CHAPITRE XXVIII
LE P. D'ALZON ET LA MISSION D'ORIENT
(1868 - 1880)
Du chapitre général de la congrégation en 1868 à la mort du P. d'Alzon, la mission d'Orient ne connut pas de progrès spectaculaires. Ayant laissé Andrinople aux Pères Résurrectionistes (Ch. XXII A 2), les Assomptionnistes, qui sont venus en Bulgarie pour s'occuper des Bulgares-Unis et notamment pour fonder un séminaire bulgare, n'ont d'existence canonique qu'à Philippopoli où l'évêque latin, Mgr Canova, les a chargés d'une école primaire. A Andrinople, où le P. Galabert s'est installé quand il est devenu, en 1866, le théologien et conseiller de l'évêque des Bulgares-Unis, Mgr Popoff(1), ils ne sont tolérés que pour cette raison et en qualité d'aumôniers des Oblates de l'Assomption arrivées en 1868. Les missionnaires d'autres congrégations ne voient pas d'un trop bon œil leurs initiatives qu'ils ont tendance à considérer comme des empiétements sur leurs prérogatives. Pour le P. Galabert et ses confrères, la situation n'est pas facile. La mort de Mgr Popoff (1876), qui prive le P. Galabert de sa position privilégiée, va la rendre plus précaire encore, tandis que le soulèvement bulgare (1876) et la guerre russo-turque (1877-1878) leur feront connaître des heures tragiques tout en leur permettant de déployer leur charité.
Nous distinguerons deux parties dans ce chapitre :
A. Le P. d'Alzon et la mission auprès des Bulgares. Nous nous efforcerons d'y montrer comment le P. d'Alzon prend ses responsabilités vis-à-vis de la mission; la façon dont il perçoit les problèmes du P. Galabert dans le contexte politique et ecclésiastique du moment et les conseils et directives qu'il lui donne tant sur le plan général que sur certains points particuliers qu'il estime importants ; l'appui qu'il lui apporte.
B. L'obsession de la Russie. Ce point nous a paru mériter un développement particulier, tant à partir du Concile, l'idée de s'attaquer au schisme russe s'imposa de plus en plus impérieusement à son esprit.
A
LE P. D'ALZON ET LA MISSION AUPRES DES BULGARES
(1868-1880)
Le P. d'Alzon a confié au P. Galabert la direction de la mission d'Orient, dont le chapitre de 1876 fera une province de la congrégation. Leur correspondance(2) révèle la nature des rapports qui s'étaient établis entre les deux hommes : estime mutuelle, franchise et confiance, vénération de la part du P. Galabert, affection paternelle chez le P. d'Alzon, empreintes de part et d'autre d'esprit surnaturel. Le P. Galabert tient son supérieur au courant de tout ce qui se passe, lui soumet ses idées et ses projets, lui demande son avis, voire ses ordres(3). Mais si le P. d'Alzon en sa qualité de supérieur général a pleinement conscience de ses responsabilités vis-à-vis de la mission, il n'entend pas régler tout jusque dans le moindre détail. Il laisse au P. Galabert une grande latitude, mais il définit les priorités et n'hésite pas à faire appel à sa conscience pour en assurer le respect (v. infra 1).
Avec la franchise qu'autorise la pleine confiance qu'il a dans le P. Galabert, il lui reproche de manquer de tenue, d'être "trop bon papa", trouve qu'il consacre trop de temps à la direction des religieuses et l'invite à faire preuve de plus de fermeté et de moins de "mysticité" dans ses rapports avec elles(4). S'il s'en rapporte à lui pour l'organisation concrète des communautés, il estime cependant avoir son mot à dire quand une question lui paraît importante(5).
Parmi les projets qui tenaient le plus à cœur au P. d'Alzon figure la création d'un séminaire de langue bulgare. Malgré l'acharnement qu'il mit à en pousser la réalisation, il n'en vit poser que les premiers jalons (v. infra 2). Devant la méfiance dont les Assomptionnistes sont l'objet en Bulgarie de la part d'autres religieux, en face des déficiences de l'apostolat de ces derniers telles que les perçoit et les lui signale le P. Galabert, le P. d'Alzon recommande prudence, humilité, charité, et il invite le supérieur de la mission à faire ce qu'ils ne font pas (v. infra 3).
Jusqu'au bout il porta un grand intérêt aux religieux et religieuses du P. Stephan Nicetas, successeur de l'higoumène Panteleimon qui s'était uni à Rome en 1864(6). Il juge très important le rôle qu'ils ont à jouer dans le mouvement de retour des Slaves à Rome et a même prévu pour eux, dès 1870, une place dans son plan de propagande catholique en Russie (v. infra 5). Il s'informe de leur évolution, s'inquiète de leurs difficultés et de leurs dissensions, échange avec le P. Galabert des points de vue sur la conduite à tenir à leur égard(7).
Les textes rassemblés à propos du séminaire bulgare (v. infra 2) montrent à suffisance que, fidèle aux directives pontificales, il est extrêmement désireux de sauvegarder les rites orientaux. Ajoutons qu'il est tout prêt à voir ses propres religieux passer au rite slave si les circonstances l'exigent(8).
Sans cesse le P. Galabert réclame du renfort et des secours matériels. Le P. d'Alzon fait ce qu'il peut pour l'aider financièrement, mais ses lettres sont pleines du regret de ne pouvoir lui envoyer les religieux demandés : "Ah ! pourquoi ne puis-je pas vous envoyer vingt religieux(9) ?" Mais quand un volontaire se présente, il n'hésite pas à accéder à sa demande, fut-ce au prix d'une "guerre de plusieurs lettres" avec le P. Picard qui le voulait pour Arras(10). En 1876-1877, il aura la joie de pouvoir fournir à la mission trois excellentes recrues en la personne des premiers assomptionnistes bulgares, formés à Nîmes. Les Oblates, qu'il s'occupe activement à recruter seront plus nombreuses à partir.
En même temps le P. d'Alzon s'efforce d'intéresser les chrétiens d'Occident à l'extinction du schisme en créant à Nîmes, en 1873, une "Association de prières et de bonnes œuvres pour le retour des Grecs, des Bulgares et des Russes à l'unité" (11),
A la mort du P. d'Alzon, la mission d'Orient n'a pas encore atteint un grand développement. Il n'a pu voir notamment la réalisation de son projet de séminaire oriental. Il faudra attendre les dernières années du siècle pour voir s'ouvrir, sous l'impulsion de Léon XIII, un petit séminaire entièrement de rite bulgare à Andrinople et, à Cadi-Keuï (Chalcédoine), un grand séminaire où se formeront côte à côte de jeunes assomptionnistes venus d'Europe occidentale et des religieux et séminaristes de rite oriental(12).
Le P. d'Alzon n'avait-il pas écrit, le 14 mars 1879 : "Il me semble impossible que, vu l'ordre d'idées où nous nous plaçons, nous ne soyons pas à la fin bénis de Dieu. Il faudra que je meure pour cela(13) ?"
B
L'OBSESSION DE LA RUSSIE
Arrivé à Rome le 6 novembre 1869 pour y assister au Concile en qualité de théologien de l'évêque de Nîmes, le P. d'Alzon ne quittera la ville que le soir même de la définition de l'infaillibilité pontificale le 18 juillet 1870. Au contact d'évêques venus de tous les coins du monde, son sens de l'universalité de l'Eglise s'exalte et son désir de voir cesser ses divisions s'intensifie.
Derrière la Bulgarie où, répondant à une mission reçue de Pie IX lui-même, quelques religieux assomptionnistes, rejoints depuis 1868 par les premières Oblates de l'Assomption, travaillent depuis sept ans, le P. d'Alzon aperçoit l'ensemble du schisme slave et notamment la Russie. Il s'en ouvre à ses correspondants et spécialement à Mère Correnson, supérieure des Oblates (v. infra 4). Et déjà il bâtit des plans qu'il se propose de soumettre à la Congrégation de la Propagande (v. infra 5). Désormais l'idée d'une fondation en Russie ne le quittera plus. Jusqu'en 1877, le P. Galabert, supérieur de la mission d'Orient, sera le principal - mais non unique - confident de cette préoccupation. Il lui rappelle que "notre but est la conversion des slaves"(14), lui recommande de se préparer par tous les moyens à pénétrer un jour en Russie et dans ce but d'apprendre et de faire apprendre le russe(15) et s'ouvre à lui d'un projet qu'il caressera jusqu'à la fin de sa vie, une fondation à Odessa (v. infra 7). En 1873, c'est à toute la congrégation qu'il propose la Russie comme champ d'apostolat (v. infra 6).
Au cours de la période allant d'avril 1877 à avril 1878 et qui commence et se termine par un séjour à Rome, la Russie se trouve vraiment au premier plan des préoccupations du P. d'Alzon. A Rome, en 1877, il multiplie les contacts avec des cardinaux et des prélats de la Propagande, leur soumet ses idées et obtient leurs encouragements ainsi que ceux du Pape Pie IX qui l'a reçu en audience (v. infra 8).
Rentré en France, il prend toutes les informations possibles sur la Russie (16). Au cours d'un pèlerinage à Lourdes, en août 1877, il demande à la Vierge un signe d'approbation de ses efforts pour travailler à la conversion des schismatiques orientaux et il voit dans la guéri son d'une Oblate survenue quelques jours après, le signe demandé (v. infra 9). Mais déjà il a commencé à mettre ses idées par écrit. Plusieurs rédactions successives aboutissent en septembre 1877 à un "Mémoire sur un Essai d'évangélisation en Russie" qu'il fait lithographier pour pouvoir le soumettre à toutes les personnes capables d'émettre un avis autorisé(17).
Le séjour qu'il fit à Rome au printemps de l'année 1878 est marqué lui aussi par une intense activité en faveur de l'entreprise russe. Comme l'année précédente, il s'informe, consulte, bâtit des projets. Des responsables de la propagande, plusieurs cardinaux et le nouveau Pape Léon XIII lui-même l'encouragent (v. infra 10). Avant de quitter Rome, il laisse à la Propagande une nouvelle version de son "Mémoire" (v. infra 11 ).
Jusqu'à la fin de sa vie, le P. d'Alzon restera obsédé par la Russie, entretenant de ses projets des personnalités romaines (18), pressant le P. Galabert d'étudier la situation et de préparer l'installation à 0dessa( 19 ), faisant miroiter la Russie aux yeux des jeunes religieux dont il oriente la formation dans ce sens(20).
Enfin, l'année même de sa mort, il donnera à la revue La Croix nouvellement fondée, un triple article sur la Russie(21). En conclusion de cet article historique, il voit l'empire des tsars voué à la destruction par le nihilisme, les missionnaires pénétrant dans le pays sous la protection des pays catholiques et les âmes honnêtes poussées par les horreurs de l'anarchie vers la seule vérité... L'histoire ne confirmera ses vues que sur le premier point, mais certains de ses fils pénétreront après sa mort dans l'empire des tsars et s'y maintiendront quelque temps après la chute de ce dernier dans des conditions qu'il n'avait certes pas prévues, mais qui l'auraient rempli de fierté(22).
1
Le P. d'Alzon et la direction de la mission d'Orient (1869-1880)
a) Extraits de lettres du P. d'Alzon au P. Galabert : le P. d'Alzon laisse une grande liberté au P. Galabert dans la direction de la mission
Le P. d'Alzon s'intéresse de très près à tout ce qui se passe dans la mission, il demande des informations au P. Galabert, le remercie pour celles qu'il lui envoie. Mais il n'entend pas régenter de loin l'entreprise : le P. Galabert est mieux placé que lui pour juger des mesures concrètes à prendre. Le P. d'Alzon veille aussi soigneusement à sauvegarder l'autorité du supérieur de la mission en évitant de s'interposer entre lui et les supérieurs locaux.
1° Nîmes, le 20 mai 1869. - Orig.ms. ACR, AJ 206; T.D. 32, p. 184.
Je vous remercie des détails que vous me donnez sur l'affaire des religieux bulgares; tout ce que vous dites est, ce me semble, très prudent et, pour mon compte, je ne puis qu'approuver, autant qu'on peut approuver de loin. Donnez-moi toujours des détails de cette espèce.
2° Nîmes, le 12 décembre 1872. - Orig.ms. ACR, AJ 254; T.D. 32, p. 235.
Quant au pensionnat, faites absolument comme vous voudrez. Il faut être sur les lieux pour juger cela.
3° Nîmes, le 14 mai 1875. - Orig.ms. ACR, AJ 283; T.D. 32, p. 265-266.
Quant aux Oblates, je vous laisse libre d'en disposer pour les emplois; seulement dites-moi ce que vous en faites, comme vous l'avez dit jusqu'à présent. [...] Je pense que malgré les réflexions que je vous fais, vous voyez que je suis extrêmement satisfait de la ligne que vous suivez. Je crois que Dieu vous accorde de grandes grâces de gouvernement; soyez-y fidèle par l'humilité et la force dans la patience .
4° Nîmes, le 4 [juin] 1879.- Orig.ms. ACR, AJ 380; T.D. 32, p. 381.
Comme vous pouvez avoir des idées plus pratiques, veuillez me les indiquer, car je n'ai qu'une vue d'ensemble et je suis indifférent quant aux moyens.
5° Valbonne, le 17 septembre 1880. - Orig.ms. ACR, AJ 414; T.D. 32, p. 415-416.
Le P. Alexandre m'a écrit pour me demander du monde pour Sofia. Je remets la chose entre vos mains. Le P. Alexandre trouve très bien que vous fermiez le collège d'Andrinople, que vous lui donniez du monde à Philippopoli, et deux ou trois maîtres à Sofia. Je vous préviens - je l'ai dit à ce bon Père - que je tiens à ce que vous me donniez votre avis. Je veux bien que les supérieurs me donnent leurs idées mais c'est avec le provincial que je tiens à traiter les affaires. Qu'il soit donc bien entendu que, comme je l'ai écrit au P. Alexandre, rien ne se décidera qu'entre vous et moi.
b) Extraits de lettres du P. Galabert et du P. d'Alzon : ce dernier définit les priorités (1870-1873)
Le P. d'Alzon est certes conscient du devoir de charité des missionnaires envers les déshérités de toute espèce et il se réjouit du bien qui se fait par eux en Orient. C'est ainsi que pendant la guerre russo-turque (1877-1878), il approuve leur dévouement vis-à-vis des réfugiés, blessés, malades contagieux, orphelins, turcs ou chrétiens et s'efforce de les soutenir matériellement (Lettres au P. Galabert des 3 août, 24 août, 30 août, 21 octobre 1877.-AJ 333, 335, 336 et 341; T.D. 32, p. 321-322, 324, 325, 332). Cependant les œuvres de charité, qu'il réserve principalement aux Oblates, ne sont pas le but principal de la congrégation des religieux. Il le leur rappelle à l'occasion.
1° Du P. Galabert au P. V. de P. Bailly, Rome, le 27 avril 1870. -Orig.ms. ACR, 2 BL 204.
J'ai encore une autre observation à vous soumettre relativement aux bonnes œuvres. Le P. d'Alzon est, comme vous le savez, toujours disposé à seconder nos efforts dans ce sens, mais il ne voudrait pas qu'elles deviennent l'objet principal, le but de notre Congrégation. Dans son intention le but essentiel et principal de notre petite Congrégation, c'est le développement aussi complet que possible de l'enseignement de la doctrine catholique; surtout par l'étude, l'éducation des enfants et la prédication. Il ne voudrait pas que la multiplicité des œuvres accessoires, très utiles ne vînt à nous détourner de notre œuvre principale.
2° Du P. d'Alzon au P. Galabert, Nîmes, le 23 novembre 1877. -Orig.ms. ACR, AJ 342; T.D. 32, p. 333.
Vous vous perdez peut-être dans d'admirables œuvres de charité, mais vous laissez votre but principal de côté, le schisme.
3° Du P. d'Alzon au P. Galabert, Nîmes, le 24 mai 1879. - Orig.ms. ACR, AJ 379; T.D. 32, p. 380.
Parmi les priorités, il y a la préparation d'une pénétration en Russie, notamment par l'étude de la langue russe, et celle d'un séminaire bulgare (v. infra 2). Les voici toutes deux soulignées dans une même lettre. Pour atteindre les Russes, c'est le russe qu'il faut, et si l'on n'a pas tout de suite le russe, le bulgare peut y préparer. Je charge très gravement votre conscience de ce qu'il y a à faire par ce côté.
Ne vous endormez pas et préparons-nous activement. Vous avez à vous fortifier soit par le pope Nicétas, soit par votre alumnat, auquel vous devez en conscience donner tous vos soins plutôt qu'aux religieuses qu'il faut mener un peu plus vigoureusement.
c) Extraits de lettres du P. d'Alzon au P. Galabert. La priorité des priorités : être des saints
"La première condition d'un missionnaire est d'être un saint" (v. infra 7 c), zèle et pénitence (4 a et 9 c), "esprit de sacrifice allant jusqu'au martyre" (4c), esprit de prière (4 b et d), charité (10 c), confiance en la Providence (4 b) sont les conditions de son succès. Sa première préoccupation doit être de "former des saints" (10 b). A ces recommandations que l'on trouvera dans les textes auxquels nous renvoyons, ajoutons-en encore l'une ou l'autre.
1. Paris, le 3 février 1869. - Orig.ms. ACR, AJ 199; T.D. 32, p. 176-177.
Dites bien aux Oblates que je prie pour elles de tout cœur, et que je souhaite qu'elles se souviennent que le bien qu'elles feront dépend, beaucoup de leur sainteté.
2° Nîmes, le 6 juillet 1876.- Orig.ms. ACR, AJ 303; T.D. 32, p. 285.
Au moment où le P. d'Alzon écrit les mots qui suivent, la situation est grave en Bulgarie, où une révolte a éclaté contre la domination turque.
Nous prions de tout notre cœur pour les religieux et religieuses missionnaires de Bulgarie. Rien de plus grave que leur situation. Je n'ai pas à vous recommander la prudence mais elle est bien nécessaire. Je reçois une lettre des parents du P. Barthélémy qui demandent son retour en France. Je leur réponds un peu sèchement. Il faut savoir mourir à son poste.
3° Nîmes, le 1 février 1878. - Orig.ms. ACR, AJ 346; T.D. 32, p. 337-338.
A l'annonce de l'approche des troupes russes, le P. Galabert a fait part au P. d'Alzon de son intention "de nous remettre entièrement à la divine Providence de celui sans la permission duquel un seul cheveu ne peut tomber de notre tête" et de ne pas quitter Andrinople (Lettre du 8 janvier 1878. - Orig.ms. ACR, 2 BM 216).
Je vous félicite du fond du cœur de votre conduite. Courage ! Dieu vous bénira très certainement, si vous procédez avec cet esprit de foi. Ce m'est une grande joie de voir combien vous êtes fidèle à notre esprit. Encouragez les religieux et les religieuses à se maintenir dans un esprit catholique, c'est-à-dire abandonné à la volonté de N.-S., pour servir les âmes de tous ceux avec qui vous êtes en contact.
Je considère comme une très grande grâce que vous ayez pu passer des Turcs aux Russes sans inconvénient. Vous avez quitté les Turcs en bons termes; considérez que les Russes viennent au-devant de vous et que vous devez leur faire tout le bien possible. Soyez avant tout très avenant pour eux; tâchez que les religieuses se montrent sans doute réservées, mais en même temps pleines de la charité de N.-S.
4° Rome, le 29 [mars] 1878.- Orig.ms. ACR, AJ 349; T.D. 32, p. 344.
Je crois le moment venu de déclarer aux Sœurs que le temps des caprices et des cancans est passé. Ecoutez-les moins; parlez-leur sérieusement de la gravité des circonstances, de la beauté de leur mission; mais établissez que le moment de la vraie sainteté est venu pour elles et qu'elles doivent sanctifier leurs âmes autant par leurs exemples que par leurs leçons.
5° Nîmes, le 27 [avril] 1878.- Orig.ms. ACR, AJ 352; T.D. 32, p. 348.
"Il faut savoir mourir à son poste" (v. supra 2°), avait écrit le P. d'Alzon au sujet du P. Barthélémy Lampre dont les parents avaient souhaité le rapatriement lors du déclenchement des troubles en Bulgarie. C'est ce que fit le P. Barthélémy. Après 11 ans de travail en Bulgarie, il mourut du typhus contracté au chevet des malades au service desquels il avait mis son dévouement et sa qualification de pharmacien. Le P. d'Alzon exprime ici sa tristesse et sa fierté. Deux religieuses Oblates moururent également victimes de leur dévouement au cours de la même épidémie.
La mort du P. Barthélémy m'a bien attristé, mais aussi d'autre part me réjouit, car c'est un vrai martyr de la charité; et puisqu'on approuve le plan de nous faire ouvrir les portes du schisme par la charité catholique, il faut espérer qu'il nous obtiendra du haut du ciel ce que nous lui demanderons pour la conversion des Bulgares et des Russes. Je vous remercie des détails que vous me donnez sur sa mort, ce sont là nos vrais titres de noblesse apostolique.
6° Nîmes, le 28 octobre 1878. - Orig.ms. ACR, AJ 363; T.D. 32, p. 363.
Fortifions-nous, recueillons-nous, soyons modestes, devenons des saints. Voilà l'essentiel.
2
Échange de lettres entre le P. d'Alzon et le P. Galabert à propos de la création d'un séminaire de rite oriental
(1868-1878)
La fondation d'un séminaire pour la formation de prêtres de rite oriental est certainement l'un des projets auquel le P. d'Alzon resta le plus fermement attaché. Sans cesse il pressa le P. Galabert d'en hâter la réalisation, soutenant toutes les initiatives qui pourraient aboutir à sa création. Il n'en verra cependant que la préparation lointaine et les circonstances l'obligèrent à modifier à diverses reprises la conception qu'il s'en faisait.
a) La préparation d'un séminaire bulgare
Tant que les Pères Résurrectionistes polonais d'Andrinople, qui ont été reconnus officiellement par la Propagande comme chargés de la mission des Bulgares-Unis, n'ont pas créé de séminaire, le P. d'Alzon et le P. Galabert gardent l'espoir de pouvoir en ouvrir un. C'est, a rappelé le P. Galabert au chapitre général de la congrégation en 1868, une mission que Pie IX lui-même a confiée au P. d'Alzon [Rapport sur la mission de Bulgarie, Copie ACR, ID 13).
1° Du P. Galabert au P. d'Alzon, Andrinople, le 5 novembre 1868.-Orig.ms. ACR 2 BL 86.
Si vous ne m'envoyez au plus tôt un religieux capable, écrit le P. Galabert, les Pères Résurrectionistes nous devanceront dans la création d'un séminaire. Les Rév. PP. Polonais paraissent avoir reçu du secours; [...] leur école commence à marcher et Mgr Raphaël lui-même m'en a parlé avec éloges. Ils ont déjà six ou sept jeunes Bulgares; c'est le noyau d'un séminaire ou école normale. Nous avons besoin de nous presser si nous ne voulons pas arriver trop tard. Si nous restons encore un ou deux ans avant d'entreprendre quelque chose de sérieux, l'avenir de notre mission dans ce pays peut être compromis. Par les religieuses nous pourrons toujours faire quelque chose; mais il nous faudra renoncer au séminaire, et modifier nos plans. J'aurai besoin au plus tôt d'un religieux prêtre actif, intelligent et instruit. Sans cet aide il m'est impossible de rien commencer.
2° Du P. d'Alzon au P. Galabert, Nîmes, le 19 novembre 1868. -Orig.ms. ACR, AJ 194; T.D. 32, p. 172.
La réponse du P. d'Alzon - qui ne peut envoyer pour le moment le prêtre demandé - révèle qu'il n'a pas grande confiance dans la capacité des Pères polonais d'organiser le séminaire. Pourquoi ce manque de confiance ? Pour une raison générale d'abord. Le P. d'Alzon estime que la nationalité même des missionnaires polonais - qui appartiennent à un peuple éminemment suspect aux Russes – les empêche d'obtenir la pleine confiance de Slaves dont la Russie se donne comme la protectrice en face des Turcs. Ajoutons que les Assomptionnistes s'étaient attendus, après avoir abandonné Andrinople aux Pères Résurrectionistes (Ch. XXII 2), à pouvoir collaborer loyalement avec eux. Ils ont été déçus dans leur attente. Cela n'était pas fait pour créer un climat de confiance mutuelle.
De plus, dans ses longues lettres à son supérieur, le P. Galabert porte des jugements sur l'œuvre des Pères Résurrectionistes et ils ne sont pas toujours à leur avantage. C'est ainsi, pensons-nous, que s'explique le manque de confiance que révèle cette lettre.
Je voudrais bien vous envoyer un prêtre tel que vous le désirez, mais pour le moment je ne l'ai pas. Je n'en conclus pas moins que vous devez préparer ce séminaire, où évidemment nous pourrons mettre un peu plus tard des sujets mieux formés que ne les formeront à coup sûr les Pères Polonais, surtout si nous nous tenons à la campagne. Il me paraît impossible que nous ne réussissions pas mieux que ces braves gens, à qui il faut tant d'argent pour ne rien faire.
3° Du P. d'Alzon au P. Galabert, Paris, le 27 mars 1872. - Orig.ms. ACR, AJ 244; T.D. 32, p. 225.
Plus de trois ans plus tard, les choses n'ont guère avancé. Mais le P. d'Alzon n'a pas abandonné l'idée du séminaire bulgare, comme le montre l'extrait ci-dessous d'une lettre au P. Galabert qui lui a annoncé la visite prochaine à Andrinople du P. Jérôme, supérieur des Résurrectionistes. Pour l'intelligence de ce passage, rappelons que Mgr Raphaël Popoff, évêque des Bulgares-Unis, avait choisi le P. Galabert pour son théologien et conseiller.
Si le P. Jérôme [...] se plaint de votre établissement, posez-vous en théologien de l'évêque, en aumônier des Sœurs; ajoutez que les malheurs de la France vous ont privé des ressources, sur lesquelles vous comptiez pour le séminaire que le Pape m'a demandé, mais que les sujets sont prêts en France pour venir quand on aura les moyens matériels.
4° Du P. Galabert au P. d'Alzon, Andrinople, le 31 mai 1872. -Orig. ms. ACR, 2 BL 286.
Le P. Galabert annonce au P. d'Alzon sur un ton un peu amer, qu'il est trop tard.
Vous nourrissez toujours le projet d'organiser le séminaire dont N.S. Père vous a chargé. Mais nous arrivons trop tard. Celui des PP. Résurrectionistes est déjà organisé; ils se proposent de commencer cette année-ci les cours de théologie et ils attendent l'arrivée de leur supérieur pour décider la question.
Une fois leur séminaire installé, il faut nécessairement renoncer au nôtre, la Propagande ne permettra jamais l'existence de deux séminaires bulgares, ce serait d'ailleurs tout à fait inutile, et les œuvres de la Propagation de la Foi ou des Ecoles d'Orient ne nous donneront jamais un sou pour cela, et elles soutiendront celui des Rév. PP. Résurrectionistes. - C'est ce qui se fait depuis dix ans qu'a commencé notre mission, et c'est ce qui continuera à se faire toujours. Pourquoi ? Les Rév. PP. de la Résurrection sont canoniquement reconnus et établis dans le pays, nous ne sommes que tolérés.
b) "Un séminaire de religieux... "
Devant les réticences des autorités ecclésiastiques, le P. d'Alzon réserve le futur séminaire oriental à ses religieux.
1° Du P. Galabert au P. d'Alzon, Constantinople, le 4 novembre 1873. - Orig.ms. ACR, 2 BL 346.
En visite à Constantinople, le P. Galabert a exposé au délégué apostolique un plan de colonie agricole. Dans sa pensée (et dans celle du P. d'Alzon), cette colonie devrait donner des maîtres d'école et fournir des élèves pour un futur séminaire. Mgr Pluym approuve la colonie agricole mais estime définitivement réglée la question du séminaire.
Mgr Pluym approuve fortement l'idée d'une colonie agricole, et m'a donné à ce sujet toute autorisation. Mais il m'a fait observer qu'il fallait réserver la question du Séminaire. Je croyais, m'a-t-il dit, que le Père d'Alzon y avait renoncé depuis longtemps; et quoique le Pape l'ait chargé d'en organiser un, maintenant il y a un fait acquis; les Rév. PP. Polonais ont commencé cette œuvre avec l'approbation de la Propagande et je ne crois pas celle-ci disposée à accorder une semblable autorisation à votre Congrégation. Quant à la colonie agricole, c'est une œuvre, m'a-t-il ajouté, que vous pouvez entreprendre et qui certainement vous permettra de faire beaucoup de bien et un bien très solide dans le pays.
2° Du P. d'Alzon au P. Galabert, Nîmes, le 15 novembre 1873. -Orig.ms. ACR, AJ 262; T.D. 32, p. 243.
La réponse du P. d'Alzon montre que la colonie agricole est bien pour lui le noyau d'un séminaire. S'il ne peut être un séminaire de prêtres séculiers, eh bien, il sera un séminaire de religieux... D'ailleurs les Pères polonais réussiront-ils ?
La colonie agricole. Quand nous l'aurons, bien des choses s'arrangeront. Nous aurons un séminaire de religieux, au lieu d'avoir un séminaire de prêtres séculiers, voilà tout; et si Dieu nous bénit, nous aurons un grand bien à faire, surtout si nous avons une éducation gratuite. Puis les Pères Polonais réussiront-ils ? Et si leur œuvre tombe, ce qu'il ne faut pas désirer mais ce que l'on peut prévoir, nous en recueillerons les épaves.
c) "Pour les Augustins et pour la Russie"
Au chapitre de 1876, ce fut le P. Athanase Malassigné qui représenta la Mission d'Orient. Où en est à ce moment le plan de séminaire ? Si son rapport révèle un léger progrès, la situation reste encore bien modeste : "L'avenir, y lit-on, semble être dans l'orphelinat de garçons : cette œuvre est appelée à devenir la principale. Il sera la pépinière d'une colonie agricole et d'un alumnat par le choix que nous pourrons faire des enfants selon leurs aptitudes" (Copie ACR, ID 27).
Entre-temps cependant l'idée d'un apostolat en Russie s'est imposée impérieusement à l'esprit du P. d'Alzon. Reçu en audience privée par Pie IX, le 2 mai 1877, il lui a confié son désir de créer un séminaire destiné à former des missionnaires pour la Russie. Le Pape l'a béni et encouragé (v. infra 11). Dès lors la création du séminaire oriental qu'il envisage toujours ne peut être considérée comme une concurrence faite aux Pères polonais : il est pour ses religieux ("les Augustins") et pour la Russie.
1° Du P. d'Alzon au P. Galabert, Rome, le 29 [mars] 1878. - Orig. ms. ACR, AJ 349; T.D. 32, p. 343-344.
L'alumnat en germe dans l'orphelinat décrit au chapitre de 1876 devra tôt ou tard pour le P. d'Alzon être un alumnat de rite bulgare. Cette idée se retrouve plusieurs fois dans ses lettres et notamment dans la suivante, écrite au P. Galabert peu de temps après que celui-ci lui eût annoncé que "le moment est venu de commencer notre alumnat de grammaire".
A la Propagande, on paraît vouloir s'occuper de préparer des séminaires indigènes, et c'est là qu'il faudra en venir. On en demande pour les Grecs, on en demande pour les Slaves, et c'est pour cela que j'estime très nécessaire de nous mettre à faire Slaves nos jeunes gens de l'alumnat. N'ayez pas peur des Polonais. J'ai établi à la Propagande que ce que nous faisions était soit pour les Augustins, soit pour préparer une mission en Russie.
2° Du P. d'Alzon au P. Galabert, Rome, le 27 [avril] 1878. - Orig.ms. ACR, AJ 352; T.D. 32, p. 347-348.
Un mois plus tard il presse le P. Galabert de hâter la fondation du séminaire bulgare, quitte à n'y admettre que de futurs religieux. Il fait état des encouragements reçus de Rome.
Je vous conjure de fonder au plus tôt le séminaire bulgare, du rite bulgare, à Andrinople, si vous ne l'avez déjà fait. On nous approuve. Rampolla, Howard, Pitra, Franchi, le Pape nous encouragent. Le Pape nous bénit, allons de l'avant. Ne prenons, s'il le faut, que de futurs religieux, mais allons en avant.
Il me semble difficile que Dieu ne nous bénisse pas.
3° Du P. Galabert au P. d'Alzon, Andrinople-Caragatch, le 11 mai 1878. - Orig.ms. ACR, 2 BM 224.
L'alumnat qui doit s'ouvrir le lendemain à Andrinople-Caragatch est un alumnat de rite latin et cela pour de bonnes raisons qu'énumère le P. Galabert.
Vous me recommandez de fonder au plus tôt à Andrinople un alumnat de rite bulgare. Pour répondre à vos désirs je n'ai pas les éléments nécessaires. Je n'ai aucun enfant du rite bulgare sous la main et il me faudrait un prêtre de ce rite bulgare.
Ensuite avant d'organiser un alumnat du rite bulgare il serait utile d'avoir autre chose que des encouragements oraux de la Propagande. Voilà plus d'un an que nous avons demandé une pièce donnant une position régulière à une mission qui a plus de seize ans d'existence et nous ne pouvons rien obtenir.
4° Du P. d'Alzon au P. Galabert, Nîmes, le 12 juillet 1878. - Ori g. ms. ACR, AJ 357; T.D. 32, p. 355.
Le P. Galabert a fait part au P. d'Alzon des réticences émises au sujet de l'alumnat par Mgr Grasselli, délégué apostolique à Constantinople. Ce dernier a appris en effet que le P. d'Alzon en avait parlé à la Propagande comme d'une fondation destinée à former des prêtres gréco-slaves pour la Russie. But louable en soi, mais cette nouvelle fondation ne va-t-elle pas nuire au séminaire oriental des Pères Résurrectionistes ? (résumé de la lettre de Mgr Grasselli et analyse de la réponse du P. Galabert par lui-même. - 2 BM 229).
Le P. d'Alzon ne s'émeut guère et, dans sa réponse au P. Galabert, il se contente de rappeler son but et d'énumérer ses appuis.
Laissez les persuasions de Mgr Grasselli. A Rome, à là Propagande, on sent qu'il y a à faire. C'est pour cela que je voudrais quelque chose à Odessa, et vous le comprenez peut-être à présent. Répondez donc que je voudrais fonder un clergé pour aller en Russie, en quoi Mgr Rampolla et Mgr Segna, ainsi que Franchi m'encouragent, - Franchi que cela regarde, depuis qu'il est secrétaire d'Etat. - Léon XIII m'a tenu le même langage. Je viens de lire votre lettre à Mgr Grasselli. Répétez à l'occasion que j'ai l'approbation des cardinaux Sacconi, Pitra, surtout Howard, pour faire sentir que nous triompherons.
3
Extraits de lettres du P. d'Alzon au P. Galabert sur la conduite à tenir
vis-à-vis des autres congrégations
a)
1° Nîmes, le 18 juin 1874. - Orig.ms. ACR, AJ 274; T.D. 32, p. 256.
Dans une lettre du 5 juin 1874 (n° 931), le P. Galabert a signalé au P. d'Alzon certaines déficiences des méthodes apostoliques de missionnaires italiens. Faisons donc ce qu'ils ne font pas, lui répond celui-ci, mais gardons-nous de l'esprit d'orgueil.
Parlons de la seconde partie de votre lettre, de votre jugement sur le clergé italien. [...] La conclusion manifeste pour moi est qu'il faut faire sans dire, profiter de ce que ne font pas les autres, surtout sans s'en vanter, rechercher par quel moyen surnaturel on peut acquérir l'initiative que les autres n'ont pas, et peu à peu prendre pied où les autres ne l'ont pas pris. Pour cela avant tout, une très grande sainteté nous est [une] nécessité, car rien n'est subtil comme la tentation qui nous pousse à dire : "Je fais mieux que les autres".
2° Rome, le 29 [mars] 1878. - Orig.ms. ACR, AJ 349; T.D. 32, p. 344.
A propos des Pères Résurrectionistes d'Andrinople (v. supra 2 a, 2°).
Malheureusement pour eux, ils sont peu aimés [...] mais il ne faut pas s'en prévaloir. Seulement nous ne sommes pas obligés de porter les conséquences de leurs maladresses en nous y associant.
3° Nîmes, le 20 décembre 1878.- Orig.ms. ACR, AJ 366; T.D.32, p. 366.
A propos d'un rapport du P. Galabert où il a été question des Pères Résurrectionistes.
Vous parlez des Polonais avec une mesure parfaite; vous deviez en dire un mot, mais ce mot prouve que vous ne leur en voulez pas et que de plus, vous ne vous en occupez pas pour leur faire de la peine. C'est ce qu'il faut.
4° Nîmes, le 25 mai 1880. -Orig.ms. ACR, AJ 402; T.D. 32, p. 403.
Toujours à propos des Pères polonais.
Ne disons rien des Polonais. [...] Le meilleur est de s'occuper d'eux le moins possible, excepté les services que la charité réclame. La prudence veut, je crois, que nous nous en tenions loin.
4
Extraits de lettres du P. d'Alzon adressées à
Mère Correnson (1869-1870)
a) Rome, le 17 novembre 1869. - Orig.ms. ACOA; T.D. 30, p. 4.
Quelle trouée des cœurs d'apôtres ne pourraient-ils pas effectuer dans le vaste champ des missions étrangères et notamment du côté de la vaste agglomération des Slaves schismatiques, dont les Bulgares ne sont qu'une branche ! "Au moins soixante millions à convertir !"
Je reviens donc à vous, ma bien chère enfant, pour vous dire combien je suis préoccupé de tout le travail que nous donnerait l'Eglise, si nous voulions être réellement de vaillants ouvriers. Le champ est immense, et les Missions étrangères sont réellement un but qui ne semble pas pouvoir être atteint. Ainsi, derrière les Bulgares, vous avez la grande agglomération des Slaves schismatiques, dont les Bulgares ne sont qu'une branche, vous avez au moins soixante millions à convertir. Rien que cela ! Ah ! mon enfant, si nous avions des cœurs de séraphins et d'apôtres, quelle trouée ne ferions-nous pas de ce côté-là et de bien d'autres côtés ! Savez-vous un des côtés actuels de Rome qui m'émeuvent le plus ? C'est de rencontrer les évoques de tous les pays. [...] Et dans tous ces pays il y a d'immenses conquêtes à faire et ce sont partout presque des pays de Missions, où les Oblates peuvent travailler.
Dites bien à vos filles qu'elles ne se figurent pas assez ce qu'elles auront à faire.
b) Rome, le 20 novembre 1869. - Orig.ms. ACOA; T.D. 30, p. 5-6.
Avoir un cœur, un esprit, une piété catholiques, quoi de plus nécessaire à des filles missionnaires !
Les Oblates sont à l'œuvre en Bulgarie, mais derrière les Bulgares, il y a l'ensemble du monde slave. Mon séjour à Rome me fait sentir tous les jours davantage la nécessité d'une piété catholique, c'est-à-dire désintéressée, généreuse, universelle, s'occupant plus des intérêts de Dieu que des nôtres, parce que Dieu s'occupera bien mieux de nos intérêts quand nous nous occuperons exclusivement des siens. Aussi sous ce rapport, je crois que je me convertis un peu et que je commence à devenir moins personnel. Peut-être n'est-ce qu'une théorie ? Un autre effet que me produit Rome, c'est de me porter à m'élever au-dessus des idées de pays. Rome est la capitale du monde catholique. Il faut avoir non seulement le cœur mais les idées catholiques, et quand on parle des idées larges, je ne crois pas qu'on en trouve de plus larges que celles-là. Ce sont celles dont doivent aussi se pénétrer des filles missionnaire.
Vous ai-je dit que je me sens poussé vers les Slaves, dont les Bulgares ne forment qu'une branche. Mais je vous développerai cela plus tard.
c) Rome, le 21 décembre 1869. - Orig.ms. ACOA; T.D. 30, p. 20.
En décembre 1869, le P. d'Alzon a longuement parlé de la conversion des Slaves et en particulier des Russes avec le secrétaire d'un évêque polonais emprisonné par la police russe, et déjà il entrevoit pour ses religieux et les Oblates une action possible en Russie. Que ne pourrait-on faire avec un esprit de sacrifice qui aille jusqu'au martyre ! Prions pour que Dieu envoie des ouvriers pour cette moisson !
Et je suis profondément convaincu que le moment approche où, si nous sommes prêts, si surtout, nous sommes pénétrés d'un esprit de sacrifice qui aille jusqu'au martyre, nous ferons des prodiges. Figurez-vous que parmi les schismatiques, il y a une sorte de dissidents appelés les Raskolniks, lesquels sont venus à bout d'avoir seize évêques consacrés par un vieil archevêque séparé, et que ces seize évêques parcourent la Russie, sans que la police puisse mettre la main sur eux. D'où il résulte que les catholiques pourraient en faire autant, et c'est ce qui épouvante le gouvernement russe. Un point central établi à Andrinople, pourrait donner les plus beaux résultats, car de là nous lancerions des missionnaires, pourvu (il est vrai) que Dieu voulût en envoyer. Priez, priez bien fort à cette intention. Oh ! quand Dieu voudra-t-il nous envoyer des secours et des aides !
d) Rome, 2e 15 février 1870. - Orig.ms. ACOA; T.D. 30, p. 56.
Priez pour l'extinction du schisme ! N'ayez en vous que la grande préoccupation de l'Eglise !
Ah ! priez et faites prier pour l'extinction du schisme. Quelle admirable vocation vous avez là ! Je voudrais, par les détails que je vous donne, vous faire comprendre combien il importe de laisser de côté toutes les petites préoccupations qui peuvent vous troubler pour prendre la grande préoccupation de l'Eglise.
5
Extraits d'un mémoire du P. d'Alzon intitulé
"Des moyens de travailler à la conversion des schismatiques slaves",
Rome 1870. -Orig.ms. ACR, AP 9; T.D. 40, p. 121-124.
Ce mémoire devait être en gestation en février 1870. A la date du 20 février en effet, dans l'agenda où il consigne son journal, le P. Galabert note, sous le titre "projet", quelques idées que l'on retrouve ici (ACR, F 64). Sans doute s'agit-il du résumé d'un entretien qu'il vient d'avoir avec le P. d'Alzon et au cours duquel on a commencé à élaborer un plan d'action parmi les Slaves.
Dans le document dont nous citons quelques extraits, le P. d'Alzon expose un projet d'apostolat où des monastères d'hommes et de femmes de rite oriental joueraient le rôle principal. Ils seraient aidés dans les commencements par des occidentaux. Ce n'est pas un projet en l'air. Le P. d'Alzon compte sur les moines et les religieuses de l'higoumène Panteleïmon, dirigés depuis la mort de ce dernier par le P. Stéphane Nicetas.
Ensuite le P. d'Alzon répond aux diverses objections que l'on pourrait faire à une entreprise apostolique ayant la Russie pour objectif. Il termine en admettant que l'œuvre est périlleuse et demande qu'on lui dise si elle n'est pas imprudente.
Ces moyens sont très simples; faire ce qu'ont fait les moines après l'invasion des barbares, fonder des couvents où d'abord on se livrerait à la culture des champs et, avec les produits de leurs travaux, préparer des missionnaires, des prêtres de paroisse et des maîtres d'école; puis, prenant Andrinople pour point de départ, s'avancer, à mesure que les circonstances le permettraient, du côté de la Russie. L'œuvre serait commencée par des religieux d'Occident qui prendraient le rite oriental, comme Pie IX leur en a suggéré l'idée; ils s'adjoindraient des Orientaux.
L'essai va commencer aussitôt après le concile par des religieux établis depuis six ou sept ans dans la Bulgarie. Une première expérience a été tentée par des religieuses françaises, qui, à Andrinople, seront chargées de former des religieuses bulgares soit à la vie ascétique, soit à l'enseignement, soit à la visite des pauvres. L'essai, jusqu'à présent, réussit et donne lieu d'espérer, avec la même direction, un même succès pour les hommes. [...]
La Russie est agitée par ce qu'on appelle les idées révolutionnaires. Les personnes les plus graves affirment qu'une loi sur la liberté des cultes a été discutée par les ministres du gouvernement russe, qu'elle est décidée en principe, qu'elle sera promulguée quand les esprits seront prêts à la recevoir, et qu'en attendant on laissera une plus grande liberté aux communions séparées du culte officiel. Des faits très significatifs justifient cette supposition. Pourquoi tout en travaillant à la conversion de la Bulgarie, faible partie du schisme slave, ne préparerait-on pas des ouvriers apostoliques, préoccupés de cette idée et prêts à s'élancer, dès que le Saint-Siège leur en donnerait le signal ? [...]
Après tout, la conquête des âmes ne se fait jamais sans quelque péril. La seule question est de savoir si le péril peut être tenté sans imprudence et s'il y a de grandes chances de succès. Celui qui écrit ces lignes, en est profondément convaincu.
6
Extrait de l'instruction prononcée par le P. d'Alzon
à la clôture du chapitre général de 1873.
- Orig.impr. ACR, ID 24; Circulaires aux religieux de l'Assomption, p. 65, Paris,
1912. (= T.D. 14).
Ni le rapport sur la Mission d'Orient présenté au chapitre par le P. Galabert, ni les procès-verbaux du chapitre ne font mention de la Russie. Mais, dans un passage vibrant de son instruction de clôture, le P. d'Alzon la désigne comme champ d'apostolat à ses fils.
L'Eglise a aujourd'hui trois grands ennemis : la révolution, la Prusse et la Russie, et la Russie n'est pas le moins redoutable. Mais pourtant, quel champ immense s'ouvre à nos travaux de ces côtés ! Comme Jésus à ses disciples, j'ose vous dire : Messis milita. Les disciples, devenus apôtres, firent la conquête du monde. Voyez, mes Frères, si vous voulez conquérir la Russie et en porter une abondante moisson dans les greniers du Père de famille.
Je tremble en vous parlant ainsi, et pourtant quelque chose me crie que si l'Assomption le veut, Dieu aidant, la moisson lui appartiendra.
7
Extraits de lettres du P. d'Alzon à divers religieux (1875-1876)
Entre le Concile et l'année 1877, la préoccupation de la Russie se retrouve à maintes reprises dans les lettres du P. d'Alzon. Nous citons ici trois extraits caractéristiques datant de la fin de cette période. Dans le premier (a), il s'ouvre pour la première fois au P. Galabert d'un projet qu'il caressera jusqu'à la fin de sa vie : une fondation à Odessa.
Le second (b) nous montre combien l'entreprise russe lui tient à cœur malgré ce qu'elle peut avoir d'utopique d'un point de vue purement humain. Le troisième (c), tiré d'une lettre au supérieur de l'alumnat de Nice, révèle son souci de susciter de saintes vocations capables d'affronter le martyre pour l'unité de l'Eglise.
a) Au P. Galabert, Nîmes, le 19 juillet 1875.-Orig.ms. ACR, AJ 286; T.D. 32, p. 268-269.
Savez-vous le premier établissement que je voudrais voir former ? Une maison à Odessa. C'est fort, mais c'est mon idée. Croyez qu'il y a là quelque chose à faire. C'est la Russie qui doit être notre point de mire, croyez-le, et les difficultés ne doivent pas être un empêchement.
b) Au P. Vincent de Paul Bailly, Les Châteaux, le 25 août 1875. -Orig.ms. ACR, AH 91; T.D. 28, p. 69.
Priez pour les Russes. Tout ce qui se passe en Orient m'attache à la race slave. Ce schisme russe a besoin d'être attaqué. Mon Dieu, que je suis fou, étant si vieux ! Mais il me semble que c'est malgré moi. Le dernier mot du Syllabus ne se trouvera qu'à Saint-Pétersbourg.
c) Au P. Alexis Dumazer, Nîmes, le 29 avril 1876. - Orig.ms. ACR, AK 266; T.D. 33, p. 192.
Je retourne de Paris avec la conviction que tôt ou tard la Russie nous ouvrira ses portes, dussions-nous en graisser les serrures et les gonds avec notre sang. Dites bien à tous que la première condition d'un missionnaire est d'être un saint. […] Parlez aux enfants des missions en Orient et en Russie, l'eau leur en viendra à la bouche.
8
Extraits de lettres du P. d'Alzon à divers correspondants (1877)
A partir de 1877, la Russie passe vraiment au premier plan des préoccupations du P. d'Alzon. Dans les extraits de lettres cités ci-dessous, il fait part à ses religieux et à Mère Correnson des encouragements reçus à Rome et en particulier du Saint-Père, pour un établissement en Russie.
a) Au P. Emmanuel Bailly, Rome, le 3 mai 1877. - Orig.ms. ACR, AI 334; T.D. 31, p. 277-278.
Hier, j'ai vu le cardinal Pitra, lequel nous pousse tant qu'il peut à faire un établissement en Russie. […] Après le cardinal Pitra, j'ai vu le Pape. Savez-vous qu'il n'y a qu'une voix pour nous engager à faire un établissement en Russie. Les cardinaux Howard et Pitra m'y poussent de toutes leurs forces, le secrétaire de la Congrégation des rites orientaux m'y pousse aussi.
[...] Demandons beaucoup de vocations. Et moi qui oubliais le Pape, que j'ai vu hier en audience privée et qui me donne toutes les bénédictions et encouragements possibles, mais ne me donne pas une autorisation que je ne lui demande pas. Ce serait imprudent. Il nous bénit pour nous lancer de ce côté à nos risques et périls.
b) A Mère Correnson, Rome, le 12 mai 1877. -Orig.ms. ACOA; T.D. 30, p. 295-296.
Demain dimanche, j'irai voir le cardinal Franchi, préfet de la Propagande, et je lui parlerai des Oblates, afin qu'il voie ce qu'il y a à faire. J'en ai parlé au Pape, qui bénit et encourage tout ce que je ferai avec elles. Il se trouve que le cardinal Pitra prend feu et flamme pour tout ce que nous ferons en Bulgarie et en Russie.
c) Au P. Picard, Nîmes, le 19 juin 1877.- Orig.ms. ACR, AF 194; T.D. 26, p. 162.
Le Pape bénit et encourage; les cardinaux Sacconi, Pitra, Howard, Franchi, le secrétaire et le minutante pour la Bulgarie encouragent de tous leurs efforts une mission en Russie.
La Russie qui veut la liberté des chrétiens en Turquie doit accepter chez elle la liberté des catholiques.
9
Extraits de lettres du P. d'Alzon concernant la
guérison miraculeuse d'une religieuse Oblate (septembre 1877)
a) Au P. Picard, Nîmes, le 3 septembre 1877. - Orig.ms. ACR, AF 206; T.D. 26, p. 350-351.
Dans cette lettre, le P. d'Alzon raconte longuement la guérison miraculeuse d'une religieuse Oblate survenue le 2 septembre. Mais ce qui importe surtout, c'est la signification qu'il y attache.
Je vous avouerai que, si je suis resté à Lourdes vingt-quatre heures après le pèlerinage que vous dirigiez, c'est que j'ai voulu demander à la Sainte Vierge un signe qu'elle approuvait nos efforts pour travailler à la conversion des schismatiques orientaux. La guérison de mon Oblate, consacrée précisément à cette œuvre, ne serait-elle pas le signe accordé ?
b) Au P. Picard, Nîmes, le 10 septembre 1877. - Orig.ms. ACR; AF 208; T.D. 26, p. 173.
Aux yeux de Mgr Mercurelli, la guérison de l'Oblate est un signe évident que la congrégation est bénie pour s'occuper de la Russie.
Mercurelli, à qui j'avais écrit pour savoir si, après ma prière à la Sainte Vierge, après votre départ (de Lourdes), de me donner un signe qu'elle voulait que je m'occupe de la Russie, me répond une lettre de plus de six pages, que je ferai copier pour vous la communiquer, et où il me donne son avis catégorique, disant que la guérison de 1'Oblate est à ses yeux un signe évident, et que cette Congrégation est bénie pour cela.
c) Au P. Galabert, Nîmes, le 28 septembre 1877. - Orig.ms. ACR, AJ 338; T.D. 32, p. 327-328.
La persécution qui menace en France semble indiquer que Dieu désire qu'on s'occupe davantage des portions délaissées de son Eglise et notamment des pays schismatiques. Puissions-nous être animés des dispositions de pénitence et de disponibilité voulues pour faire sa volonté. Après avoir évoqué une nouvelle fois la guérison miraculeuse de l'Oblate, le P. d'Alzon confie à son correspondant qu'il prie Dieu de l'aider à réaliser son dessein d'aller un jour à Odessa.
Mon opinion est que nous touchons à une catastrophe en France. Qui sait si ce ne sera pas le salut de l'Eglise 7 Nous allons aux abîmes; mais quand Notre-Seigneur allait à la croix, il était à l'avant-veille de sa résurrection. Cela dépend de la sainteté des catholiques. Malheureusement, nous n'en sommes pas encore là. Il y a un bien triste affaissement partout, et surtout dans le clergé. Mais Dieu, dans sa miséricorde, ne châtie jamais une partie de son Eglise que pour donner un peu plus d'amour aux portions délaissées. C'est ce qui arrive, ce me semble, pour les pays schismatiques; aussi faut-il redoubler de zèle et [de] pénitence pour obtenir ce que Dieu semble vouloir faire, mais à condition qu'on lui dira : Ecce ego, mitte me. [...]
Vous avez vu dans l' Assomption que notre miraculée allait de mieux en mieux. Elle a augmenté de sept à huit kilos depuis sa guérison. Ma préoccupation se porte toujours du côté d'Odessa et je demande à Dieu de me donner de quoi arriver à l'exécution de ce dessein. Qui sait si la persécution ne me forcera pas à fuir de ce côté ?
10
Extraits de lettres du P. d'Alzon pendant son
séjour à Rome en 1878
Au moment où le P. d'Alzon se trouve à Rome, la guerre russo-turque (1877-1878) a amené les troupes russes à Andrinople. Le P. d'Alzon y voit la main de la Providence et entend tirer tout le parti possible de cette situation (b et d).
A Mère Correnson il dit combien il compte sur les Oblates, leur charité, leur dévouement pour ouvrir les portes de la Russie aux missionnaires catholiques (a et c). Enfin il confie à ses religieux les encouragements reçus à Rome, en particulier de la part du nouveau Pape, Léon XIII (e et f).
a) A Mère Correnson, le 21 mars 1878. - Orig.ms. ACOA; T.D. 30, p. 311-312.
Je viens d'avoir une conversation de deux heures avec le secrétaire de Mgr Lubienski, l'évêque Polonais emprisonné, il y a quelques années, par les Russes. Il revient de Roumanie, où il a passé cinq ou six ans à Jassy, qui est à deux heures de la Russie et en est séparé par le Pruth. Or, sa conviction, c'est que nous devons commencer à Odessa par un couvent de filles, avec quelques maîtresses capables. On aurait à Odessa ou à Bucarest un pensionnat de 300 à 400 élèves. Cherchons donc les maîtresses.
Après les religieuses, viendraient un ou deux religieux comme aumôniers, et le reste viendrait ensuite. Mettez donc vos sœurs en prière pour obtenir des sujets. […] Ce Belge connaît les religieuses de l'Assomption et me dit toujours d'en envoyer. Je lui réponds que je veux bien les laisser aller à Saint-Pétersbourg, mais que je réserve Odessa et les environs pour les Oblates. Priez aussi pour que j'y voie clair. [...] Avec cela, je me dis par moments : Quelle mouche du coche je suis et ne ferai-je pas mieux d'aller me préparer à mourir dans mon petit coin de Nîmes ?
b) Au P. Galabert, le 29 [mars] 1878. - Orig.ms. ACR, AJ 349; T.D. 32, p. 343-344.
Le P. Galabert a informé le P. d1Alzon qu'il a appris que les Russes s'apprêtaient à le décorer pour services rendus aux Bulgares pendant la guerre. Il lui a demandé s'il devait accepter.
1° Acceptez la décoration et voyez avec les Russes que vous pourrez connaître s'il ne serait pas utile d'avoir un hôpital à Odessa. L'hôpital entraînerait l'aumônier, et l'aumônier entraînerait autre chose. Je vous conjure d'être aussi bon que possible avec les Russes, évitez toute controverse et procédez par la charité.
2° Prenez tous les renseignements possibles sur la langue russe, et si quelqu'un des jeunes religieux peut s'y mettre, aidez-le.
3° Je reçois une foule de renseignements au sujet du plan à adopter. Le meilleur de tous c'est de former des saints. Cela paraît difficile, et pourtant il faut toujours en revenir là.
c) A Mère Correnson, le 29 mars 1878.- Orig.ms. ACOA; T.D. 30, p. 313-314.
Je suis allé dire la messe, ce matin, pour vous sur le tombeau de sainte Catherine de Sienne. [...] Je lui ai demandé pour vous toutes les grâces qui peuvent vous faire arriver à toute la sainteté que N.-S. demande de ses épouses, et surtout, d'une épouse qui doit lui en amener tant d'autres, car il ne faut pas vous faire illusion, nous devons tout faire pour accroître les Oblates. Il m'en faut pour Odessa, d'ici à un temps assez rapproché.
Le P. Galabert prend en Orient, de l'influence, surtout par la charité et le dévouement de vos filles. Or, je suis convaincu qu'elles sont destinées à nous ouvrir les portes de la Russie, d'abord par un hôpital, ensuite par un pensionnat. Aussi je vous engage à pousser les études, autant que vous le pourrez, et je ne doute pas que celles qui voudront travailler ne rendent un jour de très grands services à l'Eglise.
d) A Mère Correnson, le 7 avril 1878. - Orig.ms. ACOA; T.D. 30, p. 319.
On parle ici de bien des mouvements en sens divers, mais de tout le remue-ménage qui se passe en Orient, il reste surtout, à mes yeux, une préparation évangélique. L’Église fait son chemin à travers toutes ces ruines, et, d'ici à peu elle le fera bien davantage. Le tout est de mettre sa confiance en la Sainte Vierge et d'aller de l'avant.
e) Au P. Picard, le 13 avril 1878. - Orig.ms. ACR, AF 263; T.D. 26, p. 222.
J'ai eu hier l'audience du Pape. [...] Je lui parlai de la Russie. Il m'a béni, encouragé, poussé, spinto, de toutes ses forces.
f) Au P. Galabert, le 18 avril 1878. - Orig.ms. ACR, AJ 351; T.D. 32, p. 347.
Je quitte Rome, plein des bénédictions et des encouragements du Saint-Père, et plein de la sympathie que m'ont témoigné Rampolla, Segna, Simeoni, Howard, Pitra, Franchi et Vannutelli. Il y a là pour moi quelque chose de précieux.
11
Extraits d'une note du P. d'Alzon "sur un projet d'évangélisation en Russie" (mars 1878).
- Brouillon autogr. ACR, AP 12; T.D. 40, p. 130-132.
Dans une lettre à Mère Correnson du 2 avril 1878 (ACOA; T.D. 30, p. 315-316), le P. d'Alzon écrit qu'il a porté samedi, c'est-à-dire le 31 mars, chez Mgr Segna, chef de bureau chargé de la Bulgarie à la Propagande, un rapport du P. Galabert et "une note de moi sur les questions Bulgare et Russe". Il s'agit du document dont nous donnons une partie ci-dessous. Il fut transmis au cardinal Simeoni, Préfet de la Propagande, qui le 6 juin suivant, en accusa réception (ACR, DZ 27).
Laissant de côté la première partie de la note, qui concerne la Bulgarie, nous en citons la fin où le P. d'Alzon, fort des encouragements reçus de Pie IX moins d'un an auparavant, expose ses projets relatifs à la Russie et les divers motifs qui le portent à croire que le moment est venu de passer à l'action.
Depuis que Pie IX m'eut proposé la mission de Bulgarie, mes vues se sont étendues beaucoup plus loin : la Russie est devenue ma grande préoccupation. Vers le mois de mai 1877, il y a moins d'un an, ayant été reçu en audience par le Saint Père, je me permis de lui demander sa bénédiction et ses encouragements pour préparer un séminaire destiné à former des missionnaires pour la Russie. Pie IX m'encouragea beaucoup, me donna ses bénédictions et je me retirai, préoccupé de cette pensée. Depuis, une dame catholique russe m'a offert de m'établir dans ses terres, au Caucase, avec quelques jeunes gens, j'accepterais si je savais qu'on pût y apprendre la langue russe dans toute sa pureté; sinon, je demanderais que l'on me donnât un prêtre français à la colonie française d'Odessa, et je verrais ce que l'on peut faire dans cette ville que l'on m'assure très corrompue. Mais la corruption de Corinthe n'empêcha pas saint Paul d'aller y passer bien du temps : ce fut le centre de sa prédication en Grèce. On m'assure que si l'on établissait un couvent pour l'éducation des jeunes personnes, au bout de peu de temps, on aurait par les dames une grande influence et une certaine liberté.
Divers motifs me portent à croire que le moment est venu de m'occuper de la Russie :
1° L'invasion des idées révolutionnaires qui sapent le colosse et ne lui permettent pas d'en rester à la domination par l'Eglise schismatique.
2° La diminution du clergé. Les couvents ayant été dépouillés de leurs biens, les moines y sont tous les jours moins nombreux; et quant aux popes, outre leur infériorité intellectuelle, depuis que les fils des popes ne sont pas contraints à se faire popes eux-mêmes, presque tous embrassent une carrière administrative, et le clergé paroissial n'aura bientôt plus de recrues.
3° Est-il bien imprudent de dire que la Russie est trop vaste pour rester unie ?
4° Depuis longtemps, on parle de donner à la Russie un régime parlementaire. Le lendemain du jour où cet acte sera accompli - et il est la conséquence de l'affranchissement des serfs - la liberté des cultes devra être proclamée.
5° Après la guerre actuelle, n'est-il pas logique de penser qu'après s'être battus pour donner aux chrétiens la liberté en face des Turcs, il sera nécessaire que la Russie l'accorde aux catholiques ?
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1. Chr. WALTER, Raphaël Popov, Bulgarian Uniate bishop : problems of uniatism and autocephaly, dans Sobornost, vol.6, n° 1 (1984), p. 46-60. Sur les premières années de la mission d'Orient, v. Ch. XXII. Pour l'époque qui nous occupe : VAILHE, Vie, II, p. 661-673. G. QUENARD, Le P. V. Galabert, dans Pages d'Archives, II, p. 129-148 (juillet 1957). P. TOUVENERAUD, Religieux et religieuses de l'Assomption au service de l'Orient chrétien, p. 431-436, dans Pages d'Archives, II, p. 419-452 (mars 1965). A. BURG, art. Galabert (Victorin) dans Dict. Hist. et Géogr. Eccl., vol. XIX, col. 699-703. J. WALTER, L'apostolat des Assomptionnistes auprès des Bulgares de 1862 à 1880, dans Colloque, p. 180-196. J. WALTER, Les Assomptionnistes au Proche-Orient (1863-1880), p. 11-28, Paris, 1982.
2. La correspondance des Pères d'Alzon et Galabert est la source principale de notre connaissance des 18 premières années de la mission d'Orient. Pour la période qui nous occupe (1868-1880), nous avons conservé 325 lettres (souvent très longues) du P. Galabert au P. d'Alzon et 222 de ce dernier au P. Galabert. Il faut y ajouter leurs lettres à d'autres correspondants et celles qu'ils en reçurent (parmi lesquelles un certain nombre de lettres de personnalités romaines au P. d'Alzon) ainsi que des rapports et autres documents concernant la mission.
3. Par exemple, le 16 mai 1874, le P. Galabert écrit : "Dans ma lettre de Constantinople je vous demandais votre avis ou plutôt vos ordres au sujet de l'orphelinat…" (Orig.ms. ACR, 2 BM 15).
4. Lettres au P. Galabert des 25 octobre 1876 et 20 septembre 1878 (Orig.ms. ACR, AJ 313 et 360; T.D. 32, p. 299-303 et 359).
5. C'est ainsi, par exemple, qu'il revient avec insistance sur une séparation plus nette entre les maisons des religieux et celles des Oblates, entre filles et garçons dans les écoles.- Lettres au P. Galabert des 29 décembre 1872, 27 septembre 1876, 17 octobre 1876 et 29 septembre 1877 (AJ 255, 310, 312 et 339; T.D. 32, p.237, 295-296, 298 et 328.
6. Sur les monastères unis de Panteleimon, voir I. SOFRANOV, Histoire du mouvement bulgare vers l'Eglise catholique au XIXe siècle, p. 326-372, Rome 1960.
7. Lettres au P. Galabert des 20 mai 1869, 18 avril 1876, 27 juillet 1877, 17 avril 1879, 23 juillet 1880 (ACR, AJ 206, 299, 332, 376 et 406; T.D. 32, p. 184, 281, 320, 374-375 et 407).
8. Au P. Galabert, 1 avril 1871, 4 juin 1872, 12 décembre 1872, 12 octobre 1877 (AJ 231, 248, 254 et 340; T.D. 32, p. 207-228, 234, 330).
9. Lettre au P. Galabert, 7 janvier 1869 (AJ 197; T.D. 32, p. 175).
10. Lettre au P. Galabert, 4 août 1869 (AJ 213; T.D. 32, p. 192).
11. Voir Bulletin officiel de l'Assomption, n° 8, p. 219-220 (déc. 1951).
12. G. QUENARD, La mission d'Orient avec Léon XIII et le P. Picard, dans Pages d'Archives, II, p. 345-367 (mars 1959).
13. Lettre au P. Galabert (AJ 373; T.D. 32, p. 372). Dans cette lettre le P. d'Alzon exprime sa douleur devant le manque de vocations qui freine la réalisation des projets des missionnaires d'Orient.
14. Lettre du 17 janvier 1874 (Orig.ms. ACR, AJ 265; T.D. 32, p. 246).
15. Lettres des 5 octobre 1870 et 18 juin 1874 (AJ 223 et 274; T.D. 32, p. 200 et 257).
16. C'est ainsi qu'en août 1877, il se rend à Paris "pour préparer l'affaire d'Odessa" (Lettres au P. Galabert du 27 juillet et du 7 septembre 1877. - AJ 332 et 337; T.D. 32, p. 320-321 et 326) et y rencontre un Russe catholique. A la même époque, il entre en relations épistolaires avec une dame russe convertie, Mme Fricero. Il l'interroge sur la situation politique et religieuse de la Russie, sur les possibilités d'accès, etc. Il lui soumet son "Mémoire sur un Essai d'évangélisation en Russie" et, se fondant sur certains passages de ses lettres, échafaude même un plan d'établissement au Caucase. - Les lettres du P. d'Alzon à Mme Fricero ne nous sont pas connues mais nous possédons celles que cette dernière lui adressa entre le 15 août 1877 et le 30 janvier 1879 (2 EA, 96-104).
17. Copie lithogr. ACR, AP 11; T.D. 40, p. 127-129. Ce mémoire a été précédé de deux versions préparatoires, portant elles-mêmes de nombreux ajouts et corrections.
18. Notamment Mgr Rampolla, secrétaire de la Congrégation de la Propagande pour les affaires de rite oriental. C'est à lui en effet très vraisemblablement qu'est adressée une lettre du 12 juin 1878 dont nous avons conservé le brouillon (ACR, AP 13). Le destinataire la transmit au cardinal Simeoni, Préfet de la Propagande qui en accusa réception le 28 juin : "Rilevo con soddisfazione dal pregato folio delle P.V. del 12 corrente lo zelo da cui Ella è animata per la conversione della Russia, e le speranze che nutrisce in proposito." (ACR, KO 75).
19. Il faudrait citer ici des dizaines de lettres. La dernière mention d'Odessa se trouve dans une lettre au P. Alexandre Chilier du 16 septembre 1880, soit deux mois avant la mort du P. d'Alzon (AK 298; T.D. 33, p. 219).
20. Par exemple, Lettres au P. Galabert du 13 mai 1879 et du 30 janvier 1880 (AJ 378 et 391; T.D. 32, p. 379 et 393).
21. La Russie. Son passé dans La Croix (1880), n° 1, p. 26-30; n° 2, p. 35-47; n° 3, p. 121-124. L'évolution de la pensée du P. d'Alzon au sujet de l'avenir de la Russie, et notamment de celui de la religion dans ce pays, a été bien mise en relief par J. WALTER dans les études citées en tête de ce chapitre.
22. G. QUENARD, L'Assomption en Russie dans Pages d'Archives, II, p. 37-52 (décembre 1955) et p. 369-384 (octobre 1959).