunesse d'une classe plus élevée ?" (ACR, AH 252; T.D. 28, p. 184). Le P. Bailly lui répond aussitôt et présente la revue, dont l'idée est dans l'air, comme le cheval de bataille de cette action. C'est ce passage que nous reproduisons. La suite de la lettre examine les possibilités concrètes offertes par la congrégation en ce qui concerne la rédaction de la future revue, le type d'articles à insérer, les conditions matérielles, etc.
Il faut s'emparer de la jeunesse, il faut faire quelque chose qui lui permette de se grouper comme il est arrivé aux Bonnes Études. Comment ?
Voici mon ours. Faire une revue comme il n'y en a pas, le double de l'ancienne Revue, sur beau papier, l'illustrer sérieusement et magnifiquement et de cette revue, toute de combat et d'enseignement des points de vue de l'Eglise, faire :
1° Un point de ralliement.
2° Un moyen de transformation pour nos jeunes gens d'élite, ce que furent l'Université catholique, le premier Correspondant, la Tribune et d'autres feuilles que j'ai moins connues, pour les littérateurs de ce temps-là.
La Providence nous donne les moyens de commencer si vous approuvez ce plan.
b) Du P. d'Alzon au P. Bailly, Nîmes, le 23 novembre 1879. - Orig.ms. ACR, AH 253; T.D. 28, p. 185-186.
Le projet du P. Bailly ne pouvait que rencontrer l'approbation du P. d'Alzon. Cette revue, avait écrit le P. Bailly, sera "toute de combat et d'enseignement des points de vues de l'Eglise". Dans sa réponse, le P. d'Alzon entrevoit déjà quelques-uns des champs de bataille où se livreront les combats. Ajoutons que sa collaboration effective à la nouvelle revue démentira le pessimisme du paragraphe final de cette lettre.
Ma conviction est que vous pouvez commencer la Revue, si vous ne posez pas d'autres conditions que celles que renferme votre lettre.
Quel magnifique programme que celui-ci ! Organisation des catholiques, chassés de partout, pour faire leurs affaires en dehors de tout. Union morale de plus en plus intense avec le Saint-Siège. Union, non d'une œuvre mais de toutes les œuvres, pour sauver la France. La guerre offensive, comme dit Ernoul. La propagande au-dedans, mais aussi au-dehors. Toutes les questions d'affaires étrangères du point de vue de l'intérêt catholique. [...]
Quant à moi, je baisse beaucoup, énormément. J'approuve totis viribus la Revue sur le terrain que vous acceptez, mais pour y combattre je n'en suis guère plus capable. Et ne prenez pas mon silence pour autre chose quand je me tairai. Vous voyez bien que, d'après mon programme, j'ai dans la cervelle matière à quatre ou cinq volumes, à une condition : que je les écrirai.
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Note du P. d'Alzon à propos de "La Croix", 5 janvier 1880. - Copie ACR, BG 124; T.D. 26, p. 327-328.
Cette note, jointe à une lettre au P. Picard du 5 janvier 1880, fut lue le même jour lors d'une réunion du Comité de Nîmes (Procès-verbaux des réunions pour la revue "La Croix", p. 7 - Orig.ms. ACR, CD 13). Le P. d'Alzon y développe l'idée que la nouvelle revue doit être une revue de combat contre les sociétés secrètes et de résurrection par la formation de la jeunesse au service de l'Église(113).
Pour le P. d'Alzon, il ne s'agit pas seulement de se battre à coups d'articles mais, "en ressuscitant l'enthousiasme chrétien", de susciter la naissance d'une "armée de l'Eglise" disposée à s'affirmer fièrement et à défendre les positions catholiques dans toutes les circonstances de la vie publique. La Croix serait le drapeau de cette armée pour laquelle il propose déjà un chef : Numa Baragnon, sénateur et ancien élève du collège de l'Assomption à Nîmes.
Plan d'une Revue
La Revue que je propose serait une Revue de combat et de résurrection.
L'adversaire serait la révolution soutenue par l'armée des sociétés secrètes répandue par tout le monde. Il faudrait étudier les sociétés secrètes soit dans nos revues et journaux, soit dans leurs propres publications en indiquant la variété de leurs formes selon les temps et les pays avec l'unité de but : la destruction du règne de Jésus-Christ.
Elle grouperait la jeunesse chrétienne autour d'elle pour former l'armée de l'Eglise contre la maçonnerie sur le terrain des connaissances humaines et de la vie publique.
On y pousserait aux réunions d'études religieuses, philosophiques, de droit et de sciences.
On appuierait la littérature catholique.
On relèverait le goût des grands auteurs.
On commenterait les principes catholiques sur la société.
On s'efforcerait de ressusciter l'enthousiasme chrétien malheureusement trop éteint chez les jeunes intelligences en rappelant les grandes notions de dévouement par une vie saine, occupée, élevée. On s'appliquerait à semer des vocations sacerdotales au moment où elles diminuent et où le sel de la terre semble s'affadir en bien des pays.
Voilà le plan de Nîmes.
Paris pourrait dans le même sens s'occuper de l'organisation des budgets de charité, de la sanctification des familles, des événements politiques dans la mesure où il serait bon de les juger.
Ce qui n'empêcherait pas que Nîmes et Paris se fissent de mutuels emprunts pour les matières à traiter.
Pour me résumer. Il faut en dehors de l'action épiscopale dans la lutte extérieure contre la Révolution un chef, une armée, un drapeau.
1° Le chef sera Baragnon.
2° L'armée, la Jeunesse catholique nous viendra.
3° Le drapeau, la Revue - prenant pour titre La Croix.-
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Extrait de l'éditorial du P. d'Alzon intitulé "La Croix", dans le premier numéro de la revue "La Croix", avril 1880
Le programme de La Croix qu'expose le P. d'Alzon est en fait celui que le P. Picard assignait en 1871 à la "Ligue pour la défense de l'Eglise catholique" dans un article-programme publié dans la Revue de l'Enseignement chrétien et qui reflétait les idées du P. d'Alzon avec lequel il l'avait élaboré (v. supra 2).
On peut le résumer comme suit : "défendre l'Eglise catholique sur tous les points où elle est attaquée". Bien que le cri 'Delenda Carthago' ne soit plus dirigé seulement, comme en 1871, contre l'Université mais contre toutes les entreprises de la Révolution, près du tiers de l'article du P. d'Alzon est consacré à la liberté de l'enseignement. Notons la place importante donnée à la défense de la famille chrétienne et à celle des congrégations religieuses menacées à ce moment par la politique anticléricale du gouvernement.
La raison d'être de la Revue de l'enseignement chrétien a toujours été la lutte. Deux fois les directeurs ont déposé la plume, quand deux victoires successives ont été remportées. La révolution menace de nouveau nos droits, et de nouveau nous voilà sur la brèche. [...]
Si l'on nous demande qui nous sommes, nous répondrons : les ouvriers de Dieu et de l'avenir, Christus heri et hodie ipse et in saecula, nous sommes catholiques, apostoliques, romains, surtout très romains, ce qui comprend tout. [...]
Nos intérêts les plus chers sont en jeu. Il s'agit de notre foi, espérons qu'elle nous sera un principe de victoire. [...]
Sur quel point voulons-nous diriger nos travaux ?
On sait que les efforts les plus violents sont tentés depuis quelques années contre l'Eglise, mais on ne sait pas assez à quel point est savante l'organisation de toutes les forces révolutionnaires, afin d'obtenir un triomphe éclatant sur toute idée divine. A la place du règne du Christ on veut l'empire de Satan. [...]
Que faire ? Se défendre d'abord, puis attaquer l'ennemi commun. Se défendre en réclamant toutes les libertés nécessaires à l'Eglise, et, puisque pour le moment la liberté d'enseignement est la plus attaquée de toutes, la défendre sur tous les points. [...]
La Révolution ne veut plus de famille; [.. .] nous combattrons pour la famille, la vraie base de la société. [...]
Nous voulons des ordres religieux qui étudient avec patience, pour enseigner avec autorité. Nous en voulons pour prêcher Jésus-Christ aux savants, aux petits, aux bourgeois. Nous en voulons qui puissent porter la croix aux plages les plus lointaines. Nous les voulons libres de se donner à tous les dévouements. [...]
Mais à quoi bon ce désintéressement commun créé par la vie religieuse ? N'est-il pas la condamnation de ceux qui veulent des places, de l'argent, des plaisirs ? Qu'on les proscrive et au plus tôt. Eh bien, dans la mesure de nos forces, nous nous mettrons en travers et nous protesterons pour la cause de la pénitence contre l'impureté, du don de soi contre tous les égoïsmes du jour, de la sainte obéissance contre la révolte élevée à la puissance d'un dogme radical. [...]
Nous voulons la liberté de la charité. [...]
Nous voulons la liberté de la prière. [...]
Enfin et au-dessus de tout, nous combattrons pour la liberté de l'Eglise. [...]
Tout terrain sur lequel l'idée chrétienne peut offrir un légitime développement sera le nôtre.
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Extraits de lettres du P. d'Alzon au P. Vincent de Paul Bailly à propos d'un quotidien (1879)
a) Nîmes, 23 juillet 1879. - Orig.ms. ACR, AH 236; T.D. 28, p. 174.
Dans le Pèlerin du 19 juillet 1879, le P. Bailly avait écrit : "Avant la fin de l'année 1879, l'œuvre du journal populaire hebdomadaire sera constituée sur de bonnes bases. Et puis ce sera le tour du journal quotidien..."
Aussitôt le P. d'Alzon réagit. Il ne dit pas non mais réclame une discussion approfondie des voies et moyens et pose des conditions. Réfléchissez, dit-il au P. Bailly, et surtout ne lancez rien dans le public sans mon accord !
Dans votre dernier numéro du Pèlerin vous jetez comme un ballon d'essai l'idée d'avoir, dans six mois, un journal quotidien. Y avez-vous bien réfléchi ? Et ne pensez-vous pas qu'il faudrait auparavant examiner si vous n'allez pas au-devant du désastre, dont vous menaçait, selon vous, le P. Hippolyte au sujet du Pèlerin ?
Remarquez, je ne blâme pas, je réclame de la manière la plus formelle une discussion approfondie des voies et moyens. Le Pèlerin, du train où vous y allez, vous mettra sur le flanc avant peu. Que sera-ce, quand il vous faudra être prêt à paraître tous les jours ? Aurez-vous des collaborateurs ? Et qui ? Et combien ? Des religieux ? Cela semble fort. Des laïques ? En serez-vous le maître ? Aurez-vous de quoi les payer ? Le genre badin, plaisant, se passe à une supériorité capable de se maintenir à un certain niveau; mais si le niveau baisse - ce qui est à peu près inévitable - quels cris ne poussera-t-on pas à l'archevêché et à la nonciature ? Le Pèlerin nous a assez compromis, un journal quotidien nous compromettra bien davantage, et la Congrégation tout entière en payera les pots cassés. [...]
Remarquez que je ne dis pas non. Mais, avant de donner mon approbation, j'exige trois conditions : 1° Les limites de votre programme, qui ne peut être absolument le même que celui de l'Univers et du Pèlerin; 2° l'indication des ressources matérielles sur lesquelles vous comptez pour commencer; 3° Les noms principaux du personnel de la rédaction. Vous pouvez faire un grand bien, vous pouvez faire un grand fiasco; je suis obligé d'exiger des garanties.
Mettez cette lettre à part. En vous l'adressant, je fais un acte de conscience très sérieux. Si vous voulez du temps pour répondre, prenez-en; mais qu'il soit bien entendu que vous ne lancerez rien dans le public, tant que je ne vous aurai pas dit : Allez.
b) Lamalou, 4 août 1879. - Orig.ms. ACR, AH 238; T.D. 28, p. 176.
Le P. Bailly a expliqué au P. d'Alzon qu'il faut prévoir à longue échéance et poser des jalons : son article du Pèlerin n'avait pas d'autre but. Pour l'exécution, il reste entièrement soumis à son supérieur et n'a jamais envisagé d'aller de l'avant sans son accord (lettre du 24 juillet 1879; orig.ms. ACR, GA 297).
Le P. d'Alzon répète brièvement sa position et donne l'idée générale qui doit présider à la rédaction du quotidien catholique, tel qu'il le conçoit : la défense de l'Eglise.
Je ne repousse pas l'idée du journal quotidien, seulement je demande des garanties. Un journal qui, laissant les controverses, poursuivrait une idée pratique selon les circonstances, toujours sous l'idée générale de la défense de l'Eglise, pourrait faire un très grand bien.
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110. ACR, CR 151-159; T.D. 45, p. 218-246. Sur ces conférences voir Un maître spirituel, p. 109-110.
111. "On se propose, dit cette note, de diriger l'opinion publique par des journaux, des brochures, des cercles, des comités électoraux." Suivent les noms des membres des comités créés pour chacun de ces objectifs (ACR, CQ 245; T.D. 43, p. 110).
112. Cette première série d'articles de Ch. Bigot fut réunie par lui en une brochure intitulée Le R.P. d'Alzon et l'Université (Nîmes 1871) : on trouvera le résumé de son argumentation dans Revue de l'Enseignement chrétien, tome 1, p. 265-268. Quatre autres articles suivirent, réunis eux aussi en une brochure sous le titre L'œuvre de l'Assomption (Nîmes 1871) : le P. d'Alzon refusa d'engager la polémique et n'y répondit que quelques lignes en post-scriptum à la lettre dont nous citons des extraits (Revue de l'Enseignement chrétien, t. 1, p. 276).
113. Le P. d'Alzon a longuement développé ces idées dans deux lettres adressées au P. Picard les 1er et 2 janvier 1880 (ACR, AF 383 et 384; T.D. 26, p. 322-326).